Titre original : SCUM Manifesto
Couverture : Cédric Parisot
           www.fayard.fr/1001-nuits
            © Valerie Solanas, DR.
             © Mille et une nuits,
 département de la Librairie Arthème Fayard,
mai 1998 – février 2021 pour la présente édition.
          ISBN : 978-2-755-50806-2
                               SOMMAIRE
Couverture
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SCUM Manifesto
Repères biographiques
Postface, par Lauren Bastide
                      SCUM
                    MANIFESTO
Presentation of the rationale and program of action of SCUM (Society for
Cutting Up Men), which will eliminate through sabotage all aspects of society
not relevant to women (everything), bring about a complete female take-over,
completely automate, eliminate the male sex and begin to create a far-out, funky
female world.
                            by
                     VALERIE SOLANAS
         This is the CORRECT Valerie Solanas edition
                Copyright o 1967 by Valerie Solanas
   Vivre dans cette société, c’est au mieux y mourir d’ennui. Rien dans
cette société ne concerne les femmes. Alors, à toutes celles qui ont un
brin de civisme, le sens des responsabilités et celui de la rigolade, il ne
reste qu’à renverser le gouvernement, en finir avec l’argent, instaurer
l’automation à tous les niveaux et supprimer le sexe masculin.
  Grâce au progrès technique, on peut aujourd’hui reproduire la race
humaine sans l’aide des hommes (ou d’ailleurs sans l’aide des
femmes) et produire uniquement des femmes ; conserver le mâle n’a
même pas la douteuse utilité de permettre la reproduction de l’espèce.
   Le mâle est un accident biologique ; le gène Y (mâle) n’est qu’un
gène X (femelle) incomplet, une série incomplète de chromosomes. En
d’autres termes, l’homme est une femme manquée, une fausse couche
ambulante, un avorton congénital. Être homme c’est avoir quelque
chose en moins, c’est avoir une sensibilité limitée. La virilité est une
déficience organique, et les hommes sont des êtres affectivement
infirmes. L’homme est complètement égocentrique, prisonnier de lui-
même, incapable de partager, ou de s’identifier à d’autres ; inapte à
l’amour, à l’amitié, à l’affection, la tendresse. Cellule complètement
isolée, incapable d’établir des relations avec qui que ce soit, ses
enthousiasmes ne sont pas réfléchis, ils sont toujours animaux,
viscéraux, son intelligence ne lui sert qu’à satisfaire ses besoins et ses
pulsions. Il ne connaît pas les passions de l’esprit ni les échanges
mentaux ; il ne s’intéresse qu’à ses petites sensations physiques. Il
n’est qu’un mort-vivant, un tas insensible, et pour ce qui est du plaisir
et du bonheur, il ne sait ni en donner ni en recevoir. Au mieux de sa
forme, il ne fait que distiller l’ennui, il n’est qu’une bavure sans
conséquence, puisque seuls ont du charme ceux qui savent s’absorber
dans les autres. Emprisonné dans cette zone crépusculaire qui s’étend
des singes aux humains, il est encore beaucoup plus défavorisé que les
singes parce que, au contraire d’eux, il présente tout un éventail de
sentiments négatifs – haine, jalousie, mépris, dégoût, culpabilité,
honte, blâme, doute – pis encore, il est pleinement conscient de ce
qu’il est et de ce qu’il n’est pas.
   Bien qu’il ne soit qu’un corps, l’homme n’est même pas doué pour
la fonction d’étalon. à supposer qu’il possède une compétence
purement technique – bien rare en vérité –, on ne peut déceler aucune
sensualité, aucun humour dans sa façon de s’envoyer en l’air. Quand
ça lui arrive, il culpabilise, il est dévoré de honte, de peur et d’angoisse
(sentiments qui ont leurs racines profondément ancrées dans la nature
du mâle, et même l’éducation la plus éclairée ne peut en venir tout à
fait à bout). Ensuite, la jouissance qu’il en tire est proche du néant. Et
pour finir, obsédé qu’il est par son désir de bien s’en sortir, de battre un
record, de ramoner consciencieusement, il se soucie peu d’être en
harmonie avec sa partenaire. C’est encore trop le flatter que de le
comparer à un animal. Il n’est qu’une mécanique, un godemiché
ambulant. On prétend souvent que les hommes utilisent les femmes.
Les utilisent à quoi ? En tout cas, sûrement pas au plaisir.
   Rongé qu’il est de culpabilité, de honte, de peurs et d’angoisses, et
malgré la vague sensation décrochée au bout de ses efforts, son idée
fixe est toujours : baiser, baiser. Il n’hésitera ni à nager dans un océan
de merde ni à s’enfoncer dans des kilomètres de vomi, s’il a le moindre
espoir de trouver sur l’autre rive un con bien chaud. Il baisera
n’importe quelle vieille sorcière édentée, n’importe quelle femme
même s’il la méprise, et il ira jusqu’à payer pour ça. Et pourquoi toute
cette agitation ? Si c’était pour soulager une tension physique, il lui
suffirait de se masturber, et puis s’il va jusqu’à violer des cadavres et
des bébés, ce n’est sûrement pas pour combler son ego. Alors
pourquoi ? Complètement égocentrique, incapable de communiquer et
de s’identifier aux autres (voir plus haut), n’existant que par une
sexualité endémique et diffuse, le mâle est psychiquement passif. Et
parce que sa propre passivité lui fait horreur, il tente de s’en
débarrasser en la projetant sur les femmes. Il postule que l’homme est
Actif, et s’attache ensuite à démontrer qu’il est actif, donc qu’il est un
Homme. Et pour ce faire, il baise ! (Moi je suis un Vrai Mec et j’ai une
Grosse Queue et comment que je Tire mon Coup.) Mais comme ce
qu’il cherche à démontrer est faux, il est obligé de toujours
recommencer. Alors baiser devient un besoin irrépressible, une
tentative désespérée de prouver qu’il n’est pas passif, qu’il n’est pas
une femme. Mais en fait il est passif, et son désir profond est d’être
une femme. Femelle incomplète, le mâle passe sa vie à chercher ce qui
lui manque, à tenter de devenir une femme. Voilà pourquoi il est
constamment à l’affût des femmes, voilà pourquoi il fraternise ; il veut
vivre à travers elles, se fondre en elles. Voilà pourquoi il revendique
tout ce qui caractérise en fait les femmes, la force de caractère et
l’indépendance affective, l’énergie, le dynamisme, l’esprit d’initiative,
l’aisance, l’objectivité, l’assurance, le courage, l’intégrité, la vitalité,
l’intensité, la profondeur, le sens de la rigolade, etc. Voilà pourquoi il
projette sur les femmes tout ce qui caractérise les hommes, la vanité, la
frivolité, la banalité, la faiblesse, etc. (Il faut cependant reconnaître
qu’il existe un domaine dans lequel les hommes sont largement
supérieurs aux femmes : celui des relations publiques. C’est de cette
façon qu’ils réussissent à faire croire à des millions de femmes qu’elles
sont des hommes et vice versa.) Les hommes prétendent que les
femmes trouvent leur épanouissement dans la maternité et la sexualité,
ce qui correspond à ce qu’ils trouveraient satisfaisant, les pauvres, s’ils
étaient des femmes. Autrement dit, ce ne sont pas les femmes qui
envient le pénis, mais les hommes qui envient le vagin. Lorsque le
mâle se résout finalement à accepter sa passivité et se définit comme
femme (les hommes, aussi bien que les femmes, prennent chaque sexe
pour l’autre), bref lorsque le mâle devient un travesti, il perd tout désir
de baiser (ou de quoi que ce soit d’autre, d’ailleurs, son rôle de vamp à
pédé lui suffit), et il se fait couper la queue dans l’espoir de ressentir
on ne sait quelle vague jouissance permanente à l’idée d’être femme.
Baiser permet aux hommes de se protéger contre leur désir d’être des
femmes. La sexualité est en elle-même une sublimation.
  Sa recherche frénétique de compensations – parce qu’il n’est pas
une femme –, combinée avec son incapacité fondamentale à
communiquer et à compatir, a permis à l’homme de faire du monde un
gigantesque tas de merde.
  Il porte l’entière responsabilité de :
                          LA GUERRE
   Le système de compensation le plus courant du mâle, à savoir
dégainer son gros calibre, se révélant notoirement inefficace, puisqu’il
ne peut le sortir qu’un nombre très limité de fois, il dégaine sur une
échelle franchement massive, donc sublime, prouvant ainsi au monde
entier qu’il est un « Homme ». Du fait de son incapacité à éprouver de
la compassion pour les autres, à les comprendre ou à s’identifier à eux
(voir plus haut), il trouve que l’affirmation de sa virilité vaut bien
toutes sortes de mutilations et de souffrances, et il la fait passer avant
un nombre incalculable de vies humaines, la sienne comprise. Pour ce
que vaut celle-là, il préfère mourir ébloui de gloire que de se traîner
lugubrement cinquante ans de plus.
      LA GENTILLESSE, LA POLITESSE,
             LA « DIGNITÉ »
   Chaque homme sait, au fond de lui, qu’il n’est qu’un tas de merde
sans intérêt. Submergé par la sensation de sa bestialité et par la honte
qu’elle lui inspire, il ne cherche pas à s’exprimer mais au contraire à
camoufler les limites de son être purement physique et son parfait
égocentrisme. à cause de son système nerveux grossièrement constitué
et bouleversé à la moindre marque d’émotion ou de sentiment, le mâle
se protège à l’aide d’un code « social » parfaitement insipide d’où est
absente toute trace de sentiments ou d’opinions gênantes. Il utilise des
termes comme « copuler », « commerce sexuel », « avoir des rapports
» (pour les hommes, parler de rapports sexuels est un pléonasme), et il
en parle avec des allures guindées de chimpanzé en habit à queue.
         L’ARGENT, LE MARIAGE
     ET LA PROSTITUTION, LE TRAVAIL
         CONTRE L’AUTOMATION
   Rien, humainement, ne justifie l’argent, ni le travail pour quiconque
au-delà de deux ou trois heures par semaine au maximum. Tous les
travaux non créatifs (à peu près tous les travaux exercés à ce jour)
auraient pu être automatisés depuis longtemps. Et dans un système
sans argent, tout le monde aurait tout ce qu’il veut, et du meilleur. Les
raisons qui maintiennent en place ce système fondé sur l’argent et le
travail n’ont rien d’humain, elles sont mâles :
   1 – Le con. Le mâle, qui méprise sa nature déficiente, est saisi d’une
anxiété profonde et submergé par une immense solitude lorsqu’il se
retrouve dans sa seule affligeante compagnie. Il s’accroche alors à
n’importe quelle femme dans le vague espoir de remplir son vide
intérieur, et se nourrissant de l’illusion mystique qu’à force de toucher
de l’or il se transformera en or, il convoite en permanence la
compagnie des femmes. Il préfère à sa propre compagnie, et à celle des
autres hommes, celle de la femme la plus méprisable. Mais pour
parvenir à ses fins, il est obligé d’employer la force ou la corruption, à
moins de tomber sur des femmes très jeunes ou très atteintes.
   2 – L’homme, incapable d’entrer en relation avec les autres (voir
plus haut), et contraint de se donner l’illusion de servir à quelque
chose, s’active, pour justifier son existence, à creuser des trous et à les
remplir. L’homme est horrifié à l’idée d’avoir du temps libre, pendant
lequel il ne trouverait rien d’autre à faire que de contempler sa
grotesque personne. Puisqu’il ne peut aimer ni établir de contacts,
l’homme travaille. Les femmes, elles, rêvent d’activités intelligentes,
absorbantes, à même de combler leur sensibilité, mais par manque
d’occasion ou de compétence elles préfèrent folâtrer et perdre leur
temps à leur guise : dormir, faire des emplettes, jouer au bowling,
miser de l’argent, taper le carton, procréer, lire, marcher, rêvasser,
manger, se tripoter, s’envoyer des pilules derrière la cravate, aller au
cinéma, se faire psychanalyser, biberonner, voyager, élever des chiens
et des chats, se vautrer sur le sable, nager, regarder la télé, écouter de la
musique, décorer la maison, jardiner, coudre, aller dans les boîtes,
danser, visiter, s’« enrichir » (suivre des stages), se « cultiver »
(conférences, théâtre, concerts, cinéma « d’art »). Ainsi beaucoup de
femmes, même dans le cas d’une complète égalité économique,
préfèrent vivre avec des hommes ou traîner leurs fesses dans la rue,
c’est-à-dire disposer le plus possible de leur temps, plutôt que passer
huit heures par jour à faire pour d’autres un travail ennuyeux,
abrutissant et absolument pas créatif qui fait d’elles pis que des bêtes,
des machines, à moins qu’un travail « intéressant » ne fasse d’elles, au
mieux, les cogérantes de la merde ambiante. Ce qui pourra libérer les
femmes de l’emprise masculine, ce sera donc la destruction totale du
système fondé sur l’argent et le travail et non l’égalité économique à
l’intérieur du système.
   3 – Le pouvoir. Ne pouvant dominer les femmes dans ses relations
personnelles, l’homme recherche la domination en général en
manipulant l’argent ainsi que toute chose et tout être régi par l’argent,
c’est-à-dire en manipulant tout et tout le monde.
  4 – Trouver un substitut à l’amour. L’homme, inapte qu’il est à
donner de l’amour ou de l’affection, donne de l’argent. Il se sent
maternel. La mère donne le lait ; il humaines, la le Gagne-Pain.
   5 – Fournir un but à l’homme. Puisqu’il est incapable de profiter de
l’instant présent, l’homme doit trouver un but à poursuivre et l’argent
est la carotte après laquelle il peut courir éternellement : pensez un peu
à tout ce qu’on peut faire avec quatre-vingts milliards de dollars : ah,
investir ! Et dans trois ans ça vous fera trois cent mille millions de
dollars, les mecs !
   6 – Donner à l’homme sa plus belle occasion de manipuler les autres
: la paternité.
   LA PATERNITÉ ET LA MALADIE
 MENTALE (peur, lâcheté, timidité, humilité,
         insécurité, passivité)
   Maman veut le bien de ses enfants, Papa ne veut que le bien de
Papa, il veut qu’on lui fiche la paix, il veut que ses lubies de « dignité
» soient respectées, il veut présenter bien (le statut) et il veut contrôler
et manipuler à volonté, ce qui s’appellera « guider » s’il est un père «
moderne ». Ce qu’il veut aussi, c’est s’approprier sa fille sexuellement.
Il donne la main de sa fille en mariage, le reste est pour lui.
   Papa, au contraire de Maman, ne cède jamais à ses enfants car il doit
à tout prix préserver l’image de l’homme décidé, fort, énergique, qui a
toujours raison.
   À force de ne jamais agir à sa façon, on se sent dépassé par ce
monde et on accepte passivement le statu quo. Maman aime ses
enfants. Elle se met quelquefois en colère, mais la crise passe vite et
n’exclut jamais ni l’amour ni l’acceptation profonde. Papa, lui, est un
débile affectif et il n’aime pas ses enfants ; il les approuve – s’ils sont «
sages », gentils, « respectueux », obéissants, soumis, silencieux et non
sujets à des sautes d’humeur qui pourraient bouleverser le système
nerveux mâle et fragile de Papa – en d’autres termes, s’ils vivent à
l’état végétal. S’ils ne sont pas « sages », Père ne se fâche pas – quand
il est un père moderne et « civilisé » (la brute moralisatrice et
gesticulante d’autrefois est bien préférable car suffisamment ridicule
pour se déconsidérer d’elle-même) – non, il se contente de
désapprouver, attitude qui, contrairement à la colère, persiste, et
exprime un rejet fondamental : le résultat pour l’enfant, qui se sent
dévalorisé et recherchera toute sa vie l’approbation des autres, c’est la
peur de penser par lui-même, puisqu’une telle faculté conduit à des
opinions et des modes de vie non conventionnels qui seront
désapprouvés.
   Si l’enfant veut gagner l’approbation paternelle, il doit respecter
Papa, et Papa qui n’est qu’un tas de pourriture n’a pas d’autre moyen
d’imposer le respect que de rester à bonne distance, suivant le précepte
que « la familiarité engendre le mépris », ce qui est naturellement vrai
lorsqu’on est méprisable. En se montrant distant, le Père reste inconnu,
mystérieux, il inspire donc la peur (le « respect »).
   Comme il réprouve les « scènes », les enfants en viennent à craindre
toute émotion, à avoir peur de leur propre colère et de leur haine,
finalement à redouter d’affronter la réalité puisque la réalité ne peut
déclencher que colère et haine. Cette peur, alliée à un sentiment
d’incapacité à changer ce monde qui vous dépasse, voire à influer un
tant soit peu sur son destin, aboutit au sentiment facile que tout va très
bien, que la moindre banalité vous comble et qu’on se fend la pêche
pour un rien.
   L’effet de la paternité sur les garçons, notamment, est d’en faire des
« Hommes », c’est-à-dire de développer en eux un système de défenses
farouches contre leur tendance à la passivité, à l’hystérie « grande-folle
», et contre leur désir d’être des femmes. Tous les garçons veulent
imiter leur mère, être elle, fusionner avec elle, mais Papa interdit de
telles choses. C’est lui la mère. Lui, fusionne avec elle. Alors, plus ou
moins directement il dit au petit garçon de ne pas faire la « fifille » et
de se conduire en « homme ». Le petit garçon qui chie dans son froc
devant son père, autrement dit le « respecte », se soumet et devient un
vrai petit Papa, ce modèle de Virilité, ce rêve américain : le lourd crétin
qu’est l’hétérosexuel bon teint.
   L’effet de la paternité sur les femmes est d’en faire des hommes –
dépendantes, passives, domestiquées, animalastiquées, gentilles,
inquiètes, avides de sécurité et d’approbation, trouillardes, humbles, «
respectueuses » des autorités et des hommes, fermées, sans réaction, à
demi mortes, futiles, ennuyeuses, conventionnelles, insipides et
profondément méprisables. La Fille à son Papa, toujours contractée et
apeurée, mal à l’aise, dénuée d’esprit analytique et d’objectivité, situe
Papa, et par suite tous les hommes, dans un contexte de peur nommée
« respect ». Elle ne voit pas que la lointaine silhouette paternelle n’est
qu’un trompe-l’œil, elle accepte la définition de l’homme comme être
supérieur en tant que femme, et accepte d’être considérée inférieure en
tant que mâle, ce que, merci Papa, elle est effectivement.
   C’est l’épanouissement de la Paternité, dû au développement et à la
meilleure répartition des richesses (dont la Paternité a besoin pour
prospérer), qui est la cause de l’ascension de la bêtise et du déclin des
femmes aux États-Unis depuis les années vingt : voyez la montée de
l’allaitement, de l’accouchement naturel, et de la pratique religieuse.
L’association étroite entre richesse et Paternité a valu aux filles les plus
mal choisies, c’est-à-dire les « petites bourgeoises » soi-disant
privilégiées, d’avoir droit à l’« instruction ».
   En résumé, le rôle du père a été d’apporter au monde la gangrène de
l’esprit mâle. Les hommes sont des Midas d’un genre spécial : tout ce
qu’ils touchent se change en merde.
   ANIMALITÉ (domesticité et maternité)
  ET SUPRESSION DE L’INDIVIDUALITÉ
   L’homme est une suite de réflexes conditionnés, il est incapable de
réagir librement, avec son esprit. Il est entièrement déterminé par le
conditionnement subi pendant son enfance. Ses premières expériences
ont été vécues avec sa mère et il est lié à elle pour la vie. Pour
l’homme il n’est jamais très clair qu’il puisse être autre chose qu’une
partie de sa mère, qu’il est lui et qu’elle est elle.
   Son plus grand besoin est d’être guidé, abrité, protégé et admiré par
sa Mamma (les hommes s’attendent à ce que les femmes adorent ce
qui, eux, les pétrifie d’horreur : eux-mêmes). N’existant que par son
corps, l’homme aspire à passer son temps (celui qu’il ne perd pas «
dans le monde » à se défendre âprement contre sa passivité) dans une
béatitude animale consistant à manger, dormir, chier, s’écrouler dans
un fauteuil et se faire dorloter par la Mamma.
   La Fille à son Papa, passive et abrutie, avide d’approbation et de
petites tapes sur la joue, qui manifeste son respect au moindre tas
d’immondices passant par là, se laisse machinalement transformer en
Mamma. Elle prête machinalement son corps, éponge le front
simiesque plissé par l’effort, pousse au cul le petit ego défaillant,
complimente la crapule. Elle n’est plus qu’une bouillotte avec des
nichons. Réduites à l’état de bêtes, les femmes du secteur le plus
arriéré de la société, les classes moyennes « privilégiées » et «
instruites », déchet de l’humanité sur lequel Papa règne en maître,
essaient de se défoncer en mettant bas, et dans la nation la plus
avancée du monde, en plein XXe siècle, elles se ventrouillent avec des
enfants pendus à leurs seins. Oh, ce n’est pas pour le bien des enfants
que les « spécialistes » racontent aux femmes que la Mamma doit
rester à la maison pour croupir comme une bête. C’est pour le bien de
Papa, naturellement. C’est Papa qui a besoin de se cramponner à des
nichons. C’est Papa qui se pique d’obstétrique et se défonce ainsi par
procuration (ce mort-vivant a besoin de stimulants vigoureux).
   La nécessité de faire de la femme une bête, une Mamma, un mâle,
est autant psychologique que pratique. Le mâle n’est qu’un échantillon
de l’espèce, interchangeable avec tous les autres mâles. Il n’a pas
d’individualité profonde (ne sait pas différencier les êtres, ne connaît
pas l’autosuffisance mentale, la complétude), car l’individualité ne
peut naître que de ce qui éveille la curiosité, vous fait sortir de vous-
même, ce avec quoi on entre en relation. Complètement absorbés en
eux-mêmes, ne sachant communiquer qu’avec leur propre corps et
leurs sensations physiques, les hommes ne se différencient entre eux
que par la façon dont ils se défendent contre leur passivité et leur désir
d’être femme, et par le degré d’acharnement qu’ils y mettent.
   L’individualité de la femme s’impose aux yeux de l’homme, mais il
est incapable de la saisir, incapable d’entrer en relation avec elle ; elle
le bouleverse, l’emplit d’effroi et d’envie. Aussi la niet-il et
entreprend-il de définir chacun et chacune en termes de fonction et
d’usage, s’assignant bien entendu, les fonctions les plus importantes –
docteur, président, savant –, ce qui l’aide à revêtir une identité sinon à
atteindre à l’individualité, et il cherche à se convaincre comme à
convaincre les femmes (il a mieux réussi de ce côté) que la fonction de
la femme est de porter et d’élever les enfants, d’apaiser, de réconforter
et de stimuler l’ego masculin ; que sa fonction fait d’elle un être
interchangeable avec les autres femmes.
   En fait, la fonction de la femme est d’explorer, découvrir, inventer,
résoudre des problèmes, dire des joyeusetés, faire de la musique – le
tout, avec amour. En d’autres termes, de créer un monde magique.
   La fonction de l’homme est de produire du sperme. Nous avons
maintenant des banques de sperme.
                 LE VOL DE L’INTIMITÉ
   L’homme, qui a honte de ce qu’il est et d’à peu près tout ce qu’il
fait, tient beaucoup à garder secrets tous les aspects de sa vie mais n’a
aucun respect pour la vie privée des autres. Lui qui est vide, qui n’a
pas de réalité propre, pas d’individualité, pas d’états d’âme jouissifs, a
constamment besoin de la compagnie des femmes et ne voit
absolument rien de mal à s’immiscer dans les pensées d’une inconnue,
n’importe où n’importe quand ; et pardessus le marché il s’indigne et
se sent insulté lorsqu’il se fait rembarrer ; il en est tout désorienté : cela
le dépasse complètement que quelqu’un puisse préférer une seule
minute de solitude à la compagnie de n’importe quel taré. Comme il
voudrait en être, il se démène pour être toujours dans les pattes des
femmes, ce qui est le plus près qu’il puisse atteindre de son but, et
s’ingénie à fabriquer une société fondée sur la famille – le couple et les
enfants (qui sont la bonne excuse de la famille) – et tout ce monde est
censé vivre les uns sur les autres en violant scrupuleusement les droits
de la femme et son intimité, en détériorant sa santé mentale.
      L’ISOLEMENT, LES PAVILLONS
     DE BANLIEUE ET L’IMPOSSIBILITÉ
       DE LA VIE COMMUNAUTAIRE
   Notre société n’est pas une communauté, c’est un entassement de
cellules familiales. Miné par son sentiment d’insécurité, l’homme est
persuadé que sa femme va le quitter si elle s’expose aux autres
hommes et à tout ce qui peut présenter une lointaine ressemblance
avec la vie. Aussi cherche-t-il à l’isoler de ses rivaux et de cette faible
agitation qu’on nomme civilisation, en l’emmenant en banlieue pour la
caser dans une rangée de pavillons où s’enferment dans une
contemplation mutuelle des couples et leurs enfants.
   En devenant un « farouche individualiste », un grand solitaire, il
croit pouvoir prétendre à l’individualité, qu’il confond avec la
claustration et le manque de coopération.
   Il y a encore une autre explication à cet isolement : chaque homme
est une île. Enfermé en lui-même, sans aucun contact, sans émotion,
incapable de communiquer, l’homme a horreur de la civilisation, des
gens, des villes, de toute situation qui demande de comprendre les
autres et d’entrer en relations avec eux. Papa détale comme un lièvre
apeuré et traîne son cul à la recherche des contrées sauvages : les
banlieues. Ou s’il est un « hippie », il part – alors là, qu’est-ce qu’il est
parti, les gars ! – pour le pré à vaches où il peut baiser et procréer à son
aise en s’ébattant au milieu de ses flûtes et de sa verroterie.
   Le hippie, dont le désir d’être un « Homme » et un « farouche
individualiste » est moins forcené que chez la plupart des hommes –
parce qu’il se défend moins contre sa passivité ; qui, par ailleurs, est
follement excité à l’idée d’avoir tout un tas de femmes à sa disposition,
se révolte contre le rôle éreintant de Gagne-Pain et la monotonie de la
monogamie. Au nom de la coopération et du partage, il forme une
communauté ou tribu qui, en dépit de tous ses principes de solidarité et
en partie à cause d’eux (ladite communauté, qui est une extension de la
famille, ne fait donc que bafouer un peu plus les droits des femmes,
violer leur intimité et détériorer leur santé mentale), ne ressemble pas
plus à une communauté que le reste de la société.
    Une véritable communauté se compose d’individus – pas de simples
échantillons de l’espèce, pas de couples – qui se respectent les uns les
autres dans leur individualité et leur intimité, établissent entre eux des
contacts intellectuels et affectifs – en esprits libres ayant des relations
libres – et coopèrent à l’achèvement de buts communs. Pour les
traditionalistes, l’unité de base de la société est la famille ; pour les «
hippies », c’est la tribu. Pour aucun d’eux, ce n’est l’individu.
    Le hippie babille beaucoup sur l’individu, mais comme les autres
hommes, il n’a aucune idée de ce que c’est. Il voudrait retourner à la
Nature, à la vie sauvage, retrouver l’antre des animaux à fourrure dont
il fait partie, loin de la ville, où au moins on repère quelques traces, un
vague début de civilisation, pour vivre au niveau primaire de l’espèce
et s’occuper à de simples travaux, non intellectuels : élever des
cochons, baiser, enfiler des perles.
    L’activité la plus importante de la vie communautaire, celle sur
laquelle elle se fonde, c’est le baisage à la chaîne. Ce qui allèche le
plus le hippie, dans l’idée de vivre en communauté, c’est tout le con
qu’il va y trouver. Du con en libre circulation : le bien collectif par
excellence ; il suffit de demander. Mais, aveuglé par le désir, il ne
pense pas à tous les hommes avec lesquels il devra partager, ni à la
jalousie et à la possessivité des mignons cons eux-mêmes.
    Les hommes ne peuvent pas coopérer à la réalisation d’un but
commun, car le seul but de chaque homme est d’avoir tout le con pour
lui. La communauté est donc vouée à l’échec : chaque hippie, pris de
panique, va empoigner la première jobarde qui en pince pour lui et
filer avec elle dans un pavillon de banlieue. L’homme ne peut
progresser socialement, il ne peut qu’aller et venir entre l’isolement et
la partie de cul associée.
                   LE CONFORMISME
   Tout en désirant être un individu, l’homme a peur de ce qui pourrait
le différencier un tant soit peu des autres hommes. Il craint de n’être
pas vraiment un « Homme », d’être passif et déterminé par la sexualité,
tous soupçons qui le bouleversent. Si les autres hommes sont « A » et
qu’il ne l’est pas, alors il ne doit pas être un homme. Il doit être une
pédale, selon ses termes. Alors il essaye d’affirmer sa Virilité en
ressemblant aux autres hommes. Mais toute différence constatée chez
les autres le menace aussi bien : ce sont eux les « pédales » qu’il doit
éviter à tout prix et il fait tout pour les obliger à rentrer dans le rang.
   L’homme ose se montrer différent dans la mesure où il accepte sa
passivité et son désir d’être une femme, sa réalité de pédale. L’homme
le plus conséquent avec lui-même est le travesti mais là encore, bien
qu’il soit différent des autres hommes, il ressemble exactement à tous
les autres travestis. Fonctionnaliste, il ne cherche que l’identité
formelle : être une femme. Il se débarrasse de ses problèmes en leur
collant des étiquettes, mais toujours pas trace d’individualité.
N’arrivant pas à se convaincre tout à fait qu’il est une femme, angoissé
à l’idée de n’être pas assez femelle, il se conforme désespérément au
stéréotype féminin inventé par les hommes, et devient une marionnette
bourrée de tics.
   Pour s’assurer qu’il est un « Homme », le mâle doit veiller à ce que
la femelle se comporte bien en « Femme », le contraire de l’homme
viril, autrement dit qu’elle se comporte en grande-folle. Et la Fille à
son Papa, dont on a massacré tous les instincts de femme dès
l’enfance, s’adapte au rôle avec aisance et obligeance.
   L’AUTORITÉ ET LE GOUVERNEMENT
  L’homme, qui n’a aucun sens du bien et du mal, aucune conscience
morale (elle ne peut naître qu’avec la faculté de se mettre à la place des
autres), qui ne croit pas en lui-même (pour la bonne raison qu’il n’a
pas de réalité), compétitif par nécessité et inapte à la vie
communautaire par nature, a besoin de direction et de contrôle. Pour
cette raison il a mis en place diverses autorités – les prêtres, les
spécialistes, les patrons, les chefs, etc. – et institué le Gouvernement.
Comme il désire que la femme soit son guide (la Mamma) mais qu’il
est incapable d’accepter cette idée (après tout il est un Homme),
comme il veut jouer à la femme, usurper sa fonction de Guide et de
Protectrice, il s’arrange pour que toutes les autorités soient masculines.
   Il n’y a aucune raison pour qu’une société composée d’individus
rationnels et capables de se comprendre les uns les autres, complets en
eux-mêmes et n’étant pas enclins naturellement à entrer en compétition
les uns avec les autres, ait besoin d’un gouvernement, de lois ou de
chefs.
    LA PHILOSOPHIE, LA RELIGION
 ET LA MORALE FONDÉES SUR LE SEXE
   Vu son incompétence pour entrer en relation avec qui ou quoi que ce
soit, l’homme dont la vie est dépourvue de sens (le dernier mot de la
pensée mâle est que le monde est absurde) a dû inventer la philosophie
et la religion. Ne trouvant en lui que vide, l’homme doit se tourner vers
l’extérieur, non seulement pour trouver une direction et un contrôle,
mais aussi le salut et un sens à sa vie. Le bonheur étant pour lui
impossible sur cette terre, il a inventé le Ciel.
   Comme nous savons, l’homme est incapable de comprendre les
autres et ne vit que par sa sexualité, aussi pour lui le « mal » est la «
licence » sexuelle, qui conduit aux pratiques sexuelles « déviantes »
(non viriles), c’est-à-dire aux pratiques qui ne le défendent pas contre
sa passivité et sa sexualité omniprésente, lesquelles risqueraient, s’il
les laissait s’exprimer, de détruire la « civilisation » puisque la «
civilisation » repose exclusivement sur le besoin de l’homme de se
défendre contre ces caractéristiques masculines. Pour une femme
(d’après les hommes), le mal est tout comportement pouvant entraîner
les hommes à la « licence » sexuelle, c’est-à-dire lorsqu’elle ne place
pas les besoins de l’homme au-dessus des siens et refuse de jouer les
tantouses.
   Quant à la Religion, elle procure un but à l’homme (le Ciel), elle
renforce par son code « moral » l’assujettissement des femmes aux
hommes, et de plus fournit à l’homme des rituels lui permettant
d’exorciser la honte et la culpabilité qu’il éprouve de ne pas se
défendre assez contre ses pulsions sexuelles : finalement la honte et la
culpabilité qu’il éprouve d’être un homme.
   La plupart des hommes, dans leur immense lâcheté, projettent les
faiblesses qui leur sont inhérentes sur les femmes, les désignent
comme faiblesses typiquement féminines et s’attribuent la véritable
force féminine. La plupart des philosophes, un peu moins lâches,
reconnaissent à l’homme certaines lacunes, mais n’arrivent toujours
pas à admettre que ces lacunes n’existent que chez les hommes. Ainsi
ils étiquettent la condition masculine : Condition Humaine, posent leur
problème du néant, qui les horrifie, comme un dilemme philosophique,
affublent ainsi leur animalité de grandeur, baptisent pompeusement
leur néant « Problème d’identité » et pérorent avec grandiloquence sur
la « Crise de l’Individu », l’« Essence de l’Être », l’« Existence
précédant l’Essence », les « Modes existentiels de l’Être », etc.
   Les femmes, elles, prennent pour acquises leur identité et leur
individualité, elles savent instinctivement que le seul mal est de nuire
aux autres et que le sens de la vie est l’amour.
       LES PRÉJUGÉS (raciaux, ethniques,
                religieux, etc.)
   L’homme a besoin de boucs émissaires sur lesquels il peut projeter
ses lacunes et ses imperfections et sur lesquels il peut défouler sa
frustration de n’être pas une femme. Les multiples discriminations ont
d’ailleurs un avantage pratique : elles accroissent substantiellement la
masse de cons disponible pour les hommes qui campent au sommet de
la pyramide.
    LA COMPÉTITION, LE PRESTIGE,
       LE STATUT, L’ÉDUCATION,
 L’IGNORANCE, LES CLASSES SOCIALES
           ET ÉCONOMIQUES
    Obsédé par le désir d’être admiré par les femmes mais n’ayant
aucune valeur intrinsèque, l’homme fabrique une société
complètement artificielle qui lui attribue un semblant de valeur à
travers l’argent, le prestige, la « supériorité » de classe, les diplômes, la
profession et le savoir, tout en reléguant au bas de l’échelle sociale,
professionnelle, économique et culturelle, le plus grand nombre
d’hommes possible.
    Le but de l’enseignement « supérieur » n’est pas d’instruire mais
d’exclure le plus grand nombre possible de gens de certaines
professions.
    L’homme, qui n’est qu’un corps, inapte aux rapports intellectuels,
est sans doute capable d’utiliser à ses fins la connaissance et les idées,
mais pas d’entrer en relation avec elles, de les saisir sur le plan
émotionnel. Il n’attribue pas de valeur à la connaissance et aux idées
pour elles-mêmes (elles ne sont que les moyens de servir ses buts) et
n’éprouve donc pas le besoin de communiquer avec d’autres esprits ni
de cultiver les possibilités intellectuelles des autres. Bien au contraire,
il investit tout dans l’ignorance. Cela donne aux rares hommes instruits
une supériorité décisive sur ceux qui ne le sont pas et, de plus, le mâle
sait qu’une population féminine éclairée et consciente signifierait sa
perte.
    La femme saine, la femme suffisante, recherche la compagnie
d’égaux qu’elle peut respecter et avec lesquels elle peut prendre son
pied. Mais l’homme et la femme-mec (atrophiée, manquant
d’assurance et souffrant d’un sentiment d’insécurité) n’aspirent, eux,
qu’à la compagnie de larves rampantes qu’ils pourront facilement
regarder de haut.
    Aucune véritable révolution sociale ne peut être réalisée par les
hommes, car ceux qui sont en haut de l’échelle veulent y rester et ceux
qui sont en bas n’ont qu’une idée, c’est d’être en haut. La « révolte »,
chez les hommes, n’est qu’une farce. Nous sommes dans une société
masculine, faite par l’homme pour satisfaire ses besoins. S’il n’est
jamais satisfait, c’est qu’il lui est impossible de l’être. En fin de
compte, ce qui révolte « l’homme révolté », c’est d’être un homme.
L’homme ne change que lorsqu’il y est obligé par le progrès technique,
quand il n’a pas le choix, quand la société arrive au point où il doit
changer ou mourir. Nous en sommes là. Si les femmes ne se remuent
pas le cul en vitesse, nous risquons de crever tous.
                  L’IMPOSSIBILITÉ
                DE LA CONVERSATION
   Étant donné la nature totalement égocentrique de l’homme et son
incapacité à communiquer avec autre chose que lui-même, sa
conversation, lorsqu’elle ne porte pas sur sa personne, se réduit à un
bourdonnement impersonnel, détaché de tout ce qui peut avoir valeur
humaine. La « conversation intellectuelle » du mâle, lorsqu’elle n’est
pas une simple fuite de lui-même, n’est qu’une tentative laborieuse et
grotesque d’impressionner les femmes.
   La Fille à son Papa, passive, malléable, qui respecte et craint le
mâle, se laisse volontiers assommer par son bavardage débile. Cela ne
lui est pas trop difficile car elle est tellement crispée, anxieuse, mal à
l’aise, peu sûre d’elle (grâce à Papa qui a semé l’incertitude dans tous
ses sentiments et sensations), que sa perception en est obscurcie et
qu’elle est incapable de voir que le bavardage masculin n’est que du
bavardage. Comme l’esthète qui « apprécie » la crotte baptisée «
Grand Art », elle s’imagine faire ses choux gras de la conversation
masculine alors qu’elle en chie d’ennui. Et non seulement elle le laisse
postillonner à sa guise, mais en plus elle s’adapte au style de la «
conversation ». Entraînée comme elle l’est depuis l’enfance à la
gentillesse, la politesse et la « dignité », à entrer dans le jeu des
hommes lorsqu’ils cherchent à camoufler leur réalité bestiale, elle leur
fait la fleur de réduire sa propre conversation à des propos mielleux et
insipides, évitant tout sujet profond, ou bien, s’il s’agit d’une fille «
cultivée », elle a une discussion « intellectuelle », c’est-à-dire qu’elle
discourt de façon impersonnelle sur des abstractions oiseuses telles que
le produit national brut, le Sionisme, l’influence de Rimbaud sur la
peinture symboliste. Elle est si bien versée dans l’art de lécher le cul
des hommes que cela devient bientôt une seconde nature et qu’elle
continue à jouer leur jeu même lorsqu’elle se trouve seulement avec
des femmes.
   En dehors de son côté lèche-cul, la conversation de la Fille à son
Papa est encore limitée par sa crainte d’exprimer des opinions
déviantes ou originales et par son sentiment d’insécurité qui
l’emprisonne. Ce qui lui enlève tout charme. La gentillesse, la
politesse, la « dignité », le sentiment d’insécurité et la claustration
mentale ont peu de chance de s’allier à l’intensité et à l’humour,
qualités dont ne peut se passer une conversation digne de ce nom. Et la
conversation digne de ce nom ne court pas les rues, étant donné que
seules les femmes tout à fait sûres d’elles, arrogantes, exubérantes, et
fortiches, sont capables d’avoir une conversation intense et spirituelle
de vraies salopes.
        L’IMPOSSIBILITÉ DE L’AMITIÉ
               (DE L’AMOUR)
   Les hommes se méprisent eux-mêmes, méprisent tous les autres
hommes qu’ils ont l’occasion d’approcher d’un peu près – et qu’ils ne
prennent ni pour des femmes (comme les analystes « sympa » et les «
Grands Artistes ») ni pour des agents de Dieu –, et ils méprisent toutes
les femmes qui leur lèchent le cul. Les femmes-mec, les lèche-culs en
mal d’approbation et de sécurité se méprisent elles-mêmes ainsi que
toutes les femmes qui leur ressemblent. Les femmes sûres d’elles,
celles qui n’ont pas froid aux yeux, qui aiment que ça bouge, les
femmes-femmes, méprisent les hommes et les femmes-mecs lèche-
culs. Pour tout dire, le mépris est à l’ordre du jour.
   L’amour n’est ni la dépendance ni la sexualité, c’est l’amitié.
L’amour ne peut donc exister entre deux hommes, entre un homme et
une femme ou entre deux femmes si l’un des deux, ou les deux, est un
mec ou un lèche-cul à mec sans esprit et timoré. De même que la
conversation, l’amour ne peut exister qu’entre deux femmes-femmes
libres rouleuses, sûres d’elles, indépendantes et à l’aise, puisque
l’amitié est fondée sur le respect et non sur le mépris.
   Même chez les femmes à la coule, les amitiés profondes sont rares à
l’âge adulte car elles sont presque toutes ligotées à un homme afin de
survivre économiquement, ou bien elles essayent de se tailler un
chemin dans la jungle et de se maintenir à la surface des masses
amorphes. L’amour ne peut s’épanouir dans une société fondée sur
l’argent et sur un travail dépourvu de sens. Il exige une totale liberté
économique et individuelle, des loisirs et la possibilité de s’engager
intensément dans des activités absorbantes, à même de combler la
sensibilité, et pouvant conduire à l’amitié profonde lorsqu’on les
partage avec ceux que l’on respecte. Notre société n’offre aucune
activité de ce genre.
   Après avoir éliminé de ce monde la conversation, l’amitié et
l’amour, voici les substituts dérisoires que nous propose l’homme :
  LE « GRAND ART » ET LA « CULTURE »
   L’artiste mâle essaye de compenser son incapacité à vivre et son
impuissance à être une femme en fabriquant un monde complètement
factice dans lequel il fait figure de héros, c’est-à-dire s’affuble des
caractéristiques féminines, et où la femme est réduite à des rôles
subsidiaires insipides, c’est-à-dire fait figure d’homme.
   L’« Art » masculin ayant pour but non de communiquer (un être
entièrement vide n’a rien à dire), mais de déguiser la réalité bestiale de
l’homme, il a recours au symbolisme et à l’obscurité (au « profond »).
La grande majorité des gens, en particulier les personnes « cultivées »,
n’osant pas juger par elles-mêmes, humbles, respectueuses des
autorités (« Mon Papa, y sait » devient dans le langage adulte « les
critiques ils s’y connaissent », « les écrivains, ils savent mieux », et «
les agrégés, ça en connaît un bout »), se laissent facilement persuader
que ce qui est obscur, vague, incompréhensible, indirect, ambigu et
ennuyeux, est à coup sûr profond et brillant.
   Le « Grand Art » se veut « preuve » de la supériorité des hommes
sur les femmes, preuve que les hommes sont des femmes, non
seulement par son contenu, mais aussi par le simple fait de se baptiser
« Grand Art », puisque, comme aiment à nous le rappeler les
antiféministes, il est presque entièrement l’œuvre des hommes. Nous
savons que le « Grand Art » est grand parce que les hommes, des «
spécialistes », nous l’ont dit, et nous ne pouvons pas dire le contraire
vu que seules des sensibilités exquises bien supérieures à la nôtre sont
à même de percevoir et d’apprécier ce qui est grand, la preuve de leur
sensibilité supérieure étant qu’ils apprécient les saloperies.
   « Apprécier », c’est tout ce que sait faire l’homme « cultivé ».
Passif, nul, dépourvu d’imagination et d’humour, il faut bien qu’il se
débrouille avec ça. Incapable de se créer ses propres distractions, de se
créer un monde à lui, d’agir d’une façon ou d’une autre sur son
environnement, il doit se contenter de ce qu’on lui offre. Il ne sait pas
créer, il ne sait pas communiquer : il est spectateur. En se gobergeant
de culture, il cherche désespérément à prendre son pied dans un monde
qui n’a rien de jouissif ; il cherche à fuir l’horreur d’une existence
stérile d’où l’esprit est absent. La « culture » c’est le baba du pauvre, le
croûton spirituel des tarés, une façon de justifier le spectateur dans son
rôle passif. Elle permet aux hommes de se glorifier de leur faculté
d’apprécier « les belles choses », de voir un bijou à la place d’une
chiure. Ce qu’ils veulent, c’est qu’on admire leur admiration. Ne se
croyant pas capables de changer quoi que ce soit, résignés qu’ils sont
au statu quo, ils sont obligés de s’extasier sur des chiures vu qu’il n’y a
que des chiures à l’horizon de leur courte vue.
   La vénération pour l’« Art » et la « Culture » distrait les femmes
d’activités plus importantes et plus satisfaisantes, les empêche de
développer activement leurs dons, et parasite notre sensibilité de
pompeuses dissertations sur la beauté profonde de telle ou telle chiure.
Permettre à l’« Artiste » d’affirmer comme supérieurs ses sentiments,
ses perceptions, ses jugements et sa vision du monde, renforce le
sentiment d’insécurité des femmes et les empêche de croire à la
validité de leurs propres sentiments, perceptions, jugements et vision
du monde.
   Le concept même d’« Artiste », défini par des traits féminins, le
mâle l’a inventé pour « prouver » qu’il est une femme (« Tous les
Grands Artistes sont des hommes ») ; il met en avant l’« Artiste »
comme un guide qui va nous expliquer à quoi ressemble la vie. Mais
l’« Artiste » masculin n’émerge pas du moule mâle : son éventail de
sentiments est très limité ; il n’a donc pas grand-chose en fait de
perceptions, jugements et vision du monde, puisque tout cela dépend
des sentiments. Incapable d’entrer en contact avec autre chose que ses
propres sensations physiques, il n’a rien à dire, sinon que pour lui la
vie est absurde, et ne peut donc être un artiste. Comment quelqu’un qui
ne sait pas vivre pourrait-il nous dire à quoi ressemble la vie ? L’«
artiste » au masculin, c’est une contradiction dans les termes. Un
dégénéré ne peut que produire de l’« art » dégénéré. L’artiste véritable,
c’est toute femme saine et sûre d’elle, et dans une société féminine, le
seul Art, la seule Culture, ce sera des femmes déchaînées, contentes les
unes des autres, et qui prennent leur pied entre elles et avec tout
l’univers.
                       LA SEXUALITÉ
   Le sexe ne permet aucune relation. C’est au contraire une
expérience solitaire, elle n’est pas créatrice, c’est une perte de temps.
Une femme peut facilement, bien plus facilement qu’elle ne pourrait le
penser, se débarrasser de ses pulsions sexuelles et devenir
suffisamment cérébrale et décontractée pour se tourner vers des formes
de relation et des activités vraiment valables. Mais le mâle libidineux
met en chaleur la femelle lascive. Les hommes, qui ont l’air d’en
pincer sexuellement pour les femmes et qui passent leur temps à
vouloir les exciter, jettent les femmes portées sur la chose dans des
transes lubriques et les fourrent dans un piège à con dont peu de
femmes arrivent jamais à se sortir.
   Le sexe est le refuge des pauvres d’esprit. Et plus une femme est
pauvre d’esprit, – plus elle est embourbée dans la « culture »
masculine –, plus elle est charmante et plus elle est portée sur le sexe.
Dans notre société, les femmes charmantes ont le feu au cul. Mais
comme elles sont atrocement charmantes, elles ne s’abaissent pas à
baiser, tu parles, elles font l’amour, elles communiquent avec leur
corps, elles établissent un contact sensuel. Les plus littéraires valsent
au rythme d’Éros et s’enfilent l’Univers entier ; les mystiques se
fondent dans le Principe érotique et fusionnent avec le Cosmos, et
celles qui marchent à l’acide vibrent. Les femmes qui sont les moins
compromises dans la culture mâle, celles qui ne sont pas charmantes,
ces esprits simples et grossiers pour qui baiser n’est que baiser, trop
infantiles pour ce monde adulte de grands ensembles, d’intérêts à
14 %, de casseroles et de merde de bébé, trop arrogantes pour respecter
Papa, les « Grands » ou la profonde sagesse des Anciens, qui ne font
confiance qu’à leurs instincts les plus bas, pour qui la seule Culture,
c’est le déchaînement des femmes, dont le seul divertissement est de
rôder à la recherche d’émotions et d’événements excitants, qui « font
des scènes » et offrent le spectacle répugnant, vil, gênant, de salopes
acharnées contre ceux qui leur agacent les dents, qui n’hésiteraient pas
à planter un couteau dans le ventre d’un type ou à lui enfoncer un pic à
glace dans le cul au premier coup d’œil si elles pensaient pouvoir s’en
tirer, bref celles qui, selon les critères de notre « culture », sont la lie
                      1
de la terre, la Scum … sont des filles à l’aise, plutôt cérébrales et tout
près d’être asexuées. Débarrassées des convenances, de la gentillesse,
de la discrétion, de l’opinion publique, de la « morale », du « respect »
des trous-du-cul, toujours surchauffées, pétant le feu, sales et abjectes,
les Scum déferlent… elles ont tout vu – tout le machin, baise et
compagnie, suce-bite et suce-con – elles ont été à voile et à vapeur,
elles ont fait tous les ports et se sont fait tous les porcs… Il faut avoir
pas mal baisé pour devenir antibaise, et les Scum sont passées par tout
ça, maintenant elles veulent du nouveau ; elles veulent sortir de la
fange, bouger, décoller, sombrer dans les hauteurs. Mais l’heure de
Scum n’est pas encore arrivée. La société nous confine encore dans ses
égouts. Mais si rien ne change et si la Bombe ne tombe pas sur tout ça,
notre société crèvera d’elle-même.
                              L’ENNUI
   La vie, dans une société créée par et pour des créatures à la
sensibilité plus que limitée, donc profondément ennuyeuses,
lorsqu’elles ne sont pas sinistres et déprimantes, ne peut être que
profondément ennuyeuse, lorsqu’elle n’est pas sinistre et déprimante.
       LE SECRET, LA CENSURE,
 L’ÉLIMINATION DE LA CONNAISSANCE
       ET DES IDÉES, LA CHASSE
           AUX SORCIÈRES
  Enfouie au fond de l’homme, gît la peur hideuse et secrète que l’on
découvre qu’il n’est pas une femme, qu’il est un mâle, un être moins
qu’humain. Bien que la gentillesse, la politesse et la « dignité »
suffisent à le protéger sur le plan personnel, l’homme doit, pour éviter
qu’on ne découvre l’imposture générale du sexe masculin, et maintenir
ses pouvoirs artificiels sur la société, avoir recours aux procédés
suivants :
  1 – La censure. L’homme qui réagit par réflexe à des mots ou à des
phrases isolés au lieu de réagir avec son cerveau à des significations
globales, essaye d’empêcher l’éveil et la découverte de sa bestialité en
censurant non seulement la « pornographie », mais aussi tout ouvrage
contenant des mots « sales », quel qu’en soit le contexte.
   2 – L’élimination de toute idée et connaissance risquant de le
démasquer ou de menacer sa position dominante dans la société, une
vaste documentation biologique et psychologique est mise hors de
circulation, car elle révélerait la flagrante infériorité de l’homme par
rapport à la femme. De plus, le problème de la maladie mentale ne sera
jamais résolu tant que l’homme gardera les rênes du pouvoir pour la
bonne raison qu’il y trouve son intérêt : seules des femmes auxquelles
il manque pas mal de cases peuvent laisser aux hommes la moindre
parcelle de pouvoir, et pour résoudre ce problème il faudrait que
l’homme admette le rôle que joue le Père dans l’origine des folies.
   3 – La chasse aux sorcières. Ce qui met l’homme en joie – dans la
mesure où cette créature sinistre et constipée est capable d’éprouver de
la joie –, c’est de dénoncer les autres. Peu importe ce qu’il dénonce, du
moment qu’il dénonce et détourne l’attention de sa propre personne.
Dénoncer les autres comme agents de l’ennemi (communistes et
socialistes) est l’un de ses passe-temps favoris : cela lui permet de se
disculper, lui, la patrie et l’Occident tout entier. Ce n’est pas dans son
cul que grouille la vermine, c’est en Russie.
                        LA MÉFIANCE
   Dans son incapacité à se mettre à la place des autres, à éprouver de
l’affection ou à se dévouer, ne sachant s’extérioriser que pour
contempler ses tripes, l’homme, évidemment, ne joue jamais franc-jeu.
Lâche comme il l’est, ayant constamment besoin de faire la pute avec
les femmes pour gagner leur approbation sans laquelle il n’est rien,
toujours sur le qui-vive dans la terreur que sa réalité mâle et animale
ne soit étalée au grand jour, ayant constamment besoin de se protéger,
l’homme doit mentir en permanence. Dans son néant il ne peut avoir ni
honneur ni intégrité – il ne sait pas ce que ces mots signifient.
L’homme, en bref, est traître et dans une société mâle le seul
comportement valable est le cynisme et la méfiance.
                         LA LAIDEUR
   Grâce à sa sexualité envahissante, son indigence mentale et
esthétique, son matérialisme et sa gloutonnerie, l’homme, non content
de nous avoir infligé son « Grand Art », a cru devoir affubler ses villes
sans paysage de constructions hideuses (dehors comme dedans) et de
décors non moins moches, d’affiches, d’autoroutes, de bagnoles, de
camions pleins de merde, et tout particulièrement de sa nauséabonde
personne.
           LA HAINE ET LA VIOLENCE
   L’homme est rongé sans relâche par l’amertume de n’être pas
femme et d’être incapable d’éprouver jamais aucun plaisir ni aucune
satisfaction. Il est ravagé de haine, non de cette haine rationnelle que
l’on renvoie à ceux qui vous insultent ou abusent de vous, mais d’une
haine irrationnelle qui frappe sans discernement, haine, au fond,
dirigée contre lui-même.
   La violence gratuite « prouve » qu’il est un « Homme », tout en
servant d’exutoire à sa haine ; et puisque l’homme n’a de réactions que
sexuelles et qu’il faut des stimulants vraiment puissants pour exciter ce
mort-vivant, elle lui procure, sexuellement, un petit frisson.
             LA MALADIE ET LA MORT
  Toutes les maladies sont guérissables, et le vieillissement et la mort
sont dus à la maladie. Il est donc possible de ne jamais vieillir et de
vivre éternellement. En fait, les problèmes de la vieillesse et de la mort
pourraient être résolus d’ici quelques années si la science y mettait le
paquet. Cette éventualité n’aura cependant pas lieu dans un monde régi
par les hommes pour les raisons suivantes :
  1 – De nombreux chercheurs potentiels sont découragés des
carrières scientifiques à cause de la rigidité, de l’ennui, de la cherté,
des pertes de temps et de la sélection sociale qui caractérisent notre
enseignement « supérieur ».
   2 – Les chercheurs en place, dans leur insécurité mâle, protègent
jalousement leur poste, et veulent nous faire croire que seule une petite
élite est à même d’apprécier les concepts scientifiques abstraits.
  3 – Beaucoup de gens doués, dont la confiance en soi a été minée
par l’éducation du Père, renoncent à devenir des savants.
   4 – Le système de l’argent conduit à ces postes les gens les moins
créatifs. La plupart des scientifiques sont issus de familles plutôt
aisées, où Papa règne en maître.
   5 – L’automation est insuffisante. Nous disposons actuellement de
tonnes d’informations qui, utilisées à bon escient, pourraient permettre
de guérir le cancer ainsi que d’autres maladies et peut-être nous
apporter la clé de la vie. Mais les données à utiliser sont si nombreuses
qu’il nous faudrait des ordinateurs ultrarapides pour les relier.
L’institution de l’ordinateur sera continuellement retardée dans un
système régi par les hommes car ceux-ci ont horreur d’être remplacés
par des machines.
   6 – L’homme a une préférence marquée pour les objectifs « virils »,
la guerre et la mort.
   7 – La finance a un insatiable besoin de nouveaux produits. Les
rares savants dont les recherches ne visent pas la destruction et la mort
sont ligotés par les intérêts des corporations pour lesquelles ils
travaillent : leurs inventions et leurs expériences ne concernent que des
marchandises.
   8 – De nombreux savants mâles s’écartent prudemment de la
recherche biologique dans leur terreur de découvrir que les hommes
sont des femmes plus qu’incomplètes.
   L’homme, qui est incapable de connaître un bonheur positif, seule
justification à l’existence, peut atteindre tout au mieux un état neutre
de confort physique qui n’est pas appelé à durer car l’ennui, état
négatif, fait rapidement son apparition. Il est donc condamné à une vie
de souffrance, soulagée seulement par un assoupissement occasionnel
et fugace qu’il ne pourra connaître qu’aux dépens d’une femme.
L’homme est par nature une sangsue, un parasite affectif, et aucune
raison éthique ne justifie de le laisser vivre et prospérer car personne
n’a le droit de vivre aux dépens de quelqu’un d’autre. De même que la
vie des humains prime celle des animaux pour la seule raison qu’ils
sont plus évolués et doués d’une conscience supérieure, de même la
vie des femmes doit primer celle des hommes.
   Cependant, cet épilogue moral pourrait bien être purement
académique car l’homme travaille à sa propre destruction. En dehors
des procédés classiques de la guerre et des émeutes raciales, honorés
par l’Histoire, les hommes versent de plus en plus dans la tantouzerie
ou se consument dans la drogue. Les femmes, qu’elles le veuillent ou
non, prendront bientôt le monde en main, ne serait-ce que parce
qu’elles ne pourront faire autrement : les hommes, pour des raisons
pratiques, auront disparu du globe. Cette tendance autodestructrice est
renforcée par le fait que les hommes commencent à avoir une vision
plus éclairée de leurs intérêts. Ils se rendent de mieux en mieux compte
que l’intérêt des femmes est leur intérêt, qu’ils ne peuvent vivre que
par les femmes, et que plus les femmes seront encouragées à vivre, à
se réaliser, à être des femmes et non des hommes, plus ils approcheront
eux-mêmes de ce qui ressemble à la vie. Ils entrevoient déjà qu’il est
plus facile et plus satisfaisant de vivre à travers elles que d’essayer de
devenir elles – usurper leurs qualités et repousser les femmes dans la
fosse à purin en déclarant que ce sont des hommes. Le pédé, qui
accepte sa nature de mâle, c’est-à-dire sa passivité et sa sexualité
envahissante, sa féminité, a également intérêt à ce que les femmes se
révèlent véritablement femmes car alors il lui serait plus facile d’être
mâle, d’être féminin. Si les hommes étaient raisonnables, ils
chercheraient à se changer carrément en femmes, mèneraient des
recherches biologiques intensives qui permettraient, au moyen
d’opérations sur le cerveau et le système nerveux, de transformer les
hommes en femmes, corps et esprit.
   La question de savoir s’il faudra continuer à utiliser les femmes pour
la reproduction ou si celle-ci se fera en laboratoire est encore un faux
problème : que se passera-t-il quand chaque femme, dès l’âge de douze
ans, prendra régulièrement la pilule, et avortera en cas d’accident ?
Combien de femmes accepteront-elles délibérément d’être enceintes
                                                            2
(ou, en cas d’accident, de le rester) ? Non, Virginia , les femmes
n’adorent pas couver des ribambelles d’enfants, malgré ce qu’en disent
les braves épouses hébétées. Quand toutes les femmes seront
conscientes, la réponse sera : aucune. Devrait-on alors obliger un petit
nombre de femmes à faire office de lapines pour les besoins de
l’espèce ? C’est hors de question, évidemment. La réponse, c’est les
laboratoires de reproduction.
   Pour ce qui est de reproduire le genre masculin, il ne s’ensuit pas,
sous prétexte que les hommes, comme la maladie, ont toujours existé,
qu’ils devraient continuer à exister. Quand le contrôle génétique sera
possible – et il le sera bientôt –, il est évident que nous devrons
reproduire que des êtres complets, sans défauts physiques ni
déficiences générales telles que la masculinité. De même que la
production délibérée d’aveugles serait parfaitement immorale, de
même en serait-il pour la production délibérée d’êtres tarés sur le plan
affectif.
   Et pourquoi reproduire des femmes ? Pourquoi des générations
futures ? à quoi serviront-elles ? Quand la vieillesse et la mort seront
éliminées, pourquoi se reproduire ? Et même si elles ne sont pas
éliminées, pourquoi se reproduire ? Qu’est-ce que cela peut bien nous
faire ce qui arrivera quand nous serons morts ? Qu’est-ce que cela peut
bien nous faire qu’il y ait ou non une nouvelle génération pour nous
succéder ?
   Le cours naturel des événements, de l’évolution sociale, aboutira au
contrôle total des femmes sur le monde. Il s’ensuit qu’elles cesseront
de reproduire des hommes et pour finir elles cesseront de reproduire
des femmes.
   Mais Scum est impatiente. Scum ne se laisse pas consoler par la
perspective des générations futures. Scum veut s’éclater tout de suite.
Et si une grande majorité de femmes étaient Scum, elles parviendraient
en quelques semaines aux commandes du pays en refusant de
travailler, c’est-à-dire en paralysant la nation entière. Elles pourraient y
ajouter d’autres mesures, dont chacune serait suffisante pour
bouleverser l’économie et le reste, comme de rompre avec le système
de l’argent, dévaliser les magasins au lieu d’acheter, et refuser d’obéir
aux lois chaque fois que ça leur chante. La Police, la Garde nationale
et l’Armée réunies ne pourraient réprimer la rébellion de plus de la
moitié de la population, surtout s’il s’agit des femmes, sans lesquelles
ils se retrouveraient complètement désemparés. Si toutes les femmes
laissaient tomber les hommes, tout simplement, le gouvernement et
l’économie nationale s’effondreraient. Même sans les laisser tomber,
les femmes, une fois conscientes de l’étendue de leur supériorité et de
leur pouvoir sur les hommes, pourraient devenir maîtresses de tout en
quelques semaines et parvenir à l’assujettissement total des hommes.
Dans une société saine, l’homme trottinerait docilement derrière la
femme. L’homme est un être obéissant, il se plie facilement au joug de
toute femme qui veut bien essayer de le dominer. Les hommes, en fait,
désirent désespérément se soumettre aux femmes, être sous la conduite
de leur Mamma et s’abandonner à ses soins. Mais cette société n’est
pas saine et la plupart des femmes n’ont pas la plus faible idée de ce
qu’est le véritable rapport des forces.
   Le conflit ne se situe donc pas entre les hommes et les femmes, mais
entre les Scum – les femmes dominatrices, à l’aise, sûres d’elles,
méchantes, violentes, égoïstes, indépendantes, fières, aventureuses,
sans gêne, arrogantes, qui se considèrent aptes à gouverner l’univers,
qui ont bourlingué jusqu’aux limites de cette société et sont prêtes à se
déchaîner bien au-delà, et les Filles à son Papa, gentilles, passives,
consentantes, « cultivées », subjuguées, dépendantes, apeurées, ternes,
angoissées, avides d’approbation, déconcertées par l’inconnu, qui
préfèrent croupir dans le purin (là au moins le paysage est familier),
s’accrocher aux singes, sentir Papa derrière et se reposer sur ses gros
biceps, qui ont besoin de voir une grosse face poilue à la Maison
Blanche, trop lâches pour regarder en face l’hideuse réalité de
l’homme, de Papa, qui ont établi leurs quartiers une fois pour toutes
dans l’auge à cochons, se sont adaptées à l’animalité qu’on attend
d’elles, y trouvent un confort superficiel et ne connaissent pas d’autre
mode de vie, ont rabaissé leur esprit, leurs pensées et leurs perceptions
au niveau du mâle ; qui, dépourvues de jugement, d’imagination et
d’humour, ne peuvent gagner la considération que dans une société
masculine, qui ne peuvent se faire une place au soleil, ou plutôt dans le
fumier, que comme pondeuses et repos du guerrier, compresses d’ego
et tétines roboratives ; qui négligées par les autres femmes, projettent
leurs tares, leur masculinité, sur toutes les femmes et considèrent les
femmes comme des vers de terre.
   Mais Scum est trop impatiente pour espérer et attendre la prise de
conscience de millions de trous-du-cul. Pourquoi les trépidantes, les
scories bouillonnantes continueraient-elles à se traîner misérablement
au milieu de toutes ces sinistres mecs-femmes ? Pourquoi le destin des
grisantes devrait-il croiser celui des grisâtres ? Pourquoi les actives et
les imaginatives devraient-elles tenir compte des passives et des
médiocres ? Pourquoi les indépendantes devraient-elles patauger dans
la morve avec les crampons à Papa ? Il n’y a aucune raison.
   En baisant le système à tout bout de champ, en détruisant la
propriété de façon sélective et en assassinant, une poignée de Scum
peut prendre le contrôle du pays en l’espace d’un an.
   Scum sera la grande force bousibaisante, la force du dé-travail. Les
Scum choisiront toutes sortes de professions et dé-travailleront. Par
exemple, les vendeuses et les standardistes Scum ne feront pas payer.
Les employées de bureau et les ouvrières Scum, tout en sabotant le
travail, détruiront secrètement le matériel. Les filles Scum dé-
travailleront systématiquement jusqu’à ce qu’elles se fassent renvoyer,
puis chercheront un nouvel emploi à bousiller.
   Scum prendra d’assaut les autobus, les taxis et les guichets, conduira
les autobus et les taxis et distribuera gratuitement les tickets.
   Scum détruira tous les objets inutiles et nocifs tels que les voitures,
les vitrines, le « Grand Art », etc.
   Ensuite Scum s’emparera des antennes de la radio et de la télévision,
et s’empressera de soulager de leur besogne tous les employés qui
s’opposeraient à l’entrée de Scum dans les studios.
   Scum exterminera tous les hommes qui ne feront pas partie de
l’Auxiliaire masculin de Scum. Font partie de l’Auxiliaire masculin les
hommes qui s’emploient méthodiquement à leur propre élimination,
les hommes qui pratiquent le bien, quels que soient leurs motifs, et
entrent dans le jeu de Scum. Exemples de ce que l’on peut trouver dans
l’Auxiliaire masculin de Scum :
   – les hommes qui en tuent d’autres ;
   – les chercheurs en biologie qui travaillent à des recherches
constructives (au lieu de préparer la guerre biologique) ;
   – les écrivains, les rédacteurs en chef, les éditeurs et les producteurs
qui répandent et favorisent les idées susceptibles de servir les buts de
Scum ;
   – les travelos qui par leur exemple magnifique encouragent les
autres hommes à se démasculiniser et à se rendre ainsi relativement
inoffensifs ;
   – les hommes qui prodiguent généreusement l’argent et tous services
gratuits ;
   – les hommes qui disent ce qui est (jusqu’à présent il n’y en a pas eu
un seul) et ont une attitude juste avec les femmes, qui révèlent la vérité
sur eux-mêmes, donnent aux écervelées des phrases correctes à répéter
et leur disent que le but premier d’une femme devrait être d’écraser le
sexe masculin (pour aider les hommes dans cette tâche, Scum
organisera des Sessions merdiques au cours desquelles chaque homme
présent fera un discours commençant par la phrase : « Je suis une
merde, une merde minable et abjecte », à la suite de quoi il fera une
longue liste des différents aspects de sa merdicité. En récompense, il
pourra fraterniser une heure entière avec les membres de Scum à la fin
de la session. On invitera aux sessions les femmes gentilles et
proprettes afin d’éclaircir avec elles tous les doutes et malentendus qui
subsistent à propos du sexe masculin) ;
  – les fabricants de bouquins pornos, de films suédois, etc., qui nous
rapprochent du jour où on ne verra plus sur l’écran que Baise et
Sucerie (les hommes, comme les rats accourant aux sons de la flûte
enchantée, seront menés à leur perdition par les charmes trompeurs de
La Chatte, et dépassés, submergés, ils sombreront finalement dans la
chair passive qu’ils ont toujours été) ; ceux qui incitent à la drogue et
précipitent la déchéance masculine.
   Faire le bien est une condition nécessaire mais non suffisante pour
faire partie de l’Auxiliaire masculin de Scum. Pour sauver leurs
mornes culs, les hommes doivent aussi éviter de faire le mal. Parmi les
hommes les plus odieux ou les plus nuisibles, on compte :
   – ceux qui violent ;
   – les politiciens et toute leur clique ;
   – les chanteurs, compositeurs et musiciens gnan-gnan ;
   – les P.-D.G. ;
   – les chefs de famille et honnêtes travailleurs ;
   – les proprios ;
   – les patrons de gargotes, de restaurants et de magasins à musique
d’ambiance ;
   – les « Grands Artistes » ;
   – les joueurs qui jouent petit ;
   – les flics qui alpaguent, les procureurs qui accusent et les juges qui
collent des années à tous ceux qui violent les lois antidrogue et antijeu,
aux prostituées, aux fauteurs de pornographie et à ceux qui commettent
des crimes contre les entreprises ;
   – les magnats ;
   – les savants dont les recherches visent la mort ou la destruction ou
qui travaillent pour l’industrie privée ;
   – les menteurs et les bidons ;
   – les agents immobiliers ;
   – les agents de change ;
   – les hommes qui parlent pour ne rien dire ;
   – les pollueurs de voie publique ;
   – les plagiaires ;
   – les hommes qui font un tant soit peu de mal aux femmes ;
   – tous les requins de la publicité ;
   – les psychiatres et les psy ;
   – les hommes qui s’imaginent avoir droit à la compagnie des
inconnues qu’ils rencontrent ;
   – les censeurs publics et privés ;
   – toute l’armée, y compris les appelés.
   Si un homme peut être classé à la fois dans les catégories bien et
mal, l’ensemble de sa conduite sera examiné de façon toute subjective
pour déterminer de quel côté penche la balance.
   Il est assez tentant de mettre dans le même sac que les hommes, les
« Grands Artistes » et les faux jetons de sexe féminin, mais ce serait
gênant car la plupart des gens ne comprendraient pas clairement que
les femmes liquidées sont des mecs.
   Laisser tout tomber et vivre en marge n’est plus la solution. Baiser le
système, oui. La plupart des femmes vivent déjà en marge, elles n’ont
jamais été intégrées. Vivre en marge, c’est laisser le champ libre à ceux
qui restent ; c’est exactement ce que veulent les dirigeants ; c’est faire
le jeu de l’ennemi ; c’est renforcer le système au lieu de le saper car il
mise sur l’inaction, la passivité, l’apathie et le retrait de la masse des
femmes. C’est, en revanche, une excellente solution pour les hommes
et Scum les y encouragera vivement.
   Chercher le salut en soi, contempler son nombril, comme voudraient
nous le faire croire les partisans du Grand Lâchage, n’est pas la
solution. Le bonheur réside en dehors de soi, dans les relations avec les
autres. Notre but devrait être le débordement et non
l’autocontemplation. L’homme, qui n’est capable que de cette dernière
éventualité, fait d’un vice fondamental une vertu et l’élève au rang du
Bien philosophique, ce qui le fait passer pour profond.
   Scum n’a rien à faire de banderoles, de défilés ou de grèves pour
réaliser ses desseins. De telles tactiques sont bonnes pour les dames
comme il faut, qui choisissent soigneusement les moyens les plus sûrs
d’être inefficaces. D’ailleurs, seules des femmes-mecs du genre
convenable, élevées pour se fondre dans l’espèce, peuvent rechercher
les mouvements de foule. Scum se constitue d’individus. Scum n’est
pas un gros tas. Les actions de Scum ne seront menées que par le
nombre strictement nécessaire. De plus, Scum, qui est égoïste et garde
la tête froide, n’ira pas se jeter sous les matraques des flics ; c’est bon
pour les fifilles bien élevées qui tiennent en haute estime Papa et les
policiers et manifestent une foi touchante en leur bonté intrinsèque. Si
Scum défile un jour, ce sera sur la face stupide et répugnante du
Président. Et en fait de piquets de grève, ce seront de longs couteaux
que Scum plantera dans la nuit.
   Les agissements de Scum seront criminels. Il ne s’agira pas de
simple désobéissance civile, de violer ouvertement la loi pour aller en
prison et attirer l’attention sur l’injustice. Cette tactique suppose
l’acceptation globale du système et n’est utilisée que pour le modifier
légèrement, pour changer certaines lois précises. Scum se dresse contre
le système tout entier, contre l’idée même de lois et de gouvernement.
Ce que Scum veut, c’est démolir le système et non obtenir certains
droits à l’intérieur du système. D’ailleurs, Scum – qui garde la tête
froide, qui est avant tout égoïste – évitera toujours de se faire prendre
et de se faire condamner. Scum agira par en dessous, furtivement et
sournoisement (mais les meurtres de Scum seront toujours connus en
tant que tels).
   Meurtres et destructions seront réalisés avec discernement, de façon
sélective. Scum est contre ces soulèvements confus et hystériques, sans
objectif précis, qui sont souvent fatals à ceux de votre propre camp.
Scum n’encouragera jamais les émeutes ni aucune de ces formes de
destruction aveugle, et elle n’y participera pas. Scum traquera sa proie
froidement, dans l’ombre, et tuera avec le plus grand calme. Ses
entreprises de destruction n’auront jamais pour conséquence de
bloquer les routes nécessaires au transport de nourriture ou autres
produits vitaux, de contaminer l’eau ou d’en empêcher l’accès, de
gêner la circulation des ambulances ou d’entraver le bon
fonctionnement des hôpitaux.
   Scum continuera à détruire, piller, saboter et tuer jusqu’à ce que le
système fondé sur l’argent et le travail se soit effondré et que
l’automation soit instituée à tous les niveaux, ou jusqu’à ce qu’un
nombre suffisant de femmes alliées à Scum permette d’atteindre ces
buts sans recourir à la violence, en laissant tomber le travail ou en le
sabotant, en quittant les hommes et en refusant d’obéir à toute loi
inappropriée à une société véritablement civilisée. Beaucoup de
femmes se rangeront à ces vues, mais beaucoup d’autres (qui se sont
depuis longtemps rendues à l’ennemi, qui se sont si bien adaptées à
l’animalité, la mâlitude, qu’elles ont pris goût à la répression et aux
contraintes et qu’elles ne sauraient plus que faire de leur liberté),
continueront à jouer les lèche-cul et les paillassons, tout comme les
paysans des rizières restent les paysans des rizières tandis que les
régimes se succèdent. Les plus étourdies pleurnicheront et bouderont,
jetteront leurs jouets et leurs torchons par terre, mais Scum passera,
imperturbable, le rouleau compresseur.
   Il est facile de parvenir rapidement à une société entièrement
automatisée, à partir du moment où la demande est générale. Les plans
existent déjà, et si des millions de gens y travaillent, la construction ne
prendra que quelques semaines. Malgré la suppression de l’argent, tout
le monde sera ravi de mettre la main à la pâte et de participer à la
construction d’une société automatisée. Cela marquera le début d’une
ère nouvelle et fantastique, et son édification se fera dans une
atmosphère de fête.
   La suppression de l’argent et l’automation généralisée sont la base
de toutes les autres réformes de Scum qui seraient impossibles sans
elles, mais qui pourront être réalisées sans tarder à partir de ces
préliminaires. Le gouvernement s’effondrera automatiquement. Grâce
à l’automation généralisée, il sera possible à tout le monde de voter
directement depuis chez soi en se servant d’une machine à vote
électronique. Mais comme le gouvernement ne s’occupe pratiquement
que d’organiser les finances et d’édicter des lois visant à faire
ingérence dans la vie privée, la suppression de l’argent, et avec elle
l’élimination des mâles qui réglementent la « morale », ne laisseront
plus guère de raisons de voter.
   Une fois la finance foutue en l’air, il ne sera plus nécessaire de tuer
les hommes. Ils seront démunis du seul pouvoir qu’ils peuvent avoir
sur des femmes psychologiquement indépendantes. Ils ne pourront
plus s’imposer qu’aux paillassons, qui adorent ça. Les autres femmes
s’activeront à résoudre les quelques problèmes restants, avant de
mettre au programme l’Éternité et l’Utopie. L’enseignement sera tout
autre chose et des millions de gens pourront en quelques mois parvenir
à un niveau intellectuel qui exige actuellement des années d’études (il
est très facile de réaliser ce but à partir du moment où l’objectif de
l’enseignement est d’instruire et non de perpétuer une élite académique
et intellectuelle). Elles résoudront les problèmes de la maladie, de la
vieillesse et de la mort et réinventeront complètement les villes et
l’habitat. Beaucoup de femmes continueront à s’imaginer pendant un
certain temps qu’elles en pincent pour les hommes, mais au fur et à
mesure qu’elles s’habitueront à une société féminine et qu’elles seront
accaparées par leurs projets, la lumière se fera en elles et elles verront
clairement à quel point l’homme est inutile et banal.
   Les quelques hommes qui resteront sur la planète auront tout le
loisir de traîner leurs vieux jours chétifs. Ils pourront se défoncer ou
frimer en travelo ou regarder agir les puissantes femmes en spectateurs
passifs, essayant de vivre par procuration (un procédé électronique leur
permettra de se brancher sur la femme de leur choix et de suivre en
détail ses moindres mouvements. Les femmes y consentiront avec
obligeance car cela ne leur fera pas le moindre mal et sera une façon
particulièrement humaine et généreuse de venir en aide à leurs
malheureux compagnons handicapés), ou bien ils procréeront dans les
pâturages avec leurs paillassons, ou encore ils pourront se présenter au
centre de suicide le plus proche, amical et accueillant, où ils seront
passés au gaz en douceur, rapidement et sans douleur.
   Avant que l’automation ne soit généralement instaurée, avant que les
hommes ne soient remplacés par des machines, il faudra qu’ils se
rendent utiles. Ils devront attendre les ordres des femmes, obéir à leurs
moindres caprices, répondre à toutes leurs exigences, leur être
totalement soumis et n’exister que par leur volonté, au lieu de cette
situation complètement dégénérée et pervertie où les hommes non
seulement existent et encombrent le monde de leur ignominieuse
présence, mais en plus se font lécher le cul par la masse des femmes
qui se prosternent devant eux, millions de femmes adorant le veau
d’or. Et nous voyons le chien tirer son maître par la laisse alors que la
seule position acceptable pour l’homme, celle où il est le moins
misérable, sauf lorsqu’il choisit d’être travesti, est d’être couché aux
pieds de la femme, reconnu dans sa chiennerie : cela n’exige pas de lui
ce dont il est émotionnellement incapable ; les femmes, êtres complets,
s’occupent du reste.
   Les hommes irrationnels, les malades, ceux qui essaient de nier leur
sous-humanité, en voyant les Scum arriver sur eux comme une lame de
fond, hurleront de terreur et s’agripperont aux Gros Lolos tremblotants
de Grosse Mamma, mais les lolos ne les protégeront plus contre Scum
et Grosse Mamma s’accrochera à Gros Père qui sera recroquevillé dans
un coin et chiera dans son slip dynam. Les hommes rationnels, eux, ne
se débattront pas, ils ne lanceront pas de ruades, ne provoqueront pas
de brouhaha pénible, ils resteront sagement assis, détendus, ils
profiteront du spectacle et se laisseront dériver jusqu’à leur destin
fatal.
                                                                – 1967
               Repères biographiques
   Écrit en 1967 et publié sous forme ronéotypée par Valerie Solanas
elle-même, Scum Manifesto fut édité ensuite par Maurice Girodias en
août 1968 pour Olympia Press aux États-Unis. La première édition
française date de 1971.
  Voici comment Valerie Solanas envisageait le mode de diffusion de
Scum Manifesto :
  « Outre la vente dans les kiosques, Scum Manifesto est vendu par
correspondance pour deux dollars (envoyez les commandes à mon
adresse, donnée plus bas ; payez en liquide, par mandat, ou par chèque
certifié) et est colporté dans les rues pour un dollar.
   J’autorise quiconque le désire à le colporter – femmes, hommes,
Hare Krishna, Filles de la Révolution Américaine ou American Legion.
Maurice Girodias, vous êtes financièrement toujours aux abois. Voici
la chance de votre vie : colportez Scum Manifesto. Vous pouvez le
proposer aux alentours du salon de massage. Anita Bryant, financez
votre campagne anti-pédés en vendant le seul livre qui en vaille la
peine – Scum Manifesto. Andy Warhol, proposez-le à toutes ces
partouzes où vous vous rendez.
  Scum Manifesto se vend partout – sur les campus, à Times Square, à
Harlem, aux Nations-Unies, dans les bars à pédés, à Gristedes, le long
des docks, sous les docks (si vous y trouvez quelqu’un), à Wall Street,
sur les chantiers en construction, à Sutton Place, dans les lycées, au
Palais de justice.
  Colporteurs, passez prendre vos Scum Manifesto chez moi : 170 E.
3° St., NYC 10009, ou envoyez vos commandes à la même adresse. 50
cents l’exemplaire. La commande minimale pour les colporteurs est de
200 exemplaires. Ni crédit ni remise. Je n’aime pas l’arithmétique. Et
évitez les guerres de gangs pour vos territoires respectifs – ce n’est pas
correct. »
  Neuf ans après avoir tiré sur Andy Warhol, Valerie Solanas accorde
une interview au New York Daily Planet (4 juillet 1977) :
  « J’ai un nouveau livre en cours : Valerie Solanas ; il doit paraître
dans quelques mois. Ce n’est pas une autobiographie, mais il
comportera des commentaires sur le coup de feu, sur les événements
qui y ont conduit, et sur d’autres événements de ma vie depuis 1968. Il
portera sur tout, et sera le commencement de la fin.
  Pendant les neuf dernières années, je n’ai rien fait dans le domaine
public – écrire, donner des interviews, tirer sur quelqu’un, etc. : j’étais
en grève. L’une des conditions que je pose pour permettre aux hommes
d’argent de publier mon nouveau livre est que certains de ces hommes
d’argent avouent publiquement avoir payé les médecins pour qu’ils me
déclarent aliénée. Presque tout ce qui a été écrit à mon sujet jusqu’à
présent est de la merde pure et simple.
   Après la publication de mon prochain livre, je serai la personne la
plus puissante du monde, et je règlerai mes comptes avec tous ces
artistes de merde. Pour certains d’entre eux, parmi les principaux, je
m’en occupe déjà dans mon prochain livre. J’ai bonne mémoire, et une
liste de salauds bien fournie.
   Je toucherai 100 millions de dollars d’avance pour mon prochain
livre. Le système de l’argent ne tiendra pas longtemps le coup après sa
parution ; que ferai-je donc avec mes 100 millions de dollars en
attendant son effondrement ? Je financerai une prison, ma prison, tout
ce qu’il y a de plus personnalisé.
   Le type qui tient la librairie d’East Side, à Saint Marks Place, m’a
dit qu’il ne vend pas Scum Manifesto parce que c’est trop cher –
quelques pages seulement pour un dollar. C’est un homme qui remue
l’air. Je pourrais gonfler mon livre de vent et lui dire : « Le voilà ton
vent. Maintenant ça vaut un dollar », et il serait content. La plupart des
livres sont du vent, et rien d’autre. Ce que je propose, moi, c’est la
plus belle affaire de l’histoire. Pour un malheureux bifton, vous avez
droit à Scum Manifesto, le meilleur texte de toute l’histoire, qui ne sera
surpassé que par mon prochain livre.
   La semaine dernière, j’ai appelé les Éditions Random House pour
leur demander un exemplaire de Going Too Far, de Robin Morgan.
J’ai dit que j’en ferais une critique pour le Daily Planet. Ils m’ont
envoyé le livre, aussi je suppose que je leur dois maintenant une
critique, en échange des 36 cents qu’ils ont dépensés pour moi (35
cents de port, et 1 cent de coût du livre). O. K., voici donc ma critique :
je jette le livre aux ordures. Je ne l’ai pas encore lu, mais je n’ai pas
besoin de le faire pour savoir que c’est de l’ordure. Alors, pourquoi
l’ai-je voulu, ce livre ? Parce que je suis un collecteur d’ordures :
l’origine de l’ordure, la nature de l’ordure, le remède à l’ordure. »
  À notre connaissance, ce livre n’a jamais paru [N.d.E.].
  Une édition de Scum Manifesto publiée en 1977 s’achevait sur une
brève anthologie de commentaires suscités par le livre. Nous la
reproduisons ici :
  « Je ne l’ai jamais lu. »
  – Jo (Joreen) Freeman (auteur de Bitch Manifesto, 1970), Rapport
majoritaire, 30 avril-13 mai 1977.
  « Scum Manifesto et le mouvement radical de libération des femmes
ont toujours été en opposition. »
  – Brooke (collaboratrice de Feminist Revolution, et « féministe
radicale »), Rapport majoritaire, 30 avril-13 mai 1977.
  « [Scum Manifesto] n’a aucune valeur pour comprendre quoi que ce
soit, si ce n’est le désir de [Girodias] de faire de l’argent. »
  – Phoebe Adams, Atlantic, novembre 1968.
  « [En 1967] j’avais un contrat [pour Scum Manifesto] préparé pour
[Valerie]. »
 – Maurice Girodias, préface à la première édition de Scum
Manifesto par Olympia Press, 1968.
  « … il a fallu le coup de revolver contre Andy Warhol [en juin 1968]
pour que Maurice Girodias publie Scum Manifesto… »
 – Paul Krassner, commentaire à la première édition de Scum
Manifesto par Olympia Press, 1968.
  « Quelques mois de plus à colporter Scum Manifesto au long de la
42e rue, et je peux laisser tomber l’aide sociale. »
  – Maurice Girodias, 1978.
  « Valerie Solanas s’est tuée à 32 ans dans un hôpital psychiatrique. »
  – Paule Lebrun, pour l’édition française de Châtelaine, novembre
1974 (Canada).
  « [Valerie Solanas] s’est donné la mort du scorpion piégé dans un
cercle de feu. »
  – Françoise d’Eaubonne, « Une rose pour Valerie » (panégyrique tiré
de Tombeau pour Scum, ouvrage annoncé), publié dans son livre, Le
Féminisme ou la mort, 1974 (France).
  « La police m’a dit avoir trouvé Valerie Solanas morte dans une
chambre d’hôtel, à Paris. »
  – Françoise d’Eaubonne, lors d’une réunion à Paris, France, 1974.
  « Valerie Solanas est une vraie catastrophe. »
  – Andy Warhol, 1978.
                       POSTFACE
                    par Lauren Bastide
   Mettons-nous d’accord sur un point : éliminer les hommes réglerait
nos problèmes. À peu près tous. Le viol, la pédocriminalité, les
violences familiales, le détournement de fonds, l’évasion fi cale, l’abus
de biens sociaux, l’appropriation culturelle, les brevets, le
cyberharcèlement, l’industrie de l’armement, le nucléaire, le chômage,
les morts sur les routes, le trafic de drogue, la guerre des gangs, la
corruption, le recel, la spéculation, la délocalisation, le réchauffement
climatique, l’extinction de l’espèce, le pétrole, le charbon,
l’obsolescence programmée, la 5G, la chasse, la drague lourde, la
glyphosate, le chlordécone, le racisme, le néocolonialisme, l’homicide,
le féminicide, la police, le mariage, la frigidité, la virginité,
l’impuissance, l’IVG, les MST, la contraception, les banques, Amazon,
Facebook, Pfizer, Tesla, l’intégrisme, le socialisme, le terrorisme, le
capitalisme, le patriotisme, Manuel Valls, la dictature, le dopage et le
burn out.
   Oui, éliminer les hommes est de toute évidence une solution valable.
Je suggère maintenant qu’on se pose la vraie question : comment ?
  Non, je rigole.
  Non, vraiment, c’était une blague. C’est forcément une blague
d’avoir pour projet l’élimination radicale des hommes. N’est-ce pas ?
  En tout cas, c’est comme ça que tout le monde a l’air de prendre le
petit manifeste de Valerie Solanas. L’un des seuls textes qui nous
soient arrivés de cette prolixe écrivaine qui n’eut, toute sa vie, pour
unique possession qu’une machine à écrire.
   Je succède ici à Michel Houellebecq. Franchement, je ne pensais pas
un jour écrire cette phrase, pourtant c’est le cas. La dernière personne
avant moi à avoir postfacé le SCUM Manifesto est Michel
Houellebecq, dans un texte qui débutait par ces mots : « Pour ma part,
j’ai toujours considéré les féministes comme d’aimables connes,
inoffensives dans leur principe, malheureusement rendues dangereuses
par leur désarmante absence de lucidité. » Dans sa postface, Michel
Houellebecq accorde, certes, à Solanas quelques qualités (« être
incomplet, torturé, contradictoire, fascinant et exaspérant comme le
sont toujours les prophètes »), mais il emploie tout du long un
insupportable ton ironique laissant entendre qu’il considère le SCUM
comme un négligeable délire enfantin. En réalité, Michel fait preuve
dans ce texte d’une certaine paresse intellectuelle parce que
l’évocation du SCUM fait toujours, d’abord, sourire. C’est ainsi, sous
le sceau de l’humour, qu’il a été accueilli en France, en 1971. Le
Monde rapporte comment sa traductrice, Emmanuèle de Lesseps,
féministe engagée dans les rangs du MLF, se remémore sa première
lecture : « J’ai tout d’abord ri, puis me suis dit que ce serait amusant à
         1                                             2
traduire . » L’une de ses biographes, Breanne Fahs . , raconte dans un
entretien au site Interview : « Je me souviens très bien de la première
fois que j’ai lu le SCUM Manifesto, je riais toute seule, très très fort,
                                  3
d’une façon presque indécente . . » Dans un article de Libération paru
quelques semaines avant que j’écrive ces lignes, une journaliste semble
accorder au texte de Solanas le même caractère bon enfant. « Au
premier degré, le SCUM Manifesto est un essai féminazi. Dès le
                                                                   4
second, c’est un uppercut satirique à hurler de rire », écrit-elle . . Bref,
il est communément admis que formuler le projet de rayer les hommes
de la surface de la planète se doit d’être une boutade.
   Ce rire est un rire gêné. Car personne n’a jamais vraiment su
comment aborder le texte de Solanas. Dès les premières minutes après
sa parution, on assiste à une division entre celles qui prennent au pied
de la lettre cet arrogant petit pamphlet et celles qui le jugent fantaisiste.
À l’époque, aux États-Unis, on voit s’opposer la frange radicale de la
National Organization for Women (NOW), incarnée par Ti-Grace
Atkinson, militante lesbienne qui écrivit la fameuse phrase « le
féminisme est la théorie, le lesbianisme est la pratique » et pour qui le
SCUM est un mot d’ordre, et sa frange réformiste, portée par Betty
Friedan, féministe blanche et hétérosexuelle, autrice de La Femme
mystifiée, qui appela solennellement l’avocate de Solanas à se
désolidariser de la sulfureuse autrice « au risque de nuire à NOW, dont
l’objectif est l’égalité complète entre les femmes et le partenariat réel
avec les hommes ». Notons que Solanas, à l’époque internée pour
avoir tiré sur Andy Warhol – j’y reviendrai – a envoyé bouler les deux
camps et adressé une lettre mythique à Ti-Grace Atkinson, qu’elle
jugeait sans doute trop tiède, la traitant de « parasite incompétente » et
lui interdisant formellement « de prendre la parole publiquement sur
elle, le SCUM, ou tout autre sujet la concernant ».
   Valerie Solanas est la vieille tante encombrante que les féministes ne
savent pas très bien où placer à table, étant entendu que de fait, elle
emmerde tout le monde. Celles qui se revendiquent de la frange la plus
drastique, mais restent incapables d’aller au bout de l’idée. Et les plus
réformistes qui verraient s’annihiler, si le manifeste de Solanas était
pris pour ce qu’il est, c’est-à-dire un programme politique, tous leurs
efforts de conciliation avec l’oppresseur.
   Nous sommes en 2021, et je pense qu’il est temps de prendre Valerie
Solanas au sérieux. Il ne faut pas se laisser leurrer par la récurrence du
terme « rigolade » dans son texte. Solanas ne déconnait pas. Le rictus
grimaçant du SCUM n’est pas celui d’un clown faisant une bonne
vanne, c’est le sourire jouissif de la vengeance accomplie. D’ailleurs,
Valerie Solanas ne sourit sur aucune des rares images qui nous sont
parvenues d’elle. Son visage est concentré, bouche tirée vers le bas,
regard déterminé. Non, vraiment, j’en suis convaincue, quand Valerie
Solanas écrit : « Les hommes sont des Midas d’un genre spécial : tout
ce qu’ils touchent se change en merde », cela n’a rien d’un trait
d’humour.
   La preuve : elle fait partie des très rares femmes à l’avoir fait. La
tentative de meurtre sur homme. Le 3 juin 1968, elle s’introduit dans la
Factory armée d’un revolver et tire trois balles sur Andy Warhol, le
touchant au foie, à la rate et au poumon. Elle a presque réussi son
coup, l’artiste est déclaré cliniquement mort pendant deux minutes.
Quelques heures après les tirs, Solanas se rend à la police et déclare
sobrement : « Il avait trop de contrôle sur ma vie. » Son acte est mis
sur le compte de sa schizophrénie, qui sera diagnostiquée quelques
mois plus tard et lui vaut de basculer du système pénal au système
psychiatrique, dans lequel elle restera embourbée pendant plusieurs
années.
   Pour prendre Valerie Solanas au sérieux, il faut entendre son histoire
et comprendre d’où elle écrit ce texte, et d’où elle tire ces balles.
Solanas était une enfant précoce, qui sut lire très tôt, se mit à écrire dès
l’adolescence et s’illustra par son éloquence et les textes politiques –
féministes ! dans les années 50 ! – qu’elle écrivait dans le journal de la
fac, pendant ses études en psychologie à l’université du Maryland. «
Elle était convaincue qu’un jour le monde allait la découvrir et qu’elle
aurait la gloire qu’elle méritait tant », témoigne l’un de ses proches
dans la biographie de Fahs. Sa première pièce, Up Your Ass, le récit
d’une travailleuse du sexe misandre, porte cette dédicace : « Je dédie
cette pièce à MOI-MÊME, source perpétuelle de force et d’inspiration,
et sans l’indéfectible loyauté, dévotion et foi de laquelle cette pièce
n’aurait jamais été écrite. » Valerie Solanas croyait en elle. Elle croyait
en elle alors qu’elle fut violée par son père dans l’enfance, puis par son
beau-père à l’adolescence, puis violentée par son grand-père chez qui
elle avait été placée. Elle croyait en elle alors qu’elle fut SDF à 13 ans.
Elle croyait en elle alors qu’elle fut deux fois mère avant 15 ans – des
grossesses cachées, son premier enfant fut élevé comme sa sœur et son
second confié à une famille d’accueil. Elle croyait en elle alors qu’elle
était lesbienne et out dans les années 50. Elle croyait en elle parce
qu’elle était convaincue que son talent serait plus fort que les hommes.
   Lorsqu’elle rencontre Andy Warhol, en 1965, elle fait la manche et
quelques passes au Chelsea Hotel à New York. Elle écrit ce manifeste
misandre qu’elle vendra bientôt à la criée dans les rues de Manhattan
(1 $ aux femmes, 2,50 $ aux hommes). Elle rêve que l’artiste devienne
son producteur et monte sa pièce Up Your Ass, dont elle lui confie,
pleine d’espoir, l’unique manuscrit. Pour toute réponse, Andy Warhol
fait jouer Solanas dans un mauvais porno pour 24 $ et « égare » le
précieux texte, qui ne sera retrouvé que près de trente ans plus tard, au
fond d’une caisse à matériel photo. Un peu encombré par cette fi pas si
jolie et trop grande gueule, il la laisse entre les griffes de leur ami
commun, l’éditeur français Maurice Girodias – déjà connu pour avoir
publié Lolita de Nabokov, le roman qui glamourisa la pédocriminalité.
Celui-ci profite de sa grande précarité pour lui proposer un marché
foireux : elle lui cède la totalité des droits de ses œuvres, y compris le
SCUM Manifesto, pour la somme de 500 $. Il surfera sur la hype qui
suivit la tentative d’assassinat de Warhol pour publier le texte et lui
donner un retentissement mondial, alors que Solanas est internée.
   La relation entre Warhol et Solanas dura près de trois ans, et on
imagine aisément les insupportables heures qu’elle a dû passer, à
attendre son tour, à espérer qu’il la lise, à accepter d’être sexifiée,
objectifiée, prise et jetée, à serrer les dents en se fondant dans
l’entourage du pervers narcissique dans le but d’atteindre son Graal :
une vie d’écrivaine. Tout ce temps qu’elle a passé à sucer des bites, à
faire des sourires, à laisser ces hommes jouir de leur domination
sociale et économique sur elle, elle gardait chevillée au corps la
certitude que Warhol allait finir par voir qu’il se trompait, qu’elle
n’était pas sa chose, mais son égale. Ils l’ont fait mentir. Alors elle a
tiré. Valerie Solanas, c’était Jacqueline Sauvage. Les trois coups sur
Warhol, c’était de la légitime défense.
   C’est fou, cet échec récurrent à comprendre qui était Solanas, le
malentendu qui persiste à son sujet cinquante ans après. Elle est restée
pour beaucoup et à jamais la folle dont le visage hagard s’étalait en
une de la presse au lendemain de son crime, son nom, sous la photo,
écorché en Solanis. Elle demeure pour certain•e•s, notamment celles et
ceux qui continuent de vouloir la ranger dans la même catégorie que
Houellebecq, une provocatrice née dont l’ensemble du parcours et des
écrits serait une sorte de happening géant destiné à faire rire, réfléchir
à la rigueur, comme si elle avait tout orchestré, le manifeste
sanguinaire distribué à la main, suivi des coups de feu et de
l’internement depuis lequel elle continue de balancer des scuds plus
gros qu’elle, avant de disparaître dans la nature et de mourir seule et
pauvre. Après sa mort, à 52 ans, dans un hôtel miteux de San Francisco
– son corps ne fut découvert que cinq jours après son décès, certaines
sources parlent de pneumonie, d’autres, d’overdose –, sa mère fit
brûler la totalité de ses écrits, des centaines, peut-être des milliers de
pages soigneusement dactylographiées et classées.
   Mais la plupart des gens qui déblatèrent sur elle passent à côté d’un
fait : Valerie Solanas était une travailleuse du sexe. Valerie Solanas
était une pute, précaire et sans domicile fixe. Et cette situation prend
racine dans une vie marquée du sceau de la violence masculine. Pour
écrire ce texte, j’ai lu des tas d’articles sur elle. Souvent, on trouve son
portrait dans des rubriques dédiées, « Les grands crimes de l’histoire »
ou « Les femmes violentes », où elle est traitée comme une curiosité,
une bête de cirque, une femme à barbe. Le seul média où j’ai entendu
parler de Valerie Solanas avec respect est un podcast qui s’appelle The
Oldest Profession (« Le plus vieux métier du monde »), animé par
Kaytlin Bailey, travailleuse du sexe, humoriste et militante pour les
droits des travailleur•euse•s du sexe, et co-animé par Ceyenne
Doroshow, travailleuse du sexe et militante trans et anti-raciste. Leur
échange est grave et poignant. Pas une seconde, ces deux-là ne
prennent Solanas pour une allumée. Pas une seconde, elles ne ricanent
en évoquant le SCUM. « Ce qui frappe, dans le SCUM Manifesto, dit
Kaytlin Bailey dans cette émission, c’est que sa haine au vitriol pour
les hommes, aussi bien individuellement que globalement, est une
réalité que seules les vieilles professionnelles peuvent toucher du
doigt. Pour être capable d’aller jusqu’au cœur de la pourriture de la
masculinité toxique, pour l’avoir vue en première ligne, il faut avoir
été une travailleuse du sexe. Elles sont les seules à saisir à quel point
cette adoration du sexe masculin qu’on nous impose depuis deux mille
ans est impotente, immorale et stupide. »
   Tout est juste, dans le texte de Solanas. Tout est précis et argumenté.
« Baiser permet aux hommes de se protéger contre leur désir d’être des
femmes » : dans cette citation tirée du manifeste, il y a tout, le
retournement de Freud, la performance butlérienne, la masculinité
toxique, le caractère systémique du viol. Elle désigne le seul véritable
coupable : le capitalisme, et appelle de ses vœux une convergence des
luttes – même s’il est à noter qu’elle ne mentionne pas le racisme –
entre les combats des prolétaires, des femmes et des personnes queers
qui n’a rien à envier aux franges les plus révolutionnaires du
féminisme contemporain. « Souvenez-vous que je suis la seule femme
ici qui ne soit pas folle », cette phrase, peut-être la plus célèbre qu’elle
ait prononcée, aurait dû nous mettre sur la voie.
   Aujourd’hui ce texte reparaît dans un contexte de radicalisation
féministe indéniable. Les militantes féministes lesbiennes n’ont jamais
cessé de lire et de vénérer le manifeste de Solanas, mais MeToo donne
une dimension nouvelle au SCUM et au vécu de son autrice. Si, au
moment de sa parution, Solanas semblait aux yeux du monde une fille
pas de chance, une fille perdue, on sait aujourd’hui que ce qu’elle a
vécu – le viol dans l’enfance, les violences sexuelles adultes, la
domination économique – n’est pas une exception, mais un système.
Les millions de femmes qui ont dit « moi aussi » ont constitué un
terreau fertile au SCUM et rendu sa férocité plus audible. Et puis ce
texte paraît à une époque où ma consœur Alice Coffin écrit : « Je ne lis
plus les livres des hommes, je ne regarde plus leurs films, je n’écoute
plus leurs musiques. […] L’art est une extension de l’imaginaire
                                                                         5
masculin. Ils ont déjà infesté mon esprit. Je me préserve en les évitant
», où la jeune écrivaine Pauline Harmange écrit : « Moi, les hommes,
               6
je les déteste . » Force est de constater que ces textes-là, pourtant
beaucoup moins violents que le manifeste de Solanas, ne font pas rire
du tout. Ils déclenchent au contraire l’ire et le harcèlement. La société
commence à prendre la misandrie au sérieux. On sent bien que
l’époque n’est plus à rire du SCUM, mais à envisager que sûrement –
et c’est le cas, je vous le confirme – plusieurs milliers de femmes ou
                     7
personnes sexisées envisagent de prendre à la lettre le programme de
ce pamphlet. C’est, j’imagine, pour cela que je suis là, moi, féministe «
acceptable » parce que blanche, parce que bourgeoise, parce que mère,
parce que blonde aux cheveux longs. Quand on fait écrire la postface à
Houellebecq, c’est pour mettre le texte à distance, lui conférer un
caractère fantasque. Ce qu’on attend de moi, c’est que je lui redonne
une forme de rondeur digeste.
   Mais qu’on nous demande, à moi ou à Houellebecq, de venir
apposer nos mots à ceux de Solanas, c’est encore et toujours un même
mécanisme de compensation, de pondération de la parole
révolutionnaire d’une travailleuse du sexe queer, pauvre et
psychotique. Au fond, ce détestable vieux mâle blanc et moi-même
remplissons là une même mission : que « ça passe mieux ». J’accepte
ce rôle parce que je demeure porteuse d’un certain idéalisme, d’un
incorrigible désir de raccrocher les deux wagons, de faire le pont entre
les féministes réformistes et les franges les plus radicales du
mouvement. Si mon nom sur la couverture permet à quelques lectrices
de Elle d’acheter le manifeste, de le lire, voire de le comprendre, alors
soit. Je le fais. « Le conflit ne se situe donc pas entre les hommes et les
femmes, écrit Valerie Solanas, mais entre les Scum – les femmes
dominatrices, à l’aise, sûres d’elles, méchantes, violentes, égoïstes,
indépendantes, fi aventureuses, sans gêne, arrogantes, qui se
considèrent aptes à gouverner l’univers, qui ont bourlingué jusqu’aux
limites de cette société et sont prêtes à se déchaîner bien au-delà, et les
Filles à son Papa, gentilles, passives, consentantes, “cultivées”,
subjuguées, dépendantes, apeurées, ternes, angoissées, avides
d’approbation, déconcertées par l’inconnu, qui préfèrent croupir dans
le purin (là au moins le paysage est familier), s’accrocher aux singes,
sentir Papa derrière et se reposer sur ses gros biceps, qui ont besoin de
voir une grosse face poilue à la Maison Blanche, trop lâches pour
regarder en face l’hideuse réalité de l’homme […]. »
   Ma tâche est de réconcilier les Scum et les Filles à Papa. Je m’en
acquitte avec joie, parce qu’on frôle le moment où les Filles à Papa
réalisent qu’elles aussi, même elles, se font profondément avoir, et
qu’à force de tendre la croupe au pouvoir, à force de frayer avec le
capitalisme et le racisme, elles vont l’avoir, leur dictature fasciste, et
elles vont le perdre, le droit de prendre la pilule, de briser le plafond de
verre et de sortir seules le soir. Mais je persiste à penser qu’on aura
vraiment compris Solanas le jour où l’on demandera à une travailleuse
du sexe d’écrire cette postface. Le jour où cela sera une personne trans
qui s’y attellera. Le jour où ce sera une femme noire qui sera autorisée
à dire : oui, je lis dans ce texte ma rage et ma colère, oui, ce projet
d’éradication des hommes est un projet acceptable, oui, ils m’ont
vraiment fait chier, et oui, j’ai envie de les tailler en pièces. Ce jour-là,
nous serons prêt•e•s.
                                                            Lauren Bastide
                                                            11 janvier 2021
       Nous remercions les libraires
  participant à l’aventure 1001 Nuits
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culturel, Figeac) ; Benoit Anceaume (L’esperluette, Chartres) ; Céline
Arrault (Le pain de 4 livres, Yerres) ; Laurent Artu (groupe NAP,
Charenton) ; Amélie Artus (Sauramps, Montpellier) ; Isabelle
Aurousseau-Couriol (Librairie de Paris, Saint-Étienne) ; Samuel
Badaud (Vent d’ouest, Nantes) ; Laurent Bangoura (Cas’a Bulles,
Cayenne) ; Emmanuelle Barbier-Maître (Librairie du Cours, Lyon) ;
Grégory Barroso (Le grand cercle, Éragny) ; Anne Baudinet (L’oiseau
lire, Visé) ; Raluca Belandry (Revue Daïmon, Paris) ; Fabienne
Boidot-Forget (Gibert Joseph, Pithiviers) ; Cécile Boissier (Garin,
Chambéry) ; Delphine Bouetard, (Librairie Ici, Paris) ; Romain Boyer
(La Renaissance, Creil) ; Joëlle Brack Grosmangin (Librairie Payot,
Lausanne) ; Bruno Cassou (Antipodes, Enghien-les-Bains) ; Philippe
Castelneau (Sauramps Odyssée, Montpellier) ; David Cazals (Librairie
Henri IV, Paris) ; Cécile Chaffois (Nouvelle Librairie Baume,
Montélimar) ; Guillaume Chauvot (Gibert Joseph, Lyon) ; Christine
Charrier (Agora, La Roche-sur-Yon) ; Renée Combal-Weiss
(Caractères, Issy-les-Moulineaux) ; Catherine Connan (Fnac Bellecour,
Lyon) ; Silvana Cotelli (Librairie Payot, Neuchâtel) ; Nadine Couder
(Grand Large, Saint-Martin-de-Ré) ; Muriel Couderc (La folle avoine,
Villefranche-de-Rouergue) ; Florence Courbalay (Espace culturel
Leclerc, Ancenis) ; Pierre Coutelle (Mollat, Bordeaux) ; Clara Da Silva
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Amboise) ; Alban Derbré (Gibert Joseph, Paris) ; Charlotte
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(Martelle, Amiens) ; Julien Doussinault (L’Écume des Pages, Paris) ;
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(Ellipses, Toulouse) ; Arnaud Dujeancourt (L’encre marine, Eu) ;
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Ermont) ; Philippe Fournier (Maison de la presse, Mondésir) ;
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(Cultura, Gennevilliers).
La Petite Collection des éditions Mille
           et une nuits
      En 1993, les éditions Mille et une nuits lancent un concept
          éditorial révolutionnaire : « le livre à 10 francs ».
     Dès la parution du premier volume de la Petite Collection, le
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     Depuis, plus de 600 titres ont été publiés : textes essentiels,
     propositions éclectiques dans les domaines de la littérature,
     des beaux-arts et des sciences humaines, depuis l’Antiquité
       jusqu’à nos jours, écrits méconnus de grands auteurs ou
           textes puissants d’auteurs injustement oubliés.
        Accessible à tous par son prix et son format, la Petite
      Collection s’adresse aux curieux, lecteurs occasionnels ou
     avertis, esthètes. Elle présente des livres réjouissants, beaux
                             et bons à la fois.
         Depuis mars 2020, vos libraires participent à la
       programmation éditoriale de la Petite Collection. Ils
      choisissent avec nous, éditeurs, les nouveautés et leurs
                           couvertures.
      N’hésitez pas à leur faire part de vos envies de lecture !
  1. Scum, en anglais (prononcer « scome »), signifie : rebut, lie, écume, scorie, etc.
(N.d.T.)
   2. Virginia est presque une institution aux États-Unis. C’est une petite fille qui, en 1897
(elle est morte à l’âge de quatre-vingt un ans), est devenue célèbre pour avoir envoyé cette
lettre à un grand quotidien, le New York Sun : « … Mes amis me disent que le Père Noël
existe. Papa me dit que si on le voit dans le Sun c’est que c’est vrai. Alors, y a-t-il un Père
Noël ? »
  Voici ce que le New York Sun a répondu : « Oui, Virginia, le Père Noël existe, il existe
aussi sûrement que l’amour, la générosité et la dévotion, et vous savez que ces qualités
abondent et donnent à notre vie toute sa beauté et toute sa joie. Hélas, comme serait triste
un monde sans Père Noël. Il serait aussi triste que s’il n’y avait pas de Virginia. » (N.d.T.).
  1. Zineb Dryef, « Il y a cinquante ans, le choc SCUM Manifesto, un texte féminin
radical », Le Monde, 20 novembre 2020.
  2. Autrice de Valerie Solanas : The Defi Life of the Woman Who Wrote SCUM (And Shot
Andy Warhol), The Feminist Press at CUNY, 2014.
   3. Hannah Ghorashi, « Layers of SCUM : Uncovering Valerie Solanas »,
Interviewmagazine.com, 1er avril 2014.
  4. Ève Beauvallet, « Prise de Houellebecq autour d’un manifeste », Libération, 20
novembre 2020.
  5. Dans Le Génie lesbien, Grasset, 2020.
  6. Dans Moi les hommes, je les déteste, Seuil, 2020.
   7. J’emprunte ce terme à Juliet Drouar qui, dans le texte « “Femme” n’est pas le
principal sujet du féminisme » (Mediapart, 30 juin 2020), propose de désigner sous ce
terme le groupe constitué des femmes et de toutes les personnes – homosexuelles, trans,
intersexes, non-binaires, queer ou autres – subissant l’oppression sexiste.