HISTOIRE POLITIQUE DU XIXE SIÈCLE EUROPÉEN
1. Naissance de la modernité politique
Notions clefs : "Court" et "long" XIXe siècle ; Modernité et progrès ; Industrialisation ; Urbanisation ;
"Grande Divergence" ; Discordance des temps ; Réflexivité environnementale ; Répertoires de l'action
collective ; Révolution ; Empire ; Nation ; État-nation ; États-nations impériaux ; Gouvernement des
différences ; Orientalisme
Lectures
Jürgen Osterhammel, La Transformation du monde. Une histoire globale du XIXe siècle, Nouveau
Monde Éditions, 2017 [2009], p.77-82, 135-141, 555-561, 577-583
Manuel Delalande, Chap. 1 "L'Europe au XIXe siècle, un laboratoire politique".
Conférence de méthode
Le siècle des révolutions
De la révolution comme cycle à la révolution comme rupture
Une rupture politique, institutionnelle mais également sociale
L'ombre portée de la Révolution française
Victor Hugo : "Le dix-neuvième siècle a une mère auguste, la Révolution française. Il a ce sang
énorme dans les veines".
L'omniprésence du processus révolutionnaire (abouti ou avorté)
De nombreuses révoltes, insurrections, tentatives de révolution réprimées, révolutions réussies…
Trois vagues révolutionnaires au cours de la période
Révolutions atlantiques (1776-1804), voire jusqu'au "moment 1830"
Révolutions du "Printemps des Peuples" (vers 1848)
Révolutions constitutionnelles (début XXe siècle : Russie 1905, Empire ottoman 1908)
Une époque de grands bouleversements politiques
Le passage du suffrage censitaire au suffrage universel
Le passage d'une domination des élites traditionnelles à la formation de partis politiques et de
syndicats encadrant la vie politique et sociale
Le développement des grandes cultures politiques :
- Libéralisme
- Conservatisme
- Démocratie et républicanisme
- Socialisme
- Anarchismes
Le siècle des nations et nationalismes
Le fait national, le principal phénomène politique du XIXe siècle ?
La nation : un groupe humain et politique se caractérisant par la conscience de son unité (historique et
culturelle : langue, ethnie, traditions, culture, religion) et animé par la volonté de vivre en commun)
L'essor de la nation moderne à partir de la Révolution française
L'État-nation : un projet politique et populaire (= lorsque la nation coïncide avec l'État)
Exemples : Belgique en 1830, Grèce en 1830, Italie en 1861, Allemagne en 1871
Mais le XIXe siècle n'est pas non plus une marche triomphale vers l'État-nation
Le poids encore persistant des empires multinationaux
De nombreuses nations encore sans État (Irlandais, Polonais, …)
Les empires, entre persistance/maintien et recomposition/modernisation
Burbank et Cooper, Empires
"Les empires sont de vastes unités politiques, expansionnistes ou conservant le souvenir d'un pouvoir
étendu dans l'espace, qui maintiennent la distinction et la hiérarchie à mesure qu'elles incorporent de
nouvelles populations."
Les attributs classiques des empires :
Un territoire vaste
Un pouvoir exercé par une même autorité
Une composition multiethnique ou multinationale
Une prétention à l'hégémonie
Deux types d'empires coexistent au XIXe siècle
Empires multinationaux traditionnels
Empires coloniaux ultramarins
La période étudiée
Un long XIXe siècle : des années 1770 à 1900 environ
Marc Bloch, Apologie pour l'histoire : "Aucune loi de l'histoire n'impose que les années dont le
millésime se termine par le chiffre 1 coïncident avec les points critiques de l'évolution humaine".
Les espaces étudiés
Une réflexion centrée sur l'Europe…
… mais qui s'intéresse aussi aux multiples connexions et projections de l'Europe dans le monde.
Les Amériques
L'Asie (Chine et Japon)
L'Afrique (les empires coloniaux)
Sujets de réflexion
Pourquoi fait-on la révolution au XIXe siècle ?
Le XIXe siècle a-t-il inventé la modernité ?
Les empires et les États-nations sont-ils deux formes d'organisation politique que tout oppose ?
L'Europe domine-t-elle le monde au XIXe siècle ?
2. Révolutions
Conférence de méthode
Les révolutions
La révolution jusqu’au XVIIIe siècle : un changement partiel, une réforme politique à venir ou un
changement dynastique
À partir de la fin du XVIIIe siècle, la « révolution » devient synonyme de rupture, de fracture
irréversible.
Avant tout un bouleversement politique et institutionnel radical
Mais aussi un profond bouleversement social
Une séquence révolutionnaire globale (1776-1804)
La Révolution française (1789-1799) : un moment exceptionnel
« La Révolution française est la révolution de son époque et non pas simplement une révolution entre
quelques autres, ni même la plus importante d’entre elles. » (Éric J. Hobsbawm, L’Ère des
révolutions)
Hugo, Les Misérables : « N’importe, et quoi qu’on en dise, la Révolution française est le plus puissant
pas du genre humain depuis l’avènement du Christ. […] La Révolution française, c’est le sacre de
l’humanité ».
Mais s’insérant dans une séquence révolutionnaire plus large et globale qui s’étend des années
1770 aux années 1820.
D’abord la Révolution américaine (1776-1787)
1781-1787 : le « mouvement patriote » aux Provinces-Unies contre le stathouder Guillaume
d’Orange (= chef de l’exécutif)
o Mené surtout par les élites municipales et marchandes
o Guillaume d’Orange doit quitter la Hollande en 1785 pour s’installer dans une autre province
o Mais mouvement écrasé en 1787 par l’armée prussienne (la sœur du roi de Prusse est l’épouse de
Guillaume d’Orange)
1781-1782 : le soulèvement de Genève
Mené par la bourgeoisie qui accorde l’égalité civile à la plupart des habitants de la ville et de la
campagne, mais maté en 1782 à la demande de l’aristocratie : appel aux armées française, sarde et
bernoise.
La Révolution française (1789-1799)
5 mai 1789 : ouverture des États Généraux
14 juillet 1789 : prise de la Bastille
4 août 1789 : abolition des privilèges
26 août 1789 : Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
14 juillet 1790 : fête de la Fédération
10 août 1792 : prise des Tuileries
21 septembre 1792 : abolition de la royauté. Début de la Ière République le lendemain
21 janvier 1793 : exécution de Louis XVI
Septembre 1793 – Juillet 1794 : la « Grande Terreur »
27 juillet 1794 (9 thermidor an II) : chute de Robespierre
Août 1795 : adoption de la Constitution de l’an III. Le Directoire (à partir de novembre 1795)
9 novembre 1799 (18 brumaire an VIII) : coup d’État de Napoléon Bonaparte
La Révolution française, un bouleversement sans précédent
Parce qu’elle éclate dans l’État le plus puissant d’Europe
Parce qu’elle provoque une rupture politique brutale
Parce que ce fut la seule révolution sociale de masse
Parce qu’elle seul fut « œcuménique »
Parce qu’elle fut beaucoup plus radicale que les autres mouvements
Parce qu’elle a duré 10 ans (1789-1799) et a connu des visages très différents
o Monarchie constitutionnelle (1789-1792)
o République (à partir de 1792)
o 4 constitutions (1791, 1793 = an I, 1795 = an III, 1799 = an VIII)
La révolution de Saint-Domingue à partir de 1791
Saint-Domingue, colonie au poids économique considérable pour la France et une société très
inégalitaire (500 000 esclaves noirs, 31 000 planteurs blancs, 28 000 libres de couleur)
La mobilisation des planteurs blancs à partir de 1789 contre l’abolition de l’esclavage et contre
l’Exclusif
La révolte des esclaves à partir de 1791
L’abolition de l’esclavage : décidée à Saint-Domingue par le commissaire civil Ponthonax en 1793 et
avalisée par la Convention en février 1794 (esclavage rétabli ensuite dès 1802 par Napoléon
Bonaparte)
La reconquête et la domination de Toussaint Louverture (jusqu’en 1802)
L’indépendance d’Haïti proclamée en 1804
Bilan de la séance
Le legs des révolutions atlantiques au XIXe siècle
Une remise en cause profonde et durable de la légitimé des régimes absolutistes, même si
beaucoup d’entre eux survivent à la période révolutionnaire
La souveraineté et la citoyenneté placées au premier plan du processus politique : les
revendications constitutionnelles et parlementaires
o L’écriture de constitutions, pour organiser le pouvoir de l’État, à la fois pour lui donner de la
légitimité et pour le contrôler (USA 1787, France 1791, 1793, 1795 et 1799, Haïti 1805)
o L’affirmation de la représentation nationale et des assemblées délibérantes
o Nouvelles formes de mobilisation et de participation politique (clubs – avec de nombreux clivages
– presse, pétitions, violences, émeutes = organisation de la société civile)
L’exigence d’égalité civile et politique. L’affirmation des droits naturels : l’individu a des droits
en tant qu’individu.
o Déclaration d’indépendance des États-Unis (1776), DDHC (1789), proclamation de
l’émancipation des esclaves à Saint-Domingue (1793)
o Liberté d’expression et de presse
o Liberté de pensée et de culte
Des révolutions atlantiques pourtant inachevées
Une révolution sociale largement inachevée : de nombreuses inégalités subsistent
Un suffrage censitaire et non universel
L’exclusion politique des femmes (alors qu’elles ont joué un rôle de premier plan pendant les
évènements révolutionnaires)
Malgré quelques droits obtenus (divorce en France 1792), recul relatif de leurs droits (puisque les
hommes obtiennent, eux, des droits)
Code civil (1804) qui confirme l’infériorité de la femme mariée
Les non-Européens tenus à l’écart de la démocratie
Maintien de la traite et de l’esclavage (sauf à Haïti)
Démocratie américaine : une démocratie blanche
Silence de la Déclaration (1776), de la Constitution (1787) et du Bill of Rights (1789) sur l’esclavage
et les Amérindiens – mais clause des 3/5 dans la Constitution.
La Révolution, un spectre qui hante tout le XIXe siècle
Une mémoire plurielle
En France, comment « terminer la Révolution » ?
En Europe la crainte permanente d’une contagion révolutionnaire après 1815 (1815-1848 et surtout
1815-1830)
Une source d’inspiration pour les mouvements contestataires
La révolution américaine était-elle vraiment une révolution ?
I. Une guerre révolutionnaire
A) La révolution par les armes
Une guerre de libération extérieure et une guerre civile
Un action militaire révolutionnaire
B) Une révolution idéologique et politique
Une guerre fondée sur un socle idéologique et politique
Des formes de contestation politique révolutionnaire
II. Une révolution démocratique
A) L’affirmation des grands principes des Lumières
La proclamation des droits naturels de l’homme
La proclamation du consentement à l’impôt et à la loi
B) Un bouleversement institutionnel
La naissance d’une République avec la première Constitution écrite moderne
L’équilibre
o Entre les pouvoirs
o Entre le gouvernement fédéral et les États
III. Mais une révolution limitée et incomplète
A) Une révolution politique limitée
Un suffrage censitaire et non universel
Une organisation du pouvoir dominée par les élites
B) Une révolution sociale très incomplète
Une hiérarchie sociale très peu modifiée
L’exclusion des Indiens et des esclaves noirs
Peut-on parler de « révolutions atlantiques » ? (1776-1804)
Introduction
Concept
o Un concept forgé par Jacques Godechot et Robert Palmer en 1955 : « La Révolution française
n’est qu’un aspect de la révolution occidentale ou plus exactement atlantique qui a commencé
dans les colonies anglaises d’Amérique peu après 1763, s’est prolongée par les révolutions de
Suisse, des Pays-Bas, d’Irlande avant d’atteindre la France entre 1787 et 1789. »
o Un moment, certes exceptionnel, mais s’insérant dans une séquence révolutionnaire plus
large, qui s’étend des années 1770 aux années 1830.
o Les précédents de la Révolution française
1776-1787 : la Révolution américaine
1781-1787 : le « mouvement patriote » au Provinces-Unies contre Guillaume
d’Orange
1782 : le soulèvement de Genève
o Séquence révolutionnaire qui commencerait même avant pour certains avec la Glorieuse
Révolution en Angleterre en 1688 (renversement de Jacques II, remplacé par Marie II et
Guillaume d’Orange ; renforcement du pouvoir du Parlement).
Mais un concept peut masquer les spécificités nationales : les révolutions n’ont pas les mêmes causes,
ne naissent pas dans les mêmes contextes, ne se déroulent pas de la même façon et n’aboutissent pas aux
mêmes résultats.
L’exportation de la Révolution française en Europe
o La République batave (1795)
o Les républiques-sœurs (surtout en Italie et en Suisse)
L’exportation de la Révolution française à Saint-Domingue
o Saint-Domingue, colonie au poids économique considérable pour la France et une société très
inégalitaire (500 000 esclaves noirs, 31 000 planteurs blancs, 28 000 libres de couleur).
o La mobilisation des planteurs blancs à partir de 1789 contre l’abolition de l’esclavage et
contre l’Exclusif.
o La révolte des esclaves à partir de 1791
o L’abolition de l’esclavage : décidée à Saint-Domingue par le commissaire civil Ponthonax en
1793 et avalisée par la Convention en février 1794.
o La reconquête et la domination de Toussaint Louverture (jusqu’en 1802)
o L’indépendance d’Haïti proclamée par Jean-Jacques Dessalines (1804)
Une séquence révolutionnaire durant jusqu’aux années 1830
o Les indépendances des pays d’Amérique du Sud (Grande-Colombie 1819 ; Pérou, Venezuela,
Mexique 1821 ; Brésil 1822)
o 1830 : révolutions en France, en Belgique et en Pologne
Problématiques et questionnement
o La Révolution française est-elle une révolution parmi d’autres ? Ou bien un épisode local
d’un grand mouvement révolutionnaire euro-américain ?
o Quels sont les liens entre les révolutions américaine, française et les autres ?
o La Révolution américaine et la Révolution française sont-elles « sœurs » ?
I. La notion de « révolution atlantique » est pertinente parce qu’elle atteste…
A) Des origines intellectuelles et culturelles communes aux révolutions
Les Lumières : contestation de l’ordre établi, projets politiques et sociaux
Des échanges d’idées entre les deux rives atlantiques (voyages, correspondances, sociétés de pensée)
B) Des influences de la Révolution américaine sur les révolutions européennes de 1780 à 1830
Les répercussions importantes de la Révolution américaine en Europe : témoignages des volontaires
venus combattre en Amérique, traduction de grands textes américains
Institutions et pratiques reprises en Europe (clubs, déclaration des droits, serments civiques,
arrestations de suspects). Influence particulière sur les révolutions française et batave.
C) De l’indéniable retentissement et de l’influence de la Révolution américaine sur la
Révolution française
La popularité des Insurgents en France (via La Fayette, Franklin, Jefferson)
La contribution indirecte de la Révolution américaine à la Révolution française (rôle crucial des
dépenses françaises dans la guerre).
L’influence de la révolution américaine sur le cours même de la Révolution française (surtout la
DDHC)
II. Toutefois la notion de « révolution atlantique » mérite d’être nuancée
A) Ce concept efface la spécificité de chaque mouvement révolutionnaire
Les caractéristiques propres de chaque épisode
Des inspirations et revendications qui ne sont pas toujours similaires ni concordantes
B) La notion de « révolution atlantique » ne rend pas compte de la spécificité et de l’ampleur
du bouleversement de la Révolution française
L’originalité de la DDHC : universalité, approfondissement de l’égalité, absence de la recherche du
bonheur
Des projets constitutionnels français éloignés de ceux des États-Unis
C) Le centre du mouvement révolutionnaire est en France
De nombreux mouvements révolutionnaires déclenchés par la Révolution française et la France
La Révolution française et ses répétitions (1830) pris pour modèle