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LL10 Ma Bohême

Ce sonnet décrit l'errance d'un poète qui, malgré sa pauvreté extrême, trouve dans la nature et la poésie une source d'inspiration et de liberté. Bien que la forme du sonnet soit traditionnelle, Rimbaud parvient à y insuffler un vent de modernité.

Transféré par

Radwah KAICHOUH
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LL10 Ma Bohême

Ce sonnet décrit l'errance d'un poète qui, malgré sa pauvreté extrême, trouve dans la nature et la poésie une source d'inspiration et de liberté. Bien que la forme du sonnet soit traditionnelle, Rimbaud parvient à y insuffler un vent de modernité.

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Lecture linéaire : 10

Ma Bohême

Eléments de contexte
Rimbaud génie précoce né en 1854. Premier prix versification latine, etc. Ardennes,
Charleville. Izambard, son professeur de lettres. Fugues et vagabondages. Lecture Hugo,
Verlaine… 22 poèmes laissés à Paul Demeny, ami Izambard en septembre-octobre 1870, alors
qu’il n’a pas 16 ans : les Cahiers de Douai.
Les Cahiers de Douai s’achèvent sur ce sonnet célèbre qui présente un autoportrait rêvé,
comme l’indique le titre “Fantaisie”. Le poète, insouciant et solitaire, y savoure une liberté
procurée par l’évasion qui nourrit et transforme sa création poétique. Mais le dernier tercet
annonce la fin du rêve et fait entrevoir un monde angoissant. Le sonnet est une forme poétique
de tradition très contrainte. Pourtant, lorsqu’il fugue pour s’émanciper du carcan maternel et
social, c’est cette forme que choisit Arthur Rimbaud pour composer ses premiers poèmes.
Comme Baudelaire avant lui, il s’empare d’une forme ancienne pour y souffler un vent de
liberté et exprimer sa rébellion.

Lecture du poème

Ma Bohême (Fantaisie)

Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ;


Mon paletot aussi devenait idéal ;
J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ;
Oh ! là là ! que d'amours splendides j'ai rêvées !

Mon unique culotte avait un large trou.


Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

Et je les écoutais, assis au bord des routes,


Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,


Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !

Piste de lecture

Comment cet hymne à l’errance et la liberté permet-il à Rimbaud de célébrer la


poésie ?

1
1er mouvement : Un élan vers la liberté (1er quatrain)

- Le pronom personnel « je » (v.1) ainsi que le pronom réfléchi associé au verbe d’action
« allais » (v.1-3), utilisé sous forme de répétition anaphorique à valeur d’insistance,
montrent un poète en mouvement et enthousiaste. Le mouvement est d’ailleurs évoqué
par le titre du poème « Ma Bohême » dont on notera l’accent circonflexe au lieu de
l’accent grave attendu. En effet, la bohème désigne l’ensemble des gens qui suivent une
vie de bohème, autrement dit une vie d’artiste, de vagabond sans loi, sans contrainte.
L’accent circonflexe est normalement celui que l’on trouve sur le nom propre la Bohême
qui désigne une région d’Europe centrale. En mêlant le 1 er sens, celui de bohème qui
correspond à l’évocation faite par le sonnet, au second, le titre évoque donc à la fois, la
vie d’artiste, le vagabondage mais aussi une sorte de patrie, de pays propre au poète et
dont les frontières n’apparaissent pas ici, qui semble le faire seul habitant d’une région
aux frontières invisibles. Les « poings » (v.1), signe d’agressivité, de colère rentrée ou
de détermination, dans les poches (au lieu des mains) suggèrent, par ailleurs, que la
révolte est à l’origine de la fugue du poète.
- L’état de vagabondage, le dénuement extrême, la course libre sous le ciel, est aussi l’état
qui permet à Rimbaud d’être poète, l’état indissociable de sa condition de poète. Son
dénuement est visible par l’évocation de vêtements au-delà de l’usure « poches
crevées » (v.1), périphrase, par ailleurs, du manque d’argent, « paletot » (v.2) qualifié
d’« idéal » (v.2) (qui n’est plus que l’idée d’un manteau). Le poète se nourrit
littéralement d’amour : « […] que d'amours splendides j'ai rêvées ! » et n’a pas de toit,
d’abri : « J’allais sous le ciel » (v.3). Cette souffrance est, néanmoins, atténuée :
l’adjectif « crevées » (v.1) évoque une souffrance très largement atténuée en ce sens que
l’adjectif qualifie non le personnage lui-même mais les vêtements. Cet état de misère
dont rend compte le poème ne produit pas du tout un effet pathétique comme on pourrait
s’y attendre. Ce dénuement est, au contraire, associé à l’idée de bonheur, ce que
montrent la ponctuation expressive et une misère transfigurée par l’emploi de l’adjectif
mélioratif « idéal » (v.2). La condition du poète est, par ailleurs, le champ lexical de la
poésie apparaît dans tout le sonnet : « Muse » (v.3), « des rimes » (v.7), « rimant »
(v.12), « lyres » (v.13). C’est l’état de vagabond libre qui lui permet d’être en
communication avec la « Muse » qu’il tutoie : « j’étais ton féal » (v.3). « Muse » dont
on remarquera la mise en relief par sa place sous l’accent de la 6ème syllabe de
l’alexandrin : « J’a / llais / sous / le /ciel /, Muse ! ».
- Le poète qui se montre ici est comme dans un état second, hors de la réalité. Il vit en
effet dans le rêve ; les deux occurrences de la famille lexicale du rêve : « rêvées » et
« rêveur » semblent mises en relief par une structure chiasmatique qui les placent au
centre de la scène : « J’allais (v.3) rêvées (v.4) / rêveur (v.6) course (v.6) ».
- Enfin, le poète se regarde dans le passé comme le montre l’emploi de l’imparfait et
semble sourire lui-même de ses illusions. C’est notamment l’effet que produit
l’interjection « Oh ! là là ! » reprise familière, détournée et ironique du « Ô » lyrique.

2
2ème mouvement : Bonheur et communication avec la nature (2ème quatrain et 1er
tercet)

- L’adjectif qualificatif antéposé « unique » (v.5) et l’image du « large trou » (v.5) de sa


culotte, résultat d’une pauvreté et usure extrêmes, sont tempérés par l’appel au
merveilleux, en la personne du « Petit-Poucet » (v.6), héros du conte de Perrault.
L’enfant devient ainsi maître de son destin, malgré sa condition, à tel point qu’il se
permet de rêver « rêveur » (v.6). Le poète est un vagabond heureux comme le suggèrent
les notations essentiellement positives qui irriguent le poème : « splendides » (.4),
« doux » (v.8), « ces bons soirs » (v.10). Le sous-titre même du poème « Fantaisie »
oriente le lecteur dans ce sens. Cette liberté lui permet d’être un créateur, un véritable
dieu vivant, le verbe d’action « égrenais » (v.6) montrant un enfant utilisant la terre pour
faire germer les idées, les vers, en d’autres termes la poésie enchanteresse du Monde,
mise en valeur par le rejet « Des rimes » (v.7), à l’image d’Adam, mélange de poussières
de terre et de souffle divin. Cette action se clôt par un mouvement ascendant, dans ce
qu’il y a de plus précieux au « ciel » (v.7) : les « étoiles » (v.8) avec lesquelles il est en
communication, d’où la présence du verbe de perception « Et je les écoutais » (v.9).
C’est un lien à double sens qui apparaît ici puisque si le poété est le féal de la Muse,
qu’il lui a juré sa foi, sa fidélité, sa loyauté, en retour, elle l’inspire en faisant descendre
sur lui le chant des étoiles. Cela aboutit à une sorte d’état de grâce. Ainsi,
paradoxalement, celui qui n’a rien semble posséder l’infini : son toit est « La Grande-
Ourse » (v.7), ces mêmes étoiles sont siennes, comme le montre l’emploi du déterminant
possessif « Mes » (v.8), son monde est « le ciel » (v.8). Cela montre que le dénuement
lui permet de prendre possession de l’azur, des lieux les plus éloignés et les plus vastes.
En fait, la nature est une protectrice pour cet enfant misérable : « les étoiles » (v.8) sont
personnifiées en figures féminines bienveillantes évoquées par la métonymie du « doux
frou-frou » (v.8), accentuée par l’assonance en [ou], la « rosée » (v.11) se transforme,
par l’effet de la comparaison en « vin de vigueur » (v.11). En fin de compte, cette nature
protectrice est aussi nourricière puisqu’elle répond à ses besoins fondamentaux : si elle
lui offre un toit, « l’auberge » (v.7) est aussi un lieu où l’on se restaure, elle lui offre
aussi de quoi se désaltérer, par le biais de « gouttes de rosée » (v.10) et d’un « vin de
vigueur » (v.11).

3ème mouvement : Une fugue qui mène à la création poétique (2ème tercet)

- Homme du rêve, le poète y puise aussi son inspiration. Les « ombres fantastiques »
(v.12) de la nuit ne l’effraient pas, au contraire, ce sont elles qui entourent le créateur de
façon bienveillante : « où rimant au milieu des ombres fantastiques » (v.12). Rimbaud
renouvelle ici l’image du poète : à l’image du poète de l’antiquité, vates (en latin, poète
devin, voyant, prophète inspiré par les dieux), devin en communication avec les Muses

3
qui lui inspirent sans difficulté ses œuvres, il associé celle du poète en rupture de ban
du XIXe siècle, le poète isolé, asocial et misérable. Pour autant, la première image ne
suscite pas l’admiration, de même que la seconde ne suscite pas le pathétique.
- Le poète renouvelle la poésie elle-même. La forme du poème, un sonnet, est la forme la
plus traditionnelle de la poésie depuis que les poètes de la Pléiade l’ont institué comme
forme souveraine. Rimbaud bouscule, toutefois, la norme en ne respectant pas
régulièrement le schéma rimique : on attendait une disposition ABBA ABBA, mais le
sonnet présente une structure ABBA CDDC. Il renouvelle aussi l’écriture poétique en
associant des termes attendus en poésie, comme « lyres » (v.13) à des sonorités moins
attendues, comme l’assonance rude du vers en [k], « fantastiques » (v.12) et
« élastiques » (v.13). Il renouvelle enfin le lyrisme poétique en prenant une sorte de
distance ironique vis-à-vis de lui-même et de l’état qu’il décrit ici. Dans le dernier tercet,
cette distance apparaît grâce à des associations d’images qui lient deux termes dont la
noblesse du 1er est anéantie par le prosaïsme du second. Ainsi, « les lyres » (v.13) ont
pour cordes les « élastiques des souliers » (v.13). Le dernier vers en est un autre
exemple, vers construit de la polysémie du mot « pied » (v .14) qui évoque à la fois la
partie du corps dont il est évidemment question ici (prosaïque) et la syllabe qui
constitue le vers ; on parlait avant d’un vers de 12 pieds pour désigner un alexandrin
(emploi noble). Un « pied près de mon cœur » (v.14) évoque donc à la fois une sorte de
posture grotesque du marcheur assis qui tire les élastiques de ses chaussures, ce qui a
pour effet de remonter le pied près du cœur, et le poète, qui a toujours un poème en
germe dans son cœur.

Conclusion
« Ma Bohême » est un sonnet qui constitue une sorte de postface à Les cahiers de
Douai : il reprend, en effet, l’image du jeune Rimbaud fugueur ayant écrit les vingt-et-un
poèmes qui précédent et celui entre deux escapades ; il annonce le Rimbaud à venir, qui
contemple déjà cette période comme une période passée, de façon un peu distante, un peu
ironique, et qui va s’envoler vers d’autres inspirations, d’autres renouvellements poétiques dont
témoigneront des poèmes comme « Le bateau ivre » ou le recueil Illuminations, à travers,
notamment, le poème « Aube » dévoilant ce que Rimbaud fera plus tard du thème du poète
vagabond.

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