2004 271 Janvier Aubailly p.36
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pratiques
Parmi les molécules absorbant la lumière UV ou visible, doubles liaisons conjuguées (liaisons π). L’émission de
certaines ont la propriété de réémettre une partie de l’énergie fluorescence se produit selon le mécanisme qui suit.
absorbée sous forme de lumière de plus grande longueur L’absorption de lumière provoque le passage d’un électron
d’onde, c’est le phénomène de fluorescence moléculaire. Ce de la plus haute orbitale moléculaire occupée (HO),
processus est souvent décrit dans les manuels de chimie généralement de type π, vers la plus basse orbitale
physique et de chimie organique du 2e cycle universitaire et moléculaire vide (BV), généralement de type π*. La molécule
les ouvrages traitant de manière détaillée ses aspects passe ainsi d’un état fondamental d’énergie électronique E0
théoriques sont assez faciles à trouver. Par contre, (au niveau d’énergie vibrationnelle le plus bas) à un état
l’application de la fluorescence à l’analyse chimique est plus excité d’énergie électronique E1 (sur un niveau d’énergie
rarement abordée et les documents de langue française vibrationnelle quelconque). La molécule revient ensuite sur le
traitant cet aspect sont peu nombreux à notre connaissance niveau vibrationnel le plus bas de l’état excité par perte
[1-2]. Souvent ils resteront insuffisants pour comprendre la d’énergie thermique (désactivation non radiative), puis
méthodologie de travail suivie et trouver les conditions revient sur un niveau vibrationnel quelconque de l’état
correctes de mise en œuvre d’un dosage fluorimétrique. fondamental, soit par perte d’énergie thermique, soit par
Le but de cet article est de présenter de manière émission d’énergie lumineuse (hνF), appelée fluorescence.
expérimentale les propriétés de base de la fluorescence Ces processus sont résumés sur le diagramme simplifié de
moléculaire et d’illustrer son application par l’analyse d’une la figure 1 (diagramme dit de Jablonski).
spécialité pharmaceutique. Il s’adresse avant tout aux
techniciens chimistes ou biochimistes, et éventuellement
aux pharmaciens et ingénieurs qui n’auraient pas reçu de
formation expérimentale à cette technique d’analyse. Il
pourra également intéresser les enseignants de TP de
l’université.
Les manipulations qui suivent sont effectuées pour
l’essentiel dans les licences professionnelles de « chimie
analytique » et « protection de l’environnement (option
traitement et analyse de l’eau) » à l’IUT d’Orsay (université
Paris 11), dans une séance de TP de 5 heures. Cette durée
est modulable en fonction de l’appareillage, du nombre
d’étudiants et selon que la présentation de la technique et
la rédaction du compte rendu sont incluses ou non dans
la séance. On peut aussi ne faire qu’une partie des
manipulations proposées.
Figure 1 - Diagramme dit de Jablonski.
La fluorescence et son application L’inégalité hνF < hνA entraîne que λF > λA : le spectre de
à l’analyse chimique fluorescence est déplacé vers les grandes longueurs d’onde
par rapport au spectre d’absorption (déplacement de
L’émission de fluorescence Stokes).
La fluorescence est produite principalement par des L’existence de deux mécanismes de perte d’énergie de l’état
molécules organiques, possédant un grand nombre de excité conduit à définir un rendement quantique de
fluorescence φF. Il est égal au rapport entre le nombre de La lumière excitatrice, fournie par la source au xénon,
photons émis et le nombre de photons absorbés, et donc traversant un monochromateur avant d’arriver sur
compris entre 0 et 1. Les molécules les plus fluorescentes l’échantillon, est donc sensiblement monochromatique de
(fluorescéine, rhodamine B) ont des rendements proches de longueur d’onde λo. L’intensité de fluorescence IF est donc
l’unité. Notons que pour un composé donné, en solution une fonction de λo selon la relation :
aqueuse, φF peut dépendre du pH.
IF(λo) = 2,3 φF Io (λo) ε (λo) c
Dispositif expérimental Le spectre d’excitation est la représentation des variations
de IF avec λo (il traduit en quelque sorte l’efficacité de λo à
En général, la solution étudiée est placée dans une cuve de produire la fluorescence). Il ne sera identique au spectre
quartz parallélépipédique de section carrée (1 cm x 1 cm). d’absorption (donné par ε) que dans un domaine où Io (λo)
La lumière fournie par une lampe au xénon traverse un varie peu.
monochromateur dit d’excitation et arrive sur la cuve avec
une intensité Io. L’échantillon émet alors une fluorescence Quelques travaux pratiques
dans toutes les directions. Celle-ci est observée perpendicu-
lairement à l’excitation pour ne pas être gêné par la lumière
de base illustrant les propriétés
incidente transmise dont l’intensité It est beaucoup plus de la fluorescence et son application
intense. Après passage dans un monochromateur dit à l’analyse chimique
d’émission, elle est mesurée par un photomultiplicateur.
On aboutit au schéma de principe de la figure 2. Pour cette étude, nous utiliserons l’acide salicylique (acide
2-hydroxybenzoïque) et nous terminerons par son dosage
dans une spécialité pharmaceutique.
Produits et matériels
- Spectrofluorimètre Biotek Kontron SFM 25, équipé de
cuves en quartz pour fluorescence,
- Spectrophotomètre UV-visible,
- Balance de précision à 0,1 mg,
- Béchers de 50 mL,
- Fioles jaugées de 20 mL et 50 mL,
- Pipettes graduées de 1 mL et de 1 mL graduée tous les
0,01 mL (ou mieux micropipette à piston de volume réglable
entre 200 µL et 1 000 µL),
- Acide salicylique 99 % (toxique), 9,6 ¼ les 100 g,
Figure 2 - Dispositif expérimental. - Tampon phosphate pH = 7,00,
- Éthanol,
- Synthol®, 4,5 ¼ les 225 mL (en pharmacie).
Intensité de fluorescence et concentration
Par définition du rendement quantique de fluorescence φF, Spectre d’absorption moléculaire
l’intensité de fluorescence IF est proportionnelle à l’intensité
absorbée IA. On prépare d’abord une solution mère d’acide salicylique de
concentration 10-2 mol.L-1 dans l’eau permutée (ou mieux
IF = φF IA = φF (Io - It)
distillée). Sachant que M = 138 g.mol-1, on pèse 69 mg
D’après la loi de Beer Lambert, It = Io.10-ε c d’acide salicylique, on ajoute 1 mL d’éthanol pour dissoudre
avec ε c = A (absorbance), l’ensemble, puis 20 mL d’eau chaude. On laisse refroidir et
ε (mol-1.L.cm-1) : coefficient d’extinction molaire, on complète à 50 mL avec de l’eau dans une fiole jaugée. A
(cm) : trajet optique, partir de cette solution mère, on prépare une solution Fo
c (mol.L-1) : concentration molaire, 2.10-4 mol.L-1 dans un tampon phosphate de concentration
d’où IF = φFIo (1 - 10-ε c) 0,01 mol.L-1 (pH = 7,0). Le spectre d’absorption (figure 3)
Pour des solutions très diluées, 10-ε c = e-2,3ε c ≅ 1- 2,3 ε c montre un maximum à 295 nm (A ≅ 0,74) pour la première
d’où IF = 2,3 φF Io ε c bande, ce qui conduit à choisir une longueur d’onde située
Cette linéarité avec la concentration est observée en prati- dans cette zone pour produire (ou exciter) la fluorescence.
que pour des absorbances faibles, soit A ≤ 0,05 (cf [3] et
ci-après). L’intensité de fluorescence est donc proportion- Spectre d’émission de fluorescence
nelle à la concentration c de la molécule fluorescente d’où
l’application à l’analyse chimique. Les lampes utilisées en Pour être dans les conditions de linéarité de l’intensité de
fluorescence (lampe au xénon de 150 W le plus souvent) fluorescence avec la concentration, soit A ≤ 0,05, préparer
sont environ 100 fois plus puissantes que les lampes au une solution 10-5 mol.L-1 d’acide salicylique dans le tampon
deutérium utilisées pour l’absorption [4]. Ainsi, l’utilisation de phosphate 0,01 mol.L-1. Tracer deux spectres d’émission,
sources lumineuses puissantes (Io élevé) permet de mesurer l’un après excitation à 310 nm et l’autre après excitation
des concentrations bien plus faibles que celles déterminées à 290 nm. Dans cette opération, le monochromateur
par spectrophotométrie d’absorption : on peut atteindre d’excitation est fixe et c’est le monochromateur d’émission
ainsi, selon les composés, des concentrations de 2 à qui travaille. Qu’observe-t-on sur les spectres obtenus
10 µg.L-1 (ou ppb) [4], soit de l’ordre de 10-8 mol.L-1. figure 4 ?
Figure 3 - Spectre d’absorption ( ) de l’acide salicylique de Figure 4 - Spectres d’émission de fluorescence de l’acide
concentration 2,10-4 mol.L-1 (cuve d’épaisseur 1 cm). Spectres salicylique 10-5 mol.L-1 ( λexc = 290 nm, λexc =
d’excitation de fluorescence de l’acide salicylique 10-5 mol.L-1 310 nm). Milieu tampon phosphate pH = 7.
( λém = 400 nm, λém = 430 nm). Intensités de
fluorescence en unités arbitraires (u.a.). Milieu tampon phosphate
pH = 7. que la lumière incidente), soit avec une énergie plus faible
(c’est la diffusion Raman de longueur d’onde plus petite que
- Ils ont les mêmes caractéristiques (maximum à 409 nm et la lumière incidente). Dans ce dernier cas, la molécule d’eau
largeur à mi-hauteur de 57 nm). La forme du spectre de a absorbé une partie de l’énergie du photon incident qui
fluorescence ne dépend donc pas du choix de la longueur apparaît sous forme d’énergie vibrationnelle de la liaison OH.
d’onde d’excitation. Cette propriété est caractéristique de la Ceci conduit à la relation :
présence d’un composé fluorescent unique (différence avec hνRayleigh - hνRaman = hνOH
un mélange ou avec la diffusion, voir ci-après). Ce résultat
soit 1/λRayleigh - 1/λRaman = σOH
est tout à fait en accord avec le diagramme énergétique de
Jablonski dans lequel l’émission se fait toujours à partir du Tracer les spectres de diffusion après excitation à 290 nm et
niveau vibrationnel le plus bas de l’état excité. 310 nm par exemple (figure 5).
- On vérifie bien que le spectre d’émission de fluorescence
est déplacé vers les grandes longueurs d’onde par rapport
au spectre d’absorption.