[go: up one dir, main page]

0% ont trouvé ce document utile (0 vote)
7K vues4 pages

Louis de Funès

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1/ 4

poes ®

Très en forme, De Funès. Il est


là, dans l‘incroyable salon
Belle Epoque de Christian
Fechner, son jeune producteur,
l‘air un peu timide au début,
s‘asseyant juste sur le rebord
du divan, comme s‘il lui brû—
lait les fesses. Mais on s‘aper—
çoit très vite que c‘est pour des
raisons stratégiques : trop en—
foncé, il serait incapable de
parler à son aise. De Funès, en
effet, parle autant par son
corps, ses gestes, que par sa
bouche. A peine commence—t—il
à raconter une histoire qu‘aus—
sitôt il se lève, la mime, joue
les différents personnages, bat
de la paupière, fait des mines,
des effets d‘ voix...
Une interview, avec lui, c‘est
une enfilade de sketches. Il La Zizanie : le chèque des Japonais à un génial inventeur.
y a celui du producteur infâme
ou stupide, celui du piano
dans les bars, du joueur de
poker au théâtre ou celui de

Louis de Funes
son grave accident cardiaque,
en 1975, et de ses conséquen—
ces, personnelles et profession—
nelles.
Pourtant, il ne se dérobe pas
aux questions les plus précises. «Je suis ignoble
Il essaie, honnêtement, de ré—
pondre, ou avoue qu‘il a peur
d‘aller y voir d‘un peu trop
et ça fait rire »
près. Il sait que son personnage
tient dans ce paradoxe : il est W — Alors, cette Zizanie... cédé, qui doit dépolluer le Japon,
sans doute le meilleur acteur — C‘est l‘histoire d‘un petit indus— pollue en attendant toute sa ville...
comique français, le plus irré— triel de province, qui est en même — Vous avez comme partenaire
temps maire de sa petite ville, et Annie Girardot. Vous avez toujours
sistible, et il n‘a que rarement qui a inventé un appareil pour aimé jouer en tandem, d‘abord
tourné dans des films à la hau— débarrasser l‘atmosphère de toutes avec Bourvil, puis Montand, Co—
teur de son talent. les pollutions dans un rayon de luche...
4 kms à la ronde. Les Japonais, — Oh, vous savez, les tandems...
« La Zizanie », qu‘il a tourné très intéressés, lui en font une très Dans le temps, on mettait dix ve—
avec Claude Zidi, et qui sort grosse commande. Mais, comme il dettes ensemble. On faisait de
cette semaine, serait—il une heu— n‘a pas de place pour s‘agrandir, vraies affiches. Aujourd‘hui, on
reuse exception ? N‘ayant pu il réquisitionne toutes les pièces joue l‘économie, on n‘en met plus
de sa maison pour installer ses que deux, ou même une seule. De
voir le film à temps, nous en
machines et ses ouvriers. Ce qui toute façon, vedettes ou pas, l‘es—
rendrons compte dans un pro— provoque la zizanie dans son mé— sentiel c‘est le scénario, l‘histoire.
chain numéro. nage, et alentour, puisque son pro— Un très bon scénario peut se

78
passer de vedette. Et dix vedettes bousculaient pas... Heureusement
n‘améneront jamais rien à un mau— que je savais jouer du piano. Ça
vais scénario... m‘a aidé à gagner ma vie. Je
— Est—ce que vous participez jouais du jazz, de la musique de
vous—même à l‘élaboration des danse dans les bars. Ah ! là, j‘en
scénärios de vos films ? ai vu, des choses ! Ça ferait un
— Un petit peu. Je les surveille film terrible. Les patrons et les lou—
du coin de l‘œil. C‘est comme un fiats... La dernière boîte que j‘ai
costume sur mesures. On fait des faite, c‘était un club au sous—sol.
essayages, —des — modifications. Je devais jouer de cinq heures et
Alors, je regarde, de loin. Le mon— demie du soir à six heures du
tage aussi. Ça ne fait pas plaisir à
tout le monde... Mais enfin, je suis Pouic—Pouic (1963).
là, j‘insiste — tout en restant très
poli... C‘est Raymond Rouleau qui — Pas du tout. Tout ce que je vou—
me disait Vous savez, pour lais, c‘était arriver à être un bon
arriver, il faut drôlement emmerder second rôle. C‘est René Simon qui
les gens ! nous avait dit, à son cours : vous
— Vous les emmerdez, vous, les savez, les enfants, les premiers
gens ? rôles passent très vite. Tandis que
les seconds rôles, eux, ils restent.
— Oh ! non, plus maintenant. Dans Et moi, ça me plaisait. Je faisais
le temps, oui. J‘ai tapé à tellement de petites apparitions dans les
de portes... J‘entrais, on me films, que j‘essayais. de marquer
disait : Oui ? Monsieur...? — De le plus possible. Ce qui fait que,
Funès. — Ça s‘écrit comment ? même dans ces petits rôles, on
Déjà, De Funès, il fallait chercher me voyait, on se souvenait de moi.
Et les producteurs et les metteurs
en scène m‘aimaient bien... La Belle Américaine (1961).
Je faisais aussi beaucoup de
théâtre. Par exemple, dans Un matin, sans interruption. Et je ne
tramway nommé désir, je faisais pouvais manger qu‘avant ou après.
un joueur de poker, tout au début Ce qui fait qu‘à cinq heures et
de la pièce. Tout ce que j‘avais demie, je n‘avais pas faim, et qu‘à
à ‘dire, c‘était : « Ma veste ! » six heures, quand je me levais de
Parce que quelqu‘un la foutait en mon piano, j‘étais Eric Von Stro—
l‘air. Puis, je sortais. Et je ne reve— heim dans La Grande illusion, raide
nais qu‘à la fin, toujours avec mes comme un piquet. J‘allais chercher
cartes, et là, il y avait le rideau... mes mille francs, et j‘allais me
coucher. A sept heures et quart,
— Mais, avant d‘être acteur, que
faisiez—vous ? les enfants se levaient. Et à huit
— J‘étais décorateur étalagiste. heures, il y avait une espèce de
con, un menuisier, qui commen—
fi |à N À 1 J‘ai toujours été assez doué pour
tout ce qui était artistique, la çait à couper, à scier... J‘ai fait
Taxi, roulotte et corrida (1958).
musique, le dessin... Le calcul, ça pendant deux mois, et puis, un
moins, déjà. Beaucoup —moins... jour, je suis parti sans crier gare.
comment ça s‘écrivait. Et on me
disait : Eh bien, voilà... C‘est ça... — Par exemple, jouer aux dames, Pour jouer un petit rôle dans
On va vous appeler... Et le type pour moi, c‘est épouvantable. Les Ademaï au poteau frontière...
était ici, la corbeille à papiers là, échecs, n‘en parlons pas. Prépa— — Comment êtes—vous —soudain
et le bout de papier avec mon rer des coups à l‘avance, j‘en suis devenu une vedette, au bout de
nom écrit dessus était tout petit. incapable. Dans la vie, c‘est pareil. dix ans de petits rôles ?
J‘étais sûr qu‘il allait aussitôt Je me fie à l‘instinct. Il ne faut — C‘est un producteur qui a dit
dans la corbeille... surtout pas tripatouiller les pre— un jour : celui—là, il a une binette,
miers instincts... je vais en faire une vedette. Et il
— Vous avez frappé aux portes
comme ça pendant longtemps ? — Qu‘est—ce qui vous a amené à m‘a fait tourner Un. cheveu sur la
quitter ce métier ? soupe, puis Ni vu ni connu, pre—
— Oh! une petite dizaine d‘an—
— La guerre... Comme il n‘y avait mier film d‘Yves Robert, qui est
nées. Mais j‘étais jeune, c‘était
plus rien, c‘était plus la peine de devenu un petit classique. C‘était
entre trente et quarante ans.
faire des vitrines... d‘après L‘Affaire Blaireau, d‘Al—
J‘avais les épaules solides... phonse Allais. Le producteur avait
— Et vous pensiez que vous alliez — Vous avez aussi été pianiste... décidé de l‘appeler : A pied, à poil
un jour accéder au vedettariat ? — Parce que les contrats ne se et en friture. Je lui ai dit : Mais D
79
ç
[ÔÙIS DE FÜRNES
um coffret
hors
commerce
S0 F
seulement

’ vous n‘allez pas faire ça ! — De


quoi vous mélez—vous, qu‘il me ré—
pond. C‘est pas à vous de vous
occuper des titres. Heureusement,
ils l‘ont quand même changé.
Après, j‘ai tourné des films plus
ou moins heureux, avec des met—
teurs en scène qui ne me plai—
saient pas. Enfin, ça c‘est arrangé
avec Pouic—Pouic : d‘un seul coup,
disques 3Ocm je rapportais de l‘argent ! Ah !
dites—donc ! Ensuite, il y a eu Le
harmonia —mundi Corniaud, la série des Gendarmes,
La Grande vadrouille. Puis, j‘ai Avec Bourvil dans La Grande Vadrouille (1966) :
L‘Europe galante tourné deux ou trois films qui n‘ont
pas marché. Et, en France, un
Les fêtes vénitiennes . comique qui fait un film qui rap—
en m‘écrivant toujours le même
de personnage. Moi, j‘aurais —bien
porte moyen, hop, on le balance.
voulu en changer. D‘ailleurs, j‘ai
André Campra C‘est là que j‘ai décidé de me changé. Dans La Zizanie, même si
remettre au théâtre. J‘ai repris
1660—1744 c‘est le même genre de person—
Oscar. Pour prouver que, sans nage, je suis beaucoup —plus
par metteur en scène, j‘étais beau— calme. Ça ne va plus avec mon
Le Collegium Aureum coup mieux qu‘avec... Et ça a âge de piquer des crises d‘hys—
marché très fort. Alors, j‘ai pu térie... Cela dit, ce n‘est pas du
et faire La Folie des grandeurs et comique anglais, hein ! ce que je
La Petite Bande Rabbi Jacob, avec Gérard Oury. fais maintenant...
de Avec qui je devais aussi tourner
— Ce monsieur irascible, —mé—
Le Crocodile. Mais je suis tombé
Gustav Leonhardt malade, et Le Crocodile est tombé
chant, égoiste, que vous incarnez
souvent, on a l‘impression qu‘il
à l‘eau...
vient de vos débuts, quand vous
«J‘ai tâché, expliquait Campra, de D‘un seul coup, personne ne m‘ap—
méler, autant que j‘ai pu, la délicatesse
avez eu affaire à ce genre de
pelait plus. J‘étais démonétisé. personnages...
de la musique française et la vivacité de Les augures avaient dit : il va
la musique italienne». claquer, ou s‘il ne claque pas, — Certainement. Des gens qui
Le moins qu‘on puisse dire, c‘est qu‘il c‘est paréil, il est diminué à vie. se disaient importants, et qui
>Yÿa réussi. < Et moi je le croyais, j‘en prenais n‘étaient que de petits machins.
mon parti. On m‘avait interdit de Et puis, il y a une catégorie de
tourner. Heureusement, Christian gens qui m‘ont toujours emmerdé,
BON de COMMANDE à Fechner et Claude Berri m‘ont quand j‘étais gosse (et je le suis
retourner à remis le pied à l‘étrier, avec L‘Aile beaucoup resté), ce sont les
LA PROCURE—TELERAMA
ou la cuisse... grandes personnes, Les grandes
3 rue de Mezières— 75006 PARIS personnes me cassent les pieds.
— Toute cette période, pendant
Les gens qui n‘ont pas de défauts,
votre maladie, ça a changé beau—
Nom : propres, nets... Oh ! là là.
coup de choses en vous ?
— Enormément. D‘abord, quand
Prénom :
” on est dans un lit, on réfléchit
« . Un Tartuffe...
Adresse :
beaucoup, puisqu‘on n‘a que ça à Ça, ça me plairaît... »
faire. Et j‘ai pris la décision de
vivre à la campagne, de mener — Vous aimez les défauts ?
une vie plus calme, plus pondérée. — Les défauts de l‘esprit, oui. La
Je désire recevoir par retour...... coffret(s) de Je n‘ai plus cette fièvre, que vanité, —l‘égoïsme, la lâcheté,
2 disques de André Campra que vous pro— j‘avais avant, faire ci, faire ça... toutes ces choses—là. On les a
posez, en exclusivité, au prix exceptionnel
Ça va un peu mieux. Quoique, de tous plus ou moins, c‘est pour ça
de 80,00F (+participation aux frais de port,
6,00F). Soit 86,00F par coffret. temps en temps, ça repique un que j‘aime ça. Moi, je me défoule
Veuillez trouver ci—joint mon règlement à peu, je redeviens impatient... dans mes films, comme ça je le
l‘ordre de «La Procure» par : — Est—ce que vous n‘avez jamais fais moins dans la vie...
0 chèque bancaire,
0 chèque postal 3 volets (sans n° CCP)
eu l‘impression, à travers vos — Est—ce que vous ne croyez pas
D mandat—lettre films, de vous enfermer dans un que pour les spectateurs, qui sont
Date Signature
personnage, d‘exploiter un filon ? tous un peu comme ça, mais qui
— Mais ce sont les metteurs en ont honte de se l‘avouer, de
À. ous scène qui ont exploité un filon, vous voir le faire franchement à
en dehors des gens qui font de faire... Mais je sais qu‘il faut un
fausses promesses... Mais les scénario extrêmement bien écrit.
injustices, les pauvres gens qui Pour qu‘il soit plein de joyaux.
attendent à la Sécurité Sociale... Ou alors, ce n‘est rien qu‘une his—
Moi, je croyais que, plus ils toire. Comme un plat de poissons
étaient petits, humbles, plus on qui ne serait pas décoré...
s‘occupait d‘eux. Mais non ! C‘est — Vous aimez ce que fait
justement le contraire ! Là, je Jacques Tati ?
crois que je pourrais donner deux
— Evidemment. Lui, c‘est un
ou trois coups de patte, et ça
grand auteur. Il est très fort.
serait très méchant.
J‘aimerais bien avoir des scénarios
— Et vous aimeriez mettre en de sa classe. Je joue encore
\ >
scène vous—même un tel film ? trop de petits vaudevilles, de
« Je ne pourrais jamais jouer les bênets... » — Avec la complicité d‘un met—
teur en scène avec qui je
l‘écran, c‘est une façon de l‘assu— m‘entende bien, oui. Parce que
mer ? je ne tiens pas du tout à me
— Peut—être, oui, On m‘a déjà dit fiche en l‘air. Un vrai metteur en
que j‘exorcisais le public. Je fais scène, ça hurle tout le temps.
des vilenies immondes, je traite L‘autre hurlera pour moi...
d‘une façon ignoble les petits, les — Est—ce que vous ne pensez pas
gens sans défense... J‘adore ça. que les grands acteurs comiques
C‘est ça, mon vrai comique. Les sont aussi ceux qui se mettent en
bassesses. Un petit vol, de temps scène eux—mêmes ?
en temps. L‘encouragement à la — Ils sont obligés d‘y arriver. Un
délation... Toutes les injustices, acteur comique, c‘est très délicat
grandes ou petites, qui nous à manier. Il a son comique
entourent...
— Ce qui est intéressant, c‘est
l propre. Quand un autre veut le
23
La Folie des grandeurs (1971).
que, face à des situations d‘injus—
tice, d‘autres comiques se donnent
petites choses mignonnettes. J‘ai—
le beau rôle, alors que vous, vous
merais quelque chose qui ait
les assumez, vous vous peignez
une portée — sans que ce soit
sous les traits du « méchant »...
ennuyeux. Bien sûr, on vise les
— J‘essaie de ne pas trop ana— étoiles, mais on a raison. On
lyser ça. Je n‘ai jamais su pour— n‘atteindra peut—être que le bout
quoi ni comment ça marchait. J‘ai de la lune, mais ça ne fait rien...
peur, en y réfléchissant trop, de
— Avez—vous l‘intention de vous
trouver quelque chose de génant,
remettre au théâtre ?
qui ne me plaise pas... Ce qui est
sûr, c‘est que je ne pourrais — Oh! là non. Je n‘ai plus le
jamais jouer les humbles, les droit. Ou alors je retourne à
benêts, —comme —Bourvil, — par l‘hôpital tout de suite.
Le Grand Restaurant (1967).
exemple. Ou alors, ce serait un — Vous avez pourtant l‘air très en
faux benêt. Sournois, par en—des— diriger, ça n‘est pas évident. J‘en forme...
sous. Un Tartuffe... Ça, ça me ai vu, des metteurs en scène, qui — Parce que je suis mon régime.
plairait... prétendent faire du cinéma co— Je me couche à huit heures et
— Vous prenez, je crois, beau— mique et qui n‘y connaissent rien. demie. J‘habite tout le temps à la
coup de notes. Vous avez parlé D‘ailleurs, en France, on n‘a pas campagne. Ça, j‘en suis ravi. C‘est
d‘écrire vous—même un film... de bon metteur en scène co— la plus belle existence qui soit.
— J‘y pense beaucoup. Mais je mique. Moi, je ne me suis vrai— Je me demandais si ça allait
n‘ose pas me lancer. La paresse, ment entendu —qu‘avec — Robert m‘arriver un jour. Et voilà que
peut—être. Et puis, je ne sais pas Dhéry. Avec lui, j‘aurais pu faire c‘est grâce à la maladie... Les
trop quoi écrire. Une histoire de très grands films. voies du Seigneur sont impéné—
entre mari et femme, je ne sau— — Mais qu‘est—ce qui vous a tou— trables... Mais, quand même, pen—
rais jamais. Ce qui me plairait, jours empêché de passer à la dant le tournage de La Zizanie,
c‘est un film en forme de chro— mise en scène ? j‘avais la trouille.
nique. — Je n‘étais pas prêt. Je suis Parce que... On ne sait jamais...
Mes instincts me poussent actuel— venu très tard dans le métier. Et Je pouvais mourir subitement...
lement vers la critique sociale. je n‘avais pas l‘envergure. Main— Propos recueillis par
Pas la politique, ça me barbe, tenant, j‘aurais le culot de le Alain REMOND i

81

Vous aimerez peut-être aussi