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Savoir Se Taire, Savoir Parler (Jean-Christophe Seznec Etc.)

Ce document explore les raisons pour lesquelles nous parlons et les implications de notre communication dans un monde hyperconnecté. Il aborde les enjeux de la parole, du silence, et de la pleine conscience, tout en soulignant l'importance de choisir quand et comment s'exprimer. L'auteur invite à réfléchir sur la qualité de nos échanges et à valoriser le silence comme un moyen de se reconnecter à soi-même et aux autres.

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Savoir Se Taire, Savoir Parler (Jean-Christophe Seznec Etc.)

Ce document explore les raisons pour lesquelles nous parlons et les implications de notre communication dans un monde hyperconnecté. Il aborde les enjeux de la parole, du silence, et de la pleine conscience, tout en soulignant l'importance de choisir quand et comment s'exprimer. L'auteur invite à réfléchir sur la qualité de nos échanges et à valoriser le silence comme un moyen de se reconnecter à soi-même et aux autres.

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Illustration de couverture © Source-Fotolia.

com

© InterEditions, 2017
InterEditions est une marque de Dunod Éditeur,
11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff

ISBN : 978-2-7296-1746-2

Ce document numérique a été réalisé par PCA


Nous pourrions dédicacer ce livre à beaucoup
de personnes…
Elles se reconnaîtront !

« Celui qui ne comprend pas ton silence n’arrivera jamais à


comprendre tes mots. »
Sam Ya
Table
Couverture

Copyright

Dédicace

Exergue

Introduction - Si nous faisions une pause dans le brouhaha ?

1. Pourquoi parlons-nous ?

Pourquoi parlons-nous ?

Pour dire quelque chose

Pour discuter

Pour partager

Pour informer

Parler pour se sentir exister

Pour être connecté au groupe

Quelles différences entre un dialogue, un discours, un débat… ?

Une boussole pour se diriger dans l’échange

Les pièges du discours


Différer la parole pour mieux communiquer

2. Pourquoi ne nous taisons-nous pas ?

Parce que mon corps, mes pensées et mes émotions me gouvernent

Au niveau du corps

Au niveau émotionnel

Au niveau de la machine à penser

Parce que je suis débordé par les émotions

La part émotionnelle de notre Être

Comment s’exprime une émotion ?

Les difficultés émotionnelles à parler en public

Vivre avec les autres

Parce que ma tête me raconte des histoires

Comment fonctionne notre mental ?

Tout ce que je me raconte au lieu de simplement vivre

Par bêtise ?

Par narcissisme ou attitude autocentrée

Parler en réaction à sa fragilité narcissique

Aborder le monde de façon autocentrée

Par orgueil

Pour faire le beau ou la belle mais aussi par flatterie


Comment séduire

Les histoires que l’on se raconte dans les mauvaises histoires


d’amour

Parce que la vie n’est que théâtre

Par automatisme

Par culture du bashing

3. Choisir de dire

Dire est une histoire de contexte

La dictature de l’authenticité et du « moi-je »

Dire est aussi une histoire de corps, ce n’est pas que la voix

Le clown et la danse

Le tatouage

Passer à l’ACT, autrement dit apprendre à surfer dans la vie


quotidienne car la vie ne se présente jamais comme nous le
voudrions

Surfer !

La communication non violente

Observer sa communication

4. Comment bien l’ouvrir à travers les nouveaux médias : mail, SMS,


twitter, facebook… ?

Trop de paroles tue l’information sur internet

Journalisme et expression
Le risque de l’émocratie

Facebook

Smartohone et SMS

Fake news, fausses infos et post vérité

5. Savoir se taire

Pour sortir de la plainte

Quand il est bénéfique de se taire

Pour se replacer au centre de soi

Pour construire une intériorité

Pour se connecter entièrement à ce qui nous entoure

Pour sa pleine conscience

Ralentir pour prendre son temps ou l’éloge de la lenteur

Méditer, ou comment s’offrir un instant pour changer son rapport


au monde

Comment développer la pleine conscience ?

Pour goûter aux vertus du silence

Le vrai silence existe-t-il ?

Le silence est agréable…

6. Savoir parler à bon escient

S’exprimer ne veut pas dire se ruer sur les mots

Parler en commençant par se taire


De la scène au théâtre et inversement : combien de mots faut-il dire
pour être significatif ?

Parler commence par dire bonjour

Composer avec un incident : silence, interruption, etc.

Dédramatiser le silence

Ne pas faire d’une interruption un problème mais une chance

Comment dire ?

Ne pas perdre le sens de son propos

Ne pas se perdre en chemin

Savoir différer sa parole si besoin pour la mettre en scène

S’affirmer

Engager la conversation

Maintenir la conversation

Faire un compliment, une déclaration, etc.

Émettre une critique

Recevoir du positif : cadeau, compliments, etc.

Répondre à une critique

Faut-il tout dire dans le couple, la famille et l’entreprise ?

Dans le couple

En entreprise
Conclusion - La saveur du silence au milieu des mots dits en pleine
conscience

À vous… Quand préférez-vous le silence à la parole ?

Comment aller plus loin

Bibliographie

Et pour les passionnés de schémas…


Introduction

Si nous faisions une pause dans le brouhaha ?

« Soyez amoureux. Crevez-vous à écrire. Contemplez le monde. Écoutez de


la musique et regardez la peinture. Ne perdez pas votre temps. Lisez sans
cesse. Ne cherchez pas à vous expliquer. Écoutez votre bon plaisir. Taisez-
vous. »
Ernest Hemingway – Paris est une fête

« P aroles, paroles… » chantait Dalida. Nous parlons pour communiquer,


pour échanger, pour dire, pour bavarder, pour exister, pour séduire, pour
rigoler, pour demander, manipuler, sommer, exiger, revendiquer, etc. Nous
avons appris à nous affirmer, à dépasser notre peur et notre timidité.
Certains ont suivi des stages de communication, d’autres des ateliers
d’affirmation de soi, concept que Christophe André a rendu si populaire1 et
qui amène tant de personnes en consultation.
On parle beaucoup de dialogue social ou de démocratie participative. On
le fait parce qu’on en a envie, besoin ou parce qu’on en ressent le droit, au
risque d’inonder l’espace public de nos propos. Notre société de
consommation, de communication et des réseaux sociaux est remplie de
paroles qui nous mettent parfois aux limites de l’overdose. Dès qu’il se
passe quelque chose sur Terre de notable, ou non d’ailleurs, on peut
observer un déferlement de tweet, de post, d’images, de commentaires plus
ou moins bienveillants ou informatifs. La parole est parfois devenue une
« diarrhée verbale » qui inonde et pollue notre environnement. En outre,
dans cette société hyper connectée, nous ne savons pas qui reçoit nos
propos, ce qui n’est pas sans risque et sans conséquences.
Notre tête est aussi remplie de notre brouhaha intérieur. Nous
commentons, jugeons ou critiquons en permanence au risque de ne pas être
dans notre vie, mais juste en train de la regarder, de l’évaluer ou de la
commenter.
Nous vous proposons ici de faire l’expérience de l’inverse. Suspendre la
parole. Ralentir, arrêter de juger pour juste ressentir. Apprendre à se taire
pour retrouver le contact avec soi, ses sensations mais aussi l’autre et son
environnement. Retrouver la pertinence de ce que nous choisissons
d’exprimer en tenant compte du contexte. Se taire, c’est retrouver la pleine
conscience de l’instant présent et son impermanence. Se taire permet de
savourer ce qui est. En musique, les silences sont aussi importants que les
notes. Sans silence choisi, la musique deviendrait peut-être un bruit !
Chut.
1
Pourquoi parlons-nous ?

Parler, c’est exprimer à un autre ou à soi quelque chose. La parole dépend


de l’émetteur mais aussi du récepteur. C’est a priori une relation à deux : soi
et un autre (même si l’autre peut être multiple). L’expression publique a été
mise en avant dans notre société libérale. Elle est considérée comme un
droit et fait partie des libertés individuelles de la société occidentale. Cette
parole s’est développée avec la modernité, l’évolution des techniques et la
mise en réseau du monde entier. Notre société moderne valorise la
communication car elle lui paraît source de progrès, de développement et
rend possible les échanges, notamment commerciaux, au sein d’une société
évoluée, adulte et mature. Pourtant cela ne va pas encore de soi d’avoir
partout la liberté de s’exprimer. Le droit à la parole est un droit fragile pour
lequel se battent encore de trop nombreuses personnes partout dans le
monde. Le drame de la tuerie au sein du journal Charlie Hebdo démontre
que, même au sein d’une société comme la nôtre, ce droit à l’expression
reste fragile à garantir. Cependant, il ne s’agit pas de parler pour parler,
mais de bien identifier les ressorts de cette expression et ce que signifie ce
comportement d’un point de vue fonctionnel et éthologique.

Pourquoi parlons-nous ?
Pour dire quelque chose
L’objectif est d’exprimer un sentiment, une pensée, donner une information
ou partager une émotion. Cette intention se doit d’être congruente à un
contexte. Comme le disait d’ailleurs l’humoriste Pierre Desproges, il est
possible de parler de tout, mais pas avec tout le monde.

Pour discuter
Il s’agit d’un échange verbal où l’on met en commun des idées pour en faire
un examen contradictoire. Le plaisir de la discussion est dans le résultat,
mais aussi dans le plaisir de débattre1. Il s’agit d’un jeu de la parole et non
d’une bataille pour gagner sur l’autre ni pour séparer un gagnant d’un
perdant. Il existe d’ailleurs des concours d’éloquence ou de débat2. La
Fédération nationale des associations représentatives des étudiants en
sciences sociales en organise notamment un chaque année. Le plaisir est
dans les échanges et la joute. En revanche, lorsque l’on possède une faible
estime de soi, le risque est de percevoir et d’interpréter ces échanges
comme une agression de soi.

Brigitte
Brigitte présente des problèmes de couple, car elle n’arrive pas à discuter avec
son conjoint. Elle ressent la contradiction comme une situation conflictuelle
agressive. La discussion est source d’un inconfort qu’elle fuit. Chaque tentative
de discussion de la part de son mari aboutit à des réponses agressives
stéréotypées du type : tu ne me fais que des critiques, tu ne me comprends
pas, tu n’es qu’un macho, etc. Son mari a le sentiment de vivre dans une
dictature relationnelle où il n’a pas d’autre alternative que de suivre le diktat de
sa femme pour ne pas être confronté à son agressivité et à des disputes de
couple.
Pourtant, la solidité d’un couple se construit par la capacité à générer des
compromis. La construction de ces compromis demande de savoir discuter et
de pouvoir émettre des opinions, voire des désaccords. Dans l’intimité du
couple, ceux-ci nécessitent de savoir se mettre à nu émotionnellement. Cette
nudité qui n’est pas toujours confortable nous confronte à notre vulnérabilité et
aux commentaires intérieurs que nous entretenons. Mais c’est cette nudité qui
permet de construire la complicité d’un couple et qui en fait le ciment. Fuir ou
agresser l’autre est un évitement de soi-même pour tenter de mettre à distance
la fragilité que porte tout être humain.

Pour partager
À travers la parole, nous ne partageons pas qu’un contenu, mais aussi le fait
d’être là, ensemble, à cet instant. La parole participe à la construction d’une
appartenance en mettant en lumière ce qu’il y a de commun entre chaque
individualité. Elle offre aux personnes en présence la possibilité de se
connecter et de vivre une expérience collective. Celle-ci permet à chacun de
savoir qui il est en fonction de l’autre. Cette situation est à l’origine d’une
théâtralité où chacun joue son rôle ou sa partition, tout comme le fait
chaque instrument dans un orchestre. Certaines personnes sont tout le temps
présentes dans la conversation, d’autres moins. Il y en a qui ne font que
ponctuer et d’autres qui donnent de temps en temps un grand coup de
cymbales pour émettre une musique harmonieuse qui fera passer un bon
moment à tous. L’instrument que l’on joue dans cette communion
orchestrée dépend de notre caractère. Certains sont introvertis, d’autres
extravertis. Il existe des taiseux, des bavards, des experts qui pointent ou
qui informent… Et vous lecteur, quel est votre style au sein d’un groupe ?

Pour informer
Nous vivons au sein d’un groupe social. Il est nécessaire de donner des
informations à nos congénères afin que chacun puisse s’adapter à l’autre et
au contexte. Dans notre société moderne, les médias sont les principaux
informateurs de la réalité du monde. Ils le font de plus en plus
immédiatement, pressés par la communication des réseaux sociaux, au
risque de se tromper ou d’appauvrir la réalité, ce d’autant que l’information
est devenue une industrie avec des intérêts pouvant pervertir le message.

Parler pour se sentir exister


Face à la difficulté d’être, il est plus facile de « faire3 ». Parler est une façon
de « faire ». Nous sommes amenés à parler pour un oui et pour un rien, ce
qui peut nous donner l’illusion d’une identité ou d’une prestance au risque
d’inonder notre entourage de propos qui n’intéressent que nous. Nous
comblons nos failles narcissiques et notre vide existentiel à travers un excès
de communication, quitte à polluer notre environnement et notre réseau
social d’une diarrhée verbale.
Philipe Bilger, président de l’Institut de la Parole, a détourné la fameuse
phrase de René Descartes pour mettre en avant l’aspect structurant de la
parole dans son livre, Je parle donc je suis, sur la construction de soi. En
fait tous les individus ne se situent pas au même « étage » entre eux et par
rapport aux autres :
• Certaines personnes sont très intérieures. Elles vivent au sein d’un
jardin intérieur fait de pensées, de sensations, de représentations. Elles
se nourrissent d’un dialogue intime avec elles-mêmes.

Axel
Il m’arrive de rester plusieurs jours sans parler à qui que ce soit. Je suis happé
par mes pensées et par mes projets. Je me suffis à moi-même. Cependant, cela
me joue parfois des tours, car je m’isole et mon entourage souffre de mon côté
« ours ». En outre, lorsque je déprime, je rumine facilement, ce qui me fait
souffrir. J’ai appris que, pour ne pas souffrir et m’enfermer dans une spirale
négative, je dois me reconnecter au monde lors de ces périodes.
Heureusement que ma famille et quelques amis sont compréhensifs et
bienveillants.

• D’autres se situent plus à fleur de peau. Leur terrain d’existence se situe


dans la relation à l’autre. Elles ont plus besoin de l’autre et de
l’échange qu’elles entretiennent avec leur environnement pour se
nourrir et se sentir exister. L’espace social qui les entoure est occupé
par leur parole. Elles ont développé des capacités de séduction pour
garantir celui-ci et rester au centre.
Les personnes intérieures sont des taiseux. Elles sont indépendantes et se
suffisent à elles-mêmes. Leur vulnérabilité est de se laisser embarquer par
des ruminations, la solitude et un manque de communication à l’autre. Le
risque est de se transformer en ours asocial et mal léché. Les personnes plus
à fleur de peau ont des qualités relationnelles et de communication. En
revanche, elles ont plus besoin de l’autre pour être. Elles ont donc besoin de
la parole pour se connecter. Leur vulnérabilité est d’être dépendantes des
personnes qui les entourent et d’être emportées par le besoin d’attachement
à un autre, quitte à s’attacher à quelqu’un qui ne leur correspond pas.

Juliette
Je ressens parfois une force qui m’amène à parler et à me lier à des personnes
qui s’avèrent toxiques et inadaptées à moi. J’ai eu de nombreuses relations
amoureuses qui se sont mal passées du fait de cet élan. J’ai parfois
l’impression d’être un autocollant attrape-mouche qui attrape tout ce qui passe.
Souvent, je me suis dit ; « mais tais-toi ma fille, pourquoi parles-tu à ce type et
fais-tu la belle ! »

Le risque est de se transformer en personne « barbapapa », comme les


sucreries. C’est-à-dire d’avoir mis toute son énergie dans l’image extérieure
pour attirer l’autre, comme du miel pour les abeilles, et d’avoir oublié de
construire une intériorité, donnant une impression d’inconsistance. Il s’agit
d’une représentation sociale de ce que l’on a appelé, dans un autre contexte
sémantique, une personnalité hystérique. Sans l’autre, ce type de personne
s’écroule comme un château de cartes. Tout est bon pour rester connecté.
En fait, nous nous situons tous le long d’un continuum entre ces deux
caricatures. L’intérêt de cette présentation schématique est de percevoir que
la parole n’a pas la même place selon sa structure de la personnalité. Cette
dernière varie aussi selon nos origines culturelles. Un Norvégien ne
s’exprimera pas de la même manière qu’un Libanais. Notre façon de nous
exprimer tient compte de nos goûts, de notre identité et de notre contexte
environnemental.

Pour être connecté au groupe


De nombreux animaux utilisent un comportement de « toilettage » pour se
relier les uns aux autres. Par exemple, les singes passent beaucoup de temps
à s’épouiller mutuellement. Ce comportement n’est pas dû au fait que les
singes abritent beaucoup de poux, mais il a une fonction sociale et
psychologique. En effet, il engendre un apaisement de l’autre et il permet à
chacun de se situer dans le groupe. Ce comportement de toilettage n’existe
pas en tant que tel chez les humains. Nous n’épouillons pas notre voisin !
La parole, la palabre et les échanges de politesse participent à ce
« toilettage » psychologique. Peu importe ce qui se dit, l’important est
d’entretenir un lien qui renforce le groupe social et l’apaise. À travers la
parole, nous construisons une appartenance qui permet à l’être humain, qui
est un animal grégaire, de vivre en paix. Lorsque deux Dogons4 se croisent,
ils peuvent prendre une demi-heure pour se dire bonjour. Dans cette
palabre, il s’échange du lien, des informations, une histoire qui permettent à
chacun de se situer dans son groupe social et par rapport aux autres groupes
de la région. La parole participe à organiser une géographie sociale pour
pouvoir vivre paisiblement ensemble.
Sociabilité et vote Front National
Les zones géographiques qui ont plus voté pour le Front National se situent entre
une ligne Caen-Belfort et sur le pourtour méditerranéen. Or ces régions ne
connaissent pas particulièrement de problèmes d’insécurité et ont une faible
présence d’immigrés. En fait, ces régions ont présenté une évolution qui a altéré
le lien social. Pour Hervé Le Bras, historien et démographe5, il s’agit de régions
ouvertes où les habitants vivent loin des autres. Leur difficulté est de se retrouver
entre habitants. La motorisation de la France avec l’apparition des grandes routes
et des supermarchés et le recul du spirituel ont modifié les modes de vie qui
permettaient à chacun de se croiser et d’échanger. On ne se croise plus sur le
chemin, au marché ou à la messe. Le voisin devient un étranger et on se méfie de
l’autre. Ces zones sont perdues en sociabilité et se sont mises voter Front
National. La lutte contre le Front national passera probablement par la
reconstruction de la palabre du quotidien pour mieux vivre ensemble.

Exercice
Entretenez votre village social en gardant contact avec les personnes qui vous
entourent. Faites vos courses dans les magasins de proximité ou allez au marché.
La pratique de marché est source de nombreuses vertus :
– Tout d’abord, pour aller au marché, on marche ! L’exercice physique est bon
pour la santé.
– On choisit intentionnellement ses aliments. On donne du sens à l’acte de
manger.
– On papoter et palabre avec les commerçants et les clients à côté de soi.
Dialoguez, dialoguez, blaguez, palabrez, ce toilettage par la parole est bon
pour la santé !
Après une utilisation régulière de cette prescription, vous devenez connu et
reconnu. Vous n’êtes plus un étranger pour les autres et vice versa. Faites de
même avec la fête des voisins, les fêtes d’écoles, participez à des AMAP, des
réseaux d’échanges, d’économie solidaire ou toute autre opportunité. La
construction d’un lien social ne va plus forcément de soi à notre époque. Il est
devenu un acte engagé qui s’avère citoyen pour jardiner la paix sociale.

Ismaël
Avant, j’habitais à Paris. J’ai déménagé dans une ville à taille plus humaine.
Initialement, j’avais peur de me retrouver isolé. J’ai fait l’effort d’aller
régulièrement au marché, de boire un café le week-end dans le même bar. Très
vite, je me suis mis à rencontrer de nouvelles personnes. Avec mon épouse, on
blague en faisant le compte du nombre de personnes connues que nous avons
croisées au marché. Certes, pour la plupart il s’agit de connaissances et non
d’amis, mais j’ai plaisir à les croiser. Au départ, j’avais peur d’être envahi par
toutes ces personnes, mais j’ai pu observer que je me sentais plus apaisé
depuis que je palabre ainsi, au lieu de mon métro, boulot, dodo sur Paris.

Quelles différences entre un dialogue,


un discours, un débat… ?
Il existe plusieurs modalités d’échanges verbaux, le dialogue, le débat, le
discours, etc., qui varient selon la dynamique et l’intention de l’échange.
• Le dialogue est un échange horizontal dont l’objectif est le partage.
• Le débat est aussi un échange horizontal. Cependant, son l’objectif est
une bataille (on retrouve la syllabe « Bat » dans débat). Le risque
d’une bataille, verbale ou autre, est d’entraîner une autre bataille dans
un processus sans fin. Le vaincu tentera de prendre sa revanche pour
restaurer un ego qu’il estime avoir été malmené ou par frustration. La
joute verbale est aussi considérée comme un sport ou une marque de
respect. Dans certains souks, ne pas débattre du prix est parfois
ressenti comme un manque de respect et de considération.
• Le discours est une parole verticale adressée à d’autres qui la reçoivent.
Pour bien comprendre ce qui se joue dans ces échanges, il est nécessaire
d’être capable de se mettre à la place de chacun des protagonistes, mais
aussi au-dessus pour être capable d’observer le fond et la forme de
l’échange. La boussole de la communication est un outil qui met en exergue
les différences de perspectives dans la perception d’un échange verbal. Elle
nous informera de la teneur de ce qui se dit (voir page 200).

Une boussole pour se diriger dans l’échange


La boussole de la communication

Échanger, c’est tenir compte de la perspective de l’autre qui observe ce


qui est partagé d’un point de vue différent. En effet, son contexte, ses
valeurs, sa situation géographique font que l’autre ne pourra jamais voir
exactement comme vous (même si, comme le dit l’adage, « aimer, c’est
regarder dans la même direction ! »). Cette différence de perspective
demande à chacun de développer un sens de l’altérité afin de pouvoir
échanger. Ces échanges sont constitués d’informations, mais aussi
d’émotions. Selon son choix, sa personnalité ou la situation, on peut choisir
de parler d’une même chose selon un registre émotionnel, affectif ou
informatif.

Exercice
Dans un premier temps, racontez à un interlocuteur une histoire de façon factuelle
puis, dans un deuxième temps, cette même histoire à partir de votre ressenti.
Refaites l’exercice en échangeant les rôles. Observez les différences, que vous
soyez celui qui parle ou celui qui écoute. Il y a un savoureux livre de Raymond
Queneau, Exercices de style qui illustre à quel point la même histoire, aussi
anodine soit-elle, peut être racontée différemment.

Imaginez une boussole qui vous guiderait dans l’art de bien


communiquer : votre interlocuteur est au Nord, vous êtes au Sud ; à l’Est se
trouve le pôle Informations et à l’Ouest, le pôle Emotions. Grâce à cette
« boussole », vous prenez conscience des disparités entre les points de vue,
selon l’endroit où l’on se situe dans la communication. À l’aide de ce
modèle, il est possible de représenter les désaccords sources de conflits du
fait d’une perspective différente.

Exercice
Avec la boussole de la communication, vous avez compris que vous êtes au Sud,
en bas et votre interlocuteur, au Nord, en haut ; dessinez un cercle figurant cette
boussole et placez un 6 en son milieu. Maintenant, tournez la feuille le Nord en
bas et regardez ce que devient votre 6 (voir page 200).

Selon la place que l’on fait aux différences de perspective, on noue soit
un dialogue, soit un débat. Dans le dialogue, on accepte la différence de
perspective. Il s’agit d’un échange paisible qui n’impose aucune suprématie
et qui s’installe pacifiquement, tout en tenant compte de l’altérité. Lors d’un
débat, l’objectif est de faire prédominer une perspective. De ce fait, les
échanges peuvent être plus tendus et houleux.

Les pièges du discours


Le discours est un développement oratoire émis par une personne qui
s’estime légitime et qui impose sa pensée et sa vision à un public passif. Il
ne s’agit pas d’un échange, ni d’un dialogue ou d’une discussion. Cette
parole est légitime lorsqu’il s’agit du représentant d’une assemblée qui le
fait lors d’un mariage ou d’une cérémonie. La parole est descendante parce
que le groupe a élevé cette personne en la considérant comme un porte-
parole ou celui qui déclame le discours s’en estime digne. D’ailleurs, il est
classique de « monter » à la tribune pour exposer des propos qui ont un sens
pour tous. Il est nécessaire d’être légitime pour émettre un discours devant
une assemblée. De plus le discours a tendance à renforcer la légitimité de
celui qui le porte.
Cependant, si l’orateur manque de légitimité, s’il n’a pas été élevé à cette
place par le groupe, alors son discours l’éloigne de ses interlocuteurs. En
tenant un discours sans légitimité, il abaisse son public et s’en éloigne
irrémédiablement. Il le met à distance en se créant une pseudo-identité. La
communion au groupe ne se met pas en place. L’avantage de cette attitude
est, qu’en étant au-dessus, l’orateur ressent une certaine sécurité en ne se
sentant pas menacé par le groupe. Cette posture donne l’illusion d’être
quelqu’un. Cet effet est souvent recherché par manque de confiance ou par
désir de pouvoir. Parfois, cela fonctionne. En effet, des hommes politiques,
à force d’inonder le peuple de discours, obtiennent une identité. La
mécanique des élections fonctionne de cette façon en submergeant les
médias de propos lors de la campagne. Le représentant électoral obtient une
identité, mais qui reste fragile et qui menace de s’écrouler à tout instant.
L’élu a besoin de se raccrocher à l’élection suivante pour maintenir
l’équilibre de sa posture.
La personne qui tient un discours risque de se retrouver seule en se
coupant de ses interlocuteurs. Tout va bien si l’orateur est le seul à
discourir. Mais dès qu’il s’en présente d’autres, les protagonistes se
retrouvent vite au sein d’une mêlée pour savoir qui sera au-dessus. C’est un
peu comme ce jeu de main à deux où l’on superpose alternativement la
main de l’un et de l’autre. Chaque main se situant en dessous se replace au-
dessus dans un jeu sans fin.
Discourir est parfois une tentative de se protéger de l’autre ou de soi en
mettant l’interlocuteur ou soi-même à distance. Ainsi, on peut se demander
si, paradoxalement, certains hommes politiques ne sont pas des phobiques
sociaux ou des insensibles qui utilisent le discours pour mettre à distance
les électeurs et se protéger de leur fragilité et mener à bien leur carrière
professionnelle. En tout cas, il est frappant, lorsqu’on les rencontre en face
à face, de constater leur difficulté d’échanger authentiquement. Certains
d’entre eux échangent des phrases toutes faites sans adaptation contextuelle,
sans émotions et donc sans humanité.
La force d’Internet, qui n’oublie pas, est de mettre en exergue ces paroles
formatées dans les médias qui se répètent, jusqu’à devenir grotesque, ce que
des émissions comme le Petit Journal de Yann Barthès, puis le Quotidien,
ont su mettre en évidence.

Exposé ou discours ?
La peur peut amener à commencer un exposé sous la forme d’un discours
pour se protéger de l’inconfort de la situation et éviter ainsi l’expérience
intérieure que produirait l’échange chez l’orateur. Il s’agit d’une fausse
bonne solution que nous propose notre cerveau émotionnel pour résoudre la
situation émotionnelle. L’agitation intérieure se traduit par une agitation
solitaire qui coupe le lien avec le public. La personne prend alors le risque
d’être pompeuse, et ennuyeuse, et de perdre le sens de sa communication.
En effet, l’objectif de l’exposé est de partager des éléments avec une
assemblée pour éventuellement ensuite nouer un dialogue. Dans l’exposé, la
personne s’exprimant se place non pas au-dessus mais à côté de son public.

Comment faire pour ne pas dériver dans le discours ?


En commençant par se taire, notamment par des respirations abdominales
lentes et profondes pour accueillir avec bienveillance l’instant et la
situation, aussi inconfortable qu’elle soit, il est plus facile de nouer contact
avec l’autre. L’isolement du discours engendre une perte de contact avec le
public et confronte le risque de se perdre dans l’angoisse de son imaginaire.
Aussi, il ne faut pas hésiter à aller à la rencontre de son public en serrant
des mains ou en discutant avec certains avant de commencé son exposé.
Dans le même esprit, certaines assemblées choisissent de commencer une
réunion par quelques minutes de silence en pleine conscience sous la forme
d’un exercice de méditation. Cette approche permet de s’ouvrir à la
situation et d’être plus disponible et plus apaisé à ce qui se passe. Les
réunions sont souvent ensuite plus constructives, car leurs membres se
positionnent dans le dialogue et l’action, et non dans la réaction. C’est dans
cet objectif que des députés du parlement anglais se forment à la pleine
conscience depuis peu.

Le manque de légitimité
Il est tentant de dévoyer ce procédé de communication qu’est le discours
pour renforcer sa légitimité ou pallier un manque d’aisance.

Hervé directeur général


Lorsque je prends la parole, j’ai pris l’habitude de partager de mes émotions. Je
n’hésite pas à dire que je suis impressionné par le nombre ou la qualité des
personnes présentes ou de dire que je souhaite pouvoir être à la hauteur. En
évoquant simplement mon ressenti, je me suis rendu compte que je gagnais la
confiance de mon public. Les personnes présentes ne voyaient plus ma
fonction, mais l’être humain que je suis et, de mon côté, cela me déstressait de
verbaliser mon ressenti.

Ce manque de légitimité peut être ressenti du fait d’une fragilité


narcissique. La personne ne sent pas légitime pour communiquer. L’histoire
qu’elle se raconte sur elle l’amène à se justifier ou à sur-jouer à travers un
discours. Le discours est alors une tentative de compenser cette fragilité. Il
peut être utilisé par une personne voulant renforcer sa légitimité sociale
pour accroître son pouvoir de représentation aux yeux du public concerné.
Il est aussi utilisé par une personne qui craint son public, qui s’en méfie ou
qui manque de confiance.

Les abus du discours


« On m’a demandé de faire un discours, je vous signale tout de suite mesdames et
messieurs, que je vais parler pour ne rien dire. Je sais, vous pensez : s’il n’a rien à dire, il
ferait mieux de se taire. Voyons, c’est trop facile. Vous voudriez que je fasse comme tous
ceux qui n’ont rien à dire et qui gardent tout pour eux. Eh bien ! Non, Mesdames et
Messieurs, quand je n’ai rien à dire, je veux qu’on le sache. Je veux en faire profiter les
autres et si vous-même, Mesdames et messieurs, si vous n’avez rien à dire, qu’on en
parle que l’on en discute. »
Raymond Devos

Le discours est utilisé à l’excès sur les réseaux sociaux par des personnes
qui s’estiment représentantes de quelque chose de même que par les
personnalités politiques. L’objectif des élus de la République est de
représenter la population. Cette représentation est d’autant plus forte que
l’on porte le propos des personnes concernées. La mécanique électorale
fragilise la pérennité de ce statut, ce d’autant que la plupart des élus font de
la représentation un métier dans la durée. Pour survivre dans ce système, ils
tentent de muscler leur posture en alignant les discours. La difficulté est que
la répétition des discours est un jeu théâtral qui désamorce le pouvoir du
discours. De nombreux hommes politiques en perte de représentation et de
sens à leur propos s’enfoncent dans une mécanique qui finit par les éloigner
des personnes auprès de qui ils veulent rester liés. La fracture s’installe
entre les politiques et les citoyens.
La mécanique électorale les a englués dans cette attitude. En effet,
l’insécurité de leur statut associée à leur désir de faire carrière dans cette
profession les ont fait dériver dans ce mode d’expression. Ils essaient de
renforcer leur pouvoir de représentation en multipliant le discours à
l’inverse de son sens initial. Ces allocutions sont souvent constituées de
vaines paroles dont l’objectif est de séduire ou de manipuler un public pour
se faire réélire. Leur répétition rend les hommes politiques grotesques et
inaudibles pour de plus en plus de personnes. Ils finissent par ne représenter
plus personne. Faute de n’avoir pas su imposer le respect par leur légitimité
ou la force de leurs propos, ils deviennent des cibles à l’agressivité
collective réactionnelle. En outre, comme Internet n’oublie pas, il est très
facile de vérifier la véracité des propos. Les mensonges criants élargissent
la faille entre les élus et la population.
Le discours est un outil de communication très intéressant mais il ne doit
être utilisé qu’avec parcimonie et à faible dose pour être efficace. Le reste
du temps, il est souvent préférable de se taire, de travailler une présence par
une posture ou des actes significatifs.
Les partis politiques sont devenus des machines électorales. Les hommes
politiques apparaissent uniquement préoccupés par leur survie électorale et
semblent aller d’une élection à une autre tout en perdant le sens de leur
fonction qui est de gouverner et de proposer des directions de vie à notre
société. Pour exister, ils enchaînent les discours au risque de créer une
grande instabilité politique et d’alimenter l’ « émocratie ». Cette attitude ne
permet pas de faire émerger une politique. Elle fragilise l’appartenance des
individus au groupe que les élus sont censés représentés. Ils finissent par
cliver faute d’ancrage. Dans cette agitation, la répétition compulsive de
discours s’avère être des tentatives pour normaliser des propos. Tel un
bourrage de crâne, les hommes politiques peuvent passer d’un média à un
autre pour répéter inlassablement les mêmes phrases, essayant de rendre
réel des mots qu’ils ont choisis pour construire un monde imaginaire
favorable à leur présence.
Il est nécessaire d’avoir des opportunités de dialogues spontanées et
contradictoires avec les hommes politiques, sans questions préparées, pour
accéder à leurs réalités et à la façon dont ils considèrent leur fonction et les
citoyens. Les débats politiques devraient notamment servir à cela pour
révéler l’essence de chacun, mettre à jour les contrevérités et les effets de
manches de ces personnages publiques.
Le vrai enjeu pour les médias, notamment dans une campagne politique,
est de révéler la vraie personnalité de l’homme politique qui se cache
derrière le discours. Cela demande aux journalistes de ne pas participer à un
jeu théâtral convenu avec eux, en les interrogeant véritablement avec
autorité et en remplissant leur rôle de quatrième pouvoir. La démocratie a
besoin d’offrir des espaces d’expression qui ne se limitent pas à égrainer de
petites phrases qui permettent à certains politiques de surfer sur les peurs et
les inquiétudes de la population au risque de faire le lit d’un populisme sans
consistance. En outre, un plus long temps de parole met parfois à jour la
faconde grotesque et agressive de certains personnages publics.

Le risque du ridicule
La vie est un théâtre social dont la commedia dell’arte s’est jouée. Un
discours sans légitimité risque de projeter son auteur dans le grotesque de la
commedia.
La commedia dell’arte offre une distribution des rôles à peu près
immuable : les ridicules et les nobles. Le personnage du Capitan, le
Matamore, appartient aux ridicules au même titre que les vieillards et les
« Zani ». Il se complaît dans le discours amplificateur et dithyrambique à
l’égard de ses actions : conquêtes militaires et féminines
« Je suis le capitaine Épouvante de la vallée de l’Enfer, surnommé le Diabolique, le prince
de l’ordre équestre, Termigiste, ce qui signifie le plus grand querelleur, le plus grand
pourfendeur, le plus grand tueur, le dompteur et le dominateur de l’univers, le fils du
tremblement de terre et de l’éclair, le parent de la mort et l’ami le plus proche du grand
diable de l’Enfer. »
Constant Mic – La commedia dell’arte

Mais le Capitan dit beaucoup et accomplit peu, brave en parole et poltron


en actes. Vainqueur en parole des hommes et des femmes, des dieux et des
déesses, il finit bafoué dans ses amours, bâtonné par les valets, ridiculisé
toujours. Le ridicule du personnage émane dans sa complaisance, son
contentement de n’exister uniquement que dans le discours.
Avait-on besoin de promettre de nettoyer les cités au Karcher ou encore
d’inverser en un an la courbe du chômage ? Ces discours semblent ne pas
avoir porté chance à leurs auteurs.
Le ridicule et le grotesque du discours se nourrissent de la passion qui
fait dérailler les orateurs. Emportés par celle-ci, ils se coupent du lien avec
leur public, faisant émerger les ressorts et la théâtralité de leur personnage.
La mise en scène dévoilée, ils ne discourent plus mais se donnent en
spectacle. Le décalage qui s’instaure les rend comique à leur insu. Patrice
Leconte a su mettre en scène ce jeu de la saillie et des petites phrases, que
nos médias adorent d’ailleurs, dans son film d’époque Ridicule.

Différer la parole pour mieux communiquer


Au final, lorsque que l’on choisit de s’exprimer, il est nécessaire d’évaluer
si notre mode de communication est fonctionnel. C’est-à-dire s’il répond
bien à l’intention de départ et si les résultats observables répondent bien à
nos attentes ou nos besoins.
Il est parfois intéressant de poser sur le papier ce que l’on souhaite dire et
de laisser cette parole se reposer. Ensuite, le lendemain ou à un autre
moment, nous regardons si nous souhaitons toujours l’exprimer ou bien si
le simple fait de coucher son désir sur le papier ne désamorce pas notre
besoin d’expression. Ceci est d’autant vrai lorsque la parole est gouvernée
par les émotions. Il est toujours possible d’écrire un e-mail et de le laisser
en brouillon pour choisir de l’adresser ensuite. Nos grands-parents
utilisaient des expressions comme « la nuit porte conseil » ou « parfois le
silence est la meilleure réponse ». Déjà les maximes traditionnelles
encourageaient à savoir se taire pour mieux communiquer. Prenons soin que
notre parole n’alimente pas le brouhaha ambiant au risque de faire
beaucoup de bruit pour rien !

Romuald
Romuald souffre de nombreux problèmes familiaux et professionnels du fait de
sa communication. Il exprime un peu trop spontanément ce qu’il pense.
Lorsqu’on le lui fait remarquer, il rétorque qu’il ne comprend pas où est le
problème puisque, dans ce pays, on a le droit de s’exprimer. Il rajoute qu’il n’est
pas un hypocrite et qu’il a toujours dit ce qu’il pensait. Un travail en thérapie
ACT (thérapie d’acceptation et d’engagement) lui a permis de comprendre que
l’enjeu n’était pas de remettre en question son ressenti ou ses valeurs, mais
juste d’observer si le mode de communication était fonctionnel en fonction de
son intention. Il a pu observer que l’action qu’il choisissait du fait de son ressenti
l’éloignait des autres, ce qui l’amenait à encore plus souffrir. Il a pu, par des jeux
de rôles, conscientiser le ressenti des personnes qui recevaient sa parole qu’il
imposait sans tenir compte de leurs perspectives. Il a poursuivi sa thérapie par
un stage en communication non violente afin de pouvoir exprimer ses besoins
tout en respectant ses interlocuteurs.

Questions préalables avant de s’exprimer


• Qu’est-ce que je souhaite dire ?
• À qui ? Comment et pourquoi ?
• Comment les récepteurs (mes interlocuteurs) à mon expression vont-ils réagir
à mon expression ?
• Quelle est l’importance de l’information que je m’apprête à donner et quelles
vont en être les conséquences ?
• Est-ce que mon propos sera fonctionnel à mon intention et selon le contexte ?

Apprendre à différer ce que l’on a à dire est une technique préconisée par
les spécialistes de la communication. Simplement parce que suspendre sa
parole un instant évite d’être parasité et influencé par ses émotions. Très
souvent, les aveux et autres confidences partent du besoin de se décharger
émotionnellement.
Comment s’exprimer dans un dialogue
Parler, c’est oser, traverser ses émotions pour incarner un discours et vivre sa
parole. Les principaux ennemis à l’expression sont la peur et le commentaire
intérieur qui nous amènent à nous juger pour mieux nous entraver dans
l’expression de soi. Pourtant, n’est-ce pas quand on est authentique que l’on
touche notre interlocuteur ? Celui-ci nous aime pour ce que l’on est, mais aussi
pour la sensibilité et l’humanité que nous dégageons. Arrêtons de vouloir être des
virtuoses de la parole pour ressentir la richesse de notre vulnérabilité et de nos
imperfections, car, au fond, ne voulons-nous pas tous être aimés, tout comme le
clown essaie de le faire de son public en cabotinant pour lui et en jouant de sa
fragilité ? Le principal frein n’est-il pas cette petite voix dans notre tête qui se pose
cette fameuse question de savoir si on va plaire alors que c’est justement en ne
cherchant pas à plaire et en osant montrer l’être humain que nous sommes que
nous le touchons et que nous sommes les meilleurs ?
Pour bien ouvrir son être et toucher son interlocuteur, il est nécessaire de partir de
soi, de ses sensations, de son ventre et non pas de la tête afin de trouver la
justesse à l’expression de soi. Pour « bien l’ouvrir », il est nécessaire de s’inscrire
dans l’ici et le maintenant tout en sachant s’adapter et composer avec le contexte.
Une situation de parole doit être vécu non pas comme un problème mais comme
un coucher de soleil. Dialoguer, échanger, discourir demande de savoir surfer
avec les mots pour s’entretenir avec l’autre sans avoir peur des silences et des
respirations. Pour trouver le plaisir de s’exprimer, il est nécessaire de rompre avec
la peur de dire, oser la traverser, que cela soit dans le colloque singulier, la
palabre ou le discours.
2
Pourquoi ne nous taisons-nous pas ?

Nous ne nous taisons pas par réflexe ou parce que nous réagissons
impulsivement à un besoin (de sécurité, d’appartenance…), suite à une
émotion (peur, colère…), mais aussi par fragilité narcissique ou tout
simplement par bêtise. Notre cerveau émotionnel prend les commandes de
notre être. Il répond à une situation ou à une parole en mode « urgence » et
de façon plus ou moins automatique. Cette réponse verbale, souvent
autocentrée, recherche un bénéfice dans l’instant et ne tient pas compte de
la fonctionnalité de la réponse à moyen terme tenant compte du contexte.
Ne dit-on pas qu’il faut tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de
parler ? Notre culture libérale de l’hyper communication favorise ces
expressions compulsives.
Parfois cette parole s’appuie sur des croyances. La personne n’a pas
encore bien conscientisé la différence entre la réalité, ce qu’elle perçoit1 et
les histoires que sa tête lui raconte. Aussi sa réponse lui semble juste, mais
uniquement du point de vue de son intériorité à cet instant-là. La vérité est
aussi une question de point de vue : si vous apercevez un tube par son grand
côté, vous pensez que cet objet a une forme rectangulaire – ce qui est vrai –,
mais si vous le voyez par l’orifice, vous direz de lui que c’est un cercle : et
cela est vrai aussi. Dessinez un grand tube et voyez par vous-même si vous
n’êtes pas convaincu.

Gislaine
Moi, quand j’ai quelque chose sur le cœur, je le dis ! On a quand même le droit
de s’exprimer dans ce pays !
L’être humain est par définition un être émotionnel. Nos émotions
influent sur notre capacité à parler ou à nous taire. Selon notre état
émotionnel et la façon dont nous l’apprivoisons, notre façon de parler sera
modifiée. Comprendre nos émotions, prendre conscience de leur influence
et faire la paix avec elles nous permet de parler à bon escient selon les
circonstances.

Parce que mon corps, mes pensées


et mes émotions me gouvernent
Nous avons l’habitude de parler de « soi » comme une entité propre. En
fait, schématiquement, un être humain est composé de plusieurs parties
fonctionnelles qui interagissent les unes avec les autres : un corps qui
s’exprime, une machine à fabriquer des pensées et une machine à fabriquer
des émotions. Le produit de ces éléments va engendrer ce que nous sommes
dans le contexte qui est le nôtre. Ces productions occupent notre intériorité
de façon plus ou moins consciente. En outre, nous avons tous à apprendre à
vivre avec ces productions que nous ne pouvons pas contrôler et qui sont
parfois désagréables ou inconfortables. Nous devons les accepter afin de ne
pas rentrer dans une lutte stérile avec elles (voir page 201).
Tous les événements de vie auxquels nous sommes confrontés nous font
réagir et produisent des sensations physiques, des pensées et des émotions.
Ces trois composants sont en dialogue permanent pour produire notre
énergie vitale. Ils fonctionnent comme un accélérateur de particules dont
nous devons apprivoiser le mouvement pour éviter un débordement à un
endroit ou l’autre. Ces trois entités – corps – émotions – pensées se
calment et cessent d’envoyer des sensations désordonnées au fur et à
mesure que nous sommes concentrés dans une action significative pour
nous. Par exemple, un acteur de théâtre percevra des palpitations, observera
des pensées automatiques2 dans son esprit et ressentira des émotions avant
de monter sur scène. Cependant, en entrant sur scène, comme il sera
concentré sur le fait de jouer son texte, toutes ces productions disparaîtront
progressivement et il se nourrira de l’énergie qu’elle procure pour donner le
meilleur de lui-même. Cette sensibilité sera son carburant.
Sarah Bernhardt
Une jeune actrice s’était vantée, un jour, auprès de Sarah Bernhardt, de ne pas
connaître le trac. Celle-ci lui aurait répondu que cela lui viendrait avec le talent !

Les comédiens sont des êtres humains comme les autres. Simplement, ils
apprennent à ne pas faire un problème de leur ressenti et à se servir de
l’énergie que cela leur procure pour alimenter leur intention théâtrale.
Quant à l’anxieux, il aura tendance à s’arrêter sur chaque perception pour
l’examiner et la commenter. Il finira par se noyer dans une analyse sans fin
qui ne fera que majorer toutes ces sensations.
Lorsque le flux est trop intense ou mal géré, il va déborder au niveau du
corps, de la pensée ou des émotions qui vont s’exprimer. Le lieu de
débordement dépend des vulnérabilités personnelles (chacun à une
prédisposition personnelle), mais aussi des capacités de mentalisation et de
représentation de ce que qui est vécu et ressenti.

Au niveau du corps
Le corps cristallise certains « débordements » à travers des perceptions
corporelles inconfortables voire douloureuses. Lorsqu’une personne
n’accueille pas et n’accepte pas ses ressentis corporels, ces derniers
pourront nourrir de nombreuses plaintes somatiques à travers différents
symptômes : tremblements, douleurs, transpiration, envie pressante, etc. Les
sensations physiques dégénéreront en des somatisations (mal au dos, à la
tête, au ventre, etc.). Plus on commente des sensations physiques, plus on
apprend à notre attention à se focaliser dessus et plus la partie du corps
concernée va être audible.

Au niveau émotionnel
Les émotions génèrent des comportements à partir de l’énergie qu’elles
véhiculent. Aussi, lorsque cela déborde au niveau des émotions, l’énergie
va être à l’origine, non d’actions adaptées aux circonstances, mais de
réactions absurdes dont l’objectif est de « purger » l’excès de tension. Ces
réactions absurdes sont par exemple grignoter, fumer, se ronger les ongles,
trépigner de la jambe, s’arracher les cheveux (trichotillomanie), etc. Ces
réactions sont dites absurdes car elles n’ont pas de sens par rapport à la
stimulation de départ. Elles ont juste un effet d’apaisement à très court
terme, mais exposent la personne à d’autres risques à très moyen terme :
addiction, etc

Au niveau de la machine à penser


Le débordement va produire des pensées automatiques qui évoluent parfois
en ruminations, culpabilité ou phobie, mais aussi en paroles intempestives.
Les pensées hameçons
Ces pensées automatiques qui s’imposent à soi, on les appelle aussi des pensées
hameçons. En effet, lorsqu’elles traversent notre esprit, elles fonctionnent comme
des hameçons. Si on ne les laisse pas passer et que l’on mord à ce qu’elles
racontent, on risque d’être attiré dans des processus de rumination.

Il ne faut pas croire tout ce que notre tête nous raconte.

Parce que je suis débordé par les émotions


La part émotionnelle de notre Être
Les émotions sont de formidables outils mis à notre disposition pour nous
aider à nous adapter. Elles nous donnent des informations sur nos besoins et
de l’énergie pour agir en conséquence.

L’origine préhistorique de notre système émotionnel


L’origine préhistorique de notre système émotionnel
Ce système d’alerte et d’adaptation a été mis en place à l’époque des hommes
préhistoriques pour nous protéger des dangers mortels auxquels nous étions
confrontés. À cette époque, ces hommes devaient réagir suffisamment vite et
anticiper pour ne pas mourir suite à la rencontre inopportune avec un tigre aux
dents de sable ou avec un autre danger. Ce système est très efficace puisque
nous sommes finalement toujours vivants parce que nos ancêtres ont eu peur et
qu’ils ont su prendre les informations nécessaires pour survivre. Dans l’histoire
des hommes, la vie moderne est très récente. Les hommes préhistoriques vivaient
en petits groupes au sein de grands espaces. Désormais, nous vivons à 200 dans
le métro. Aussi, lors de certaines situations et chez certaines personnes plus
sensibles, notre système d’alerte se met indûment en route alors qu’il n’existe pas
de situation grave, c’est-à-dire mortelle.

Nous agissons, nous ressentons et nous nous adaptons. Ces informations


nous permettent de poursuivre notre action en nous ajustant. Les émotions
ne sont pas ces ennemis que certains imaginent. L’anxiété est souvent due à
un évitement de l’expérience intérieure. En luttant contre ce ressenti, en ne
prenant pas l’information pour ajuster nos comportements, nous nous
agitons et nous déclenchons un trouble anxieux ou des troubles du
comportement (boulimie, trichotillomanie, etc.) Ces émotions nous sont très
utiles et constituent une ressource très intéressante. Elles expriment un
besoin. Le tout est de bien comprendre comment le système émotionnel
fonctionne et à quoi il sert afin de savoir négocier avec lui pour en tirer
parti.

De quoi nous informent les émotions ?


De quoi nous informent les émotions ?
La peur nous informe que nous avons besoin de sécurité ou de nous rassurer.

La colère nous informe que nos droits sont bafoués. Cependant, il est important
de distinguer s’il s’agit de droit réel comme le droit au respect ou de droits que l’on
s’octroie en jugeant une situation. Je peux par exemple être en colère que l’on ne
m’ait pas nommé président de la république du fait de mes fabuleuses
compétences, mais il s’agit plus d’une revendication que d’un véritable droit. En ne
jugeant plus cela comme un droit, la colère retombe. De nombreuses colères
peuvent être ainsi évitées en faisant la différence entre un droit réel et un droit que
l’on s’octroie.

La tristesse nous informe que nous avons à renoncer. Par exemple, si je perds
mon téléphone, je suis triste car je dois renoncer au fait que mon téléphone
n’appartient plus au présent mais fait partie désormais de mon passé. C’est le
même principe lorsque l’on perd son travail ou une personne qui nous est chère.
Le travail émotionnel nous aide à ranger tout cela dans notre passé afin de nous
libérer pour le présent. La tristesse nous aide à maintenir le focus sur le présent.
Elle ne nous permet pas d’oublier, mais juste de ranger des événements dans la
bibliothèque de nos souvenirs. D’un point de vue éthologique, la dépression aurait
comme fonction de nous faire lâcher prise. Vu de cette façon, cette fonction ouvre
des portes en psychothérapie.

La honte est une émotion qui nous sert de garde-fou afin de ne pas avoir de
comportements qui nous excluraient d’un groupe social. Il répond au besoin
d’appartenance. En excès, il peut être normatif et empêcher toute création
fonctionnant comme une muselière.

Il existe de nombreuses autres émotions avec chacune leur fonction. Christophe


André et François Lelord en ont fait un livre pratique nous permettant de les
décoder : La force des émotions. Le film de Pixar Vice Versa est un très bon
support afin de conscientiser et de comprendre nos émotions. Dans ce film, il est
clairement montré qu’il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises émotions. Toutes
sont utiles. En revanche, à certaines périodes de notre vie, nous devons les ré-
agencer. Enfin, dans ce film, il est amusant de voir la distorsion de la réalité induite
par l’observation de son quotidien à travers telle ou telle émotion. Un film à voir
absolument afin d’identifier les émotions qui nous gouvernent à chaque instant et
pour prendre conscience que toutes sont utiles.

Certaines personnes sont sourdes à ces informations émotionnelles. Le


corps essaie parfois de nous les hurler sous forme d’anxiété ou d’angoisse
devant notre résistance à nous ajuster, sans vouloir tenir compte de
l’information qu’elles nous procurent. D’autres sont alexithymiques, c’est-
à-dire qu’ils n’ont pas conscience de ce qui se passe dans leur intériorité. Ils
ne peuvent pas en prendre l’information. Enfin certaines personnes sont
« allergiques » au vécu corporel des émotions. Elles entretiennent une lutte
avec leur corps à l’origine de certaines réactions absurdes comme les
troubles du comportement alimentaire (anorexie ou boulimie) et les
addictions.
Nous ne sommes pas responsables de nos émotions car elles sont parties
intégrantes de notre être tout comme nous ne sommes pas responsables de
notre transpiration, des battements de notre cœur ou de notre transit
intestinal. En revanche, nous sommes responsables de ce que nous en
faisons. Une émotion est une énergie qui peut être une formidable ressource
lorsqu’elle est détournée. Certains Noirs américains utilisaient leur couleur
afin de gagner des matchs contre des Blancs sur le ring de boxe. Le célèbre
fighting spirit des Irlandais lors des matchs de rugby avait probablement la
même origine. Certaines techniques de préparation mentale visaient à
générer chez l’athlète une émotion afin de gagner un surplus d’énergie. Le
haka traditionnel des All Blacks pratiqué en ouverture d’un match de rugby
a probablement aussi cette vertu. Dans Astérix et Obélix, les Normands sont
venus à la rencontre de nos fameux Gaulois afin de connaître la peur car,
pensaient-ils, elle fait voler. Si elle ne fait pas voler, elle permet de courir
vite comme la peur face à un danger.

Comment s’exprime une émotion ?


Une émotion se manifeste de différentes façons. Elle est constituée d’une
composante corporelle, d’une composante psychique et d’une composante
énergétique qui se traduit par des mouvements.

L’expression corporelle d’une émotion


Elle s’effectue via le système sympathique qui porte bien son nom. Le
système sympathique est le système nerveux autonome qui innerve les
viscères. C’est lui qui module le rythme cardiaque, le transit intestinal, les
contractions de notre estomac, le redressement de nos poils, la relaxation de
nos sphincters ou nous fait transpirer. Ce système est à l’origine des
nombreuses manifestations de la peur comme le fait de trembler, d’avoir
envie d’aller aux toilettes, les poils qui se hérissent, de transpirer, etc. Ces
manifestations corporelles prennent une forme différente selon les
individus. Certains transpirent particulièrement, d’autres tremblent ou ont
des mictions ou des envies de déféquer impérieuses. D’autres tombent dans
les pommes (malaise vagal). Cet évanouissement est dû à une
surstimulation du nerf vague qui ralentit le cœur et dilate nos vaisseaux. Le
sang tombe dans nos pieds. Comme notre cerveau est moins irrigué, nous
perdons connaissance. Le simple fait de s’allonger et de lever les pieds au
plafond ramène notre sang au cerveau et nous fait reprendre nos esprits. Cet
évanouissement n’est pas grave. Il s’agit juste d’un problème de tuyauterie.
La nature ne nous fait pas naître tous égaux en la matière. Nous n’en
sommes pas responsables, nous avons juste à composer avec. En effet, plus
on lutte contre ces manifestations corporelles, plus elles prennent de
l’ampleur. En revanche, plus on compose avec elles, plus elles peuvent
s’atténuer avec l’âge.
Le regard de Jean-Christophe
Pour ma part, je suis un être émotionnel comme tous les êtres humains.
Adolescent, je tremblais beaucoup, ce qui m’amenait à faire des taches lorsque je
faisais de la peinture au collège et à faire des fausses notes en musique. J’ai
même fait un malaise vagal devant l’un de mes maîtres de stage lors de la grande
visite au cours de mes études de médecine. Les taches, j’ai appris à les
transformer en éléments du dessin et, avec les années, j’ai appris à apprivoiser
les manifestations corporelles de mon système émotionnel. J’ai aussi appris à
m’assoir lorsque mon nerf vague s’exprimait et à respirer afin de faire baisser ma
tension intérieure. Avec l’âge, elles sont devenues quasi inexistantes. Pour arriver
à ce résultat, j’ai fait en sorte de ne jamais en faire un problème. Je me suis plutôt
concentré à découvrir comment je pouvais composer avec tout cela. Malgré ces
sensations inconfortables, je ne me suis jamais empêché de parler en public car
c’était important pour moi. Depuis de très nombreuses années, je le fais
désormais sans aucune entrave. J’ai expérimenté le vertige de l’instant à travers
le travail du clown et ce que celui-ci pouvait nous apprendre. Je vous écris même
un livre parlant notamment de la façon de dire !

De nombreuses personnes ne supportent pas l’autonomie de leur corps


qui s’exprime à travers l’expression corporelle des émotions. Non
seulement elles luttent contre ces éléments qu’elles ne contrôlent pas, mais
elles les jugent, ce qui renforce la valence négative du ressenti. Certes, on
peut trouver désagréable de transpirer, d’avoir des nausées ou se sentir
faible comme au début d’un malaise vagal mais, si on en fait un problème et
si on passe son temps à épier l’apparition de ces sensations, on y devient
allergique et on finit par avoir peur d’avoir peur. Tous les événements
sociaux comme voyager, être au contact des autres ou s’exprimer en public
deviennent des problèmes.
L’erreur de Descartes ou la raison des émotions
Ces manifestations somatiques informent notre cerveau afin d’agir de façon
adaptée avant même que nous puissions le conscientiser. C’est toute la
démonstration qu’a fait le neurophysioloque, Antonio Damasio, dans son célèbre
livre L’erreur de Descartes ou la raison des émotions. Il part d’une expérience qu’il
appelle le test du poker. Dans ce test, une personne possède un pécule de départ
et est face à 4 paquets de cartes à l’envers. Certaines cartes permettent de
gagner de l’argent, d’autres d’en perdre. Dans deux paquets, il y a plus de cartes
gagnantes que de perdantes et dans deux paquets de cartes, c’est l’inverse. Au
bout d’un certain temps de jeu, tout le monde finit par deviner les deux paquets de
cartes où il est plus avantageux de piocher. Sur le membre du joueur, on place un
capteur de transpiration afin d’enregistrer le statut émotionnel de la personne. Par
cet artifice, on observe que le corps, en transpirant légèrement plus, sait avant la
tête quels sont les paquets de cartes perdants. Cette observation met en évidence
le principe de l’intelligence émotionnelle. Lorsque notre corps sait prendre
l’information afin de nourrir son intuition, nous réfléchissons plus vite. Nos
émotions et notre vécu corporel ne sont pas nos ennemis. Au contraire ! À nous
de les apprivoiser en sachant utiliser leur potentiel.

Parfois, sans souffrir d’une telle phobie, nous pouvons nous sentir gênés
par l’expression de nos émotions lors d’une prise de parole. Les émotions
sont comme un fleuve qui doit s’écouler. Plus on les accueille, plus on
respire et plus on reste concentré, plus celles-ci vont s’exprimer de moins
en moins fort jusqu’à parfois se taire ou pour être simplement un trac. Plus,
nous nous focalisons sur elles, plus elles grossissent et nous envahissent
jusqu’à nous distraire de ce que nous faisions. Ne luttons pas contre notre
sensibilité mais apprenons à cheminer avec.

Les visages de l’agressivité


L’agressivité est une réponse à un sentiment d’insécurité. Cette attitude
est plus ou moins automatique et consciente selon les individus. Résultant
d’une difficulté à accueillir et à gérer ses émotions, elle se traduit par des
gestes et des paroles. Cette expression a tendance à différer selon les sexes.
Les femmes présentent plutôt une agressivité verbale, même s’il existe
des hommes battus par leur femme. La peur de ne pas être à la hauteur et la
pensée hameçon que l’on puisse les rendre responsables amènent souvent
une réaction de défense qui prendra le visage d’une phrase du type « ce
n’est pas ma faute » ou une projection agressive en accusant son
interlocuteur de quelque chose. Les femmes recherchent souvent de la
réassurance dans la parole. Certaines présentent une agressivité passive.
D’autres l’expriment à l’inverse en étant trop maternelles ou castratrices.
Les hommes présentent plutôt une agressivité comportementale soit par
le repli, ou en tournant les talons, soit par un comportement plus ou moins
violent. Ils rechercheront plus facilement de la sécurité en se repliant au
fond de leur grotte ou en refermant le tiroir où ils auront mis la situation
dérangeante. Ce zapping comportemental et ce silence sont souvent mal
vécus par les femmes. Par contre, les pervers narcissiques utiliseront la
parole comme expression de leur agressivité.
Dans notre société, l’agressivité comportementale est plus condamnée
que l’agressivité verbale. Certaines femmes sachant manier l’agressivité
masculine font tout ce qu’il faut pour les amener au point de non-retour où
ils vont commettre des actes répréhensibles. Si la violence n’est pas
acceptable et est condamnable et que chacun est responsable de
l’expression comportementale de ses émotions, il est important de prendre
connaissance de ces interactions dans l’analyse de violences conjugales.

Jean
Après s’être fait quitter brutalement par sa compagne, Jean, se sentant bafoué,
est venu au domicile de sa compagne reprendre ces affaires et les cadeaux
qu’il lui avait faits pendant leur relation, ainsi que tout ce qu’il avait acheté pour
leur vie quotidienne : cuillères, couettes, etc. Cette attitude discutable fut
l’expression de sa colère et de son agressivité.

En cas de désaccord ou de frustration, nous avons la responsabilité de ne


pas nous laisser emporter dans la voie de l’agressivité. Notre époque est
empreinte d’un manque d’élégance et de courtoisie qui nous amène à
mépriser nos ennemis. Au désaccord et à l’opposition se rajoute une charge
émotionnelle délétère pour le vivre ensemble et qui est à l’origine d’une
violence verbale et comportementale.

Silence et émotion
L’émotion peut nous scotcher ou nous laisser sans voix. Le 17 novembre
1993, l’équipe de France de football est éliminée à la dernière minute du
match et ne jouera pas le mondial aux États-Unis. Le silence qui retentit
dans le stade est dramatique. Il est, par moment, troublé par la joie
incommensurable de l’adversaire. Le silence traduit l’émotion qui sidère la
personne. Il est riche de ce qu’il exprime.
« Lorsqu’il n’y a plus de mots, ne cherche ni à parler, ni à penser à autre
chose. Le silence a sa propre éloquence. Parfois plus précieuse que les
paroles »3.
À l’inverse, le silence est parfois utilisé pour exprimer une émotion.
Généralement, il sert à exprimer la tristesse alors que la joie est souvent
bruyante. Lors de la minute de silence, le groupe exprime son émotion, sa
tristesse et sa solidarité devant un décès ou une disparition. Parfois, par
opposition passive, le silence exprime la colère. Souvent, dans un conflit, il
s’agit d’une arme redoutable qui prive l’agresseur de la théâtralité de
l’expression. Le silence permet d’éviter de s’enferrer dans le jeu
victime/bourreau afin de rester acteur et maître de son action. C’est un
levier qui permet de ne pas livrer trop facilement ses ressources à l’autre, de
lui donner des outils pour nous maltraiter. Il crée une tension qui renverse le
rapport de force. Ce n’est plus l’agressé qui réagit, mais l’agresseur qui se
retrouve amener à réagir face à la force du silence. Dans les conflits,
l’agresseur tente de légitimer son action en essayant de culpabiliser l’autre.
Le silence est une arme qui permet de renverser cette culpabilité afin que la
machine à penser s’emballe chez l’agresseur. En outre, il nous permet
d’éviter de trop parler et de se précipiter dans une réaction. Le silence vous
rend fort de votre présence.
Le silence est aussi un moment d’acceptation quand une situation ne se
présente pas comme on le souhaiterait. Il permet de prendre les
informations liées à notre ressenti émotionnel pour négocier au mieux le
présent tout en ne s’égarant pas en chemin le long de notre fil de vie.
Le silence est stratégique :
• Lucinde, dans Le Médecin malgré lui de Molière, décide de feindre
qu’elle est devenue muette pour faire obstacle à un mariage forcé. Elle
finira par épouser celui qu’elle aime.
• François Mitterrand, pour sa réélection, en a usé en apparaissant peu ou
pas dans les médias et en faisant durer le suspense de sa candidature.
Conseil
Dans toute relation conflictuelle, tentez de commencer par le silence et observez
son impact sur votre interlocuteur tout en étant bien présent par un regard franc et
direct. Il ne s’agit pas d’être muet, mais juste d’être présent à ce qui est tout en
n’offrant pas à votre interlocuteur votre ressenti. Dans ce silence se projettera ce
que craint l’autre : de la colère, de la tristesse, du reproche, etc. La personne vous
donnera des indices afin d’agir efficacement. Josh Billings, comédien humoriste,
disait que « le silence est l’un des arguments les plus difficiles à réfuter ».

Présence, émotion et kairos


Le kairos est le temps de l’occasion opportune. Cette notion sert à
conscientiser le bon instant pour agir et réagir, agiter par l’émotion. La
question est de savoir rester maître de ses émotions malgré le ressenti de la
situation. L’histoire du samouraï sur le pont en est une bonne métaphore.

Le samouraï du pont
Un jeune moine se rendait en ville, porteur d’un pli important à remettre en
mains propres à son destinataire. Il arriva aux abords de la ville et, pour y
pénétrer, devait traverser un pont. Sur ce pont se tenait un samouraï expert
dans l’art du sabre et qui, pour prouver sa force et son invincibilité, avait fait le
vœu de provoquer en duel les 100 premiers hommes qui traverseraient ce pont.
Il en avait déjà tué 99. Le petit moine était le centième. Le samouraï lui lança
donc un défi. Le moine le supplia de le laisser passer, car le pli qu’il portait était
d’une grande importance.
– Je vous promets de revenir me battre avec vous une fois ma mission
accomplie.
Le samouraï accepta et le jeune moine alla porter sa lettre. Mais avant de
retourner sur le pont, il se rendit chez son maître pour lui faire ses adieux,
certain qu’il était perdu.
– Je dois aller me battre avec un grand samouraï, lui dit-il, c’est un champion de
sabre et moi je n’ai jamais touché une arme de ma vie. Je vais donc être tué…
– En effet, lui répondit son maître, tu vas mourir car il n’y a pour toi aucune
chance de victoire, tu n’as donc plus besoin d’avoir peur de la mort. Mais je vais
t’enseigner la meilleure façon de mourir : tu brandiras ton sabre au-dessus de ta
tête, les yeux fermés, et tu attendras. Lorsque tu sentiras un froid sur le sommet
de ton crâne, ce sera la mort. À ce moment seulement, tu abattras les bras.
C’est tout…
Le petit moine salua son maître et se dirigea vers le pont où l’attendait le
samouraï. Ce dernier le remercia d’avoir tenu parole et le pria de se mettre en
garde. Le duel commença.
Le moine fit ce que son maître lui avait recommandé. Tenant son sabre à deux
mains, il le leva au-dessus de sa tête et attendit sans bouger. Cette attitude
surprit le samouraï car la posture qu’avait prise son adversaire ne reflétait ni la
peur ni la crainte. Méfiant, il avança prudemment. Impassible, le petit moine
était concentré uniquement sur le sommet de son crâne.
Le samouraï se dit : cet homme est sûrement très fort, il a eu le courage de
revenir se battre avec moi, ce n’est certainement pas un amateur.
Le moine toujours absorbé, ne prêtait aucune attention aux mouvements de va-
et-vient de son adversaire. Ce dernier commença à avoir peur : c’est sans
aucun doute un très grand guerrier, pensa-t-il, seuls les maîtres de sabre
prennent dès le début d’un combat une position d’attaque. Et en plus, lui, il
ferme les yeux.
Et le jeune moine attendait toujours le moment où il ressentirait ce fameux froid
au sommet de sa tête. Pendant ce temps le samouraï était complètement
désemparé, il n’osait plus attaquer, certain au moindre geste de sa part d’être
coupé en deux. Et le jeune moine avait complètement oublié le samouraï,
attentif uniquement à bien appliquer les conseils de son maître, à mourir
dignement.
Ce furent les cris et les pleurs du samouraï qui le ramenèrent à la réalité :
– Ne me tuez pas, ayez pitié de moi, je croyais être le roi du sabre, mais je
n’avais jamais rencontré un maître tel que vous. S’il vous plaît, s’il vous plaît,
acceptez-moi comme disciple, enseignez-moi vraiment la Voie du sabre… »

Votre attitude est votre force, apprenez à être dans le kairos, et à agir
selon la circonstance, avec votre présence et non avec vos émotions. Votre
posture et votre regard sont un miroir pour votre interlocuteur qui y verra
ses projections. Ce sont des atouts sur lesquels vous appuyer. Prendre
conscience de leur impact est la première étape. Ensuite, amusez-vous et
faites des expériences afin de maniez au mieux cette présence silencieuse en
toute situation pour vous ajuster et trouvez les bonnes attitudes personnelles
et professionnelles sans vous laisser emporter par la vague émotionnelle.

Les difficultés émotionnelles à parler en public


Alice
Parfois, dans l’attente de passer à l’oral, le silence me fait peur. Il me donne
trop de temps à penser. Mon cœur bat et je n’ai qu’une envie : fuir !
Le trac et le stress
Parler nous amène à ressentir des émotions avant, pendant et/ou après.
Comme nous sommes des êtres émotionnels, parler génère des émotions. La
difficulté n’est pas les émotions, mais leur intensité, parfois leurs effets
indésirables ou ce que nous en faisons. Nous ne sommes pas des robots qui
parlent. Parler en public demande à savoir composer avec son ressenti et
l’apprivoiser pour en faire un atout et non une entrave. Pourtant, certaines
personnes ressentent et jugent ce vécu émotionnel comme un obstacle. La
première émotion qui nous entrave est souvent le stress. Il s’agit d’une
émotion qui s’installe lorsque l’on se met à commenter intérieurement la
situation et que l’on anticipe ce qui va se passer. Ce stress se transforme
parfois en peur.
Le trac est une émotion préparatrice à l’expression. Cette émotion est une
vague qui porte les acteurs et les comédiens. Il leur permet de mieux se
connecter à leur auditoire afin de nouer le dialogue adapté à la situation.
Le stress est une proto-émotion pour nous préparer corporellement et
psychiquement à un événement. C’est une sorte de mécanisme de dopage
interne afin de nous permettre d’être plus performant que d’habitude. Avant
un examen, il peut être intéressant de ralentir un peu et de favoriser le repos
afin d’augmenter ses hormones de stress. Ainsi au moment de l’examen,
lorsque l’on distribuera les copies, la personne bénéficiera de ce dopage
intérieur afin d’être meilleure que d’habitude. En révisant trop la veille, elle
n’apprendra plus rien. De plus, son cerveau émotionnel pourrait prendre le
dessus devant tous les facteurs d’insécurité, en déformant la réalité et en lui
montrant tout ce qu’elle peut potentiellement ne pas savoir. Ainsi, elle va se
vider de ses hormones de stress et ne pas profiter de coup de pouce lors de
l’examen. Ce mécanisme de dopage interne permet à certains de se
sublimer et se dépasser en prenant la vague émotionnelle lors d’un oral ou
d’un discours.

Quand le stress est utile pour notre corps


Quand le stress est utile pour notre corps
Lorsque nous nous préparons à concourir pour un 100 mètres, notre rythme
cardiaque s’accélère ce qui permet d’augmenter le débit sanguin et d’apporter
plus d’oxygène à nos muscles. Ainsi, ceux-ci fabriquent plus d’énergie mécanique
par la combustion que permet l’oxygène avec les nutriments et éliminent plus vite
les déchets. Tout cela demande du temps. Heureusement que nous avons un
« bon » stress dans les vestiaires afin d’être prêt à courir notre 100 mètres car, si
nous attendons le début de la course pour faire cette adaptation, celle-ci serait
déjà finie avant que notre système cardio-vasculaire ait pu faire l’adaptation.
Certains athlètes souffrent de conséquences délétères de leur stress ; d’autres
souffrent de ne pas en avoir assez ce qui influe sur leur performance. Ces
derniers doivent faire une préparation mentale spécifique afin d’augmenter leur
« stress » intérieur.

Le stress et le trac sont à l’origine du syndrome de l’imposteur. Pour


éviter l’expérience émotionnelle inconfortable, notre cerveau émotionnel
(Gérard le doberman !4) tente de nous vendre l’histoire que nous ne sommes
pas à notre place. Gérard aboie dans notre tête et n’est pas très courageux. Il
tente de nous amener dans une situation plus confortable pour lui à l’aide
des discours intérieurs qu’il nous impose. Non, ne nous laissons pas
manipuler par lui et revenons à la réalité malgré les pensées qui traversent
notre esprit :
• Si nous sommes à ce poste, c’est que quelqu’un nous a choisi. Si ce
quelqu’un est suffisamment fou pour nous choisir, c’est son problème.
Nous n’en sommes pas responsables. Notre travail est de faire le
mieux que nous pouvons et il existe toujours un temps d’acclimatation
lors d’une prise de poste. Il est de même dans une relation amoureuse.
• Si je dois faire une communication au CODIR, je dois prendre les
responsabilités de ma fonction et me concentrer sur ma mission plutôt
que sur ce que me dit Gérard. Faute d’interlocuteur, il retournera
progressivement dans sa niche pour me laisser en paix.
• Avant de jouer sur scène, je ne dois me rappeler que le public a réservé
et que j’ai à utiliser l’énergie de cette émotion pour m’engager dans
mon jeu et non pour fuir. La fuite fortifie inexorablement Gérard.
• Je ne suis pas un imposteur, je suis juste humain avec des émotions et
des sentiments. Mon travail est d’accueillir cette fragilité et
d’apprendre à en jouer sans remettre en cause la situation actuelle.
Cette fragilité est une ressource. Tout accident est une chance, c’est à
moi d’en jouer. Alors, je dois me rappeler que tout va bien.
Le conseil de Laurent
Quoiqu’il arrive, dédramatisez. Vous avez dit le contraire de ce que vous vouliez
dire, vous bafouillez, vous avez fait un lapsus ? Assumez et jouez en en disant par
exemple « mais qu’est-ce que je dis là ? ». Amusez-vous de votre bourde,
l’autodérision paye toujours et vous rend humain.

Philippe
Philippe joue Don Salluste, personnage manipulateur et traître, dans Ruy Blas
de Victor Hugo. Il entre en scène pour confirmer la culpabilité de Ruy Blas et
devait s’écrier « Je l’ai vu, il tenait une épée à la main ». Mais Philippe dit à la
place : « il tenait un lapin à la main ». Il se confesse au public : qu’est-ce que je
raconte ? Un silence a suivi. Philippe a repris et le public aussi. Victor Hugo ne
s’est pas retourné dans sa tombe pour cela !

Le conseil de Laurent
Quand la langue fourche en représentation, je rectifie et applique l’auto-dérision,
arme redoutable qui me fait apparaître comme un être humain capable d’erreur.
Le pire est de persister dans cet « échec », de se refermer sur soi au risque de
provoquer un autre « trou de mémoire. N’oublions pas que c’est le regard de
l’autre qui déclenche le trac.

Alors en réunion, en assemblée ou en colloques, ne soyez plus celui qui


est regardé, mais celui qui regarde !
N’oublions pas que, lorsque nous sommes face au regard des autres, nos
perceptions diffèrent de celles ressenties par ceux qui nous regardent. La
réalité n’est pas la même que celle que nous raconte la petite voix qui trotte
dans notre tête. Cette voix réagit selon le prisme déformant de nos
émotions. Il s’agit des lunettes émotionnelles. Je rougis, oui et alors ?
Normal, je suis ému, pourquoi devrait-on en avoir honte ? Cela me rappelle
que je suis un humain et non un animal à sang froid. En outre, est-ce que
mes interlocuteurs le remarquent autant que moi ? Probablement pas. En
outre, je ne suis pas dans leur tête et j’ai tout à gagner à ne pas me laisser
distraire par ces manifestations de mon organisme. C’est mon cerveau
émotionnel qui me parle. N’oublions pas que si nos interlocuteurs nous
regardent, cela n’est pas pour nous juger et nous mettre en examen. Nous ne
sommes pas au tribunal, même si Gérard, notre cerveau émotionnel, tente
de nous vendre cette idée !
Le conseil de Laurent
Si le croisement du regard vous déstabilise trop au début, parlez en dirigeant votre
regard vers les cheveux des participants, s’ils sont chauves, à la base de leur
front.

La peur fait partie du jeu. Nous ne pouvons que composer avec et mieux la gérer.
Un remède : soufflez, expirez, soyez physique, surtout pas cérébral. Les
symptômes du trac sont physiques. Répondons-leur en agissant physiquement
plutôt qu’en pensant

Le problème n’est donc pas le stress mais son intensité et ses effets
indésirables psychiques ou corporelles chez certains. En revanche, plus on
commente son stress, plus on le fait gonfler en se focalisant sur lui au lieu
de surfer dessus. Quand on veut aller vite sur un vélo, il ne faut pas le
regarder mais monter dessus et pédaler ! C’est pour cette raison qu’il est
préférable de bannir actuellement le mot stress de son langage. Il s’agit d’un
mot galvaudé qui ne peut que donner à penser et à faire s’enliser. Il vaut
mieux trouver des synonymes plus fonctionnels au contexte : cette situation
m’éprouve, cela me demande de m’adapter, c’est inconfortable, je trouve la
situation désagréable, etc. Nommer différemment permet de ne pas fixer la
situation en un problème, de rester dans le mouvement de l’action et de
garder la flexibilité psychologique nécessaire pour s’ajuster à ce qui se
présente à nous.
Comme les émotions, et plus particulièrement le stress, sont des éléments
de notre humanité, pourquoi ne pas en parler lorsque l’on prend la parole
afin d’en faire un outil de communication ? Accueillir et en assumer ce que
l’on dit sont de bonnes manières pour digérer ce que l’on ressent lorsque
l’on appréhende une situation et cela nous rend aimable. N’est-ce pas ce
que nous voulons finalement tous ?
Cette technique est utilisée par de nombreux grands orateurs, notamment
les très pragmatiques anglo-saxons. Ils n’hésitent pas, face à une grande
assemblée, malgré leur notoriété, de dire en début de discours : je suis très
impressionné par le nombre de personnes que vous êtes et j’espère que je
serai à la hauteur, etc. En faisant cela, ils partagent leur fragilité et leur
humanité et se protègent de l’angoisse de la performance pour se concentrer
sur les moyens à mettre en œuvre pour faire le mieux possible. Le public,
en entendant de tels mots, ne voit plus un acrobate mais devient empathique
et beaucoup plus prompt à accueillir le communiquant qu’il jugera
beaucoup moins. La relation devient meilleure et surtout plus fonctionnelle.
Dans le documentaire, Tout va bien, le premier commandement du clown, il
est dit que l’on admire les acrobates et l’on aime les clowns. Les clowns
sont des êtres imparfaits qui jouent de leur « ridicule » et de leur humanité5.
Sans toutefois faire le clown lors d’une communication, si nous laissons
plus de place à notre humanité plutôt que de chercher la perfection de
l’acrobate, nous serions plus « aimés » par le public. En outre, l’acrobate
met en péril sa vie sur la piste, rarement un orateur.
Le conseil de Laurent
Le trac est le compagnon fidèle de l’acteur, il ne nous quitte pas, on l’a, là dans
notre poche, c’est un ami, on sait qu’il nous fera monter en température, en
augmentation du rythme cardiaque, en tremblement, en sudation, en bafouillis
parfois, mais que l’action dans laquelle nous nous situons (ici et maintenant) nous
en délivrera progressivement et partiellement. Puis il s’estompera à la tombée du
rideau, on sera soulagé, c’est un peu comme une drogue, elle nous fait grimper
puis redescendre.

« Le trac est l’expression de mon émotion, il me fait trembler, je me revois trembler


à l’ouverture du rideau quand mon partenaire me sert un verre de vodka (de l’eau
car tout est théâtre !) et qu’il peine à trouver l’alignement parfait de la bouteille et
du récipient tant sa main s’agite d’un tremblement compulsif ou convulsif. »

Le trac c’est avant, parfois un jour, voire quelques jours avant, quand on entre en
scène au début et c’est très fort.

Les acteurs ont le trac, cette peur de se tromper, d’avoir un « blanc », le silence
non maîtrisé qui nous faire perdre nos moyens. Le texte ne sort pas comme il
devrait sortir, et alors ? Le public ne le connaît pas forcément pas cœur, il n’y verra
que du feu.

Les « ratés comportementaux » émotionnels


Lorsque l’émotion est trop intense ou que l’on ne sait pas la gérer, elle
peut être à l’origine d’un dysfonctionnent comportemental. Ce dernier suit
la logique des trois « F » :
• F comme Freeze : la personne est bloquée sur place et n’arrive plus à
parler ou à s’exprimer. Les mots auront du mal à sortir. Elle est comme
un lapin dans les phares, ne pouvant ni se défendre, ni s’ajuster, ni
s’affirmer. Le risque est d’être vulnérable et de se faire abuser ou
maltraiter.
• F comme Fight : la personne est agressive. L’expression ne reflétera
plus la personne sous-jacente, mais sera l’expression de cette émotivité
qui aura pris le dessus. Le risque est de maltraiter un lien ou une
relation par une agressivité excessive et de se retrouver toute seule.
• F comme Flight : la personne sera dans l’évitement au risque de faire le
lit à une phobie sociale. Le risque est de ne pas prendre ses
responsabilités, de subir ou de passer à côté de sa vie parce que l’on
n’a pas su demander, échanger ou négocier.

Vivre avec les autres


À notre époque, notre système émotionnel n’a plus tout à fait la même
utilité qu’à son origine. La période moderne est peut-être moins dangereuse
que l’époque préhistorique, c’est-à-dire présente moins de risques mortels,
mais nous confronte probablement à d’autres épreuves qui éveillent
fréquemment notre système d’alerte émotionnel. Cet éveil est d’autant plus
important que l’évolution actuelle tend à donner une grande place à
l’individualité. Cependant être libre, c’est aussi être seul. Le contact avec le
sentiment de solitude rend plus vif notre besoin de sécurité. En outre, nous
sommes moins happés par des comportements de survie que les hommes
préhistoriques. Nous avons ainsi plus de place pour les émotions sociales,
mais nous n’en faisons pas l’apprentissage alors qu’elles sont
volontairement perverties par la société de consommation. En effet, lorsque
nous sommes anxieux, nous consommons plus et compulsivement.
Comme disait Jean-Paul Sartre, l’enfer c’est les autres. Tout en étant
seuls dans ce modèle société libéral, nous devons côtoyer les autres. Notre
société moderne crée des troupeaux d’individus. On est les uns à côté des
autres sans vraiment nourrir de connexion humaine. On se frotte, on se
cogne, on s’apostrophe. La circulation en voiture est une situation qui fait
souvent exploser la relation à l’autre. Paris est une ville où beaucoup de
personnes vivent ensemble, mais où il est difficile de se rencontrer pour
nouer une relation de couple. L’homme est un animal grégaire, mais il est
difficile de vivre ensemble sans apprentissage de la gestion émotionnelle
que nous procurent la présence et le comportement de l’autre.
Ces relations sociales sont sources de tensions car nous avons à composer
avec l’autre et la variabilité de son humeur afin de trouver des compromis.
Comme les autres sont nombreux, c’est un travail permanent qui demande
de l’endurance, de la flexibilité psychologique et de la pleine conscience
pour ne pas réveiller notre cerveau émotionnel afin qu’il nous informe de
nos besoins. En outre, il est tout à fait possible d’observer nos émotions et
de choisir celles que nous attrapons et celles que nous laissons passer dans
le champ de notre conscience pour ne pas prendre le risque d’une réaction
émotionnelle inadaptée. Vivre avec les autres demande de savoir prendre le
temps d’observer et parfois de savoir se taire pour maintenir la cohésion du
groupe.
Les relations sociales sont aussi difficiles pour
les babouins
Le professeur Robert Sapolski de l’université de Stanford travaille sur les primates
et plus particulièrement sur les babouins du parc naturel du Serengeti au Kenya.
Dans ce parc, malgré l’interdiction de nourrir les animaux, les touristes
abandonnent suffisamment de déchets alimentaires pour satisfaire les besoins
des babouins. Du coup, ces babouins ne consacrent plus que trois heures par jour
à chercher de quoi manger. Libérés de cette activité principale, les singes
disposent de plus de temps pour s’occuper d’activités accessoires. Les hommes
leur offrant la « société de consommation », ils disposent désormais de la
« société des loisirs ». Ce temps libre est utilisé pour les rapports sociaux qui ne
constituent pas une activité très simple. En effet, plongés dans cette activité qui
prend une ampleur inhabituelle, les problèmes hiérarchiques se multiplient et sont
source de stress à l’origine de pathologie rappelant celles des humains : ulcères,
hypertension, excès de cholestérol, etc.

Solal
Solal est une femme de 45 ans, cadre supérieure et très appréciée par son
entourage familial et amical. On la trouve rayonnante, paisible et élégante dans
ses relations. Pourtant cet effet porte6 que dégage Solal n’a pas toujours reflété
la façon dont elle se comportait dans l’intimité. En effet adolescente, elle a été
confrontée à l’éveil de son corps émotionnel. Celui-ci l’a déstabilisé et elle n’a
pas su comment le dompter. Pudique et intérieure, elle n’a pas su trouver l’aide
nécessaire auprès de sa famille et de ses amis pour apprivoiser cet espace.
Intelligente et volontaire, elle s’est adaptée en travaillant son image extérieure
pour devenir incritiquable. Elle est devenue très forte dans le relationnel pour
donner le change à ses interlocuteurs. Par contre, faute de savoir apaiser son
intériorité, elle a construit une distorsion cognitive. Dès qu’un événement de vie
lui procure une émotion, elle a peur de ne pas être à la hauteur et d’être jugée.
Cette peur est une grande source d’énergie pour jouer son rôle social. Mais
dans l’intimité, dès que son nouveau compagnon émet une opinion qui ne va
pas dans son sens ou qui pourrait la déstabiliser, elle réagit soit par un
comportement de mauvaise foi, soit en répondant par une critique.
Ses réactions sont particulièrement exacerbées lorsqu’il s’agit d’une discussion
sur les enfants qu’elle a eus d’un précédent mariage ou lorsque l’on parle de
sujet sur la féminité comme les règles ou la sexualité. Elle peut se mettre dans
des grandes colères qui détonnent avec son image publique.
Un travail psychothérapique lui a permis d’observer que, dans ces moments,
elle ne savait pas accueillir l’inconfort que lui procurait ce genre d’émotions et
de ressentis. Son cerveau émotionnel jaillissait de son être comme un diable de
sa boîte pour aboyer et mordre son partenaire. Par ce comportement, son
doberman (cerveau émotionnel) se défendait de la croyance qu’elle pourrait ne
pas être à la hauteur et qu’on pour la juger, ce qui est insupportable pour elle.
Elle a appris à s’apaiser et à se montrer dans l’intimité avec sa fragilité sans y
voir un danger. Elle put ressentir que son ami l’aimait pour l’être qu’elle était et
non pour ce qu’elle montrait. Elle est sortie du contrôle pour devenir plus
intensément authentique. Tout doucement, elle a fait la paix avec son intériorité
et son doberman est rentré à la niche. Elle est devenue moins autocentrée.
L’autre effet bénéfique pour son partenaire est qu’elle a pu s’ouvrir à une
sexualité plus large et plus ouverte, dans l’échange et le dialogue sans avoir
peur de ressentir et de se mettre à nu au sens propre comme au sens figuré, ce
qui lui a permis d’accéder à des jeux sensuels savoureux.

La mauvaise foi
La mauvaise foi remplit plusieurs fonctions :
• Dans le cadre d’un caractère émotionnel non canalisé, elle peut être un
moyen de défense pour s’échapper d’une expérience relationnelle
inconfortable. Dans ce cadre, la mauvaise foi est plus ou moins inconsciente
et agit comme un réflexe défensif pour éviter une expérience intérieure qui
risquerait de générer une remise en question et de déstabiliser la personne.
Elle fonctionne à court terme pour retrouver l’équilibre mais ne permet pas de
vivre pleinement et authentiquement les relations sociales, amicales ou
amoureuses.
• Elle peut être une difficulté à se connecter à soi.
• Elle est aussi un moyen de manipulation lorsqu’elle est intentionnelle.

Lola
Lola répond systématiquement à une demande ou une critique par une critique
sur un autre sujet à l’encontre de son interlocuteur. Pour son entourage proche,
il est très difficile d’échanger avec elle sur le quotidien et de lui faire des
demandes. En outre, sa conversation est parsemée de commentaires, de
difficultés et d’insatisfactions.
Son cerveau émotionnel réagit comme un roquet à chaque fois qu’il se sent en
insécurité. Certes, pour elle, dans l’instant, elle a le sentiment que sa réponse
est juste. Mais faute de savoir accueillir sereinement les émotions et les
sentiments, elle en paie le prix par une anxiété et des crises d’angoisses au
quotidien. Son cerveau émotionnel a pris le pouvoir en elle. Cela se traduit par
passer son temps à commenter et juger ce qui se passe autour d’elle ou à se
plaindre.
Elle a la croyance intérieure qu’il faut que tout soit bien et appréhende le monde
comme si elle consommait la vie. Les aléas inéluctables de la vie qui permettent
de se construire stimulent sa machine à penser. Elle se fait régulièrement
emporter par une spirale anxieuse. Elle est en lutte et elle n’arrive pas à
bénéficier des vertus de l’épreuve qui font grandir et mûrir. Mais pour cela, elle
a besoin d’apprendre à amortir intérieurement les résonnances de la vie et
percevoir les échos intérieurs que cela lui procure comme une richesse et non
comme un danger.
Un travail psychothérapeutique lui a permis de s’apercevoir qu’elle n’a pas su
construire une sécurité intérieure à l’aide de ses relations parentales.
L’observation bienveillante de son intériorité avec la pratique de la pleine
conscience lui ont permis de vivre plus paisiblement et de s’ouvrir plus
flexiblement aux vicissitudes de la vie. En outre, elle a appris qu’avoir des
émotions, les ressentir dans tout son corps, n’était pas grave et que c’était
même le signe qu’elle était vivante !

Exercice
Face à une émotion, tout d’abord ralentissez et observez. Commencez par vous
répéter cette phrase que nous avons inventée tel un mantra7 autant de fois qu’il
est nécessaire dans une journée :
J’accueille et j’accepte d’avoir une émotion car cela signifie que je suis un être
vivant et un être humain.
Bonne nouvelle, si vous êtes stressé, en colère ou autre chose, il s’agit d’une
bonne nouvelle car vous êtes toujours vivant ! Vous faites à nouveau l’expérience
que vous n’êtes ni un robot ou ni une machine à café !
Ensuite, face à une émotion, demandez-vous de quelle information est-elle
porteuse ?
Vérifiez si l’information concernant le besoin à satisfaire est un besoin réel ou un
besoin construit. En effet, comme nous sommes des êtres pensants, il est
nécessaire de vérifier si ce à quoi nous réagissons est une vérité ou un jugement
de notre part. Il est important de régulièrement se poser la question afin de savoir
si ce que me raconte ma tête est la vérité ou non.

Sylvie
Sylvie est en colère parce que Géraldine ne l’a pas appelée comme promis ce
matin. Son droit au respect et à la considération lui paraît bafoué. Elle se dit que
Géraldine n’en a rien à faire d’elle ! En fait, est-ce la vérité ou non ? Dans la
réalité, elle n’en sait rien. Géraldine a pu oublier, perdre son portable, avoir eu
une urgence, ne plus avoir de batterie, avoir perdu le numéro, etc.
En prendre conscience me permet d’accéder à la tristesse pour pouvoir
renoncer à cette attente et accepter que la vie ne s’organise pas toujours
comme on le voudrait et me concentrer ainsi sur ce qui est important pour moi à
cet instant. C’est à Sylvie de choisir si elle accepte de ne pas en savoir la raison
ou si elle appelle pour prendre l’information nécessaire à ses besoins.

Une émotion est source d’énergie. Il est donc nécessaire de savoir ce que
l’on fait de cette énergie. Si je suis en colère contre mon voisin, je suis libre
de choisir de lui mettre un coup de poing, de lui dire que je suis en colère,
de crier dessus ou d’utiliser cette énergie pour ranger mon bureau. Lorsque
vous ressentez une émotion, posez-vous la question de ce que vous faites de
s’énergie afin que cela ne nourrisse pas une verbalisation intempestive.

Parce que ma tête me raconte


des histoires
Notre tête nous raconte en permanence beaucoup de choses. Constamment,
des pensées traversent le champ de notre esprit comme un cours d’eau
s’écoule. Dans ce flux inexorable, chacun d’entre nous y observe des
pensées intéressantes, banales, originales, indélicates et même parfois
détestables.
La difficulté est que nous avons tendance à prendre pour argent comptant ce
que notre tête nous raconte pour agir en fonction, et pas toujours à bon
escient. Certaines personnes n’utilisent aucun filtre entre ce qu’elles
pensent et ce qu’elles disent ou font. Cette spontanéité de l’expression est
mignonne chez les enfants, mais peut jouer des tours aux adultes, avec le
risque de passer pour un idiot ou un balourd. C’est d’ailleurs, cette
spontanéité de parole qui est souvent reprochée au président actuel des
États-Unis, Donald Trump, et qui participe à sa mauvaise image.
Cette spontanéité d’expression qu’ont certaines personnes est souvent mal à
propos. Elle est souvent autocentrée et tient rarement compte du contexte et
de la perspective de la personne en face au risque d’être grotesque.
Assise sur un banc
Imaginez un homme, célibataire depuis de nombreuses années, qui marche
dans la rue et qui croise sur un banc, une très jolie femme en train d’attendre. Il
commence à se dire qu’elle est très jolie, qu’il adorerait rencontrer ce genre de
personne pour faire sa vie et que cela serait bien de l’aborder pour tenter sa
chance. Il ressent un besoin d’amour, de partage et de construction. Il se dit
ensuite que ce genre de femme n’est pas pour lui. D’ailleurs, elle semble
attendre quelqu’un d’autre ou quelque chose. En fait, elle semble complètement
l’ignorer. En fait, elle est plutôt méprisante. Il est sûr que c’est le genre de
femme à tomber amoureuse d’un beau parleur ou de quelqu’un qui a de l’argent
ou une belle voiture mais qu’elle ne prendra jamais le temps de faire sa
connaissance. Une belle fille comme elle doit enchaîner les relations faciles du
fait en jouant de sa beauté pour profiter des hommes. La pression monte, le
discours intérieur s’envenime et l’homme en colère (sentant son besoin d’être
considéré et respecté bafoué…) s’approche de la fille pour la traiter de
« salope ». Celle-ci, ahurie et terrorisée, se demande ce qui lui arrive.

Cette histoire est, certes, caricaturale, mais elle montre comment certaines
personnes peuvent se laisser embarquer dans une histoire dénuée de réalité
aboutissant à des propos ou des actions absurdes voire agressive et
scandaleuse.
D’autres ont parfois peur de leurs pensées. Ces personnes souffrent d’une
phobie d’impulsion lorsqu’elles ont peur de commettre les actes que leur
tête leur raconte ou d’un trouble obsessionnel et compulsif lorsqu’elles
veulent conjurer par des comportements répétitifs les risques que leur
raconte leur tête. Enfin certaines personnes entretiennent des raisonnements
délirants s’inscrivant dans des pathologies psychiatriques telles que la
schizophrénie, la psychose hallucinatoire chronique ou la paranoïa. La
difficulté des troubles paranoïaques est que le sujet de délire est circonscrit.
En dehors de celui-ci, ces personnes apparaissent tout à fait normales.
Aussi, il est difficile de dépister derrière une parole le trouble délirant qui
alimente le propos. Internet ou certains plateaux médiatiques, en faisant
appel à la parole du citoyen, est un terrain propice qui permet à ces
personnes de véhiculer leur croyance. Aussi, il est nécessaire de cultiver un
doute cartésien face à des informations communiquées sur Internet, dans
des avis ou par certains lanceurs d’alerte. Il est absolument nécessaire de
bien évaluer la réalité de l’information et son contexte. La difficulté est que
l’information sur Internet va plus vite que le travail des journalistes. Ces
derniers peuvent avoir tendance à courir derrière les informations
divulguées sur les réseaux sociaux, quitte à alimenter des canulars ou des
rumeurs.

Comment fonctionne notre mental ?


Nous et nos pensées

Tout d’abord, faisons la différence entre soi et ses pensées. Nos pensées
sont le fruit de la production de notre cerveau tout comme notre intestin
fabrique des selles, nos reins de l’urine et nos glandes salivaires de la salive.
Même si nous en produisons, nous ne sommes pas de la salive, de l’urine,
des selles et donc nos pensées. Aussi, si nos pensées ne sont pas nous, nous
pouvons tout à fait laisser filer certaines d’entre elles qui nous semblent pas
congruentes à l’être humain que nous sommes pour ne pas prendre le risque
de trop interpréter ou déformer la réalité. D’ailleurs, pourquoi ne pas faire
comme les autres objets de notre métaphore ci-dessus. En effet, si je me
rends aux toilettes pour déféquer et que je passe ma journée à regarder mes
selles, j’aurai peut-être vite l’impression que la vie sent mauvais et que
celle-ci est de la « merde ». Dans la vraie vie, nous tirons la chasse d’eau et
nous nous rendons dans d’autres pièces pour poursuivre celle-ci.
Pourquoi ne pas pratiquer ainsi avec certaines pensées ? Quand certaines
d’entre elles sont inappropriées ou détestables, nous pouvons tirer la chasse
d’eau dans notre tête et porter notre attention à d’autres endroits de notre
esprit. Par exemple, si je passe mon temps à examiner la pensée que je suis
nul, je finirai inexorablement par me trouver nul et trouver la vie « nulle ».
Or, nous avons tous, à certains moments, ce type de pensées mais la plupart
d’entre nous n’en sommes pas dérangés car nous les laissons filer sans nous
attarder dessus. En fait, le problème n’est pas le fait de penser, mais le fait
de se laisser gouverner par ses pensées. Une bonne partie des personnes
souffrant de troubles obsessionnels compulsifs vont mieux quand ils
arrêtent de lutter contre les pensées obsédantes qui traversent leur esprit. Ils
cohabitent avec elles sans en faire un problème.
Exercice
Au lieu de vous dire « je me dis », expérimentez le fait de dire « mon cerveau me
raconte… ». Cette astuce de langage permet de mettre à distance les pensées et
gagner en liberté pour leur accorder ou non de l’importance.

Nos deux sources de fabrication de pensées


Nous avons deux sources de pensées en nous. L’être humain que nous
sommes et notre être émotionnel. Ces deux êtres non pas la même fonction.
Notre cerveau émotionnel a comme fonction de gérer l’urgence pour
permettre notre survie. Lorsqu’il y a le feu chez soi, lorsque le plafond
s’écroule ou lorsqu’on est agressé, le cerveau émotionnel est là pour nous
dire de partir vite. Il a raison car notre vie est en jeu. Son intervention est
fonctionnelle.
En revanche, il fonctionne parfois comme s’il était un doberman dans un
jardin. Lorsque que ce doberman voir un passant longer la clôture, il se dit
qu’il s’agit d’un possible intrus, qu’il existe un risque d’intrusion et que sa
sécurité est peut-être remise en cause. Aussi, n’acceptant pas le doute, il va
aboyer. Ce comportement est très logique pour un doberman. Sauf, qu’il ne
se rend pas compte que cela fait vingt ans qu’il aboie contre tous les
passants et que le facteur vient en reculant pour poster le courrier mais
surtout que son maître, l’être humain que je suis, est très dérangé par ses
interventions. Si nous suivons cette métaphore, il est intéressant de ralentir
régulièrement, lors de nos actions, pour observer et prendre conscience de
quel être gouverne à cet instant ma personne : est-ce la personne que je suis
ou mon être émotionnel (doberman).

Exercice d’observation
Lorsque vous êtes en voiture et que quelqu’un vous fait une queue de poisson,
lorsque vous parlez à votre femme ou à votre mari, lorsque vous répondez au
téléphone ou à un collègue…, est-ce l’être humain que vous êtes qui s’exprime ou
votre cerveau émotionnel ?

Si nous poursuivons la métaphore, notre cerveau émotionnel n’est pas


pour tout le monde un doberman. Certaines personnes ont un cerveau
émotionnel qui réagit comme un chien de chasse, en train de fouiner, de
renifler, de se mettre parfois en arrêt pour grogner de temps en temps,
d’autres comme un bichon, peureux avec quelques grognements, un saint-
bernard placide et qui aboie pour avertir, un roquet qui aboie pour un oui et
pour un rien mais qui ne fait peur à presque personne…
Et vous, quel genre de chien est votre cerveau émotionnel lorsqu’il
réagit ?
La part canidé de l’homme…
On dit que les hommes fonctionnent souvent comme des chiens8. Ils font peur
lorsqu’ils aboient mais, lorsqu’on ne se laisse pas impressionner et qu’on leur dit
cela suffit d’une voix ferme et autoritaire, ils s’en vont vite à la niche la queue entre
les jambes… Essayez, mesdames, cette métaphore fonctionne souvent…

Exercice
Je vous encourage à donner un petit nom que vous trouvez drôle à votre
« doberman ». Par exemple9, si vous choisissez « Donald », « Gérard »,
« Marisol » ou un autre prénom cela vous permettra de reconnaître et d’identifier
« Donald » lorsqu’il vous parlera dans votre tête. Lui donner un nom vous permet
aussi de prendre de la distance avec lui. En outre, vous pourrez aisément lui
ordonner de retourner à la niche pour vous laisser tranquille.

Les histoires que nous raconte notre doberman


Notre cerveau émotionnel sert à gérer l’urgence. Il n’a donc pas le temps
de fournir de longue réflexion pour choisir sa réaction. Aussi, pour gagner
du temps, il va proposer des « paris » sur l’avenir plus ou moins probables.
Par exemple, s’il pleut dehors, il peut me dire différentes choses : c’est
normal car c’est l’automne. La saison n’est pas bonne. Il n’y a plus de
saison. C’est à cause de la pollution. Paris va être inondé. Les Russes vont
attaquer… Alors, si je prends pour argent comptant la proposition que les
Russes attaquent, je ne serai certainement pas détendu. De la même façon,
lorsque je renverse un verre, si je me dis que je suis nul, je risque d’avoir
une mauvaise estime de moi-même. Pourtant, renverser un verre ne signifie
pas que mon identité est d’être « nul » de ma naissance jusqu’à ma mort.
J’ai juste été maladroit un instant. Il est donc intéressant de prendre le
temps de faire le tri dans les propositions de notre cerveau émotionnel.
Toutes nos pensées ne sont pas de grandes vérités. Certaines sont même
inutiles, idiotes ou non fonctionnelles. Laissons-les passer ou jetons les à la
poubelle comme si notre conscience était le bureau de notre « ordinateur
cérébral ».

Comment maintenir notre « doberman » à la niche ?


Le système émotionnel est là pour nous informer de nos besoins, c’est-à-
dire de ce qui est vital. Il réagit notamment à ce qui est dangereux. Or ce
qui est dangereux est ce qui est mortel ou source d’un handicap. À notre
époque, si on n’est pas dans un pays en guerre, on n’a peu de chance d’être
confronté à une situation « dangereuse », c’est-à-dire mortelle. Il est donc
important de faire la distinction entre ce qui est dangereux et ce qui est
inconfortable, désagréable, frustrant, embêtant, gênant ou autres pour ne pas
réveiller notre cerveau émotionnel. Parler en public, faire une annonce,
demander quelque chose peut être désagréable, inconfortable,
embêtant, etc., mais n’est probablement pas « dangereux ». Notre cerveau
émotionnel nous raconte vite des histoires dans lesquelles il ne faut pas se
laisser absorber au risque de faire monter « la sauce ».

Exercice du STOP
Afin de retrouver rapidement un équilibre corps-esprit « au cœur de la
tourmente », nous pouvons appliquer ces instructions très simples, contenues
dans l’acronyme STOP.
Stop. Arrêt sur l’expérience.
Tourner l’esprit vers l’intérieur en se connectant avec sa respiration.
Observer ce qui se passe. État des lieux : nos sensations, pensées et émotions.
Présence à la totalité de l’expérience. Donner l’espace qui lui permette de se
déployer, puis d’y répondre efficacement.
Lorsque nous nous exprimons, nous pouvons nous laisser happer par nos
pensées et nos émotions pour nous retrouver inconscients de ce qui se passe
autour de nous.
Le fait de faire une pause dans notre discours, lors d’une respiration, entre deux
phrases ou deux diapositives, permet de se reconnecter avec toutes les
composantes de l’expérience. Ainsi, nous découvrirons que nos épaules sont
tendues, notre mâchoire est serrée ou que notre corps tout entier est tendu. Une
respiration lente et profonde permet de se relaxer et de se recentrer sur la
situation.
Tout ce que je me raconte au lieu de simplement vivre
« Les grandes choses naissent toujours d’un esprit très silencieux. »
Krishnamurti

En thérapie ACT10, on dit qu’il faut regarder l’instant présent comme un


coucher de soleil et non un problème. Pourtant, personne ne peut nous
garantir que le coucher de soleil sera beau ou non. À chacun de choisir de le
contempler le temps qui lui semble approprié avant de choisir de faire autre
chose. Cette métaphore illustre le bénéfice d’accueillir ce qui se présente à
nous tel qu’il est sans y apposer des mots et encore moins de le juger. Cette
manie de commenter toute chose peut devenir maladive et source de
souffrance comme l’illustre si bien Denise Bonal au cours d’un dialogue
dans une pièce s’intitulant Les pas perdus11. Le protagoniste s’enferre dans
une spirale de la catastrophe par sa lecture problématique de l’instant.
A : Mais si, on est en retard.
Jade : Ton train ne part que dans une heure.
A : C’est quel quai déjà ?
Jade : Faut attendre. C’est trop tôt.
A : Quelle voiture déjà ?
Jade : La 12.
A : Et le numéro de la place ?
Jade : Le 36.
A : Côté couloir ?
Jade : C’est ce que j’ai demandé.
A : À quelle heure déjà le départ ?
Jade : Je viens de te le dire, dans une heure.
A : C’est à dire à 12 h... ?
Jade : À 12 h 45.
A : Il faut composter.
Jade : C’est fait. (I. s’assoit rassurée, puis se relève d’un coup)
A : Ma valise, mon Dieu !
Jade : C’est moi qui l’ai. (I. fait le tour de la table pour voir la valise, ah, elle est rassurée).
A : À quelle heure déjà j’arrive ?
Jade : À 18 h 45.
A : Il fera nuit.
Jade : Mais non. Pas du tout.
A : Il fera clair ?
Jade : Mais oui. En ce moment, à 18 h il fait jour.
A : Ils viendront m’attendre ?
Jade : Naturellement. Comme d’habitude.
A : Regarde : c’est mon train… Là à 12 h 45 ?
Jade : Oui, oui.
A (affolée) : J’en vois deux à la même heure !
Jade : Ils doublent les trains à cette période.
A : Comment savoir quel est le mien ?
Jade : Le numéro de ton train.
A : Quel numéro déjà ?
Jade : Le 812.
A : D’ici à ce qu’ils aient mélangé les places ! Je vais me retrouver avec une vieille têtue
qui va s’accrocher à son fauteuil.
Jade : On s’expliquera avec le contrôleur.
A : Faudra le trouver ! Et maintenant, tu as remarqué, les contrôleurs ont les cheveux
longs !… Et comme ils sont devenus complètement désinvoltes, il m’offrira un strapontin
près des waters, dans le soufflet. Et quand il y a un accident, c’est cette partie-là du train
qui se disloque inévitablement et je serai projetée à 600 mètres dans un champ de maïs.
Jade : Est-ce que tu as déjà été projetée dans un champ de maïs ?
A : Non, Dieu merci.
Jade : Alors ?
A : Alors, tout peut arriver. Et moi j’arrive à quelle heure déjà ?
Jade : 18 h 25
A : Ah ! Je croyais que c’était 18 h 28. Ce n’est pas la même chose !

La « machine à penser » est en permanence en marche. Ces blablas


intérieurs ou radio intérieure sont plus ou moins intenses chez chacun de
nous. Ils nous inondent d’autant plus de commentaires et de jugements que
nous en sommes friands. Ils fonctionnent comme une drogue que nous
vendrait notre dealer personnel : notre cerveau émotionnel. Or ce cerveau
émotionnel n’a qu’un client : nous ! Il le connaît bien et sait s’y prendre
pour nous vendre sa production. Ce qui fait que, plus on « achète » des
pensées, plus il nous en vend. Ces jugements et ces commentaires intérieurs
sont une tactique de notre cerveau émotionnel pour trouver, face à une
situation, des « solutions » pour nous rassurer à travers des tentatives de
catégorisations. Nous stimulons notre « Doberman » en regardant la vie
comme un « problème », ce qui engendre le réflexe de trouver des
« solutions », et non pas comme un coucher de soleil. En effet, si on regarde
la vie comme un coucher de soleil, on accueille et on accepte ce qui se
présente tel que c’est, sans présupposé ni juger ce qu’il sera ensuite.
Sophie Le Guen, dans son livre Colin-maillard au bord de la falaise,
raconte l’histoire de Mona qui est au mitan de sa vie. Se pose pour elle des
choix existentiels comme s’engager ou non dans une nouvelle histoire
amoureuse. Pour mettre en scène les palabres intérieures de son héroïne,
elle met en scène un Jiminy Cricket avec qui Mona va nouer de savoureux
dialogues au Mali. Comme une rivière, notre cerveau produit en
permanence un flux de pensées qui s’écoule inlassablement.
Il est impossible de s’empêcher de penser : Essayer de ne pas penser à
un ours blanc et vous y pensez automatiquement !
On se laisse d’autant plus happer par des pensées automatiques que l’on a
un raisonnement en tout ou rien. En effet, penser que l’on va réussir induit
que l’on pense que l’on ne va pas réussir. Penser que l’on nous aime induit
que, peut-être, on va ne pas nous aimer. Penser que l’on est à la hauteur
induit que peut-être nous ne sommes pas à la hauteur… Une approche
dichotomique de la vie induit des pensées hameçons source d’anxiété et de
rumination. Il ne faut donc pas attendre d’avoir une bonne estime de soi
pour agir, aller à la rencontre de l’autre, séduire quelqu’un, car les pensées
seront toujours là. Le travail est de ne pas se focaliser sur ces pensées pour
pouvoir les laisser filer comme des nuages tout en se concentrant sur le ciel.
Une autre métaphore est de considérer que notre intériorité est comme un
bus et que nous sommes le chauffeur de bus. Si nous discutons avec les
passagers afin de choisir la façon d’avancer, nous n’avançons pas car tout le
monde aura son avis. Un chauffeur de bus trace sa route, quel que soit ce
que racontent les passagers. Il suit sa direction. Faisons de même, traçons
notre route malgré les blablas de notre cerveau émotionnel qui tente de nous
distraire et de nous écarter de notre chemin.
On n’est pas obligé de toujours penser. Il est possible d’être juste là, de
savourer l’instant et de chevaucher tranquillement la vie.

Le regard de Jean Christophe


Le regard de Jean-Christophe
J’apprends aux personnes qui viennent me voir à débrancher leur mental pour le
laisser se reposer et récupérer pour ne pas qu’il « tilte » !
Les pensées, c’est comme les notes en musique. Si tous les instruments jouent
tout le temps et tous ensemble, cela ne fait pas de la musique mais du bruit. Notre
cerveau tout comme la musique a besoin de silence. Je taquine souvent mes
patients en leur disant que je vais leur apprendre à être « con ». C’est d’ailleurs un
compliment pour les clowns !

En fait, il est intéressant de penser surtout lorsque l’on a besoin de


réfléchir et de résoudre un problème. Si on n’appréhende pas la vie comme
un problème, il n’y a pas tout le temps des problèmes à résoudre, aussi on
n’a pas toujours la nécessité de penser ! En outre, de nombreuses situations
peuvent être négociées avec notre intelligence émotionnelle, celle qui part
de notre ventre et notre tête. Notre mental s’use dans ces ruminations,
commentaires et jugements. Il s’abîme dans nos luttes et réactions, notre
besoin de prévoir, planifier ou atteindre des objectifs que l’on se met ou que
l’on tente de nous imposer. Libérons-nous pour simplement vivre !
Organisons-nous des bulles sans notre cerveau.

Justine
Justine se plaint de ne pas savoir choisir et d’avoir l’impression de faire des
mauvais choix. Par exemple, lorsqu’elle va au restaurant, elle ne mange pas ce
dont elle avait envie. Elle se fait distraire par une pensée que lui raconte son
cerveau sur telle ou telle chose qui serait mieux pour elle. Elle suit les histoires
de son cerveau qui l’éloigne de ce qu’elle voulait finalement. De même,
lorsqu’elle fait des courses alimentaires sur Internet, elle se trompe souvent ou
achète des choses non fonctionnelles, car elle trouvait l’idée ou la couleur de
l’objet qui s’affiche amusante. Ces « accidents » sont source de sarcasmes de
la part de son compagnon auxquels elle répond agressivement par un texte
stéréotypé : « moi au moins je fais les courses, tu as toujours quelque chose à
dire… » En thérapie, elle prend conscience qu’elle n’est pas assez présente à
ce qu’elle fait et qu’elle se laisse vite distraire par ce que lui raconte sa tête.
Face à l’inconfort que lui procure ses erreurs, au lieu de simplement les
assumer et d’en tirer expérience, elle répond par une agressivité projective sur
son compagnon. Elle choisit d’éviter sa souffrance intérieure, quitte à abîmer sa
relation de couple pour ne pas être confrontée à la pensée hameçon : « je ne
suis pas à la hauteur ».

Une autre difficulté est de vouloir trouver de la réassurance chez l’autre.


Or être adulte, c’est être libre et donc être seul. C’est à nous de nous
rassurer tout seul car nous seul connaissons notre contexte et ce qui est
important pour nous. Ce n’est plus comme lorsque nous étions enfant où
notre énergie était au service de satisfaire nos parents. Ceux-ci ont une
fonction de tuteurs pour nous aider à grandir. En outre, nous avons, depuis,
pris conscience que nos parents n’étaient que des êtres humains avec leurs
imperfections et non plus ces modèles imaginaires. Être adulte, c’est
s’émanciper de ce principe de tuteur. Prendre trop appui sur l’autre et sa
pensée est prendre le risque d’une dépendance. Cela ne nous apprend pas à
renforcer l’autonomie nécessaire pour vivre pleinement notre vie d’adulte.
Beaucoup de personnes sont distraites dans leur comportement par des
pensées hameçons sur ce que pense l’autre de soi. Aborder la situation sur
le regard de l’autre pour se rassurer n’est pas fonctionnel pour plusieurs
raisons :
• Tout d’abord, le contexte de l’autre n’est pas le nôtre. L’autre voit les
choses de sa perspective.
• L’autre est souvent aussi anxieux que nous et cherche lui aussi à se
rassurer dans notre regard. Cette course à la réassurance peut être à
l’origine de quiproquos. En effet, quelqu’un qui exprime peu de choses
par manque de confiance peut être perçu comme étant froid, hautain,
sûr de lui… Il est souvent gagnant, dans les relations sociales, de se
détacher de son anxiété et de centrer son attention sur la façon de
prendre soin de l’anxiété supposée de son interlocuteur12. Ce n’est pas
parce que nous commentons tout que l’autre fait de même. On projette
juste notre problématique par une représentation autocentrée du
monde.
• Souvent l’autre pense à des choses beaucoup plus banales qu’on
imagine : j’ai une tache sur mon pantalon, j’ai envie d’aller aux
toilettes, il y a un truc qui me gratte, qu’est-ce que je vais faire à
manger ?
C’est en osant être soi-même que nous sommes les meilleurs. Cela nous
demande d’accepter le vertige du vide en ne trouvant pas un appui sur les
personnes qui nous entourent, mais en s’appuyant sur ses convictions et ses
intentions.

La vie est comme jouer au football


Si on se met à commenter un match de football, on se situe dans les
gradins et non sur le terrain en train de jouer. Posons-nous régulièrement la
question de savoir où nous nous positionnons dans notre vie : sur le terrain
de notre vie ou dans les gradins ? À force de commenter, nous risquons de
passer à côté de la vie et de ses saveurs sensorielles.
En outre, trop penser à ce que les autres pensent de nous risque de
changer ce que nous pensons de nous-même.
La procrastination
La procrastination est le fait de repousser au lendemain les tâches que l’on aurait
à faire aujourd’hui. Cela touche surtout des tâches comme faire des papiers
administratifs, du nettoyage, du repassage. En fait, il ne s’agit pas d’une difficulté
à faire certaines choses, mais d’un évitement à y penser. Comme nous jugeons
ces tâches, elles sont à l’origine d’un surplus de pensées. Notre esprit les fuit en
se réfugiant dans des rêveries ou en activant son système neuronal de repos, plus
confortable pour lui. La procrastination est souvent présente dans la
trichotillomanie. Dans cette pathologie, la tension que procure la pensée se purge
dans le comportement d’arrachages des cheveux.

Par bêtise ?
En entendant, certains propos ou commentaires, nous nous sommes tous
dits probablement un jour, à propos de quelqu’un : « mais quel con ! » ou
de façon plus révoltée : « ce n’est qu’un sale con » à propos d’un voisin,
collègue ou de toute personne ayant un pouvoir d’autorité sur nous. Ce
sentiment a d’ailleurs été l’objet d’un film, Le dîner de cons de Jacques
Weber. Dans ce film, un groupe d’amis jouent à inviter un « con » pour
l’entendre parler de sa passion à sa manière… Jacques Villeret est excellent
de spontanéité dans ce rôle de « gentil con ». Quant à Daniel Prévost, il fait
planer le risque d’être un « sale con ». En fait, dans cette histoire, cela ne se
passe pas comme prévu et le « con » présente aussi des qualités. En outre,
dans la vraie vie, on se rend vite compte que l’on est probablement tous le
con de quelqu’un d’autre… D’ailleurs nombre d’entre nous avons pu nous
dire que nous avons été effectivement cons dans telle ou telle situation, en
nous regardant simplement dans la glace. Ce questionnement nourrit le
syndrome de l’imposteur avec l’impression de ne pas être à notre bonne
place au travail ou ailleurs. Mais, au final, qu’est-ce qu’un « con » ?
Eric Schwitzgebel, professeur de philosophie de l’Université de Californie,
a essayé de définir le con13 dans la revue Nautilus. Pour cet auteur, il s’agit
d’une personne incapable de comprendre le point de vue de ceux qui
l’entourent et les traite comme des outils à utiliser ou des idiots à gérer
plutôt que de semblables sur le plan moral. Le con est celui qui ne fait pas
l’effort de se mettre à la place de l’autre ou qui gère sa vie de façon
autocentrée. On peut aussi avoir des propos ou des comportements « cons »
par bêtise, c’est-à-dire parce qu’il manque trop de connaissances ou
d’informations à la personne pour avoir une « juste » attitude. Cet auteur
ajoute que cette théorie du « con » nous est utile car, en cataloguant
quelqu’un de con, cela nous permet d’avoir une compréhension « clinique »
de l’individu qui interagit avec nous et ainsi de pourvoir garder son calme
(puisque ce n’est qu’un con…) face à une attitude illogique,
incompréhensible ou inacceptable.
Le philosophe américain Aaron James estime qu’un « connard » est
quelqu’un qui se permet d’utiliser les autres en ayant un sentiment
profondément enraciné qu’il a le droit de le faire. C’est aussi quelqu’un qui
applique de façon stéréotypée un principe ou une mesure sans tenir compte
du contexte, au risque d’aggraver une situation. C’est-à-dire quelqu’un qui
ne fait pas preuve de capacité d’adaptation : c’est un supérieur, un voisin,
une personne porteuse d’un pouvoir d’autorité…
Le con se nourrit de ses succès qui alimentent sa toute-puissance et qui
l’éloigne de la perspective de l’autre. La pratique de la pleine conscience
permet de gagner en humilité apprenant à mieux se connaître et à accueillir
les fragilités telles que des failles narcissiques pouvant nourrir une connerie
et s’accorder des droits particuliers ou d’imposer des choses à l’autre.
Nous avons probablement tous été « cons14 » un jour lorsque nous nous
sommes coupés de l’autre ou que nous n’avons pas pris en compte
suffisamment d’éléments pour aborder correctement une situation. Si je vois
un « 6 », il m’est nécessaire de prendre conscience que ce n’est qu’un point
de vue et que l’on peut aussi considérer ce chiffre comme un 9 (voir page
200). La pleine conscience rend humble et pose l’individu comme un
simple humain.
La peur d’être pris pour un « connard » nous amène parfois, par inquiétude,
à venir s’excuser de son comportement ou de ses propos. Cette façon de
faire nous différencie d’ailleurs du « connard » qui ne s’excuse jamais.
Certaines personnes abusent de ces excuses. Ils donnent le sentiment de
jouer les victimes pour qu’on les rassure ou qu’on les sauve. Ces personnes
ne sont pas des connards mais des pénibles !
Nous sommes irrémédiablement toujours le con de quelqu’un d’autre. Tout
simplement parce que la vie sociale est faite de compromis. Or pour
construire ces derniers, il est nécessaire d’être deux. Il se peut que, malgré
toutes nos bonnes intentions, nous finissions par être le con de l’autre qui
n’est pas capable de construire ce compromis. En n’épousant pas
complètement sa perspective, nous finissons par épouser ce statut. C’est un
risque à prendre et à assumer.

Par narcissisme ou attitude autocentrée


Parler en réaction à sa fragilité narcissique
Nous parlons car nous ne savons pas toujours quoi faire de notre fragilité.
Cette fragilité est faite de notre sensibilité. Vivre demande à avancer, tel un
fildefériste, sur le fil de la vie avec, d’un côté de notre balancier, une tête
qui nous raconte des histoires et, de l’autre côté, des émotions qui
angoissent certains. L’histoire de vie de certaines personnes fait qu’elles
sont constituées de plus pensées ou d’émotions que la moyenne qui, en
alourdissant un côté du balancier, sont à l’origine d’un déséquilibre.
D’autres vont « juger » ce mécanisme ce qui les déséquilibre aussi.
Cette fragilité, certains l’appellent l’enfant intérieur avec qui nous avons
à cohabiter et à prendre soin. Selon la conscience que l’on a de soi et nos
compétences à l’introspection, nous avons plus ou moins conscience de cet
enfant intérieur. D’autres personnes, plus dans l’impulsion et l’extériorité,
auront mis leur enfant intérieur dans un tiroir. Privé de contact, cet enfant
intérieur s’exprime par une agressivité verbale ou comportementale.
Certaines personnes résolvent la difficulté d’être en se construisant un
personnage de malheureux. Des personnes préfèrent se plaindre pour ne pas
être surpris lorsqu’ils rencontreront de vrais problèmes. D’autres parlent car
leur tête leur raconte parfois qu’il est plus intéressant que cela n’aille pas.
Le malheur était d’ailleurs à la mode au xixe siècle. La mélancolie était
recherchée. Beaudelaire a fait de très jolis poèmes sur le spleen. Le
dessinateur Reiser disait dans la bande dessinée Gros Dégueulasse : « les
gens heureux me font chier ». Agrippine, héroïne adolescente de Claire
Brétecher, disait se sentir mieux quand sa mère lui racontait ses soucis.
Quel paradoxe de notre cette société où nombre d’entre nous réclame le
bonheur tout en ayant des difficultés à le vivre et à l’apprécier.
Nous pouvons aussi réagir à cette fragilité en nous pavanant, en étant
agressif15, en nous justifiant, en essayant d’avoir l’air ou en remplissant
notre vide existentiel par des discours. Nous parlons car nous nous sentons
en insécurité ou pour lutter contre l’angoisse de mort. Nous créons ainsi un
« faux self » qui s’exprimera à travers des réactions verbales agressives ou
plaintives. Tout sera sujet à commentaire pour repousser les événements de
vie à l’extérieur de soi afin qu’ils ne perturbent pas un équilibre intérieur
précaire. Quant aux commentaires, ils auront dans ce cas une fonction de
protection à l’introspection pour ne pas avoir à se remettre en cause ou à se
responsabiliser. Le problème sera projeté ailleurs qu’en soi au risque de
passer à côté de sa vie en ne l’ayant que commentée.

Aborder le monde de façon autocentrée


Notre référentiel premier est nous-même. Notre premier réflexe est
d’aborder notre environnement selon ce référentiel intérieur. L’enfant se
construit en fonction de lui-même, qui est la première expérience qu’il fait.
Habituellement, avec le temps, les êtres humains construisent une capacité
d’empathie. C’est-à-dire qu’ils vont être capables de visualiser et de
ressentir la perspective de l’autre pour construire une vision globale de la
situation. Certaines personnes, par manque de maturité, de conscience ou
d’intelligence, restent dans une perspective autocentrée. Cette perspective
déforme la réalité et est à l’origine d’interprétations. La personne qui en
souffre risquera de ressentir le monde comme agressif ou se culpabilisera
facilement.

Autocentrés
Lorsque l’on n’est pas de son avis, Gérard catégorise ses interlocuteurs comme
des cons. Cette vision est due à sa difficulté percevoir le contexte de son
interlocuteur et de concevoir que l’autre puisse avoir un avis différent tenant
compte de celui-ci dans son appréciation, sans être contre Gérard. Il est juste
différent.
Lucille souffre lorsque quelqu’un passe à côté d’elle sans lui dire bonjour. Elle
pense tout de suite qu’elle est nulle ou qu’elle a fait quelque chose de mauvais.
Elle a des difficultés à appréhender que la personne est prise dans ses
problèmes et qu’elle n’a pas choisi de ne pas dire bonjour contre Lucille mais
uniquement parce qu’elle était dans sa bulle.
Awa est anxieuse lorsqu’elle passe un examen ou un entretien car elle a peur
de ne pas être à la hauteur. D’ailleurs, elle l’exprime régulièrement à son
entourage. Elle a commencé à aller mieux lorsqu’elle a compris que ses
interlocuteurs étaient aussi des êtres humains qui pouvaient être aussi anxieux.
Des examinateurs, des inspecteurs d’auto-école, des recruteurs peuvent être
anxieux de peur de ne pas pouvoir être eux aussi à la hauteur.
Marie est une femme anxieuse. Pour ne pas souffrir, elle s’est construit un
monde intérieur avec des éléments rassurants. Tout ce qui lui arrive passe à la
moulinette de son monde intérieur. Elle n’hésite pas à tordre l’histoire ou à la
réinterpréter pour que celle-ci rentre dans les canons de son monde intérieur
rassurant. Si nécessaire, elle n’hésite pas à dénier la réalité. Lorsque ce n’est
pas possible, elle n’hésite pas à dire à son entourage qu’il se trompe ou qu’il
changera d’avis. Parfois certaines phrases de ses interlocuteurs restent en l’air
et glissent sur elle. En effet, les examiner et répondre serait leur donner une
existence avec le risque de perturber sa paix intérieure.

Il est difficile pour de nombreuses personnes de cohabiter avec leur


fragilité intérieure sans rentrer en lutte avec elle, la commenter ou la juger.
Que de mots et de paroles sont utilisés pour se défendre ou réagir à ce que
l’on interprète comme menaçant. Notre société valorise des personnes
fortes alors que la vraie force est peut-être d’être authentique en sachant
cohabiter avec cette fragilité.
Beaucoup, lorsqu’ils parlent d’autrui, parlent en fait d’eux et de leur
conception d’appréhender le monde. Lorsqu’Anouk dit à son compagnon
qu’il est égoïste, qu’il ne se remet pas en cause et qu’il ne sait pas s’excuser,
en fait elle parle probablement d’elle. Sa gestion émotionnelle l’amène à
être projective. L’autre sert de miroir. Il est la conséquence d’un évitement
de son ressenti intérieur. Pour son intériorité, il est plus confortable et plus
tolérable de projeter tout ressenti qui pourrait exposer sa vulnérabilité.
Faites l’exercice d’observer le contenu des critiques des personnes qui vous
entourent.
Exercice
Prenez le temps d’écouter les mots de vos interlocuteurs lorsqu’ils parlent ou
lorsqu’ils commentent la politique, les informations, la vie de quelqu’un ou sa façon
d’être ou lorsqu’il s’agit de vous. Posez-vous la question : de qui parle-t-on
vraiment ?

Par orgueil
L’orgueil est la valeur que l’on s’octroie. Il s’appuie sur l’estime de soi et la
valeur intrinsèque que l’on s’attribue. Il est nécessaire car nous avons tous
besoin de ressentir que nous avons une valeur. Comme dit la publicité :
« parce qu’on le vaut bien ». Un défaut d’orgueil est source de souffrance,
d’anxiété et de dépression.
Certaines personnes parlent du fait d’un orgueil mal placé. Tel des paons, ils
ont besoin de dire pour justifier leur valeur intrinsèque ou ils tentent par le
discours de s’octroyer des qualités qu’ils n’ont pas au risque de pêcher par
vantardise, vanité ou par bêtise. Lorsqu’il devient délirant, cet orgueil
alimente une paranoïa comme celle des inventeurs méconnus. Ces
personnes entretiennent de futiles combats pour se défendre de tout ce qui
pourrait altérer à leurs yeux cet orgueil. Alors que l’orgueil se raconte
rarement. Il suffit d’être simplement là en pleine conscience de ce que l’on
est et de qui on est, telle une diva qui existe sans avoir besoin de se justifier
ou de donner d’explication. Un bon orgueil permet de dire ou faire quelque
chose par choix, tout simplement parce que l’on en a envie, besoin ou parce
que c’est adapté à soi. Cet orgueil génère de la persévérance et de
l’opiniâtreté. On s’engage dans des actions parce que l’on souhaite se plaire
à soi comme le disait Paul Valéry et non pour les autres, ce qui serait de la
vanité.
Certaines personnes prennent plaisir à jouer et à mettre en scène leur orgueil
pour muscler leur liberté d’être ou juste pour le plaisir, tel Cyrano de
Bergerac qui, malgré sa fragilité, entend occuper librement une large place.
Le panache est une façon de se faire plaisir malgré l’adversité ou la dérision
de la situation par une parole, mais aussi pour ne pas s’abîmer au contact
des épreuves. Cyrano de Bergerac tient à garder sa grandeur quel que soit la
situation, il n’est pas un servant, même devant la mort.
… Il y a malgré vous quelque chose
Que j’emporte, et ce soir, quand j’entrerai chez Dieu,
Mon salut balaiera largement le seuil bleu,
Quelque chose que sans un pli, sans une tache,
J’emporte malgré vous,
Et c’est…
… Mon panache
Edmond Rostand – Cyrano de Bergerac

Au cinéma, Jean Gabin a souvent tenu des rôles de personnages orgueilleux


à la langue acérée et qui ne s’en laissaient pas compter. Les Bretons
ressentent une identité forte : Pierre-Jakez Hélias n’a-t-il pas écrit sur eux
Le cheval d’orgueil ? On dit que les Bretonnes ont la langue pointue en
disant crûment et directement les choses sans utiliser d’enrobage et sans
avoir peur de piquer.

Pour faire le beau ou la belle mais aussi


par flatterie
La parole fait partie de la panoplie du séducteur ou du comportement de
séduction. Elle est là pour flatter, se mettre en valeur, jouer ou exciter
l’intérieur de son interlocuteur afin de faire naître le désir, la rencontre et de
nouer un lien. Elle est utilisée dans la parade amoureuse, mais aussi dans la
flatterie pour abuser d’une personne. Pour exister, ce jeu de la séduction
doit laisser de côté l’orgueil qui peut s’abîmer en cours de chemin. La
différence entre un séducteur et un malheureux en amour est le nombre de
tentatives. Le séducteur, pour gagner une fois, tentera de nombreuses fois
son coup sans se morfondre de ses échecs alors que le malheureux souffrira
du premier refus. Jouer à la séduction demande à savoir perdre. Les
hommes politiques ont probablement un orgueil inaltérable, inatteignable,
situé au-dessus de la mêlée ou absent pour être capables de tolérer tout ce
qui se dit sur eux et toutes les épreuves qu’ils auront à affronter. Cependant
le jeu de la séduction est là pour aboutir afin de ne pas souffrir. Le Don Juan
est un séducteur compulsif qui devient addict pour finir par vivre bien seul,
faute de pouvoir nouer un lien authentique. Il accumule les femmes comme
des trophées pour nourrir un orgueil fragile souvent dû à un manque
d’amour maternel. Dans Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, les
deux protagonistes s’épuisent dans ces jeux de paroles.

Comment séduire
La parole est outil de séduction. Elle stimule, excite la pensée, mais doit
être aussi rassurante pour trouver le juste milieu qui rend disponible
l’interlocuteur, lève ses défenses et lui donne envie de s’engager dans la
relation.
Ce comportement de séduction s’exerce dans la vie amoureuse,
professionnelle ou politique. Il se fait intentionnellement ou à l’insu de soi.
Le séducteur se met au même niveau que son interlocuteur pour nouer un
jeu relationnel horizontal. Au contraire, un parent doit nouer une relation
verticale pour ne pas prendre le risque d’une relation de séduction et de
perdre son autorité.
L’enjeu n’est pas le même pour un garçon et une fille dans ce
comportement de séduction.
Le jeu de séduction féminin est d’attirer le garçon, plus pulsionnel et plus
dans l’acte, vers elle en soignant ce qu’elle dégage. Le risque est pour elle
d’être une femme « Barbapapa ». Tout comme cette sucrerie, très
« appétissante » de l’extérieur mais vide lorsqu’on la croque. Quant au
garçon, le risque est de mal interpréter les signaux féminins en y étant
aveugle ou autocentré sur son envie, sans tenir compte du désir de l’autre.
Le jeu de séduction du garçon est de stimuler le ressenti intérieur de la
fille tout en la rassurant. Le silence est utile dans la séduction, car il permet
de faire mûrir le désir et le fantasme chez la fille. Mais à vouloir trop
maitriser ce jeu, le risque est de souffrir du syndrome de la savonnette. Plus
on veut contrôler une savonnette, plus elle nous échappe et tombe. Le jeu de
séduction se pratique en agissant et en se retenant, en s’avançant et en
s’éloignant. Le danger pour le garçon est de vouloir « scorer » tout de suite.
La saveur de la séduction est aussi dans le fait de prendre son temps et
dans le respect de l’autre car, pour y jouer, cela demande d’être deux. Dans
le film Good Morning England de Richard Curtis, Midnight Mark est un
personnage noctambule parlant peu mais qui arrive à séduire toutes les
filles. Sa technique est de se poser silencieusement face à une femme. Cette
dernière commence à parler pour se connecter à Mark. Faute de réponse une
tension s’installe, source de questions et d’angoisses. Mark explique qu’au
paroxysme de la situation, il n’a plus qu’à dire à la femme de venir à lui.
Celle-ci obtempère trouvant un soulagement dans cette relation enfin
proposée. Beaucoup de femmes se fourvoient dans des relations
destructrices en voulant être la belle qui saurait séduire la bête rustre et
silencieuse. Elles oublient en chemin que ces ours ont aussi des griffes qui
font mal et qu’elles peuvent se retrouver écrasées dans une relation non
fonctionnelle.
Le comportement de séduction, mais aussi ce qui rapproche deux
individus, est beaucoup plus riche que ce qui est exposé ci-dessus. Le jeu de
la parole a cependant une importance qu’il est intéressant d’observer et qui
est, selon les cultures et le contexte, un art de la communication ou de la
manipulation. Quand il prend la forme de la flatterie, il est une façon
d’abuser l’autre pour le manipuler. Le renard en joue pour se payer le
corbeau chez Jean de Lafontaine et le Bourgeois Gentilhomme de Molière
se laisse duper pour essayer d’être un autre que lui. L’envie et le désir sont
des leviers qui peuvent être facilement instrumentalisés par un interlocuteur
malveillant.
Les effets au théâtre
Si le comédien recherche trop l’effet, il risque de le rater. Un effet comique ne
souffre pas la préméditation. Il touche pleinement lorsque celui qui le prononce ne
pense surtout pas à ce qu’il va produire sur celui qui l’entend.
Se commenter intérieurement sur scène est source de déconcentration,
d’abandon de « l’ici et maintenant » et de rupture de la relation au monde
extérieur.
« Joue et ne commente pas ton jeu. » (Commandement de comédien)

Le conseil de Laurent
Ne soyons pas les commentaires de nos actions ou émotions et de celles des
autres. Attendons la fin de la représentation, l’accueil du public. À froid de
préférence et surtout pas pendant.
Si nous commentons pendant, nous sommes juge de nous-même en bien ou en
mal. C’est bien ce que je fais, je vais en rajouter une petite couche. Ils ne
réagissent pas, c’est mauvais, moi ou eux…
Les histoires que l’on se raconte dans les mauvaises histoires
d’amour
Les hommes parlent beaucoup aux femmes lors de leurs comportements de
séduction. Cela a été l’objet d’une célèbre chanson de Dalida (Paroles,
paroles). La fonction de ce comportement est « d’allumer » le cerveau
émotionnel des femmes. Celles-ci ont une plus grande propension aux
émotions et une plus grande difficulté que les hommes à les stabiliser, ce
qui les amènent à se raconter aisément des histoires… En outre, elles ont
une vulnérabilité à être « aimantées » par leur interlocuteur. D’ailleurs,
certaines femmes disent qu’elles doivent lutter contre leur tendance à
« aimer » des hommes qu’elles savent foncièrement toxiques pour elles. Les
paroles de ces messieurs sont donc là pour engendrer un vent émotionnel à
l’origine d’une confusion et d’histoires qui happeront la personne dans les
bras du séducteur.
Une célèbre chanteuse a raconté dans les médias que, plus jeune, elle
était tombée amoureuse d’un homme ténébreux et qui parlait peu. Elle
trouvait sa façon de distiller les mots très sexys reflétant une très grande
intériorité. Il lui a fallu quelque temps pour se rendre compte que cette
personne n’était pas intérieure mais juste « conne ». Elle s’était raconté une
histoire qui a nourri un roman amoureux l’éloignant trop loin de la réalité.

Simone et Hugo
Simone est tombée très rapidement amoureuse d’Hugo. Très rapidement, elle
s’est rendu compte qu’il ne lui convenait pas et qu’il était un petit peu
manipulateur. Elle a mis fin à l’histoire. Cependant, comme elle en avait
apprécié certaines facettes, elle s’est dit que cela serait bien de pouvoir
tranquillement se dire en revoir au cours d’un dîner. Elle s’est dit « qu’entre
adultes, on pouvait se quitter avec élégance ». Lors de l’apéritif, la discussion a
été vite tumultueuse. Hugo lui a fait plein de reproches. Elle a répondu
vivement. Ils ont continué leurs vifs échanges au cours du dîner. Elle est
finalement rentrée chez elle en pleurant. En reprenant cet événement en
thérapie, elle a pris conscience qu’elle s’est raconté une histoire sur la façon de
se séparer. Évidemment, Hugo a continué à être lui-même, c’est-à-dire un être
manipulateur ne sachant pas être dans l’écoute, l’empathie et l’échange. Elle
s’est sentie comme « un lapin dans les phares » et n’a pas su dire stop pour
réajuster son intention au contexte. Elle s’est retrouvée déconnectée d’elle-
même et paralysée. Elle a pu relier cette histoire à d’autres situations où elle se
fourvoyait parce qu’elle se racontait une histoire dans sa tête qui ne
correspondait pas à la réalité.
Nous nous racontons tous des histoires sur nos partenaires amoureux. Ces
histoires constituent la perception fantasmée de l’autre qui participe au jeu
de séduction et à l’érotisme. Il faut simplement être capable de retrouver si
besoin la réalité ou de faire la différence entre les fantasmes et la réalité
pour ne pas se fourvoyer.
Cette propension à se raconter des histoires font que certaines femmes
sont vulnérables aux manipulateurs et aux fameux « pervers narcissiques ».
Ceux-ci, en donnant des informations contradictoires et en maniant la
douche écossaise, créent une confusion dans l’esprit de leurs victimes qui se
laissent happer par leurs histoires intérieures. C’est aussi le cas pour
certaines femmes battues. En effet, certaines femmes, face à une
maltraitance, rompent immédiatement afin de ne pas avoir à subir à
nouveau une maltraitance, d’autres se laissent happer par des histoires
intérieures en trouvant des excuses fallacieuses aux comportements de leur
partenaire : il est fatigué, il a eu des soucis, c’est à cause de son enfance…
et finissent par accepter l’intolérable.

Les pervers narcissiques : de dangereux séducteurs


Les pervers narcissiques : de dangereux séducteurs
Les pervers narcissiques utilisent la parole pour manipuler et jouer de leurs
partenaires avec sadisme. La parole est leur arme principale. Pour atteindre leur
but, ils utilisent une communication floue qui alterne le chaud et le froid et qui
provoque une perte de repère et de sens chez la victime. Le pervers saura être
séducteur, plaisantin, frustrant ou autoritaire selon les besoins pour embarquer
l’autre dans un tourbillon. Toute tentative de justification donne des outils à son
bourreau pour se faire battre. Une fois la victime prise dans la confusion, elle
devient le jouet du pervers comme un chat jouant avec une souris. Les victimes de
choix sont celles qui ont une forte propension à la culpabilité et à la remise en
cause. Prises dans le doute engendré par leur bourreau, elles s’interrogent plutôt
que d’interroger les bonnes intentions de leur partenaire et de savoir si la relation
est saine, respectueuse et fonctionnelle et se retrouvent engluées dans la toile
tissée par le pervers. L’instrumentalisation médiatique de ce terme stigmatise
plutôt les hommes. Mais ce trouble touche aussi les femmes.
Face à un pervers, une seule solution : prendre la poudre d’escampette pour fuir
au plus loin. Inutile de discuter ou de vouloir faire entendre raison, il est toujours
plus fort que sa victime dans l’art de la dialectique. Toute parole sera une arme qui
se retournera contre soi.
La définition du pervers narcissique reste discutable en tant qu’entité
psychopathologique. D’ailleurs, cette entité n’existe qu’en France. Dans une très
large majorité de pays, il s’agit simplement de psychopathes. Cette dénomination
est très à la mode. On la retrouve régulièrement dans la presse et sur Internet.
Cette catégorisation qui connaît un succès populaire est souvent instrumentalisée
dans les conflits familiaux ou professionnels. Certaines personnes prises dans des
différends feraient mieux de se taire ou, du moins, trouver d’autres façons de
résoudre une problématique que de lancer certaines accusations.

Parce que la vie n’est que théâtre


Léo Ferré disait que l’on naît et que l’on meurt et qu’entre deux, il n’y avait
que des faits divers. Au fond, qu’est-ce qui est vraiment significatif dans la
vie et dans l’existence ? La plupart des choses que nous aurons fait et dit
aujourd’hui seront obsolètes ou oubliées demain. En outre, à l’échelle du
temps et de l’univers, toute notre agitation est bien peu. Pourtant, nous
mettons beaucoup d’énergie à les faire et à les dire dans un ballet social
d’échange, de propos et de discours. Peu d’entre nous auront une œuvre
significative qui restera dans la vie. William Shakespeare, dans Comme il
vous plaira, disait : « Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et
femmes, n’en sont que les acteurs. Et notre vie durant nous jouons plusieurs
rôles. »
Dans Hamlet, il a ajouté : « Le théâtre a pour objet d’être le miroir de la
nature, de montrer à la vertu ses propres traits, à l’infamie sa propre image,
et au temps même sa forme et ses traits dans la personnification du passé. »
La vie est théâtre, mais le théâtre c’est la vie. Ces palabres et ces échanges
nous sont nécessaires pour vivre. L’isolement social est une torture
mortifère. Des rats isolés dépérissent. La simple présence de congénères
dans une cage voisine les revigore.
Notre vie n’est-elle pas aussi futile et nécessaire que le théâtre ? Ne s’y
joue-t-il pas des comédies et des drames comme sur scène ? Ne tenons-nous
pas un rôle social ?
À part les monologues, les pièces de théâtre sont conçues avec différents
personnages. Le verbe est inégalement réparti. Comme dans une soirée,
certains se font remarquer par la parole, d’autres par leur silence dans ces
échanges relationnels. Par exemple, dans la pièce de Jean Cocteau, Le Bel
Indifférent, seule la femme au sein du couple s’exprime verbalement. Lui,
lit son journal allongé. Certains silences s’installent, d’autres passent. Pour
jouer au théâtre, le comédien doit savoir tenir le silence par sa simple
présence tout comme dans la vie. Ce n’est pas parce que l’on a peu à dire
sur scène que le rôle n’est pas important ou que l’acteur est inexistant. On
dit d’ailleurs qu’il n’y a pas de petits rôles. Certaines personnes sont
anxieuses de ne pas savoir quoi dire alors que savoir être simplement là est
aussi important pour exister.
William Shakespeare dit dans Le Marchand de Venise : « Je tiens ce monde
pour ce qu’il est : un théâtre où chacun doit jouer son rôle ». Alors arrêtons
de nous mettre la pression pour simplement jouer à la vie sans nous laisser
happer par la mythologie actuelle de la performance et des objectifs qui ne
génèrent que de l’anxiété et dont les résultats sont probablement si
insignifiants.

Par automatisme
Certaines personnes parlent de façon automatique. Les mêmes échanges se
répètent inlassablement comme si la même scène de théâtre se rejouait sans
fin avec les mêmes protagonistes. Le film Oui mais d’Yves Tallandier est un
film très pédagogique pour prendre conscience de nos échanges stéréotypés
qui nous amène à faire du surplace. Ces paroles se répètent comme un
disque rayé notamment dans l’intimité des familles et des couples.
Courteline n’a pas son pareil pour mettre à jour les tracasseries éternelles au
sein des couples, comme un scénario écrit à l’avance : un couple revient
d’un bal, Madame a eu le malheur d’échanger avec un soldat.
A : Flûte.
B : Ne te gêne pas pour moi, Ça me contrarierait.
A : Toi, tu vas nous fiche la paix ?
B : Qu’est-ce qu’il y a encore ?
A : Tu m’embêtes.
B : On t’a vendu des pois qui ne voulaient pas cuire ?
A : C’est bien. En voilà assez. Je te prie de me fiche la paix
B : Retour de bal, la petite scène obligée de chaque fois. Ah ! Dieu !… Prends garde que
je commence.
Courteline – La peur des coups

Par culture du bashing


Le bashing est un jeu collectif qui consiste à dénigrer une personne ou un
sujet. Il se pratique lorsque l’individu se met en posture de spectateur d’une
situation dans la vie réelle ou de ce qu’il lit sur Internet. Souvent malsain et
agressif, il est plus aisé sur Internet car il est facile de se cacher derrière un
anonymat, une distance physique sans être en face de la personne
concernée. Il est le propre des faibles et des malotrus qui préfèrent jeter la
pierre à ceux qui tentent de faire ou d’exprimer quelque chose au lieu de
prendre la responsabilité de s’engager dans la vie publique. De peur de se
sentir exclu du groupe des personnes nommées, ces personnes préfèrent les
détruire par lapidation verbale publique.
Les personnes médiatiques, les politiques, les stars sont des personnes qui
font souvent les frais de ce jeu qui se nourrit de la théorie du complot. Les
médecins, l’industrie pharmaceutique, les enseignants, les forces de l’ordre
sont actuellement souvent sujets de cette maltraitance. C’est aussi le
camarade d’école ou de travail que l’on maltraite du fait de sa différence ou
par violence ou bêtise gratuite. En pratiquant le « bashing », la personne se
raccorde à un groupe d’appartenance. Cependant, lorsqu’on pratique ce
sport, on oublie vite que, derrière l’icône, il y a des êtres humains comme
vous et moi. Il aboutit parfois à des drames comme des suicides ou un
abandon de certains métiers. Actuellement, il est de plus en plus difficile de
recruter des enseignants, des policiers ou des médecins. D’ailleurs, ces
professionnels ont un taux de suicide plus élevé que la moyenne nationale.
Le bashing est souvent le sport de la pauvreté d’esprit et de l’être qui
engendre des comportements idiots, détestables voire violent. Il met à jour
notre bestialité qui s’exprime à travers une agressivité gratuite. Or ce
comportement ne résoudra jamais la difficulté d’être de la personne qui le
produit, sa difficulté à négocier son environnement ou à négocier sa relation
à l’autre. Plutôt que de se connecter à sa fragilité, celui qui « bashe » tente
de se cacher derrière la violence d’un propos pour tout détériorer.
Cependant, le contexte actuel favorise le bashing. En effet, les institutions
et les personnes médiatiques, dans ce monde du spectacle, ont perdu de leur
légitimité et de leur respectabilité pour n’appartenir qu’à un cirque social. Il
semble urgent que des hommes de bonne volonté offrent un autre modèle de
société pour ne pas que la violence sociale et le barbarisme prennent le
dessus sur nos relations collectives comme c’est le cas avec le président
américain Donald Trump, l’islamisme ou le Brexit. Les Anglais se sont
réveillés douloureusement de leur choix qui ne s’est pas fait pour un projet
mais un peu par un bashing anti-Europe.
En outre la culture des petites phrases appréciées par les médias, la culture
des tweets et l’information à coup de titre favorisent l’expression de phrases
radicales qui se nourrissent d’un certain bovarisme.
Aux râleurs et aux commentateurs, il est toujours intéressant de leur
demander ce qu’ils font concrètement dans le quotidien sur le sujet qu’ils
bashent !
N’oublions jamais de vérifier si ce que l’on fait à autrui est vraiment ce
qu’on voudrait qu’on nous fasse.
3
Choisir de dire

Parler est un engagement répondant à une logique du sens pour atteindre


un objectif ou être au contact de ses valeurs.
Une célèbre scène du film de Sergio Leone, Le bon, la brute et le truand,
met en scène un tueur venant se venger de la « brute ». Pour cela, le tueur
pénètre dans la chambre d’hôtel au moment où la « brute » se délasse dans
un bain mousseux. Le tueur, au lieu de s’engager directement dans l’acte, se
répand dans un long discours revanchard. Au bout d’un temps, la brute sort
de l’eau de son bain un revolver pour descendre, sans autre forme de
procès, son interlocuteur. Il conclut la scène en disant : « lorsque l’on vient
pour tuer quelqu’un, on le tue, on ne cause pas ».

Dire est une histoire de contexte


Les mots n’expriment pas la même chose selon le contexte. Philinte le
rappelle à Alceste dans Le Misanthrope de Molière :
Alceste : Je veux qu’on soit sincère, et qu’en homme d’honneur, on ne lâche aucun mot
qui ne parte du cœur
Philinte : Il est bien des endroits où la pleine franchise
Deviendrait ridicule et serait peu permise ;
Et parfois, n’en déplaise à votre austère honneur,
Il est bon de cacher ce qu’on a dans le cœur.

Ajustons notre parole, notre intonation, mais aussi les mots et le rythme au
contexte de la situation. D’ailleurs, nous le faisons spontanément : on ne
parle de la même façon à quelqu’un qui vous demande un renseignement
dans la rue et à son enfant qu’on cherche à rassurer. Nous ne nous
exprimons pas de la même façon sous la neige que sous le soleil du désert.
Dans une église, nous chuchoterons, en montagne, nous placerons nos
mains en porte-voix à gorge déployée. En outre, certaines personnes ne
manquent pas une occasion de nous le rappeler à travers les expressions
suivantes : Ce n’est pas le moment de le dire ! Mettre les pieds dans le plat !
Tu as perdu une occasion de te taire.
Une bonne blague, qui nous fera rire, n’amusera pas forcément tous les
publics. Dans le film Ridicule de Patrice Leconte, l’abbé dit la blague de
trop, au mauvais endroit et à la mauvaise personne, ce qui lui vaut son
exclusion. N’oublions pas que nous nous exprimons toujours dans un
contexte (espace), au cours de circonstances (professionnelles, mariage) et
avec des personnes présentes tenant compte des rapports qu’elles
entretiennent.
La difficulté des nouveaux outils de communication et d’Internet est que la
personne qui s’exprime ne connaît pas et ne maîtrise pas le contexte de la
personne qui recevra le message. Il y a un grand risque de confusion, de
quiproquo et de mésentente. Ce risque a pris une tournure dramatique pour
Charlie Hebdo. Autrefois ce journal touchait uniquement les Français
habitant en France. Ces derniers, même s’ils désapprouvaient ce style
d’humour, avaient la culture et l’éducation pour digérer l’impact de ces
« bonnes blagues ». La mondialisation des informations a projeté ce type
d’humour auprès de personnes qui n’avaient pas les outils de
compréhension et d’acceptation de cette parole. Le choc culturel,
instrumentalisé par certains et démultiplié par les médias, a provoqué des
réactions démesurées et inacceptables dans notre contexte culturel français.
L’ouverture des frontières de la communication pose un véritable problème
sur la façon de communiquer tout en respectant les cultures et les libertés de
chacun.
Les clowns jouent du contexte et de leur ridicule1. Ils tirent leur comique en
modifiant le contexte pour mettre en scène l’absurde et le grotesque d’une
situation. Ils peuvent le faire car l’espace théâtral le leur permet et qu’ils
cabotinent avec le public. C’est-à-dire que, quel que soit leur détournement,
ils recherchent l’amour du public. En aucun cas, il ne s’agira de le
maltraiter.
Le théâtre se construit selon la règle des trois unités : temps, lieu et action.
Ces trois unités définissent le contexte dans lequel vont s’exprimer les
comédiens.
« Qu’en un lieu qu’en un jour un seul fait accompli tienne le théâtre rempli. »
Boileau

La dictature de l’authenticité et du
« moi-je »
La France est une société de droit. Son identité s’est construite sur la
déclaration des droits de l’homme. La notion de droits généraux permettant
la vie harmonieuse ensemble a progressivement disgressé au droit
individuel. De fil en aiguille, désormais, de plus de personnes s’imposent
dans l’espace public en argant qu’elles en ont le droit, instaurant ainsi une
dictature du moi-je. Parce qu’on a le droit, ces personnes affichent et
imposent leur existence et leurs propos sans considérer l’autre, contraint au
spectacle, et sans tenir compte de l’impact de leurs comportements. Ce culte
de moi-je entraîne ces personnes dans une consommation sociétale
autocentrée qui ne laisse pas la place à l’altérité. Fort ce principe, ces
personnes ne se gênent pas pour exposer haut et fort leurs ressentis, leurs
opinions, leurs demandes. Ils parlent à tue-tête au théâtre, au cinéma, devant
le spectacle d’un paysage. Ils téléphonent avec leur mobile dans le train et
dans la rue. Ils polluent les réseaux sociaux de leurs commentaires ou de
leur absence d’avis tout simplement parce qu’ils en ont le droit et qu’il faut
être authentique !
Internet et les réseaux sociaux sont un terrain d’expression rêvé pour ces
personnes qui s’y repaissent en pleine régression infantile. N’ayant pas leur
interlocuteur face à eux, touchant parfois des inconnus, ils peuvent « se
lâcher » et compenser une médiocrité de l’être qui les empêchent d’être
libres dans la vie réelle. Ils réagissent à tour de bras en colportant des
rumeurs empreintes de théorie du complot. Cette dictature du fait que, si ces
personnes le pensent et le ressentent, cela veut dire que c’est pour eux vrai,
participe à la pollution verbale sur les réseaux sociaux. Mues par la bêtise,
ces personnes n’ont pas notion du contextualisme, de l’altérité et le sens de
comportements adaptés et respectueux, faisant place à la différence. Le
droit à l’expression s’est transformé en droit à l’opinion et à se répandre.
Les médias ont dû s’adapter à la vitesse d’Internet et disséminent des
nouvelles et des propos pas toujours vérifiés et aux conséquences
désastreuses lorsqu’elles sont décontextualisées, entretenant ainsi la culture
actuelle du bashing. Ils recherchent avidement les témoignages et les
propos incarnés.
J’ai le droit d’être informé sur la santé
et sur mes médecins2
En médecine, nous sommes particulièrement touchés par ce phénomène à
différents niveaux. Certaines personnes n’hésitent pas à demander des choses
acadabrantes ou inadaptées (une vaccination au médecin de garde à 6 h du matin
parce que leur enfant part en colonie de vacances à 8 h). Ensuite, les relations
entre les médecins et l’industrie pharmaceutique sont devenues taboues et
vécues comme honteuses dans notre pays. Personne ne se scandaliserait qu’un
étudiant ou un professeur en aéronautique entretiennent des relations avec
Airbus, qu’un étudiant ou un enseignant en robotique organisent des
collaborations avec des entreprises comme SEB, Thomson, mais on a dressé un
mur entre les médecins et l’industrie pharmaceutique. Les médecins doivent
déclarer toute relation avec l’industrie pharmaceutique dès qu’ils reçoivent un stylo
ou boivent un café. S’ils ont eu le malheur de travailler pour l’industrie
pharmaceutique dans le cadre d’un contrat de partenariat pour un réel travail
comme cela se fait dans tout autre métier, ils se retrouvent suspects et mis au
ban. L’État a même mis en place un système de délation sur Internet. Cette
suspicion provoque des scandales sanitaires orchestrés qui se font aux dépens
des patients qui se retrouvent de moins en moins bien soignés par défaut de
collaboration.
Les notices des médicaments et les contrats de soin à signer avant une opération
sont sources de nombreuses angoisses et phobies. L’information médicale brute
pour respecter le droit à l’authenticité et à la vérité est source d’une violence dont
le patient fait les frais.

Le misanthrope de Molière est un personnage liberticide. Il ne supporte pas


l’hypocrisie. De ce fait, il impose la dictature de l’honnêteté et de
l’authenticité à son entourage. La question est de savoir s’il est ainsi par
choix ou par réaction à sa jalousie et à sa frustration devant le spectacle des
présumés prétendants de Célimène faisant les beaux yeux. Son attitude
l’amène à s’enfermer dans une posture et un personnage, jusqu’à payer
celle-ci par un exil volontaire. Alceste n’est-il pas un orgueilleux qui pèche
par manque de flexibilité intérieure ?
« Je veux qu’on soit sincère, et qu’en homme d’honneur, on ne lâche aucun mot qui ne
parte du cœur. »
Molière – Le Misanthrope

Dire est aussi une histoire de corps,


ce n’est pas que la voix
Selon notre posture, nous n’exprimons pas la même chose. De plus, notre
corps participe au langage non verbal. Ce langage non verbal est perdu sur
les réseaux sociaux ou sur Internet. Les émoticônes sont une tentative pour
contourner ce problème. Le risque est d’en mettre trop ou de façon
inadaptée, ce qui peut paraître enfantin ou factice. Nous vous proposons de
faire des expériences afin de conscientiser votre posture et votre langage
corporel. Il est parfois utile de se voir filmer au cours d’une présentation
afin de réajuster sa posture afin qu’elle soit en adéquation avec ce que l’on
cherche à échanger.
Exercice
Observez votre posture et explorez d’autres façons de faire.
Avoir les bras croisés nous coupe des autres, comme si on s’en protégeait. Ne
mettons rien entre nous et l’auditoire. Faites l’expérience de mettre en avant votre
fragilité en étant tout nu sans vos bras.
Avez-vous les bras le long du corps ? Essayez ! Si les bras ballants vous gênent,
mettez-vous en mouvement. Ne dit-on pas « ne reste donc pas là avec tes bras
ballants » ! Pourtant, c’est l’attitude la plus naturelle ! Comme les singes !
Vous préférez les bras croisés, façon cliché « maîtresse d’école » ?
Certains optent pour les mains dans le dos, façon Sergent dans Full Metal Jacket.
D’autres se positionnent comme un défenseur avant un coup franc, les mains
croisées devant.
Surveillez l’état de votre colonne vertébrale. Est-elle arrondie, bien dans l’axe ou
en avant ? La colonne vertébrale parle. Essayez devant une glace, observez en
bombant le torse, ensuite plein axe et ensuite arrondie.
Bomber le torse offre une image de conquérant.
Puis creusez le dos et baissez la tête. Cette posture donne le sentiment d’être
résigné.
Recherchez la neutralité plein axe.
Observez et surtout sentez la différence.

Le conseil de Laurent
Restez toujours en ouverture face à l’autre. Soyez vigilant de ne jamais barrer
votre corps avec un bras. Osez l’ouverture et cette sensation de nudité car elle est
apaisante pour le public.
Décollez légèrement les bras du thorax pour donner de la rondeur au mouvement.
En effet, si les bras sont trop proches du thorax, seuls les avant-bras semblent en
action et étriquent le geste.
Quand vous montrez à l’écran à gauche, pointez votre pied gauche vers lui ;
quand vous êtes à sa droite, pointez votre pied droit, ainsi vous serez toujours en
« ouverture ».
Les techniques d’échauffement du clown permettent de conscientiser son corps et
de jouer avec lui pour muscler sa façon d’être et son authenticité. C’est en étant
soi et engagé corporellement que l’on s’exprime le mieux.

Bien dire engage l’ensemble de son corps. D’ailleurs, il est possible dire
beaucoup de chose sans la parole. Dans la relation de séduction, la femme
exprime souvent sa disponibilité plus dans l’expression de son corps que
par la parole. Des spécialistes analysent le langage caché des politiques à
travers leurs postures. On recherche les commentaires corporels qui
indiquent l’ouverture, la fermeture, le besoin d’apaisement et qui sont
souvent l’expression de notre cerveau émotionnel et nous échappent
fréquemment. Lors d’une prise de parole publique, il peut être nécessaire
d’apprendre à dire simplement les choses sans avoir de gestes parasites qui
troublent l’attention de l’auditoire ou qui donnent l’impression de s’excuser.

Perrine
J’ai pris conscience que, lorsque je parlais en public et que j’annonçais quelque
chose de difficile pour moi, j’avais le geste automatique de remettre ma mèche.
En fait penser à cette chose et me dire que j’avais à le dire créent une tension
que le geste de remettre ma mèche apaise. J’ai appris à ne plus le faire et j’ai
gagné ainsi en présence, en conviction et en autorité.

Le clown et la danse
Le clown3 et la danse4 sont deux modes d’expression qui mettent en avant
le corps. La parole est souvent de trop dans ces arts. Dans ces pratiques
artistiques, le fait d’être simplement là en jouant de soi ou en étant en
mouvement permet à l’auditoire de participer à un dialogue émotionnel. Le
clown cabotine avec son corps. Jos houben, dans son spectacle l’Art du rire,
montre avec drôlerie comment quelques variations posturales déclenchent
le rire et sont sources de jeu. Il suffit de se mettre en posture de spectateur
de l’autre pour voir sortir le clown de chacun. On rit de tendresse en mettant
le focus sur ces mimiques ou commentaires corporelles qui nous échappent
immanquablement et qui font de nous des humains. Le clown se nourrit
notamment de ceux-ci en les exagérant à travers un jeu avec le spectateur.

Perturbation à l’Assemblée nationale


Jean Lassalle est un homme politique qui a une approche clownesque de sa
vie politique. Il joue des situations pour cabotiner devant le regard de ses
spectateurs. L’un de ses moments de gloire a été le 3 juin 2003. Nouvel élu à
l’Assemblée nationale, il a voulu protester contre la fermeture d’une brigade de
gendarmerie dans sa circonscription. Ne se sentant pas écouté au sein de sa
majorité de droite, alors que le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, faisait un
discours, il s’est levé du fond de l’hémicycle pour chanter tranquillement
l’hymne occitan Se canto. Sa prise de parole a pris Nicolas Sarkozy au
dépourvu et l’Assemblée à contre-pied. En jouant sur le contexte et en
choisissant ce mode d’expression, il a su faire passer son message et est
devenu définitivement connu. Au-delà de l’anecdote, il est intéressant
d’observer, à l’instar de cette histoire, qu’il existe souvent des moyens
alternatifs pour s’exprimer.
Quant au danseur, il exprime, avec le corps qu’il a, le corps qu’il est. En
exprimant ainsi le « corps-pensée »5 sans les mots et dans une libre
verticalité, on évoque l’infini, la fragilité et la beauté de l’être à travers un
spectacle vivant qui va emporter le public dans un vertige poétique.
L’opposé est le corps horizontal du défilé militaire qui n’exprime que force
et dureté en martelant le sol au rythme de la musique.

Le tatouage
Le tatouage est aussi une expression corporelle. S’il est devenu à la mode
ces dernières années, il est source d’un paradoxe. En effet, il est étrange
d’exprimer quelque chose en marquant son corps définitivement. Est-on sûr
que ce que l’on est et ce que l’on pense sera identique demain ? Par
définition, la mode passe et pourtant le tatouage reste au risque d’être
obsolète, gênant ou étranger à ce que l’on est devenu. Notre être est en
évolution constante. Nous ne sommes pas exactement les mêmes personnes
qu’il y a cinq, dix, vingt ans et plus. Que serons-nous plus tard ? Si le
tatouage que l’on a choisi a un sens à un instant t, aura-t-il encore du sens
lorsque nous aurons changé, que notre corps qui le supporte aura évolué et
que le contexte dans lequel nous vivons aura changé ? Souvenons-nous des
choses que nous avons aimées et que nous trouvons désormais ringardes ou
« has been ». Si nous pouvons changer de vêtement, de voiture ou de
décoration chez soi, ce n’est pas aussi facile pour les tatouages. Dans 20, 30
ou 40 ans, il risque d’être amusant de voir ce marqueur des années 2000
évoluer sur les corps flétris.
Notre société s’est approprié ce mode d’expression identitaire et
symbolique de populations dites primitives ou particulières comme les
marins, les pirates ou présente chez les survivants de la Shoah, au risque de
devenir un bavardage que certains pourront regretter dans quelques années.
La mode est un jeu labile. Mais rendre définitif ces marqueurs identitaires,
n’est-ce pas l’expression d’une fragilité narcissique qui rend nécessaire de
dire pour être ? Faut-il savoir aussi se taire sur son corps ?
Passer à l’ACT6, autrement dit apprendre à surfer dans
la vie quotidienne car la vie ne se présente jamais comme nous
le voudrions
Les années 1990, une troisième vague de thérapies comportementales et
cognitives a vu le jour7. Celle-ci succède à la vague comportementale
(Pavlov) et la vague cognitive (Ellis et de Beck). Cette troisième vague
regroupe différentes thérapies comme la thérapie basée sur l’analyse
fonctionnelle ou FAP (Functionnal Analytic Psychotherapy), la thérapie
dialectique ou DBT (Dialectical Behavioral Therapy), la thérapie
intégrative pour le couple ou IBCT (lntégrative Behavioral Couple
Therapy), l’activation comportementale ou BA (Behavioral Activation) et
enfin la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience ou MBCT
(Mindfullness Based Cognitive Therapy) et ses divers protocoles de
prévention de la rechute dépressive ou MBSR (Mindfullness Based Stess-
Reduction) et l’ACT (Acceptation and Comitment Therapy). Elles
connaissent actuellement un essor important, tant dans la recherche qu’en
clinique. Ces thérapies centrent leurs actions sur le ressenti émotionnel et
utilisent des outils fonctionnels : l’acceptation, la pleine conscience, la
défusion8 cognitive, la dialectique, les valeurs, la spiritualité et les relations.
Ces actions sont contextualisées. Dans l’ACT, elles s’organisent selon six
processus psychologiques essentiels composant schématiquement
l’« Hexaflex, c’est-à-dire une forme en diamant à six pointes, du grec hexa
voulant dire six (voir schéma en fin d’ouvrage). En cela, les thérapies de
troisième vaque proposent un changement de paradigme dans la prise en
charge :
• L’objectif n’est plus de supprimer la souffrance et ce qui la déclenche
mais de travailler sur la relation que l’on entretient avec son
expérience intérieure.
• Elles s’inscrivent dans l’instant présent et s’occupent du « comment »
plutôt que du « pourquoi ».
• Elles instaurent une relation de collaboration avec le client pour l’aider
à gagner en flexibilité psychologique quelle que soit la pathologie.
Plus particulièrement, la thérapie ACT, ou thérapie de l’acceptation et de
l’engagement, est une thérapie qui se focalise sur nos relations avec nos
pensées et nos émotions pour mieux négocier le présent et pour choisir un
comportement fonctionnel à ce qui se présente à soi. Elle met l’accent sur le
fait que la pathologie est liée à l’évitement de l’expérience intérieure et de
la lutte que l’on entretient avec celle-ci.
C’est aussi une thérapie contextuelle. C’est-à-dire, ce que je vais faire ou
dire prend du sens en fonction de ce que je suis, ce qui m’entoure et ce qui
est important pour moi à cet instant. En outre, ce qui est important pour moi
ne l’est pas forcément pour les personnes qui m’entourent. Cette approche
contextuelle apprend que nous avons tous des goûts différents et que nous
avons à accueillir et accepter que nos choix puissent déplaire. Cela ne retire
rien à la valeur de ceux-ci et à la nôtre.

Surfer !
La métaphore de cette façon de se comporter est le surf. La vie ne se
présente jamais comme nous le voudrions. Les vagues sont les événements
de vie ou les émotions qui se présentent à nous. Si nous luttons contre les
vagues, nous finirons par boire la tasse. Si nous voulons comprendre
pourquoi, il y a des vagues, il y a matière à faire des thèses jusqu’à la fin de
sa vie. Vivre, c’est accueillir chaque vague pour la négocier tout en essayant
de se rapprocher de ce qui est important pour soi. Les corolaires de cela
sont :
• Surfer demande à s’inscrire dans le présent. Si on se laisse distraire par
les vagues suivantes sans être bien présent sur celle que l’on surfe, on
tombe à l’eau.
• Surfer demande de la flexibilité pour s’ajuster à la vague.
• Surfer demande à savoir tirer des bords pour se rapprocher de ce qui est
important pour soi.
• Surfer demande à s’engager dans la vague. Le risque est de terminer
comme Brice de Nice qui attend éternellement la bonne vague.
Une maxime dit que « ce que l’on ne peut empêcher, il faut le vouloir »
tout comme la vague. Pour ne pas tomber à l’eau, il est nécessaire de
vouloir la vague pour en faire une opportunité ou une chance au lieu d’un
objet de lutte.
Le regard de Jean-Christophe
J’explique à mes patients, qu’au cours de cette thérapie, je vais leur apprendre à
surfer. Aussi, très fréquemment, au début de chaque consultation, je leur
demande comment ils ont surfé la vie depuis la précédente consultation.

Dans l’approche ACT, vivre s’est savoir composer avec une souffrance
inhérente à la vie. En effet, nous aurons tous des frustrations, des problèmes
de santé, des vols, des déceptions amoureuses… On ne sait simplement pas
quand et dans quel ordre cela va nous arriver. Vivre, c’est apprendre à
composer avec l’angoisse de mort, le vertige de la liberté, la solitude ou
avec la peur de perdre ce que l’on a. Le pêcheur de Steinbeck finit par
choisir de remettre à l’eau la perle qui aurait fait sa fortune, ne supportant
plus les affres de l’angoisse de la perdre ou de se la faire voler. D’ailleurs,
Judith Viorst a écrit dans un livre que vivre était savoir renoncer9.
Cette souffrance est faite de pensées, d’émotions et de sentiments. En
fait, pour être moins radical, tout élément de vie génère une expérience
intérieure qui est plus moins confortable et agréable. Face à cette
expérience nous avons le choix d’avoir des actions qui nous rapprochent de
ce qui est important pour nous, ou d’essayer de trouver des actions pour
faire taire l’expression de cette expérience intérieure. Il existe de
nombreuses actions efficaces pour faire taire ce ressenti. Fumer, boire,
manger du sucre sont très efficaces pour apporter dans l’instant du
soulagement. La difficulté est que cela ne fonctionne que très peu de temps.
Ensuite, on se retrouve au contact de cette même souffrance intérieure sans
avoir appris à la gérer et à composer avec. La tentation est de recommencer
inlassablement ces comportements au risque de basculer dans l’addiction et
de se mal traiter.
Je me tais ou je parle ? Tout de suite ou plus tard ? Et si je choisis
de parler : qu’est-ce que je dis et comment ? La matrice ACT m’aide
à faire le bon choix

Le choix d’avoir une action qui se rapproche ou qui s’éloigne de ce qui


est important pour soi ou de la personne que l’on souhaite être se formalise
à l’aide d’un outil très simple et fonctionnel : une matrice, la matrice
ACT10.
Parler est parfois une réaction pour éviter de vivre cette expérience
intérieure, pour la faire taire ou pour purger l’émotion qu’elle nous procure.
Il en est de même pour la rumination, les commentaires intérieurs ou les
jugements qui sont des recherches non fonctionnelles pour faire taire notre
intériorité. Vivre demande à savoir faire de la place à l’intérieur de soi pour
accueillir sa fragilité et son humanité qui sont constituées de cette
expérience personnelle. Ensuite, en pleine conscience, nous avons à choisir
de dire ou ne pas dire tout en observant si notre choix nous rapproche ou
nous éloigne de ce qui est important pour nous, s’il est fonctionnel à court
ou moyen terme et en essayant d’avoir une idée de l’impact de notre choix
sur la matrice des personnes qui sont autour de nous.

Dire ou taire ?
Aicha est une personne sans filtre. Dès qu’elle ressent quelque chose, elle le
dit tout comme un enfant. Cette spontanéité fait son charme mais use et agace
parfois son entourage. En outre, cela l’empêche souvent d’avoir de la continuité
dans ses actions au gré des aléas de la vie. Elle se laisse facilement embarquer
par ses émotions et expriment vite son désir et son amour. Elle s’engage avec
passion dans des projets tout en les arrêtant peu de temps après, quand elle
est confrontée à un sentiment inconfortable. Elle ne peut garder ses sentiments
en elle ce qui l’a rend vulnérable aux relations amoureuses non fonctionnelles.
Elle s’attache vite sans réussir à s’inscrire dans une vie de couple.
Maurice est un taiseux. Il dit peu de chose. Confronté à une expérience
désagréable, il se réfugie souvent dans sa grotte intérieure au risque de se
couper de son entourage qui ne comprend pas toujours ses replis.

Parfois, il est préférable de ne rien dire. Il est souvent préférable ne pas


laisser la haine, la jalousie, la colère ou l’insécurité guider nos paroles.
Nous sommes libres de nous exprimer ou de partager. Le silence peut-être
une réponse. Cependant, posons-nous la question de savoir si le choix que
l’on va opter fonctionne vraiment ? Est-ce que parler vaut mieux que le
silence ? Est-ce qu’il nous permet de surfer avec flexibilité la vie ?

En pratique
En pratique
• Définir ses valeurs afin de construire une vie qui nous ressemble.
• Observer où nous nous situons dans notre vie en fonction de nos valeurs. Les
choix que nous faisons sont-ils congruents à celles-ci ?
• Faire des actions significatives pour réduire l’écart entre sa vie et ses valeurs.
N’oublions pas que nous sommes libres de tout tant que ce n’est pas interdit
par le code pénal !
• Sortir de la lutte contre les émotions négatives. Vivre est savoir composer
avec. Elles sont des ressources en énergie et nous informent sur les
directions de vie à prendre.
• Accueillir et accepter ses ressentis avant de s’exprimer. Cultiver une
bienveillance envers soi et sa fragilité. Être fort commence par accepter sa
fragilité et non la combattre.
• Reconnaître que les pensées qui envahissent notre esprit ne sont pas la
réalité.
• Laisser filer les pensées désagréables ou inadaptées en faisant le choix de
ne pas les commenter au risque de les ancrer dans notre présent.
• Faire des choix pour changer. S’engager pour modifier son présent. Selon
l’aphorisme, si on continue à prendre des ingrédients pour cuisiner un gâteau
au chocolat, on ne mangera jamais une charlotte aux fraises !
La liberté d’être se muscle et s’entraîne au fil de la vie en cultivant la présence à
soi et la pleine conscience pour ne pas se laisser emporter par les émotions, les
réactions ou les événements.

La communication non violente


La communication non violente11 est un mode de communication
pragmatique et efficace, qui permet d’être clair, cohérent et congruent dans
la communication en fonction de ses besoins, envie et ce qui est adapté à
soi. Cette expression se fait tout en étant ouvert et compréhensif à l’autre, à
ses besoins et ses points de vue. Elle favorise une coopération paisible et la
résolution des conflits. Elle s’utilise dans la vie personnelle comme les
relations de couple, la vie familiale ou les relations amicales, mais aussi
dans les entreprises, les administrations, les hôpitaux, les structures sociales
et éducatives. Elle a été développée par Marshall B. Rosenberg et Carl
Rogers à travers de célèbres livres comme Les mots sont des fenêtres ou
bien ce sont des murs.
La communication non violente (CNV) invite les protagonistes à
reconsidérer leur façon de s’exprimer, d’écouter et d’entrer en relation pour
construire un mode relationnel harmonieux et constructif. L’intention est,
quels que soient les différences et les désaccords, de maintenir un dialogue
ouvert. Pour cela, il est nécessaire de :
• repérer ce qui, dans notre manière de penser et de communiquer, génère
de l’opposition ou, au contraire facilite la communication et désamorce
les conflits ;
• clarifier ce que nous vivons, notamment les enjeux ou besoins, et établir
nos priorités parmi eux ;
• s’exprimer de manière concise, avec des demandes claires ;
• décoder l’agressivité d’autrui, c’est-à-dire ne pas la prendre contre soi
de manière à garder le dialogue ouvert ;
• écouter et développer une écoute empathique.
En pratique, cela se traduit par faire l’effort de nommer et d’entendre ce que
ressent et pense l’autre sans le juger et d’exprimer avec bienveillance ses
besoins. D’ailleurs, il est intéressant de commencer ses phrases par « j’ai
besoin… ». En effet, quels que soient les désaccords, il est difficile de
remettre en cause les besoins de quelqu’un ce qui permet de les exprimer et
d’ouvrir un dialogue. Lorsque ce n’est pas le cas, il s’agit certainement
d’une information comme quoi l’autre n’est pas bienveillant et que l’on a
intérêt de passer son chemin.

Observer sa communication
Pour travailler et améliorer votre communication, prenez le temps de
l’observer et de l’annoter.
Exercice
Notez, après la prise de parole, ce que vous avez remarqué :
Qu’ai-je ressenti comme sensation dans mon corps ? Quelles ont été mes
pensées ? Quelles ont été mes émotions ?

Contexte Parole Sensations Pensées Émotions

Observez les communications agréables


Prenez le temps d’observer les expériences de paroles ou d’expressions
agréables à l’instant où elles se déroulent. Utilisez les questions suivantes pour
centrer votre attention sur les détails de votre expérience, au moment où elle se
passe. Prenez le temps de faire de la place pour accueillir les sensations liées à
une expérience verbale.

Observez vous pendant une expérience verbale


Observez-vous pendant une expérience verbale
agréable

Expérience Étiez-vous Quelle était Quels Quelles


verbale conscient des votre sentiments, pensées
sentiments sensation pensées ont avez-vous
agréables corporelle accompagné maintenant
pendant pendant cette en le
l’expérience l’expérience situation ? relatant ?

Remercier Oui Légèreté sur Soulagement, C’est une


mon mari qui le visage, plaisir, C’est petite chose,
m’a préparé détente des bon. L’amour, mais je suis
un charmant épaules, c’est chouette ! heureux de
repas après sourire aux l’avoir notée.
une dure lèvres
journée. Lui
dire que j’ai
aimé.

Observez les communications désagréables


Prenez le temps d’observer les expériences de paroles ou d’expressions
désagréables à l’instant où elles se déroulent. Utilisez les questions suivantes
pour centrer votre attention sur les détails de votre expérience au moment où
elle se passe. Prenez le temps de faire de la place pour accueillir les sensations
liées à une expérience verbale.

Observez vous pendant une expérience verbale


Observez-vous pendant une expérience verbale
désagréable

Expérience Étiez-vous Quelle était Quels Quelles


verbale conscient des votre sentiments, pensées
sentiments sensation pensées ont avez-vous
désagréables ? corporelle en accompagné maintenant
détail pendant cette en la
l’expérience ? situation ? relatant ?

Demander Oui Palpitations Qu’est ce Cela s’est


un meilleur au niveau des qu’ils vont encore mal
délai de tempes, penser de passé. Je
livraison à tension dans moi ? Je suis n’arrive pas
un sous- la nuque, nul. je n’y à m’affirmer.
traitant tremblement, arrive pas. Je ne
transpiration, Comment pourrais pas
envie d’aller font les évoluer dans
aux toilettes autres ? mon poste.
4
Comment bien l’ouvrir à travers les nouveaux
médias : mail, SMS, twitter, facebook… ?

« Parler pour ne rien dire et ne rien dire pour parler sont les deux principes majeurs et
rigoureux de tous ceux qui feraient mieux de la fermer avant de l’ouvrir. »
Pierre Dac

Le monde numérique est une vague qui a déferlé dans notre réalité en
quelques années. Désormais, il nous semblerait impossible de travailler ou
de communiquer sans Internet, les smartphones ou les réseaux sociaux. Aux
États-Unis, chaque seconde, il s’échange plus de 7 500 tweets, 69 000 SMS,
1 394 photo Instagram, 2 millions d’e-mails transitent et 119 000 vidéos
sont visionnées. En France, en 2016, il a été mesuré que 30 millions de
personnes utilisent Facebook chaque mois, 6 millions tweetent1. Ces
nouveaux modes de communications sont plébiscités par la jeune
génération Z. En 2011, l’institut américain Pew Research Center a évalué
que les propriétaires d’un téléphone âgés de 18 à 24 ans échangent en
moyenne chaque jour 109,5 messages contre 41,5 pour les plus de 18 ans.
Cette hyperconnexion sociale numérique n’est pas sans danger.
Les nouveaux outils du Web sont des outils très puissants qui surfent sur
notre spontanéité et notre impulsivité. Il est en effet très tentant de réagir à
chaud devant une situation, un document ou un propos. Comme nous
écrivons et envoyons un e-mail, un sms ou un tweet, tel un Lucky Luke
numérique, plus vite que notre ombre, nous n’avons pas souvent le temps
de mûrir nos propos comme nous le faisions autrefois en écrivant avec un
stylo et en nous relisant. Avec ce temps de pensée en moins, suivre notre
instinct nous joue des tours car nous raisonnons de façon auto-centrée sans
tenir compte que le ou les lecteurs évoluent dans un contexte différent et
qu’ils n’auront pas accès à notre environnement. De ce fait, les propos tenus
sont sources de quiproquos, de vives réactions et de disputes par
incompréhension. Les outils modernes sont rapides et rendent bien des
services mais ils font perdre de l’information et ne donnent pas accès à la
communication non verbale.

François
Un couple d’amis m’a invité à leur mariage à l’autre bout de la planète. Comme
j’ai une nature prévoyante, je voulais anticiper le séjour pour amortir le voyage
et ne pas me retrouver seul après la cérémonie. Aussi, je leur ai demandé à
plusieurs reprises s’il n’y avait pas des personnes, parmi les invités, qui
voudraient se joindre à moi pour des projets d’excursion. Malgré plusieurs e-
mails, je n’ai pas eu de réponse de la part de mes amis qui se mariaient. Las,
comme je possédais la liste des e-mails des invités qui étaient apparents lors
de l’envoi du faire part, j’ai décidé de m’adresser directement à tout le monde
pour lancer ma proposition. Cela a été très mal apprécié de la part des mariés
qui semblaient vouloir garder le contrôle sur leur mariage. Ce fut l’objet d’une
grande dispute.

Les éléments envoyés sur les réseaux sociaux ou sur Internet échappent
au contrôle des personnes qui les postent. Un excès de parole ou des propos
erronés peuvent revenir en boomerang vers leurs auteurs. Jonathan Colmont
est un entrepreneur en bâtiment qui a mis en ligne une vidéo prise sur le vif
pour se plaindre du RSI2 en disant qu’il lui restait que 28,9 % de ses
8 110 euros de bénéfices trimestriels. Il a commenté son propos de
nombreuses injures envers l’organisme. Sa vidéo partagée sur son mur a été
reprise par de nombreux sites, notamment celui d’un militant « Franck
l’abstentionniste qui énerve les cons ». La légende de cette vidéo a été
transformée et placée dans un autre contexte de revendication. Celle-ci s’est
retrouvé instrumentalisée et a touché et a été vue plus de 2,5 millions de
fois. Le site LibéDésintox a repéré la vidéo et a obtenu de l’auteur qu’il
reconnaisse s’être trompé dans ses calculs car il n’était micro-entrepreneur
que depuis trois mois.

Quand une vidéo s’échappe…


Jonathan : « Je me suis planté mais il y a un autre sujet : après avoir supprimé
ma vidéo, des sites l’ont re-partagée et elle tourne n’importe comment. Là,
comme ça, ma vidéo fait limite hoax. Je suis très mal, ça me fait une crampe au
bide. Honnêtement, je suis dégoûté de l’ampleur que ça prend. »
Malgré des démentis sur Internet, la vidéo a continué deux jours de plus sur le
Facebook de Franck l’abstentionniste. Il a fallu que Facebook ferme la page sur
le signalement de la femme de Jonathan pour que cela s’arrête. Elle cependant
encore visible sur certains sites.
Lorsque l’on interroge Franck sur la mise en ligne de cette vidéo, il assume
honnêtement :
« Quand ces vidéos abondent dans votre sens, quand elles vous confortent
dans vos vues, apportent de l’eau à votre moulin, on ne se pose pas de
question, on partage. J’étais trop content de pouvoir casser le RSI. »

Tout ce qui est posté sur Internet et sur les réseaux sociaux peut être
instrumentalisé. Placé dans un autre contexte, le message et la portée peut
être très différente de l’intention première. Avant toute mise en ligne, à
l’heure actuelle, il est important de vérifier que tout propos ou toute
information que l’on met peut-être assumé à tout instant et quel que soit le
contexte. La tentation de vouloir exister sur la place publique à travers des
outils qui se nourrissent de la fragilité narcissique de chacun est un jeu qui
peut s’avérer dangereux.
De la même façon, les éléments que nous mettons sur les réseaux sociaux
permettent aux voleurs d’obtenir des informations sur l’endroit où vous êtes
et sur ce que vous possédez. C’est très pratique pour les cambrioleurs de
savoir que vous êtes en vacances.
Le regard de Jean-Christophe
À l’occasion d’une conférence sur le sport de compétition pour les enfants, je
mettais en garde sur la projection des désirs de réussite des adultes envers les
enfants. Pour imager mes propos, j’ai pris sur le Web des photos de jeunes
enfants exposés en justaucorps en mettant en garde le public sur cet affichage.
En effet, personne ne contrôle qui regarde ces photos et ce qui est fait de celles-
ci. Les adultes ont la responsabilité de l’image publique de leurs enfants.

Par ailleurs, désormais, la plupart des recruteurs googlise les prétendants.


Certaines images ou propos sont parfois difficilement assumables quelques
années plus tard. Donc, si on ne veut pas que notre futur patron ne nous voit
pas avec un slip sur la tête, en train de dire des blagues douteuses ou des
idioties, mieux vaut faire attention à ce que l’on publie. D’ailleurs, si on
n’est pas un personnage public, il est probablement préférable d’utiliser un
pseudo sur les réseaux car cela permet de s’en débarrasser plus aisément.
Plus qu’ailleurs, sur Internet ou avec les smartphones, la parole est d’or.
Il est important parfois de prendre le temps ne pas répondre sur le fil.
Choisir d’écrire ses mots et ses posts puis les laisser reposer quelques
heures ou jusqu’au lendemain est une stratégie payante qui nous protège de
nos excès et de nos réactions.

Exercice
Prenez le temps d’observer et d’apprendre de votre expérience. Êtes-vous du
genre réactif ? Est-ce que votre réponse va réellement changer quelque chose en
dehors du plaisir du bavardage ou du panache ?

L’addiction aux écrans


Le succès d’Internet surfe sur notre attirance pour la nouveauté. Notre goût pour
la néophilie nous fait aller d’un lien à l’autre au risque de souffrir d’une obésité
d’informationnelle comme c’est le cas dans le modèle du régime cafétéria3. Cette
mise à disposition d’informations appétentes surstimule notre cerveau et notre
système neuronale de la récompense au risque de développer une addiction
digitale. Le mythe de l’addiction est le vampire qui vit la nuit à la recherche de sa
nourriture tout comme le geek surfe sur le net jusqu’à plus d’heure. Les enfants et
les adolescents sont particulièrement vulnérables à ce type de pathologie qui peut
avoir des conséquences néfastes sur leur sommeil, leur vie sociale et leurs
résultats scolaires. En 2010, Susan Moeller a organisé au cours d’une expérience
auprès de 200 étudiants un sevrage de 24H de tout écran et a constaté que celui-
ci pouvait engendrer des symptômes comme un isolement, une anxiété ou des
effets de manque. Certains ont partagé que l’envoi de texto les réconforte ou qu’ils
se sentaient seuls et isolés sans contacts numériques. La communication digitale
devient compulsive lorsque l’utilisateur ne parvient pas, malgré ses tentatives, à
arrêter son activité et qu’il est sur la défensive dès qu’on critique son
comportement quand il n’a pas accès. Selon certaines études, les filles ont quatre
fois plus de risques d’avoir une utilisation compulsive des texto que les garçons.
Les jeunes ayant une utilisation addictive de ces nouveaux outils développent une
vie plus pulsionnelle : Une vie sexuelle précoce et multiple, plus de risque de
consommer des produits illicites et de participer à des bagarres.
Une éducation à l’image et à Internet est nécessaire pour en tirer tous les bienfaits
sans s’exposer à ses effets indésirables.

Trop de paroles tue l’information


sur internet
Internet était la promesse d’un espace de liberté de partage et d’expression.
Nous nous y sommes tous engouffrés. La plupart d’entre nous ne pourraient
plus travailler ou échanger sans lui. Ce livre n’aurait probablement pas pu
se faire sans.
Cependant cet espace de liberté s’est progressivement remplit d’une
pollution et d’un bruit de l’écrit. Beaucoup d’entre nous ont investi cet
espace comme on occupe une cour de récréation. Cela a débuté par des
partages de blagues Carambar ou digne de l’Almanach Vermot.

Denis
La première fois que ma mère, âgée de 70 ans, m’a envoyé une blague
sexuelle en me mettant sur sa liste de diffusion amicale, j’ai cru collapser.
J’avais envie de lui crier « maman, cela ne se fait pas ! Je ne l’ai jamais accepté
comme amie sur mon Facebook de peur qu’elle me grille auprès de mes
contacts ».

Ensuite, les réseaux sociaux se sont remplis d’images personnelles. Vous


pensiez échapper au diaporama post-vacances d’autrefois de vos amis ou de
votre famille et ils vous les imposent en inondant vos réseaux sociaux de
leur vie intime, du succès de leurs enfants ou de leur dernier voyage. Toutes
ces images et ces posts posent la question de l’intime ce d’autant
qu’Internet n’oublie pas et que l’on ne mesure pas l’impact qu’ont ces posts
dans le contexte des personnes qui le reçoivent.

Géraldine
Je ne supporte plus de lire les mentions au bac des enfants de mes amis
lorsque je vois toutes les difficultés que j’ai avec les miens. Je me sens nulle et
je me dis que je n’ai pas de chance dans la vie.

Ces nouveaux outils favorisent l’étalage de son moi aux yeux de tous. Dans
ce nouveau monde, comment construisons-nous notre identité ? En
racontant notre histoire personnelle et en fabricant une image médiatique de
soi ?
Pendant longtemps, le comble du bonheur était d’être connu. La téléréalité
s’est nourri de ce fantasme populaire. Cependant, lorsque l’on voit
l’utilisation de ces images, l’absence d’oubli sur internet et les
détournements possibles, la question se pose.
Le bonheur est-il d’avoir une existence médiatique ou de vivre caché ? Est-
ce que j’ai envie qu’à 40 ans, dans ma nouvelle vie, que mon patron, mes
amis ou mes amoureux connaissent toutes ces choses de ma vie à 30 ans ?
Comment seront vécues et assumées les images des personnes ayant
participé à des émissions exposant nos fragilités comme L’amour est dans
le pré, Cauchemar en cuisine ou même toutes ces vidéos maison alimentant
les challenges sur YouTube ? Est-ce que ces expositions, ces post ou ces
discours dans les médias ou sur le net ne sont pas l’exposition de notre
fragilité narcissique où l’on essaie de gonfler, comme le crapaud de La
Fontaine, afin d’avoir l’impression d’être ? Combien d’entre nous ont
l’impression de mieux exister en fonction du nombre de likes, de vues ou de
citations dans Google ? Il y a si peu, les filles essayaient de maigrir
excessivement et les garçons de se muscler abusivement pour se donner
l’impression d’exister et d’améliorer leur image. Désormais ces questions
existentielles se jouent aussi sur Internet : On gonfle son exposition et on se
construit un faux self médiatique.
Internet : un terrain de prédilection
pour les paranoïaques et les complotistes
Internet est libre. La seule régulation est l’opinion publique. De ce fait, c’est un
terrain de prédilection pour les personnalités pathologiques comme les
paranoïaques, les pervers narcissiques ou les complotistes experts dans la
manipulation des croyances. Sûrs de leur fait et infatigables, ils inondent Internet
et les réseaux sociaux de leurs croyances délirantes. L’étendue de leur action et
leur volume d’action rend difficile la contradiction et l’endiguement de ces propos.
En outre, les médias, de peur d’être en retard d’une information, relaient souvent à
tort des informations erronées.

La nouvelle mode des « lanceurs d’alerte », directement en lien avec le


contexte d’Internet et des réseaux sociaux, est un terrain béni pour ces
personnalités. Prenons bien garde avant de réagir. L’affaire du médicament
Médiator est un bon exemple de l’emballement médiatique. Ce médicament
a été entaché de tous les maux, les laboratoires le produisant ont fait l’objet,
sur le terrain médiatique, de nombreux noms d’oiseaux et leur
condamnation est actée dans l’opinion publique. Au moment de l’affaire, de
nombreux salariés du laboratoire pharmaceutique ont fait l’objet d’insultes
et de dénigrements. Un film a même été fait, ce qui officialise l’histoire.
La réalité est pour l’instant différente. Très peu de dossiers d’indemnisation
ont été validés faute de preuve de causalité. En effet, de nombreux autres
médicaments (antiparkinsonien, antimigraineux, ecstasy, etc.) ont des effets
similaires sur les valves cardiaques4 et le rhumatisme articulaire donne des
lésions du même type. De plus, la plupart des morts incriminés souffraient
de nombreuses pathologies pouvant être à l’origine de leur décès.
Enfin, cette histoire a engendré une peur et une méfiance envers les
médicaments. De nombreuses personnes ont arrêté abusivement leur
traitement, s’exposant à des risques pour leur santé. Cette histoire reste
sensible. Il n’est pas question ici de condamner ou d’innocenter ce
médicament et le laboratoire, mais juste d’observer la passion médiatique et
les conséquences qu’elle a eues.

Exercice
Et vous comment réagissez-vous à cette proposition d’envisager cette affaire
différemment ? Observez vos réactions spontanées avec ce qui vient d’être
partagé ? Pour beaucoup d’entre vous, le laboratoire et le médicament sont
coupables. Mais qu’en savons-nous réellement ?

Ce nouveau terrain d’expression n’est pas sans risque. Il est possible de se


faire harceler ou pirater son compte. Ces nouveaux espaces nécessitent un
apprentissage. Paradoxalement, les jeunes ont souvent une approche plus
mature que les personnes plus âgées dans l’utilisation de ces outils. En effet,
pour ces derniers, ils font l’objet d’une régression infantile et d’une naïveté
qui les rendent vulnérables à la manipulation : arnaque par e-mail, fausses
informations, etc.
Selon certains spécialistes, la survie d’Internet est en jeu du fait du nombre
de posts inutiles, du déferlement publicitaire ou des rumeurs.

Journalisme et expression
La mission des journalistes était d’informer. Les organes de presse ont été
rachetés par des groupes industriels. Ils doivent être désormais être rentable
et ne pas être en opposition avec les actionnaires. Pour augmenter la
rentabilité, de plus en plus de journalistes sont pigistes et ont un emploi
précaire. De plus, ils sont en concurrence directe avec les informations qui
circulent sur Internet. Sur Internet, il est parfois difficile de discriminer un
vrai organe de presse d’un organe de presse parodique ou d’un organe
diffusant des croyances ou des rumeurs. Sans rentrer dans des propos
complotistes, l’expérience démontre que ces éléments sont à l’origine de
nombreux biais dans la sélection des sujets et la façon de les traiter :
• Certaines informations sont déformées car elles sont décontextualisées
et, parfois, remises bout à bout, aboutissant à du non-sens.
• D’autres informations sont déformées par les croyances et les préjugés
des journalistes.
• Certaines informations ne sont pas divulguées car elles ne sont pas à la
mode ou parce qu’elles ne rentrent pas dans le schéma commercial du
journal, ou parce que l’on présuppose qu’elles n’intéresseront pas le
lecteur ou l’auditeur.
• Des communiqués de presse font l’objet de copié-collé par les
journalistes pigistes alors qu’elles sont parfois erronées.
Le regard de Jean-Christophe
Ces dernières années, dans une très large majorité des cas, toutes les
informations où j’ai été impliqué directement ou indirectement, notamment du fait
de mon métier, se sont avérées n’ayant rien à voir avec la réalité que je vis. Par
exemple, lors de l’affaire Médiator, j’ai entendu une somme de bêtises
confondante sur la recherche et les médicaments, même dans des médias très
réputés. Ce qui est écrit, ces dernières années, sur les médecins n’a souvent rien
à voir sur les conditions de vie des médecins. Lors des émeutes à Clichy-sous-
Bois, les médias étrangers rapportaient un état insurrectionnel qui n’avait rien à
voir avec la réalité en France. Lorsque j’observe cela, je me pose la question sur
la véracité des sujets qui ne me concernent pas.

Dans le contexte de l’industrialisation de l’information, l’objectif du média


est plus de faire du bruit pour assurer une présence que de remplir sa
mission initiale. L’information est devenue un produit de consommation
que l’on organise comme un spectacle. En voulant toucher un jeune public,
l’information s’est orientée vers une expression immédiate à travers des
titres lapidaires. Les articles sont de plus en plus courts afin de rester dans
le mouvement et être au plus près de l’actualité au détriment de l’analyse,
de l’histoire avec un début et une fin. D’un journalisme d’enquête, les
médias ont évolué vers un journalisme de brèves qui font le bonheur des
spécialistes en petites phrases. Le risque est de niveler les propos en
donnant l’impression que tout se vaut et de retirer le sens critique au
consommateur5.
L’industrie du média trouve son bonheur en occupant le vide spirituel de
notre époque. Pour cela, on a inventé les chaines d’informations continues.
Celles-ci produisent une diarrhée verbale ubuesque6. Certains les
consomment jusqu’à se faire psychologiquement mal dans l’attente d’un
fait supplémentaire après un événement traumatique. En mai 2017, la reine
d’Angleterre a convoqué tous ses employés. L’annonce de cette réunion a
mobilisé des journalistes du monde entier. Faute d’informations, on a pu
observer ceux-ci imaginer les choses les plus délirantes pendant les
24 heures d’attente avant ladite réunion. Au final, la reine a annoncé à son
personnel que le prince consort, Philip Mountbatten, allait mettre fin à sa
vie publique. Quelle nouvelle ! Que de moyens, d’argent et suppositions
mis pendant 24 heures au servie d’une si banale nouvelle ! Les média
« dealent » des nouvelles qui focalisent l’attention du peuple tel l’opium du
peuple.
En outre, les journaux ont comme fonds de commerce les mauvaises
nouvelles. L’équilibre entre bonnes et mauvaises nouvelles est inégal. On ne
verra jamais un journal s’arrêter plutôt pour dire que, finalement, cela va
plutôt bien en ce moment. Le Professeur Lejoyeux, dans un livre7, conseille
à certains d’arrêter de regarder les informations pour se protéger de troubles
psychiques induits par leur visionnage. Les télévisions et radios
d’informations continues peuvent être à l’origine de traumatisme psychique.
En effet, lors des attentats, de nombreuses personnes ont été happées par ces
médias pour essayer d’en savoir plus. Faute de nouvelles informations,
certaines d’entre elles tournaient en boucle. Certaines personnes ont plus
souffert de la consommation de ces médias que des événements en eux-
mêmes.
Lors des attentats du Bataclan et lors de la poursuite des terroristes, il a été
reproché à une chaîne d’informations en continu de donner des
informations aux terroristes sur l’action des forces de l’ordre.
Tous ces éléments posent question sur l’évolution des médias, sur le rôle et
sur l’absence de code éthique et déontologique qui ne les amènent plus à
être le quatrième pouvoir, mais être des partenaires à une organisation
théâtrale de la vie. Souvent lorsque l’on se rend en province, on ressent et
on entend que la lecture de la vie française par les médias et des politiques
est très parisiano-centrée. Alors, et si les médias se taisaient un peu ou
retrouvaient leur rôle initial d’informer dans un cadre éthique et
déontologique et non pour faire du commerce de l’information ?

Le risque de l’émocratie
L’émocratie est une démocratie qui s’effectue, non pas sur le débat d’idées
et le choix engagé du peuple, mais sur les échanges passionnels de la vox
populi. Cette approche émotionnelle du débat distord les échanges et est
source de réaction plutôt que de choix. L’émocratie s’appuie sur la passion
dont se méfiaient les Grecs8, que tente d’insuffler les protagonistes afin de
rallier des partisans. Elle est amplifiée par les médias qui focalisent
instantanément l’attention des foules sur des points ou des aspects d’un
propos ou d’une situation, sans prendre le temps de mettre en relief toutes
les facettes d’un problème et de laisser décanter les problématiques. Cette
approche médiatique, en décontextualisant les propos ou les situations,
participent à la déformation de la réalité et génèrent des interprétations ou
des quiproquos qui font réagir le public. Ces derniers vont s’engouffrer dans
la vague émotionnelle, la nourrissant de leurs interventions et de leurs
commentaires sur les réseaux sociaux. Ceux-ci seront repris par les médias
traditionnels, générant ainsi une spirale et un tourbillon émotionnel qui
emporte le dialogue
En effet, si l’émotion permet l’éloquence et fait partie de notre culture
politique, sa résonnance médiatique, avec les nouveaux outils numériques,
en font un écho amplificateur, source d’emballement. Avides
d’informations brutes, nous les consommons au risque de nous engluer dans
l’immédiateté et de construire une société sans conscience avec des propos
déconnectés de l’histoire, de la réalité et de la morale.
La présence de médias qui délivrent de l’information en continue exagère la
production de commentaires aux détriments de l’analyse et de la réflexion.
La vie politique est désormais commentée comme un match de football
dans une immédiateté permanente au fil de l’actualité avec de moins en
moins de prise de distance et sans tenir compte de l’impact émotionnel sur
la population de ces informations qui ne possèdent pas toujours les codes
pour comprendre ce jeu théâtral entre les médias et les personnalités
médiatiques.
La dernière élection présidentielle a d’ailleurs fait l’objet de nombreuses
discussions passionnelles qui ont malmené des familles et des amitiés.
L’immédiateté des réactions et de la circulation des informations sur les
supports numériques a créé des emballements d’opinion qui font que
chacun juge l’autre sans prendre le temps de l’analyse, de l’empathie ou de
la recherche de la vérité. Chacun voyant la situation par le bout de sa
lorgnette accuse l’autre de tous les maux parce qu’il ne voit pas comme lui.
Après l’attentat de Charlie Hebdo et du Bataclan, on a chéri la police9 pour
la conspuer peu de temps après, notamment lors du mouvement « Nuit
debout » ou lors de l’histoire du jeune Théo qui mettait en cause le
comportement de la police. Ce revirement a fait l’objet de manifestations et
parfois d’émeutes. Il n’est pas ici question de discuter la véracité ou non de
tel ou tel fait divers mais d’observer comment, en peu de temps, l’image
publique de cette profession a pu virer dans les médias tout comme c’est le
cas, d’ailleurs, pour d’autres professions ou d’autres personnes publiques.
D’ailleurs, il est souvent dit que la fragilité de la France est son moral. Il a
été montré que les Français avaient le même niveau de moral qu’un Irakien
ou un Afghan malgré les différences de qualité de vie dans ces pays et que
cela n’était pas sans impact sur notre économie. En outre, ces plaintes
semblent plus facilement reprises par les médias que de choisir de discuter
des opportunités que nous propose le présent.
L’émocratie fait que l’on déteste aujourd’hui ce que l’on adorait la veille et
inversement. Cette labilité émotionnelle qui fait le lit du bashing se traduit
par des propos ou des comportements excessifs qui malmènent les accords
sociaux nécessaires pour vivre ensemble. Elle crée une atmosphère
détestable ou le manque de bienveillance, d’empathie et de compréhension
de l’autre empêchent le vivre ensemble. Il transforme l’autre en un étranger
ou en un ennemi pour ébrécher la société et notre civilisation.

Facebook
Facebook est le café du commerce de notre société. Bien utilisé, il redonne
sa noblesse aux discussions de comptoir tout en nous privant du verre. Mal
utilisé, il expose l’intimité et nous expose au bashing, aux images sordides
et traumatisantes, aux harcèlements publicitaires et aux fakes.

Lucie
Je me suis inscrite à des groupes Facebook sur le bien-être des animaux.
Depuis, tous les matins, lorsque j’ouvre mon mur, je tombe sur des vidéos
exposant les atrocités faites dans le monde sur les animaux. Je trouve cela
horrible et traumatisant. Chaque matin j’ai envie de vomir.

Le flux qui nous arrivent via Facebook tient compte des produits que nous
avons visionnés pour d’éventuels achats ce qui alimente un harcèlement de
publicité et des groupes d’intérêt auxquels on appartient. Le risque est de se
retrouver envahi de fakes ou de vidéos gores du fait des programmes de
recherche de Facebook. Ces images peuvent s’avérer traumatisantes.
En outre, ce réseau est souvent un étalage de nos réussites. Aussi, nous ne
voyons des autres que ce qui fonctionne. En stimulant notre machine à
comparer, il génère par effet boomerang une dévalorisation de notre vie
avec le sentiment que les autres s’en sortent mieux et que leur vie est plus
intéressante. Il est nécessaire de ne pas se laisser happer par le piège de la
comparaison car, sur ces supports, il nous amène à comparer notre arrière-
cuisine, avec nos poubelles de vie, avec la vitrine de nos contacts. Cette
comparaison est inégale. D’ailleurs, tous les individus ont une arrière-
cuisine ! De plus, la navigation sur les réseaux est consommatrice de temps
et peut induire, à posteriori, une impression de perte de temps et d’être
passé à côté de sa vie. Ce sentiment est souvent partagé par les personnes
fréquentant les sites de rencontres avec une impression de distorsion entre
le temps passé à nouer des contacts digitaux et le nombre de rencontres
significatives dans le monde réel.
Le risque, pour les personnes qui abusent de Facebook et des réseaux
sociaux, est de nouer une vie sociale illusoire. Les liens que l’on y fait n’ont
pas toute la richesse de ceux noués dans la vie réelle où les interactions
sociales et culturelles sont sources d’émotions et donnent un sens dans la
vie. Au final, il peut vite s’agir d’une vie sociale « canada-dry », qui a
l’aspect d’une relation sans en posséder la saveur et devenir une entrave à la
socialisation dans la vie réelle.
L’anthropologue Robin Dunbar a montré que l’être humain peut au
maximum entretenir une relation humaine avec 150 personnes en moyenne.
Il a été montré que ce chiffre restait constant même avec l’utilisation des
réseaux sociaux. Ils n’améliorent donc pas notre socialisation.
En 2014, May Ly Steers, de l’université de Houston, a montré, au sein
d’une population de 180 étudiants, que plus ceux-ci passaient du temps sur
Facebook, plus ils présentaient des symptômes dépressifs légers. En outre,
le danger est de se construire un « faux soi » pour avoir l’air, faire plaisir,
éviter les conflits où mettre l’ambiance sur le Net. Le risque est que la
distorsion avec soi et la souffrance existentielle sous-jacente s’expriment
par d’autres comportements pathologiques : addiction, alcoolisme, troubles
du comportement alimentaire, etc.
En revanche, Facebook est un excellent outil pour garder du lien avec des
personnes lointaines, retrouver d’anciens amis ou camarade de classe,
comme outil de communication ou pour se construire une image
médiatique.
Le regard de Jean-Christophe
N’ayant pas eu la volonté et l’énergie de construire un site internet, j’ai ouvert une
page publique où je mets à disposition des images, des articles ou des vidéos qui
me semblent utiles pour mes patients. Si une personne n’est pas sur Facebook, je
l’encourage à ouvrir un compte avec aucune information et sous un pseudonyme
du style « Mme tarte au pomme » pour avoir accès à ma page.

Casimir
Je suis médecin et j’exerce seul en cabinet libéral pendant de longues journées
de travail. Facebook est un outil que j’apprécie pour rester en contact avec mes
amis, mes collègues ou des connaissances. J’échange et je palabre ce qui me
donne le sentiment de rééquilibrer une vie professionnelle solitaire. Je me
rattrape dans la vraie vie le week-end !

Les jeunes ont bien compris les risques sur la confidentialité qu’occasionne
Facebook. Ils utilisent facilement un pseudo pour mieux contrôler leur
image. Ils manient de façon précautionneuse les règles de confidentialité.
Préférant de plus en plus les images à l’écrit, ils s’orientent de plus en plus
vers d’autres supports comme Snapchat ou Instagram qui proposent des
posts d’une durée limitée.
Pour certaines personnes présentant une phobie sociale, Facebook peut-être
un terrain d’entraînement ou de jeu. Le tout est ne pas s’y enliser.

Smartohone et SMS
Pour être en lien avec l’autre, il est nécessaire d’être bien présent à soi et à
l’autre. Les smartphones sont un objet de distraction. Il est très fréquent
d’observer des personnes discuter avec d’autres, de participer à un dîner, à
une conférence ou à un cours tout en surfant sur leur téléphone. Les jeunes
générations surfent sur plusieurs réalités en même temps, en étant
connectées à plusieurs interfaces. Ces nouveaux outils nécessitent de définir
des nouvelles conventions sociales pour ne pas être impolis, manquer de
respect à ses interlocuteurs et pour ne pas simplement rater le présent. Louis
Jouvet disait que le regard porte la parole. Qu’en est-il quand ce regard est
fixé à un écran ? Quelle parole est-elle exprimée ? Le risque d’une parole
perdue en route a été écrit dans le livre de James Saunders, After Liverpool,
dans un dialogue entre deux personnages.
A : Une des choses que j’aime avec toi, c’est que je ne me sens pas obligée de parler tout
le temps. C’est pas gênant de rien dire. Se taire, tous les deux, tout proches mais sans se
toucher, les yeux fermés, ne pas communiquer avec nos cinq sens… juste savoir que tu
es là, sentir que tu es là, quelque chose d’autre prend place, quelque chose de difficile à
exprimer avec des mots parce que les mots appartiennent à nos cinq sens et que là c’est
quelque chose d’autre. Autre chose. Une prise de conscience. C’est difficile à décrire. Le
sentiment que tu es quelque part en moi, que je suis quelque part en toi. Au-delà des
sens, du temps, de l’espace, de nous-mêmes. Je ne peux pas le formuler. Mais c’est là.
Tu le sens, toi aussi ?
B : (tapote sur son téléphone portable) Hein ?
A : Tu le sens aussi ?
B : Excuse-moi, je ne t’écoutais pas

Le monde des écrans crée un paravent entre les hommes et déshumanise


nos relations. Nous pêchons :
• Par facilité. Il est plus facile d’envoyer un SMS pour émettre une
demande, poser une question ou faire une proposition que de décrocher
son téléphone.
• Par évitement de la relation à l’autre. On communique désormais avec
les autres dans la même pièce, dans le même bureau ou dans le bureau
voisin.
Règle de bon usage des SMS
Le SMS est devenu un outil usuel et pratique. Pour bien l’utiliser, il est nécessaire
de porter son intention sur les points suivants :
• Ne pas oublier que l’on s’adresse à des humains. Aussi, ne pas oublier de
mettre un bonjour et une phrase de fin ou de remerciement le plus souvent
possible.
• Faire court.
• Donner des informations fonctionnelles. Cet outil prive le récepteur du
contexte et de la communication non verbale ce qui peut être source de
quiproquo, d’incompréhensions et de réactions intempestives. Même si
l’utilisation des émoticônes peut donner du relief à nos propos, il est
préférable de rester factuel dans ce que l’on dit dans un SMS.
• Faire attention à ne pas répondre immédiatement pour se protéger de
réactions intempestives ou de commentaires inappropriées.
• Privilégier les relations humaines réelles dès que l’on peut.

Le regard de Jean-Christophe
Dans les relations amoureuses, les hommes clivent leurs espaces alors que les
femmes ont souvent besoin de ressentir qu’elles existent dans l’esprit de leur
partenaire où qu’ils soient. Aussi, j’apprends aux personnes malhabiles dans leurs
relations amoureuses avec leur partenaire, pour marquer des « points », à
« arroser » régulièrement leur compagne de SMS pour leur montrer qu’elles
continuent à exister loin d’eux. Ces SMS ne sont pas là pour délivrer une véritable
information, mais juste pour entretenir l’idée du lien tout en stimulant l’imaginaire
féminin. Dans cet objectif, le meilleur SMS est probablement « pensées » qui veut
tout dire et rien dire ! Aux États-Unis, il a existé une application qui drivait les
hommes sur les actions significatives à avoir vis-à-vis de leurs compagnes.
Comme disait Pierre Desproges, on vit dans une époque formidable !

Fake news, fausses infos et post vérité


Ces trois termes, très récents, sont directement liés à l’explosion d’Internet
dans notre quotidien et dans nos systèmes d’information. Les fakes et
fausses nouvelles sont un vrai problème sur Facebook et sur Internet. Ces
nouveaux outils de communication propagent de nombreuses rumeurs plus
vite que leur ombre et servent à discréditer de vraies informations. Il est
devenu extrêmement difficile d’avoir confiance dans ce que nous propose le
monde numérique. Une guerre de l’information se joue dans ces nouveaux
espaces. Pendant les élections américaines de 2016 et de 2017 en France,
l’information dans ces médias ont été très critiquées et suspectées de
manipulation. Cette possibilité a été mise en scène dans la saison 6 de la
série Homeland. Dans cette série, un groupe de plusieurs dizaines
d’informaticiens créent de faux profils sur Internet afin de discréditer la
présidente des États-Unis.
Des rumeurs circulent, des images et des vidéos peuvent être détournées de
leur contexte ou modifiées afin d’être instrumentalisée. La conseillère en
communication du président Américain Donald Trump, Kelyanne Conway,
a officialisé la notion de « vérité alternative » lorsqu’elle affirmait qu’il y
avait plus de participants à l’investiture de Donald Trump qu’à celle de
Barack Obama malgré des images montrant le contraire. De façon plus
crue, elle a officialisé le recours aux bobards pour justifier des actions au
plus haut sommet de l’État.
Nous entrons dans une ère où il semble de plus en plus difficile de savoir la
vérité et nous devons tous prendre un temps de réflexion avant de réagir à
une information ou à une image. Le risque est d’aller chercher sur Internet
des informations qui vont dans le sens de nos croyances. Les algorithmes
des réseaux sociaux amplifient cette tendance en nous proposant ce que
nous souhaitons trouver. Ils nous proposent un miroir de nous-même,
construisant ainsi une image déformée de la réalité, ces dernières venant
renforcer nos scénarios catastrophes ou nos théories du complot. Un
exemple est la suspicion grandissante envers les vaccins. Alors que les
vaccins ont été un immense progrès thérapeutique au xxe siècle, le doute a
grandi sur Internet, empreint de théories conspirationnistes des laboratoires
pharmaceutiques, qui aboutissent au fait que 40 % des Français se disent se
méfier actuellement des vaccins. Des entreprises comme Google, Facebook
ou Wikipédia commencent à s’emparer de ce problème car ils savent que ce
phénomène peut entraîner la mort d’Internet.
Des expériences ont montré que l’on pouvait induire des souvenirs erronés
chez une personne. Le film Ghost in the Shell de Ruppert Sanders, d’après
le célèbre manga de Masamune Shiro, montre un monde où l’on ne sait plus
ce qui réel ou non, humain ou non, si nos souvenirs et notre identité sont
réels ou non. Ce film pose des questions intéressantes sur l’identité et en
disant qu’à défaut de savoir, la seule chose que l’on contrôle, ce sont les
actions que l’on choisit d’avoir dans le présent. À défaut d’avoir confiance
dans nos souvenirs, nos croyances ou ce que l’on perçoit, ce sont nos
actions qui nous définissent. Ces actions, comme notre parole, pour être
fonctionnelles, doivent suivre la direction de ce qui est important à chacun
et non pas être les fruits de nos réactions.
Il est nécessaire de développer une pédagogie spécifique aux informations
et sur Internet dès l’école afin d’aider chacun à développer un esprit critique
devant toute information. De même, les médias classiques se doivent de
faire l’effort de vérifier les informations en se donnant les moyens de leur
mission. Pour cela, ils ont besoin d’utiliser des journalistes au statut non
précaire, et non des pigistes qui n’ont comme seule obsession de caser un
papier pour gagner leur vie, et un système économique qui s’émancipe de la
dérive industrielle actuelle des médias.
5
Savoir se taire

Je vous propose de prendre le contre-pied de l’expression et du droit à la


parole pour goûter les vertus de savoir se taire et d’en faire l’expérience. En
effet dans notre société de communication, nous avons cultivé la parole,
mais n’oublions pas que beaucoup de monde sur Terre vivent des
expériences de silence dans le bonheur et l’épanouissement personnel, dans
le cadre d’une retraite ou d’un engagement spirituel.
Savoir se taire n’est pas se museler, mais faire l’expérience de se
connecter à soi pour se replacer au centre de son existence. C’est être
curieux à l’expérience présente en faisant taire la petite voix intérieure qui
commente. Se taire, c’est aussi considérer la perspective1 de l’autre et la
respecter malgré les différences.

Pour sortir de la plainte


En France, nous passons beaucoup de temps à nous plaindre de la société
ou de nos comportements. On se plaint de son travail, de son poids, de sa
façon de manger ou de consommer, du rapport que l’on entretient avec
autrui. On se plaint de se plaindre ! Le psychologue François Roustang a
écrit un célèbre livre sur la fin de la plainte en disant qu’elle était devenue
une sorte de perversion narcissique. Nos soupirs sont vains et témoignent
d’une lutte contre le fait d’être heureux pour ne pas avoir à prendre la
responsabilité de sa vie.
Beaucoup de personnes viennent voir un psy pour avoir un espace pour se
plaindre au risque de chroniciser leur trouble et d’en prendre pour vingt ans
de psychothérapie jusqu’à épuisement2. Aller mieux, c’est sortir de la
plainte pour apprendre à composer avec ce qui est. Le psychothérapeute se
doit de ne pas enliser son client dans des jérémiades vaines et stériles. Son
travail est de l’accompagner pour lui apprendre à aborder la vie comme un
coucher de soleil et non comme un problème.
Nous n’avons jamais eu autant de biens à disposition (possessions
matérielles, services, santé…), mais nous n’avons pas diminué le volume de
nos plaintes. Est-ce le monde qui nous entoure qui va mal ou est-ce le
rapport que nous entretenons avec lui qui est abîmé ? La pleine conscience,
forme laïque de la méditation, est une piste pour faire évoluer ce ressenti
sans prendre les armes pour faire la révolution.
En travaillant sur notre rapport à nous même, nous pouvons impacter notre
environnement. L’objectif est de sortir de la plainte qui alimente la
souffrance pour devenir acteur de sa vie.

Quand il est bénéfique de se taire


Vivre ensemble n’est pas aisé. Nous pouvons vite être à l’origine d’un bruit
pour l’autre. Voici une liste non exhaustive et complètement arbitraire de
lieux où il semble bon de se taire un peu.
Dans les transports en commun lorsque nous parlons au téléphone et que
nous imposons notre intimité aux dizaines de personnes qui nous entourent.
Une conversation téléphonique est privée. N’a-t-on pas légiféré sur les
écoutes téléphoniques ? Cette législation parle du caractère privé d’une
conversation. Aussi, ce n’est pas pour ouvrir nos problèmes domestiques à
l’ensemble du bus ou de la rame de métro. De la même manière, par respect
pour les personnes qui nous entourent, il est nécessaire de ne pas faire
grésiller sa musique et polluer l’espace collectif avec ce bruit.
Au téléphone lorsqu’il sonne pour une nième proposition commerciale pour
réduire ses impôts, changer ses fenêtres ou climatiser sa maison. Toutes ces
sollicitations commerciales qui polluent nos espaces de communication sur
Internet ou ailleurs. Toutes ces centrales d’appel localisées dans des pays
étrangers et qui tentent de nous faire croire que la personne qui nous appelle
est un vigneron bordelais alors qu’il a un accent indien ou marocain !
Dans ces magasins où il est difficile de circuler sans se faire attraper par un
vendeur ou une musique bruyante.
Au cinéma ou au théâtre : ne peut-on pas renoncer à commenter en live un
spectacle, à discuter avec son voisin ou à se bâfrer bruyamment de popcorn
tout en regardant un film pour ne pas indisposer les gens autour de soi ?
Mais aussi face à un paysage où l’on doit côtoyer des touristes qui ne
peuvent s’empêcher de commenter ou de téléphoner au lieu de simplement
observer, accueillir et ressentir.
Sur les réseaux sociaux, est-ce bien utile tous ces commentaires fielleux,
agressifs ou pour ne rien dire ? On retrouve sur Internet des gens qui
trouvent important de dire ne pas avoir d’opinion à la question demandée…
Est-ce une réponse bien utile pour la communauté ? Par ailleurs Internet est
rempli d’insultes et de propos dénigrants qui feraient rougir nos parents si
nous les disions enfant. Voulons-nous vraiment vivre dans une société
agressive ? Est-ce ce modèle de comportement que nous voulons offrir à
nos enfants ? Nous n’avons pas tous évidemment la même opinion et la
même perspective. Aussi, au lieu de juger l’autre, taisons-nous et
accordons-lui le droit à la différence. Faisons attention de ne pas alimenter
des théories du complot.
Est-ce également bien utile toute cette exposition de notre intimité en
partageant nos photos personnelles et notre quotidien avec l’ensemble de
nos contacts ?
N’est-ce pas se comporter en goujat que rompre une relation affective via
Internet ou par SMS ou en affichant un statut de couple ou de célibataire
pouvant blesser un ancien partenaire ? Il est possible d’avoir la mansuétude
de laisser l’autre faire le deuil d’une relation et de ne pas changer de
partenaire de façon désaffectée comme on change de voiture.
En consultation, combien de psy, de coachs ou de médecins ne prennent pas
le temps d’écouter leurs patients, de les accueillir et, par cette attitude, de
leur donner une possibilité d’être à cet instant de la consultation. Combien
de médecins annoncent froidement un lourd diagnostic3 ? Combien de ces
personnes donnent excessivement un conseil ou une prescription
inapplicable, sans tenir compte du contexte de la personne faute d’avoir pris
le temps de bien l’appréhender
À l’antenne, combien de personnes médiatiques ou politiques commentent
immédiatement un événement sans prendre le temps de l’observer et de le
contextualiser au risque de dire d’immenses bêtises ? Un célèbre exemple a
été l’histoire de la femme du RER qui disait avoir été agressée par des
personnes aux comportements racistes. Dans un contexte de polémique sur
ces thèmes, de nombreux hommes politiques avaient immédiatement
commenté l’événement dans le même sens alors que l’on a appris quelque
temps ensuite que c’était la personne qui s’était automutilé. Les médias sont
souvent une caisse de résonnance qui piège les impulsifs de la parole.
Quand ce qu’on va dire risque de heurter l’intime profond de l’autre,
anticipons dans nos commentaires et jaugeons ce qui s’adapte ou pas
forcément à la situation.
Quand « le jeu n’en vaut pas la chandelle ». Comment pouvons-nous être
sûr qu’il y avait ou non pénalty4, erreur d’arbitrage ou une simulation ?
Combien pèse ce débat ? Est-ce si important ? Parfois, on a plus à gagner à
passer à autre chose, même si, au final, on a raison que de s’enliser dans de
vaines discussions.
Quand parler devient indécent, on peut parler à haute voix dans sa cuisine
sans que cela ne choque. Attention à l’injonction mentale du J’ai le droit !
En effet, dès lors que la parole devient publique, elle nous engage et nous
sommes responsable de notre communication à 100 % et nous avons à
considérer son impact dans le choix de dire ou de ne pas dire.
Quand on ne prend pas soin de ce que l’on dit à l’autre ou du ton que l’on
utilise et que l’on blesse la personne qui reçoit notre propos et qu’on le
regrette ensuite. Qui ne s’est jamais dit : « Je n’aurai pas dû dire cela et sur
ce ton » ? Ce n’est pas parce qu’on le pense qu’on a à le dire et sous cette
forme.
Quand on accuse sans preuve et que l’on condamne avant le jugement : les
opinions publiques, si légitimes qu’elles soient, ne peuvent se substituer aux
juges. Ou alors, elles nécessitent un vrai travail d’investigation et de
vérification.
Quand on profite d’un échange pour raccrocher notre propre histoire à celle
de l’autre : « C’est comme moi quand… ». Quand on se laisse happer par
une vision autocentrée de soi et de ce qui nous entoure. Laissons de la place
aux autres !
Quand on inonde notre entourage de conseils. Nous croisons de nombreux
donneurs de leçons ou de personnes qui parlent en égrainant des phrases
toutes faites, d’autres qui ne se retiennent pas de partager leurs sensations
ou leurs mauvais souvenirs à l’annonce du prénom d’un bébé. Plutôt que de
dire à l’autre ce qu’il doit ou ne pas faire, se taire et le laisser lui avec son
libre arbitre. Accueillons-le, il sait.
Quand notre lecture ou sieste notre est interrompue, qu’un bruit vient nous
troubler. Nous connaissons tous le moustique insaisissable qui nous agace,
si au moins il n’émettait aucun bruit ! On lui pardonnerait presque de nous
piquer !

Pour se replacer au centre de soi


Une première étape du changement est probablement de commencer par
s’occuper de soi et de restaurer son humanité au lieu de s’agiter par une
parole ou une expression. Plus nous nous comportons comme des
consommateurs, des machines à acheter, à travailler, à regarder la télé, plus
nous mettons notre vie en danger, celle des autres et celle de la planète toute
entière. Sans travail sur notre intériorité et donc notre humanité, beaucoup
d’efforts sont condamnés à n’être que des réponses ponctuelles, sans
continuité, sans énergie, et sans possibilité d’être assez emblématiques et
puissantes pour convaincre les autres. L’idée n’est pas de dénoncer la
modernité, mais de réfléchir à un meilleur usage de celle-ci, plus adapté aux
êtres humains que nous sommes.
De nombreux travaux montrent que le matérialisme entraîne de la
souffrance, contrairement à ce que notre société essaye de nous vendre
(consommer pour être plus heureux, promesses de bonheur par la
consommation). L’habituation hédonique est aliénante. Elle nous fait perdre
le lien à nous-même. La posture de consommateur est source de moult
problèmes et la question est comment se décontaminer de l’influence
néfaste de cette société d’abondance.
La surexposition à la pléthore. On sait ainsi que les pays en développement
passent de maladies de carence à des maladies de la pléthore, telle l’obésité.
Kelly Wilson5 s’alarme de l’épidémie d’obésité aux États-Unis ces
dernières années, directement liée à l’évolution de nos habitudes de vie.
Ceci n’est pas sans conséquences car il rappelle que 55 % des obèses
présentent un risque de dépression et que 58 % des déprimés ont un risque
d’obésité6. L’un des problèmes dans nos sociétés modernes est de savoir
comment réagir à la pléthore : pléthore et abondance de nourriture, pléthore
de distractions, pléthore de sollicitations, car l’on sait que la pléthore est
dangereuse pour notre santé, elle n’est ni une chance, ni une richesse. Une
étude intéressante des tableaux représentant des scènes de repas depuis
l’Antiquité à nos jours montre que les portions ont augmenté de 70 %. La
question est « qu’est-ce qu’on va faire de tout cela ? Est-ce que par exemple
je vais me forcer à manger tout ce que j’ai dans mon assiette ? »
La surexposition à l’argent. Kathleen Vohs a montré dans une étude
l’influence de l’argent sur nos attitudes. Un groupe était exposé à des
images d’argent, l’autre non7. Les personnes du groupe stimulées par ces
images d’argent avaient tendance à demander moins d’aide au cours de
tâches, mais aussi proposaient moins d’aide et de conseils à leurs
congénères que le groupe contrôle et marquait une plus grande distance
relationnelle. L’excitation liée à ces images rend les personnes moins
proches des autres et moins solidaires.
La pléthore de stimuli sensoriels impactant notre attention. Dans la vie
moderne et plus particulièrement dans la vie citadine, nous sommes
bombardés de stimuli qui nous distraient : signes, images, bruits. Ces
distractions sont source de problèmes attentionnels. Le zapping mental
qu’engendrent ces multiples stimulations est à l’origine de la difficulté à
méditer du fait du tumulte de nos pensées. Notre attention s’envole dans
tous les sens. Nous sommes happés par notre cerveau qui aime bien
spontanément vagabonder (les pratiques qui se focalisent sur une cible
mouvante telles le feu sont intéressantes dans ce contexte). Le manque de
présence à soi fait que le réseau neuronal8 par défaut de notre cerveau prend
le relais et nous embarque dans ces rêveries. Par ailleurs, notre vie
quotidienne nous encourage à nous laisser porter en fragmentant notre
pensée ce qui aboutit à une absence de connexion à soi. Aussi, avant de
changer le monde, il est nécessaire de renouer avec soi afin d’être présent à
sa vie.
Une autre étude a été réalisée sur une population d’étudiants en théologie.
Ces derniers avaient tous travaillé un texte sur la compassion. Une première
moitié de ces théologiens a été pressée de rendre son texte sur sa lecture. La
deuxième moitié a été avertie qu’elle avait le temps pour rendre ce texte.
Sur le chemin de retour de l’université, tous les étudiants ont été confrontés
à un acteur complice de l’étude qui mimait une situation de souffrance. Seul
un étudiant sur 10 du premier groupe s’arrêtait et prêtait attention, alors
qu’ils étaient 75 % dans le second groupe. Tout ceci montre la facilité avec
laquelle nos bonnes intentions et nos valeurs peuvent être bousculées par un
sentiment d’urgence. Quelles que soient nos croyances et nos engagements,
nous restons influençables et nous risquons de nous éloigner de nos valeurs.
Cette expérience nous apprend à nous méfier de nous et particulièrement de
tous ces moments où nous risquons d’être bousculés ou distraits et où nous
risquons de perdre contact avec notre humanité. Nombre de détails peuvent
gêner nos élans à faire du bien autour de nous. Or, la société moderne de
consommation met beaucoup d’énergie à accélérer notre temps et à nous
distraire…
Que peut-on faire ?
• Prendre conscience d’abord de la réalité de cette pollution existentielle.
• Observer son impact sur nous, ne pas la sous-estimer mais adopter une
position active face à elle.
• Écouter nos intuitions.

La société de consommation nous attire vers des distracteurs comme les


nombreux écrans. C’est à chacun d’être actif pour régulièrement ralentir et
se sevrer de ces stimulations. Il peut être intéressant de faire régulièrement
l’expérience de s’arrêter pour prendre conscience de ce qui se passe en
nous, de ce que nous ressentons et de ce que nous sommes malgré les
tentations à faire ou à réagir.
Ce changement de posture peut se faire à titre personnel tout comme
collectivement au niveau d’un groupe, d’une école, d’une entreprise ou de
la société.

Exercice
Fermez les yeux. Concentrez-vous sur votre respiration et rien que sur elle.
Essayer pour voir.
Qu’avez-vous entendu ? Écrivez-le ou dites-le !
Examiner ce qui est important pour soi
On peut commencer par se mettre de temps en temps à l’écart, mais sans
se couper des autres pour prendre conscience de ce que l’on perçoit, de ce
que l’on ressent, de nos choix et de nos engagements dans des associations,
mouvements ou au niveau politique. En effet, examinons notre engagement
pour les humains : que faisons-nous pour nous, pour les autres, pour la
société à notre échelle. Il s’agit de prendre conscience de nos valeurs, de
nos intentions et de nos actes réels. Stefan Zweig parle des « conditions
nouvelles de notre existence, qui arrachent les hommes à tout recueillement
et les jettent hors d’eux-mêmes, comme un incendie de forêt chasse les
animaux de leurs profondes retraites ». Henry David Thoreau « pense que
notre esprit peut être sans cesse profané par le fait d’assister régulièrement
à des choses triviales, de sorte que toutes nos pensées seront teintées de
vulgarité ». Nietzsche demande : « toutes les institutions humaines ne sont-
elles pas destinées à empêcher les hommes de sentir leur vie à cause de la
dispersion constante de leurs pensées ? » Einstein ajoute : « Notre époque
se caractérise par une profusion de moyens mais une confusion des
intentions ». Enfin, Pierre Rabhi dit : « Il nous faudra bien répondre à notre
véritable vocation qui n’est pas de produire et de consommer sans fin mais
d’aimer, d’admirer et de prendre soin de la vie sous toutes ses formes ».
Pour Henri Thoreau, il nous faut « simplifier, simplifier, simplifier ».
C’est-à-dire « simplifier nos actions, simplifier nos paroles, simplifier nos
pensées » pour inscrire en nous la fraîcheur du moment présent. C’est
souvent dans la simplicité que l’on trouve l’essentiel dans la vie, vivre
l’instant présent.

Exercice
Récitez cinq fois de suite ce mantra plusieurs fois par jour pendant plusieurs
semaines : « je n’ai besoin de rien ».

La simplicité volontaire n’est pas de se priver, ce qui serait absurde, mais


de subvenir à ses justes besoins. C’est comme marcher en montagne avec
un sac à dos composé de 50 % de provisions et de 50 % de cailloux. La
simplicité est de se débarrasser des cailloux. La simplicité est de ne pas
laisser son esprit se laisser happer par toutes les distractions. Nous sommes
happés par le miroir aux alouettes qui nous raconte qu’en ayant plus, on
sera plus. Alors que le plus souvent, c’est dans cette simplicité qu’on trouve
la véritable richesse intérieure.
Apprendre à se taire pour s’autoriser à être heureux avec ce qu’il y a à cet
instant. Sortir de l’attente et de la frustration pour être curieux du présent.
Accepter d’être heureux quand il nous arrive quelque chose de bien ou que
l’on perçoit des stimulations sensorielles agréables. Commencer par les
savourer avant de les commenter.

Pour construire une intériorité


Se taire pour créer un espace en soi. Mettre en place ce fameux jardin secret
où nous jardinerons notre identité, notre réflexion et nos sentiments comme
des richesses. Cet espace constituera un endroit merveilleux où s’épanouira
notre enfant intérieur que nous arroserons d’amour et de bienveillance. Il
sera aussi un espace de réflexivité nous permettant de choisir notre chemin
et le genre de bonhomme que nous souhaiterons devenir. Il nous aidera à
nous adapter sans se faire déborder par nos passions. Sans lui, nous perdons
notre humanité pour être l’esclave de nos passions, celles dont les
philosophes grecs cherchaient à s’émanciper.
En effet, lorsque nous naissons au monde, nous sommes déperfusés de la
satisfaction permanente de nos besoins. Cette étape de la vie nous confronte
au manque. Cette épreuve existentielle nous ouvre la voie de la conscience
de soi et de la sensation de vivre. Cependant à cette aube de la vie, toute
notre énergie est mise à la disposition de la satisfaction de nos besoins.
Grandir et être mature consiste à s’émanciper de cette avidité à l’origine de
nos pulsions. Se taire consiste à faire de la place en soi dans cette
respiration de l’instant sans jugements ni commentaires pour être juste là,
présent à soi.
Cette intériorité est nécessaire à la vie et pour être le réceptacle de nos
apprentissages. Depuis l’origine de notre humanité, notre engagement dans
toutes les choses simples et essentielles de la journée nous a permis d’être et
de construire notre bonheur. L’émission de Frédéric Lopez, Rendez-vous en
terre inconnue, nous montre des hommes au quatre coins de la planète au
contact de la nature et de la vie, faisant des actions simples pour répondre à
leurs besoins, heureux et vivants. Notre société de consommation qui
nourrit notre relation avide à la matérialité et aux écrans nous prive de ce
temps nécessaire à la mise en place de cette intériorité.

L’avis du psychiatre Christophe André9


Nous sommes en train de perdre notre intériorité. C’est ennuyeux pour les adultes.
Nous vivons dans un monde qui nous sollicite, qui externalise notre attention. Dès
que nous avons un petit moment où nous pourrions nous poser, réfléchir, laisser
décanter en nous tout ce que nous venons de vivre, nous nous jetons sur nos
écrans. Nous sommes aspirés par des publicités, des infos, des sollicitations et
nous perdons ce rapport avec nous-même. C’est très grave pour les adultes et
plus encore pour les enfants.
La pédagogie donne des matériaux, des messages mais encore faut-il que le
terrain soit propice, que l’écoute soit là, que la réceptivité soit là. La méditation
développe nos capacités à cette écoute et à cette réceptivité.

Dans notre société, le lieu principal d’apprentissage hors de la famille est


l’école. À cette étape de notre civilisation, il semble nécessaire d’instaurer
quelques minutes de méditation à chaque reprise de cours chez les
enfants10. Ce moment de recueillement leur permettra de faire place
nécessaire pour réceptionner les nouveaux apprentissages et les faire
croître. Il existe des supports pédagogiques pour aider les enseignants pour
tous les âges comme le livre Calme et attentif comme une grenouille d’Eline
Snel pour les enfants de 6 à 12 ans ou celui de Soizic Michelot et d’Anaël
Assier Comment ne pas finir comme tes parents pour les 15-25 ans.
Dans cette intériorité se loge notre enfant intérieur11. Il est notre fragilité et
notre sensibilité. En fait, il est notre humanité. Nous avons à lui faire de la
place pour qu’il se sente confortable malgré les aléas de la vie. Nous avons
à l’accueillir, lui parler, lui donner de l’amour avec générosité, sans le
mettre en dette.

Marie
Quand je me sens fragile ou éprouvée, je prends le temps de me parler à voix
haute. J’ai appris à cohabiter avec cet enfant intérieur. Je ne me sens plus
seule. Cela peut paraître bizarre mais depuis que je le fais je suis plus paisible.

Se taire, se connecter à soi et à sa respiration à différents moments de la


journée participe à notre hygiène de vie tout comme se brosser les dents.
Cela s’apprend et s’institue. En faisant, cela, nous prenons soin de notre
cerveau et nous l’apaisons dans une société qui le sollicite en permanence
jusqu’à épuisement comme dans le burn-out. Il s’agit d’un enjeu social et
collectif majeur de ces prochaines années pour préserver notre humanité et
nous protéger d’une barbarie qui reprend du galon à différents endroits du
monde mais aussi sur les réseaux sociaux. Prendre conscience de son
intériorité et écouter son cœur nous protège de réactions intempestives
contre soi et les autres afin d’arriver à vivre ensemble.

Pour se connecter entièrement


à ce qui nous entoure
Avant d’échanger ou de communiquer avec quelqu’un, se taire favorise la
possibilité de nouer une relation privilégiée et intime avec son interlocuteur.
Ce silence nous met en contact avec nos sentiments, nos émotions et nos
ressentis qui sont des informations sur nous, sur notre interlocuteur et sur
cette connexion. Souvent nous parlons par peur ou par insécurité. Cette
attitude est une fausse bonne solution car elle ne résout pas la
problématique relationnelle. Un véritable échange se produit lorsque l’on
parvient à traverser ses peurs et que l’on s’offre tel que l’on est à l’autre en
lui permettant de nous connaître vraiment. À cette condition, nous nous
retrouvons véritablement connecté à notre interlocuteur. Il s’agit d’une
expérience humaine riche et profonde. Cela vaut le coup de se taire pour
connaître et partager cela. En outre, cette posture nous protège de l’illusion
de vivre avec les autres en étant en fait enfermé bien seul dans notre prison
mentale. Dans notre société, nous sommes souvent les uns à côté des autres,
mais pas si souvent avec les autres.
Il n’est pas facile d’arriver à nouer ce genre de lien. La mise à nu
émotionnelle est un travail de longue haleine. Il nous permet d’explorer
notre authenticité et de nous débarrasser de nos réflexes et de nos
automatismes qui viennent polluer nos relations. Nous avons besoin de
temps, de force mais aussi d’envie pour ressentir et embrasser les émotions.
Cela demande de se connaître et de connaître l’autre.

Le conseil de Laurent
Le conseil de Laurent
Je me souviens d’une spectatrice qui m’avait traité de « salaud » dans un grand
silence. Il suivait une longue tirade où mon personnage faisait étalage auprès du
public de sa manipulation envers son ex-femme. Mon silence lui a permis de se
glisser dedans, de ressentir pleinement de qu’elle allait exprimer à travers cet
adjectif. Sans lui, je me coupe du public, c’est un espace de liberté que je lui offre.
Son absence me fait demeurer uniquement dans mon rapport à moi-même, hors
si je ne tiens pas compte des partenaires et du public, je ne rayonne pas, je ne
suis plus ici et maintenant.

Pour converser, il faut être deux. Il est difficile de converser avec quelqu’un
qui ne sait pas le faire. Un silence qui n’est pas accueilli et accepté peut
mettre en éveil le cerveau émotionnel et être à l’origine d’une angoisse. Il
est intéressant de savoir traverser et savourer un silence s’en mettre en
branle la machine à juger. Une conversation et un échange, c’est comme la
musique. Les silences sont importants et participent à la musicalité du
propos.

Pour sa pleine conscience


Ralentir pour prendre son temps ou l’éloge de la lenteur
Nous trépignons, nous nous agitons, nous nous précipitons pour atteindre
des objectifs au risque de passer à côté de notre vie. Pourtant, de plus en
plus de personnes aimeraient ralentir leur rythme12. Le temps libre est
devenu le luxe de notre époque. Il en est né une nouvelle mode : le slow
food, le slow sex, slow travel, slow talking… Autant de pratiques qui
promeuvent de savourer l’intensité de l’instant tel un œnologue qui gardant
le vin en bouche sans se précipiter à le consommer. Être capable de ralentir,
c’est être capable de vivre. C’est sortir des « il faut » et des « je dois » que
nous racontent notre tête, pour prendre le temps de s’écouter, de se ressentir
et de laisser des espaces entre chaque chose. Accueillir et savoir respirer car
on finit par gagner du temps en acceptant d’en perdre ainsi.

Temps suspendu au cinéma


Sofia Coppola est une cinéaste qui a le talent pour filmer le temps suspendu.
Dans Marie-Antoinette, elle filme avec grâce l’attente de Marie-Antoinette, qui
profite de l’instant présent en laissant une main hors du carrosse qui l’amène de
l’Autriche à la cours française. Le film Somewhere raconte l’histoire d’un acteur
qui est suspendu dans un temps d’attente entre deux contrats dans un hôtel à
Hollywood. Il n’a rien à faire pendant tout le film. Il se passe rien mais il
s’exprime tellement de chose dans la sensation du temps qui ralenti et qui
ouvre des espaces d’humanité.

Ce rapport au temps dépend de notre éducation et de notre culture. En


France nous courons beaucoup. En entreprise, beaucoup de salariés se
mettent à accélérer leur rythme de travail en fin d’après-midi. Les réunions
sont mises en fin de journée et gare à celui qui part trop tôt du travail ! On a
parfois l’impression que plus on part tard du travail, plus on est respecté par
ses collègues. Par contre en Angleterre, celui qui part après 17 h 30 est
montré du doigt, voire sermonné. Ces deux pays ont une gestion du temps
de travail différente tout en étant aussi efficaces économiquement. En
terminant trop tard, on court dans sa vie de famille, on ne voit pas ses
enfants, la vie de couple et de famille est impactée et on n’a pas un temps
suffisant de récupération après le travail ce qui est à l’origine d’une
fatigabilité, de troubles anxieux et de troubles de sommeil. La France n’est-
elle pas une grande consommatrice de psychotropes ? L’enjeu du travail
n’est pas les 35 heures mais combien de temps nous travaillons dans une
journée et la place que l’on offre aux citoyens pour avoir une vie
personnelle riche et nourrissante afin d’être plus productifs qu’un salarié
épuisé par son rythme de travail. Une maxime dit qu’il est nécessaire de
méditer quinze minutes par jour mais quand on n’a pas le temps, il faut
méditer une heure !

En pratique
En pratique
• Ne pas se laisser piéger par les to do list13. En effet, les listes ne doivent pas
être un outil pour s’autoflageller et s’empêcher de vivre. Mal utilisées, elles
donnent le vertige. Choisir de faire une liste aide-mémoire pour s’alléger le
mental et éventuellement, chaque soir, une liste hiérarchisée des quelques
choses vraiment importantes à se programmer pour le lendemain. Ensuite,
selon sa forme, en partant du plus important, on fait ce qui est possible.
• Faire le point chaque matin sur ses engagements. Se noter ou relire les
points de vigilance pour la journée ou les priorités.
• Le matin, mettre en place des rituels doux et attentionnés pour s’éveiller. En
effet, certaines personnes retardent le moment de se lever pour ensuite
s’engager dans la journée, toutes chiffonnées de la nuit en ne prenant pas le
temps de se retrouver, de se réveiller, de déjeuner et de s’ouvrir à soi et au
monde. Au final, la journée se déroule dans le désordre et procure une
tension que certains purgeront le soir dans des comportements absurdes
(boulimie, trichotillomanie, anxiété, troubles du sommeil, etc.).
• S’offrir des instants dans la journée comme des respirations, des soupirs ou
des pauses en musique. Avoir des moments où l’on ne fait rien. Trop de
personnes ne savent pas être simplement avec soi. Elles s’ennuient dès
qu’elles sont seules, voire elles s’angoissent.
• Chercher à aborder chaque chose par l’angle de la curiosité et du plaisir.
• Pratiquer les activités que l’on aime, les tâches ménagères ou habituelles en
ralentissant en se connectant à la sensation. Faire la vaisselle en se
connectant à la sensation de l’eau sur les mains. Ne pas se démaquiller
mécaniquement mais en prenant le temps de percevoir les sensations que
cela procure avec beaucoup d’amour pour soi et en prenant conscience de la
raison de ce geste.
• Pratiquer la cohérence cardiaque. Faire des respirations lentes et profondes
ventrales pendant deux à cinq minutes, cinq à six fois par jour en mettant
cinq secondes pour inspirer et cinq secondes pour expirer.
• S’offrir des moments de silence. Se déconnecter et s’éloigner des objets
numériques qui nous hèlent en permanence.
La vie est courte. Prenons le temps de la respirer et de la ressentir en pleine
conscience.

Méditer, ou comment s’offrir un instant pour changer


son rapport au monde
La méditation est de plus en plus présente dans notre société occidentale.
Elle fait la une des journaux. Elle est de plus en plus prescrite par les
médecins, notamment pour la prévention de la rechute dépressive et elle est
portée par de nombreuses personnalités telles que Christophe André, Jean-
Gérard Bloch, Fabrice Midal, Matthieu Ricard… Cette pratique ancestrale,
fortement présente dans d’autres cultures, propose un nouveau paradigme à
notre société moderne, même si elle est encore cantonnée principalement au
soin et aux personnes sympathisantes du bouddhisme et d’une culture new
age. La diffusion de ce rapport à soi et aux autres est porteur de nombreuses
vertus qu’il est nécessaire de retrouver dans ce monde d’agitation.
La méditation est une pratique qui se développe fortement en Occident
notamment sous des formes laïques. Il existe de plus en plus d’études
scientifiques montrant ses bienfaits sur le cerveau, la santé et les relations
aux autres. Les méditants éprouvent un sentiment de solitude moindre que
les autres. Le fait de se connecter avec soi permet de se connecter aux
autres.

Comment développer la pleine conscience ?


La pleine conscience peut s’apprendre à l’aide de supports audio que l’on
trouve sur Internet ou par des livres dans lesquels se trouvent des disques ou
des liens Internet. Une approche plus structurée consiste à faire des stages14
ou au sein d’espaces15 mis à disposition au public en présence d’un
instructeur16. Leur durée est de 8 semaines. Ils consistent en une session
collective de deux heures environ avec un instructeur par semaine et
d’exercices à pratiquer à la maison entre deux. Il existe deux formes de
stages :
• MBCT (Mindfullness Based Cognitive Therapy), pour ceux qui ont
souffert de troubles dépressifs. Elle diminue le risque de rechute. Les
personnes apprennent notamment à observer les pensées hameçons
sans y mordre pour ne pas se laisser happer dans des ruminations qui
feront le lit de la rechute dépressive.
• MBSR (Mindfilness Based Stress Reduction), destinée à toute personne
se situant dans une situation psychologique stable et qui souhaite
améliorer sa perception et sa relation à son intériorité ou pour moins
souffrir d’anxiété ou de stress.
Jon Kabat-Zinn est un médecin qui a décliné la méditation sous une
forme laïque et thérapeutique. Il a mis en place les bases des protocoles
MBCT et MBSR. Il est une grande référence en pleine conscience – avec la
psychologue d’Harvard Ellen Langer – et l’auteur de nombreux livres sur ce
sujet. Cependant, tout comme Ellen Langer, il explique que la méditation et
la pleine conscience ne se pratiquent pas que dans une forme formelle
comme c’est le cas dans les stages. Elle se pratique aussi à chaque instant
de sa vie où l’on fait l’effort d’être présent à soi et aux autres, à ce qui se
passe autour de soi et en soi sans commentaires ni jugement.

Simplement s’asseoir
Prenons le temps de nous asseoir pour nous offrir un instant au contact de nous-
même. Quand on s’assoit, il est possible prendre contact non seulement avec son
propre corps, mais aussi avec la totalité de sa pensée.

Le regard de Jean-Christophe
Cet exercice peut être fait à tout moment où que nous soyons. Le moment présent
est toujours à côté de nous, mais notre regard est souvent attiré ailleurs. Pourtant,
c’est le seul temps où nous sommes vivant et là. C’est en partant de cette idée
que, avec d’autres personnes, j’ai créé l’association S’asseoir ensemble pour
cultiver une méditation du quotidien partout où nous sommes au cœur de la cité.

L’association S’asseoir ensemble


L’association S’asseoir ensemble
L’objectif de cette association est de pouvoir s’offrir un instant où que nous
soyons.
Notre société nous happe continuellement dans le tourbillon de la vie. Nous
passons notre vie à faire en oubliant souvent d’être. Nous ruminons le passé,
nous nous inquiétons du futur, nous suivons des objectifs et nous commentons
sans cesse notre vie quand ne nous la jugeons pas. L’agitation que la vie actuelle
en société produit nous amène à purger notre tension dans des comportements
souvent absurdes17, parfois addictogène et délétères pour notre santé (manger,
fumer, boire, s’arracher les cheveux, consommer, s’agresser, etc.), sous l’effet du
stress et de l’anxiété ou à des somatisations. À l’instar des nuits debout18, nous
vous proposons de vous asseoir le jour, dès que cela se présente, dès que vous
en avez besoin ou envie, pour vous offrir un moment de vie, pour être juste là
avec ce que vous avez et vivre une méditation libre et ouverte le temps que vous
avez. Je propose de ralentir et d’expérimenter le fait d’être en vie ici et maintenant.
La méditation est une réponse simple et efficace, accessible à tous. De plus en
plus de personnes la pratiquent quotidiennement ; elle pourrait être intégrée dans
la vie publique comme s’asseoir en terrasse ou boire un verre. Tout le monde peut
en bénéficier (adultes, enfants, etc.) ! Ralentir permet la contemplation et la sortie
du discours et du jugement intérieur qui nous volent du temps. Une maxime dit
qu’il peut être bon de méditer chaque jour un quart d’heure. Mais elle ajoute que,
si nous n’avons pas le temps, il est nécessaire de méditer une heure ! Alors
posons-nous et asseyons-nous tous ensemble (http://www.sasseoir-ensemble.fr/).
Probablement en prenant le temps de nous recentrer sur nous et de prendre soin
de nous, nous arriverons peut-être à prendre soin des autres et du collectif.

La pleine conscience s’exerce dans tous les gestes de la vie quotidienne :


marcher, manger, se laver, faire la vaisselle, etc. En effet, lorsque l’on pense
en marchant, on s’inscrit dans un mouvement automatique qui exclut le
corps. Être dans la sensation de la marche lui permet d’exister. En outre, il
met au repos notre esprit. Le burn-out se nourrit d’un mental épuisé d’être
en marche. Dans la dépression, se recentrer sur des activités simples du
quotidien ne nécessitant pas le cerveau lui permet de le mettre au repos
comme on met au repos une articulation foulée. Notre société nous pousse à
habiter le mental jusqu’à l’usure. Nous ruminons et nous ressassons pour
résoudre nombre d’injonctions paradoxales. Redescendons réinvestir la
présence corporelle. C’est une bonne prévention à l’anxiété.
Cultiver la pleine conscience
Au début, certaines personnes peuvent avoir un sentiment de chaos lorsqu’ils
portent leur attention sur leur esprit. Aussi, il est nécessaire de trouver un point de
stabilité dans la complexité de notre être afin de s’ancrer dans l’instant présent. Le
plus simple est de se fixer sur le mouvement respiratoire afin de ne pas quitter
notre être sans notre corps. Dans l’imaginaire de nos pensées ou de nos
ruminations, notre corps n’est plus là. Rester au contact de son corps est un très
bon véhicule pour naviguer dans l’instant présent et observer que nous sommes
ballotés dans un lot de changements perpétuels : c’est l’impermanence. Par
simplicité, nous appellerons cette prise de conscience « pleine conscience ». La
science a prouvé que cette pleine conscience a un potentiel de guérison très
important (système cardio-vasculaire, humeur, attention, système
immunitaire, etc.).
Dans cet exercice, nous nous engageons avec autorité à être pleinement à ce que
nous sommes à cet instant de la respiration. Respiration consciente par respiration
consciente, nous allons faire grandir les graines de notre être en les arrosant
régulièrement afin qu’elles s’épanouissent. La pleine conscience revient à
travailler nos résistances intérieures afin de les assouplir et étirer notre être
comme nous travaillons un muscle pour gagner en clarté et en discernement. Ce
travail sur notre flexibilité intérieure nous aidera à nous défaire de nos masques et
de nos faussetés pour renouer avec l’être authentique que nous sommes : celui
qui a une véritable valeur. En étant authentique, nous arriverons à véritablement
choisir nos actions en tenant compte de notre forme du moment et du contexte. La
véritable force ne tient pas en se forçant au bonheur, mais en faisant de la place à
toutes nos émotions et à nos fragilités. C’est ainsi que nous sommes de beaux
humains. En faisant de l’espace en nous à travers ce mouvement respiratoire de
pleine conscience, nous pourrons habiter totalement notre être du bout des ongles
jusqu’à l’extrémité de notre corps pour former un tout.

Au début, cette pleine conscience de ce que nous sommes à cet instant-là


ne dure que quelques secondes, puis nous sommes attrapés par ce qui nous
distrait habituellement. À nous de revenir aussi souvent que nécessaire à
cette expérience sensorielle de l’instant pour que celui-ci dure plus
longtemps.
Un jour, un chercheur a demandé au Dalaï Lama quel avait été le moment
le plus heureux de son existence, il avait répondu « I think, now ! ». En
effet, si sa présence éveillée est de qualité à cet instant, à quoi bon tenter de
faire revivre un passé qui n’était plus là ou anticiper un futur qui n’est pas là
encore. Le passé a de l’importance uniquement pour son impact sur le
moment présent. Se projeter excessivement dans le futur peut engendrer des
craintes ou des espoirs. Le bien-être profond n’existe que dans la fraîcheur
du moment présent, qui est extrêmement clair, qui n’est pas rempli d’un
contenu. C’est-à-dire lorsque que les pensées du passé sont déjà parties et
avant que les pensées du futur n’envahissent notre conscience.
Le flot des pensées est tel que nous nous laissons aisément accrocher par
elles pour être embarqués ailleurs. En outre, une pensée donne naissance à
une deuxième puis à une troisième et, très rapidement, nous nous
retrouvons envahis par ces pensées en chaîne.
Il est possible d’apprendre à goûter à la fraîcheur, à la transparence du
moment présent malgré les pensées qui traversent notre conscience. Nous
pouvons les voir comme des oiseaux qui traversent le ciel sans laisser de
trace. À nous d’apprendre à nous focaliser sur le ciel et non pas sur les
oiseaux qui le traversent. Certains jours, il n’y que quelques oiseaux.
D’autres jours, nous observons des nuées d’oiseaux, mais notre attention
reste connectée au ciel.

Les retraites Vipassana19


Le Vipassana est une pratique indienne ancestrale qui consiste à voir les choses
telles qu’elles sont réellement. Cet apprentissage s’effectue au cours de retraites
d’une durée de dix jours, dans le silence. Ce silence permet d’expérimenter la
force du désir qui nous met en lutte avec la vie et nous-même au lieu d’aborder
tranquillement ce qui se présente à nous. L’objectif est de sortir de la lutte et de la
réaction pour trouver la paix et l’harmonie. En effet, cette lutte est source de
tension et de négativité. Ces retraites sont une expérience humaine souvent
éprouvante mais très enrichissante.

La pleine conscience trouve son essor aussi en réaction à notre époque et


à notre société de consommation. Avant celle-ci, on était créatif, présent à
sa vie et en lien avec notre environnement. Lorsque nous jardinions, que
nous bricolions, que nous échangions avec les commerçants ou que nous
nous entraidions, nous étions bien ancrés le présent et moins distraits par
nos pensées. La société de consommation et le zapping mental que
procurent les outils numériques, mais aussi la disparition de l’espace social
du village, font que nous avons plus de difficultés à être simplement là.
Probablement que nous grands-parents ou arrière-grands-parents riraient
bien sur la nécessité de mettre des mots sur une attitude qui allait de soi
dans les métiers manuels d’autrefois. Nous avons tous cette image d’Épinal
de l’agriculteur taiseux qui parlait juste quand il était nécessaire et dont
l’expression passait par ce qu’il faisait : probablement un méditant qui
s’ignorait et qui la pratiquait sans le savoir comme Monsieur Jourdain
faisait de la prose.
Toutefois, s’il est intéressant de renouer avec cette pratique, il faut se
garder à que cette tendance se « boboïse » au risque de la transformer en
une pratique snob. Prendre le temps de l’instant n’est qu’une proposition
libre et non une dictature à la pleine conscience.

Le guerrier insolent et le vieux maître


Près de Tokyo vivait un grand samouraï, déjà âgé, qui se consacrait désormais
à enseigner aux jeunes. Malgré son âge, on murmurait qu’il était encore
capable d’affronter n’importe quel adversaire.
Un jour arriva un guerrier réputé pour son manque total de scrupules. Il était
célèbre pour sa technique de provocation : il attendait que son adversaire fasse
le premier mouvement et, doué d’une intelligence rare pour profiter des erreurs
commises, il contre-attaquait avec la rapidité de l’éclair.
Ce jeune et impatient guerrier n’avait jamais perdu un combat. Comme il
connaissait la réputation du samouraï, il était venu pour le vaincre et accroître
sa gloire.
Tous les étudiants étaient opposés à cette idée, mais le vieux Maître accepta le
défi.
Ils se réunirent tous sur une place de la ville et le jeune guerrier commença à
insulter le vieux Maître. Il lui lança des pierres, lui cracha au visage, cria toutes
les offenses connues, y compris à ses ancêtres.
Pendant des heures, il fit tout pour le provoquer, mais le vieux resta impassible.
À la tombée de la nuit, se sentant épuisé et humilié, l’impétueux guerrier se
retira.
Dépités d’avoir vu le Maître accepter autant d’insultes et de provocations, les
élèves questionnèrent le Maître
– Comment avez-vous pu supporter une telle indignité ? Pourquoi ne vous êtes-
vous pas servi de votre épée, même sachant que vous alliez perdre le combat,
au lieu d’exhiber votre lâcheté devant nous tous ?
– Si quelqu’un vous tend un cadeau et que vous ne l’acceptez pas, à qui
appartient le cadeau ? demanda le samouraï.
– À celui qui a essayé de le donner, répondit un des disciples.
– Cela vaut aussi pour l’envie, la rage et les insultes, dit le Maître. Lorsqu’elles
ne sont pas acceptées, elles appartiennent toujours à celui qui les porte dans
son cœur.

Pour goûter aux vertus du silence


Le silence est actuellement trop absent de nos vies agitées, bruyantes,
tumultueuses : le bruit de la ville, des klaxons, des voitures, des écrans, de
la musique… Paris est une ville particulièrement dense. Nos transports sont
bondés de personnes écoutant de la musique tout en faisant profiter le
voisinage malgré les écouteurs ou de personnes n’ayant plus aucune pudeur
pour téléphoner devant nous et nous faire partager, contre notre gré, leur vie
privée. Notre société industrielle produit des bruits qui usent et fatiguent.
Pour en prendre pleinement conscience, ralentissez votre rythme, asseyez-
vous et ouvrez vos fenêtres pour écouter votre environnement : notre
environnement est rempli de bruits qui virent vite au tintamarre. Le silence
est devenu cher. Les citadins sont de plus en plus à la recherche de silence.
Cet aspect participe souvent au choix de son lieu de vie.
Un excès de bruit fatigue et stress. Différentes études20 ont démontrés le
rôle délétère sur l’audition de l’écoute trop forte de musique avec des
oreillettes. D’autres ont mis en avant que des salariés travaillant dans un
environnement trop sonore était moins performant. Les employés travaillant
en Open Space sont plus stressés. Enfin, une étude prospective21 a comparé
les performances d’élèves avant et après la construction d’un aéroport à
coté de leur école du côté de Munich. Il a été observé que le bruit de cet
aéroport avait une influence notable sur les performances des élèves. Le
bruit de cet aéroport a fait baisser les résultats concernant la mémoire et la
lecture.
Pourtant, nous avons aussi besoin de silence. Ce silence est utile pour nous
reposer, pour nous ressourcer, pour nous connecter à nous-même ou pour
apprécier les sons qui les entourent. Prendre le temps du silence nous inscrit
dans le présent et ralentit le temps. Notre agitation verbale et cérébrale nous
amène à dévorer la vie au risque de passer à côté. Certains Africains disent,
en voyant des Blancs s’agiter, qu’ils ont l’impression que ces derniers sont
pressés de mourir. Pour aller encore plus vite, notre époque moderne ne
manque pas d’imagination. Pour pouvoir visionner un maximum de série,
certains ont inventé le binge watching, c’est-à-dire la vision accélérée de
certains passages sans dialogue !

Silence à vendre
Silence à vendre
Dans notre société rien ne se perd et tout peut se vendre. Le silence, lui aussi, est
source d’un commerce :
• Certains instituts parisiens proposent des séances où l’on peut s’immerger
dans un caisson, baignant dans l’eau, pour vivre l’expérience d’un isolement
sonore.
• Les retraites silencieuses sont à la mode et se développent en France tout
comme au Sahara ou autre désert.
• Les voyageurs en classe affaire bénéficient de salles d’attentes spécifiques
dans les aéroports.
• Le silence est un des services proposés par certains hôtels haut de gamme.
• Il peut être ainsi le luxe de certaines personnes fortunées.

Ce silence prend différentes formes. C’est celui qui se pose entre nos
pensées, celui qui s’installe entre deux bruits, celui qui s’invite dans nos
cœurs, celui qui ponctue une phrase musicale. Le silence, c’est le tempo de
nos vies. C’est par et grâce au silence que nous restons en équilibre. Il
participe à l’harmonie.

Jeanne
Le bruit nous engloutit, le silence nous ressource. La métaphore de l’océan
nous éclaire, agité à la surface et si calme dans le fond. Le silence, c’est notre
espace de sécurité au fond de nous. C’est le silence qui, comme pour la
musique, écrit la symphonie de nos vies.

Aujourd’hui, les neurosciences valident que le silence « répare » nos


neurones abîmés et, probablement (car d’autres études doivent le
confirmer), fait « pousser » de nouvelles connexions. Une étude
scientifique22 a exposé des souris à deux heures de « silence » par jour. Ces
dernières développaient de nouvelles cellules dans l’hippocampe, une
région cérébrale participant aux émotions, à la mémoire et à
l’apprentissage, contrairement à celles exposées aux bruits habituels d’une
animalerie. De même, l’exposition à la musique de Mozart avait une
influence positive sur la neurogenèse hippocampale. Le silence procure de
l’apaisement chez la plupart des humains. Le silence, c’est le booster de
notre cerveau, le silence est d’or, l’or des alchimistes qui peut tout
transformer ! Aussi, cessons un instant et de temps en temps de nous agiter
pour faire du bruit pour juste être là et écouter. Offrons quelques minutes de
silence à nos enfants avant de commencer un cours.

Le vrai silence existe-t-il ?


Le vrai silence n’existe pas. Nous serions probablement malheureux sans
stimulation sonore. Même à la campagne, dans la forêt, au plus loin des
hommes, la nature est remplie de sons. Les sons de la nature sont cependant
plus doux plus mélodieux et sans sons intenses continus agressant notre
cerveau et notre intériorité.
Au Minnesota, il existe un hôtel qui propose une chambre sourde aux
bruits. Le niveau de décibel est négatif. Georges Foy, auteur du livre Zéro
décibel a expérimenté ce lieu :
« Le type qui m’y a amené a éteint la lumière parce que ça fait un tout petit peu de bruit et
il m’a mis au défi de passer 45 minutes là-dedans sans devenir fou. J’étais dans le noir et
dans le silence complet, c’était très impressionnant.
Au début, j’étais très content, j’avais trouvé ce que je cherchais. Et puis au bout d’un
temps, j’ai réalisé que j’entendais des bruits, mes propres bruits, j’entendais même le
sang couler dans mes veines. J’ai compris que le seul moment où l’on n’entend rien, c’est
quand on est mort. »

Plus que du silence, nous avons besoin d’entendre calmement les sons
qui nous entourent et d’être libéré des bruits qui nous envahissent et qui
polluent notre espace, nous brutalisent et nous envahissent. Tous ces bruits
qui happent notre attention et qui nous rendent sourd au reste de la vie.
« Mes recherches m’ont fait comprendre que personne n’a vraiment envie du silence
absolu. Il faut veiller, par contre, à trouver un équilibre dans sa vie et à s’accorder des
temps calmes pour sortir de temps en temps du bruit qui nous entoure. »
Georges Foy

Le silence absolu n’est-il pas celui de la mort ? On ne sort pas vivant du


bruit de la vie !

Le silence est agréable…


Quand il nous ouvre les sens.
Quand le bruit du flux de la mer meurt en chuchotant, que son reflux se tait,
et que le silence vibre jusqu’au prochain flux. C’est tellement en rythme !
Bravo le chef d’orchestre !
Quand mon chat s’approche de moi, que je le regarde, que je le laisse
approcher sans faire de bruit, immobile, jusqu’à ce que la confiance
s’installe et qu’on entame ensemble une séance de ronronnement.
Lorsqu’on écoute un morceau de musique et rien d’autre qu’écouter, et
qu’enfin, il s’arrête et que le silence résonne encore, encore… et encore.
Quand le silence me permet d’écouter, d’observer et de préparer ce que je
vais dire : j’écoute les mots à double-sens, ce qui n’est pas dit, je regarde ce
qui se passe autour et, si l’instant le permet, je réagis.
Le silence d’un câlin qui berce, rien ne se dit tout se ressent. La force de la
simple présence.
Le silence de connivence qu’un regard seul confirme. Un courant passe.
Dans le regard de l’amour. Lorsque l’on contemple son enfant essayer, se
tromper, se reprendre, tenter à nouveau, expérimenter, apprendre.
Le silence offre la possibilité de savourer l’écho intérieur que nous procure
la vie et qui élargit notre être que nos discours et commentaires rétrécissent.
Cet écho nous informe et nous enrichit. Comme en musique, il participe à
l’harmonie de notre être et de notre vie.
6
Savoir parler à bon escient

Le test des trois passoires


Une personne se rend chez un grand philosophe pour lui faire une révélation :
– Sais-tu ce que je viens d’apprendre sur ton ami ?
Le philosophe l’arrête et lui demande un instant.
– Avant que tu me racontes ce que tu souhaites me révéler, j’aimerais te faire
passer le test des trois passoires.
– Les trois passoires ? s’interloque la personne.
– Oui, reprend le philosophe. Avant de me raconter toute chose sur quelqu’un
d’autre, il est bon de filtrer ton intention à travers l’épreuve des trois passoires.
– Explique-moi alors !
La première passoire est celle de la vérité. As-tu vérifié si ce que tu veux me
dire est vrai ?
– Non. J’en ai simplement entendu parler…
– Très bien. Tu ne sais donc pas si c’est la vérité. Essayons de filtrer en utilisant
la deuxième passoire, celle de la bonté. Est-ce que tu veux me dire quelque
chose de bon ?
– Non, au contraire !
– Donc, continua le philosophe, tu veux me raconter des mauvaises choses sur
cet ami dont tu ne sais même pas si c’est vrai ? Il reste l’épreuve de la troisième
passoire. Celle de l’utilité. Est-il utile que tu m’apprennes ce que mon ami aurait
fait ?
– Non pas vraiment.
– Alors, conclut le philosophe, si ce que tu as à me raconter n’est ni vrai, ni
bien, ni utile, pourquoi vouloir me le dire ?
S’exprimer ne veut pas dire se ruer
sur les mots
Le théâtre, le cinéma et encore plus la danse sont des arts où l’on s’exprime
sans toujours utiliser des mots. D’ailleurs trop de mots devient vite un
bavardage qui peut étouffer le propos. Une simple présence peut en dire
beaucoup plus long qu’un long dialogue. Le théâtre de Beckett joue de cela.
Ne rien avoir à exprimer verbalement en scène, rester silencieux, demeure
une épreuve pour un comédien débutant. Celui-ci est vite happé par des
pensées automatiques exprimant l’insécurité de la situation et la difficulté à
être : Qu’est-ce que je fais là, si je ne dis rien ?
On ne se sent pas exister si on ne s’exprime pas, on se sent relégué aux
rangs des figurants : je mérite mieux quand même ! Je suis mal distribué !
Je sers la soupe. Comme si la parole attestait le statut de l’acteur. Est-ce le
nombre de lignes à dire qui ferait exister en scène ? Avoir un premier rôle
est, certes, valorisant, mais des comédiens se sont fait remarquer par leur
unique présence physique. Les pièces de théâtre sont conçues avec
différents personnages qui n’occupent pas tous le devant de la scène. Tous
les acteurs ne s’expriment pas verbalement autant dans une pièce de théâtre,
on trouve des premiers rôles, des secondaires et des figurants. Ceux qui en
disent le moins sont-ils pour autant inexistants ? Il n’y a pas de petits rôles
avons-nous coutume de dire. Être présent sur scène ou dans le théâtre social
demande de prendre confiance en son image, en osant être soi, sans
s’exprimer verbalement. Dans le cas contraire, la parole devient une
justification et amène à déjouer.
Le cinéma muet a fait de son fonds de commerce le travail de la présence
non verbale. Les rôles muets se remarquent, le retour au cinéma muet a été
d’ailleurs un succès comme en témoigne l’Oscar de Jean Dujardin. Avant
lui, Charlie Chaplin, Buster Keaton sans oublier le clown Slava Polounine
ont eu un franc succès. Le muet montre que l’on peut quasi tout dire sans
les mots dans un geste, dans un regard ou dans une attitude.
Faire au théâtre comme dans la vie n’est pas que dire : on ne peut pas
réduire, résumer l’action, à l’action verbale. L’action physique impressionne
tout autant : un geste, un regard, une mimique. On existe en scène dans le
silence, et c’est peut-être la chose la plus difficile à réaliser : à l’écoute du
partenaire, exister sans rien dire et faire simplement, être en situation, être
ouvert au monde extérieur et réagir intérieurement, sans commenter, en
étant ici et maintenant. Faites confiance à la force de votre présence avant
de vous précipiter dans les mots pour vous rassurer.

Exercice 1
Avant de parler, prenez plusieurs respirations ventrales pour vous connecter à ce
qui se présente à vous à cet instant. Ensuite choisissez ce qui vaut vraiment la
peine d’être dit par la parole.

Exercice 2
Dans les réunions, les discussions ou les débats, essayez de parler en dernier.
Avant de le faire, soyez présent en regardant bien vos interlocuteurs.
Qu’observez-vous ?

Parler en commençant par se taire


Dans les réunions ou dans les soirées, certaines personnes souffrent de ne
pas savoir quoi dire. Elles se laissent happer par une angoisse de
performance sur le fait d’arriver à dire quelque chose. En outre, elles
veulent que cela soit intéressant. L’anxiété sociale projette la personne dans
une obligation d’être au centre de l’arène. Pourtant, pour savourer une
réunion et pour exister dans un groupe, il n’est pas nécessaire de se
précipiter dans la parole. Parler commence par savoir se taire pour être
simplement là. Il est plus facile de parler ensuite si on a pris le temps de se
poser, de se connecter à la situation, d’observer ce qui se passe et s’y joue.
Ainsi, on s’apaise et on commence à exister, ce qui donnera plus de poids à
notre parole.

Parler en réunion
Parler en réunion
Vous n’avez pas d’opinion sur le sujet. En parlant immédiatement et en partageant
votre sentiment ou deux ou trois banalités, vous pouvez donnerez le « la » et vous
existerez. Cela vous évitera de dire à un autre moment « je n’ai rien de plus à
ajouter ».
Vous avez des choses à dire ou vous souhaitez influer sur la réunion. Tout
d’abord, taisez-vous. En faisant cela, vous vous positionnez dans un meilleur
poste d’observation pour évaluer ce qui se joue. Vous laissez chacun s’épuiser
dans le débat en laissant passer la vague émotionnelle de chacun. Puis parlez à
la fin pour faire la synthèse et ramener les choses selon votre intérêt.

De la scène au théâtre et inversement : combien de mots


faut-il dire pour être significatif ?
Ne rien avoir à exprimer verbalement à la ville comme à la scène, ne « rien
avoir à faire », rester silencieux, à l’écoute peut procurer un sentiment
d’inexistence. On se dit : Qu’est-ce qu’on fait là, si on ne dit rien ? On ne
se sent pas exister si on ne s’exprime pas, on se sent relégué aux rangs des
figurants. On a le sentiment de se fondre dans le décor et être au mieux une
silhouette.
Posons-nous la question : est-ce le nombre de mots que nous disons qui
nous fait exister ? Certes un premier rôle valorise, les projecteurs éclairent
un peu plus celui qui le porte. Mais la « présence » physique muette se
remarque. On remarque des silhouettes, des gueules et des belles gueules.
Le silence se communique au public. Il s’apprend, sur la scène et dans la
vie. C’est l’outil de l’échange : Vous écoutez, sans commenter, vous
procurez, au partenaire et au spectateur, un espace pour sa réaction. Le
spectateur est là pour calmer la parole, éviter que les mots ne nous tirent, et
permettre que nous tirions les mots. Celui qui parle sans silence asphyxie
l’autre, on aimerait respirer pour lui. L’excès de mots, c’est comme quand
on a trop cédé à la bonne cuisine familiale et dominicale. Le plat devient
trop lourd et on est trop vite rassasié, ce qui clos prématurément le dîner.
Avant de parler, il est nécessaire de prendre confiance en son image, sans
s’exprimer verbalement. Le silence est un outil précieux pour ceux qui ont à
intervenir face à des auditoires. Il permet de s’apprivoiser, d’apprivoiser le
lieu et le public tout en ne se laissant pas happer par les pensées de notre
cerveau émotionnel. Nous avons à les laisser filer comme nous laissons filer
les nuages dans la vie. Ils sont là mais on n’y prête pas attention en
permanence. Le silence est la marque de la maîtrise dans l’action. Il peut
précéder ou suivre l’action verbale. Il est consubstantiel à l’émotion, aux
larmes comme au rire.
Aussi, lorsque vous avez besoin de parler, ne vous précipitez pas sur les
mots, ressentez-les intérieurement avant de les exprimer. Ce que vous allez
dire… et comment vous allez le dire…
L’artiste Popeck nous en livre un merveilleux exemple lorsque, pour un
one man show, il entre en scène, sans rien dire, en ignorant le public, il
prend le temps de s’imprégner de tout l’espace, de la cour au jardin, du
lointain à l’avant-scène, du plateau jusqu’aux cintres. Cela dure…
Il persiste, évalue du toucher la qualité du tissu des pendrions,
s’immobilise…
Et le public commence à gronder, d’abord timidement puis de plus en
plus ostensiblement.
Popeck n’en a cure, sourd aux invectives qui fusent et quand le
mécontentement explose, interrompt ce silence stratégique par :
« Et alors, vous quand vous arrivez au boulot, vous commencez tout de
suite, vous ? »
C’est gagné, le public conquis s’esclaffe et applaudit à tout rompre. Il l’a
dans la poche dès le début, reste maintenant à le tenir en haleine…
Popeck utilise un silence stratégique d’avant l’émergence de la parole.
Le silence crée une attente, tiens il va bientôt parler… Il provoque une
émotion, le rire ou les pleurs. Popeck met en scène son silence, il lui sert à
établir un contact avec son auditoire.
Avant de faire une conférence, un discours ou une annonce, tentez la
méthode « Popeck »

Le conseil de Laurent
Le conseil de Laurent
Ma formation d’acteur repose en partie sur trois principes qui impliquent
l’engagement corporel :
• ressentir avant d’exprimer, inspirer ou expirer pour se charger du sentiment ;
• écouter avant de répondre, tendre l’oreille, regarder le partenaire et lui être
attentif ;
• voir avant de décrire, ouvrir un paquet cadeau et voir ce qu’il renferme avant
de dire : c’est beau !
Ces trois principes diffèrent la parole. Mon éducation théâtrale a commencé par le
silence avant la parole.
Dans mes ateliers d’art dramatique, je propose toujours des improvisations
silencieuses pour aller à l’essentiel, éliminer le superflu, le commentaire verbal.
On peut faire comprendre qu’on a faim sans le dire, en mangeant avidement avec
les mains. Ou imaginer qu’une fourmi grimpe lentement sur notre bras en la
suivant du regard, sentir une odeur attirante ou répulsive en avançant ou reculant
le nez, écouter au casque son morceau préféré avant de le chanter et mettre en
œuvre nos sens.

« Nous commençons par le silence car la parole oublie, le plus souvent, les racines dont
elle est issue, et il est souhaitable que les élèves se remettent dès le départ dans une
situation de naïveté première, d’innocence et de curiosité. Dans toutes les relations
humaines, deux grandes zones silencieuses apparaissent : avant et après la parole.
Avant, on n’a pas encore parlé, on se trouve dans un état de pudeur qui permet à la
parole de naître du silence, donc d’être plus forte en évitant le discours, l’explicatif. Le
travail sur la nature humaine, dans ces situations silencieuses, permet de retrouver
les moments où la parole n’existe pas encore. L’autre est celui d’après : quand on n’a plus
rien à se dire. Celui-là nous intéresse moins »
Jacques Lecoq – Le corps poétique

Pour savoir garder le silence face à des malotrus


Pour savoir garder le silence face à des malotrus
La vie nous confronte à des malotrus ou à des personnes peu aimables. Il s’agit
d’automobilistes, de commerçants, de clients, de voisins… Ces personnes tentent,
par des provocations, d’entraîner une joute verbale et de vous énerver. Par ces
paroles ou ses comportements, elles ne font pas preuve de considération, encore
moins de bienveillance. Répondre frontalement nous happe bien souvent dans un
conflit verbal futile. Vous n’en obtiendrez rien de celui-ci et il vous coûtera. Quant
au triste sire, il sera conforté dans sa vision des choses. N’oubliez jamais que la
guerre n’amène à la guerre.
Par contre, l’être humain n’aime pas le silence. Aussi, vous pouvez fixer
calmement et fermement votre interlocuteur le temps nécessaire. Ne réagissez
pas et soyez simplement là.
Ce comportement amènera votre interlocuteur à dire un bonjour qu’il n’a pas dit,
un conducteur voulant forcer le passage à reculer… Le silence le soumettra et il
renoncera à ces railleries, désarçonné par votre calme et votre sérénité.
Face à un reproche, il n’est pas toujours nécessaire de répondre. Se justifier est
prendre le risque de donner des bâtons pour se faire battre et faire naitre un
combat. On est souvent gagnant d’assumer son choix et l’imperfection de celui-ci
lorsque c’est le cas tout en comprenant ce qu’a pu ressentir l’autre. Face à un
reproche, nous avons à nous demander ce que nous voulons vraiment. Rentrer
dans une bataille avec le risque d’être en guerre que l’on ait raison ou non ? Ou
faire ce qu’il faut pour passer à autre chose et continuer son chemin ?

Benjamin
Un jour, je me suis fait arrêter par une moto de police lors de mon retour de
vacances. Je roule en effet souvent vite sur l’autoroute. J’avais largement
dépassé les limites et la loi disait que, dans ce cas-là, on devait me retirer mon
permis sur le champ. Face au reproche du policier, j’ai choisi de ne pas
polémiquer. J’ai accepté et assumé son reproche. J’ai pris une position humble
en lui disant que s’il disait que j’avais abusé c’est que c’était le cas. J’ai résisté
à l’envie de me justifier. J’ai senti le policier désarçonné par ma posture et mon
absence de débat. Après un silence commun, me voyant sur le retour de
vacances avec ma famille, il m’a dit qu’il me mettait une contravention avec un
dépassement minoré de 5 km/h pour échapper au retrait de permis. J’ai senti
que ma posture avec participer à cette clémence. Je l’en remercie et la leçon a
tout de même porté. Je fais désormais beaucoup plus attention.

Parler commence par dire bonjour


Les chiens se reniflent le derrière et les singes s’épouillent ; nous les
humains, nous nous connectons en disant bonjour. Tout échange commence
par un bonjour. Ce bonjour participe au toilettage social. C’est-à-dire qu’il
permet de dire qui on est, quels sont nos intentions et notre état d’esprit.
Aussi soyez au clair sur votre intention et choisissez le comportement
adéquat. Votre interlocuteur sera en écho avec vous. Si vous êtes fermé en
disant bonjour, votre interlocuteur se fermera. Si vous n’exprimez rien dans
un bonjour, votre interlocuteur sera méfiant par manque d’information… Si
vous souhaitez vivre dans un environnement bienveillant, choisissez de dire
bonjour avec le sourire autant qu’il est possible. Évitez de tomber dans la
posture caricaturale du Parisien qui ne parle pas et regarde l’autre avec
méfiance ou inquiétude. Cette attitude ne peut que provoquer un sentiment
d’insécurité et risque d’engendrer de l’agressivité.
Le conseil de Laurent
« Bonjour… » Soignez ce passage obligé après avoir regardé l’auditoire. J’ai trop
souvent entendu des « bonjours » à la cantonade, lancés comme ça, sans
intention de dire, je vous souhaite un bon jour, une bonne journée. Si les mots ne
sont pas chargés de sens, ils n’atteignent pas. Le sens, c’est l’humeur que vous y
mettez et que votre intonation fait résonner. Inspirez un grand coup, souriez, ne
faites pas la tête !
Le chien Droopy exprime parfaitement l’absence de congruence entre le verbe et
l’intonation : You know what ? I’m happy ! N’oubliez pas que votre public ressent
votre état, vous le lui transmettez ; alors si vous faites la tête… Alors dites bonjour
avec sourire et plaisir. Car il signifie à l’autre bienvenue et considération

Selon les cultures et sa personnalité, il existe de nombreuses façons de dire


bonjour. Le Breton ne dit pas bonjour mais utilise une phrase de contexte
pour saluer « il faut beau aujourd’hui », Jacques Chirac tapote l’épaule
d’une main et serre la main de l’autre, les Dogons mettent une demi-heure à
se dire bonjour en faisant le tour de la famille pour permettre la
transmission orale d’information. Le « bonjour » peut être machinal, son
intonation aussi, au risque de ne pas se connecter.
Accompagnez votre bonjour avec une expression corporelle d’ouverture et
d’engagement vers l’autre : sourire, serrage de main, embrassade, hugh, etc.

Exercice : Comment choisissez-vous de dire bonjour ?


Observez comment les gens qui vous entourent disent bonjour. Regardez toutes
les façons différentes de le dire. Le font-ils en s’engageant vers l’autre, en les
accueillants, en reculant, en se méfiant, etc. Regardez comment vous choisissez
de le faire, les réponses que cela engendre et s’il est fonctionnel selon votre
intention. Amusez à expérimenter différentes façons de le faire
Le conseil de Laurent
Le conseil de Laurent
Seules nos intentions clairement et profondément marquées sont perçues de
façon flagrante par votre auditoire. Accompagnez votre bonjour… d’un regard
d’abord, d’un sourire si possible, d’une grande inspiration et d’un élan du cœur,
même si vous devez annoncer une mauvaise nouvelle. Soignez ce passage obligé
après avoir regardé l’auditoire. Le « bonjour » peut être machinal, son intonation
aussi. Aussi, mettez « l’humeur » même en réunion hebdomadaire. Soyez engagé
dans votre bonjour.

Composer avec un incident :


silence, interruption, etc.
Dédramatiser le silence
Comment se sortir du pétrin et vaincre la peur du « blanc » ? Combien
d’orateurs et de comédiens redoutent les blancs, ce temps dit vide qui n’est
pas habité. Ceux qui l’ont vécu le savent, le monde semble s’écrouler sous
leurs pieds. Les regards du spectateur se transforment instantanément en
projecteur de la honte braqué sur vous.
Se recentrer, se reconcentrer en établissant une photographie réelle de la
situation : où en suis-je ?
• De nombreuses pensées hameçons produites par le cerveau émotionnel
vont défiler dans votre tête : attention de ne pas les attraper.
• Toujours assumer ce qui arrive, n’hésitez pas à le verbaliser « désolé,
j’ai un blanc » et ne jamais se justifier. C’est toujours une voie de
sortie fonctionnelle.
• Sourire à l’événement qui s’impose pour l’accueillir et ne pas rentrer en
lutte avec la situation, ce qui ne fera que donner le pouvoir à votre
cerveau émotionnel.

Ne pas faire d’une interruption un problème mais


une chance
Vous avez-été interrompu dans votre intervention par une question ou une
réaction d’un participant, vous y répondu et après… Ou en suis-je ?
• La première règle : toujours assumer verbalement et corporellement. Si
possible, faites entrer cet incident dans une observation partagée pour
maintenir l’alliance.
• D’abord dites-vous que cette interruption fait partie du jeu. Il est
nécessaire de l’accepter et de ne pas la juger comme un problème,
même si cela vous met dans un inconfort. Cette interruption est
souvent une chance pour nouer un dialogue avec le public qui devient
actif et partenaire. Un public actif commente moins que s’il est passif,
car il se sent plus concerné et impliqué.
• Peut-être n’avez-vous pas été assez clair dans votre explication. En
outre, nous ne sommes pas toujours porteurs d’une parole qui fait
consensus. Sortons de ce fantasme et revenons donc à la réalité : face à
un auditoire des interruptions arrivent fréquemment.

Laurent
Pour ma part, je préfère même un public réactif à l’absence de réaction de sa
part. Cela prouve qu’il écoute et qu’il s’intéresse, le public taiseux n’en n’étant
pas forcément moins attentif.

Éric
J’ai fait un jour un spectacle devant une assemblée de psychiatres. Aucune
expression. À la sortie, j’ai dit à mon partenaire de scène que nous avions fait
un bide. Quelle a été ma surprise lorsqu’après le spectacle, tous ces auditeurs
m’ont dit qu’ils avaient adoré ! Ces psychiatres étaient intérieurs dans leur
attention et dans leur appréciation.

Bref, du fait de cette interruption, vous avez opéré une digression malgré
vous. Si l’interruption est une question à laquelle vous ne pouvez pas
répondre, osez dire que vous ne savez ou que vous ne pouvez pas répondre.
S’affirmer commence par dire : je ne sais pas répondre. Ensuite, plusieurs
possibilités s’offrent à vous :
• Posez-la question à la salle. Demandez si quelqu’un a la réponse.
• Proposez de vous renseigner ultérieurement et de revenir vers eux
ensuite.
• Dites que c’est une question intéressante car vous n’avez pas la réponse
et que cela ouvre des perspectives de recherche tout en remerciant la
personne qui a posé la question.
Quoiqu’il en soit, ne cédez pas à la panique et à la volonté d’éviter les
« blancs » à tout prix, c’est un silence, ni plus ni moins, l’auditoire se
demande ce que vous allez dire. En outre, les silences donnent du relief aux
propos tout comme en musique. Notre perception du silence est différente
de celle du public ; à nous il nous paraît interminable, incommensurable, au
public beaucoup moins. Une concentration gardée, la recherche tout
simplement de ce que vous allez dire donnent à l’auditoire l’illusion que ce
n’est pas un « blanc ». Le silence est difficilement quantifiable : trop long, il
devient pesant ; trop court, il ne laisse pas de place à l’auditoire.
Transformer ce blanc en silence pensé, réfléchi, volontaire même s’il
dure trop longtemps selon vous. Respirez, inspirez et expirez, ancrez-vous
dans l’action corporelle volontaire d’une respiration profonde. Elle est
source de nombreuses vertus : elle apaise, permet de digérer les pensées
hameçons et restructure l’intériorité. Ce comportement est invisible à l’œil
du public et est très bénéfiques.

Laurent
En scène nous avons des instants de relâchement qui nous amènent parfois à
ne pas dire exactement ce qui est prévu. Je me souviens d’une absence en
scène qui m’avait fait dire, au cours d’un monologue ou je faisais exister une
conquête potentielle, « venez chez moi » à, au lieu « j’irai chez vous ». Je suis
dans la mouise, la suite de l’action ne peut se jouer comme prévu, il me faut
rectifier. J’enchaîne donc : « Non, elle n’a pas dit cela mais : ‘J’irai chez vous’ ».

N’hésitez pas à jouer avec les autres personnes présentes à votre


communication en les interpellant pour leur demander de vous rappeler où
vous en êtes.
Le conseil de Laurent
En formation de communication orale, j’utilise souvent ces blancs en les jouant
parfois. En outre, ces absences momentanées me permettent de vérifier l’écoute
des participants. Il m’arrive aussi de ne pas les jouer et de me demander
réellement où j’en suis ! Qu’à cela ne tienne, rarement le public n’a pas répondu à
cette situation. Leur réponse me permet de les remercier et de partager un
moment d’interaction avec eux.
Comment dire ?
Dire est une histoire de fond et de forme. Les deux sont à travailler lorsque
la parole est importante : discours, annonce, déclaration, oral d’examen, etc.
Pour cela, la personne qui dit doit tenir compte d’elle, de ce qu’elle est à cet
instant (émotion, sentiment, conviction, etc.), mais aussi de son
interlocuteur qui est souvent aussi anxieux que la personne qui parle. Dire
s’entraîne comme on s’entraîne à jouer du piano. Cela se travaille
inexorablement chaque jour. Cela s’apprend en copiant comme on apprend
à jouer de la guitare en voulant imiter ses stars. Observez donc les
personnes dont vous admirez l’élocution. Repérez leur truc et essayez de les
reproduire. Lorsque vous êtes perdu, demandez comment ces personnes s’y
prendraient dans votre situation.

Les séries télé


Elles offrent de nombreux exemples dont on peut s’inspirer pour communiquer.
La série House of cards se situe au congrès américain. Franck et Claire
Underwood, les deux héros, veulent atteindre le pouvoir. Pour cela, ils déploient
un art de la communication dont nombre de nos politiques devraient prendre en
exemple, notamment lors de la dernière élection présidentielle. Parmi leurs
trucs, ils assument toujours, ils évaluent honnêtement la réalité et les forces en
jeu, ils choisissent volontairement ce qu’ils disent, ils cherchent toujours le
compromis et la voie du milieu tout en avançant dès que c’est possible dans le
sens de leur intérêt. Ils gardent pour eux leurs émotions et font les choix
nécessaires pour la réalisation de leur désir, n’hésitant pas parfois à trancher
sec.
La série Borgen est aussi une série intéressante car elle montre un personnage
féminin qui s’affirme tout en restant femme.

Sophie
Mon métier m’amène à voyager et à rencontrer de nombreux interlocuteurs.
Parmi tous les gens que je rencontre, la catégorie de personnes qui m’apparaît
la plus gentleman est celle des taxi-moto. En voici les raisons :
– Comme ils n’ont pas de files d’attente dédiées dans les
aéroports et les gares, ils sont obligés d’aller à notre rencontre.
– Pour gagner notre confiance en tant que client, ils doivent être
bienveillants.
– Pour que le voyage puisse s’effectuer dans les meilleures
conditions de confort et de sécurité, ils doivent prendre soin de
nous, en nous habillant, en nous coiffant d’une charlotte puis
d’un casque, et en gardant le contact avec nous tout au long du
voyage. De plus, ils adoptent une conduite citoyenne, non
conflictuelle, et savent nous rassurer et nous parler tout au long
du voyage.
Fort de cette observation, j’emploie dans mon travail la technique des taxi-moto
pour aller à la rencontre de mes clients et de mes collègues. Je vais à leur
rencontre avec le sourire. Je montre ma bienveillance et je prends soin d’eux
tout en cherchant la voie la plus fluide pour leur dire ce que j’ai leur
communiquer. Je ne vais jamais en force et je m’adapte à chacun. Cette
attitude m’a permis de construire une image de personne lumineuse, conviviale
et efficace dans mon relationnel.

Ne pas perdre le sens de son propos


Il est parfois nécessaire de rester en pleine conscience de ce que l’on dit et
de la façon dont on le dit. Pour cela, nous avons à bien appréhender le sens
des mots qui sortent de notre bouche et ce qu’exprime notre corps.
« Dites, je vous prie, cette tirade comme je l’ai prononcée devant vous, d’une voix
naturelle ; mais si vous la braillez, comme font beaucoup de nos acteurs, j’aimerais autant
faire dire mes vers par le crieur de la ville. Ne sciez pas trop l’air ainsi, avec votre bras ;
mais usez de tout sobrement ; car, au milieu même du torrent, de la tempête, et, je
pourrais dire, du tourbillon de la passion, vous devez avoir et conserver assez de
modération pour pouvoir la calmer. »
Shakespeare – Hamlet

Lorsqu’elle n’est pas polluée par l’excès et si elle ne va pas à l’essentiel,


notre parole pèse plus. Par contre, nos excès de désir, notre émotivité, nos
réactions génèrent des perturbateurs à notre message :
• excès de parole et de gestes, de l’explicatif, d’un ton emphatique ;
• excès de gestes répétitifs, de doigts pointés, d’attitudes figées, les mains
dans le dos comme un président de la République ;
• excès humeur négative, d’arrogance.
« La parfaite raison fuit toute extrémité et veut que l’on soit sage avec sobriété. »
Molière – Le Misanthrope
Le conseil de Laurent
Le conseil de Laurent
• Corps, parole et silences sont liés. Placez un silence avant « ce qu’il y a
d’important », le message essentiel, celui qui doit être retenu. Un silence
avant et après en gardant l’immobilité, comme si le public avait à vous
prendre en photo.
• Attaquez sur la première syllabe, ne soyez pas mou et allez à la finale, en
soutenant votre pensée sur le même volume à la fin qu’au début. Si le
volume baisse, c’est autant de convictions que vous laissez en route : C’est
un pays accueillant, où les gens sont conviviaux, le climat clément et qui
reste bon marché.

Ne pas se perdre en chemin


Allez à l’essentiel et rejetez l’anecdote, le superflu. Le propos doit tenir
compte de l’autre. Pour cela, il est nécessaire de ne pas s’enfermer et
s’isoler dans l’expression au risque de dériver vers le discours, de perdre ses
interlocuteurs en chemin pour finir seul. Certaines personnes deviennent
pénibles en nous embarquant dans des détours et des digressions.
Cependant, le style de conversation évolue selon la culture et les époques.
Notre époque du zapping et de la communication sur les réseaux sociaux
fait que l’on privilégie de plus en plus une communication directe et
fonctionnelle au risque de perdre notre humanité en route. Dans certaines
circonstances, nous avons besoin de bien dire les choses ; dans d’autres, il
est plaisant de parler pour ne rien dire, juste pour être ensemble et faire du
lien.
Dans le caractère dit masculin1, c’est celui du gymnaste, la personne
cherche plus à atteindre son objectif, ce qui se traduit par des phrases
simples et directes alors que, dans le caractère féminin, celui de la danseuse,
la personne prend plaisir à cheminer en route. La personne fait l’école
buissonnière de la parole.
Cette évasion dans le détail a été mise en scène par Eugène Ionesco.
Dans sa pièce, La Cantatrice chauve, il met en scène un personnage qui se
noie dans les détails et les explications de son propos. Sa parole devient
grotesque, ennuyeuse et absurde.
B : J’ai un beau frère qui est toujours enrhumé.
A : Et comment a-t-il attrapé son rhume ?
B : C’est tout simple. (Il parle très rapidement) Mon beau-frère avait, du côté paternel, un
cousin germain dont un oncle maternel avait un beau-père dont le grand-père paternel
avait épousé en secondes noces une jeune indigène dont le frère avait rencontré, dans
un de ses voyages, une fille dont il s’était épris et avec laquelle il eut un fils qui se maria
avec une pharmacienne intrépide qui n’était autre que la nièce d’un quartier-maître
inconnu de la Marine britannique et dont le père adoptif avait une tante parlant
couramment l’espagnol et qui était, peut-être, une des petites-filles d’un ingénieur, mort
jeune, petit-fils lui-même d’un propriétaire de vignes dont on tirait un vin médiocre, mais
qui avait un petit-cousin, casanier, adjudant, dont le fils avait épousé une bien jolie jeune
femme, divorcée, dont le premier mari était le fils d’un sincère patriote qui avait su élever
dans le désir de faire fortune une de ses filles qui put se marier avec un chasseur qui
avait connu Rothschild et dont le frère, après avoir changé plusieurs fois de métier, se
maria et eut une fille dont le bisaïeul, chétif, portait des lunettes que lui avait données un
sien cousin, beau-frère d’un Portugais, fils naturel d’un meunier, pas trop pauvre, dont le
frère de lait avait pris pour femme la fille d’un ancien médecin de campagne, lui-même
frère de lait du fils d’un laitier, lui-même fils naturel d’un autre médecin de campagne,
marié trois fois de suite dont la troisième femme s’était remariée avec un vitrier, plein
d’entrain, qui avait fait, à la fille d’un chef de gare, un enfant qui avait su faire son chemin
dans la vie…
Et avait épousé une marchande de neuf saisons, dont le père avait un frère, maire d’une
petite ville, qui avait pris pour femme une institutrice blonde dont le cousin, pêcheur à la
ligne avait pris pour femme une autre institutrice blonde, nommée elle aussi Marie, dont le
frère s’était marié à une autre Marie, toujours institutrice blonde… et dont le père avait été
élevé au Canada par une vieille femme qui était la nièce d’un curé dont le grand-mère
attrapait, parfois, en hiver, comme tout le monde, un rhume.
B se met à éternuer, A également, ils se mouchent en chœur.
A : En fait, le rhume chez vous c’est une histoire de famille !
B : Oui. Mais du côté de ma femme c’est plutôt la migraine. Car sa mère qui avait épousé
un capitaine muet dont le demi-frère avait été abandonné à quatre ans par sa mère
adoptive…

Savoir différer sa parole si besoin pour la mettre en scène


Différer sa parole, c’est la mettre en scène et penser ce que l’on va dire
avant de le dire. C’est un ressort au théâtre. La pièce Hamlet ne débute par
la réplique « to be or not to be : that is the question », Shakespeare diffère
son message essentiel. Il fait durer. Il ne le dit pas tout de suite. Il ménage
l’effet. La célèbre réplique ne survient qu’à l’acte 3 scène 1.
L’organisation de ses propos dépend de sa culture. Un manager
hollandais d’une société française se plaignait qu’il trouvait la réponse à ses
demandes à la fin de deux pages d’explication en France. Par contre, les
Bretons parlent en breton un peu comme maître Yoda. Ils mettent le plus
important en début de phrase : le train, je vais prendre. Les Allemands
mettent leur verbe à la fin de la phrase. Notre façon de dire dépend de nous
et du contexte culturel.
Le conseil de Laurent
• Ressentir avant d’exprimer, inspirer ou expirer pour se charger du sentiment.
• Écouter avant de répondre, tendre l’oreille, regarder les partenaires, être
attentif, ouvert et en état d’émerveillement.
• Voir et donner à voir avant de décrire, ouvrir un paquet cadeau et voir ce qu’il
renferme avant de dire : c’est beau.
• Aller à l’essentiel, éliminer le superflu, le commentaire verbal.

S’affirmer
S’affirmer est un comportement engagé et choisi afin d’exprimer ou
partager un goût, une idée ou une vérité personnelle. Cette attitude s’appuie
sur les droits de la personne qui s’exprime sans chercher à porter atteinte à
l’interlocuteur ou à d’autres. Ce comportement s’effectue sereinement, sans
complexe et de façon constructive. Par celui-ci, la personne qui s’affirme
délimite un espace personnel où elle est libre d’être.
L’affirmation de soi s’appuie sur le concept anglo-saxon d’assertivité qui
vise à être capable d’exprimer sa personnalité tout en ayant une adaptation
sociale, mais sans craindre l’hostilité de l’environnement. Ce comportement
demande de la flexibilité psychologique afin de pouvoir composer avec la
situation qui se présente tout en gardant le cap de ce qui est important pour
soi.
L’affirmation de soi met en jeu l’être humain que je suis avec sa sensibilité
et ses valeurs tout en tenant compte de l’environnement et du caractère
fonctionnel du comportement.
Ce comportement d’affirmation de soi se combine avec d’autres
compétences :
• savoir émettre des limites afin de se faire respecter, de ne pas se laisser
envahir ou marcher sur les pieds ;
• savoir être authentique afin d’avoir un comportement juste qui s’avère
le plus souvent le plus efficace. Ne pas être dans la dissimulation ou
présenter une fausseté ;
• savoir composer et négocier avec son environnement ;
• être capable de compromis afin de pouvoir s’ajuster au contexte ;
• savoir accueillir la situation de face avec tout le ressenti qu’elle peut
procurer ;
• développer vis-à-vis d’autrui des comportements de bienveillance.
À l’opposé, une attitude rigide, masquée et fausse est une entrave à
l’assertivité. Elle peut être l’expression :
– d’un sentiment d’insécurité ou d’anxiété sous-jacent ;
– d’une tendance à l’opposition ;
– d’un excès de zèle ;
– d’un orgueil mal placé ;
– d’une mauvaise gestion émotionnelle ;
– d’une personnalité difficile ou un trouble de la personnalité.

Engager la conversation
Trouvez un lieu propice ou un prétexte qui favorise la conversation : lors
d’une soirée, la cuisine est souvent un lieu stratégique tout comme le buffet
où l’on peut aider ou commenter ce que l’on sert ou mange lors d’un pot en
entreprise.
Tout d’abord captez l’attention de l’autre :
• Ajustez-vous à l’autre en trouvant la distance interpersonnelle
confortable pour l’un et l’autre.
• Présentez une attitude corporelle ouverte : mettez-vous en face de votre
interlocuteur légèrement de côté afin de pouvoir ouvrir un espace entre
lui et vous et pour ne pas être gêné par son regard (30 à 40°).
• Ne gardez pas de bras croisés, de main devant la bouche ou le corps en
retrait. Une conversation pour qu’elle fonctionne doit être engagée
corporellement.
• Ajustez le contact visuel pour que celui-ci soit engagé.

Le regard de Jean Christophe


Le regard de Jean-Christophe
Un mot, c’est comme un ballon de rugby, c’est un cadeau que l’on offre à son
interlocuteur. On lui lance par la voix, mais aussi par le regard.

Attention à tous les gestes parasites qui viennent polluer et commenter


votre conversation. Soyez simple et humble.
Utilisez le contexte comme base pour amorcer la conversation. Ces
premiers mots servent d’hameçonnage. Ils sont des propositions. L’autre est
libre de les attraper ou non. S’il ne les prend pas, c’est que la rencontre ou
l’échange n’est pas possible. Il faut être deux pour que celle-ci est lieu.
Avant de vous fourvoyer dans une autoflagellation inutile et douloureuse,
rappelez-vous que peut-être l’autre est trop autocentré, anxieux, timide,
préoccupé pour être disponible à l’échange. Ce n’est pas votre faute. Par
contre, vous avez plus de chance que l’autre prenne la balle au bond si vous
vous engagez corporellement dans cet échange.
À l’arrêt de bus :
• Il y a longtemps que vous attendez ? (question ouverte) Je ne suis pas
très en avance (information sur soi).
• Je vois que vous lisez un livre d’Irvin Yalom (contexte). Je trouve que
c’est un auteur fabuleux (information sur soi).
• Vous êtes très bronzé (contexte). Que me conseillez-vous (question
ouverte) ?
• Je vois que vous avez votre sac de sport (contexte). Où est ce qu’il y a
une salle de sport dans le quartier (question ouverte) ?
• J’entends que vous parlez de cuisine (contexte). Cela m’intéresse
beaucoup (information sur soi).
Dans l’entreprise (au restaurant ou ailleurs) :
• C’est la première fois que je vous vois (contexte). Vous êtes dans quel
service (question ouverte) ?
À une réception : dire bonjour en premier avec une poignée de main forte
et un bon contact visuel, se présenter et demander le nom de l’autre
personne. Puis poursuivre par une information : « je dois dire que je ne
connais personne ici » ou une question ouverte « vous êtes un(e) ami(e) de
Laurent ? » ou de façon humoristique si c’est un couple qui vous invite à
une soirée « Vous êtes du côté de la mariée ou du marié ». L’objectif est de
créer un accident car celui-ci est prétexte à échanger avec plaisir.

Maintenir la conversation
La première étape pour maintenir une conversation est de s’intéresser
l’autre. En effet, non seulement cela nous sort du réflexe autocentré induit
par l’anxiété, mais cela donne l’exemple. Prévert ne disait-il pas : « Et si on
essayait d’être heureux, ne serait-ce que pour montrer l’exemple ? ».
S’intéresser à l’autre peut donner envie à l’autre de s’intéresser à vous et de
vous considérer.
Poser une question (si possible ouverte) : les gens adorent parler d’eux.
Aussi, si vous ne savez quoi dire de vous ou si vous avez peur de vous
dévoiler, intéressez-vous à votre interlocuteur. Rappelez-vous le bonjour à
l’africaine qui égrène tous les sujets d’information possibles : bonjour,
comment cela va ? la famille ? les enfants, d’où viens-tu ? où vas-tu ? le
travail ? Il est possible d’utiliser cette logique avec beaucoup de personnes
en posant des questions sur le travail, la famille, les enfants, la météo, etc.
Vous verrez que cette technique est un puits sans fond. Ponctuez tout cela
de « super », « très intéressant » et vous êtes parti pour de longues
conversations. S’ils en font trop, la conversation risque juste d’être
ennuyeuse au final, mais cette astuce permet de s’en sortir dans de
nombreuses situations sociales. Une fois échauffé, vous pourrez tout
doucement oser évoquer des points de vue personnels.
Donner de l’information sur soi est autre très bon moyen d’alimenter une
conversation. Si vous ne savez quoi dire, partager ce que vous ressentez à
cet instant, même votre fragilité ou votre indécision : « J’ai très envie de
parler avec vous mais je suis très ému et je ne trouve pas mes mots », « Je
suis content de vous rencontrer mais mon cœur bat la chamade ». Votre
fragilité n’est pas une faiblesse, mais juste l’expression de votre humanité,
donc une ressource et votre force. Votre interlocuteur sera ravi et rassuré de
parler à un être humain et non à un robot ou avec superman ou woman !
Tout doucement, vous mettrez en place une balance entre poser des
questions et parler de vous. En effet, si on ne pose que des questions, cela
peut finir par donner le sentiment à votre interlocuteur d’être dans pris dans
un interrogatoire, mais si vous ne donnez que des informations sur vous,
votre conversation peut virer au monologue. La conversation, pour qu’elle
avance, c’est un peu comme la godille : un coup à droite (question), un
coup à gauche (on parle de soi) !

Exercice
Entraînez-vous à faire un silence après chaque phrase afin de ressentir
l’expression de celle-ci et l’effet qu’elle produit. Faites une respiration lente et
profonde dans ce silence comme entre deux phrases musicales. Laissez respirer
vos interlocuteurs même si vous avez beaucoup de choses à dire. Les personnes
qui mettent en apnée leur auditoire prennent le risque de devenir pénible et qu’on
les écoute plus.
Imaginez un dialogue comme un match de tennis. Ne jouez pas tout seul et ne
prenez pas votre interlocuteur pour un mur ! Envoyez une balle. Attendez
tranquillement qu’on vous la renvoie puis retournez-la tout aussi tranquillement.
L’objectif est de jouer et de participer, pas de gagner. Vous échangerez ainsi avec
souplesse et respiration.

En pratique
• Mettre en place une écoute active.
• Regarder sourire, acquiescer de la tête.
• Reformuler ce qui a été dit : « si je comprends bien… », « vous voulez
dire… » (réponse reflet).
• Refléter les sentiments ou être empathique : « ça à l’air de vous toucher »,
« ça a dû être drôle ».
• Demander des exemples.
• Relever les phrases qui invitent à en savoir plus comme « devinez ce que j’ai
dit ? », « vous ne croiriez jamais ce qui m’est arrivé ». Dites : « racontez-
moi ! » ou « dites-moi ! ».
• Ponctuez par des « super » qui encouragent. On n’encourage jamais assez !

Le regard de Jean Christophe


Le regard de Jean-Christophe
Lors de mes études de psychiatrie, j’ai dû apprendre à mener un entretien. À
l’époque, je n’ai pas rencontré de professeur me l’apprenant formellement. J’ai
donc pris soin d’observer comment faisait les professeurs que j’estimais lors de la
grande visite pour commencer et terminer un entretien. J’ai pris soin de noter les
mots et les expressions qui permettaient de démarrer celui-ci, de le relancer et de
conclure. Riche de cette collection, je me suis entraîné à faire comme eux lors de
mes entretiens d’externe puis d’interne afin de m’aguerrir dans l’art de l’entretien
psychiatrique. Observez comment parlent les gens que vous estimez. Repérez
leurs mots et leurs tournures de phrases puis amusez-vous affaire comme eux.
C’est ainsi que l’on s’entraîne et que l’on apprend. Les enfants grandissent en
faisant comme s’ils étaient pompier, Zorro ou la Reine des neiges. Si cela
fonctionne pour eux, reprenez la technique ! Elle vous évitera des moments de
solitude ou d’angoisse de ne savoir quoi dire.

Faire un compliment, une déclaration, etc.


Les compliments participent au toilettage social. Ils nourrissent votre
interlocuteur, l’apaise et l’aide à grandir. Ils sont très utiles dans la relation
amoureuse, vers ses enfants, ses collaborateurs ou son entourage. Il ne faut
pas les confondre avec la flatterie. Pour cela, ils doivent être honnêtes. Pour
y arriver, cela demande d’avoir accès à son cœur et à son ressenti.
« Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour ». C’est ainsi
que complimente monsieur Jourdain dans le Bourgeois Gentilhomme de
Molière. Voulant s’améliorer, il demande conseil sur la meilleure façon de
tourner la chose à son maître de philosophie
Le maître de philosophie propose :
On peut les mettre premièrement comme vous avez dit :

« Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour » ou bien


« D’amour mourir me font, belle marquise, vos beaux yeux », ou bien
« Vos beaux yeux, d’amour me font, belle marquise, mourir « », ou bien
« Mourir, vos beaux yeux, belle Marquise, d’amour me font » », ou bien
« Me font vos beaux yeux mourir, belle Marquise, d’amour » ;

À toutes ces propositions, Monsieur Jourdain réplique :


« Mais de toute ces façons-là, laquelle est la meilleure » ?
« Celle que vous avez dites : Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour ».
Au final, peu importe la formule. Le meilleur compliment est simple et se
dit avec le cœur. Choisissez une syntaxe simple : sujet, verbe, complément.
Parlez humblement. Trop de paroles tuent le propos. Le silence qui suit,
même s’il est parfois vertigineux, permet de donner du poids à ce que vous
dites. Il ne faut pas en avoir peur et surtout avoir « retour sur
investissement » immédiatement. Un compliment ou une déclaration est
une action gratuite. On le fait soit parce que c’est important pour soi, soit
parce que l’on souhaite entretenir les canaux de communication avec
l’interlocuteur (un peu comme de l’huile…), soit par investissement dans un
relationnel.
Le conseil de Laurent
Utilisez des phrases courtes tout en respectant la sémantique française. Marquez
des silences pour ponctuer vos propos. Observez une inflexion montante, tout en
maintenant le sens de votre pensée, en la soutenant jusqu’à la fin, jusqu’à la
dernière syllabe. Bannissez les parenthèses. Employez la voix active plutôt que
passive.

Émettre une critique


« Holà ! Maître sot, vous savez que je vous ai dit que je n’aime pas les faiseurs de
remontrance ».

C’est ce que répond Dom Juan à Sganarelle, après que celui s’est autorisé
à lui faire une remarque :
« Mais, Monsieur, cela serait-il de la permission que vous m’avez donnée, si je vous
disais que je suis un tant soit peu scandalisé de la vie que vous menez ?… et que les
libertins ne font jamais une bonne fin.
Faire une remarque ne nous oblige pas à donner une leçon, Sganarelle, encore moins à
prononcer un jugement. Dom Juan n’aime pas cela, mais qui aime ça ? »
Molière – Dom Juan

Tout d’abord, il est important de faire la différence entre une critique et


un reproche.
Le reproche enferme l’autre dans la culpabilité. Il n’est pas source de
solution. Il ne fait que blâmer votre interlocuteur en l’accusant. Il aboutit à
un sentiment de jugement émis par une personne non habilitée à cela. La
critique est tout d’abord une information que l’on donne à l’autre afin
d’éventuellement aboutir à un changement. La critique est une démarche de
construction.
Il peut être nécessaire de bien réfléchir et préparer sa critique à l’avance
afin de vérifier qu’elle est fonctionnelle et anticiper le ressenti de votre
interlocuteur. Ce n’est pas parce que l’on a le droit qu’il est fonctionnel de
toujours faire une critique. Celle-ci doit être au service d’un processus
choisi.
Ensuite, il est important d’évaluer le bon moment pour l’exprimer afin de
vérifier que votre interlocuteur est disponible pour la recevoir et que cela ne
sera pas son cerveau émotionnel qui la réceptionnera au rique de vous faire
mordre.
Pour commencer, une critique se construit habituellement en trois temps :
• Le premier temps est le partage d’une information factuelle. L’objectif
est de décrire le comportement gênant comme la personne l’a fait ou
l’a dit. Si possible, on évite le « tu » ou le « vous » qui pourra être
ressenti comme accusateur avec le risque d’être ressenti comme
agressif, ce qui n’aboutit qu’à entraver la possibilité d’un échange
constructif.
• Le deuxième temps est le partage d’un ressenti. On parle de soi mais
pas de l’autre. L’objectif est de décrire les conséquences pour soi de ce
comportement.

Exemples
Exemple de conséquence matérielle : Tu ne m’as pas prévenue que tu ne
pouvais pas venir. Je suis resté bloqué chez moi et je n’ai pas pu sortir.
Exemple de conséquences émotionnelles : Quand tu es parti sans me
répondre, je me suis senti blessé.

Dans ce temps-là, il ne faut pas qualifier l’attitude de l’autre en disant :


c’est impoli, égoïste, irrespectueux… ou d’employer des adverbes comme
toujours ou jamais.
• Le troisième temps consiste en un silence pour donner le temps à son
interlocuteur d’intégrer et de s’approprier l’information partagée.
Lorsque l’on émet une critique, on a souvent tendance à trop parler.
Faire cela est tout d’abord ressenti comme harcelant par autrui.
Ensuite, avant que l’autre accepte votre critique, il a besoin de faire
tout un chemin émotionnel qui prend un certain temps : déni,
rationalisme, colère, tristesse puis acceptation. Si vous ne laissez pas à
votre interlocuteur suffisamment de temps vous aurez à faire à sa
mauvaise fois (rationalisme) ou à ses émotions (colère).
Ces trois étapes suffisent si votre intention était juste de donner une
information sur les conséquences d’un geste et d’un propos ou si vous faites
confiance à la bienveillance ou l’intelligence de votre interlocuteur pour
ajuster son comportement tenant compte de cette information.
Si vous voulez aller plus loin dans votre désir de valider un changement,
plusieurs options s’offrent à vous :
• La technique du disque rayé. Il s’agit de répéter aussi souvent que
nécessaire au cours de cet échange ou dans le temps la description de
la situation problème et les conséquences induites. Cette technique
demande une âme de marathonien pour tenir la distance sans s’énerver.
Elle peut être utile car, parfois, certains individus ont besoin de temps
pour bien entendre et comprendre la situation. La répétition les aidera
à intégrer la situation pour changer leur fonctionnement. Il s’agit d’une
technique d’usure.
• Émettre une demande. N’oublions pas que l’on peut tout demander,
même la lune. Par contre, une demande autorise l’autre à vous la
refuser. Il est nécessaire de savoir l’accepter. À moins que votre statut
vous mette en position d’autorité, dans ce cas-là il s’agir d’un ordre
clair et affirmé.
• La technique du comment. Le risque d’une demande est que soit votre
interlocuteur vous réponde non à toutes vos propositions ou soit qu’il
vous dise oui sans rien faire ensuite. Le comment oblige votre
interlocuteur à s’engager. Il se pratique après avoir mis face à face
votre point de vue et celui de votre interlocuteur afin d’effectuer le
diagnostic partager d’une différence.

Exemple
Fait. Le téléphone sonne pendant la consultation et vous y répondez.
Conséquence. Cela me perturbe et cela me déconcentre. En outre, cela me
donne le sentiment de ne pas être bien pris en considération (Silence.)
Comment. D’un côté, je comprends que vous avez besoin d’être joint pendant
l’exercice de votre métier, de l’autre j’ai besoin de pouvoir vous parler
tranquillement. Comment peut-on faire ?

Ce comment permet d’enchaîner soit par la technique du disque rayé sur


la phrase du comment, une demande ou si la personne n’a pas répondu à ces
engagements par une nouvelle critique aboutissant à un : comment peut-on
faire ?

Recevoir du positif : cadeau, compliments, etc.


• Montrer son acceptation sans se dévaloriser ou minimiser. Valoriser le
geste et remercier quoiqu’il en soit.

Exemples
En écho. Votre manteau est très élégant. Moi aussi, je l’apprécie.
Renforcement. Votre service est très agréable. Nous faisons très attention à
celui-ci.

• Renforcer le positif. S’engager en utilisant le je ou le me. Cela me


touche, cela me fait très plaisir, etc.
• Être descriptif : Je suis très heureux que tu m’aies souhaité mon
anniversaire.

Répondre à une critique


Répondre à une critique justifiée

Cinna a trahi Auguste, son père adoptif. Les deux protagonistes se


retrouvent pour une explication musclée. Aux reproches, Cinna choisi le
silence.
Auguste :
Prends un siège Cinna, prends, et sur toute chose
Observe exactement la loi que je t’impose :
Prête, sans me troubler, l’oreille à mes discours ;
D’aucun mot, d’aucun cri, n’en interromps le cours ;
Tiens ta langue captive : et si ce grand silence
À ton émotion fait quelque violence
Tu pourras me répondre après à loisir
Sur ce point seulement contente mon désir.

Cinna :
Je vous obéirai, seigneur.
Mieux vaut s’imposer le silence que de se le faire imposer.
Pierre Corneille – Cinna

Cela nous arrive à tous de nous tromper ou de faire un mauvais choix. Il


est nécessaire de pouvoir assumer son imperfection ou son erreur. Comme il
est dit dans la Bible : que celui qui n’a jamais péché jette la première
pierre ! S’il peut être désagréable de se faire critiquer, il est important
d’accueillir cette critique car ce type de situation nous arrivera à tous.
Écoutez calmement en reformulant si nécessaire. Cela permet d’être sûr
d’avoir bien compris et de donner à votre interlocuteur le sentiment d’avoir
été entendu.
Ne contre-attaquez pas. Éventuellement, vous pouvez demander des
précisions ou des exemples.
Utilisez de l’empathie afin de reconnaître ce que l’autre a pu ressentir :
« je comprends que tu as pu être énervé par ce retard dans l’exécution de
mon travail ». La reconnaissance des émotions de l’autre permet de faire
baisser la tension. Dire à l’autre de se calmer n’aboutit qu’à l’énerver. Ce
n’est pas fonctionnel.
Exprimez ce que vous comptez faire comme changement ou que vous
êtes désolé de votre incapacité à changer.
Si vous vous sentez débordé par la colère ou l’énervement, proposez à
votre interlocuteur d’en discuter un peu plus tard.
Quoiqu’il en soit, n’oubliez pas que vous n’êtes pas obligé de vous
justifier et qu’un être humain n’est pas un être parfait.
Répondre à une critique vague
Exemple : Tu as mal fait ton travail…
Face à une critique vague, vous devez faire préciser les éléments factuels
qui aboutissent à celle-ci. Vous observerez parfois une disproportion entre
la critique vague et le fait réel.
En outre, il est intéressant de repérer sa motivation sous-jacente. En effet,
il sera plus efficace de répondre à la problématique initiale qu’à son
expression via cette critique.
• Cette critique est l’expression d’un sentiment ou de l’émotion.
Elle est le fruit de la réaction du cerveau émotionnel de votre
interlocuteur. Faire préciser permet de mettre à distance son cerveau
émotionnel pour partager des éléments factuels issus de la réalité à travers
des questions comme les suivantes afin de trouver un compromis :
« Qu’est-ce qui te fait dire cela ? Peux-tu me donner un exemple ? »
Finalement, à une critique vague du type tu n’es pas à la hauteur dans
ton travail, on apprend que cette réaction est due à la frustration d’un
courrier posté le lendemain. Le partage de cet élément de réalité permet de
définir des pistes d’amélioration concrète dans la façon d’exprimer une
demande ou de comprendre une demande.
• Cette critique est l’expression d’une provocation.
Si vous ressentez que la critique vague est une amorce pour faire
démarrer un conflit plusieurs stratégies s’offrent à vous.
La technique du brouillard est une façon de pratiquer l’esquive afin de ne
pas s’opposer frontalement. Vous noyez le poisson en discutant mollement
de plein d’autres choses peu importantes ou vous répondez avec une fausse
bienveillance par des questions. Le brouillard de parole sert de paravent
entre le provocateur et vous.
La technique du ni oui ni non est une technique pour ne pas donner
d’aspérité pour que la provocation prenne prise. En refusant de rentrer dans
un débat, celui-ci fait flop.
Exemple de réponse : « C’est bien possible…, Tu as peut-être raison…,
Je vais y réfléchir… »
Répondre à une critique injustifiée
• Écouter sans s’énerver.
• Ne pas contre-attaquer
• Si nécessaire reformuler la critique avec vos propres termes pour être
sûr d’avoir bien compris. De plus, cela donnera le sentiment à votre
interlocuteur d’avoir été entendu ce qui peut être source d’apaisement.
• Il est toujours intéressant de se poser la question de savoir si la critique
injustifiée est vraiment le propos. Celle-ci peut-être le mode
d’expression d’un sentiment lié à une situation qui n’a rien avoir avec
vous.

Les quiproquos de la vie de couple :


Peux-tu me passer du sel, trésor de mon cœur ?
La vie de couple n’est pas toujours un fleuve long et tranquille. Le partenaire est
souvent le déversoir de la tension accumulée dans la journée. C’est ainsi que
lorsque l’on demande, sans arrière-pensées, à l’autre de lui passer le sel, on
peut recevoir un Scud du type : tu pourrais être un peu autonome !
Répondre en argumentant ou en contre-attaquant n’aboutit qu’à un conflit qui va
venir gâcher vos retrouvailles et votre relation de couple. En effet, le véritable
enjeu de cette répartie n’est pas d’être suffisamment autonome pour se servir
du sel ! Le partenaire est probablement le bouc émissaire émotionnel d’une
journée difficile.
En réalité, La critique est juste l’expression d’un autre besoin : écoute,
réconfort, etc. La personne est maladroite et n’a pas une bonne gestion
émotionnelle. Elle s’y prend mal en déversant sa souffrance sur un mode
agressif sur son partenaire pour s’exprimer.
Répondre à cette critique ne sera pas fonctionnelle. Cela ne fera qu’attiser le
feu émotionnel et alimenter le scénario catastrophe qu’il s’agit bien d’une
journée de merde et que je suis à la hauteur de rien puisque je me fâche avec
mon amoureux sur une histoire de sel ! Par contre, prendre le temps de
comprendre et d’entendre la souffrance et le besoin sous-jacent pourra aboutir
à construire une relation paisible ou chacun aura plus la possibilité d’exprimer
son ressenti sans passer par des chemins détournés obscurs pour
l’interlocuteur.

Refuser la critique en utilisant si besoin la technique du disque


rayé
La technique du disque rayée est de répéter calmement et inlassablement,
le nombre de fois qu’il faut et de façon affirmée, votre point de vue jusqu’à
épuisement de votre interlocuteur. Elle se fait en deux temps :
• un premier temps où vous montrez que vous avez entendu et considéré
les propos de votre interlocuteur ;
• un deuxième temps ou vous rectifiez sans vous justifier : « J’ai bien
entendu que vous souhaiteriez que je vous emmène en voiture mais j’ai
choisi de m’y rendre à pied. »
Si l’interlocuteur n’accepte pas ou ne comprend pas votre réponse,
donnez de l’information factuelle.
S’il persiste, exprimez vos sentiments. Par exemple : « Cela me déçoit
beaucoup que tu ne me fasses pas confiance ». Cette expression peut aboutir
à un diagnostic partagé émotionnel à défaut d’un accord sur le fond : « Je
constate que tous les deux sommes frustrés de la situation », pour aboutir
sur une sortie de crise à l’aide du comment : comment peut-on faire tenant
compte de nos deux opinions.
Un moyen de répondre sans s’énerver : l’humour et l’autodérision. Cet
outil permet de mettre en lumière l’absurde de certaines situations.
Cependant, il n’est pas question de se moquer et cela se manie selon la
susceptibilité de la personne.
Sganarelle dans Dom Juan brûle de dire à son maître « ses quatre
vérités », et dès qu’il y est autorisé il ne s’en prive pas :
Sganarelle : Mais serait-il de la permission que vous m’avez accordé de vous dire que je
suis tant soit peu scandalisé de la vie que vous menez.
Dom Juan : Comment, quelle vie est-ce-que je mène ?
Sganarelle : Vous voir vous marier tous les jours, comme vous faites.
Don Juan : Y a-t-il rien de plus agréable ?
Sganarelle : Oui, cela est vrai.
Molière – Dom Juan

Faut-il tout dire dans le couple,


la famille et l’entreprise ?
Dans le couple
Un adage dit que « un silence vaut toujours mieux que des mots insensés »
ou « que l’arbre du silence porte les fruits de la paix ». Pourtant, ces
dernières années, nous avons été biberonnés autour de la nécessité de
s’exprimer, de dire ce que l’on avait sur le cœur, s’affirmer et lever les
secrets. Les vertus du silence n’ont plus cours, ni dans la sphère privée ni
sur la place publique. Nombre de coachs ou de psychothérapeutes ont
comme fonds de commerce les problèmes de communication. Les médias
mettent régulièrement en « Une » les injonctions suivantes conditionnant
l’accès au bonheur : il faut se parler, faire le point, verbaliser ce qui ne va
pas, ou moins bien, ou plus du tout, bref, « co-mmu-ni-quer. Si la
communication favorise la bonne santé et la longévité d’un couple, d’une
famille ou d’une équipe, l’excès de transparence peut avoir des
conséquences fâcheuses.
En effet, au sein d’un couple, tout se dire expose au risque que la relation
amoureuse dérive vers une relation fraternelle. Le secret et le non-dit
portent la part de mystères et de fantasmes nécessaires à la sensualité et à la
sexualité. La parole peut ainsi asphyxier une relation au fil des années.
Chacun perd son identité pour se perdre dans la fusion du couple. La parole,
qui relie au départ, finit par souder et faire disparaître l’identité de chacun
qui ressent le besoin de trouver de l’air ailleurs. La pensée magique autour
de la nécessité de « tout se dire » est une approche infantile de la relation.
Elle se cultive notamment à travers des mères qui inculquent à leurs enfants
la nécessité de tout leur dire afin de garder leur amour. Nombre de parents,
dans cette société de plus en plus sécuritaire, exigent de tout savoir sur leurs
enfants, leurs amis, leurs amours et voire leur sexualité. Ce « terrorisme »
maternel peut être lourd de conséquence sur la façon d’aborder les relations
d’adultes. Dans toute relation, chacun doit se sentir libre d’avoir un jardin
secret pour y respirer, s’y ressourcer et s’inventer. Celui-ci fonctionne
comme l’arrière-cuisine d’un restaurant. Tout n’est pas montrable car elle
est remplie de nos essais, de nos expérimentations, de nos petits
arrangements et de la part de médiocrité que nous avons tous et qui fait de
nous des humains.
La croyance de la nécessité de tout se dire appauvrit la magie
relationnelle. C’est un vrai tue-l’amour qui éteint l’érotisme d’une relation.
Or, tout individu a besoin de fantasmer pour faire monter le désir.
En outre, il est nécessaire de filtrer ce que l’on dit. En effet, ce qui
semble clair et simple pour nous peut être l’objet de quiproquos du fait d’un
manque d’éléments contextuels. La personne qui reçoit une parole va lire
celle-ci selon son contexte ce qui amène souvent un ressenti différent que
celui imaginé au départ par celui qui l’exprime. Certaines paroles anodines
peuvent être vécus comme des agressions ou des blessures narcissiques au
sein d’un couple ou d’une famille et être à l’origine de fâcheries ou de
disputes. Aussi, attention aux révélations. Il est nécessaire de les faire
uniquement si on a le sentiment que quelqu’un souffre de ne pas savoir et
qu’il sera plus fonctionnel de le dire. La culture psychanalyste autour des
secrets de famille a culpabilisé de trop nombreuses personnes de leurs
silences ou de leur pudeur. Nombre d’individus ont intégré cette culpabilité
et se font un devoir d’avouer quelque chose de peur de faire du mal sans
mesurer parfois l’absurdité ou les conséquences de cet aveu. De plus,
l’anxiété féminine et le besoin de connexion encourage certaines femmes à
exiger de leur partenaire de tout savoir. Or ces révélations se retournent
parfois contre l’équilibre du couple.

Olivier
Olivier s’est fait un devoir d’être transparent avec sa femme dans l’objectif de
construire une relation durable, honnête et respectueuse. Au cours d’une
soirée, il croise Géraldine, une ancienne amie. Il explique à sa femme qu’il a fait
autrefois une grosse bêtise avec cette fille en trompant sa copine de l’époque
au cours d’une soirée. Sa femme a bien accueilli cette information sans
commentaires. Cependant, quelques mois plus tard, au cours d’une dispute,
elle lui a ressorti cette histoire afin de démontrer que l’on ne peut jamais faire
confiance aux hommes. Elle a rajouté : « comment je peux te faire confiance, toi
qui est capable de trahison ». Désormais, dans leur vie de couple, au cours de
disputes, ce reproche est devenu un leitmotiv qui empoisonne la vie d’Olivier et
ancre la souffrance des protagonistes. Si c’était à refaire, il se serait tu.

Décider de parler n’est jamais sans risque. Mieux vaut évaluer à l’avance
le degré de confiance qui existe dans la relation pour être certain que l’on
ne regrettera pas ce que parler entraînera.
Un « bon » silence, un silence choisi, s’appuie sur le respect de l’autre. Il
permet de donner du relief et de la valeur à la parole. Comme en musique,
les silences participent à la mélodie et à l’harmonie du couple. Lorsque l’on
ne filtre pas, on est dans l’urgence de dire, ce qui met le partenaire en
position de passivité forcée. Pas de bon silence sans prise en compte de
l’autre, de son ressenti et de sa personnalité. Chacun arrive dans une
relation amoureuse avec sa propre histoire, sa construction particulière.

Laura
Avant de choisir d’échanger avec Armel, j’essaye de sentir les « vibrations » du
moment. Est-ce qu’il est fatigué, soucieux, disponible, vraiment présent ? Je me
suis rendue compte que les échecs de communication et les dérapages
découlaient souvent d’une erreur d’appréciation, du bon moment ou de la bonne
formulation.

H : Tu m’aimes »
F : Pourquoi tu me demandes ça ?
H : Pourquoi tu ne réponds pas ?
F : Pourquoi tu veux savoir ?
H : Pourquoi tu ne réponds jamais à mes questions ?
F : Pourquoi tu poses toujours des questions ? Pourquoi tu dois toujours tout verbaliser ?
H : Pourquoi tu n’exprimes jamais ce que tu ressens ? Pourquoi est-ce qu’on se dispute
toujours ?
F : Je t’aime. Tu m’aimes ?
James Saunders

À l’injonction de la transparence s’oppose le « droit à l’opacité ». S’il est


respect de l’autre, le bon silence est aussi respect de soi. En effet, on a le
droit de garder pour soi une information que cela soit par pudeur, par
orgueil, par confort. Chaque relation ait sa part d’ombre et de lumière. C’est
ainsi. Parfois, il peut être plus supportable de taire. Lorsque les mots
ravivent la souffrance, lorsque l’autre n’est pas prêt à entendre. Soyons
prudent pour les aveux qui ne prennent pas en compte la sensibilité de
l’autre. Après l’adultère, l’intéressé peut être tenté de tout révéler pour
tenter de retrouver une posture dans une pseudo-honnêteté autocentrée sans
prendre en compte la souffrance qu’il va induire. Par contre, il est important
que l’organisation contractuelle du couple soit bien définie afin que chacun
puisse se sentir en sécurité au sein d’une relation constructive. La
préparation au mariage dans la religion catholique est parfois un véritable
« coaching » de couple, tout comme en entreprise, pour rédiger le pacte
d’associés que vont constituer ce nouveau couple. Au cours de ce
« coaching », tous les aspects du quotidien vont être discutés et
appréhendés : l’éducation des enfants, le partage des tâches, la gestion, les
finances, le cloisonnement entre vie de couple et vie de famille, la
définition de l’espace d’autonomie de chacun, etc. Une fois les choses bien
dites et bien négociées autour d’un compromis de vie, il est plus aisé de
cheminer ensemble. Cette démarche est intéressante à reprendre lorsque
l’on construit un couple ou une famille en dehors de toute démarche
religieuse. Il permet que le contrat de couple soit clairement formulé entre
les partenaires
En revanche, ne peuvent pas bénéficier du label « bons silences » ceux
qui taisent dans le couple ce qui touche à la nature même de la relation : les
attentes et les besoins de chacun, les projets communs, la gestion des
problèmes et celle des conflits. La relation de couple tenant sur un contrat,
mieux vaut les exprimer pour éviter malentendus et déceptions. L’autre ne
pouvant pas deviner les besoins et les modes de fonctionnement de l’autre,
il est nécessaire d’instaurer un dialogue et des échanges réguliers pour
pouvoir avancer ensemble et procéder, si nécessaire, à des réajustements
concertés.

En entreprise
Ne pas oublier de revêtir les habits de sa fonction

En entreprise, il est nécessaire d’être prudent. En effet, n’oublions pas


que les objectifs de l’entreprise sont de travailler, de produire pour gagner
de l’argent. Toutes les relations sociales au sein de cet espace sont
perverties par ces objectifs. Aussi, les relations que l’on a avec ses
collègues se doivent avant tout d’être fonctionnelles. La difficulté est que,
du fait de la disparition des espaces sociaux – la famille et le village ont
souvent disparu – l’employé peut être tenté de rechercher des liens affectifs
dans le travail. Or l’objectif de l’entreprise n’est pas de donner de l’amour
même si le management encourage chacun à s’exprimer et à mettre en
valeur toutes les facettes de sa personnalité pour fédérer un esprit d’équipe,
une communion au service de l’entreprise. Pour cela, l’entreprise usera de
coaching collectif, team building ou grandes messes pour resserrer les liens
de chacun au service du projet collectif ! Ne nous laissons pas avoir par ces
belles paroles et cet endoctrinement au service de la religion de l’entreprise.
Tous les liens entretenus se briseront en cas de difficultés, tension,
réorganisation, fusion, etc.
La première règle qu’il souvent bon à suivre en entreprise est celle du
« no explain, no complain ». C’est-à-dire on ne se justifie pas et on ne se
plaint pas de quelqu’un.
• No explain : on ne se justifie pas pour ne pas donner des bâtons pour se
faire battre. On donne si nécessaire des explications, mais pas des
justifications qui nous placent en fragilité en dessous de l’interlocuteur.
Un vrai professionnel sait évaluer la situation. Il affirme ses choix en
fonction d’éléments de contexte en restant fluide avec ses collègues. Il
cultive le compromis et la communication non violente pour avancer
selon ce qui est important tout en tenant compte de la situation.
• No complain : tous les mots que l’on peut dire sur quelqu’un peuvent en
entreprise se retourner contre nous. Par exemple, lorsque l’on part d’un
service ou d’une entreprise fâché contre quelqu’un, on peut recroiser
cette même personne dans une autre histoire professionnelle quelques
années plus tard. Il faudra alors composer avec les mots que l’on aura
dit que l’on aura à assumer. Il est souvent préférable de noter des
désaccords que de discourir sur quelqu’un. Il peut être dangereux de
tout dire.

Marion
Je suis partie d’une société de communication du fait d’une chef que je
ressentais comme « perverse » envers moi. Lors de ma rupture
conventionnelle, j’ai eu des mots très durs envers elle et je me suis beaucoup
plainte auprès de mes collègues. Deux ans plus tard en réintégrant un grand
groupe, j’ai découvert avec stupéfaction que cette personne travaillait dans le
même bâtiment que moi. Je ne sais pas si on lui a rapporté tous les mots que
j’ai pu dire mais j’ai été très mal dans ce travail de peur qu’elle influe sur ma
hiérarchie.

La deuxième règle est ne jamais oublier que l’on est au travail.


Il est possible d’être authentique dans le rôle que la fonction nous fait
jouer. Cela veut dire être au contact de ses valeurs de façon adaptée à sa
mission afin de cultiver une élégance relationnelle. Par contre, cette
authenticité ne doit pas se couper du contexte.
La période d’essai dans un nouveau travail est particulièrement délicate.
Lors de cette phase d’intégration, on souhaite tout faire pour s’intégrer,
notamment en nouant des liens amicaux avec son équipe et sa hiérarchie.
On cherche à se faire aimer pour être gardé. Cependant, il est important de
prendre le temps d’appréhender les codes sociaux de sa nouvelle entreprise.
En effet, une spontanéité mal adaptée peut entraîner un désaveu au moment
de confirmer l’embauche. Voici-ci l’e-mail qu’a reçu Virginie.

Virginie
Dommage que votre contrat n’ait pas abouti à une embauche définitive. Cela ne
dépendait que de vous. Malgré vos décolletés trop profonds et vos jupes
courtes, je trouve que vous êtes une personne sympathique. Cependant, il faut
que vous compreniez qu’aucune société ne saurait embaucher quelqu’un qui
est pratiquement toujours en retard. Un cadre avec un salaire important se doit
d’être un meneur, de venir avant les subordonnés, ne pas les relaxer par des
bavardages et des pauses cigarette plus que fréquentes.

En outre, toute intégration peut entraîner des réflexes inconscients de


rejet de la part du groupe qui peut se sentir fragiliser par la réorganisation
qui suit obligatoirement tout recrutement. Certaines équipes sont prises
dans le paradoxe de devoir accueillir quelqu’un de plus tout en ayant de la
difficulté à lui faire de la place. Pendant cette période, le nouvel arrivant se
doit d’être extrêmement attentif à tous ses choix comportementaux. Il doit
les évaluer avec tout le professionnalisme nécessaire. Rien ne doit être
laissé au hasard pour garantir l’embauche.
La technique de l’Auguste
Parfois lorsque les conditions de travail en entreprise sont difficiles et que l’on ne
peut partir, il est difficile de trouver une posture à cette situation. En effet, si on ne
dit rien, on a le sentiment de subir une situation difficile ; et si on s’exprime, la
demande peut ne pas être entendable par des chefs non bienveillants. Une
possibilité est de faire l’Auguste. L’Auguste est un clown de cirque qui dit oui à tout
ce que lui demande le clown blanc mais n’en fait rien qu’à sa tête ensuite. Cette
technique déclinée en entreprise est de sortir de la plainte pour composer avec
une situation en accueillant toute les demandes et les exigences plus ou moins
raisonnables tout en faisant après rien qu’à sa tête. Cela demande de sortir d’une
logique de la performance et du bon élève qui répond à tout pour gagner des
points ou se faire aimer. Si la demande n’a pas été satisfaite, on joue au « con »
en disant par exemple que l’on n’a pas eu le temps et que l’on aurait bien aimé
pouvoir le faire.

Les conflits au travail


Lors d’un conflit au travail, le silence est un outil très efficace. En effet,
si vous parlez trop rapidement, vous risquez de vous justifier et de donner le
pouvoir à votre interlocuteur. En outre, votre agitation renforce la légitimité
du reproche.
Garder le silence n’est pas être passif ou subir, c’est juste prendre le
temps de se recentrer, de réfléchir et de ne pas offrir à l’autre votre émotion
afin qu’il l’utilise ou en abuse.
Ce silence aura plusieurs vertus.
• Tout d’abord, votre interlocuteur va être amené à dévoiler ses craintes.
• Le silence amène à parler et en le faisant il parlera au fond de lui en
parlant de vous.
• En gardant le silence, tout en regardant l’autre dans les yeux, vous
gagnez en maîtrise et vous déstabilisez l’autre.
• Le silence vous protège.
• Il vous permet d’agir en connaissance de cause sans vous perdre dans
des paroles et des explications inutiles.
Le tout est d’utiliser cet outil sans en abuser et avec éthique.
Le regard de Jean-Christophe
J’ai eu l’occasion d’effectuer un stage dans un service où le chef de service
instrumentalisait les réponses de ses collaborateurs pour les maltraiter. J’ai vite
compris ce jeu. Mes réponses, après un silence, étaient juste « oui, je suis
d’accord », « non, ce n’est pas mon opinion ». J’ai été tranquille pendant tout le
stage.
Exercice de formation
Objectif : assumer sa présence physique face au regard des autres. Trouver une
forme d’autorité dans la présence. Cet exercice permet de comprendre que l’on
peut avoir un impact sur l’auditoire sans parler.
Le démarrage d’une réunion
Exercez-vous en suivant le canevas qui suit :
Je regarde les autres mais je suis exposé au regard des autres, je marche, je
m’immobilise et je dis :
« Je n’ai besoin de rien… ni même envie de tout. »
Je marche et je m’immobilise et je dis :
« Je n’ai besoin de rien, de plus en plus, et je vais persévérer dans le fait de
n’avoir besoin de rien ».
Si quelqu’un dans la salle a besoin de quelque chose ?
Libre à lui
Ciao

Comment commencer un exposé ?


En réunion ou lors d’un exposé, il n’est pas toujours facile de capter l’attention. Le
piège est de se perdre dans la présentation de soi et de justifier sa présence. Si
on ne capte pas l’attention du public, il se distrait et devient vite volage. Plusieurs
techniques existent, nous vous en proposons deux.
• La première est de se poser bien présent en train de regarder dans les yeux
le public. Progressivement, chacun se pose la question de ce regard qui
capte petit à petit l’attention. Quand celle-ci semble bonne, parlez lentement
et tout doucement pour que chacun fasse l’effort de prêter l’oreille.
• La deuxième est de commencer en posant une question sur la problématique
qui justifie votre exposé. Ensuite vous vous présentez
Ensuite laissez lire l’auditoire. Lisez pour vous en même temps que lui lit ce qui
est écrit, se retournez-vous et enchaînez le commentaire.

Le conseil de Laurent à propos des diapositives


• Après avoir posé une question à la salle, laissez un silence et une respiration
avant de répondre :
• « Savez-vous combien… » Placez un bon silence. À vous d’évaluer sa durée
selon le contexte. La durée d’un silence est difficilement quantifiable.
Conclusion

La saveur du silence au milieu des mots dits en pleine conscience

« Le silence est la plus haute forme de la pensée et c’est en développant en nous cette
attention muette au jour que nous trouverons l’absolu qui nous entoure. »
Christian Bobin

Le droit à la parole est précieux. Il nécessite encore d’être défendu.


Cependant, cela ne doit pas être au prix d’une diarrhée verbale comme on
l’observe de plus en plus le cas dans les médias et les réseaux sociaux.
Cette sur-communication vampirise notre cerveau en pervertissant notre
relation aux autres et à soi. Elle est source d’un bruit dans notre tête, autour
de nous et numérique. Trop de blablas disait une chanson ! En outre, cette
parole excessive devient un objet de pouvoir pour soumettre l’expression de
chacun. Cette parole fait la part belle aux discours « contre » et muselle les
actions « pour ». Dans cette atmosphère, il est difficile de vivre, de discuter
et d’échanger ensemble. Les commentaires et les jugements excessifs font
le lit de l’anxiété. Le silence, les temps suspendus et tout simplement le fait
d’être là, dans la sensation du présent, sont porteurs de précieuses saveurs.
En cas de doute sur l’intérêt de notre propos, il est préférable de choisir le
silence afin de ne pas vainement gaspiller son énergie et préserver son
image. N’oublions pas sa force. Il dérange, il irrite et agace. Il est un
précieux outil de communication. En outre, les personnes qui se soucient
vraiment de vous vous entendent dans votre silence. Enfin, pour parler, il
est nécessaire d’évaluer si votre interlocuteur est capable de vous entendre.
Oscar Wilde disait : « Je pense qu’il est très sain de se retrouver seul. Tu
dois apprendre à être bien avec toi-même et à ne pas te définir par
quelqu’un d’autre. »
Il y aurait tant d’autres choses à dire et nous en avons beaucoup
exprimées dans ce livre. Merci d’avoir pris le temps d’accueillir notre
bavardage. Cependant, maintenant, c’est à nous de nous taire, de ne pas
rajouter du bruit à ce qui a été dit et pour savourer ce qui reste après avoir
écrit ce livre, pour garder en bouche le plaisir de ces pensées partagées et
pour simplement expérimenter cet instant avec curiosité.
Merci à vous de vous être arrêté un instant pour nous lire.
À vous… quand préférez-vous le silence
à la parole ?

Voici quelques témoignages.

Sophie
Le silence est essentiel. En cas de crise. On n’est pas toujours à même de
discuter immédiatement et de poser les choses à plat. Il permet à chacun de se
calmer et de mieux communiquer dans un deuxième temps.

Fabienne
Lorsque je fais un truc pas terrible ou carrément raté et que je sais que cela se
voit, je préfère le silence. Je déteste la voix qui le fait remarquer.

Nathalie
Quand j’ai juste besoin que l’autre soit présent sans chercher à me donner
conseil ou une solution. Juste une présence douce et aimante.

Géraldine
Quand j’ai un coup de blues, je me réfugie dans le silence et je fuis la parole.
J’ai besoin de cette retraite.

Boris
Seul, de la parole au silence intérieur… Quand je souhaite être présent à mon
expérience immédiate, à ma plénitude.

Yasmine
Le silence en retraite permet de se connecter différemment aux gens. On
ressent l’essentiel qui nous relie, notre humanité par delà nos personnalités et
nos différences.

Sophia
Parfois j’ai besoin de silence. C’est comme cela. Cela dépend des moments.

Nathalie
Quand les mots me manquent… Quand tout est tellement juste là et qu’il n’est
pas nécessaire d’en rajouter.

Fanny
Quand j’écoute et que je suis en présence de l’indicible… Quand je suis
scotchée par la bêtise.

Dominique
Quand je suis dans la nature ou en balade en forêt.

Laurence
Le silence est une expérience personnelle riche et pleine à savourer ou à
élaborer.

Anton
Lorsque je suis à la taverne du roi à Porto-Vecchio et que j’entends des amis
corses chanter.

Leila
Quand je suis en cohérence avec moi. Le silence s’impose. Il m’est
indispensable. Pourtant, je l’évite souvent car il me met parfois mal à l’aise.

Maelia
Lors d’une rencontre érotique ou sensuelle.

Evelina
Un silence partagé dans une complicité harmonieuse est révélateur et
sublimateur de sentiments.

Alia
Après le point d’orgue en musique

Juliette
Lorsque je partage une difficulté, une tristesse, j’aime que mon interlocuteur
m’écoute simplement.
Comment aller plus loin

Par la parole : théâtre, improvisation,


clown
Le théâtre, l’improvisation et le clown sont des activités qui permettent de
jouer et d’explorer son expression. L’enjeu est de conscientiser et
d’apprendre que dire ne se fait pas que par les mots. On apprend à se servir
de l’émotion comme moteur à l’expression soit autour d’un texte écrit
comme dans le théâtre, soit à travers un texte improvisé comme dans le
théâtre d’improvisation, soit en apprenant à jouer de sa fragilité et être
simplement soi dans le clown. Ces activités servent à s’éprouver, c’est-à-
dire à dépasser le plafond de verre qui nous emprisonne dans des
représentations relationnelles, des automatismes comportementaux ou des
carcans émotionnels. Elles sont l’occasion d’apprivoiser son corps, sa
parole et sa place sur la scène de la vie en compagnie d’autres.
Le clown est une activité particulièrement intéressante pour gagner en
liberté d’être. En effet, le clown ne joue pas un rôle. Il est lui. Il se nourrit
de son ridicule et de ses émotions pour oser être lui et se faire aimer du
public. On rit de lui non pas par moquerie mais par connivence et par
tendresse. Dans le superbe documentaire, Tout va bien, le premier
commandement du clown, de Pablo Rosenblatt et d’Émilie Desjardins, qui
suit des élèves au sein d’une école de clown, un professeur dit cette
précieuse phrase : « on admire les acrobates et on aime les clowns ». Or,
nous essayons souvent de faire les acrobates dans la vie pour être aimé,
reconnu ou respecté alors que l’on a surtout besoin d’être aimé. Cette
discordance entre nos intentions et notre besoin ultime, être aimé, est
souvent source de nos paroles ou de nos réactions excessives ou inadaptées.
Notre fragilité assumée est notre vraie force et nous rend humain. En outre,
elle nous permet de vivre les émotions comme de formidables outils de
connaissance de soi et d’adaptation au lieu de les considérer comme des
handicaps. D’ailleurs, le clown utilise rarement la parole pour s’exprimer et
se faire aimer du public.

Par le corps : tai chi, yoga, qi gong


Le tai chi, le yoga et le qi gong sont des outils corporels formidables pour
apprivoiser et vivre son corps, ses émotions et donc son être à travers le
mouvement et la respiration. Ces pratiques font ressentir notre simple
présence dans le silence du geste. Ils constituent à la fois une gymnastique
corporelle et spirituelle pour entretenir un autre rapport à soi. Pratiqués le
matin, ils remettent en ordre notre être que la nuit et la vie désordonne. Ces
activités corporelles participent à une vision plus écologique de soi.
Expérimentez-les pour trouver l’activité qui correspond à votre énergie et à
votre style.
En cas de souffrances psychologiques, elles sont de précieux outils à
associer à toute psychothérapie ou traitement médicamenteux. Elles ont des
vertus anxiolytiques et antidépressives. En les inscrivant dans notre corps,
nous décrochons progressivement des ruminations que notre cerveau nous
raconte.
Faites aussi l’expérience de vous lever le matin une demi-heure plutôt pour
offrir ce temps de remise en ordre avant de vous précipiter dans votre vie.
Prenez le temps de vous éveiller à la vie et de vous rendre disponible à vous
et aux autres. En abordant la journée moins chiffonné, vous serez plus
paisible, vous aurez moins de commentaires intérieurs et vous serez plus
souple pour aborder les aléas de chaque jour.
Il existe de nombreuses applications pour smartphone ou vidéo sur
YouTube avec des exercices directement accessibles. En retrouvant une
harmonie et une paix intérieure, nous pouvons aborder plus sereinement la
journée. Nos paroles seront peut-être plus adaptées, plus fluides et plus
justes.
Bibliographie

André C. et Lelord F – La force des émotions, Odile Jacob, 2003


Badiou A. – Introduction au colloque Danse et pensée, Ed Germs, 2016
Chalvin D. – L’affirmation de soi, mieux gérer ses relations avec les autres, collection
formation permanente, ESF édition, 2016
Dallaire M. – Le clown, l’art, la vie, Auto-édition, 2015
Deval Ch., Bernard-Curie, S. Simplifiez vos relations avec les autres, InterEditions, 2016
Keller, F. Découvrir la Communication NonViolente, InterEditions, 2017
Harris R. – Le piège du bonheur, version illustrée, Éditions de l’Homme, 2010
Hayes S et Plisson E – Penser moins pour être heureux : ici et maintenant, accepter son
passé, ses peurs et sa tristesse
Langer E. – Pratiquer la Pleine conscience au quotidien – ce que change la Mindfulness
dans notre vie. InterEditions, 2015
Schoendorff B et al. – Le guide de la matrice ACT, De Boeck, 2017
Sérillon C. La conversation, Édition Cent Mille Milliards, 2017
Seznec J.-C., J’arrête de lutter avec mon corps, PUF, 2014
Seznec J.-C. et al., L’ACT, applications thérapeutiques, Dunod, 2015
Seznec J.-C. et Ouvrié-Buffet E. – Pratiquer l’ACT par le clown, Dunod, 2014
Thich Nhat Hanh – Prendre soin de son enfant intérieur, faire la paix avec soi, Pocket, 2014
Et pour les passionnés de schémas…

On dit souvent qu’un dessin est plus « parlant » que des mots. Et puis
certains d’entre nous préfèrent les figures géométriques. Voilà donc ici
quelques schémas illustrant les idées développées dans ce livre.
Ils vont nous servir comme petit jeu de mémorisation !
D’après vous, à quelle page chacun d’eux fait référence ?
Réponse à la dernière page.

Figure 1 – La balance émotionnelle

Figure 2 – Une boussole pour mieux communiquer


Figure 3 – Quand six devient neuf ou tout dépend du point de vue

Figure 4 – Cercle ou rectangle : il y autant de vérité que de points de vue

Figure 5 – L’accélérateur de particules entre corps, pensées


et émotions : nous devons en apprivoiser le mouvement pour éviter
un débordement à un endroit ou l’autre.
(source : Seznec JC, J’arrête de lutter avec mon corps, PUF, 2011)
Figure 6 – Les purges dysfonctionnantes : il faut prendre conscience
que certaines de nos réactions n’ont malheureusement pas de sens
par rapport à la stimulation de départ. Elles sont donc absurdes. Elles
ont juste un effet d’apaisement à très court terme et exposent à d’autres
risques à très moyen terme : addiction, etc.
(source : Seznec JC, J’arrête de lutter avec mon corps, PUF, 2011)

Figure 7 – L’Hexaflex : les six processus de l’ACT pour apprendre


à surfer sur le quotidien – rarement idéal
(source : JC Seznec et al., ACT : applications thérapeutiques, Dunod, 2015)
Figure 8 – Je me tais ou je parle ? Tout de suite ou plus tard ? Si je parle,
qu’est-ce que je dis et comment ? La matrice ACT m’aide à faire
le bon choix

Les réponses : figure 1 : page 9 ; figure 2 : page 11 ; figure 3 : page 12 ;


figure 4 : page 22 ; figure 5 : page 23 ; figure 6 : page 24 ; figure 7 :
page 86 et figure 8 : page 89 évidemment !
1. Christophe André, François Lelord, L’estime de soi, Odile Jacob.
1. Voir le film : The great debaters de Denzel Washington.
2. http://www.concours-national-eloquence.fr.
3. Seznec JC, J’arrête de lutter avec mon corps, PUF, 2011.
4. Les Dogons sont des habitants d’une région du Mali.
5. Le Bras H., Le pari du FN. Ed Autrement, 2015.
1. Lorsqu’un plombier rentre dans votre maison, il ne voit pas les mêmes choses que vous, que vos
parents, que l’inspecteur des impôts ou qu’une mouche. Chacun appréhende à sa façon une même
réalité selon son contexte, ce qui est important pour lui, son histoire ou sa physiologie. Ce que
chacun perçoit est vrai mais il ne s’agit que d’une partie de la réalité.
2. Une pensée automatique est une pensée qui s’impose à soi et qui ne fait pas l’objet de réflexion.
3. Elisabeth Kübler-Ross, psychiatre helvético-américaine, pionnière des soins palliatifs pour les
personnes en fin de vie.
4. Gérard est le nom que je donne à mon cerveau émotionnel lorsqu’il fonctionne comme un
doberman. Désolé pour les Gérard !
5. JC Seznec et E Ouvrier-Buffet, Pratiquer l’ACT par le clown, Dunod, 2014.
6. L’effet porte est un terme qui provient du marketing. Lorsqu’un représentant se présente au
domicile de quelqu’un, d’un regard, il doit donner envie et confiance pour qu’on lui ouvre la porte.
7. Un mantra est une courte phrase que l’on se répète fréquemment selon un certain rythme et qui a
le pouvoir de structurer et d’organiser l’intériorité de la personne qui le dit. Il vaut pour ce qu’il est
dit mais aussi pour la sonorité de ce qui est dit. L’objectif est de canaliser le mental discursif. Cette
technique est beaucoup utilisée dans la religion notamment dans l’hindouisme, le bouddhisme, le
sikhisme et le jaïnisme. Certaines approches du yoga et de la méditation utilisent aussi cette
technique de façon laïque.
8. Cette métaphore a fait l’objet d’un célèbre film avec Alain Chabat : Didier !
9. Le choix de ces prénoms est complètement arbitraire et ne possède aucune vérité.
10. Thérapie de l’acceptation et de l’engagement.
11. Les Éditions Théâtrales, 2001.
12. J’ai traité pour anxiété relationnelle des recruteurs, des managers, des inspecteurs d’auto-école
qui sont des personnes que l’on n’imagine pas anxieux et dont la rencontre est souvent source
d’anxiété.
13. http://nautil.us/issue/40/learning/how-to-tell-if-youre-a-jerk?
utm_source=RSS_Feed&utm_medium=RSS&utm_campaign=RSS_Syndication
14. Tout est une histoire de contexte car traiter un clown de « con » est un compliment.
15. Au pays Dogon, au Mali, les habitants discutent dans des cases à palabres dans lesquelles il est
impossible de se tenir debout. Le plafond est bas pour rappeler à toute personne qui s’énerverait et
qui voudrait se lever brutalement pour partir ou haranguer son auditoire qu’il est plus confortable
de rester assis et paisible.
1. Seznec JC et Ouvrié-Buffet E, Pratiquer l’ACT par le clown, Dunod, 2014.
2. Seznec JC et Rohant S., Médecine en danger, qui va nous soigner demain ? Edition FIRST,
2016.
3. Seznec JC et Ouvrié-Buffet E., Pratiquer l’ACT par le clown. Dunod, 2014.
4. http://docteur-seznec.over-blog.com/2017/02/signification-du-geste-danse.html
5. Badiou A,.Introduction au colloque Danse et pensée, Ed Germs, 2016.
6. Acceptation and commitment therapy ou thérapie de l’acceptation et de l’engagement.
7. Seznec JC et al, ACT : applications thérapeutiques, Dunod.
8. On appelle défusion cognitive le procédé nous permettant de prendre de la distance avec nos
pensées.
9. Viorst J. Les renoncements nécessaires, Robert Laffont.
10. Schoendorf B. et al., Le guide de la matrice, De Boeck.
11. http://www.cnvformations.fr. et Keller, F. Découvrir la Communication NonViolente, Inter-
Edtions, 2017
1. Kardaras N. « Génération Z en danger face aux réseaux sociaux ». Cerveau et Psycho no 87,
avril 2017.
2. Régime social des indépendants.
3. Lorsque l’on met à la disposition d’un rat des mets variés et appétents comme des sucreries, il
développe une obésité en n’étant jamais complétement rassasié devant la variété des choix. Ce
modèle s’appelle le régime cafétéria.
4. https://www.sante-sur-le-net.com/fiches-info/cardiologie/valvulopathies.
5. Interview de Claude Sérillon par Claude Soulez :
http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/23253/2003_07_70.pdf?sequence=1
6. Serillon C, La conversation, Éditions Cent Mille Milliards, 2017.
7. Lejoyeux Michel : Overdose d’info, guérir de ces névroses médiatiques. Seuil, 2006.
8. Vigarello G., Histoire des émotions, tome 1, Edition Seuil, 2016.
9. Le chanteur Renaud, qui a longtemps bataillé dans ses chansons contre la police, en a fait une
lui déclarant sa flamme « J’ai embrassé un flic ».
1. Point de vue.
2. Beaucoup sont aussi gouvernés par la recherche de « la cause » à leur situation. Cette vision
causale de la vie est source de rumination et de victimisation. N’oublions pas que nous avons tous
une histoire. Certes certaines sont plus accidentées que d’autres, mais la souffrance n’est pas tant
liée à notre histoire de vie qu’au rapport que l’on entretient avec elle et ce qui se présente à soi à
cet instant. Cette recherche de « la cause » pour mieux se comprendre nourrit parfois des palabres
sans fin. Est-ce que la guérison en psychanalyse arrive lorsque l’on a épuisé tout ce que l’on avait
à dire sur soi afin de pouvoir véritablement vivre le présent ?
3. De nombreuses années après, des patients peuvent raconter dans ses moindres détails (jour,
heure, décoration du cabinet, vêtements du médecin, etc.) ce moment où leur vie a basculé du fait
d’une annonce médicale mal dite.
4. L’arbitre a toujours raison même quand il a tort. Cette maxime signifie que la présence de
l’arbitre donne le sens au jeu. Sans arbitre, il n’y a pas de match mais une cour de récréation. Au
cours d’un match de rugby, toute personne qui discute prend une pénalité qui fait reculer l’équipe
de dix mètres. Ainsi, la règle est claire : il s’agit bien d’un match.
5. Kelly G. Wilson, Ph. D, professeur de psychologie à l’université du Mississippi, est l’un des
développeurs de la thérapie ACT (Thérapie d’Acceptation et d’Engagement). Ancien président de
l’Association pour la science comportementale contextuelle (ACBS), il dirige le centre de
psychologie contextuelle au sein de l’Université du Mississippi (Center for Contextual
Psychology) et est le directeur scientifique du Center for Hometown Science.
6. http://www.cregg.org/site/motricite-et-nutrition/articles/991-congres-nutrition-2008-obesite-et-
psychiatrie.html
7. Kathleen Vohs, Nicole Mead, Miranda Goode, The Psychological Cansequences of Money,
Science, no 5802, 2006, p. 1154-1156.
8. http://www.blog-lecerveau.org/blog/2012/03/19/le-reseau-cerebral-du-mode-par-defaut/
9. http://www.francetvinfo.fr/replay-radio/moi-president-2017/christophe-andre-moi-president-je-
demanderai-a-ce-que-chaque-journee-d-ecole-demarre-par-quelques-minutes-de-
meditation_1932343.html
10. Cf le manifeste de l’association S’asseoir Ensemble : http://www.sasseoir-ensemble.fr/
11. Thich Nhat Hanh, Prendre soin de l’enfant intérieur – Faire la paix avec soi. Ed Pocket, 2014.
12. Étude de l’Observatoire société et consommation sur un panel de 12 000 personnes sur cinq
pays dont la France a montré que 80 % des personnes interrogées souhaitent ralentir (2016).
13. « Seznec JC, J’arrête de m’arracher les cheveux. Ed PUF, 2013.
14. http://www.mediterautrement.com. La plupart des stages et des thérapeutes certifiés sont
répertoriés sur le site de l’association pour le développent de la mindfulness :
https://www.association-mindfulness.org.
15. À Paris, s’est ouvert en 2017 le premier bar à méditation.
16. On appelle instructeur, les personnes formées et certifiées pour animer des stages de pleine
conscience du type MBSR et MBCT.
17. Seznec JC, J’arrête de lutter avec mon corps, PUF, 2014.
18. S’asseoir ensemble a été créé au même moment que les nuits debout. Si ces deux mouvements
non rien à voir, cette idée a germé comme une réaction clownesque à ce contexte. Proposer de
s’asseoir le jour pendant que de nombreuses personnes revendiquaient d’être debout la nuit a été
une idée qui nous a amusés tout en étant une proposition sérieuse.
19. https://www.mahi.dhamma.org.
20. Corvin A, Histoire du silence, Albin Michel
21. Hygge S. et al. : « A prospective study of some effects of aircraft noise on cognitive
performance in schoolchildren », Psychological Science, vol 13, 2002, p. 469-474.
22. Kirste I., « Is silence golden ? », Brain Structure and Function, vol 120, 2013, p. 1221-1228.
1. La séparation du caractère masculin et du caractère féminin est une distinction fonctionnelle et
arbitraire défini dans le livre J’arrête de lutter avec mon corps aux éditions PUF. Le caractère
masculin peut être porté par des femmes et le caractère féminin par des hommes.
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