1               Qu’est-ce que
la psychologie ?
Histoire
Le mot « psychologie » est d’origine grecque : psukhé = âme et logos = science.
Pendant des millénaires elle ne s’est pas distinguée de la philosophie et de
la métaphysique. Elle traitait des sentiments, des passions et de l’« éprouvé
humain ». Depuis la fin du XIXe siècle, elle a pris son autonomie en devenant
l’« étude scientifique des faits psychiques », le mot « psychique » n’ayant
plus la connotation religieuse d’« âme », mais recouvrant des domaines aus-
si vastes que l’intelligence, l’affectivité, les relations du corps et de l’esprit,
le comportement individuel et social, celui du comportement animal et
même la linguistique. La psychologie s’est voulue une science ; nous disons
maintenant « science humaine », lorsque, sous l’influence du développe-
ment de la physique et de la physiologie, au XIXe siècle, elle a commencé
de recourir à des méthodes expérimentales, puis sous l’influence des mathé-
matiques, s’est appuyée sur les moyens statistiques. Au début, on n’hésita
pas à tenter de mettre expérimentalement en équations les rapports entre le
corps et l’âme ainsi qu’à rechercher s’il existait une continuité dans la série
des êtres vivants, entre l’animal et l’homme. On s’aperçut que ces vastes
interrogations ne pouvaient avoir des réponses que fragmentées, en sériant
les questions et donc en diversifiant les méthodes. En même temps apparaissait
la nécessité, pour aborder les problèmes humains, qui sont essentiellement
des problèmes de synthèse, de rapprocher les points de vue des diverses
disciplines dans une vision pluridisciplinaire qui prévaut aujourd’hui.
La psychologie expérimentale
Elle a été suscitée dès 1820 par un astronome allemand, Bessel, qui s’était aperçu
que même ce qui aurait dû être parfaitement objectif, comme l’observation de
l’heure exacte de passage d’un astre devant une lunette astronomique, était
sujet à subjectivité, chaque observateur ayant son type d’erreur.
   La psychophysiologie ouvrait les voies d’une étude sur les réactions aux
stimulations de l’environnement. On constate que beaucoup de chercheurs
sont d’abord des physiologistes, même s’ils gardent souvent, au début, des
préoccupations philosophiques propres à leur époque et sont des savants à
culture encyclopédique.
Manuel de psychologie à l’usage des soignants
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2        Manuel de psychologie à l’usage des soignants
  La psychologie expérimentale va tenter d’étudier le comportement d’ani-
maux et d’hommes placés dans des situations réalisables en laboratoire. Par
souci moral elle privilégiera la recherche sur les animaux ce qui donnera une
nouvelle discipline de la psychologie : la psychologie animale ou éthologie.
  C’est Fechner (1801-1887), physicien et mathématicien, qui, avec encore
d’évidentes préoccupations métaphysiques, est le pionnier de la psycholo-
gie expérimentale. Il travaille sur le rapport entre l’excitation des organes
des sens et la sensation produite. Ses travaux sont à l’origine de la mesure
en psychologie. Helmoltz (1821-1894), physicien également, travaille sur
les mécanismes de la vision et ceux de la perception des sons.
  L’homme qui a établi définitivement l’autonomie de cette discipline fut
incontestablement Wundt (1832-1920) par l’ouverture à Leipzig en 1879
du premier laboratoire de psychologie expérimentale. Il va travailler aussi
sur la sensation et les perceptions, les temps de réaction. Il emploie une
méthode essentiellement analytique et fragmentaire, en dissociant, en élé-
ments, les processus conscients, au détriment des processus supérieurs qui
seront observés par ses successeurs dont Ebbinghaus qui étudie la mémoire
et un français Binet (1857-1911). Celui-ci travaille sur la nature des images
mentales, l’imagination, l’attention, les facultés de compréhension et d’ap-
prentissage. Il crée de petites épreuves qui seront les premiers tests qu’il sort
du laboratoire pour les proposer dans des écoles, auprès d’enfants.
  Après Binet, naît la psychologie de la forme ou Gestalt en allemand. Elle
étudie la manière dont la perception, les formes s’organisent, se distinguent
du « fond » et se transposent à la suite d’une modification de détail qui
les transforme complètement : début de l’étude de l’intelligence animale
et humaine, proprement dite. Ces premiers psychologues s’appuyèrent
d’abord sur l’introspection : seul le sujet de l’expérience pouvait accéder
à ses propres états de conscience. La physiologie, ses moyens propres et la
psychologie animale qui ne permet pas au sujet de partager son expérience,
suscitèrent des méthodes nouvelles.
   L’œuvre de Pavlov (1849-1936) va ouvrir une voie nouvelle avec l’étude
des réflexes conditionnés : ces modifications du corps entraînées par une
stimulation servant de signal, le langage devenant un second système de
signalisation. Tout le monde connaît la fameuse expérience de 1903 faite sur
des chiens. Ceux-ci commencent à saliver lorsqu’ils entendent les pas des
garçons de laboratoires venus les nourrir puis lorsqu’un signal lumineux ou
sonore est associé puis remplace les premiers signaux. « Le langage est, pour
le psychologue, un excitant bien plus précieux et je dirai tout aussi précis »,
écrit Binet, « que les excitants sensoriels : le langage permet de donner à
l’expérimentation psychologique une amplitude considérable ».
  Si les recherches ne peuvent porter de manière satisfaisante sur la conscience
(difficulté d’introspection et mutisme des animaux), elles peuvent porter
                                           Qu’est-ce que la psychologie ?    3
sur l’activité : « behaviour » pour les anglo-saxons, « comportement » pour
les Français. Le behaviourisme fondé en 1913 par l’américain Watson, va
observer principalement les réactions des rats en laboratoires et tendra à
donner un maximum d’objectivité à la recherche. Il permettra d’étudier les
mécanismes de l’apprentissage et permettra également de travailler sur les
localisations cérébrales.
  L’évolution récente de la psychologie expérimentale a été marquée par
Fraisse, Guillaume et surtout le grand psychologue suisse Piaget dont nous
aurons l’occasion de parler plus longuement en psychologie de l’enfant.
   Les applications de la psychologie expérimentale vont dans deux direc-
tions : d’abord dans le champ de l’industrie et de l’entreprise avec une étude
de la modification et de l’adaptation des postes de travail en vue de les
rendre plus fonctionnels et accessibles à la personne à qui ils sont attribués.
Ensuite elles ouvrent les portes à la psychologie différentielle.
La psychologie animale
Nous avons vu les liens unissant la psychologie expérimentale et la psychologie
animale grâce au vaste champ de son expérimentation et de la possibilité de
réaliser des destructions d’organes pour infirmer ou confirmer les hypothèses
sur le rôle de ceux-ci dans les comportements observés. Philosophes et
zoologistes ont une influence lointaine sur cette recherche qui commença en
France avec Réaumur dès 1740 publiant une étude sur le comportement des
insectes. Les abeilles seront observées avec leur langage que sont les danses
des butineuses orientant le vol de leurs congénères. D’autres insectes sociaux
furent observés, notamment les termites par Grasse en 1937.
   Des questions philosophiques se posent sur la conscience animale et sa
continuité avec la conscience humaine (Descartes). Darwin (1809-1882)
va étudier l’évolution des espèces, l’influence sur elles des particularités se
transmettant héréditairement et favorisant la survie de l’une par rapport à
l’autre. Les études allant des organismes dits inférieurs, aux grands singes,
apportent des réponses concernant aussi l’homme. Apprentissages en labo-
ratoires, essais pour définir la conscience, hypothèses sur l’intelligence, la
docilité, l’oubli, l’outil chez les animaux, non déjà éduqués, ouvrent sur des
réponses valables également chez l’homme. L’attitude des savants n’est pas
anthropomorphiste qui consisterait à expliquer le comportement animal
par celui de l’homme, mais bien au contraire d’invoquer pour l’homme des
explications plus simples, suffisantes pour l’animal.
  Dès 1875, Caton enregistre l’activité électrique cérébrale chez l’animal
c’est-à-dire 50 ans avant ces mêmes expérimentations chez l’homme
(électroencéphalogramme).
4       Manuel de psychologie à l’usage des soignants
   Une des plus grandes figures, disparue récemment, de la psychologie ani-
male contemporaine est Lorenz. Il a travaillé sur les oiseaux, les fameuses
oies cendrées qu’il faisait éclore dans son bureau et les poissons qui ne sont
pourtant pas des animaux réputés pour leur intelligence ; il a étudié les
signaux employés entre individus d’une même espèce animale et l’empreinte
laissée sur ses oisons par les premiers signaux reçus (forme, couleurs, mou-
vement, visage humain) à l’éclosion. Cela confirme ce que Freud avait
démontré sur le plan affectif : la marque indélébile des premières expériences
émotionnelles chez le petit de l’homme.
La psychologie différentielle
La psychologie expérimentale, qu’elle prenne comme sujet l’homme ou
l’animal, étudie une loi générale valable pour l’espèce humaine et les êtres
vivants en général. La psychologie différentielle va étudier comment se di-
versifient les êtres humains de groupes différents, entre eux, et par rapport
à cette loi générale (par exemple hommes et femmes, classes d’âge diffé-
rentes, catégories professionnelles…). Cette observation est basée sur le fait
que tous les individus ne s’adaptent pas de façon identique à une même
variation des conditions du milieu.
  Des préoccupations théoriques animent un chercheur comme l’anglais
Galton (1822-1911) qui entraînent le développement de la statistique
appliquée à la psychologie. D’autres, essentiellement pratiques, sont axées
sur l’étude de problèmes sociaux avec Catell.
   Galton, le premier sur une grande échelle, met au point des batteries
de 17 tests pour mesurer le degré de génie d’un individu permettant de
mesurer les différences individuelles d’un très grand nombre de personnes
ce qui l’amène, ensuite, à utiliser des méthodes statistiques pour établir
des normes. Il étudie les corrélations, les paramètres influençant les
phénomènes observés. Cette méthode s’appellera quelques années plus tard
« l’analyse factorielle ».
  Cette psychologie statistique donne naissance à une nouvelle méthode
de psychologie générale qui, étudiant réussites et échecs individuels par
rapport à une même tâche, va découvrir quels processus psychologiques et
physiologiques cette tâche met en œuvre.
   L’étude de ces différences individuelles va alimenter les controverses sur
la prédominance de l’influence de l’hérédité (inné) et celle de l’éducation
et du milieu (acquis). Auparavant Mendel en 1865 et ses disciples plus tar-
divement (1910) avaient découvert les lois de l’hérédité (sur les fameuses
mouches du vinaigre : les drosophiles). Vers 1930, la constitution hérédi-
taire, ou génotype, de chaque individu est déterminée. Comment mesurer
l’influence du milieu ? En observant deux individus ayant le même patrimoine
                                            Qu’est-ce que la psychologie ?    5
héréditaire : les vrais jumeaux, placés dans des milieux différents. La
méthode des jumeaux a souvent été utilisée. Elle a fait l’objet d’études appro-
fondies par le psychologue français Zazzo. Dans l’ensemble, il ressort que la
psychologie est largement influencée par l’hérédité. À propos des jumeaux,
on est cependant frappé des différences psychologiques et comportemen-
tales qui existent entre vrais jumeaux élevés dans le même environnement
familial. Elles font penser qu’en définitive, si l’hérédité est importante, la
relation affective établie par chaque enfant avec chacun des parents ou des
proches, qui n’est, elle, pas identique, est aussi primordiale. Les études ac-
tuelles sur les jumeaux ont, comme préalable, de les considérer non comme
des individus semblables mais comme un « couple » dont les interactions
internes sont aussi structurantes que celles agies individuellement par le
milieu extérieur.
  Un des plus grands développements de l’application de la psychologie
différentielle sera la méthode des tests. C’est un américain, Catell (1860-
1944), élève de Wundt et de Galton, qui va, le premier, en 1890, employer
le mot « test ». Il fonde des laboratoires, des revues, une organisation
commerciale offrant ses services dans les domaines éducatif et industriel.
  À la même époque (1905), des Français, Binet, Henri et Simon, propo-
sent leur fameuse « échelle » qui permet, à partir de tests élémentaires, de
mesurer le niveau intellectuel d’un individu (le quotient intellectuel ou QI).
On étudiera son profil psychologique, les tests pouvant se représenter gra-
phiquement.
   « Un test mental est une situation expérimentale standardisée, servant de
stimulus à un comportement qui est évalué par une comparaison statisti-
que avec celui d’autres individus placés dans la même situation, permettant
ainsi de classer le sujet examiné, soit quantitativement, soit typologique-
ment » (Piéron).
  Un test, qu’il soit objectif ou subjectif, doit être validé par un grand nom-
bre de sujets. Il peut être individuel ou collectif. Il peut étudier les aspects
cognitifs de la personnalité (intelligence, aptitudes, connaissances) ou la
personnalité elle-même, ses intérêts, son caractère, son affectivité.
  Le test de Weschler, mesurant l’intelligence, comporte 12 sous-tests éva-
luant divers constituants de celle-ci et donne, pondéré par l’âge, le quotient
intellectuel d’un sujet. D’autres tests pour enfants ne font pas intervenir le
langage (dessins, cubes, labyrinthes). Certains tests analysent le domaine de
la psychomotricité, des perceptions visuelles ou auditives, d’autres, enfin,
les fonctions intellectuelles supérieures.
  Une série d’autres tests étudient le domaine de la personnalité et de
ses comportements : ce sont des questionnaires ou des techniques dites
projectives. Un des plus utilisé est le test que le psychiatre suisse Rorschach
utilisa dès 1921, appelé communément « le test des taches d’encre ». Dix
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planches en noir et en couleurs présentant des figures symétriques que cha-
cun peut interpréter selon sa problématique personnelle. Les réponses sont
analysées selon plusieurs critères, puis comptées et enfin interprétées. Les
études faites sur ce test ont montré un pourcentage de fiabilité se situant
entre 85 et 98 %.
   Certains tests de dessins sont utilisés également, comme le test de l’arbre
chez l’adulte ou celui du dessin de famille chez l’enfant. On demande à
l’enfant de dessiner une famille. En général, il dessine sa famille idéale (qui
n’est pas toujours la sienne…) et on analyse ensuite, l’ordre d’apparition
des personnages, leur taille, leurs liens, l’espace, les couleurs utilisées, la
qualité du trait et d’autres paramètres concernant l’affectivité et même les
qualités intellectuelles de l’enfant.
  Certains tests qui proposent au sujet de construire un village (Artus, 1949)
permettent aux enfants, en particulier, de sortir d’une situation d’investi-
gation pour une situation de jeu plus facile à gérer pour lui comme pour le
psychologue.
  Une autre situation de jeu, théâtral cette fois, dont nous parlerons plus
loin, est le psychodrame de Moreno qui peut également être utilisé à des
fins diagnostiques comme thérapeutiques.
  Une technique interprétative, actuellement l’une des plus employées
après le test de Rorschach, est le TAT (thematic aperception test) ou CAT pour
les enfants. On présente un certain nombre de planches au sujet, lui de-
mandant, à partir d’elles, de raconter des histoires. On peut étudier son
univers personnel en fonction des thèmes développés, observer ses centres
d’intérêt, ses sujets d’identification, ses contraintes extérieures, etc.
    Certains tests utilisent des phrases, des images, des histoires à compléter.
  La graphologie est une méthode dont la valeur est aujourd’hui incontes-
tée. Les études montrent que sa fiabilité est de plus de 70 %.
  Ce qu’on peut retenir de tous ces tests, c’est que ce sont ceux qui sont
quantifiés (comme le Rorschach) qui amènent la validité des tests projectifs
au niveau de celle des tests d’efficience.
La psychologie de l’enfant
Avant d’aborder la psychologie de l’enfant, telle qu’elle a été décrite par
Freud dans la deuxième partie de ce chapitre, et d’autres auteurs dans le
chapitre suivant, quelques mots concernant l’histoire de celle-ci.
  Il est à noter d’abord que tous les hommes de science dont nous avons
parlé, en abordant l’histoire de la psychologie depuis son origine dans le
milieu du XIXe siècle, se sont intéressés à la psychologie de l’enfant. La plu-
part ont observé leurs propres enfants en train de grandir, ce qui était plus
                                          Qu’est-ce que la psychologie ?    7
facile que de réunir des informations en laboratoire ou par questionnaires
sur d’autres enfants. Certains ont trouvé des analogies entre leur dévelop-
pement et celui de l’animal, avec l’évolution des sociétés humaines elles-
mêmes.
   Dès le début, les auteurs ont été frappés par l’existence de grandes diffé-
rences de développement entre les enfants ; souvent, le fait que ces enfants
aient été observés dans des conditions très différentes, amena à plus de
rigueur et on essaya de rassembler des résultats comparables. On pratiqua des
méthodes simples de statistiques qui permirent de déterminer l’âge auquel
se faisait, en général, telle ou telle acquisition. Deux types d’observations
furent recueillies : celles qu’on a appelées « transversales » qui étaient
effectuées sur un ou plusieurs groupes d’enfants, et celles appelées
« longitudinales » qui sont des observations prolongées et répétées sur les
mêmes enfants.
   Gesell, le grand psychologue américain publie, dès 1925, des études de ces
deux types et décrit les acquisitions dans 150 domaines (intelligence, motri-
cité…) faites sur beaucoup d’enfants et de manière répétitive sur certains.
   Mais celui qui va marquer profondément et durablement la psychologie
de l’enfant, c’est Piaget (1896-1980). Ce n’est pas par hasard si ce grand
psychologue suisse a une formation scientifique de zoologiste. Depuis l’en-
fance, il étudie les mollusques peuplant les lacs du Jura et du Léman, puis
il s’intéresse à la psychologie de l’enfant et plus particulièrement au déve-
loppement de sa pensée et de son langage. Il prend un peu ses distances
vis-à-vis des tests très à la mode depuis Catell et préfère les observations
directes doublées de conversations familières où l’enfant explique souvent
ses perceptions et son propre comportement, qui, lui permettent d’étudier
le jugement, le raisonnement l’acquisition du jugement moral, les notions
de nombre, de temps, d’espace etc. entre 1924 et 1951. Pour Piaget, le déve-
loppement est essentiellement progressif, continu, marqué par une profon-
de unité fonctionnelle. L’enfant est constamment incité par son état provi-
soire d’inadaptation à parcourir le chemin qui l’amènera à l’état d’équilibre
de l’adulte.
  Dans le même temps, un chercheur français, Wallon (1879-1962) qui
publie en 1941 un ouvrage sur l’évolution psychologique de l’enfant va, au
contraire, voir en cette évolution, non un développement continu mais
une suite de crises, de mutations où deux facteurs interviennent, l’un bio-
logique (la maturation du système nerveux), l’autre social (les situations
dans lesquelles les fonctions de l’enfant se développent). Wallon accusera
Piaget de ne faire que décrire le développement de l’enfant, sans en donner
d’explications. Piaget ne se « reconnaît pas » dans ces critiques et refuse de
mêler ce qu’il juge être une prise de position philosophique (la dialectique)
et la science.
8        Manuel de psychologie à l’usage des soignants
   Piaget commence à publier lorsque Freud et la psychanalyse sont à leur
apogée. Il s’en démarque et critique longtemps le maître viennois et ses
théories sur la sexualité de l’enfant, mais dans ses années de vieillesse
publie une lettre remarquée, rendant hommage à Freud et reconnaissant
que, dans le développement de l’intelligence, il avait sous-estimé la place
considérable que tenaient le développement et les éventuels avatars de
l’affectivité.
   Les chercheurs ont essayé de décrire un certain nombre d’étapes du
développement de l’enfant, tentant de regrouper les acquisitions réalisées
en périodes, au cours desquelles une forme provisoire d’équilibre semblait
s’établir. Certains auteurs ont décrit jusqu’à soixante et une périodes de
transition, ce qui paraît difficilement utilisable, aussi bien sur le plan théo-
rique que sur le plan pratique.
La psychologie sociale
« La psychologie sociale a pour objet l’interaction des influences sociales et
des personnalités singulières et aussi les relations des individus entre eux
et des groupes entre eux » (Maisonneuve). Si l’expression « psychologie
sociale » a été employée dès la fin du siècle dernier, les travaux donnant
naissance aux études actuelles sont tous postérieurs à 1925.
  Dès son origine, la psychologie sociale doit faire face à deux positions
extrêmes : la première consiste à expliquer entièrement un individu par la
société dans laquelle il vit. C’est la thèse que défend Durkheim en 1898.
Elle marquera encore fortement les culturalistes (Malinowski, M. Mead) qui
tentent de démontrer combien les primitifs de Mélanésie ou de Nouvelle-
Guinée sont le produit de leur culture. La deuxième est d’expliquer entière-
ment le groupe par l’individu.
  Souvent, les raisons de ces prises de positions extrêmes viennent plus
d’une arrière-pensée visant à préconiser ou transformer telle ou telle organi-
sation sociale au détriment d’une observation objective et rigoureuse,
comme l’œuvre de Le Bon sur la psychologie des foules (1915) qui était
entachée de jugement moral. Les travaux actuels visent à employer des
méthodes qui ne puissent être influencées par leurs utilisateurs et qui ne
préjugent pas des résultats qu’elles permettront d’atteindre.
   La psychologie sociale a employé des « modèles » empruntés à d’autres
formes de psychologie comme les « attitudes » (psychomotricité), d’autres
comme ceux utilisés par la communication (information, voies et réseaux
de communication). Un autre modèle est emprunté aux gestaltistes : per-
ception du monde par autrui, forces en jeu dans les transformations et
l’équilibre des structures sociales.
                                          Qu’est-ce que la psychologie ?    9
  L’étude des groupes sociaux devient possible avec l’hypothèse selon
laquelle l’action des uns sert de stimulus aux réactions des autres et vice
versa, les groupes se différenciant de situations collectives ponctuelles.
  On étudiera les rôles individuels dans le groupe nés des besoins de cha-
cun, les rôles sociaux (politiques, professionnels…), celui du leader. Bales
établit une échelle célèbre permettant de situer les attitudes, coopérantes
ou non, de tout individu procédant à une tâche collective ou à une discus-
sion.
  L’intérêt pour les opinions et les attitudes vont permettre de dévelop-
per l’étude de l’opinion publique en un moment donné. Propagande,
publicité, partis politiques vont l’utiliser. Les sondages, avec l’aide des
statistiques et sous condition d’un échantillonnage rigoureux et signifi-
catif de la population étudiée, vont être pratiqués largement, analysant
les désirs des consommateurs ou les choix politiques, en des opérations
ponctuelles.
  Après avoir porté sur un petit nombre de questions, ces sondages, avec un
nombre plus important de questions, ont tenté d’étudier des phénomènes
plus complexes (racisme, sexisme…).
  Le gestaltiste Lewin étudie les groupes restreints et ce qu’on appelle la
dynamique des groupes : tous les facteurs affectifs, opératoires et fonction-
nels, qui renforcent la cohésion d’un groupe, sont passés au crible. Les
styles de conduite directif ou non directif de son chef, le conformisme
ou la déviance des participants, leur degré d’implication, le langage et les
fantasmes communs, les possibilités et conditions de changement sont
analysés.
  Depuis longtemps, l’entreprise avait été le champ d’observations et
d’actions dérivées directement de la psychologie sociale. Dès 1927, la
fameuse expérience de Mayo a lieu dans une usine américaine employant
29 000 ouvriers. Il y crée un atelier expérimental spécial où les conditions
de travail, la relation avec le contremaître, le respect et l’écoute de chacun
sont tels que le « climat » se transforme et le rendement augmente. Actuel-
lement beaucoup d’actions sont dirigées vers les entreprises pour les rendre
plus humaines et en même temps plus performantes.
  Contemporain de Lewin, Moreno, psychiatre roumain exerçant à Vienne
puis émigré aux États-Unis, fonde la sociométrie. Il invente une technique
qualitative permettant de décrire, avec des méthodes statistiques, les liens
et les répulsions qui existent entre les individus d’un groupe restreint : le
sociogramme. Il invente également une méthode de psychothérapie, le psy-
chodrame, par laquelle un groupe de patients, dirigé par un clinicien, peut
extérioriser ses conflits anciens ou actuels, chacun jouant un rôle révélateur
dans la pièce dramatique ainsi improvisée.