Acta fabula
Revue des parutions
vol. 14, n° 5, Juin-Juillet 2013
DOI : https://doi.org/10.58282/acta.7923
Les didascalies : les cas de Koltès & de
Beckett
Vlad Dobroiu
André Petitjean, Études linguistiques des didascalies, Limoges :
Éditions Lambert-Lucas, coll. « Linguistique », 2012, 120 p.,
EAN 9782359350562.
Pour citer cet article
Vlad Dobroiu, « Les didascalies : les cas de Koltès & de Beckett »,
Acta fabula, vol. 14, n° 5, Notes de lecture, Juin-Juillet 2013, URL :
https://www.fabula.org/revue/document7923.php, article mis en
ligne le 05 Juin 2013, consulté le 06 Octobre 2024, DOI : 10.58282/
acta.7923
Ce document a été généré automatiquement le 06 Octobre 2024
Les didascalies : les cas de Koltès & de Beckett
Les didascalies : les cas de Koltès & de Beckett
Vlad Dobroiu
Les Éditions Lambert-Lucas ont gagné un certain renom dans les dernières années
en publiant des œuvres classiques, des actes de colloques et des thèses dans le
domaine de la linguistique. Un livre comme celui d’André Petitjean, Études
linguistiques des didascalies, s’intègre parfaitement dans la série des volumes parus
chez cet éditeur. Professeur émérite à l’Université de Lorraine, A. Petitjean propose
ici d’entrer plus en détail dans l’analyse des didascalies et réserve une bonne partie
du volume à la mise à l’épreuve de ses théories dans le théâtre de deux
dramaturges consacrés, soit Bernard-Marie Koltès et Samuel Beckett.
Études linguistiques des didascalies fait appel tantôt aux instruments de l’investigation
linguistique, tantôt aux outils de l’analyse théâtrale. L’auteur s’adresse ainsi à un
public de linguistes, mais aussi de littéraires. Il faut noter la grande accessibilité des
analyses, permise par des informations structurées, des explications bien formulées
et une manière simple de présenter la théorie.
Dans l’avant-propos, l’auteur résume l’évolution du statut des didascalies et
présente le fil rouge des quatre premiers chapitres théoriques et des deux derniers
chapitres, restreints au théâtre de Koltès et de Beckett. Il annonce également les
principaux objectifs du volume : d’abord de rouvrir la discussion autour des
définitions des didascalies — « car elles sont démenties par les pratiques des
dramaturges ou des metteurs en scène contemporains » (p. 8) — et ensuite
d’approfondir « les descriptions linguistiques de la textualité didascalique » (ibid.).
Principes généraux des didascalies
Étant donné que le texte dramatique est composé, en général, de deux couches
textuelles, soit les didascalies et les dialogues, A. Petitjean se propose dans un
premier temps de distinguer les diverses façons de faire référence aux didascalies :
« texte didascalique », « discours didascalique », « écriture didascalique », « voix
didascalique », « genre didascalique » et encore « style didascalique » auraient
cependant comme propriétés communes la forme graphique, la place, le mode
énonciatif, le contenu et la fonction. Cette approche terminologique, très utile,
décrit les multiples perspectives construites autour de la notion de « didascalie », ce
Acta fabula, vol. 14, n° 5, 2013
© Tous les textes et documents disponibles sur ce site, sont, sauf mention contraire, protégés par une licence Creative Common.
Les didascalies : les cas de Koltès & de Beckett
qui permet à l’auteur d’en rappeler certains spécialistes1. On pourrait ajouter à cette
liste, bien que représentative des recherches concernant les didascalies, deux
études intéressantes qui ne sont pas mentionnées par A. Petitjean, soit celle de
Jeannette Laillou Savona intitulée « Narration et actes de paroles dans le texte
dramatique2 », ou encore celle de Lynda Burgoyne, « La didascalie omnisciente ou la
perversion du faire théâtral3 ».
Dans un deuxième temps, l’auteur effectue une classification des didascalies en
fonction de la nature de la voix qui s’y exprime et également de son destinataire. Il
distingue ainsi les didascalies appartenant à l’auteur dramatique de celles
provenant d’un « didascale », dont le statut serait similaire à celui du narrateur dans
l’univers romanesque. Les premières peuvent remplir deux fonctions — diégétique
(forme assertive) ou scénique (forme injonctive) — et représentent une sorte de
commentaire fait par l’auteur vis‑à‑vis de l’action dramatique. Elles passent pour
« sérieuses », par rapport au statut fictif des dialogues, et possèdent un style
« impersonnel », c’est-à-dire différent des idiolectes des personnages. Le second
type de didascalie n’a pas pour but de référer, mais plutôt de suggérer : les
fonctions remplies sont d’ordre poétique ou expressif. Ces didascalies se
caractérisent en effet par une certaine stylisation qui peut impliquer la présence
d’un « je » locuteur/énonciateur, ou plus précisément d’une instance présentant les
événements et ayant accès à l’intériorité des personnages. Dans la conclusion de ce
chapitre, A. Petitjean remarque la possibilité d’un mélange des deux couches
textuelles qui composent la fiction dramatique sous sa forme écrite — un
phénomène présent surtout dans les productions qui essayent de se situer en
dehors des normes imposées historiquement :
En fait, un grand nombre de pièces abolissent les frontières entre les dialogues et
les didascalies (didascalisation des dialogues et dialogisation des didascalies) à
l’aide de procédés divers : inversion typographique entre les dialogues (en italique)
et les didascalies (en romain) chez Claudel (Le Soulier de satin) ; intégration des
dialogues dans les didascalies chez Minyana (Pièces) ; didascalies qui complètent
les dialogues, les remplacent ou y répondent (ex. Kane dans Purifiés). (p. 21)
Dans le troisième chapitre, « Les didascalies spatio-temporelles », l’auteur propose
quelques principes généraux de la textualité dramatique afin d’expliquer le
fonctionnement de ce type de didascalie. Il rappelle d’abord que, tout comme les
conversations ordinaires, les dialogues dramatiques sont inscrits dans un cadre
situationnel et dans un contexte, partagés par les personnages de l’univers de
fiction et connus par le lecteur principalement à travers les didascalies. La double
1
2
3
Acta fabula, vol. 14, n° 5, 2013
© Tous les textes et documents disponibles sur ce site, sont, sauf mention contraire, protégés par une licence Creative Common.
Les didascalies : les cas de Koltès & de Beckett
dialogie des dialogues est ainsi mise en évidence : d’un côté, une dialogie interne,
c’est-à-dire les dialogues entre les personnages ; de l’autre, une dialogie externe,
autrement dit les dialogues entre le dramaturge et le lecteur. A. Petitjean souligne
encore un autre aspect important des didascalies, et tout particulièrement des
spatio-temporelles, soit qu’elles informent le lecteur en lui permettant de
connaître l’époque à laquelle la fiction dramatique a été écrite, le genre théâtral
auquel elle appartient, voire son auteur lui-même.
A. Petitjean décrit et analyse, ensuite, les formes et les fonctions des didascalies
spatio-temporelles. Elles peuvent « configurer le macro-contexte des
dialogues » (p. 25), « délimiter des sous-espaces englobés et [établir] le calendrier
du récit » (p. 26) et décrire « les chronotopes restreints, c’est‑à‑dire le cadre
pragmatique mimétique dans lequel les personnages produisent leur
énonciation » (p. 27).
Les didascalies gestuelles constituent l’objet du quatrième chapitre. L’analyse suit la
dichotomie existant entre les didascalies diégétiques et les didascalies scéniques.
Les premières sont adressées au lecteur et visent à caractériser indirectement les
personnages et à établir les paramètres énonciatifs des dialogues dramatiques. Les
secondes fonctionnent comme des prescriptions destinées aux praticiens de la
scène et fournissent des renseignements sur les possibles représentations. Comme
les données paraverbales et non verbales représentent le co-texte des dialogues,
A. Petitjean fait appel à des instruments de la pragmatique interactionniste (par
exemple, les rôles des « relationèmes » dans la construction du système des places)
pour souligner, encore une fois, que malgré les différences existantes entre les
interactions orales et les dialogues dramatiques, ces derniers relèvent
incontestablement d’une énonciation mimétique. En conséquence, il affirme que les
interactions d’une pièce de théâtre peuvent comporter des informations sur le non
verbal :
Certes, comme je l’ai dit précédemment, il ne faudrait pas sous-estimer les
différences entre les interactions orales et les dialogues théâtraux. Néanmoins,
dans la mesure où le théâtre relève d’une énonciation mimétique, il est indéniable
que les didascalies ont pour fonction de contribuer à la production des énoncés
verbaux assumés par les personnages. Comme le soulignait E. Goffman
1981/1987, il convient de distinguer, même s’il n’est pas toujours aisé de le faire
compte tenu des synergies systémiques entre le verbal et le non-verbal, gestes
praxiques et gestualité communicationnelle. (p. 37)
Les gestes praxiques n’ont aucune connexion avec le flux verbal puisqu’ils se
définissent comme des gestes conventionnels, capables de remplacer la parole. En
opposition à ceux-ci, les gestes communicationnels, ou coverbaux, apportent un
supplément de précision concernant l’expression verbale, dans laquelle ils
Acta fabula, vol. 14, n° 5, 2013
© Tous les textes et documents disponibles sur ce site, sont, sauf mention contraire, protégés par une licence Creative Common.
Les didascalies : les cas de Koltès & de Beckett
s’intègrent intimement. Quant aux fonctions des didascalies posturo-mimo-
gestuelles, elles peuvent servir à structurer les dialogues, à exprimer les émotions
(surtout les émotions primaires comme la peur, la joie, la surprise, etc.) ou encore à
décrire les personnages et leurs rapports.
Les stylèmes de Koltès & de Beckett
Dans la deuxième partie de son livre, A. Petitjean se penche sur les didascalies
posturo-mimo-gestuelles en tant que stylèmes caractéristiques de styles collectifs et
en tant que stylèmes spécifiques à un auteur.
« Du style didascalique de Bernard-Marie Koltès » est le titre du pénultième
chapitre, où l’auteur montre l’existence des stylèmes de littérarité générique
identifiables chez Koltès et des stylèmes de littérarité singulière qui caractérisent
son style, particulièrement dans Carnets de combat de nègre et de chiens et Pour
mettre en scène « Quai ouest ».
Les stylèmes de littérarité générique, explique A. Petitjean, sont les traits de style
générique, autrement dit les conventions inhérentes à l’écriture dramatique,
comme la didascalie spatio-temporelle placée avant la liste des personnages qui
établit le contexte général de la pièce de théâtre. Les stylèmes de littérarité
singulière sont quant à eux les traits caractéristiques récurrents chez un même
dramaturge. Pour A. Petitjean, « la dramaturgie de Koltès repose sur une paralipse
généralisée, à quoi [s’ajoute] une instabilité ontologique du monde
représenté » (p. 63). L’auteur complète cette caractérisation en observant la
fonction référentielle et métaphorique de l’espace koltésien, la prédilection pour la
saisie auditive, la présence des didascalies méta-enoncives « dont le contenu réfère
aux indications portant sur la voix » (p. 66) et enfin l’absence quasi-générale de la
psychologisation des personnages. Cependant, il faut ajouter à ces observations
que l’idiolecte de Koltès en matière de didascalie a changé constamment d’une
époque à l’autre. Si dans les pièces de jeunesse il a fréquemment recours aux
didascalies, et surtout à celles à fonction scénique, dans ses pièces de maturité, il
préfère les didascalies narratives et descriptives — d’où l’effet de romanisation des
didascalies. Une autre tendance du dramaturge dans ses dernières pièces de
théâtre est la suppression radicale des didascalies, comme c’est le cas dans La Nuit
juste avant les forêts ou dans la pièce Dans la solitude des champs de coton.
Les visées du dernier chapitre, « Le système didascalique dans En attendant Godot
de Samuel Beckett » sont similaires à celles du chapitre précédent, c’est-à-dire de
montrer l’existence de stylèmes de littérarité générique et de stylèmes singuliers.
A. Petitjean analyse ainsi le style de Beckett pour proposer plusieurs classifications
Acta fabula, vol. 14, n° 5, 2013
© Tous les textes et documents disponibles sur ce site, sont, sauf mention contraire, protégés par une licence Creative Common.
Les didascalies : les cas de Koltès & de Beckett
des didascalies, à partir de leur portée et de leur rôle par rapport aux répliques ou à
leur énonciation. De plus, en partant de la théorie proposée par Thierry Gallèpe
dans Didascalies. Les mots de la mise en scène, A. Petitjean étudie les contenus et les
fonctions des didascalies méta-énoncives, méta-interactionnelles, méta-
situationnelles et des didascalies techniques présentes dans la pièce de Beckett. En
principe, les didascalies appartenant aux trois premières catégories peuvent remplir
plusieurs fonctions, comme celles de nommer, d’indiquer et de décrire les
personnages en interaction ; de « préciser les conditions d’énonciation des
dialogues et […] contribuer à leur structuration comme à leur
développement » (p. 82) ; de préciser l’état mental et émotionnel du participant à
l’interaction au moment de la profération, voire d’offrir sur lui des informations non
verbales et paraverbales ; ou encore d’apporter des précisions sur le cadre de
l’histoire. Quant aux didascalies faisant partie à la dernière catégorie, leur rôle est
de formuler les conditions d’énonciation des dialogues, offrant ainsi des
prescriptions pour les futures mises en scène.
Quant aux stylèmes caractéristiques de Beckett, A. Petitjean identifie « le silence » et
nombre d’autres concepts synonymes, comme « la pause ». Il observe encore la
déconstruction des « conventions théâtrales par une mise en abyme du spectacle
lui-même » (p. 88), l’attention particulière aux informations concernant le regard, la
voix des personnages (l’intensité, le débit, le rythme, le ton ou la diction) et la
prédilection pour le pantomime. De plus, il remarque que le dramaturge fait appel à
un grand nombre de didascalies qui se trouvent parfois en désaccord avec les
répliques des personnages, comme dans la scène où Estragon propose à Vladimir
de s’en aller : Vladimir acquiesce, mais ni l’un ni l’autre ne bouge.
***
André Petitjean, en conclusion, souligne que les didascalies ne sont pas du tout
« secondaires » par rapport aux dialogues. Pour lui, la définition et la délimitation
des didascalies restent encore problématiques, surtout en ce qui concerne
l’interférence et la contamination entre le dialogue et le didascalique. L’importance
de ce livre est évidente pour l’avancée des études sur les didascalies et leur
fonctionnement, en ce qu’elles sont encore considérées par nombre de linguistes et
littéraires comme des éléments de « texte secondaire » dans les définitions sujettes
à interprétations, voire insuffisantes, données dans les dictionnaires de critique
littéraire ou de termes littéraires.
Acta fabula, vol. 14, n° 5, 2013
© Tous les textes et documents disponibles sur ce site, sont, sauf mention contraire, protégés par une licence Creative Common.
Les didascalies : les cas de Koltès & de Beckett
PLAN
• Principes généraux des didascalies
• Les stylèmes de Koltès & de Beckett
AUTEUR
Vlad Dobroiu
Voir ses autres contributions
Courriel : dobroiuvlad@yahoo.com
Acta fabula, vol. 14, n° 5, 2013
© Tous les textes et documents disponibles sur ce site, sont, sauf mention contraire, protégés par une licence Creative Common.