Résumés d’Oeuvre – Jean Jacques Rousseau
La Nouvelle Héloïse
Résumé : La nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau (1760)
C’est un roman écrit sous forme de lettres et dont le sujet rappelle les amours
d’Héloïse et d’Abélard. Jean-Jacques Rousseau s’est jugé lui-même sur la valeur
morale de cette monstrueuse production. « Ce livre, dit-il dans la préface, n’est
point fait pour circuler dans le monde, il convient à très peu de lecteurs. Toute fille
qui aura lu une page de ce livre est une fille perdue… » L’auteur a placé la scène
de son roman à Clarens, petite ville située sur le lac de Genève ; ce lieu lui a fourni
l’occasion de peindre plusieurs tableaux ravissants de la nature suisse. Ce qui
assure à ce roman une longue durée, c’est moins l’intérêt de l’action que l’éclat du
style et les épisodes qu’il renferme. « Dans ce livre, dit Vinet, chacun disserte et
quelquefois ces dissertations, comme celles sur le suicide, sur le duel, sont des
chefs-d’œuvre. Mais ni l’éclat du style, ni les admirables descriptions de la nature
ne pourront jamais racheter l’immoralité de cet ouvrage qu’il est prudent et sage de
ne jamais ouvrir, comme l’auteur lui-même d’ailleurs nous le conseille. »
Du Contrat Social
Résumé : Du Contrat social de Jean-Jacques Rousseau (1762)
Cet ouvrage est l’exposé des principes politiques de Jean-Jacques Rousseau. À
l’époque où il vivait, on croyait généralement que la souveraineté vient de Dieu et
que les peuples doivent obéissance au prince, au même titre quo les enfants doivent
respect et obéissance à leur père. Le philosophe renversa toutes ces idées. Selon
lui, il est arrivé un moment où quelques individus se sont arrogés un droit illusoire
sur le coin de terre qu’ils voulaient cultiver, et l’ont entouré d’une clôture : on
prononça alors pour la première fois ce mot funeste : Ceci est à moi, source de
toutes les guerres qui ont désolé depuis le genre humain. Cependant, comme les
autres hommes étaient peu portés à respecter de telles prétentions, les nouveaux
propriétaires songèrent à s’associer pour repousser leurs attaques et protéger leur
bien. En vertu du contrait qu’ils firent alors, ils répartirent entre eux les fonctions
et les charges de la défense commune : de là les magistratures, les impôts, les lois
et tout l’attirail des sociétés. De ces prémisses découlent naturellement les
conséquences suivantes : le peuple s’est lié volontairement par un contrat qu’il
peut modifier quand il lui convient de le faire ; les magistrats, de quelque rang
qu’ils soient, depuis le monarque jusqu’au dernier agent de police, tiennent leurs
pouvoirs du peuple, qui peut les leur ôter quand il le veut : en d’autres termes, le
peuple est souverain.
La souveraineté du peuple devient ainsi un droit imprescriptible. Mais ce principe,
qui a l’air d’être démocratique, n’est au fond que le despotisme de tous substitué au
despotisme d’un seul. Comme Rousseau le fait supérieur à tout, même aux notions
absolues de justice et de morale que nous portons en nous, il devient une espèce
d’absolutisme auquel tout doit se subordonner.
L’Émile de Rousseau
Résumé de L’Émile ou De L’Éducation de Jean-Jacques Rousseau (1762)
En 1756, Madame de Chénonceaux avait demandé à Jean-Jacques Rousseau ses
idées sur l’éducation. En 1760, il annonçait son livre : « Il me reste à publier une
espèce de traité d’éducation plein de mes rêveries accoutumées. » Et de préciser : «
Il s’agit d’un nouveau système d’éducation, dont j’offre le plan à l’examen de tous
les sages, et non pas d’une méthode pour les pères, et les mères, à laquelle je n’ai
jamais songé. »
Émile n’était pas la première production pédagogique de Rousseau. On avait déjà
de lui un Projet pour l’éducation de M. de Sainte-Marie, l’un des fils de M. Bonnot
de Mably, grand prévôt de Lyon, dont il fut le précepteur. On a encore de
Rousseau, sur l’éducation, quelques pages de la cinquième partie de la Nouvelle
Héloïse, quatre lettres au prince de Wurtemberg (novembre et décembre 1763,
janvier et septembre 1764), trois lettres à l’abbé M *** (février et mars 1770) et
enfin une lettre à M. de V** (avril 1771).
Quand l’Émile parut, il fit grand bruit. Il eut des admirateurs, mais aussi de
puissants adversaires. À tel point que Rousseau dut se réfugier dans la principauté
de Neuchâtel, sous la protection du roi de Prusse.
Rousseau a exercé sur l’éducation une grande influence en Europe et même en
Amérique. Ses théories ont été surtout essayées en Prusse et en Suisse.
Émile est le nom du jeune homme imaginaire dont Rousseau se propose de faire un
élève modèle. Rousseau veut que son Émile soit riche : « Le pauvre n’a pas besoin
d’éducation : celle de son état est forcée » ; qu’il ait de la naissance : « ce sera
toujours une victime arrachée au préjugé » ; qu’il soit de bonne santé : « Pourquoi
un homme se sacrifierait-il à un être fatalement impuissant ? Ce serait doubler la
perte de la société et lui ôter deux hommes pour un. » Émile doit être mis entre les
mains de son précepteur dès le berceau et n’en sortir que pour se marier.
Les cinq livres du traité correspondent aux différentes périodes de son éducation.
Le premier livre prend l’enfant au berceau et s’occupe de ses deux premières
années ; le deuxième livre conduit Émile de deux à douze ans ; le troisième livre,
de douze à quinze ans ; le quatrième livre, qui contient la Profession de foi du
Vicaire savoyard, de quinze à dix-huit ans ; Rousseau a intitulé le cinquième livre
Sophie ou la femme.
On s’accorde à trouver aux deux derniers livres un caractère plutôt philosophique
que pédagogique.
Premier livre : les deux premières années
Rousseau débute par cette affirmation : « Tout est bien sortant des mains de
l’auteur des choses. » C’est attribuer à l’enfant une innocence et une bonté
parfaites. Rousseau ajoute : « Tout dégénère entre les mains de l’homme. »C’est
une attaque contre la société. Mais si les hommes sont naturellement bons,
comment peut-elle être corrompue ? Et si elle l’est, ne faut-il pas reconnaître que
chaque individu porte en lui les germes du mal ?
Pour conserver à l’enfant la prétendue droiture originelle de ses inclinations et le
soustraire à l’influence corruptrice de la société, que fait Rousseau ? Il l’isole. Mais
est-il possible qu’il grandisse et se développe en dehors de la première de toutes les
sociétés, celle de la famille ?
Viennent ensuite des vues générales sur l’éducation et sur le but qu’elle doit
poursuivre. « Or, dit-il, l’éducation nous vient de la nature, ou des hommes ou des
choses. » Dans l’ordre naturel, les hommes étant tous égaux, leur vocation
commune est l’état d’homme. « Vivre est le métier qu’il veut apprendre à son
élève. »
Il faut que l’éducation s’empare de l’enfant dès le premier jour de sa vie. Et alors
un tableau, le plus souvent frappant de vérité, des soins qu’elle exige : allaitement,
pas d’emmaillotage, hygiène, devoirs des pères et des mères. Et, en même temps,
des considérations sur les pleurs, los cris et les gestes de l’enfant, sur leur utilité et
leur signification ; sur les nourrices, leurs qualités et leur nourriture, sur la manière
dont elles doivent parler aux petits enfants afin d’éviter, dès l’âge le plus tendre, de
leur faire contracter une prononciation vicieuse et de leur inculquer dos Idées
fausses.
Rousseau Insiste d’une manière particulière sur l’importance du rôle des mères. «
Point de mère, dit-il, point d’enfant… Que les mères daignent nourrir leurs enfants,
les mœurs vont se réformer d’elles-mêmes, les sentiments de la nature se réveiller
dans tous les cœurs. » Comme la véritable nourrice est la mère, le véritable
précepteur est le père.
Si le père ne peut ou ne veut pas se charger de l’éducation de son fils, il lui
cherchera un maître. Rousseau le veut si parfait qu’il l’appelle « un prodige ». Il lui
donne un élève à part : esprit ordinaire, soit, mais robuste, de condition aisée, fils
unique, orphelin pour n’être en rien gêné par la famille. Il le nomme Émile. Il ne
sortira pas « de ces risibles établissements qu’on appelle collèges ». « Émile est un
enfant de la nature, élevé d’après les règles de la nature, pour la satisfaction des
besoins de la nature. »
Deuxième livre : de 2 à 12 ans
Nous voilà au second âge de l’éducation. On voit dans quelles limites elle doit se
développer. Le petit garçon va remplacer le petit enfant. Au début, deux faits
importants à signaler : 1° « Un langage, dit Rousseau, est substitué à l’autre ».
C’est le langage articulé, ou la parole, avec ses signes conventionnels, qui succède
au langage naturel, aux sons inarticulés, cris et pleurs, sourires, gestes instinctifs,
inspirés par le besoin ou par le bien-être, 2° L’enfant sent ses forces se développer.
Quelle éducation convient alors ? Ni précautions, ni punitions excessives, mais des
jeux bien choisis, propres à contribuer au développement de l’être physique. C’est
lui qu’il faut avoir en vue. En respectant la liberté de l’enfant, et sans lui parler
d’obéissance, sans prétendre corriger en lui de mauvais penchants, on l’habituera à
se sentir dans la dépendance des choses, plutôt que dans celle des hommes. C’est
déjà un conseil pour les maîtres de l’enfance. Elle ne sera ni esclave ni despote,
mais ils lui apprendront à reconnaître sa faiblesse et la sphère d’action dans
laquelle elle peut se mouvoir. On laissera longtemps agir sa nature avant d’agir à sa
place. On ne lui donnera pas de leçons orales, on lui fera découvrir la vérité.
Beaucoup de leçons de choses. Un maître intelligent la gouvernera sans préceptes.
Elle observera beaucoup, et ses maîtres, sans qu’elle s’en aperçoive, prépareront le
milieu dans lequel elle doit trouver une leçon, un enseignement.
Il n’y a pas à s’occuper encore de la culture intellectuelle de l’enfant ; ni lecture et
écriture, ni étude des langues, ni histoire et géographie, ni exercices de mémoire ;
point de fables de La Fontaine. L’important est de savoir temporiser. On ajournera
également la culture morale. La première éducation doit être purement négative, et
elle « consiste, non point à enseigner la vertu ni la vérité, mais à garantir le cœur
du vice et l’esprit de l’erreur ». On ne se hâtera pas « d’exiger de l’enfant des actes
de charité, honneur qui n’est pas de son âge, on aimera mieux en faire en sa
présence ». La culture d’un petit jardin pourra lui Inspirer l’idée de propriété.
L’éducation la meilleure se fait à la campagne, et, avant tout, l’éducation physique,
gymnastique, natation, culture des sens.
Troisième livre : de 12 à 15 ans
Pendant ces trois années, Émile étudiera. Pour lui, « il ne s’agit pas de savoir ce qui
est, mais seulement ce qui est utile ». Il était sous la loi de la nécessité ; le voilà
sous celle de l’utilité. Le rôle de son Mentor sera d’exciter sa curiosité et de le
rendre attentif aux phénomènes de la nature. Au premier rang des études utiles,
Rousseau place les sciences naturelles et spécialement l’astronomie, En
contemplant un beau ciel étoilé, un lever et un coucher de soleil, Émile prendra une
leçon d’astronomie ; un joueur de gobelets, qui attire un canard de cire avec un fer
aimanté, l’intéressera à la physique expérimentale ; pour apprendre la géographie,
il parcourra le monde. Si des instruments lui sont nécessaires, il les fera lui-même,
Point d’histoire et point de langues ; jamais de livres, tout au plus Robinson
Crusoé. Afin de pouvoir vivre indépendant, Émile devra savoir un métier.
Rousseau voudrait pour lui celui de menuisier.
Quatrième livre : de 15 à 20 ans
Émile touche « au passage de l’enfance à la puberté ». Le moment est critique. Il
faut « faire un cœur » à Émile, diriger sa sensibilité, lui inspirer l’amour et la
pratique des vertus sociales, puisqu’il doit entrer en société, Ce livre renferme la
Profession de foi du Vicaire savoyard, l’exposé des vues et des sentiments de
Rousseau sur la religion. Là, pour la première fois, Émile, ses quinze ans
accomplis, entend parler de Dieu et de son âme.
Cinquième livre : Sophie ou la femme
Dans ce livre, qui est le dernier, l’Émile tourne au roman. En Sophie qu’Émile
épouse, Rousseau présente le type de la femme parfaite, telle qu’il la
comprend.C’est en somme un court traité de l’éducation des filles, moins solide,
moins sérieux, moins philosophiquement déduit que les autres parties de l’ouvrage.
On sent que Rousseau attache moins d’importance à cette matière, n’en a pas fait
aussi longtemps et aussi rigoureusement l’objet de ses méditations et de ses études.
Il y reste plus assujetti à la tradition et aux usages de son temps.
Émile n’est qu’un roman, un tissu de paradoxes, une éducation chimérique. Pour le
bien comprendre et pour en profiter, il faut se reporter au siècle où il a été écrit et
au but qu’il poursuivait. Il faut en dégager la pensée maîtresse, l’inspiration, la
méthode. À travers les étrangetés, les bizarreries apparentes, les impossibilités
matérielles, il faut chercher l’esprit.
Rousseau n’écrivait pas pour le peuple. L’enseignement primaire n’existait pas de
son temps, ou plutôt était si rudimentaire, si peu répandu, si peu organisé, réduit à
de si pauvres éléments, qu’il n’attirait pas l’attention des penseurs. Les enfants du
peuple s’élevaient au hasard, dans la rue, dans les champs, dans la misère, et il ne
pouvait être question de méthodes pédagogiques pour les tristes garderies où ils
apprenaient tout au plus à lire. Quand on parlait d’éducation, d’instruction, il
s’agissait uniquement des fils de la noblesse ou de la bourgeoisie. Ceux-là n’étaient
pas talonnés par le besoin ; ils n’étaient pas pressés de gagner leur vie; ils avaient
de longues années d’études devant eux. Ils n’en étaient pas mieux élevés pour cela.
Les vieilles méthodes scolastiques régnaient encore. Les collèges n’avaient pas
cessé d’être les geôles de la jeunesse captive. Enfermés dans des cours étroites,
dans des dortoirs communs, dans des classes obscures, tenus constamment en
bride, soumis à une discipline inintelligente et dure, toujours conduits, toujours
dirigés, toujours régentés, les écoliers grandissaient dans une contrainte qui, brisée
d’un coup à leur sortie, se changeait facilement en licence et en dévergondage. On
tendait à faire d’eux des jeunes gens de bonnes manières, agréables, bavards,
diseurs de rien, propres à soutenir élégamment leur rang dans le monde. Tout était
sacrifié à la forme ; on visait aux façons, à la tenue, au style, De là le souci exclusif
des mots, des périodes, des énumérations, la culture de la mémoire, les études
superficielles et mécaniques, les formules dictées, la routine triomphante.
Ces procédés, à rebours du bon sens, appliqués de bonne heure aux enfants, en
pouvaient faire des sortes de singes savants ou de perroquets, mais ne les
préparaient pas à devenir des hommes.
Ou bien l’enfant gâté par l’éducation domestique, devenu le tyran et le fléau de la
maison, ou bien l’enfant comprimé par l’éducation du collège, et bourré de mots,
mais vide de pensée et de volonté, tel était le double spectacle que son siècle offrait
aux yeux de Rousseau.
Ces abus étaient séculaires, Déjà Rabelais et Montaigne les avaient signalés et
avaient protesté en leur temps. Mais ils avaient prêché dans le désert. Rousseau
reprit leur héritage. Il voulut montrer comment on doit élever un homme. Pour y
arriver, il fait table rase du passé, Il se met en dehors des usages et dos traditions. Il
laisse là les collèges et les éducations ordinaires.
Ainsi, sous une apparence concrète, sous la forme d’une histoire particulière, nous
sommes en présence d’idées générales, on pourrait presque dire d’entités
philosophiques ou pédagogiques.
De là l’impossibilité de faire passer directement dans la pratique les leçons de
l’Émile ; de là les critiques qu’on est obligé d’élever à tout instant contre les scènes
et les procédés qu’on y rencontre ; de là tant de paradoxes, tant d’offenses à la
réalité des choses. Si l’on se croit vis-à-vis d’êtres vivants comme ceux que nous
met sous les yeux l’expérience journalière, d’un écolier et d’un maître comme les
enfants qui jouent dans nos cours et les professeurs qui les enseignent, c’est un
livre inapplicable. Si l’on se sait en face de théories, de principes, d’idées, rien de
plus raisonnable au fond, rien de plus fécond ni de plus pratique.
[D’après Daniel Bonnefon. Les écrivains célèbres de la France, ou Histoire de la
littérature française depuis l’origine de la langue jusqu’au XIXe siècle (7e éd.),
1895, Paris, Librairie Fischbacher.]
Les Confessions de Rousseau
Résumé : Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau (1782)
Parmi les ouvrages qui appartiennent aux dernières années de Jean-Jacques
Rousseau, années qu’il passa dans la terre de M. de Girardin, le plus important est
les Confessions, livre étonnant de franchise et la principale source biographique de
cette étrange destinée. C’est non seulement, racontée dans tous ses détails,
l’histoire des faits se rapportant à la vie de Rousseau, c’est une relation complète
de ses sentiments et de ses pensées. Il retrace avec le même soin ce qui est à sa
louange et ce qui peut être l’objet de notre blâme ; ses fautes, ses faiblesses, ses
hontes même passent sous nos yeux avec non moins de vérité que la peinture des
nobles instincts de son âme. Or, comme il est difficile de ne pas parler beaucoup
des autres en racontant sa propre vie, Rousseau mêle à son récit les paroles et les
actes de ceux qu’il a intimement connus, vouant parfois à une honteuse célébrité
des personnes dont l’amitié méritait un autre genre de reconnaissance.
Au fond, les Confessions sont un acte d’orgueil. « Les hommes, écrit Nisard, font
leur apologie de bien des façons. La plus complaisante n’est pas celle où le
personnage se loue. C’est dans le mal qu’on dit de soi que peut se cacher le plus de
vanité. Redoublez de précaution avec celui qui vous prend à témoin de ses fautes;
le moins qu’il pense, c’est qu’il vaut mieux que vous. »
Ce qui confirmerait ce sévère jugement sur les Confessions, ce sont les propres
paroles de l’auteur au début du livre : « Je veux montrer à mes semblables, écrit
Rousseau, un homme dans toute la vérité de la nature, et cet-homme ce sera moi.
Moi seul, je sens mon cœur, et je connais les hommes. J’ai dévoilé mon intérieur
tel que tu l’as vu, ô Eternel. Que chacun de mes semblables se découvre à son tour
au pied de ton trône avec la même sincérité, et puis qu’un seul te dise, s’il ose : Je
fus meilleur que cet homme-là ! »
Un concitoyen de Rousseau, Jean Senebier, nous semble avoir porté sur les
Confessions une critique aussi vraie qu’elle est laconique ; il affirme que ce livre
est à la fois le plus attrayant et le plus dangereux de l’auteur. Il ajoute que les amis
de ce dernier eussent mieux fait de renoncer à cette publication, qui fait du tort à sa
mémoire. Oui, sans doute ; mais il n’en reste pas moins vrai que, sans les
Confessions, nous n’aurions pas Rousseau tout entier ; car si ce livre diminue
l’homme à nos yeux, l’écrivain nous apparaît plus complet et d’un mérite plus
grand.
Les Confessions furent publiées en 1782, quatre ans après la mort de Rousseau ;
puis parurent les Rêveries et les Dialogues, qui trouvèrent aussi beaucoup d’écho
dans la jeune génération d’alors, surtout auprès des femmes.
Les écrits de J.-J. Rousseau ont passionné la seconde moitié du XVIIIe siècle, et
ont joui dans le nôtre d’une ferveur qui est loin d’être épuisée. Leur succès
provient presque autant des défauts de l’écrivain que de ses qualités. La langue de
Rousseau est souvent gênée ; chaude et colorée, elle prend trop fréquemment une
allure emphatique et déclamatoire.
Son style n’a pas la transparence et l’heureuse régularité des meilleurs écrivains
français ; mais ce qu’il possède à un plus haut degré que ceux-ci, c’est la
nouveauté des tours, l’imprévu des formes, l’énergie, l’enthousiasme et la mâle
éloquence. Il écrivait péniblement et châtiait beaucoup sa diction ; il a pris soin du
reste de nous le dire avec sa franchise habituelle : «Mes manuscrits raturés,
barbouillés, mêlés, indéchiffrables, attestent la peine qu’ils m’ont coutée. »