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Roca La Comedie Des Ogres
Roca La Comedie Des Ogres
Roca La Comedie Des Ogres
Cézanne hésite.
Fait-le pour Vermeer; pour notre seul et unique ogrillon », supplique Cézan-
ne en prenant la main de son mari accablé.
La comédie des ogres
Acte 1 - scène 2
« YAAAHOU! »
Le cri de joie de Vermeer fait vibrer toute la maison. Cézanne arrive, suivie de
Goya.
« Alors? Quel cadeau t’a apporté le loup cette fois? demande la mère l’air de
rien.
Oh, qu’il est mignon, dit Cézanne en s’approchant de la cage. Ça fait une
éternité que je n’en avais pas vu.
Goya chuchote à sa femme : « Une chance qu’il lui plaise. Je n’ai pas vraiment
choisi. Le gamin pêchait à la lisière de la forêt.
Il fait lui trouver un nom, reprend la mère. Comment vas-tu l’appeler, Ver-
meer?
JE M’APPELLE PAUL! »
Oh, mais j’ai bien compris. Il suffit que je dise à maman ce que je veux et le
loup me l’apporte. Regarde ce que j’ai eu pour ma soixante-douzième
dent : des bottes en peau de baleine ! C’est très rare de nos jours, précise-t-
il. A cause des hommes, on n’ose plus sortir de la forêt, et la mer est loin du
côté du soleil levant. Moi je n’ai jamais vu la mer, dit-il tristement.
Tu veux l’entendre?
Qui?
La mer.
Tu te fiches de moi, Paul. C’est impossible! La mer est trop loin. On ne peut
pas ! »
La comédie des ogres
Acte 1 - scène 4
« Et il est doux, le Chant de la Mer, plus beau encore que celui du vent dans les ar-
bres. »
Hé, hé, hé! Pas question! C’est MON porte-bonheur! Ou alors, à une condition! Tu
me laisses rentrer chez moi, Vermeer.
Acte 1 - scène 5
Tu as peut-être de gros pieds, dit Paul, mais ils ne t’aideront jamais à voir la mer
sans moi. Ecoute, je t’emmène discrètement voir la mer. Tu fais seul le chemin du
retour, et moi, je rentre chez mes parents et ma petite sœur.
Je n’ai pas le droit, c’est interdit de sortir de la forêt… Le jeune ogre se retient de
crier et regarde par-dessus son épaule .
Avec douceur et fébrilité, Vermeer porte le coquillage à son oreille. Il écoute encore,
son visage s’apaise; il sourit et verse une larme :
« JE VEUX Y ALLER!
Rideau
La comédie des ogres
Acte 2 - scène première
« Je te jure que je n’y suis pour rien. Jamais je ne t’aurais tendu un piège. Je n’ai qu’u-
ne parole, Vermeer! » Paul crache dans la poussière et Vermeer grogne.
« Fais moi confiance, insiste Paul déboussolé. Je voulais juste te montrer la mer et ren-
trer chez moi.
Et c’est normal que je sois ligoté comme ça? Traité comme une bête sauvage?
Et c’est normal que ton père m’ait attrapé et mis en cage comme un vulgaire
moineau? »
L’offrir au seigneur, pardi! Pour son musée des Curiosités. Il a financé tes recher-
ches, le monstre est à lui. Tu pourras le remercier, fiston. »
Paul a cessé de courir et regarde s’éloigner le convoi. Vermeer appelle de toutes ses
forces :
Et Paul pleure.
La comédie des ogres
Acte 2 - scène 2
« Vermeer! Je suis là! J’ai parlé au seigneur, il ne veut rien savoir. Il dit que tu es
la plus belle pièce de sa collection.
C’est horrible, Paul! Tout le monde vient me voir comme une bête curieuse!
Ils disent que je suis un mangeur d’enfants. Je n’ai jamais voulu te manger,
Paul! Mon père m’avait prévenu : tous les hommes pensent ça, alors que les
ogres passent leur temps à peindre.
Moi aussi, je pensais que tu me mangerais, dit Paul. C’est ce que les parents
disent à leurs enfants. Ecoute-moi et calme-toi, Vermeer, je te présente ma
petite sœur Lou.
Enchanté. Mais Paul, dis-leur que seuls des ogres fous ou malades ont peut-
être fait ça, il y a longtemps. Dis leur que c’est fini. Dis-leur que je veux ren-
trer peindre avec mes parents.
Ce serait trop long. J’ai une meilleure idée. Observe et écoute la mer. Je re-
viendrai bientôt, ne t’inquiète pas.
Mais Paul! J’ai déjà une nouvelle dent qui pousse et le loup ne pourra pas
venir jusqu’ici!
A bientôt, bonne nuit Vermeer, gazouille la petite sœur. Il a l’air gentil mais il
est vraiment pas joli, ton copain. »
Rideau
La comédie des ogres
Acte 3 - scène première
Lou, la petite fille - Paul, le garçon - le gardien -les créatures - Vermeer, l’ogrillon
La chouette aime la nuit, mais elle s’interrompt dès qu’elle aperçoit Lou et Paul se faufiler dans le
château. Paul fait le guet. Hop! Lou dérobe les clés du gardien assoupi. Ils découvrent toutes sortes
de créatures prisonnières: une sirène défraichie, un loup-garou décrépit, une licorne désenchantée,
un elfe dépressif, un cyclope larmoyant, un cheval ailé déplumé, un Minotaure délabyrinthé et un
dragon pratiquement éteint. Enfin, ils trouvent Vermeer qui écoute et regarde la mer sous les étoi-
les.
Ça tombe bien, reprend Paul, j’ai un cadeau pour toi. Ou plutôt deux. Je
suis plus fort que le loup, n’est-ce-pas? »
Va-t’en vite, Vermeer. Fais attention à toi. Tu ouvriras le paquet quand tu se-
ras à l’abri dans ta forêt, pas avant. Ne perds pas de temps. Nous allons
couvrir ta fuite.
Lou, la petite fille - Paul, le garçon - Vermeer, l’ogrillon - Les créatures - les gardes.
Lou, Paul et la chouette regardent, depuis le château, Vermeer se faufiler dans l’ombre des rues,
atteindre la prairie et courir à travers champs.
Et c’est rapidement la panique, en effet. Alertés par le raffut, les gardes rappliquent
sans savoir où donner de la tête. Ils ne remarquent pas les enfants qui s’échappent eux
aussi du château.
La chouette a tout vu et tout entendu. Mais elle ne racontera cette histoire à personne. Même si elle
se trouve être le cadeau de la toute première dent de Vermeer (ce dont il se fiche comme de sa pre-
mière chaussette). Elle n’en dira rien car, vous le savez, les chouettes ne parlent
pas.
Rideau