Le Livre de la Genèse
LE LIVRE DE LA GENÈSE débute au commencement des temps et s’achève avec
le récit des ancêtres fondateurs du peuple juif. Il plante le décor pour le restant de
la Bible en décrivant comment les choses ont commencé. C’est à la fois une
grande page de littérature — pleine d’histoires inoubliables et de détails piquants
— et un exposé théologique majeur. Il affirme qu’il y a un Dieu, qui a créé le
monde et continue de façonner son histoire ; un Dieu qui a inspiré la foi à son
peuple depuis le commencement.
Une étude attentive du texte a conduit la plupart des exégètes à penser que la
Genèse n’est pas l’œuvre d’un seul auteur. Selon ce consensus, la Genèse est une
compilation de trois documents indépendants, un peu comme si on avait combiné
les livres de Matthieu, Marc et Luc en un seul évangile. Cette analogie n’est
cependant pas parfaite, parce que les styles de Matthieu, Marc et Luc sont assez
proches les uns des autres ; les trois sources de la Genèse sont suffisamment
distinctes pour qu’il soit possible en maints endroits de reconstruire chacune à
partir du texte dont nous disposons.
Parmi les documents inclus dans la Genèse, celui qu’on appelle la source J a un
style chaleureux, terre à terre, incisif et appelle Dieu ‘Yahvé’ (‘Jéhovah’). La
source E décrit un Dieu légèrement plus lointain appelé ‘Élohim’. La source P est
plus formelle et aborde des sujets sacerdotaux, tels que des généalogies et des
dates spécifiques. Chacun de ces documents se base sur des traditions anciennes
qui ont été soigneusement préservées. Des éditeurs respectueux ont délicatement
assemblé les différents morceaux, de sorte que les documents d’origine restent
essentiellement intacts.
Les chapitres 1-11 traitent de l’histoire des premiers âges, depuis la Création
jusqu’aux suites du Déluge. Les chapitres suivants introduisent la relation spéciale
de Dieu avec une communauté unique. Ils relatent l’histoire d’Abraham et de
Sarah (chapitres 12-24), celles d’Isaac et Rébecca (25-26), de Jacob et Rachel (27-
36) et de Joseph et ses frères (37-50).
Pendant des milliers d’années, le livre de la Genèse fut l’exposé le plus
rationnel à notre disposition, en ce qui concerne les origines du monde. Les gens
commencèrent donc à le considérer comme un document scientifique autant
qu’une somme théologique ; ils oubliaient qu’un document d’une telle ancienneté
devait être compatible avec le point de vue de son temps. Aujourd’hui encore,
certains attendent de ce livre la même précision que celle dont ferait preuve un
historien ou un scientifique contemporain. On peut s’étonner que la Genèse soit
finalement assez précise telle quelle : l’archéologie continue d’éclairer d’une
nouvelle lumière des faits narrés dans ce livre qui étaient tombés dans l’oubli,
indiquant par-là que des siècles de transmission orale du récit n’en ont pas
tellement brouillé les détails.
1
Le Livre de la Genèse
LES VICISSITUDES DE LA VIE QUOTIDIENNE DES FEMMES sont mises
en valeur dans ce passage provoquant. Le cadre en est le Jardin d’Éden, où le
premier homme et la première femme viennent de désobéir à Dieu en mangeant
du fruit défendu. Dans les versets précédents, 14 et 15, Dieu a prononcé un
jugement contre le serpent qui les avait tentés. Dans les versets suivants, 17-19,
Dieu parle des épreuves auxquelles l’homme devra faire face. Le verset 16
s’adresse à la femme.
Avant de chercher le sens profond de ce verset, tâchons de comprendre les mots
hébreux originaux. Une traduction plus littérale serait ‘Grandement multipliées
1
NDT : Ici, et pour chacun des autres livres, le verset 3:16 est cité en français (d’après la Bible de Jérusalem) et
en anglais (dans la traduction réalisée par l’auteur lui-même).
2
Le Livre de la Genèse
seront tes peines2’, parce que le même terme hébreu apparaît dans la phrase
‘croissez et multipliez’ qu’on trouve en 1:22 et 1:28. Au lieu de ‘peine’ on pourrait
aussi dire ‘angoisse’; c’est le même mot qui est appliqué à l’homme au verset 17,
‘à force de peine tu en tireras ta nourriture’. On trouve aussi la racine du mot
‘labeurs’ dans Pr 14:23, où il nous est dit qu’un dur labeur est profitable.
Finalement le verbe ‘dominer’ apparaît aussi en 1:16, qui dit que le soleil domine
le jour et la lune domine la nuit; ce mot hébreu se réfère à l’influence et à la
puissance, mais il n’implique pas un assujettissement. Un terme assez différent
est utilisé en 1:26 pour décrire la relation entre les êtres humains et les animaux.
Les gens ont interprété ce verset de différentes façons. Certains pensent que le
récit du chapitre 3 est la relation Verbatim d’une véritable rencontre. Mais les
détails — le serpent qui parle, la description de Dieu marchant dans le jardin, et
l’emploi d’une écriture poétique hébraïque — suggèrent plutôt une parabole ou
une allégorie faite pour nous enseigner une leçon importante.
Une école de pensée réduit les versets 14-19 à quelque chose comme « Si Adam
et Ève n’avaient pas péché, les serpents auraient des pattes, les femmes
enfanteraient sans douleur, et les hommes n’auraient pas à travailler ». Mais je
crois que ces mots ont un message bien différent; examinons-les de près, en
connexion avec d’autres parties de la Bible.
Donner naissance à un enfant est une expérience éprouvante. Par exemple,
35:16-18 raconte comment Rachel mourut dans d’atroces douleurs à la naissance
de Benjamin. L’angoisse de l’accouchement est mentionnée en Is 13:8, Jr 4:31,
Mi 4:10 et en Ap 12:2. Nous savons aussi que les hommes ont souvent dominé
leurs femmes. La parole de Dieu au verset 16 s’accorde donc certainement avec
ce qui est réellement advenu.
Mais nous devons être attentifs à ne pas prendre ces mots au pied de la lettre.
Certains, des hommes comme des femmes, ont tourné le verset 16 en un soi-disant
décret de subordination de la femme, tout comme d’autres ont cru trouver une
justification de l’antisémitisme dans d’autres passages de la Bible; c’est une
tragédie. Dieu veut que mari et femme forment une équipe, qu’ils soient « une
chair » (2:24; Mc 10:8).
Le verset 16 relie d’une manière intéressante la ‘domination’ au mystère de la
sexualité. La femme désirera son mari — en dépit du traumatisme de
l’accouchement — et celui-ci la dominera. Une construction presque identique se
trouve dans le texte hébreu de 4:7, où nous lisons que ‘le péché te convoite, tu
peux le dominer’. Dans les deux cas l’objet de la convoitise devient le dominant.
Ainsi nous pouvons paraphraser la conclusion du verset 16 en disant : « Il emplira
tes pensées et tes actes »; la domination se référant ici à une prise de possession
de la femme, qui n’est pas imposée par l’homme. De même, des hommes peuvent
être dominés par les femmes (Ct 7:10; III Esd 4:223).
2
NDT : ‘Greatly multiplied will be your troubles.'
3
NDT : Ce livre, aussi appelé Esdras A, contenu dans la Septante, ne fait généralement pas partie des bibles
protestantes et catholiques. Voici le verset cité : « Et par là il vous faut reconnaître que les femmes sont vos
3
Le Livre de la Genèse
Les hommes et les femmes ont des caractéristiques physiques différentes, qui
ont justifié pendant un temps que les hommes gagnent le pain et que les femmes
élèvent les enfants; de nos jours, ces différences ne sont plus aussi importantes.
La signification des versets 16-19 pour les membres d’une société moderne est
que, quelle que soit notre situation de vie, rien ne sera facile. Nous connaîtrons de
sérieuses difficultés.
Dieu parla ainsi après qu’Adam et Ève eurent péché. Ils avaient désobéi à ses
instructions à cause de leur soif de connaissance. Il est clair par d’autres passages
de la Bible que les êtres humains sont rebelles par nature (voir par exemple 6:5),
et que tout le monde est coupable de péché (1 R 8:46; Pr 20:9; Qo 7:20; 1 Jn 1:8).
Les versets 16-19 décrivent-ils simplement la punition de Dieu pour avoir
péché ? Non ; le livre de Job dit qu’il y a bien plus, dans notre histoire, que
récompense et châtiment. Pourquoi Dieu n’a-t-il pas créé un monde dénué de toute
souffrance ? Nous ne le savons pas, mais Gn 3 suggère qu’un monde sans
souffrance serait incompatible avec le genre de savoir auquel l’être humain
accorde du prix. Sans obstacle, sans la pénibilité du travail, le progrès serait peut-
être impossible. Les choses seraient-elles meilleures si chacun était dans un état
d’euphorie et de bien-être inaltérables ?
Notons en conclusion que Dieu réprimande Ève mais qu’il ne la rejette pas.
Elle aura des épreuves, mais elle reste une femme. Jésus remarque en Jean 16:21
que la joie de la naissance surpasse les douleurs du travail qui la précède.
seigneurs ; n’est-il pas vrai que vous vous donnez du mal et de la peine et que vous offrez tout, apportez tout
aux femmes ? »
4