Durabilite Urbaine Et Gouvernance Enjeux Du Xxie Siecle
Durabilite Urbaine Et Gouvernance Enjeux Du Xxie Siecle
Françoise Lieberherr-Gardiol
qui présente le progrès comme loi de l’histoire les autres facteurs de développement et l’envi-
humaine dans une marche universelle (morin, ronnement était considéré comme un sous-pro-
1993). Le développement crée parallèlement son duit à gérer à posteriori. Il intervient comme
envers, le « sous-développement » qui définit les tentative de mettre en cohérence et intégrer les
sociétés nécessitant une aide économique et tech- dimensions économique, sociale et environne-
nique pour leur émergence en tant que nation. Sur mentale pour une stratégie mieux adaptée au
ce concept-clé devenu onusien se sont rencon- devenir des sociétés. Dans le sillage de confé-
trées toutes les idéologies de la deuxième moitié rences et programmes onusiens et du rapport
du XXe siècle. Cependant d’une part les échecs explosif publié par le Club de Rome en 1972
dans l’introduction d’innombrables techniques « Halte à la Croissance », Ignacy Sachs a déve-
modernes agricoles, sanitaires ou industrielles, et loppé son concept d’éco-développement qui
d’autre part les approches politiques promouvant intègre équité sociale et prudence écologique où
des modèles originaux de développement appro- la croissance n’est plus l’objectif du développe-
prié aux contextes culturels spécifiques, tels ceux ment. Ces années révèlent un climat de critique
de Gandhi, nyerere ou Castro, ont alimenté un du progrès technique et de la croissance écono-
débat contradictoire depuis plus de vingt ans sur mique, au-delà des divergences idéologiques
les bienfaits supposés d’un bien-être universel entre mode capitaliste et mode communiste, qui
(Rist, 1996). jette une ombre sur l’optimisme planétaire de
Depuis longtemps de nombreuses voix ont l’après-guerre et sur le modèle de société dit des
qualifié le développement de mythe occidental, « trente glorieuses ».
promesse d’un avenir meilleur pour les nations Par rapport à la conception unidimension-
du tiers monde dans une vision linéaire de l’his- nelle du développement, le développement
toire. mais au-delà de sa signification de fable, le durable introduit une triple approche dont le fon-
mythe est aussi un récit fondateur qui garantit dement est de relier l’économique, le social et
l’ordre social et donne sens et cohérence aux l’écologique, et de les mettre en perspective avec
expériences historiques d’une société. or le déve- trois principes : efficacité économique, équité
loppement dans ses échecs contribue à la désa- sociale, équilibre écologique. Avec le Rapport
grégation du tissu social, à l’expropriation des Brundtland paru en 1987 proposant une nouvelle
savoirs locaux et à l’accroissement d’une misère norme de développement durable, le monde inter-
matérielle et morale. Etroitement lié au dévelop- national prend connaissance de l’émergence d’un
pement, un autre mythe – celui de l’universel – nouveau paradigme associant des approches sec-
est à l’origine d’une culture internationale nais- torielles dans une dynamique d’ensemble écono-
sante qui crée un ordre international nord-Sud à mique, sociale, écologique, où dominent deux
dominante occidentale au détriment d’autres principes majeurs: une justice transgénération-
centres civilisateurs extra-occidentaux. Cepen- nelle dans le temps entre les anciens et les jeunes
dant grandit une contestation du développement et une justice intragénérationnelle dans l’espace
et du stigmate occidental de sous-développement entre le nord et le Sud, l’Est et l’ouest.
en provenance d’économistes et d’hommes poli- Le développement durable tend à devenir
tiques du Tiers monde. un discours dominant et il faut rester conscient
de l’ambiguïté des interprétations d’un concept
L’émergence « fourre-tout » qui comporte des significations
d’un nouveau paradigme, opportunistes comme des potentialités d’ouver-
le développement durable ture pour des initiatives et des innovations
motrices. S’il est mobilisateur dans son prin-
Ainsi le concept de développement durable naît cipe, le développement durable varie dans ses
dans la critique et l’échec du modèle de dévelop- applications, jusqu’aux récupérations abusives
pement d’après-guerre basé sur un mode de pro- dignes d’un bêtisier qui vont de l’industrie auto-
duction-consommation où l’économie primait sur mobile ou alimentaire à l’électro-ménager, aux
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loisirs et aux fonds bancaires. En outre, entre les Durabilité urbaine et gouvernance,
pays du nord et du Sud les diagnostics écolo- une alliance évidente
giques et les préoccupations de développement
diffèrent : gaspillage des ressources, comporte- La durabilité urbaine, récente dans les courants
ments de consommation inappropriés et pour- d’urbanisme, est relativement peu théorisée. Elle
suite du développement technique au nord, prend forme dans des expériences pilotes et pré-
dégradation du cadre de vie, pauvreté croissante figure d’une nouvelle culture urbanistique qui
et déficience des services de base au Sud. S’y pour certains seraient un contre-projet à l’urba-
ajoutent des considérations idéologiques où les nisme technocratique des Trente Glorieuses et
uns accusent une surpopulation au Sud comme pour d’autres une forme renouvelée de l’utopie
principale responsable des dégradations écolo- urbaine. Elle a ses repères fondateurs dans les
giques. D’autres altermondialistes ou écolo- Agendas 21 locaux lancés à Rio, la Charte d’Aal-
gistes préconisent la valorisation de prétendus borg proclamée à la Conférence de Copenhague
équilibres culturels et naturels hérités du passé en 1994 et le 3e Forum urbain mondial de Van-
dans des conservatoires traditionnels protégés couver en 2006. Quant aux principes de durabi-
de la civilisation technique au Sud, compensant lité urbaine, ils s’orientent vers :
ainsi la destruction environnementale des pays – une maîtrise spatiale luttant contre l’étalement
industrialisés du nord. Et la gouvernance mon- urbain et pour une relation équilibrée avec la
diale ne s’exerce guère dans les déforestations campagne,
massives, les forages pétroliers ou la pêche – la préservation d’espaces naturels dans les
industrielle hors des eaux territoriales respon- agglomérations ;
sables de pollution de l’air, des sols et de l’eau – un rééquilibrage des transports et le développe-
et de déprédations économiques au détriment ment d’une mobilité douce ;
d’une majorité d’habitants. – une maîtrise environnementale luttant contre
Les débats entourant le développement les pollutions et favorisant les économies
durable s’articulent autour d’interprétations plus d’énergie et les matériaux recyclables ;
ou moins conservatrices, modérées ou progres- – la promotion de la diversité fonctionnelle et de
sistes. Sans entrer dans le détail des conflictuali- la mixité sociale dans les quartiers luttant
tés qui émergent entre des positions de contre l’exclusion ;
« croissance et rentabilité durables » niant la – une participation démocratique des citoyens à
contradiction entre intensification économique et la définition de leur environnement et des
préservation de la biosphère en provenance de projets urbains.
lobbies industriels d’une part, et des positionne- Ces principes soulignent les facteurs princi-
ments écologistes dénonciateurs de surconsom- paux orientant une grille de lecture des villes
mation et surproduction de déchets d’autre part, durables. En premier lieu la complexité de la
nous retenons que le développement durable matière et du vivant, dans la complexité des bâti-
implique un renouvellement de la pensée dans ments et infrastructures liés aux innombrables
quatre dimensions : prise en compte d’un capital acteurs publics et privés, à la multitude des
écologique et d’un capital humain dans un pro- contraintes institutionnelles, à la démultiplication
cessus décisionnel sur le long terme et non plus des niveaux de décision. Ensuite l’interdépen-
sur l’immédiateté et dans un contexte global de dance des espaces spécifiques, des fonctions
pays et de villes interdépendants. En d’autres urbaines, des acteurs impliqués, des initiatives
termes, c’est introduire la problématique envi- locales et des organismes de gestion. Sans oublier
ronnementale dans une perspective historique l’interdépendance ville-campagne sur le territoire
comme un enjeu objectif et non idéologique pour assurer une bonne qualité de vie urbaine. En
(Guay et al., 2004). troisième lieu la diversité culturelle, ethnique,
sociale, professionnelle est à la fois source de ten-
sions et de conflits et à la fois richesse à préserver
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comme multiculturalisme positif renforçant l’iden- lité urbaine et l’inscrivent dans le long terme et les
tité. Et dernier élément, la dynamique accélérée espaces transfrontaliers.
des transformations modifie les écosystèmes La durabilité urbaine apparaît comme une
urbains, les flux économiques, les territoires démarche et un processus qui engagent tous les
sociaux chargés d’histoire et de culture, les cadres représentants de la société, des décideurs à la
de vie quotidiens, les équipements collectifs jus- population, et qui impliquent fondamentalement
qu’aux périphéries environnantes. la négociation entre différents acteurs sociaux
En outre deux courants transversaux comme base d’un projet urbain. Ainsi la durabilité
majeurs s’exercent à l’échelle de la planète. une urbaine s’inscrit dans la gouvernance, autre
mondialisation, qui s’accélère et tend à se cen- concept souvent flou qui appelle à définir ici son
trer sur la seule dimension de compétition éco- usage. Dans ses différentes acceptations, la gou-
nomique et de surexploitation des ressources, vernance peut proposer des perspectives d’ana-
touche toutes les villes. En résultent des déve- lyse ou prescrire des modèles d’action. La
loppements inégaux selon les contextes et les gouvernance systémique qui s’inscrit dans le pre-
dynamiques locales, mais aussi des voies alter- mier champ correspond à « l’exercice de l’autorité
natives de développement plus durable. Quant au politique, économique et administrative dans la
large mouvement de décentralisation politique, gestion des affaires d’un pays à tous les niveaux –
fiscale et administrative, qui s’est réalisée à des global, central, régional et local – … Elle com-
degrés divers selon les pays, elle redonne force prend les mécanismes complexes, les processus et
et légitimité aux pouvoirs locaux et aux initia- les institutions au travers desquels les citoyens,
tives municipales. individuellement ou en association, et les per-
Deux concepts de base (Allen et You, 2002) sonnes morales gèrent leurs intérêts, exercent
peuvent fournir une grille d’évaluation à la durabi- leurs droits et obligations, et négocient leurs
lité urbaine. Le premier double, le Brown Agenda, désaccords… Sa responsabilité incombe non seu-
définit les problèmes environnementaux ayant un lement à l’État mais également au secteur privé et
impact local immédiat à court terme, soit déchets, à la société civile » (unDP/PnuD, 1997, p. 3).
eau potable, assainissement, et le Green Agenda où Quant à la bonne gouvernance, c’est un
s’inscrivent les problèmes globaux à long terme concept normatif qui intervient comme modèle
tels le réchauffement climatique, la pollution de de gestion publique lancé par la Banque mon-
l’air, la biodiversité. À travers une gestion respon- diale dès 1989 et se résumant d’abord aux notions
sable des ressources renouvelables et non renouve- réductrices de gestion efficace et services publics
lables, il s’agit de concilier les actions contre les performants comme gages de réussite pour le
dégradations environnementales urbaines du développement économique et social. L’Agence
Brown Agenda et pour un changement d’attitudes onusienne des villes, un-Habitat, a lancé une
dans l’utilisation et la réutilisation des ressources campagne de gouvernance urbaine dès 2000 dans
de la terre impliqué par le Green Agenda. divers pays pour renforcer les capacités des gou-
Deuxième concept décrivant l’impact d’une ville, vernements locaux, et faire évoluer les mentali-
l’empreinte écologique, définit la surface terrestre tés, comportements, valeurs et méthodes de
et aquatique biologiquement productive nécessaire travail. Elle a défini sept critères de bonne gou-
à la production des ressources utilisées et l’assimi- vernance urbaine, soit durabilité, décentralisa-
lation des déchets produits par une population. tion, équité, efficacité, transparence et
L’empreinte écologique prend toute sa significa- responsabilité, engagement civique et citoyen-
tion quand elle est évaluée dans le cadre d’un ter- neté, sécurité. Enjeu majeur dans le cadre de
ritoire. En effet les villes occupent une surface l’aide internationale, la gouvernance apparaît à la
terrestre minime, mais elles sont grandes produc- fois comme notion controversée parce que por-
trices de déchets et consommatrices de ressources teuse d’ingérence et de conditionnalités, et
naturelles. Ainsi ces deux concepts élargissent les comme notion-clé pour la réduction de la pau-
perspectives temporelles et spatiales de la durabi- vreté et l’accompagnement de la durabilité.
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Ainsi la durabilité urbaine se joue dans ment durable comme projet de société, projet
quatre dimensions de gouvernance: la démocratie politique, projet économique, projet technique.
participative qui donne accès à l’ensemble des L’avenir des villes comme projet de société se
droits humains pour que chacun puisse construire négocie dans les décisions de ses multiples
sa relation au monde. La responsabilité indivi- acteurs, du citoyen à l’entrepreneur, des militants
duelle et collective qui implique une symétrie d’une association aux responsables politiques et
entre droits et devoirs. La solidarité à la fois dans administratifs d’une municipalité. Ainsi le déve-
le temps entre les générations présentes et loppement durable dans sa dimension démocra-
futures, et dans l’espace entre le nord et le Sud, tique et participative est intimement lié à
l’Est et l’ouest. L’identité qui donne sens à la vie l’émergence de la société civile qui se développe
individuelle et collective à travers la réappropria- dans un contexte d’après-guerre froide et d’affai-
tion des lieux de vie et leur mémoire. blissement étatique. Sa position de tiers secteur
différent de la logique de profit du secteur privé
Des projets urbains durables et de la logique de régulation du secteur public lui
confère un rôle de contre-pouvoir qui peut s’ac-
Les villes apparaissent de plus en plus comme des tualiser dans le développement durable. mais loin
acteurs politiques à l’échelle internationale parce de la vision naïve d’une société civile idéale,
qu’elles constituent un échelon d’intervention effi- celle-ci se révèle au contraire très hétérogène et
cace dans la gestion politique, économique et porteuse de projets aux intérêts divergents. Les
sociale des questions urbaines. L’urbanisation projets de société urbains peuvent s’ancrer à dif-
massive qui caractérise la fin du XXe siècle férents niveaux, de la municipalité aux quartiers
annonce que le XXIe siècle sera urbain. Quelques
ou groupes de citoyens.
statistiques illustrent la réalité de la planète. 2 % de
Dans sa version de projet politique aux
citadins en 1800, 30 % en 1950, 50 % en 2007,
mains des dirigeants, le développement durable
65 % en 2050. Chaque jour, la population urbaine
peut s’actualiser dans des programmes obligatoi-
mondiale augmente de 180 000 personnes, chaque
rement innovateurs puisqu’ils doivent s’éloigner
semaine de 1,25 million, et c’est au Sud que la
du modèle classique économique et industriel
croissance urbaine est la plus forte : elle double en
30 ans. Cette tendance forte met en évidence le basé sur le caractère inépuisable des ressources,
double rôle des villes. D’une part elles sont recon- la nécessité de la croissance, les capacités illimi-
nues comme des espaces économiques moteurs, tées de la science et de la technologie. Dans cette
des lieux d’innovation sociale et de diversité cul- ligne, des villes nord-américaines inquiètes de la
turelle, des laboratoires d’expérimentation démo- position de refus du protocole de Kyoto par l’ad-
cratique et de prospective écologique. mais d’autre ministration Bush ont engagé des accords de pro-
part elles produisent de manière concentrée pollu- tection du climat. Plus de 500 maires dans une
tions et dégradations environnementales, risques cinquantaine d’États dirigeant quelque 66 mil-
industriels et sanitaires, exclusion sociale et lions d’Américains de Los Angeles et Seattle à
conflits ethniques. S’y ajoutent des situations alar- Chicago, Portland ou new York luttent contre le
mantes avec un milliard de bidonvillois sur la pla- réchauffement climatique par des politiques éner-
nète en 2007, des conditions sanitaires indignes et gétiques nouvelles pour les bâtiments, les trans-
indécentes pour plus de deux milliards d’urbains, ports et les énergies renouvelables. Ces actions
et dans les pays du Sud une informalité écono- visant des solutions concrètes sans politisation
mique et générale dominante qui laisse les habi- excessive s’inscrivent dans un courant de
tants dans l’insécurité et la privation de leurs droits conscientisation générale qui reconnaît non seu-
(un-HABITAT, 2006). lement le rôle des villes grandes consommatrices
La durabilité urbaine peut se décliner en dif- d’énergie et pollueuses mais aussi leur responsa-
férents types de projets, lieux de négociations et bilité à agir localement.
formes de gouvernance. nous aimerions aborder En tant que projet économique, le concept
ici quatre interprétations possibles : le développe- « d’entreprise durable » fait progressivement son
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entrée dans le monde des acteurs économiques. prise en compte des aspirations des habitants dans
Cependant la multiplication des chartes d’entre- la conception et la réalisation des projets urbains
prises et des déclarations d’intentions n’est pas (Da Cunha et al., 2006).
motivée seulement par des aspirations vertueuses L’approche durabiliste interroge les sociétés
et un besoin de légitimité sociale, mais aussi par urbaines sur leur organisation de l’espace, leurs
des soucis de productivité et performance finan- modes d’habiter et de se déplacer, leurs technolo-
cière. Cette vision économiste du développement gies de production et de consommation, leur gou-
durable devrait permettre de stimuler l’innova- vernance et leur dynamique, leurs valeurs et leurs
tion, déboucher sur des économies de matières et référentiels. Appliqué à la ville, le développement
d’énergies, réduire déchets et pollutions. C’est durable peut se définir en objectifs concrets :
aussi contribuer à la durabilité des entreprises. réduction de la consommation d’énergie, d’espace,
Cependant malgré les contradictions entre une de ressources naturelles, limitation des déplace-
logique productiviste et une logique écologiste, ments inutiles d’hommes et de marchandises, lutte
l’appropriation du concept par les entreprises contre les pollutions et les dégradations environne-
s’ouvre aussi sur des approches et réflexions mentales, diminution des risques sanitaires, amé-
nouvelles sur l’entreprise durable. Parmi les lioration de la qualité du cadre de vie. Si à toutes
perspectives existantes, mentionnons la plus ces questions peuvent répondre des solutions tech-
intégratrice et cohérente, l’écologie industrielle, niques, les réponses sont aussi sociales et cultu-
qui vise à réduire l’intensité des ressources et de relles et pas obligatoirement consensuelles.
l’énergie nécessaires aux activités de production L’expérience montre que le succès des actions en
en prenant pour modèle les systèmes naturels faveur du développement durable dépend de la
(Erkman, 2004). gouvernance exercée entre la capacité d’arbitrage
Quant au projet technique aux mains des des pouvoirs publics sur des demandes aux intérêts
experts, il est né d’une prise de conscience des divergents mais légitimes, la responsabilité des
risques sociaux et environnementaux qui pèsent citoyens et l’engagement des acteurs privés. L’ini-
sur l’espace urbain, créant un domaine d’urba- tiative réalisée par S-DEV Geneva 05 nous permet
nisme durable où se confrontent et se croisent les d’illustrer cette problématique.
disciplines. Il est essentiellement pluridiscipli-
naire pour une problématique pluridimension- S-DEV Geneva 05,
nelle, et les experts occupent tous les champs plateforme mondiale
ouvrant sur la ville, son territoire, ses habitants, du développement urbain,
ses réseaux multiples. Comment harmoniser les et ses enjeux prioritaires
exigences sociales, économiques et environne-
mentales ? Comment concilier court terme et long Avec un slogan mystérieux, S-DEV Geneva 05
terme ? Les décisions relatives au développement (Sustainable-Development) fut un rendez-vous
urbain dépassent la raison technique du collège international sur trois mots-clés : ville, innova-
des experts. Ainsi l’urbanisme durable dans son tion, durabilité. Ce projet est né en 2004 des
objectif de projet de société cherche à intégrer les considérations politiques de Genève, ville sou-
préoccupations des professionnels et des diffé- cieuse de son environnement pour aujourd’hui et
rents acteurs de la ville dans les processus de déci- demain, et des préoccupations internationales de
sion. Sa mise en œuvre engage à concevoir des la Coopération suisse au développement pour un
projets urbains innovateurs et articulés aux diffé- monde viable comme pari ambitieux et engage-
rentes échelles, du quartier à l’agglomération. Sa ment pour l’avenir.
réussite exige une volonté politique, l’activation S-DEV fut placé sous le signe de l’innovation.
des outils de la maîtrise foncière et de l’aménage- Innovation dans la forme d’une Plateforme arti-
ment de l’espace construit, l’engagement des culée en trois événements synergiques : confé-
investisseurs privés, la valorisation de nouvelles rences, ateliers, expositions, et dans le concept
compétences techniques ainsi qu’une meilleure qui s’est centré sur des villes innovantes à travers
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le monde. Ce fut un programme intéressant avec la prévention émerge dans les villes du nord,
10 conférences, 38 ateliers, 139 exposants, celui de « villes saines », qui dans le Sud se
réunissant plus de 2 400 participants de 70 pays heurte à de graves insuffisances sanitaires et
où responsables des secteurs publics, associatifs hygiéniques. Les questions les plus aigues se
et internationaux, entrepreneurs, chercheurs, manifestent dans les pays en développement
experts et étudiants se sont retrouvés pour décou- manquant de ressources financières et tech-
vrir et partager des solutions mises en oeuvre par niques, où une fragmentation spatiale et sociale
des villes confrontées aux défis du développe- marque sur le territoire toutes les exclusions :
ment durable urbain. pauvres, minorités ethniques, immigrés, étran-
un tel projet proposait des finalités fortes. gers. Différentes formes de gestion et décision
Prendre conscience que les villes sont les lieux du doivent se combiner, en particulier les approches
futur où s’expriment les problèmes urgents et se alternatives de démocratie participative qui favo-
cherchent des solutions audacieuses par l’expéri- risent la mobilisation des populations, la multipli-
mentation démocratique, l’innovation sociale et cation des initiatives locales et la responsabilité
la prospective écologique. Par là elles ont un effet de tous les citoyens.
d’entraînement pour le développement durable et Gestion verte. Le processus d’urbanisation
les 26 villes invitées l’ont prouvé en mettant en du XXe siècle sur la planète représente le passage
place des plans verts, des énergies renouvelables, d’une société à dominante rurale à une société
une mobilité douce, un recyclage systématique, urbaine, modifiant les modèles de production-
un assainissement approprié, une gouvernance consommation ainsi que les relations homme-
participative…ou même des « visions 2100 ». nature. Historiquement dès le XVIIIe siècle
Autre finalité, s’engager en faveur du développe- l’industrialisation en Europe puis dans le reste du
ment durable qui représente le projet de promou- monde a modifié les écosystèmes, réduit la biodi-
voir un développement plus humain et versité et engendré une montée des risques envi-
respectueux des réserves écologiques pour les ronnementaux (santé, catastrophes). Si les villes
générations d’aujourd’hui et de demain. Ce occupent environ 2 % de la surface terrestre, elles
modèle courageux est encore très minoritaire et sont les principales consommatrices de res-
ne fait pas l’unanimité, mais par ses expériences sources naturelles et produisent plus de 70 % des
pilotes il apporte une réponse raisonnable au dia- déchets, délimitant par là une empreinte écolo-
gnostic pessimiste de la dégradation de l’environ- gique forte. D’un point de vue écologique, la
nement et de la destruction des ressources. durabilité correspond à trois principes : minimi-
La Plateforme S-DEV Geneva 05 s’est ser l’utilisation des ressources non renouvelables
construite sur la base des enjeux prioritaires sui- (sol, combustibles fossiles), assurer l’usage
vants (Allen et You, 2002 ; un-HABITAT, 2006). durable des ressources renouvelables (eau, forêt),
Planification urbaine durable. une crois- adapter la production des déchets aux capacités
sance sans précédent des mégacités de plus de régénératrices des régions urbaines.
10 millions d’habitants, principalement dans les Énergie. Les effets négatifs de la consomma-
pays en développement, a mis en lumière de tion d’énergie augmentent parallèlement à une
manière spectaculaire l’urgence de planifier demande énergétique croissante, révélant un des
métropoles, villes moyennes et petites avec une problèmes critiques pour nos sociétés humaines.
double préoccupation de répondre aux problèmes Chauffage, électricité, transport sont les principaux
urgents et aux exigences de durabilité à long consommateurs d’énergie. Les nuisances concer-
terme. urbanisation et mondialisation se conju- nent autant le brown agenda que le green agenda.
guent pour accélérer les transformations de la Diverses alternatives telles les énergies du soleil,
société et de la biosphère en développant du vent, des marées, sont encore peu effectives
échanges économiques et technologies de com- pour sortir du modèle historique de production-
munication, mais aussi pauvreté et dégradation consommation d’énergie, où un nord Américain
environnementale. un nouveau concept basé sur moyen consomme quatre fois plus qu’un Africain
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des carrières sont offerts aux groupes ethniques lement reconnu comme une politique à appliquer
pour qu’ils les aménagement selon leurs propres dans les quartiers défavorisés de toutes les villes
critères. Dans chaque quartier des bibliothèques- du Pendjab, province la plus peuplée du Pakistan.
phares mettent livres, vidéos et internet à disposi- Le PnuD (programme des nations unies pour le
tion du public. Curitiba, un projet global durable développement) l’applique dans trois villes, ainsi
qui concerne la santé, l’éducation, le travail avec qu’un projet de la Banque asiatique de dévelop-
la participation active des citoyens. pement pour 21 autres agglomérations. Le quar-
Bâle, Suisse : Du solaire aux économies tier d’orangi est aujourd’hui un exemple vivant
d’énergie. Bâle, grand port fluvial sur le Rhin et et encourageant du triple partenariat population –
capitale de l’industrie chimique, a une politique société civile – État.
énergétique d’avant-garde. Le projet le plus à la Vienne, Autriche : Les achats publics verdis-
pointe en voie de réalisation porte sur la création sent l’industrie et la consommation. Le projet
d’une centrale géothermique qui couvrira « Ökokauf » (acheter vert) démontre que la capi-
quelques pour cents des besoins énergétiques de tale autrichienne est un consommateur de poids
la ville. une première au cœur de l’Europe. Le qui dépense plus de 5 milliards d’euros annuels
courant et le chauffage ainsi produits alimente- en produits et services pour favoriser une produc-
ront 5000 ménages urbains. Des projets innova- tion plus écologique et moins gaspilleuse depuis
teurs de ce type, Bâle en a produits plusieurs l’an 2000. Ökokauf vise à subordonner les achats
depuis près de 25 ans. Dès 1983, une taxe d’en- publics à des critères écologiques. un exemple
couragement sur l’électricité, 5 % de la facture, concret : l’éclairage. Désormais des ampoules
rapporte chaque année l’équivalent de 8 millions économiques brillent à l’Hôtel de Ville économi-
de dollars uS, somme réinvestie dans les énergies sant 110 000 euros chaque année. L’un des pro-
renouvelables et les économies d’énergie. En jets les plus avancés concerne les 17 hôpitaux de
1999, une nouvelle loi énergétique favorise les la ville où la conversion a commencé depuis
comportements autonomes. Et c’est grâce à cette 5 ans, de la nourriture aux méthodes de nettoyage
multitude d’initiatives responsables que la en passant par l’eau. un tiers des 60 000 menus
consommation bâloise de courant électrique aug- servis chaque jour aux malades sont entièrement
mente nettement moins qu’ailleurs en Suisse. bios, l’eau servie aux patients ne provient plus
Karachi, Pakistan : Autoconstruction et ges- d’une bouteille d’eau minérale mais d’eau de
tion de l’assainissement par les quartiers source alpine du robinet, et un nettoyage plus
pauvres. La technologie ne fait pas tout. La parti- écologique des locaux a réduit de 39 % les coûts.
cipation des usagers est également une clé du Toute cette politique s’opère en concertation avec
succès des projets les plus innovateurs en milieu les fournisseurs, et fait l’objet d’une importante
urbain. Les habitants d’orangi, la plus grande sensibilisation auprès du public en général et des
agglomération de squatters de Karachi, ont écoles en particulier.
démontré cette mobilisation. une onG (Projet Växjö, Suède: Pas de combustibles fossiles à
Pilote d’orangi – oPP) appuie depuis 25 ans les Växjö. Växjö au sud de la Suède a un projet ambi-
populations dans leur organisation et la mise en tieux : réduire de moitié les émissions de dioxyde
place de projets d’amélioration des conditions de de carbone et créer un avenir durable. Tout a
vie et d’assainissement à bas coût. Grâce à leur commencé par une catastrophe écologique avec
activisme, les habitants d’orangi ont participé, de une pollution sévère de deux lacs de la région
1981 à 2005, à la mise en place des égouts dans entraînant un projet de sauvetage dans les années
5 394 ruelles desservant 80 910 des 94 100 mai- 1970. Depuis de nombreuses mesures ont été
sons existantes. La communauté a versé 93,8 mil- prises en faveur de l’environnement, dont le pro-
lions de roupies, le gouvernement contribuant à gramme « Pas de combustibles fossiles à Växjö »
hauteur de 90 millions. « L’État aurait dépensé adopté à l’unanimité en 1996. Autre programme à
six fois plus pour réaliser ces travaux », estime succès aujourd’hui dans un pays couvert de forêts
oPP. En 2003, le modèle participatif a été officiel- à 60 %, Växjö est devenu le pionnier suédois de
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la biomasse bois assurant les deux tiers du chauf- tage éco-industriel » ou « construire malin –
fage. Cependant des freins à la philosophie construire vert », ainsi que par une émission heb-
durable résident encore dans les mentalités. C’est domadaire de télévision sur la « Région
pourquoi la ville a lancé un éco-budget modèle de durable ». Tous ces guides ou programmes pré-
budget environnemental, et la Société suédoise de sentent des lignes directrices claires pour mettre
Conservation de la nature a formé politiciens et en œuvre la pensée durable : diminuer les
fonctionnaires à la problématique écologique. un déchets, épargner les ressources, réduire les
projet plus récent réalisé en collaboration avec coûts, construire et rénover écologique. À travers
Volvo pour un concept de véhicules fonctionnant le Plan Stratégique voté en 1996, les autorités et
au bio-carburant a mobilisé les énergies pour la population ont défini le concept du Grand Van-
démontrer que la durabilité est payante. couver pour le développement d’une région
Rosario, Argentine : Une agriculture dans la métropolitaine compacte, la protection des
ville contre la faim et la pauvreté. Pour faire face espaces verts, des choix en transport, des services
à la grave crise de 2001, Rosario troisième ville rentables utilisant l’énergie intelligemment. En
d’Argentine a choisi l’agriculture urbaine. La résumé, créer le bien-être social, assurer la qua-
mairie, deux onG et le programme Pro-Huerta de lité de l’environnement, atteindre une prospérité
l’Institut national de Technologie agricole ont économique permanente.
lancé conjointement un projet écologique et Sans entrer dans la description de leurs inno-
social durable. Au bilan, création de 791 potagers vations respectives, mentionnons que les autres
urbains procurant des emplois à plus de 5 000 villes invitées des quatre continents ont partagé
familles. En outre, 10 000 familles sont liées à leurs expériences en gestion écologique des eaux,
une production végétale bio qui nourrit plus de politique des transports, efficacité énergétique,
40 000 personnes dans cette ville de 1,3 million politique de santé, gestion des déchets, pratique du
d’habitants. Dans les maraîchages communau- budget participatif, réhabilitation des bidonvilles
taires, promotion de la biodiversité et améliora- impliquant de très nombreux acteurs sociaux dans
tion des sols sont au programme. même les des nouvelles pratiques de gouvernance.
écoles contribuent à la sensibilisation des enfants.
Aujourd’hui des centaines de maraîchages et des Des questions pour le nouveau
foires régulières non seulement procurent des millénaire urbain
emplois et des aliments sains mais aussi embel-
lissent la ville, protègent l’environnement et Comme nous l’avons évoqué précédemment, la
favorisent l’intégration sociale des plus pauvres durabilité urbaine a fait une entrée encore timide
qui trouvent dignité et légitimité dans cette acti- dans le champ de l’urbanisme et ses avancées res-
vité durable. Rosario a obtenu une reconnais- tent modestes par rapport aux défis que posent
sance internationale et lance d’autres projets aujourd’hui les diagnostics environnementaux
innovateurs. alarmants. Dans les expériences que nous avons
Vancouver, Canada : Gestion économique et décrites se révèlent une prise de conscience de
écologique intégrée pour 100 ans. Les 21 muni- l’environnement et une pratique de démocratie
cipalités du Grand Vancouver, qui s’étend sur participative qui prend en compte la multitude des
plus de 4 500 km2, planifient pour 100 ans une acteurs sociaux. Par un élargissement et un partage
croissance maîtrisée dans l’utilisation de l’espace des responsabilités entre citoyens et pouvoir poli-
et des transports, l’énergie, les espaces verts, la tique, les projets urbains deviennent objets de
gouvernance et l’intégration socio-culturelle. négociation et sont soumis à un arbitrage collectif
Dans le chapitre transport, les parcs à vélos et le permanent. En outre, la mise en place de la dura-
programme bio-diesel pour les véhicules munici- bilité urbaine permet de réintroduire le débat sur la
paux sont des exemples d’actions durables. La notion d’intérêt général qui ne soit plus défini par
devise « fais quelque chose de bien et parles-en » un cercle restreint de décideurs politiques mais se
est alimentée par des éco-guides tels le « réseau- négocie dans des solutions collectives valorisant le
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