77 Naoko Sugiyama
Les fêtes galantes d’Antoine Watteau
et la culture de la conversation
l’interprétation du texte visuel par le contexte culturel et social*
Naoko SUGIYAMA
Introduction
A propos de la peinture de Jean Antoine Watteau (1684–1721), créateur des fêtes
galantes et peintre très fameux de l’art français du 18e siècle, Mary Vidal, historienne
de l’art, écrit que les thèmes centraux chez les fêtes galantes du peintre sont la
conversation1. Watteau fut officielment reçu à l’Académie royale de peinture et de sculpture
le 28 août 1717. Son morceau de réception, Le Pélerinage à l’île de Cythère (fig. 1), fut
tout d’abord répertorié comme un tableau représentant un pélerinage à l’île de
Cythère. Cette description fut tout de suite barrée et substituée par la dénomination
« une feste galante ». La correction constitue la première occurrence de cette formule,
tout du moins en relation avec un tableau. On peut voir dans Dictionnaire de Furetière
fig. 1 Jean-Antoine Watteau, Le Pélerinage à l’île de Cythère, 1717, Paris, musée du Louvre.
* Cet article est la réécriture d’une partie de ma thèse de doctorat : L’expression de la sculpture dans
les fêtes galantes d’Antoine Watteau, université de Nagoya, 2005.
1 Mary Vidal, Watteau’s Painted Conversations: Art, Literature and Talk in Seventeenth- and Eighteenth-
Century France, New Haven/London, 1992.
HERSETEC, 3, 1 (2009), 77–87
78 Naoko Sugiyama
(1690) l’article de “GALANT : … une feste galante, une resjouïssance d’honnestes
gens….” Dans les fêtes galantes de Watteau, les dames et messieurs élégants sont
assemblés dans un parc et s’amusent à la promenade, la danse, la conversation, la
musique et au rendez-vous amoureux.
L’œuvre de Watteau est loin d’avoir livrée tous ses secrets : parmi les nombreux
problèmes qui restent à éclaircir, subsiste la question de l’expression du sujet nommé
fêtes galantes. Les fêtes galantes sont des peintures de genre et non des peintures
d’histoire qui illustrent des textes littéraires, la mythologie grecque et romaine, la
Bible etc. Il n’y a pas encore de documents de première main qui expliquent les
œuvres particulières de Watteau2. Donc concernant l’étude des fêtes galantes de
Watteau, il est difficile d’expliquer parfaitement le signifié et le signifiant de son
tableau simplement par une approche iconographique. Il est aussi plus utile de les
expliquer comme un complexe, et ceci autant par les textes visuels que par le contexte
historique et social.
Cet article examine le problème de l’interprétation mentionnée de Mary Vidal
portant sur les fêtes galantes que Watteau a peintes. Premièrement, nous vèrifierons le
contexte culturel et social de la conversation. Deuxièmement, nous apliquerons le
contexte aux tableaux de Watteau. Ces recherches permettent de mieux saisir
l’explication des fêtes galantes de Watteau.
1. L’interprétation des œuvres de Watteau par Mary Vidal
Nous présenterons ici l’interpretation des fêtes galantes de Watteau par M. Vidal.
Celle-ci montre que les thèmes centraux chez les fêtes galantes de Watteau sont la
conversation et n’ont pas d’histoire comme peintures d’histoire. La conversation est
définie comme celle non officielle et spontanée, n’ayant pas de texte. Ensuit, elle
classe les compositions des fêtes galantes de Watteau selon cinq cas : (1) le couple
jouissant de la seule conversation (fig. 2) ; (2) le groupe jouissant de la seule
conversation (fig. 3) ; (3) le groupe jouissant de la conversation et d’autres amusements
occupant une place modeste dans le tableau (fig. 4) ; (4) le groupe jouissant de la
conversation et d’autres amusements occupant une place importante (fig. 5) ; (5) le
seul couple ou le groupe absorbé dans la conversation et interrompant d’autres
amusements (fig. 6).
2 Sur les textes contemporains sur Watteau : P. A. Orlandi, “Antonio Vatteau,” Abecedario Pittorico,
Bologne, 1719 ; A. de La Roque, Le Mercure, août 1721 ; J. de Jullienne, “Abrégé de la vie
d’Antoine Watteau,” Figures de différents caractères, 1726 ; E.-F. Gersaint, “Abrégé de la vie
d’Antoine Watteau,” Catalogue raisonné des diverses curiosités du Cabinet de Feu M. Quentin de
Lorangère, Paris, 1744 ; Dezallier d’Argenville, “Antoine Watteau,” Abrégé de la vie des plus fameux
peintres, Paris, 1re éd. 1745, t. II ; 2e éd. 1762, t. IV (réimprimé, Genève, 1972, pp. 402–410) ;
Compte de Caylus, La vie d’Antoine Watteau, peintre de figures et de paysages, sujets galants et modernes,
lue à l’Academie le 3 février1748 ; J. Lacombe, Dictionnaire portatif des Beaux-Arts, Paris, 1755, pp.
739–740 ; P.-J. Mariette, “Antoine Watteau,” Abecedario, Paris, 1859–60 (réimprimé, 1966, pp.
104–136) ; Pierre Champion (éd.), Notes critiques sur les vies anciennes d’Antoine Watteau, Paris,
1921 ; rééd. par Pierre Rosenberg, Vies anciennes de Watteau, Paris, 1984 (éd. italienne : Le Vite
antiche, Bologne, 1991).
Les fêtes galantes d’Antoine Watteau et la culture de la conversation 79
fig. 3 Jean-Antoine Watteau, La Conversation,
1712–1713, Toledo, Ohio, Toledo Museum of
Art.
fig. 2 Jean-Antoine Watteau, Le
Repos gracieux, v. 1713, Oxford,
Ashmolean Museum.
fig. 4 Jean-Antoine Watteau, Les Champs-
Élysées, v. 1717, Londres, Wallace
Collection.
M. Vidal dit que le sujet central dans les cinq cas considéré est la conversation.
Cette interprétation peut s’appliquer naturellemnt aux cas (1) (2) (3) (5), mais il
correspond aussi au cas (4). Dans la peinture « Les Plaisirs du bal » (fig. 5), par exemple,
qui représente le cas (4), le couple va dancer, mais le groupe galant entourant le
couple est indifférent à celui-ci et à la passion de la conversation elle-même (fig. 7).
Le fait que le sujet central soit la conversation est parallèle aussi bien à la disposition
des personnages qu’à l’apparence mentionnée des personnages. Il n’y a pas de couple
jouissant de la danse au centre de la composition, où l’on voit une femme avec une
robe noire ouvrir légèrement la bouche et parler à quelqu’un (fig. 8). Ensuite, le geste
du bras du gentleman qui va dancer guide les regards sur le spectateur jouissant de la
conversation sur le côté droit de la composition. Quant au cas (5), le personnage met
son zèle à la conversation et interronmpt le jeu à la balançoire (fig. 6).
M. Vidal aborde la question de la genèse des œuvres et remarque que c’est dans
la phase ultime des tableaux que Watteau représente la conversation : dans la phase de
préparation, dessin et esquisse, la conversation n’est pas représentée. Le plus souvent
Watteau a dessiné une figure seule. Le comte de Caylus témoigne de la méthode
80 Naoko Sugiyama
fig. 5 Jean-Antoine Watteau, Les Plaisirs du bal,
1715–1717, Londres, Dulwich Picture
Gallery.
fig. 6 F. Joullain d’après A. Watteau, Les Agrément
de l’été, burin, École nationale supérieure
des Beaux-Arts.
fig. 7 Jean-Antoine Watteau, Les Plaisirs fig. 8 Jean-Antoine Watteau, Les Plaisirs
du bal (détail). du bal (détail).
essentielle de travail de Watteau.
Je dis que le plus ordinairement il dessinait sans objet. Car jamais il n’a fait ni
esquisse ni pensée pour aucun de ses tableaux, quelque légères et quelque peu arrêtées que
ç’a pu être. Sa coutume était de dessiner ses études dans un livre relié, de façon qu’il en
avait toujours un grand nombre sous sa main. […] Quand il lui prenait en gré de faire
un tableau, il avait recours à son recueil. Il y choisissait les figures qui lui convenaient le
Les fêtes galantes d’Antoine Watteau et la culture de la conversation 81
mieux pour le moment. Il en formait ses groupes, le plus souvent en conséquence d’un fonds
de paysage qu’il avait conçu ou préparé. Il était rare même qu’il en usât autrement3.
Comme Caylus l’écrit, je considère que Watteau n’a pas préparé des esquisses
d’ensemble, de carton ou modèle précis et parfait pour les tableaux que l’Académie
des beaux-arts a commandé à tous les élèves, et choisissait comme au hasard des
études individuelles de chaque figure qu’il avait dessinées pour son plaisir4.
Actuellement, quant aux dessins d’ensemble ou de composition pour les fêtes galantes,
nous ne pouvons trouver que 5 des 669 dessins composés par Watteau dans le dernier
catalogue raisonné des dessins de Watteau édités par Rosenberg et Prat5. Donc, c’est
au moment de composer un groupe de personnages à partir du dessin de figures
dessinées séparément qu’apparait la conversation sur le tableau.
2. La culture de la conversation : le context en France au 17e et
18e siècles6
Émile Deschanel a publilié une monographe sur l’histoire de la conversation et écrit
dans ce livre que la France est excellente dans la conversation7. Spécialement dans le
beau monde au 17e et 18e siècles, la création de la belle conversation est promue. Ce
phénomène est causé par la stabilité de la situation sociale après la fin de la guerre de
Religion. Comme la guerre est finie, il est moins important d’avoir la force de survivre
et un nouveau courant, mettant l’accent sur la classe de la noblesse, l’éducation et
l’amusement (danse, musique, poème, lettre, dessin et conversation, etc.), remplace
celui qui jusqu’alors faisait grand cas du courage et la vertu de la chevalerie8.
Ensuite, la conversation, qui est un des amusements de la noblesse, s’est
développé dans la culture des salons à mesure que la femme gagne de l’influence9. De
3 Voir Anne-Claude-Phillipe de Tubières de Grimoard de Pestels de Levis, Comte de Caylus, La
vie d’Antoine Watteau : peintre de figures et de paysages ; sujets galantes et modernes, lue à l’Academie le
3 février1748, manuscrit par Caylus, Bibliothèque de la Sorbonne, Ms. 1152, fol. 17–27 ;
manuscrit recopié par son secrétaire et légèrement modifié, Bibliothèque de la Sorbonne, Ms.
1152, fol. 28–41 ; imprimé par les Goncourt, 1860 ; Rosenberg, 1994. Sur la formation des
tableaux des fêtes galantes, voir Donald Posner, Antoine Watteau, London/New York, 1984, etc.
4 Naoko Sugiyama, “La genèse des peintures : la relation entre dessins et tableaux et les répétitions
dans les fêtes galantes de Watteau”, SITES: Journal of Studies for the Integrated Text Science, vol. 4, no.
1, Graduate School of Letters, Nagoya University, 2006, pp. 103–118.
5 Pierre Rosenberg et Louis-Antoine Prat, Antoine Watteau 1684–1721, catalogue raisonné des dessins,
3 vols., Milan, 1996. Ce catalogue comprend 669 dessins originaux, 1 cas particulier, 858 dessins
rejetés, 216 dessins connus par gravure et 58 dessins connus par une mention.
6 Cf. Mary Vidal, op. cit., pp. 75–98.
7 Émile Deschanel, Histoire de la conversation, Paris, 1857. Sur le même commentaire, voir George
Mongrédien, La Vie de société aux XVII e et XVIII e siècles, Paris, 1950, p. 9 ; Karl Toth, Woman and
Rococo in France, Philadelphia, 1931, pp. 355–356 ; Louis Réau, L’Europe française au siècle des
Lumières, Paris, 1971, p. 289 ; Humbert de Gallier, Usages et mœurs d’antrefois : la table, les voyages,
la conversation, Paris, 1912.
8 Norbert Elias, La civilisation des mœurs, traduit de l’allemand par Pierre Kamnitzer, Paris, 2005.
9 Verena von der Heyden-Rynsch, Salons européens : les beaux moments d’une culture feminine disparue,
traduit de l’allemand par Gilberte Lambrichs, Paris, 1993.
82 Naoko Sugiyama
plus, la montée de la bourgeoisie est cause du développement de la conversation.
Pour la noblesse, le raffinement de la conversation est absolument indispensable de
même que la récréation non-productive distingue la noblesse de la bourgeoisie. Mais,
la bourgeoisie, qui aspire à la noblesse et se méprise elle-même dans son activité
productive, adopte de préférence le style galant de la vie de la noblesse. Donc, la
bourgeoisie aussi participe à l’évolution de la conversation.
Le contenu de la conversation n’est pas enregistré dans les documents. Nous
devons supposer ce contenu en nous conformant aux lettres de la noblesse. Peut-être
le sujet de la conversation dans la noblesse était-il non-productif : nouvelles de la cour,
rumeurs sur la ville, goûts de la maîtresse, histoires ou chagrins d’amour et conceptions
de la vie des anciens Grecs et Romains, etc. Ces conversation étaient bien différentes
du dialogue philosophique ou de la négociation commerciale pratiquée par la
bourgeoisie. Comme les salons du 17e et 18e siècles ne sont pas seulement un lieu
d’amusement, mais aussi d’enseignement, l’homme du monde porte une grande
culture dans la conversation des salons. En ce temps-là, c’est les sujets de conversation
pratiques et productifs, ainsi que l’expression crue et la vanterie de ses connaissances
étaient tenus à l’écart des salons.
3. La mode de la conversation10
Mary Vidal n’affirme pas que la littérature de la conversation inspirait directement à
Watteau le sujet de ses peintures, mais considére qu’il est très utile d’appliqer la
littérature de la conversation à l’interprétaion des tableaux de Watteau pour la
confirmation de la signification ou la parole dans ses tableaux. En France au 17e siècle,
les formes de dialogue des anciens Grecs et Romains et les formes littéraires modernes
de la Rennaissance ne se développent plus et la conversation est devunue un genre
particulier. Surtout dans les années 1670–1700, certaines œuvres littéraires font
naissance et nous suggèrent les tableaux de Watteau et la conversation réelle tenue
dans les salons.
Nous pouvons classer la littérature de la conversation de ce temps-là comme
suit : (1) manuel de conversation pour perfectionner l’art de la conversation comme un
des arts de la vie en société ; (2) refléxion profonde sur l’habitude de la conversation
et la parole (non sur les formes de la conversation) ; (3) œuvre sur des sujets divers
excepté la conversation (les formes de la conversation qui sont utiles aux religieux et
aux hommes politiques afin d’édifier leurs auditeurs) ; (4) œuvre d’art issue de (3)
(formes de la conversation ; comme les lettres, romans, poèmes et pièce de théâtres,
etc.). M. Vidal donne les exemples suivants : comme un exemple de cas (1), Madeleine
de Scudéry, Conversations sur divers sujets, 168011 ; comme un exemple de cas (2),
Michel de Monteigne, L’Art de conférer12 ; comme un exemple de cas (3), Bernard Le
10 Cf. Mary Vidal, op. cit., pp. 99–142.
11 Madeleine de Scudéry, Conversations sur divers sujets, 2 vols., Paris : Claude Barbin, 1680.
12 Michel de Monteigne, « L’Art de conférer », Essais, édité par Maurice Rat, 3 vols., Paris : Garnier
Frères, 1948.
Les fêtes galantes d’Antoine Watteau et la culture de la conversation 83
fig. 9 Jean-Antoine Watteau, La Danse champêtre,
v. 1704–1705, Indianapolis, Indianapolis
Museum of Art.
fig. 10 Bernard Picart, Frontispice pour Fontenelle
(Benard le Bovier de), Entretiens sur la
pluralité des mondes, 1717, Paris, Cabinet
des Estampes, Bibliothèque nationale de
France.
Bovier de Fontenelle, Entretiens sur la pluralité des mondes, 168613 ; comme un exemple
de cas (4) Molièere, La critique de l’école des femmes14.
Ces auteurs remarqent que la valeur de la conversation n’est pas estimée par la
matière mais qu’elle est estimée par la manière. En un mot, il est important de parler
d’un sujet minime au travers d’une expression galante. Madeleine de Scudéry a dit à
ce propos :
Le secret est de parler toujours noblement des choses basses, assez simplement des choses
élevées, et fort galamment des choses galantes15.
M. Vidal applique ce passage de Scudéry aux œuvres de Watteau, comme il a peint
des paysans, qui ne sont pas nobles et vivent une existence minime, avec des gestes
galants (fig. 9).
M. Vidal indique aussi la ressemblance du lecteur et de l’observateur et dit que
la conversation est faite entre l’observateur de la peinture de Watteau et les personnes
ou objets peints dans la peinture de Watteau. Il est clair que Watteau était conscient
des observateurs dans le processus de la création picturale. Chez Watteau, on peut
voir l’invention de plusieurs moyens pour faire appel à la conscience d’une instance
qui apprécie la peinture : la femme dirigeant ses regards vers nous (observateur) dans
13 Bernard Le Bovier de Fontenelle, Entretiens sur la pluralité des mondes, Paris : Veuve C. Blageart,
1686 ; Paris : Librairie de la Bibliothèque nationale, 1873.
14 Molièere, « La critique de l’école des femmes », Œuvres complètes, édité par Maurice Rat, 2 vols.,
Paris : Gallimard, 1971 ; Molièere, La critique de l’éclole des femmes ; L’impromptu de Versailles, Paris :
Libraire Larousse, 1936.
15 Scudéry, op. cit., p. 39.
84 Naoko Sugiyama
le tableau « La Conversation » (fig. 3) ; l’homme dirigeant ses regards vers nous et nous
entraînant dans le tableau de Watteau (« Les Plaisirs du bal », fig. 5) ; le croisement de
nos regards vers l’arrangement des personnes de droite à gauche dans le tableau : « Le
Pélerinage à l’île de Cythère » (fig. 1), etc.
Watteau semble connaître l’avantage de la conversation au travers de la rencontre
de la nobless et de la bourgeoisie pour des motifs sociaux ou artistiques, comme des
amis ou des patrons, et il a peint le monde de la conversation dans ses tableaux.
Ensuite, Watteau est inspiré aussi bien par les illustrations de livres sur la conversation
que par le contenu des livres (fig. 10).
4. L’artiste aristocrate16
Watteau semblait être plus désireux d’être aristocratique que d’autres artistes. Mary
Vidal expose qu’il faut redéfinir Watteau comme un artiste ayant une existence
sociale et aristocratique. Il est possible de démontrer cette hypothèse par les artistes,
les acteurs et les musiciens, que Watteau a peints, ainsi que par les portraits et les
autoportraits de Watteau. Presque tous les acteurs représentés dans les tableaux de
Watteau, par exemple, ne jouent pas sur la scène, mais avec les nobles dans la nature
(fig. 11). Ils ne pratiquent pas une profession originale et agissent en honnête homme
suivant la coutume aristocratique. De plus, dans ses autoportraits, Watteau n’est
jamais représenté au cours de la création de la peinture dans l’atelier et se présente
avec élégance dans la nature en tenue de cérémonie et coiffé d’une perruque
(fig. 12).
fig. 11 Jean-Antoine Watteau, La Partie quarrée,
v. 1713, San Francisco, The Fine Arts
Museums.
fig. 12 N.-H. Tardieu d’après A. Watteau (?), Assis, au
près de toy (portrait de Jullienne et Watteau),
burin, École nationale supérieure des Beaux-
Arts.
16 Cf. Mary Vidal, op. cit., pp. 143–171.
Les fêtes galantes d’Antoine Watteau et la culture de la conversation 85
Ces caractéristiques nous procurent l’impression que Watteau lui-même souhaite
être un amateur et ne souhaite pas être un peintre professionel. Watteau désire une
position ferme telle qu’un titre de chevalier comme Velázquez ou Rubens, peintres
ayant reçus une décoration ? Nous n’avons pas de document afin de prouver cette
question. Mais, M. Vidal suppose qu’il y a des modèles aristocratiques autour de
Watteau et qu’il a subi une forte influence de ces modèles (le comte de Caylus,
Nicolas Hénin et Jean de Jullienne, etc.).
5. L’interprétation de fêtes galantes de Watteau à travers
la culture de la conversation
Nous venons de confirmer la théorie de Mary Vidal sur la relation entre l’art de
Watteau et la culture de la conversation. Dans le dernier chapitre de ce livre, elle
applique sa théorie à la peinture intitulée « L’Enseigne de Gersaint » et essaie de faire
une analyse détaillée de celle-ci comme représentant le meilleur et le plus complexe
des tableaux de Watteau17. Il est clair que la remarque systématique de M. Vidal
introduisant des éléments à la sociologie et à l’histoire de la littérature a ouvert de
nouvelles perspectives aux etudes consacrées à l’art de Watteau.
Mais plusieurs savants ont déjà relevés l’élargissement de l’interprétation dans
les comptes rendus des livres de M. Vidal18, elle est allée un peu loin dans son
interprétation selon laquelle le motif central de toutes œuvres de Watteau est la
conversation. Colin B. Bailey, par exemple, en énumère les cas suivants : « La Gamme
d’amour » (fig. 13), « Repos de la Sainte Famille » (fig. 14) et « Vertumne et Pomone »
(fig. 15)19. Dans « La Gamme d’amour », M. Vidal dit que le motif central n’est pas la
musique mais la conversation, malgré le thème de la fête galante, où la femme ouvre
une partition de musique et l’homme touche la corde de la guitare. Ensuite, elle
remarque que Watteau a peint la conversation entre les membres de la famille dans
« Repos de la Sainte Famille » et que dans « Vertumne et Pomone », Vertumne, qui est une
vieille femme et n’est pas un bel homme comme dans « Vertumne et Pomone » de
Rubens (1636, musée du Prado, Madrid), séduite Pomone par son habileté verbale.
Bailey explique que les interprétations de M. Vidal se rattachent au delà du nécessaire
au contexte culturel de salons du 17e siècle.
Je l’approuve sur ce point. Il faudrait des recherches plus minutieuses pour
discuter tout l’art de Watteau du point de vue de la mode de la conversation.
Cependant, pour ce qui concerne les fêtes galantes, il est possible d’appliquer le
concept de conversation à plusieurs exemples : (1) « Le Repos gracieux » (fig. 2) ;
17 Cf. Mary Vidal, “5. L’Enseigne de Gersaint and the Conversational Structure of the Artistic Sign,”
Watteau’s Painted Conversations: Art, Literature and Talk in Seventeenth- and Eighteenth-Century
France, New Haven/London, 1992, pp. 173–196.
18 Colin B. Bailey, “Wattau: Read my lips,” Apollo, 137, no. 375, 1993, May, pp. 333–334 ; Hamphrey
Wine, Art History, v. 16, no. 3, 1993, Sep., p. 494 ; Sergiuszu Michalski, Art Bulletin, v. 76, no. 4,
1994, Dec., pp. 725–726.
19 Cf. Colin B. Bailey, art. cit.
86 Naoko Sugiyama
fig. 13 Jean-Antoine Watteau, La Gamme
d’amour, v. 1717, Londres, National
Gallery.
fig. 15 Jean-Antoine Watteau, Vertumne et
fig. 14 Jean-Antoine Watteau, Repos de la Sainte Pomone, v. 1715, Paris, Collection
Famille, v. 1716, Paris, Collection Cailleux. particulière.
(2) « La Conversation » (fig. 3) ; (3) « Les Champs-Elisées » (fig. 4) ; (4) « Les Plaisirs du
bal » (fig. 5) ; (5) « Les Agréments de l’été » (fig. 6)20.
Hamphrey Wine indique qu’il n’y a pas de document pour vérifier la connexion
entre l’art de Watteau et la culture de la conversation et que la remarque de M. Vidal
n’est qu’une conjecture21. De fait, presque tous les textes comtemporains sur Watteau
lui-même et l’art de Watteau sont de brèves biographies et n’expliquent pas chaque
tableau individuellement22. Ainsi donc, il est difficile que les textes contemporains
sur Watteau démontrent le fait que Watteau avait des habitudes aristocratiques et que
les tableaux de Watteau ont peints la culture de la conversation.
Mais, eu égard à la limite de la vérification documentaire sur ce problème, le
20 Ce tableau est perdu mais on ne connait pas l’estampe gravée par F. Joullain (DV102). DV :
Èmile Dacier/Jacques Hérold/Albert Vuaflart, Jean de Jullienne et les graveurs de Watteau au 18 e
siècle. I, Notices et documents biographiques, Paris, 1929 ; II, Historique, Paris, 1922 ; III, Catalogue,
Paris, 1922 ; IV, Planches, Paris, 1921.
21 Hamphrey Wine, art. cit.
22 Voir note 2.
Les fêtes galantes d’Antoine Watteau et la culture de la conversation 87
procédé nouveau, que M. Vidal a elle-même appelé explication d’image comme
explication de texte dans la littérature française, la remarque de M. Vidal est inévitable
et peut être évaluée. Je considère qu’il est utile et convenable d’appliquer le concept
de culture de la conversation comme faisant partie du contexte culturel et social de
l’interprétation des fêtes galantes de Watteau.
En guise de conclusion
Le monde de l’amour reprèsenté dans les fêtes galantes de Watteau a pour origine les
romans d’amour de cour, comme le Roman de la Rose, par exemple. Dans ces romans,
le chevalier jure fidélité à la femme par sa vaillance. Mais je remarque que le mode de
l’amour dans les fêtes galantes de Watteau doit être compris à travers la conversation
galante ou l’amusement dans les salons au 17e et 18e siècles.
Madeleine de Scudéry (1607–1701), auteur des Conversations sur divers sujets
(1680) à qui M. Vidal s’est déjà référée comme un manuel pour perfectionner l’art de
conversation comme un des arts de société, faisait salon depuis 1653 à 1659. Les
salons de Scudéry sont littéraires. Scudéry joue avec la carte du pays d’Amour avec
Pelisson, amoureux de Scudéry, et la carte est exposée dans son salon. En hiver, elle
joue à la conversation d’amour et à la divinette. En été, elle joue dans un parc ou en
excursion. Ces amusements sont souvent representés dans les fêtes galantes de Watteau.
Encore, dans son livre, Scudéry a dit « Le secret est de parler toujours noblement des
choses basses, assez simplement des choses élevées, et fort galamment des choses
galantes »23. La valeur de la conversation n’est pas estimée par la matière mais par la
manière. En un mot, il est important de parler d’un sujet minime au travers de
l’expression galante.
Ces points ressemblent aux fêtes galantes de Watteau qui a peint le thème ambigu
de la mode galante. Je remarque que les fêtes galantes de Watteau reflètent ce contexte
culturel et social : celui de la culture de la conversation et de la culture des salons.
23 Scudéry, op. cit., p. 39.