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FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES *******
Dpartement de Lettres Modernes
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EXPOSE MASTER II / RELATIONS SUD-NORD
Thme:
Les relations entre Blancs et Noirs dans deux romans de Ferdinand Oyono : Le Vieux Ngre et la Mdaille et Une Vie de Boy.
Prsent par
Safitou Fall et Serigne Khalifa Ababacar Wade)
Sous la direction du
Professeur Amadou LY
ANNEE UNIVERSITAIRE 2010/2011
EXPOSE MASTER 2 Les relations entre Blancs et Noirs dans deux romans de Ferdinand Oyono : Le Vieux Ngre et la Mdaille et Une Vie de Boy.
Sommaire
INTRODUCTION ................................ ................................ ................................ ............................. 3 I. EXPLOITATION ET MALTRAITANCE DES NOIRS PAR LES BLANCS ............................. 5
II. VISIONS DE CHAQUE GROUPE SUR L'AUTRE : PRJUGS ET STIGMATISATIONS, ILLUSIONS ET DSILLUSIONS ................................ ................................ ................................ ..... 6 III. IMPORTANCE DU CADRE SPATIAL DANS LES RAPPORTS ENTRE NOIRS ET BLANCS ................................ ................................ ................................ ................................ ........... 9 CONCLUSION ................................ ................................ ................................ ................................ 11 BIBLIOGRAPHIE ................................ ................................ ................................ ........................... 12
INTRODUCTION
L uvre romanesque de lcrivain camerounais Ferdinand Oyono sinscrit dans la continuit de Bat ala1 du pionnier Ren Maran. Comme chez ce dernier, ses romans reprsentent les vicissitudes du rgime colonial.
Lunivers romanesque dOyono est un monde fractur. Sa brisure est dessine par la diffrence raciale. Ce monde, o une minorit blanche est entre par effraction, tel un clair dans un ciel noir, est dpeint comme un enfer pour la population locale. A ce propos Aloy U. Ohaegbu soutient :
Le choi de cette socit htrogne aux intrts dissemblables, voire opposs, comme base de la fiction romanesque dOyono nest ni fortuit ni gratuit ; il a une fonction prcise et mme dterminante. Il permet au romancier de prparer les antagonismes et les affrontements entre ses personnages qui, presque toujours, se groupent nettement en Blancs et Noirs et prsentent ainsi une image fort fidle du monde antithtique dans lequel vivent lauteur et les siens coloniss. Une fois ce rapport tabli, Oyono peut tout aisment dmontrer, travers ses personnages qui se rencontrent, se doivent et se hassent, la situation dincommunicabilit
2
Cest dans cette perspective que sinscrit notre travail qui consiste analyser les rapports entre ces deux communauts aux intrts dissemblables.
Il sagira, de prime abord,
colonisateurs sur les autochtones ; ensuite de faire ressortir comment celle-ci procde de visions ngatives que le groupe blanc dveloppe sur lautre, sans omettre le fait que les Noirs,
MARAN, Ren, Bat ala, vritabl roman ngre, Paris, Albin Michel, 1921 OHAEGBU, Aloy U., http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article538
colonisateurs)
et
dincomprhension
entre
des
hommes
(coloniss
et
dexaminer laction violente et dstabilisatrice des
eux-aussi, ont leurs prjugs sur leurs vis--vis. Enfin, on pourra voir comment lespace est structur en fonction de la couleur de la peau et du statut social.
I.
EXPLOITATION ET MALTRAITANCE DES NOIRS PAR LES BLANCS
Dans le systme colonial franais, c'est le Blanc qui gre tout et les autochtones ne sont que des subalternes, excutants du projet imprialiste. Ces derniers sont agents de scurit, interprtes, travailleurs domestiques, porte-faix, taillables et corvables merci. Parlant du Pre Gilbert, Toundi dit :
Je suis son boy, un boy qui sait lire et crire, servir la messe, d resser le couvert, balayer sa chambre, faire son lit... Je ne gagne pas dargent. De temps en temps, le prtre me fait cadeau d'une vielle chemise ou d'un vieux pantalon .3
Autre forme dexploitation, cest linterdiction faite aux indignes de boire de l'arki, alcool local de bananes et de mas, pour les pousser vers les liqueurs et le vin rouge europens qui inondaient le Centre Commercial (cf. e vieux ngre et la mdaille, p. 15).
Dans les romans d'Oyono, les Franais occupent tous les postes importants : gouverneur, commandant de cercle, commissaire de police, mdecin, rgisseur de prison, instituteur. Les autochtones sont mme exclus du commerce rentable, au profit des Grecs. C'est que le systme imprialiste est un systme vorace qui dpouille ses victimes de tout bien matriel. Mka a offert ses terres lglise et ses deux enfants l'effort de guerre (cf. Le vieux ngre et la mdaille).
Cette exploitation n'immunise pas les indignes d'atteintes leur intgrit physique et psychologique. Le matre blanc ne mnage aucune brimade vis--vis de l'esclave noir. Toundi, personnage-narrateur dans Une vie de boy, vit cette violence au quotidien, dans sa chair :
OYONO, F., Une vie de boy, Paris, Julliard, 1956, p 24
Aujourd'hui journe sans histoire, part l'hostilit croissante du commandant. Il en devient compltement fou. Ses injures et ses coups de pied ont recommenc, il croit m'humilier ainsi et ne le peut autrement.4
Il la dcrit dans une position de tmoin oculaire :
M. Moreau, aid d'un gardien, fouettait mes compatriotes. Ils taient nus jusqu la ceinture. Ils portaient des menottes, et une corde enroule autour de leur cou et attache sur le poteau de la Place de la Bastonnade, les empchait de tourner la tte du ct d'o venaient les coups... .5
Que dire de ce qui est advenu au vieux Mka, frachement dcor par le Grand chef des Blancs ? Sa seule faute c'est d'avoir march dans la cit des Blancs, la nuit, sans lampe ni pices d'identit.
Cette violence gratuite et aveugle des colonisateurs est la manifestation d'une vision ngative, que ces derniers ont pour les populations autochtones, qui, leur tour, la leur rendent habilement.
II.
VISIONS DE CHAQUE GROUPE SUR L'AUTRE : PRJUGS ET STIGMATISATIONS, ILLUSIONS ET DSILLUSIONS
Les Noirs prouvent un complexe d'infriorit qui transparat par la peur et le larbinisme. Franz Fanon, dans Les Damns de la terre, analyse ce complexe d'infriorit :
Au contact de l'Europen, il s'est produit chez l'Africain une vritable rtraction de la personnalit : le Noir est tomb dans cette fcheuse situation nvrotique qu'est le complexe d'infriorit. Mis
4 5
Ibidem, p. 154 Ibidem, p. 114
brusquement en face d'un homme diffrent de lui par la couleur de la peau, suprieur lui par la technique et en consquence par sa situation conomique, l'Africain s'est trouv renvoy lui-mme et s'est dcouvert ses tares. Depuis cette rencontre le Noir n'est pas un homme, le Noir est un homme noir 6.
C'est ce complexe d'infriorit qui fait que Toundi est si fier d'tre le boy du commandant et Meka si orgueilleux de se voir dcorer par le Grand chef des Blancs. Il est l'origine de la rsignation du peuple noir tout au moins dans les romans d'Oyono qui accepte la domination coloniale comme une fatalit, voire une ncessit, qui reoit les coups des dominateurs sans se rvolter, se contentant des rles de serviteurs et de sous-fifres. Mais les personnages d'Oyono voient le Blanc, tre diffrent, comme un objet de curiosit :
A vrai dire, raconte Toundi, je ne mtais rendu [ la mission catholique] que pour approcher lhomme blanc (le pre Gilbert) aux cheveux semblables la barbe de mas, habill dune robe de femme, qui donnait de bons petits cubes sucrs aux petits Noirs .7
En plus, l'homme du nord suscite du dgot chez le Noir. Meka n'aime pas le dessous de menton du Grand chef des Blancs qui ressemble, ses yeux, un vieux sein couleur de latrite . A propos du commandant, voici ce que dit Toundi : il sentait la viande crue avec des nuances indfinissables. Cette odeur, je la sentais tous les matins la Rsidence (p. 71).
Les Blancs, quant eux, dvalorisent et mme dshumanisent les indignes. Pour eux, le ngre est un sauvage (sale, pouilleux, naf, docile) civiliser. Cette affirmation de Mme Salvain, pouse de linstituteur, est assez difiante ce propos : (les ngres) cest paresseux, voleur, menteur Avec ces gens-l, il faut une patience ! 8.
FANON, F., Les Damns de la Terre, ditions Maspero,1961. OYONO, Ferdinand, Une vie de boy, p.16 8 Ibid., p. 51
Les Blancs traitent les indignes comme des enfants : pincements doreille (le pre Vandermayer). Ils ne parviennent pas bien reconnatre les individus noirs lorsquils sont en groupe, comme le dit Toundi : Pour les Blancs, tous les Ngres ont la mme gueule .
Cette situation fait que les rapports entre Noirs et Blancs sont teints de malentendus, d'incomprhension. Et la barrire linguistique aggrave les choses, nonobstant les interprtes.
La navet des personnages, si elle se manifeste dans une bonne partie des romans dOyono, finit toujours par laisser la place la lucidit, la dsillusion. Il a fallu que le pre Vandermayer le rabroue publiquement (p. 107, 108) pour que Meka commence prendre conscience du racisme du prlat. Il se croyait lami des Blancs, grce sa mdaille mais les brimades des agents de Gosier doiseau achvent de lui ouvrir compltement les yeux. Et il renie tout ce qui appartient aux Blancs, mme leur religion. Ecoutons ce blasphme de Meka, ancien pieux chrtien qui a offert ses terres au Bon Dieu, rpondant Mvond, qui, se rjouissant de sa libration, dit Louons le Seigneur ! : Ta gueule ! Ta gueule pourrie ! [ ] Les Blancs viennent de se payer ma tte tout en me tuant et toi, tu viens me parler de Seigneur ici ! Depuis que tu larroses deau bnite, tes rides nont pas disparu ! Et a me parle de Seigneur !... (cf. Le vieux ngre et la mdaille, p.164). Ds que le catchiste Ignace Obeb entre dans la case en disant lou soit Yesou-Cristous termes : F -moi la paix ! Sors de ma case ! (p. 164). Meka linterrompt en ces
Toundi, lui, connat plusieurs dsillusions :
y
La dcouverte de lincirconcision du commandant, qui a pour effet immdiat de le priver de tout respect et de toute peur de son matre ; La dcouverte de linfidlit de Mme Decasy, pouse du commandant, quil idalisait et aimait auparavant ; et Toundi gotera les affres de la mort pour avoir fait une telle dcouverte malgr lui ; La dcouverte du cynisme et de la frocit de ses matres envers ses compatriotes et lui-mme. Toundi dit :
On ne peut pas voir ce que j'ai vu sans trembler, c'tait terrible. Je pense tous ces Blancs qui veulent sauver nos mes et qui nous prchent l'amour du prochain... Je me demande, devant de pareilles atrocits, qui peut tre assez sot pour croire encore tous les boniments qu'on nous dbite l'glise ou au temple 9.
La dsillusion est collective dans le Vieux Ngre et la mdaille :
Les orateurs se succdrent au pied de lestrade. Personne ntait content. Ces Blancs exagraient. En quoi pouvaient-ils dire quils taient plus que des frres pour les indignes ? Le Haut-commissaire et tous les Blancs franais de Doum taient assis sur lestrade avec les Grecs, ceux-l mmes qui empchaient les Noirs dtre riches. Aucun indigne ntait sur lestrade avec eux. Ils navaient caus entre amis avec aucun indigne. Tout avait t public. Comment pouvait-on parler damiti si on ne pouvait causer avec le Haut-commissaire quen parlant comme au tribunal ? Ces Blancs taient de drles de gens. Ils ne savaient mme pas mentir et ils voulaient que les indignes les croient. Bien sr quils avaient construit des routes, des hpitaux, des villes... Mais personne parmi les indignes navait de voiture. Et puis de ces hpitaux on sortait souvent pieds devant. Lamiti ne pouvait-elle se fonder que sur le vin dhonneur ? Et mme en buvant ce vin, les Blancs choquaient leurs verres entre eux... O tait donc cette amiti ? 10.
III.
IMPORTANCE DU CADRE SPATIAL DANS LES RAPPORTS ENTRE NOIRS ET BLANCS
Les gens du sud et ceux du nord vivent dans des milieux bien distincts. La diffrence de couleur entre colonisateurs et coloniss semble rendre impossible une vie communautaire harmonieuse entre eux. Cest pourquoi Jacques CHEVRIER explique
Lun des thmes les plus frquents dans les romans d'Oyono est celui du racisme qui s'exerce l'gard des indignes et qui se traduit par une rigoureuse sparation de l'espace dans lequel voluent Blancs et Noirs 11.
10
Ibid., p. 115 Ibid., p. 124 11 CHEV E R, J., Ferdinand Oyono , in Littratures Francophones, CLEF, 1994
Ce monde colonis [qui] est un monde coup en deux (Fanon) est la reproduction en miniature de la fracture entre le Nord dominateur (Europe) et le Sud cras dans la soumission. Ici rgnent la misre et linsalubrit tandis que l existent de coquettes villas, des rues biens traces, bref une ville europenne en miniature.
10
Il est interdit aux Noirs de saventurer dans le quartier europen, sauf pour des raisons de service ou sur convocation ou lors de certaines crmonies officielles. La fracture entre les deux mondes est telle que toute tentative de rapprochement est suspecte. En effet, convoqu par le commandant, Meka et les siens sans savoir le motif de la convocation craignent un malheur imminent (p. 10, 11). Comme lexplique le narrateur du Vieux ngre et la mdaille : Doum, on savait o conduisaient les convocations officielles, aussi tait-ce un sinistre honneur que dtre distingu par le commandant 12.
Quelques heures aprs sa dcoration, Meka est arrt, malmen, emprisonn comme un malfaiteur, pour, aprs avoir t surpris par la tornade alors quil dormait au Cercle Africain, avoir tent de regagner son village en traversant le quartier europen sans lampe ni papiers didentification. Ecoutons le garde sadressant au malheureux vieil homme :
- Lve-toi ! Cochon malade ! Tes papiers ? Hein ! Tes papiers ! Do sors-tu ? Quest-ce que tu fous par ici hein ! par ici au quartier blanc ? A minuit ! pendant lorage ! et tes complices ? hein ! O sont tes complices ? 13
Lors de la crmonie de dcoration, Meka est isol dans un cercle de chaux, sous un soleil torride. Il souffre le martyre (p. 95 105). Comme une bte de cirque ou de zoo, le vieux Meka suscite la rise des Blancs :
12 13
OYONO, F., Le Vieux Ngre et la mdaille, Paris, Julliard, 1956, p. 19 OYONO, F., Le vieux ngre et la mdaille, op. cit., p. 137
Quand le Blanc passait devant lui, il lui souriait puis rejoignait ses congnres tout en montrant Meka du doigt. Celui-ci entendait alors un brouhaha confus parmi les Europens 14.
11
La sgrgation raciale est flagrante lors du vin dhonneur dans le Foyer Africain. En effet, Le Haut-commissaire et tous les Blancs franais de Doum taient assis sur lestrade avec les Grecs, ceux-l mmes qui empchaient les Noirs dtre riches. Aucun indigne ntait sur lestrade avec eux15.
Mme dans les chapelles, Blancs et Noirs sont spars : places et siges confortables pour les premiers et troncs d'arbres en guise de bancs pour les indignes.
Bref, dans les deux romans, lespace est organis de sorte rendre impossible tout rapprochement amical, toute coopration mutuellement positive entre gens du sud et gens du nord
CONCLUSION
14 15
Ibid., p.96 Ibid., p.124
En dfinitive, on peut retenir que les rapports entre les Blancs et les Noirs dans les romans de F. Oyono (Le Vieux ngre et la mdaille et Une Vie de Boy) sont caractriss par la violence et le racisme car sous-tendus par des prjugs ngatifs et des intrts divergents. Cest dire, avec Chevrier, qu entre les Blancs et les Noirs, les seuls rapports possibles sont des rapports de domination et de soumission 16.
12
Cette dichotomie manichenne, qui fait du Noir un tre primitif, naf, souffre-douleur rsign et du Blanc un dominateur impitoyable, sadique, voire diabolique, est le moteur de lintrigue romanesque dans la trilogie dOyono (Une vie de boy, Le vieux ngre et la mdaille et Chemin dEurope). Dans ces romans tout est conu dans cette logique : les types de personnages, leurs actes, lespace.
Mais la force du style dOyono semble surtout rsider dans lhumour qui imprgne chaque passage de ses romans. Un humour satirique qui cache mal la prgnance de la mlancolie chez un auteur qui voque les aspects les plus douloureux dans les rapports colonisateurs-coloniss
BIBLIOGRAPHIE
CHEVRIER, J., Ferdinand Oyono , in Littratures Francophones, CLEF, 1994 FANON, F., Les Damns de la Terre, ditions Maspero,1961
16
CHEVRIER, J., op. cit.
MARAN, R., Batouala, vritable roman ngre, Paris, Albin Michel, 1921. OHAEGBU, Aloy U., http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article538 OYONO, Ferdinand, Chemin dEurope, Paris, Julliard, 1960 OYONO, F., Le Vieux Ngre et la mdaille, Paris, Julliard, 1956 OYONO, F., Une vie de boy, Paris, Julliard, 1956
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