Les contraires de la laïcité
L’historien René Rémond cerne la signification politique de la laïcité à partir de ses
contraires, faisant apparaître par contraste le caractère à la fois libéral et égalitaire de la
laïcité. Cette méthode d’approche lui permet de distinguer le régime juridique de laïcité de
celui de tolérance, tel qu’il a prévalu en Angleterre, par exemple, jusqu’en 1829, qui peut
s’accommoder notamment du maintien de l’inégalité entre fidèles des diverses confessions.
Si la laïcité n’a longtemps eu en France qu’un seul adversaire, le cléricalisme de l’Église
catholique et sa volonté de régenter la société, elle connaît aujourd’hui, au terme,
momentanément provisoire, d’une histoire déjà longue, une pluralité de contraires. La
description de leurs contours dessine en creux l’espace qui appartient en propre à la laïcité.
(…) La laïcité implique que la religion individuelle échappe à la contrainte politique et au
contrôle de la société civile et relève exclusivement du for interne : la foi doit être une affaire
personnelle et non pas une affaire d’État, ce qui suppose la reconnaissance d’un minimum de
vie privée soustrait à l’autorité. La laïcité a donc pour contraire tout système qui aspire à
fondre l’individu dans la collectivité et toutes les théories qui fondent l’unité du corps social
et de la nation sur l’unité de pensée et de foi. Elle se trouve ipso facto en contradiction avec
plusieurs types de société qui n’admettent pas le partage entre vie privée et vie publique, ni
l’exercice d’un jugement critique.
Circonstanciellement, la laïcité a rencontré comme ses premiers contraires les sociétés
européennes d’Ancien Régime qui tenaient presque toutes l’unité de foi pour une condition
indispensable de l’unité politique ; presque toutes auraient pu faire leur la devise de la
monarchie française : un roi, une foi, une loi. Il était admis comme une évidence que les sujets
devaient adhérer à la religion du prince autant par loyalisme que par conviction ; le prince
changeait-il de religion, ses sujets devaient le suivre : ce qui se fit au temps de la Réforme.
Ceux de ses sujets qui avaient la mauvaise idée d’embrasser une autre confession n’étaient
pas seulement non conformistes, c’étaient aussi des dissidents politiques, de mauvais sujets
pour tout dire, qui manquaient à leurs devoirs envers le monarque. Ce système de pensée où
les principes politiques ont au moins autant de part que la préoccupation de rendre justice à la
vérité de la religion a inspiré par exemple la révocation de l’édit de Nantes sous le régime
duquel la France avait fait pendant trois quarts de siècle l’expérience d’une certaine pluralité
confessionnelle : il explique aussi le concert d’éloges qui salua l’édit de révocation ; les
contemporains y ont vu la restauration de l’unité de foi et donc un succès pour la Couronne.
Certes, sous l’influence du mouvement des idées philosophiques et aussi par nécessité de
prendre en compte certaines réalités – l’édit de Nantes en étant une illustration – en plusieurs
États s’était peu à peu instaurée une certaine liberté de conscience qui entraînait l’acceptation
de la pluralité des confessions. Ainsi Voltaire dispense de grands éloges dans ses Lettres
philosophiques à l’Angleterre où vivent en paix dix ou vingt confessions différentes. Depuis
longtemps les esprits libres qui se refusaient à faire dépendre leurs convictions religieuses de
la décision de l’État avaient trouvé refuge aux Provinces-Unies et plus d’un souverain avait
vu son intérêt à accueillir dans ses État des minorités religieuses chassées de leur pays. La
tolérance, pour désigner cet état d’esprit par son nom, avait introduit dans l’Europe d’Ancien
Régime une dose de pluralité et dégagé un espace pour une certaine liberté de conscience.
Mais, si elle y dispose les esprits et aménage un régime intermédiaire, la tolérance n’est pas la
laïcité : elle s’accommode du maintien de l’inégalité entre fidèles des diverses confessions.
Ceux-là seulement qui adhèrent à l’Église officielle, qui partagent la religion de l’État, sont
des sujets à part entière ; les autres restent frappés de certaines incapacités. Ils ne jouissent pas
de la plénitude des droits civils et moins encore politiques ; ils restent des minorités, tout au
plus tolérées. Et ce, même dans les pays réputés les plus libéraux. Ainsi dans l’Angleterre,
dont les publicistes n’avaient pas tort de louer la tolérance, ceux qui n’appartenaient pas à
l’Église d’Angleterre étaient privés de la plupart des droits : pas question pour eux d’être
électeurs, moins encore éligibles. C’était le cas des dissidents et plus encore des catholiques
qui devront attendre quarante ans après la déclaration française des droits de l’homme et du
citoyen – proclamant que nul ne pouvait être inquiété même pour ses opinions religieuses –
leur émancipation : le terme dit bien ce qu’il en était : jusqu’en 1829 les catholiques étaient
mineurs. (…)
La laïcité, c’est aussi l’égalité de tous devant la loi, quelle que soit leur religion ; c’est la
neutralisation du fait religieux pour la définition des droits ; il ne doit intervenir ni à
l’avantage des uns ni au détriment des autres ; c’est le découplage de l’appartenance
religieuse et de l’appartenance politique, la dissociation entre citoyenneté et confessionnalité.
Ni l’État ni la société ne doivent prendre en compte les convictions religieuses des individus
pour déterminer la mesure de leurs droits et de leurs libertés.
René RÉMOND, « La laïcité et ses contraires », Pouvoirs, n° 75, Seuil, 1995, pp. 7-9.
Le mot « laïcité » se pare souvent de sens variables selon l’usage et la personne qui l’utilise. Il
n’en a pourtant qu’un seul. Selon le Petit Robert, la laïcité est le “principe de séparation de la
société civile et de la société religieuse, l’État n’exerçant aucun pouvoir religieux et les
Églises aucun pouvoir civil”.
Cette définition est facile à comprendre. Toutefois, certains préfèrent voir dans la laïcité
l’expression de l’athéisme ou de l’agnosticisme, ou même le rejet de la religion. Or, rien n’est
moins exact. En séparant clairement le pouvoir civil du pouvoir religieux, la laïcité permet
l’égalité de tous devant la loi. Cette égalité garantissant la liberté de chacun d’adhérer aux
idées, convictions ou croyances de son choix.
La laïcité est le principe humaniste qui fonde le régime des libertés et des droits humains sur
l’impartialité du pouvoir civil démocratique dégagé de toute ingérence religieuse.
Il oblige l’État de droit à assurer l’égalité, la solidarité et l’émancipation des citoyens par la
diffusion des savoirs et l’exercice du libre examen.
Comme dit l’adage: la laïcité n’est pas une opinion, c’est la
liberté d’en avoir une.
Lucia de Brouckère assignait ainsi à la laïcité l’objectif de construire une société juste,
progressiste et fraternelle. Une société qui puisse assurer à chacun la liberté de la pensée et
de son expression par l’adoption du libre examen comme méthode de pensée et d’action en
dehors de tout dogme. La laïcité, c’est aussi et surtout une posture humaniste, ouverte,
basée sur l’émancipation de l’individu qui va faire ses emplettes, ses choix, précisément à
partir des outils que lui procure l’autonomie.
Le principe de laïcité a pour corollaire de garantir à tous une vie digne et l’accès aux outils
qui permettent l’autonomie des consciences et des choix. Au lieu de se satisfaire d’une
égalité abstraite, le mouvement laïque poursuit des égalisations fondées sur l’instruction et
revendique prioritairement le respect des personnes et la libre rencontre des idées.
Le défi consiste à passer du règne des communautarisations à celui de l’universalisme dans le
respect de la diversité et du vivre ensemble.
Seul un humanisme universaliste, laïque, permettra demain le “vivre-libre-ensemble”.
La laïcité qui autorise le débat, jusqu’au blasphème, dans le respect absolu de la personne
humaine, apparaît comme une condition de survie de l’humanité. Il nous appartient d’œuvrer
pour une approche transversale de la vie en société, pour le “construire ensemble”.
Dans l’idéal laïque, il y a de la place pour la liberté et la diversité, pour des options, pour des
idéologies, pour des partis…
LES 3 PRINCIPES DE LA LAICITE
La laïcité repose sur trois principes : la liberté de conscience et celle de manifester ses
convictions dans les limites du respect de l'ordre public, la séparation des institutions
publiques et des organisations religieuses, et l'égalité de tous devant la loi quelles que soient
leurs croyances ou leurs convictions.