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Foi et Raison selon Jean-Paul II

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6/18/24, 3:28 PM L’esprit de saint Thomas d’Aquin

Saint Jean-Paul II et Léon XIII

Saint Thomas d’Aquin


Le Docteur des docteurs

1. Jean-Paul II : L’esprit de saint Thomas d’Aquin (1998)

2. Léon XIII : « Un an dans saint Thomas vaut mieux


que toute une vie dans tout autre théologien » (1879)

Sommaire ↑

1. Jean-Paul II : L’esprit de saint Thomas d’Aquin (1998)

EXTRAIT DE LA LETTRE ENCYCLIQUE

FIDES ET RATIO

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6/18/24, 3:28 PM L’esprit de saint Thomas d’Aquin

DU SOUVERAIN PONTIFE
JEAN-PAUL II

AUX ÉVÊQUES DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE


SUR LES RAPPORTS
ENTRE LA FOI ET LA RAISON

Bénédiction

Vénérés Frères dans l’épiscopat,


salut et Bénédiction apostolique!

La foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent à l’esprit humain
de s’élever vers la contemplation de la vérité. C’est Dieu qui a mis au cœur de
l’homme le désir de connaître la vérité et, au terme, de Le connaître lui-même afin
que, Le connaissant et L’aimant, il puisse atteindre la pleine vérité sur lui-même
(cf. Ex 33, 18; Ps 27 [26], 8-9; 63 [62], 2-3; Jn 14, 8; 1 Jn 3, 2).
[…]
42. Dans la théologie scolastique, le rôle de la raison éduquée par la
philosophie devient encore plus considérable, sous la poussée de l’interprétation
anselmienne de l’intellectus fidei. Pour le saint archevêque de Cantorbéry, la
priorité de la foi ne s’oppose pas à la recherche propre à la raison. Celle-ci, en effet,
n’est pas appelée à exprimer un jugement sur le contenu de la foi; elle en serait
incapable, parce qu’elle n’est pas apte à cela. Sa tâche est plutôt de savoir trouver
un sens, de découvrir des raisons qui permettent à tous de parvenir à une certaine
intelligence du contenu de la foi. Saint Anselme souligne le fait que l’intellect doit
se mettre à la recherche de ce qu’il aime: plus il aime, plus il désire connaître. Celui
qui vit pour la vérité est tendu vers une forme de connaissance qui s’enflamme
toujours davantage d’amour pour ce qu’il connaît, tout en devant admettre qu’il n’a
pas encore fait tout ce qu’il désirerait: « J’ai été fait pour te voir et je n’ai pas
encore fait ce pour quoi j’ai été fait » (Ad te videndum factus sum, et nondum feci
propter quod factus sum). [42] Le désir de vérité pousse donc la raison à aller
toujours au-delà; mais elle est comme accablée de constater qu’elle a une capacité
toujours plus grande que ce qu’elle appréhende. A ce point, toutefois, la raison est
en mesure de découvrir l’accomplissement de son chemin: « Car j’estime qu’il doit
suffire à qui recherche une chose incompréhensible de parvenir en raisonnant à
connaître ce qu’elle est plus que certainement, même s’il ne peut, par son
intelligence, pénétrer comment elle est de la sorte [...]. Or qu’est-il d’aussi
incompréhensible, d’aussi ineffable, que cela qui est au-dessus de toutes choses? Si
les points qui furent jusqu’ici discutés au sujet de l’essence suréminente sont
assurés par des raisons nécessaires, la solidité de leur certitude ne vacille
nullement, bien que l’intelligence ne puisse les pénétrer, ni les expliquer par des
paroles. Et, si une considération précédente a compris rationnellement qu’est
incompréhensible (rationabiliter comprehendit incomprehensibile esse) la
manière dont la sagesse suréminente sait ce qu’elle a fait, [...] qui expliquera
comment elle se sait ou se dit elle-même, elle dont l’homme ne peut rien savoir ou
presque? ». [43]

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L’harmonie fondamentale de la connaissance philosophique et de la


connaissance de la foi est confirmée une fois encore: la foi demande que son objet
soit compris avec l’aide de la raison; la raison, au sommet de sa recherche, admet
comme nécessaire ce que présente la foi.

La constante nouveauté de la pensée de saint Thomas d’Aquin

43. Sur ce long chemin, saint Thomas occupe une place toute particulière, non
seulement pour le contenu de sa doctrine, mais aussi pour le dialogue qu’il sut
instaurer avec la pensée arabe et la pensée juive de son temps. À une époque où les
penseurs chrétiens redécouvraient les trésors de la philosophie antique, et plus
directement aristotélicienne, il eut le grand mérite de mettre au premier plan
l’harmonie qui existe entre la raison et la foi. La lumière de la raison et celle de la
foi viennent toutes deux de Dieu, expliquait-il; c’est pourquoi elles ne peuvent se
contredire. [44]
Plus radicalement, Thomas reconnaît que la nature, objet propre de la
philosophie, peut contribuer à la compréhension de la révélation divine. La foi ne
craint donc pas la raison, mais elle la recherche et elle s’y fie. De même que la
grâce suppose la nature et la porte à son accomplissement, [45] ainsi la foi suppose
et perfectionne la raison. Cette dernière, éclairée par la foi, est libérée des fragilités
et des limites qui proviennent de la désobéissance du péché, et elle trouve la force
nécessaire pour s’élever jusqu’à la connaissance du mystère de Dieu Un et Trine.
Tout en soulignant avec force le caractère surnaturel de la foi, le Docteur
Angélique n’a pas oublié la valeur de sa rationalité; il a su au contraire creuser plus
profondément et préciser le sens de cette rationalité. En effet, la foi est en quelque
sorte « un exercice de la pensée »; la raison de l’homme n’est ni anéantie ni
humiliée lorsqu’elle donne son assentiment au contenu de la foi; celui-ci est
toujours atteint par un choix libre et conscient. [46]
C’est pour ce motif que saint Thomas a toujours été proposé à juste titre par
l’Eglise comme un maître de pensée et le modèle d’une façon correcte de faire de la
théologie. Il me plaît de rappeler, dans ce contexte, ce qu’a écrit le Serviteur de
Dieu Paul VI, mon prédécesseur, à l’occasion du septième centenaire de la mort du
Docteur Angélique: « Sans aucun doute, Thomas avait au plus haut degré le
courage de la vérité, la liberté d’esprit permettant d’affronter les nouveaux
problèmes, l’honnêteté intellectuelle de celui qui n’admet pas la contamination du
christianisme par la philosophie profane, sans pour autant refuser celle-ci a priori.
C’est la raison pour laquelle il figure dans l’histoire de la pensée chrétienne comme
un pionnier sur la voie nouvelle de la philosophie et de la culture universelle. Le
point central, le noyau, pour ainsi dire, de la solution qu’avec son intuition
prophétique et géniale il donna au problème de la confrontation nouvelle entre la
raison et la foi, c’est qu’il faut concilier le caractère séculier du monde et le
caractère radical de l’Evangile, échappant ainsi à cette tendance contre nature qui
nie le monde et ses valeurs, sans pour autant manquer aux suprêmes et inflexibles
exigences de l’ordre surnaturel ». [47]
44. Parmi les grandes intuitions de saint Thomas, il y a également celle qui
concerne le rôle joué par l’Esprit Saint pour faire mûrir la connaissance humaine

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en vraie sagesse. Dès les premières pages de sa Somme théologique, [48] l’Aquinate
voulut montrer le primat de la sagesse qui est don de l’Esprit Saint et qui introduit
à la connaissance des réalités divines. Sa théologie permet de comprendre la
particularité de la sagesse dans son lien étroit avec la foi et avec la connaissance
divine. Elle connaît par connaturalité, présuppose la foi et arrive à formuler son
jugement droit à partir de la vérité de la foi elle-même: « La sagesse comptée
parmi les dons du Saint-Esprit est différente de celle qui est comptée comme une
vertu intellectuelle acquise, car celle-ci s’acquiert par l’effort humain, et celle-là au
contraire « vient d’en haut », comme le dit saint Jacques. Ainsi, elle est également
distincte de la foi, car la foi donne son assentiment à la vérité divine considérée en
elle-même, tandis que c’est le propre du don de sagesse de juger selon la vérité
divine ». [49]
La priorité reconnue à cette sagesse ne fait pourtant pas oublier au Docteur
Angélique la présence de deux formes complémentaires de sagesse: la sagesse
philosophique, qui se fonde sur la capacité de l’intellect à rechercher la vérité à
l’intérieur des limites qui lui sont connaturelles, et la sagesse théologique, qui se
fonde sur la Révélation et qui examine le contenu de la foi, atteignant le mystère
même de Dieu.
Intimement convaincu que « omne verum a quocumque dicatur a Spiritu
Sancto est » (« toute vérité dite par qui que ce soit vient de l’Esprit Saint »), [50]
saint Thomas aima la vérité de manière désintéressée. Il la chercha partout où elle
pouvait se manifester, en mettant le plus possible en évidence son universalité. En
lui, le Magistère de l’Église a reconnu et apprécié la passion pour la vérité; sa
pensée, précisément parce qu’elle s’est toujours maintenue dans la perspective de
la vérité universelle, objective et transcendante, a atteint « des sommets auxquels
l’intelligence humaine n’aurait jamais pu penser ». [51] C’est donc avec raison qu’il
peut être défini comme « apôtre de la vérité ». [52] Précisément parce qu’il
cherchait la vérité sans réserve, il sut, dans son réalisme, en reconnaître
l’objectivité. Sa philosophie est vraiment celle de l’être et non du simple
apparaître.

Le drame de la séparation entre la foi et la raison

45. Avec la naissance des premières universités, la théologie allait se confronter


plus directement avec d’autres formes de la recherche et du savoir scientifique.
Saint Albert le Grand et saint Thomas, tout en maintenant un lien organique entre
la théologie et la philosophie, furent les premiers à reconnaître l’autonomie dont la
philosophie et la science avaient nécessairement besoin pour œuvrer efficacement
dans leurs champs de recherche respectifs. A partir de la fin du Moyen Âge,
toutefois, la légitime distinction entre les deux savoirs se transforma
progressivement en une séparation néfaste. A cause d’un esprit excessivement
rationaliste, présent chez quelques penseurs, les positions se radicalisèrent, au
point d’arriver en fait à une philosophie séparée et absolument autonome vis-à-vis
du contenu de la foi. Parmi les conséquences de cette séparation, il y eut également
une défiance toujours plus forte à l’égard de la raison elle-même. Certains
commencèrent à professer une défiance générale, sceptique et agnostique, soit

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pour donner plus d’espace à la foi, soit pour jeter le discrédit sur toute référence
possible de la foi à la raison.
En somme, ce que la pensée patristique et médiévale avait conçu et mis en
œuvre comme formant une unité profonde, génératrice d’une connaissance
capable d’arriver aux formes les plus hautes de la spéculation, fut détruit en fait
par les systèmes épousant la cause d’une connaissance rationnelle qui était séparée
de la foi et s’y substituait.

42. S. Anselme, Proslogion, 1: éd. M. Corbin, Paris (1986), p. 239. [↩]


43. Idem, Monologion, 64: éd. M. Corbin, Paris (1986), p. 181. [↩]
44. Cf. S. Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils, I, VII. [↩]
45. Cf. idem, Somme théologique, I, q. 1, a. 8, ad 2: « cum enim gratia non tollat naturam sed perficiat ». [↩]
46. Cf. Jean-Paul II, Discours aux participants au IXe Congrès thomiste international (29 septembre 1990):
Insegnamenti, XIII, 2 (1990), pp. 770-771. [↩]
47. Lettre apostolique Lumen Ecclesiæ (20 novembre 1974), n. 8: AAS 66 (1974), p. 680. [↩]
48. Cf. I, q. 1, a. 6: « Præterea, hæc doctrina per studium acquiritur. Sapientia autem per infusionem
habetur, unde inter septem dona Spiritus Sancti connumeratur » - « De plus, cette doctrine s’acquiert par
l’étude. La sagesse est possédée par infusion et elle est donc comptée parmi les sept dons du Saint-Esprit ».
[↩]
49. Ibid., II-II, q. 45, a. 1, ad 2; cf. aussi II-II, q. 45, a. 2. [↩]
50. Ibid., I-II, q. 109, a. 1, ad 1, qui reprend la célèbre phrase de l’Ambrosiaster, In prima Cor 12,3: PL 17, 258.
[↩]
51. Léon XIII, Encycl. Æterni patris (4 août 1879): ASS 11 (1878-1879), p. 109. [↩]
52. Paul VI, Lettre apost. Lumen Ecclesiæ (20 novembre 1974), n. 8: AAS 66 (1974), p. 683. [↩]

Sommaire ↑

2. Léon XIII : « Un an dans saint Thomas vaut mieux


que toute une vie dans tout autre théologien » (1879)

LETTRE ENCYCLIQUE

AETERNI PATRIS

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DE SA SAINTETÉ LE PAPE LÉON XIII

SUR LA PHILOSOPHIE CHRÉTIENNE

A tous Nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques et Evêques


du monde catholique, en grâce et communion avec le Siège Apostolique.

Vénérables Frères,
Salut et Bénédiction Apostolique.

Le Fils unique du Père éternel, après avoir apparu sur la terre pour apporter au
genre humain le salut ainsi que la lumière de la divine sagesse, procura au monde
un immense et admirable bienfait quand, sur le point de remonter aux cieux, il
enjoignit aux Apôtres d’aller et d’enseigner toutes les nations [1] , et laissa, pour
commune et suprême maîtresse de tous les peuples, l’Eglise qu’il avait fondée. Car
les hommes que la vérité avait délivrés, la vérité devait les garder: et les fruits des
célestes doctrines, qui ont été pour l’humanité des fruits de salut, n’eussent point
été durables, si le Christ Notre Seigneur n’avait constitué, pour instruire les esprits
dans la foi, un magistère perpétuel. Soutenue par les promesses, imitant la charité
de son divin Auteur, l’Eglise a fidèlement accompli l’ordre reçu, ne perdant jamais
de vue, poursuivant de toute son énergie ce dessein: enseigner la religion,
combattre sans relâche l’erreur. C’est là que tendent les labeurs et les veilles de
l’Episcopat tout entier ; c’est à ce but qu’aboutissent les lois et les décrets des
conciles, et c’est beaucoup plus encore l’objet de la sollicitude quotidienne des
Pontifes romains, lesquels, successeurs de la primauté du bienheureux Pierre, le
prince des Apôtres, ont le droit et le devoir d’enseigner leurs frères et de les
confirmer dans la foi.
Or, ainsi que l’Apôtre nous en avertit, c’est par la philosophie et les vaines
subtilités [2] que l’esprit des fidèles du Christ se laisse le plus souvent tromper, et
que la pureté de la foi se corrompt parmi les hommes. Voilà pourquoi les Pasteurs
suprêmes de l’Eglise ont toujours cru que leur charge les obligeait aussi à
contribuer de toutes leurs forces au progrès de la véritable science et à pourvoir en
même temps, avec une singulière vigilance, à ce que l’enseignement de toutes les
sciences humaines fût donné partout selon les règles de la foi catholique, mais
surtout celui de la philosophie, car c’est d’elle que dépend en grande partie la sage
direction des sciences. Nous-même avions déjà touché ce point, entre plusieurs
autres, Vénérables Frères, dans la première Lettre encyclique que Nous Vous
adressâmes ; mais, aujourd’hui, l’importance du sujet et les circonstances Nous
engagent à traiter de nouveau avec Vous de la nature d’un enseignement
philosophique, qui respecte en même temps et les règles de la foi, et la dignité des
sciences humaines.
Si l’on fait attention à la malice du temps où nous vivons, si l’on embrasse, par
la pensée, l’état des choses tant publiques que privées, on le découvrira sans
peine : la cause des maux qui nous accablent, comme de ceux qui nous menacent,
consiste en ce que des opinions erronées sur les choses divines et humaines se sont
peu à peu insinuées des écoles des philosophes, d’où jadis elles sortirent, dans tous

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les rangs de la société, et sont arrivées à se faire accepter d’un très grand nombre
d’esprits. Comme, en effet, il est naturel à l’homme de prendre pour guide de ses
actes sa propre raison, il arrive que les défaillances de l’esprit entraînent
facilement celles de la volonté ; et c’est ainsi que la fausseté des opinions, qui ont
leur siège dans l’intelligence, influe sur les actions humaines et les vicie. Au
contraire, si l’intelligence est saine et fermement appuyée sur des principes vrais et
solides, elle sera, pour la société comme pour les particuliers, la source de grands
avantages, d’innombrables bienfaits.
Sans doute, nous n’accordons pas à la philosophie humaine assez de force et
d’autorité pour la juger capable, par elle seule, de repousser ou de détruire
absolument toutes les erreurs. De même, en effet, que lors du premier
établissement de la religion chrétienne, ce fut l’admirable lumière de la foi,
répandue non par les paroles persuasives de l’humaine sagesse, mais par la
manifestation de l’esprit et de la force [3] , qui reconstitua le monde dans sa dignité
première; de même, dans les temps présents, c’est, avant tout, de la vertu toute
puissante et du secours de Dieu que nous devons attendre le retour des esprits,
arrachés enfin aux ténèbres de l’erreur. Mais nous ne devons ni mépriser, ni
négliger les secours naturels mis à la portée des hommes par un bienfait de la
divine sagesse, laquelle dispose tout avec force et suavité; et, de tous ces secours, le
plus puissant, sans contredit, est l’usage bien réglé de la philosophie. Ce n’est pas
vainement que Dieu a fait luire dans l’esprit humain la lumière de la raison; et tant
s’en faut que la lumière surajoutée de la foi éteigne ou amortisse la vigueur de
l’intelligence; au contraire, elle la perfectionne, et, en augmentant ses forces, la
rend propre à de plus hautes spéculations.
Il est donc tout à fait dans l’ordre de la divine Providence que, pour rappeler les
peuples à la foi et au salut, on recherche aussi le concours de la science humaine:
procédé sage et louable, dont les pères de l’Eglise les plus illustres ont fait un usage
fréquent, ainsi que l’attestent les monuments de l’antiquité. Ces mêmes Pères, en
effet, assignèrent communément à la raison un rôle non moins actif qu’important,
et saint Augustin le résume tout entier en quatre mots, lorsqu’il attribue à la
science humaine ce par quoi la foi salutaire est engendrée, nourrie, défendue,
fortifiée [4] .
Et tout d’abord, la philosophie, entendue dans le vrai sens où l’ont prise les
sages, a la vertu de frayer et d’aplanir en quelque sorte le chemin qui mène à la foi
véritable, en disposant convenablement l’esprit de ses disciples à accepter la
révélation : c’est pourquoi les anciens l’appelèrent sagement, tantôt une institution
préparatoire à la foi chrétienne [5] , tantôt le prélude et l’auxiliaire du
christianisme [6] , tantôt le préparateur à la doctrine de l’Evangile [7] .
Et, en effet, dans son extrême bonté, Dieu, dans l’ordre des choses divines,
nous a manifesté par la lumière de la foi, non seulement ces vérités que
l’intelligence humaine ne peut atteindre par elle-même, mais encore beaucoup
d’autres qui ne sont pas absolument inaccessibles à la raison, afin que, confirmées
par l’autorité divine, elles puissent, sans aucun mélange d’erreur, être connues de
tous.
De là vient que certaines vérités, proposées d’ailleurs à notre croyance par
l’enseignement divin, ou qui se rattachent par des liens étroits à la doctrine de la

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foi, ont été reconnues, convenablement démontrées et défendues par les


philosophes païens eux-mêmes, uniquement éclairés de la raison naturelle : « Car
les choses invisibles de Dieu, comme dit l’Apôtre, depuis la création du monde,
comprises par le moyen des choses créées, se perçoivent, et même son éternelle
puissance et sa divinité [8] et les nations qui n’ont pas la loi... montrent néanmoins
l’œuvre de la loi écrite dans leurs cœurs [9] . » Ces vérités, reconnues même par les
philosophes païens, il est de toute opportunité de les faire tourner à l’avantage et à
l’utilité de la doctrine révélée, afin de faire voir avec évidence comment l’humaine
sagesse, elle aussi, comment le témoignage même de nos adversaires déposent en
faveur de la foi chrétienne.
Cette tactique n’est certainement point d’introduction récente, mais elle est fort
ancienne et d’un fréquent usage chez les Pères de l’Eglise. Bien plus, ces vénérables
témoins et gardiens des traditions religieuses ont reconnu comme un modèle,
presque comme une figure de ce procédé, dans ce fait des Hébreux, qui, près de
sortir de l’Egypte, reçurent l’ordre d’emporter avec eux les vases d’or et d’argent et
les riches vêtements des Egyptiens, afin que ces dépouilles, qui avaient servi
jusque-là à des rites ignominieux et à de vaines superstitions, fussent, par un
changement immédiat, consacrées à la religion du vrai Dieu. Saint Grégoire de
Néocésarée fait un titre de gloire à Origène [10] de ce que, s’emparant d’idées
ingénieusement choisies parmi celles des païens, comme des traits arrachés à
l’ennemi, il les avait retournées avec une singulière adresse à la défense de la
sagesse chrétienne et à la ruine de la superstition. Grégoire de Nazianze [11] et
Grégoire de Nysse [12] louent et approuvent cette méthode de discussion dans saint
Basile le Grand ; saint Jérôme la loue grandement dans Quadratus, disciple des
Apôtres, dans Aristide, dans Justin, dans Irénée et dans un grand nombre
d’autres [13] . « Ne voyons-nous pas, dit saint Augustin, avec quelle charge d’or,
d’argent et de vêtements précieux sortit de l’Egypte Cyprien, docteur très suave, et
bienheureux martyr ? et Lactance, et Victorin, et Optat, et Hilaire ? et pour taire
les vivants, ces Grecs innombrables ? » [14] Or, si, avant d’être fécondée par la vertu
du Christ, la raison naturelle a pu produire une si riche moisson, elle en produira
certes une bien plus abondante, à présent que la grâce du Sauveur a restauré et
augmenté les facultés natives de l’esprit humain. Et qui ne voit le chemin
commode et facile que cette méthode philosophique ouvre vers la foi ?
Toutefois, l’utilité de ce même procédé philosophique ne s’arrête pas à ces
limites. Et, de fait, les oracles de la divine sagesse adressent de graves reproches à
la folie de ces hommes qui, par les biens visibles n’ont pu comprendre Celui qui
est, et, à la vue des œuvres, n’ont pu reconnaître l’ouvrier [15] . Ainsi, un premier
fruit de la raison humaine, fruit grand et précieux entre tous, c’est la
démonstration qu’elle nous donne de l’existence de Dieu : car, par la magnificence
et la beauté de la créature, le Créateur de ces choses pourra être vu d’une manière
intelligible [16] . La raison nous montre ensuite l’excellence singulière de ce Dieu qui
réunit toutes les perfections, principalement une sagesse infinie, à laquelle rien ne
peut échapper, et une souveraine justice contre laquelle aucune disposition
vicieuse ne peut prévaloir ; elle nous fait comprendre ainsi que, non seulement
Dieu est véridique, mais qu’il est la vérité même, ne pouvant ni se tromper ni
tromper. D’où il ressort en toute évidence que la raison humaine procure à la
parole de Dieu la foi la plus entière et la plus grande autorité. Semblablement, la

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raison nous déclare que, dès son origine, la doctrine évangélique a brillé de signes
merveilleux, arguments certains d’une vérité certaine; c’est pourquoi ceux qui
ajoutent foi à l’Evangile, ne le font point témérairement, comme s’ils s’attachaient
à des fables spécieuses [17] , mais ils soumettent leur intelligence et leur jugement à
l’autorité divine par une obéissance entièrement conforme à la raison. Enfin, ce
qui n’est pas moins précieux, la raison met en évidence comment l’Eglise, instituée
par Jésus-Christ, nous offre (ainsi que l’établit le Concile du Vatican) « dans son
admirable propagation, dans son éminente sainteté et la fécondité intarissable
qu’elle révèle en tous lieux, dans l’unité catholique, dans son inébranlable stabilité,
un grand et perpétuel motif de crédibilité et un témoignage irréfragable de la
divinité de sa mission [18] . »
Ces fondements étant ainsi très solidement posés, on peut retirer encore de la
philosophie des avantages sans nombre: c’est d’elle que la théologie sacrée doit
recevoir et revêtir la nature, la forme et le caractère d’une vraie science. Il est, en
effet, de toute nécessité que, dans cette dernière science, la plus noble de toutes,
les parties nombreuses et variées des célestes doctrines soient rassemblées comme
en un seul corps, de manière que, disposées avec ordre, chacune en son lieu, et
déduites des principes qui leur sont propres, elles se trouvent fortement reliées
entre elles; il faut enfin que toutes ces parties, dans l’ensemble et dans le détail,
soient confirmées par des preuves appropriées et inébranlables. - On ne peut non
plus taire ni dédaigner cette connaissance plus exacte et plus riche des matières de
nos croyances, et cette intelligence un peu plus nette, autant qu’il se peut faire, des
mystères eux-mêmes de la foi. Saint Augustin et les autres Pères en ont fait le sujet
de leurs éloges et l’objet de leur application, et le Concile du Vatican [19] , à son
tour, l’a déclarée très avantageuse. Cette connaissance et cette intelligence, ceux-là
sans aucun doute les acquièrent plus abondamment et plus facilement, qui, à
l’intégrité des mœurs et au zèle de la foi, joignent un esprit cultivé par les sciences
philosophiques; et c’est, en effet, la pensée de ce même Concile du Vatican,
lorsqu’il enseigne que cette intelligence des dogmes sacrés doit se puiser, « tant
dans l’analogie des choses qui sont connues naturellement, que dans le nœud qui
relie les mystères entre eux et avec la fin dernière de l’homme [20] . »
Il appartient enfin aux sciences philosophiques de protéger religieusement les
vérités divinement révélées, et de résister à l’audace de ceux qui les attaquent.
C’est là, certes, un beau titre d’honneur pour la philosophie, d’être appelée le
boulevard de la foi, et comme le ferme rempart de la religion. « Il est vrai, »
comme témoigne Clément d’Alexandrie, « que la doctrine du Sauveur est parfaite
par elle-même et n’a besoin du secours de personne, puisqu’il est la force et la
sagesse de Dieu. La philosophie grecque, par son concours, n’ajoute rien à la
puissance de la vérité ; mais comme elle brise les arguments opposés à cette vérité
par les sophistes, et qu’elle dissipe les embûches qui lui sont tendues, elle a été
appelée la haie et la palissade dont la vigne est munie [21] . » En effet, tandis que les
ennemis du nom catholique, dans leurs luttes contre la religion, prétendent
emprunter à la méthode philosophique la plupart des armes dont ils se servent,
c’est également dans l’arsenal de la philosophie que les défenseurs des sciences
divines demandent la plupart des moyens de défendre les dogmes révélés. Et il ne
faut pas estimer que c’est un médiocre triomphe pour la foi chrétienne, que les
armes empruntées contre elle par ses adversaires aux artifices de la raison

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humaine, cette même raison humaine les repousse avec autant de force que de
facilité.
Cette sorte de joute religieuse fut employée par l’Apôtre des nations lui-même,
ainsi que le rappelle saint Jérôme dans son épître à Magnus. Ce genre de combat
fut familier à l’Apôtre des nations : Le guide de l’armée chrétienne, Paul, l’orateur
invincible, défendant la cause du Christ, retourne avec art en faveur de la foi une
inscription rencontrée par hasard: car il avait appris du vrai David à arracher le
glaive aux mains de l’ennemi, et à se servir du propre fer du très orgueilleux
Goliath pour lui trancher la tête [22] .
L’Eglise elle-même, non seulement conseille, mais ordonne aux Docteurs
chrétiens d’appeler à leur aide la philosophie.
Le cinquième Concile de Latran, après avoir établi que toute « assertion
contraire à la vérité de la foi surnaturelle est absolument fausse, attendu que le
vrai ne peut être contradictoire au vrai [23] , » enjoint aux maîtres en philosophie de
s’appliquer avec soin à la réfutation des arguments captieux ; « car, au témoignage
de saint Augustin, toute raison apportée contre l’autorité des divines Ecritures ne
peut, si spécieuse soit-elle, que tromper par l’apparence du vrai; car, pour vraie,
elle ne peut l’être [24] . »
Mais, pour que la philosophie se trouve en état de porter les fruits précieux que
nous venons de rappeler, il faut, à tout prix, que jamais elle ne s’écarte du sentier
suivi dans l’antiquité par le vénérable cortège des saints Pères, et que naguère le
concile du Vatican approuvait solennellement de son autorité. C’est-à-dire que,
puisque le plus grand nombre des vérités de l’ordre surnaturel, objet de notre foi,
surpassent de beaucoup les forces de toute intelligence, la raison humaine,
connaissant son infirmité, doit se garder de prétendre plus haut qu’elle ne peut, ou
de nier ces mêmes vérités, ou de les mesurer à ses propres forces, ou de les
interpréter selon son caprice; elle doit plutôt les recevoir d’une foi humble et
entière, et se tenir souverainement honorée d’être admise à remplir auprès des
célestes sciences les fonctions de servante, et, par un bienfait de Dieu, de pouvoir
les approcher en quelque façon. Au contraire, s’il s’agit de ces points de doctrine
que l’intelligence humaine peut saisir par ses forces naturelles, il est juste, sur ces
matières, de laisser à la philosophie sa méthode, ses principes et ses arguments,
pourvu toutefois, qu’elle n’ait jamais l’audace de se soustraire à l’autorité divine.
Bien plus, ce que la révélation nous enseigne étant certainement vrai, et ce qui est
contraire à la foi étant également contraire à la raison, le philosophe catholique
doit savoir qu’il violerait les droits de la raison, aussi bien que ceux de la foi, s’il
admettait une conclusion qu’il sût être contraire à la doctrine révélée.
Il en est, nous le savons, qui, exaltant outre mesure les puissances de la nature
humaine, prétendent que, par soumission à la divine autorité, l’intelligence de
l’homme déchoit de sa dignité native, et, courbée sous le joug d’une sorte
d’esclavage, se trouve notablement retardée et embarrassée dans sa marche vers le
faîte de la vérité et de sa propre excellence. Mais ces assertions séduisantes sont
pleines d’erreurs; elles ont pour dernier résultat de porter les hommes au comble
de la folie, et de les rendre coupables d’ingratitude, en leur faisant rejeter des
vérités plus sublimes, et repousser spontanément le divin bienfait de la foi qui fut
la source de tous les biens pour la société civile elle-même. En effet, l’esprit

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humain, circonscrit dans des limites déterminées et même assez étroites, est
exposé à de nombreuses erreurs et à ignorer bien des choses. Au contraire, la foi
chrétienne, appuyée qu’elle est sur l’autorité de Dieu, est une maîtresse très sûre
de vérité: qui la suit, ne se laisse pas enlacer dans les filets de l’erreur ni ballotter
par les flots d’opinions incertaines. Unir donc l’étude de la philosophie avec la
soumission à la foi chrétienne, c’est se montrer excellent philosophe ; car la
splendeur des vérités divines, en pénétrant l’âme, vient en aide à l’intelligence elle-
même, et, loin de lui rien ôter de sa dignité, accroît considérablement sa noblesse,
sa pénétration, sa solidité.
En appliquant la sagacité de l’esprit à réfuter les opinions contraires à la foi et à
prouver celles qui s’y rattachent, on exerce sa raison avec autant de dignité que de
profit; pour les premières, on découvre les causes de l’erreur, et l’on discerne le
défaut des arguments sur lesquels elles s’appuient; pour les autres, on possède les
raisons qui les démontrent solidement et sont, pour tout homme sage, des motifs
efficaces de persuasion. Cette application, cet art, cet exercice, augmentent les
ressources de l’esprit et en développent les facultés: qui le nierait, prétendrait, ce
qui est absurde, que discerner le vrai du faux ne sert de rien pour le progrès de
l’intelligence. C’est donc avec raison que le Concile du Vatican célèbre en ces
termes les précieux avantages procurés à la raison par la foi: « La foi délivre de
l’erreur la raison et la prémunit contre elle et la dote de connaissances
variées [25] . » Par conséquent, l’homme, s’il est sage, ne doit pas accuser la foi
d’être l’ennemie de la raison et des vérités naturelles; mais il doit plutôt rendre à
Dieu de dignes actions de grâces, et se féliciter grandement de ce que, parmi tant
de causes d’ignorance et au milieu de cet océan d’erreurs, la très sainte lumière de
la foi brille à ses yeux, et, comme un astre bienfaisant, lui montre, à l’abri de tout
péril d’erreur, le port de la vérité.
Si maintenant, Vénérables Frères, Vous parcourez l’histoire de la philosophie,
Vous y trouverez la démonstration de tout ce que Nous venons de dire. En effet,
parmi les philosophes anciens, qui n’eurent pas le bienfait de la foi, ceux mêmes
qui passaient pour les plus sages tombèrent, en bien des points, dans de
monstrueuses erreurs. Vous n’ignorez pas combien, à travers quelques vérités, ils
enseignent de choses fausses et absurdes, combien plus d’incertaines et de
douteuses, touchant la nature de la divinité, l’origine première des choses, le
gouvernement du monde, la connaissance que Dieu a de l’avenir, la cause et le
principe des maux, la fin dernière de l’homme et l’éternelle félicité, les vertus et les
vices, et d’autres points de doctrine, dont la connaissance vraie et certaine est
d’une nécessité absolue au genre humain.
Au contraire, les premiers Pères et Docteurs de l’Eglise, comprenant très bien
que, dans les desseins de la volonté divine, le Christ est le restaurateur de la
science, puisqu’il est la force et la sagesse de Dieu [26] et qu’en lui sont cachés tous
les trésors de sagesse et de science [27] , entreprirent de fouiller les livres des
anciens philosophes, et de comparer leurs sentiments avec les doctrines révélées;
par un choix intelligent, ils adoptèrent ce qui leur parut chez eux conforme à la
vérité et à la sagesse, et, quant au reste, ils rejetèrent ce qu’ils ne pouvaient
corriger. Car, de même que Dieu, dans son admirable Providence, suscita pour la
défense de l’Eglise, contre la cruauté des tyrans, des martyrs héroïques et
noblement prodigues de leur vie, ainsi, aux sophistes et aux hérétiques, il opposa

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des hommes d’une profonde sagesse qui eussent soin de défendre, même par le
secours de la raison humaine, le trésor des vérités révélées. Dès le berceau de
l’Eglise, la doctrine catholique rencontra des adversaires très acharnés, qui,
tournant en dérision les dogmes et les principes des chrétiens, affirmaient qu’il y
avait plusieurs dieux, que le monde matériel n’a ni commencement ni cause, que le
cours des choses n’est pas régi par le conseil de la divine Providence, mais qu’il est
mû par on ne sait quelle force aveugle et par une fatale nécessité. Contre ces
fauteurs de doctrines insensées s’élevèrent à propos des hommes savants, connus
sous le nom d’apologistes, lesquels, guidés par la foi, prouvèrent, au moyen
d’arguments empruntés au besoin à la sagesse humaine, qu’on ne doit adorer
qu’un Dieu, doué, au plus haut point, de tous les genres de perfection, que toutes
choses sont sorties du néant par sa toute-puissance, qu’elles subsistent par sa
sagesse et par elle sont mues et dirigées chacune vers sa fin propre.
Au premier rang de ces apologistes, nous rencontrons le martyr saint Justin.
Après avoir parcouru, comme pour les éprouver, les plus célèbres d’entre les écoles
grecques, après s’être convaincu qu’on ne pouvait puiser la vérité tout entière que
dans les doctrines révélées, Justin s’attacha à ces dernières de toute l’ardeur de son
âme, les justifia des calomnies dont on les chargeait, les défendit auprès des
empereurs romains avec autant de vigueur que d’abondance, et montra l’accord
qui souvent existait entre elles et les idées des philosophes païens.
A la même époque, Quadratus et Aristide, Hermias et Athénagore suivirent
avec succès la même voie.- Cette cause suscita un défenseur non moins illustre
dans la personne de l’invincible martyr Irénée, pontife de l’Eglise de Lyon; en
réfutant vaillamment les opinions perverses apportées de l’Orient par les
gnostiques et disséminées sur toute l’étendue de l’empire, il expliqua, par la même
occasion, comme le dit saint Jérôme, les origines de toutes les hérésies, et
découvrit dans les écrits des philosophes les sources d’où elles émanaient.
Tout le monde connaît les controverses soutenues par Clément d’Alexandrie,
au sujet desquelles saint Jérôme s’écrie avec admiration : Que peut-on y trouver de
faible ? Qu’y a-t-il qui ne sorte du cœur même de la philosophie ? [28] Clément
écrivit sur une incroyable variété de sujets, des choses très utiles, soit pour
l’histoire de la philosophie, soit pour l’art et l’exercice de la dialectique, soit pour
établir la concorde entre la foi et la raison. Après lui vient Origène. Cet illustre
maître de l’Ecole d’Alexandrie, très instruit dans les doctrines des Grecs et des
Orientaux, publia des livres, aussi nombreux que savants, d’une merveilleuse
utilité pour l’interprétation des divines Ecritures et l’explication des dogmes
sacrés ; bien que ces ouvrages, tels du moins qu’ils nous sont restés, ne soient
point tout à fait exempts d’erreurs, ils renferment néanmoins un grand nombre de
pensées qui ajoutent au trésor et augmentent la force des vérités naturelles. Aux
hérétiques, Tertullien oppose l’autorité des Saintes Lettres; avec les philosophes, il
change d’armure, et leur oppose la philosophie; ces derniers, il les réfute avec tant
d’habileté et d’érudition, qu’il ne craint point de leur jeter à la face ce défi: En fait
de science comme en fait de discipline, quoi que vous en pensiez, vous n’êtes pas
mes pairs [29] .
Arnobe, dans ses livres contre les Gentils, et Lactance, principalement dans ses
Institutions divines, emploient l’un et l’autre au service de leur zèle une égale
éloquence et une vigueur égale, pour inculquer aux hommes les dogmes et les
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préceptes de la sagesse catholique; toutefois, loin de bouleverser la philosophie,


comme le font les académiciens [30] , ils se servent pour convaincre, tantôt des
armes qui leur sont propres, tantôt de celles que leur livrent les querelles intestines
des philosophes [31] . Les écrits que le grand Athanase, et Chrysostome, le prince
des orateurs, nous ont laissés sur l’âme humaine, les divins attributs et d’autres
questions de souveraine importance, sont, au jugement de tous, d’une telle
perfection qu’il semble impossible de rien désirer de plus riche et de plus profond.
Sans vouloir prolonger outre mesure cette série de noms, nous ajouterons
cependant aux grands hommes que nous avons nommés Basile le Grand ainsi que
les deux Grégoire. Ils sortaient d’Athènes, ce domicile de tous les arts, où ils
s’étaient pourvus abondamment de toutes les ressources de la philosophie ; et ces
trésors de science, que chacun d’eux avait conquis avec une ardeur si vive, ils les
firent servir à la réfutation des hérétiques et à l’enseignement des chrétiens.
Mais la palme semble appartenir entre tous à saint Augustin, ce puissant génie
qui, pénétré à fond de toutes les sciences divines et humaines, armé d’une foi
souveraine, d’une doctrine non moins grande, combattit sans défaillance toutes les
erreurs de son temps. Quel point de la philosophie n’a-t-il pas touché, n’a-t-il pas
approfondi, soit qu’il découvrit aux fidèles les plus hauts mystères de la foi, tout en
les défendant contre les assauts furieux de ses adversaires; soit que, réduisant à
néant les fictions des Académiciens et des Manichéens, il assit et assurât les
fondements de la science humaine, ou recherchât la raison, l’origine et la cause des
maux sous le poids desquels l’humanité gémit ? Avec quelle élévation, quelle
profondeur, n’a-t-il pas traité des anges, de l’âme, de l’esprit humain, de la volonté
et du libre arbitre, de la religion et de la vie bienheureuse, du temps et de l’éternité,
et jusque de la nature des corps, sujets aux changements ! Plus tard, en Orient,
Jean Damascène, sur les traces de Grégoire de Nazianze, en Occident, Boëce et
Anselme, suivant les doctrines d’Augustin, enrichissent à leur tour le patrimoine
de la philosophie.
Ensuite, les Docteurs du moyen âge, connus sous le nom de scolastiques,
viennent entreprendre une œuvre colossale : ils recueillent avec soin les riches et
abondantes moissons de doctrine, répandues çà et là dans les œuvres
innombrables des Pères, et en font comme un seul trésor, pour l’usage et la
commodité des générations futures.
Et ici, Vénérables Frères, Nous aimons à emprunter les paroles par lesquelles
Sixte V, Notre prédécesseur, homme de profonde sagesse, développe l’origine, le
caractère et l’excellence de la doctrine scolastique: « Par la divine magnificence de
Celui qui, seul, donne l’esprit de sagesse et qui, dans le cours des âges et selon les
besoins, ne cesse d’enrichir son Eglise de nouveaux bienfaits et de la munir de
défenses nouvelles, nos ancêtres, hommes de science profonde, inventèrent la
théologie scolastique. Mais ce sont surtout deux glorieux docteurs, l’angélique
saint Thomas et le séraphique saint Bonaventure, tous deux professeurs illustres
en cette faculté... qui, par leur talent incomparable, leur zèle assidu, leurs grands
travaux et leurs veilles, cultivèrent cette science, l’enrichirent et la léguèrent à
l’avenir, disposée dans un ordre parfait, largement et admirablement développée.
Et certes, la connaissance et l’habitude d’une science aussi salutaire, qui découle de
la source très féconde des Saintes Ecritures, des Souverains Pontifes, des saints
Pères et des Conciles, a pu, en tous temps, être d’un très grand secours à l’Eglise,

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soit pour la saine intelligence et la véritable interprétation des Ecritures, soit pour
lire et expliquer les Pères plus sûrement et plus utilement, soit pour démasquer et
réfuter les diverses erreurs et les hérésies ; mais, en ces derniers jours, qui nous
ont amené ces temps critiques prédits par l’Apôtre et dans lesquels des hommes
blasphémateurs, orgueilleux, séducteurs, progressent dans le mal, errant eux-
mêmes et induisant en erreur les autres à coup sûr, pour confirmer les dogmes de
la foi catholique et réfuter les hérésies, la science dont nous parlons est plus que
jamais nécessaire. [32] »
Cet éloge, bien qu’il ne paraisse comprendre que la théologie scolastique,
s’applique cependant, comme on le voit, à la philosophie elle-même. En effet, les
qualités éminentes qui rendent la théologie scolastique si formidable aux ennemis
de la vérité, à savoir, ainsi que l’ajoute le même Pontife, « cette cohésion étroite et
parfaite des effets et des causes, cette symétrie et cet ordre semblables à ceux d’une
armée en bataille, ces définitions et distinctions lumineuses, cette solidité
d’argumentation et cette subtilité de controverse, par lesquelles la lumière est
séparée des ténèbres, le vrai distingué du faux, et les mensonges de l’hérésie,
dépouillées du prestige et des fictions qui les enveloppent, sont découvertes et
mises à nu [33] »; toutes ces brillantes et admirable qualités, disons-nous, sont dues
uniquement au bon usage de la philosophie, que les docteurs scolastiques avaient
pris généralement le soin et la sage coutume d’adopter, même dans les
controverses théologiques. En outre, comme le caractère propre et distinctif des
théologies scolastiques est d’unir entre elles, par le nœud le plus étroit, la science
divine et la science humaine, la théologie, dans laquelle ils excellèrent, n’aurait
certainement pu acquérir autant d’honneur et d’estime dans l’opinion des
hommes, si ses docteurs n’eussent employé qu’une philosophie incomplète,
tronquée ou superficielle.
Mais entre tous les docteurs scolastiques, brille, d’un éclat sans pareil leur
prince et maître à tous, Thomas d’Aquin, lequel, ainsi que le remarque Cajetan,
pour avoir profondément vénéré les Saints Docteurs qui l’ont précédé, a hérité en
quelque sorte de l’intelligence de tous [33] . Thomas recueillit leurs doctrines,
comme les membres dispersés d’un même corps; il les réunit, les classa dans un
ordre admirable, et les enrichit tellement, qu’on le considère lui-même, à juste
titre, comme le défenseur spécial et l’honneur de l’Eglise. D’un esprit ouvert et
pénétrant, d’une mémoire facile et sûre, d’une intégrité parfaite de mœurs, n’ayant
d’autre amour que celui de la vérité, très riche de science tant divine qu’humaine,
justement comparé au soleil, il réchauffa la terre par le rayonnement de ses vertus,
et la remplit de la splendeur de sa doctrine. Il n’est aucune partie de la philosophie
qu’il n’ait traitée avec autant de pénétration que de solidité : les lois du
raisonnement, Dieu et les substances incorporelles, l’homme et les autres
créatures sensibles, les actes humains et leurs principes, font tour à tour l’objet des
thèses qu’il soutient, dans lesquelles rien ne manque, ni l’abondante moisson des
recherches, ni l’harmonieuse ordonnance des parties, ni une excellente manière de
procéder, ni la solidité des principes ou la force des arguments, ni la clarté du style
ou la propriété de l’expression, ni la profondeur et la souplesse avec lesquelles il
résout les points les plus obscurs.
Ajoutons à cela que l’angélique docteur a considéré les conclusions
philosophiques dans les raisons et les principes mêmes des choses: or, l’étendue de

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ces prémisses, et les vérités innombrables qu’elles contiennent en germe,


fournissent aux maîtres des âges postérieurs une ample matière à des
développements utiles, qui se produiront en temps opportun. En employant,
comme il le fait, ce même procédé dans la réfutation des erreurs, le grand docteur
est arrivé à ce double résultat, de repousser à lui seul toutes les erreurs des temps
antérieurs, et de fournir des armes invincibles pour dissiper celles qui ne
manqueront pas de surgir dans l’avenir.De plus, en même temps qu’il distingue
parfaitement, ainsi qu’il convient, la raison d’avec la foi, il les unit toutes deux par
les liens d’une mutuelle amitié: il conserve ainsi à chacune ses droits, il sauvegarde
sa dignité, de telle sorte que la raison, portée sur les ailes de saint Thomas,
jusqu’au faîte de l’intelligence humaine, ne peut guère monter plus haut, et que la
foi peut à peine espérer de la raison des secours plus nombreux ou plus puissants
que ceux que saint Thomas lui a fournis.
C’est pourquoi, surtout dans les siècles précédents, des hommes du plus grand
renom en théologie comme en philosophie, après avoir recherché avec une
incroyable avidité les œuvres immortelles du grand docteur, se sont livrés tout
entier, Nous ne dirons pas à cultiver son angélique sagesse, mais à s’en pénétrer et
à s’en nourrir.
On sait que presque tous les fondateurs et législateurs des Ordres religieux ont
ordonné à leurs frères d’étudier la doctrine de saint Thomas et de s’y attacher
religieusement, et qu’ils ont pourvu d’avance à ce qu’il ne fût permis à aucun d’eux
de s’écarter impunément, pas même sur le moindre point, des vestiges d’un si
grand homme : sans parler de la famille dominicaine, qui revendique cet illustre
maître comme une gloire lui appartenant, les Bénédictins, les Carmes, les
Augustins, la Société de Jésus et plusieurs autres Ordres religieux sont soumis à
cette loi, ainsi qu’en témoignent leurs statuts respectifs.
Et, ici, c’est avec un extrême plaisir que l’esprit se reporte à ces écoles et ces
académies célèbres et jadis si florissantes de Paris, de Salamanque, d’Alsace, de
Douai, de Toulouse, de Louvain, de Padoue, de Bologne, de Naples, de Coïmbre, et
d’autres en grand nombre. Personne ne l’ignore : la gloire de ces académies crût,
en quelque sorte, avec le temps, et les consultations qu’on leur demandait, dans les
affaires les plus importantes, jouirent partout d’une grande autorité. Or, on sait
aussi que, dans ces nobles asiles de la sagesse humaine, saint Thomas régnait en
prince, comme dans son propre empire, et que tous les esprits, tant des maîtres
que des auditeurs, se reposaient uniquement, et dans une admirable concorde, sur
l’enseignement et l’autorité du docteur angélique.
Il y a plus encore: les Pontifes romains, nos prédécesseurs, ont honoré la
sagesse de Thomas d’Aquin de remarquables éloges et des plus glorieux suffrages.
Clément VI, Nicolas V, Benoît XIII, d’autres encore témoignent de l’éclat que
son admirable doctrine donne à l’Eglise universelle. Saint Pie V reconnaît que cette
même doctrine confond, terrasse et dissipe les hérésies, et que chaque jour elle
délivre le monde entier de funestes erreurs; d’autres, avec Clément XII, affirment
que des biens abondants ont découlé de ses écrits sur l’Eglise universelle, et qu’on
lui doit à lui-même les honneurs et le culte que l’Eglise rend à ses plus grands
docteurs, Grégoire, Ambroise, Augustin et Jérôme; d’autres enfin ne crurent pas
trop faire en proposant saint Thomas aux académies et aux grandes écoles, comme

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un modèle et un maître qu’elles pouvaient suivre sans crainte d’erreur. Et, à ce


propos, les paroles du bienheureux Urbain V à l’académie de Toulouse méritent
d’être rappelées ici : « Nous voulons et, par la teneur des présentes, Nous vous
enjoignons de suivre la doctrine du bienheureux Thomas, comme étant véridique
et catholique, et de vous appliquer de toutes vos forces à la développer [34] . » A
l’exemple d’Urbain V, Innocent XII impose les mêmes prescriptions à l’université
de Louvain, et Benoît XIV au collège dionysien de Grenade. Pour couronner ces
jugements portés par les Pontifes suprêmes sur saint Thomas d’Aquin, Nous
ajoutons ce témoignage d’Innocent VI : « La doctrine de saint Thomas a, plus que
toutes les autres, le droit canon excepté, l’avantage de la propriété des termes, de
la mesure dans l’expression, de la vérité des propositions, de telle sorte que ceux
qui la possèdent ne sont jamais surpris hors du sentier de la vérité, et que
quiconque l’a combattue a toujours été suspect d’erreur [35] . »
A leur tour, les conciles œcuméniques dans lesquels brille la fleur de la sagesse
cueillie de toute la terre, se sont appliqués en tout temps à rendre à Thomas
d’Aquin un hommage particulier. Dans les conciles de Lyon, de Vienne, de
Florence, du Vatican, on eût cru voir saint Thomas prendre part, présider même,
en quelque sorte, aux décrets des Pères, et combattre, avec une vigueur
indomptable et avec le plus heureux succès, les erreurs des Grecs, des hérétiques et
des rationalistes. Mais le plus grand honneur rendu à saint Thomas, réservé à lui
seul, et qu’il ne partagea avec aucun des docteurs catholiques, lui vint des Pères du
concile de Trente : ils voulurent qu’au milieu de la sainte assemblée, avec le livre
des divines Ecritures et des décrets des Pontifes suprêmes, sur l’autel même, la
Somme de Thomas d’Aquin fût déposée ouverte, pour qu’on pût y puiser des
conseils, des raisons, des oracles.
Enfin, une dernière palme semble avoir été réservée à cet homme
incomparable: il a su arracher aux ennemis eux-mêmes du nom catholique le
tribut de leurs hommages, de leurs éloges, de leur admiration. On le sait, en effet:
par les chefs des partis hérétiques, on en a vu déclarer hautement, qu’une fois la
doctrine de saint Thomas d’Aquin supprimée, ils se faisaient forts d’engager une
lutte victorieuse avec tous les docteurs catholiques, et d’anéantir l’Eglise [36] . Vaine
espérance, sans doute, mais le témoignage n’est point vain.
Pour ces faits et ces motifs, Vénérables Frères, toutes les fois que Nous
considérons la bonté, la force et les remarquables avantages de cet enseignement
philosophique, tant aimé de Nos Pères, Nous jugeons que ç’a été une témérité de
n’avoir continué, ni en tous temps, ni en tous lieux, à lui rendre l’honneur qu’il
mérite: d’autant plus que la philosophie scolastique a en sa faveur et un long
usage, et l’approbation d’hommes éminents, et, ce qui est capital, le suffrage de
l’Eglise. A la place de la doctrine ancienne, un nouveau genre de la philosophie
s’est introduit çà et là, et n’a point porté les fruits désirables et salutaires que
l’Eglise et la société civile elle-même eussent souhaités. Sous l’impulsion des
novateurs du XVIe siècle, on se prit à philosopher sans aucun égard pour la foi et
l’on s’accorda mutuellement pleine licence de laisser aller sa pensée selon son
caprice et son génie. Il en résulta tout naturellement que les systèmes de
philosophie se multiplièrent outre mesure, et que des opinions diverses,
contradictoires, se firent jour, même sur les objets les plus importants des

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connaissances humaines. De la multitude des opinions on arriva facilement aux


hésitations et au doute: or, du doute à l’erreur, qui ne le voit ? la chute est facile.
Les hommes se laissant volontiers entraîner par l’exemple, cette passion de la
nouveauté parut avoir envahi, en certains pays, l’esprit des philosophes.
Dédaignant le patrimoine de la sagesse antique, ils aimèrent mieux édifier à neuf
qu’accroître et perfectionner le vieil édifice, projet certes peu prudent, et qui ne
s’exécuta qu’au grand détriment des sciences. En effet, ces systèmes multiples,
appuyés uniquement sur l’autorité et le jugement de chaque maître particulier,
n’ont qu’une base mobile, et, par conséquent, au lieu d’une science sûre, stable et
robuste, comme était l’ancienne, ne peuvent produire qu’une philosophie
branlante et sans consistance. Si donc il arrive parfois à cette philosophie de se
trouver à peine en force pour résister aux assauts de l’ennemi, elle ne doit
s’imputer qu’à elle-même la cause et la faute de sa faiblesse.
En disant cela, Nous n’entendons certes pas improuver ces savants ingénieux
qui emploient à la culture de la philosophie leur talent, leur érudition, ainsi que les
richesses des inventions nouvelles. Nous le comprenons parfaitement : tous ces
éléments concourent au progrès de la science. Mais il faut se garder, avec le plus
grand soin, de faire de ce talent et de cette érudition le seul ou même le principal
objet de son application. On doit en juger de même pour la théologie: il est bon de
lui apporter le secours et la lumière d’une érudition variée ; mais est-il absolument
nécessaire de la traiter à la manière grave des scolastiques, afin que, grâce aux
forces réunies de la révélation et de la raison, elle ne cesse d’être le boulevard
inexpugnable de la foi [37] ?
C’est donc par une heureuse inspiration que des amis, en certain nombre, des
sciences philosophiques, désirant, dans ces dernières années, en entreprendre la
restauration d’une manière efficace, se sont appliqués et s’appliquent encore à
remettre en vigueur l’admirable doctrine de saint Thomas d’Aquin, et à rendre à
cet enseignement son ancien lustre. Animés d’un même esprit, plusieurs membres
de Votre Ordre, Vénérables Frères, sont entrés avec ardeur dans la même voie.
Cela a causé à Notre âme la plus grande joie. Nous les en louons vivement et Nous
les exhortons à persévérer dans cette noble entreprise ; quant aux autres, Nous les
avertissons tous que rien ne Nous est plus à cœur, et que Nous ne souhaitons rien
tant que les voir fournir largement et copieusement à la jeunesse studieuse les
eaux très pures de la sagesse, telles que le docteur angélique les répand en flots
pressés et intarissables.
Plusieurs motifs provoquent en Nous cet ardent désir. En premier lieu, comme
à notre époque la foi chrétienne est journellement en butte aux manœuvres et aux
ruses d’une certaine fausse sagesse, il faut que tous les jeunes gens, ceux
particulièrement dont l’éducation est l’espoir de l’Eglise, soient nourris d’une
doctrine substantielle et forte, afin que, pleins de vigueur et revêtus d’une armure
complète, ils s’habituent de bonne heure à défendre la religion avec vaillance et
sagesse, prêts, selon l’avertissement de l’Apôtre, à rendre raison à quiconque le
demande, de l’espérance qui est en nous [38] ; ainsi qu’à exhorter, dans une doctrine
saine, et à convaincre ceux qui y contredisent [39] . Ensuite, un grand nombre de
ceux qui, éloignés de la foi, haïssent les principes catholiques, prétendent ne
connaître d’autre maître et d’autre guide que la raison.

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Pour les guérir et les ramener à la grâce en même temps qu’à la foi catholique,
après le secours surnaturel de Dieu, Nous ne voyons rien de plus opportun que la
forte doctrine des Pères et des scolastiques, lesquels, ainsi que Nous l’avons dit,
mettent sous les yeux les fondements inébranlables de la foi, sa divine origine, sa
vérité certaine, ses motifs de persuasion, les bienfaits qu’elle procure au genre
humain, son parfait accord avec la raison, et tout cela, avec plus de force et
d’évidence qu’il n’en faut pour fléchir les esprits les plus rebelles et les plus
obstinés.
L’immense péril dans lequel la contagion des fausses opinions a jeté la famille
et la société civile est pour nous tous évident. Certes, l’une et l’autre jouiraient
d’une paix plus parfaite et d’une sécurité plus grande si, dans les académies et les
écoles, on donnait une doctrine plus saine et plus conforme à l’enseignement de
l’Eglise, une doctrine telle qu’on la trouve dans les œuvres de Thomas d’Aquin. Ce
que saint Thomas nous enseigne sur la vraie nature de la liberté, qui de nos temps,
dégénère en licence, sur la divine origine de toute autorité, sur les lois et leur
puissance, sur le gouvernement paternel et juste des souverains, sur l’obéissance
due aux puissances plus élevées, sur la charité mutuelle qui doit régner entre tous
les hommes ; ce qu’il nous dit sur ces sujets et autres du même genre, a une force
immense, invincible, pour renverser tous ces principes du droit nouveau, pleins de
dangers, on le sait, pour le bon ordre et le salut public. Enfin, toutes les sciences
humaines ont droit à espérer un progrès réel et doivent se promettre un secours
efficace de la restauration, que Nous venons de proposer, des sciences
philosophiques. En effet, les beaux-arts demandent à la philosophie, comme à la
science modératrice, leurs règles et leur méthode, et puisent chez elle, comme à
une source commune de vie, l’esprit qui les anime. Les faits et l’expérience
constante nous le font voir : les arts libéraux ont été surtout florissants lorsque la
philosophie conservait sa gloire et sa sagesse ; au contraire, ils ont langui, négligés
et presque oubliés, quand la philosophie a baissé et s’est embarrassée d’erreurs ou
d’inepties.
Aussi, les sciences physiques elles-mêmes, si appréciées à cette heure, et qui,
illustrées de tant de découvertes, provoquent de toute part une admiration sans
bornes, ces sciences, loin d’y perdre, gagneraient singulièrement à une
restauration de l’ancienne philosophie. Ce n’est point assez pour féconder leur
étude et assurer leur avancement, que de se borner à l’observation des faits et à la
contemplation de la nature; mais les faits constatés, il faut s’élever plus haut, et
s’appliquer avec soin à reconnaître la nature des choses corporelles et à rechercher
les lois auxquelles elles obéissent, ainsi que les principes d’où elles découlent et
l’ordre qu’elles ont entre elles, et l’unité dans leur variété, et leur mutuelle affinité
dans la diversité. On ne peut s’imaginer combien la philosophie scolastique,
sagement enseignée, apporterait à ces recherches de force, de lumière et de
secours.
A ce propos, il importe de prémunir les esprits contre la souveraine injustice
que l’on fait à cette philosophie, en l’accusant de mettre obstacle au progrès et au
développement des sciences naturelles. Comme les scolastiques, suivant en cela les
sentiments des saints Pères, enseignent à chaque pas, dans l’anthropologie, que
l’intelligence ne peut s’élever que par les choses sensibles à la connaissance des
êtres incorporels et immatériels, ils ont compris d’eux-mêmes l’utilité pour le

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philosophe de sonder attentivement les secrets de la nature, et d’employer un long


temps à l’étude assidue des choses physiques. C’est, en effet, ce qu’ils firent.
Saint Thomas, le bienheureux Albert le Grand, et d’autres princes de la
scolastique, ne s’absorbèrent pas tellement dans la contemplation de la
philosophie, qu’ils n’aient aussi apporté un grand soin à la connaissance des
choses naturelles; bien plus, dans cet ordre de connaissances, il est plus d’une de
leurs affirmations, plus d’un de leurs principes, que les maîtres actuels
approuvent, et dont ils reconnaissent la justesse. En outre, à notre époque même,
plusieurs illustres maîtres des sciences physiques attestent publiquement et
ouvertement que, entre les conclusions admises et certaines de la physique
moderne et les principes philosophiques de l’école, il n’existe en réalité aucune
contradiction.
Nous donc, tout en proclamant qu’il faut recevoir de bonne grâce et avec
reconnaissance toute pensée sage, toute invention heureuse, toute découverte
utile, de quelque part qu’elles viennent, Nous Vous exhortons, Vénérables Frères,
de la manière la plus pressante, et cela pour la défense et l’honneur de la foi
catholique, pour le bien de la société, pour l’avancement de toutes les sciences, à
remettre en vigueur et à propager le plus possible la précieuse doctrine de saint
Thomas. Nous disons la doctrine de saint Thomas, car s’il se rencontre dans les
docteurs scolastiques quelque question trop subtile, quelque affirmation
inconsidérée, ou quelque chose qui ne s’accorde pas avec les doctrines éprouvées
des âges postérieurs, qui soit dénué, en un mot, de toute valeur, Nous n’entendons
nullement le proposer à l’imitation de notre siècle. Du reste, que des maîtres,
désignés par Votre choix éclairé, s’appliquent à faire pénétrer dans l’esprit de leurs
disciples la doctrine de saint Thomas d’Aquin, et qu’ils aient soin de faire ressortir
combien celle-ci l’emporte sur toutes les autres en solidité et en excellence. Que les
académies, que Vous avez instituées ou que Vous instituerez par la suite,
expliquent cette doctrine, la défendent et l’emploient pour la réfutation des erreurs
dominantes. Mais, pour éviter qu’on ne boive une eau supposée pour la véritable,
une eau bourbeuse pour celle qui est pure, veillez à ce que la sagesse de saint
Thomas soit puisée à ses propres sources, ou du moins à ces ruisseaux qui, sortis
de la source même, coulent encore purs et limpides, au témoignage assuré et
unanime des docteurs : de ceux, au contraire, qu’on prétend dérivés de la source,
mais qui, en réalité, se sont gonflés d’eaux étrangères et insalubres, écartez-en avec
soin l’esprit des adolescents.
Mais, Nous le savons, tous Nos efforts seront vains, si Notre commune
entreprise, Vénérables Frères, n’est secondée par Celui qui s’appelle le Dieu des
sciences dans les divines Ecritures [40] , lesquelles Nous avertissent également que
« tout bien excellent et tout don parfait vient d’en haut, descendant du Père des
lumières [41] . » Et encore : « Si quelqu’un a besoin de la sagesse, qu’il la demande à
Dieu, lequel donne à tous avec abondance et ne reproche pas ses dons, et elle lui
sera donnée [42] . » En cela aussi, suivons l’exemple du docteur angélique, qui ne
s’adonnait jamais à l’étude ou à la composition avant de s’être, par la prière, rendu
Dieu propice, et qui avouait avec candeur que tout ce qu’il savait, il le devait moins
à son étude et à son propre travail qu’à l’illumination divine.
Adressons donc au Seigneur d’humbles et unanimes prières, afin qu’il répande
sur les fils de son Eglise l’esprit de science et d’intelligence, et qu’il ouvre leur
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raison à la lumière de la sagesse. Et, pour obtenir en plus grande abondance les
fruits de la divine bonté, faites intervenir auprès de Dieu le très puissant secours
de la Bienheureuse Vierge Marie, qui est appelée le Siège de la sagesse; recourez en
même temps à l’intercession de saint Joseph, le très pur époux de la Vierge, ainsi
qu’à celle des grands apôtres Pierre et Paul, qui renouvelèrent par la vérité la terre
infectée de la contagion de l’erreur, et la remplirent des splendeurs de la céleste
sagesse.
Enfin, soutenu par l’espoir du secours divin et confiant en Votre zèle pastoral,
Nous Vous donnons à tous, Vénérables Frères, du fond de Notre cœur, ainsi qu’à
Votre clergé et au peuple commis à la sollicitude de chacun de Vous, la bénédiction
apostolique, comme un gage des dons célestes et en témoignage de Notre
particulière bienveillance.

Donné à Rome, près Saint-Pierre,


le 4e jour d’août de l’an 1879,
de Notre Pontificat l’an II.

Léon XIII

1. Matth. XXVIII, 19. [↩]


2. Coloss., II, 8. [↩]
3. I Cor. II, 4. [↩]
4. De Trinit. lib. XIV. c. 1. [↩]
5. Clem. Alexandr., Strom. lib. I. c. 16 ; lib. VIII. c. 3. [↩]
6. Orig. ad Gregor. Thaum. [↩]
7. Clem. Alex., Strom. lib. I. c. 5. [↩]
8. Rom. I, 20. [↩]
9. Ibid. II, 14-15. [↩]
10. Orat. Paneg. [↩]
11. Vit. Moys. [↩]
12. Carm. I. lamb. 3. [↩]
13. Epist. ad Magn. [↩]
14. De doctr. Christ. lib. II, c. 40. [↩]
15. Sap. XIII, I. [↩]
16. Ibid. 5. [↩]
17. II. Petr. I, 16. [↩]
18. Const. dogm. de Fide cath., cap. 3. [↩]
19. Constit. cit., cap. 4. [↩]
20. Ibid. [↩]
21. Strom. lib. I, c. 20. [↩]
22. Epist. ad Magn. [↩]
23. Bulla Apostolici regiminis. [↩]
24. Epist. CXLIII al. 7 ad Marcellin, n. 7. [↩]
25. Constit. dogm. de Fide cath. cap. 4. [↩]
26. I. Cor. I, 24. [↩]
27. Coloss. II, 3. [↩]
28. Epist. ad Magn. [↩]
29. Loc. cit. [↩]
30. Apologet. § 46. [↩]

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31. De Opif. Dei, cap. 21. [↩]
32. Bulla Triumphantis, an. 1558. [↩]
33. In 2am 2ae q. 148, a, 4, in finem. [↩]
34. Cons. V. ad cancell. Univ. Tolos., 1368. [↩]
35. Sermo de S. Thoma. [↩]
36. Beza-Bucerus. [↩]
37. Sixtus, V, Bulla. cit. [↩]
38. I, Pet. III, 15. [↩]
39. Tit. l, 9. [↩]
40. Reg., 1, n, 3. [↩]
41. Jac., 1, 17. [↩]
42. Ibid., I, 5. [↩]

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