[go: up one dir, main page]

0% ont trouvé ce document utile (0 vote)
258 vues42 pages

MITARAKA Brochure 2021 BAT6

Transféré par

1dennys5
Copyright
© © All Rights Reserved
Nous prenons très au sérieux les droits relatifs au contenu. Si vous pensez qu’il s’agit de votre contenu, signalez une atteinte au droit d’auteur ici.
Formats disponibles
Téléchargez aux formats PDF, TXT ou lisez en ligne sur Scribd
0% ont trouvé ce document utile (0 vote)
258 vues42 pages

MITARAKA Brochure 2021 BAT6

Transféré par

1dennys5
Copyright
© © All Rights Reserved
Nous prenons très au sérieux les droits relatifs au contenu. Si vous pensez qu’il s’agit de votre contenu, signalez une atteinte au droit d’auteur ici.
Formats disponibles
Téléchargez aux formats PDF, TXT ou lisez en ligne sur Scribd
Vous êtes sur la page 1/ 42

MITARAKA ARTS PLASTIQUES, POÉSIE, LITTÉRATURE DU PLATEAU DES GUYANES,

DE LA GRANDE CARAÏBE ET DE L’AMÉRIQUE DU SUD POÉTIQUE DU MONDE

Yddy Clarus, Guadeloupe Guyane,


Contemplation silencieuse
D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 3
huile sur toile, 100cm/72cm
ÉDITO
“L’être humain n’est pas encore entré dans la plé- Delphine Tomes, Alejandra Maria Avila, Sarina De-
nitude du grand songe” foi, Anna Georgina St Clair, Libertad Betancourt,
“Cette nouvelle langue sera de l’âme pour l’âme, Heblyn Lucia Valencia David, Solange Alin, Lydia
résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pen- Delgado, Ana Ivette Ortiz, Emilia Gutierrez, Ro-
sée accrochant de la pensée et tirant” seman Robinot. Tout proche, d’autres planètes
Arthur Rimbaud brillent comme des soleils : Eddy Clarus, Chedli,
Lobie Cognac, Alvaro Garcia, Jocelyn Akwaba-Ma-
“L’Amour, la Liberté, la Poésie” tignon, Serge Goudin-Thébia, Djalma Santos,
On pourrait ajouter la Beauté. Reinier Asmoredjo, Michael Wong Loi Sing. Le
Ce nouveau numéro de la revue d’Arts et de Poésie grand écrivain et poète René Ménil, compagnon
Mitaraka est un enchantement, au sens plein du d’Aimé Césaire, tous deux créateurs de la revue
mot à la fois un chant et un appel au Merveilleux Tropiques, est parmi nous.
mêlant amoureusement les Arts à la Création litté- Une étoile illumine la nuit d’Orion, intense comme
raire. Notre Guyane, notre singularité, s’ouvre ici une aura bleue au-dessus du massif Mitaraka, c’est
sur l’excellence, les universitaires du Plateau des la merveilleuse poétesse cubaine Nancy Morejon.
Guyanes : Dans la nuit étoilée une voix résonne mélancolique,
Monique Blérald, Mylène Danglades, Michael Gilk- c’est celle d’Inteken le slammer guyanais.
es, Eddy Edgar Van Der Hilst, Monchoachi, Emma- Sans oublier Joël Roy le poète du marronnage.
nuel Lucenay, suivis de près par nos écrivaines,
Sylviane Vayaboury, Ketsia Loial. “L’avenir de l’Homme, c’est la Femme” disait le
Les poétesses d’ici, du continent se mêlent à la grand poète Aragon dans son recueil de poèmes
fête cosmique, Sylviane Beaufort, Jonnhy Chris- “Le Fou d’Elsa” en référence à l’histoire de
telle, Ada Noemi Zagaglia, Gladys Enriquez, Nao- Majnoun et Leila dans l’Andalousie
mi Salazar Cunalata, Maria Piña Marta Altamirano Arabe et Musulmane. L’Avenir est peut être de
de Alvarez, Erika Millot, Margreth Jiménez Marin, notre côté, du côté des nouveaux mondes. C’est à
Cristina Galvez Mayra Berdugo, Doris Mabel Pena, nous d’en décider.
Paula Yesenia Rivera Salmeron, Miluzka Vera Men-
doza, Jacquinha Nogueira, Jovina Souza, Aida Eli- Dominique Martin, poète
na Ochoa Contreras, Maria Elena Gomez, Clarena
Martínez Turizo.

La Beauté sous toutes ses formes, convulsive,


étoilée, provocatrice, paisible ,voire ésotérique
éclaire chaque page comme autant d’étoiles
filantes. Elles se nomment : Pearl Brunings, Dominique Martin
Maria Garcia

EDITION 2021
Publication de l’Association Mitaraka. Remerciements à tous les artistes, poètes, auteurs qui ont
généreusement participé à ce nouveau numéro du magazine Mitaraka et à Mr Fred Elisabeth pour avoir facilité la
participation des artistes, poètes latino-américains.
La rédaction n’est pas responsable des textes, photos et propos tenus dans les interviews et articles, qui n’en-
gagent la seule responsabilité de leurs auteurs et impliquent leur accord tacite pour leur publication.
Tirage à 180 exemplaires.
Directeur de publication : Dominique Martin, Poète.
Directrice artistique : Maria Garcia.
Relations Internationales : Fred Elisabeth.
Edition 2021 - 2022 avec le concours de la Collectivité Territoriale de la Guyane de la Direction de
l’Action Culturelle et de l’association MIKARAKA
Conception graphique et impression : Print Eclair - 0594 36 37 00 - contact@print-eclair.fr
Diffusé gratuitement - N° ISNN : 12558362

LA GUYANE SUR LE CONTINENT DES AMÉRIQUES


La magazine a eu un écho important sur tout le continent américain.
Le magazine d ‘Art et de Poésie Mitaraka œuvre à l ‘ intégration de la Guyane sur le continent américain
à travers des réseaux d ‘amitié ,des émissions en ligne, la participation à des salons du livre (Royaume-
Uni, Etats-Unis ).
Nina Allan Poe, Guyane Il nous paraît important d ‘être en contact avec des poètes, des plasticiens du continent (Suriname,
Flowers of Java Brésil, Guyana, Etats-Unis, Mexique, Guatemala, El Salvador, Costa Rica, Colombie, Pérou, Chili, Argen-
tine, République dominicaine, Cuba ....) .
Fred ELISABETH

4 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U
SOMMAIRE

Monique BLERALD_____________________ .8 Miluska VERA MENDOZA_______________ .54

Libertad BETANCOURT_________________ .16 Jacquina NOGUEIRA____________________ .54

Mylène DANGLADES____________________ .17 Jovina SOUZA__________________________ .55

Anna Georgina ST CLAIR________________ .28 Valdeck ALMEIDA DE JESUS____________ .55

Michael GILKES________________________ .29 Chedli MAHDAOUI______________________ .56

Joêl ROY_______________________________ .32 Djalma SANTOS________________________ .58

Eddy EDGAR VAN DER HILST___________ .35 Marta ALTAMIRANO DE ALVAREZ_______ .59

Emiliana GUTIERREZ___________________ .36 Heblyn VALENCIA______________________ .60

Ketsia LOIAL___________________________ .37 Ada Noemí ZAGAGLIA__________________ .60

Jocelyn Akwaba MATIGNON_____________ .39 Aída Elena OCHOA CONTRERAS________ .61

Sylviane VAYABOURY___________________ .41 Clarena MARTÍNEZ TURIZO_____________ .61

Solange ALIN___________________________ .42 Maria Elena GOMEZ____________________ .62

Sylviane BEAUFORT____________________ .43 René MÉNIL____________________________ .63

Lydia DELGADO________________________ .44 Emmanuel LUCENAY___________________ .64

Christelle JOHNNY_____________________ .45 Nancy MOREJON_______________________ .70

Ada Noemí ZAGAGLIA__________________ .46 Alvaro GARCIA_________________________ .74

Reinier ASMOREDJO___________________ .47 María PIÑA_____________________________ .76

Kika MILLOT___________________________ .48 Noemi SALAZAR CUNALATA____________ .77

Margreth JIMÉNEZ_____________________ .48 MONCHOACHI_________________________ .78

Delphine TOMES_______________________ .49 Pearl BRUNINGS_______________________ .79

Cristy GALVEZ__________________________ .50 INTEKEN_______________________________ .80

Gladys ARACELY ENRIQUEZ ORTIZ______ .50 Ana Ivette ORTIZ_______________________ .81

Doris MABEL PENA_____________________ .51 Ruben MAKOSI_________________________ .82

Alejandra AVILA________________________ .52 Serge GOUDIN-THÉBIA__________________ .83


Paula YESENIA RIVERA SALMERON_____ .53
Monique BLERALD Lorsqu’elle évoque le bagne de Saint-Laurent dans le roman Célanire cou-coupé,

publié en 2000 aux EdiGons Robert Laffont, l’écrivaine ne s’est rendue qu’une fois en Guyane,
Professeure des universités
en 1994, invitée pour quelques jours à l’occasion de la publicaGon et de la promoGon de son
En cultures et langues régionales
roman Les Derniers Rois mages. Elle exploite avec une certaine liberté : données, faits,

Université de Guyane personnages et lieux historiques. Le piJoresque, voire le rocambolesque se superpose

parfois à la réalité. Ce qui nous pousse à parler de l’hybridaGon de l’imaginaire et de

l’écriture, pour ce roman.

Le bagne1 de Guyane revisité par Maryse Condé


Célanire cou -coupé évoque la quête d’une jeune femme qui recherche ses parents et

se venge de ceux qui l’ont maltraitée à sa naissance. En effet, elle avait été abandonnée
L’imaginaire créole guyanais semble occulter certaines figures telles celles des
auprès d’une poubelle avec le cou presque coupé en vue d’un sacrifice, puis ramenée à la vie
bagnards ou des Tirailleurs sénégalais qui étaient présents en Guyane lors de la seconde
par un médecin, le docteur Jean Pinceau.
guerre mondiale. Ces souvenirs, en effet, ravivent les blessures. D’autres figures par contre

plus valorisantes comme celles du Nègre marron ou du bandit d’origine gabonaise, Ce roman sur fonds de tonalité fantasGque évoque l’Afrique, les AnGlles et pour la première
D’Chimbo, à l’époque de l’esclavage, demeurent encore aujourd’hui des références pour les fois, en ce qui concerne l’œuvre de la romancière, sur une vingtaine de pages, la Guyane. Au
Créoles guyanais. Douleur, honte, révolte, fierté…, ces senGments assez variés consGtuent le cours de ces vingt pages, le lecteur découvre des descripGons peu reluisantes de la capitale
soubassement de la mémoire guyanaise. Une mémoire sélecGve, déjà effecGve dans la Cayenne, l’évocaGon des habitants du fleuve et de la forêt, c’est- à dire les Amérindiens et les
tradiGon orale et qui a inéluctablement des répercussions sur la liJérature. Si ces sujets Bushenengue, des références au surnaturel avec le personnage de Manman dlo. Cependant,
douloureux demeurent quasiment absents dans les écrits des auteurs guyanais, ils sont en il est quesGon réellement sur huit à dix pages de l’univers du bagne, et huit autres en
revanche souvent pris en charge par des auteurs d’origine anGllaise et métropolitaine. disconGnu, évoquent les portraits et les relaGons entre deux bagnards libérés, l’un d’origine

anGllaise, le médecin guadeloupéen Jean Pinceau alias Papa Doc, « créateur » de Célanire et
La présente contribuGon tente de comprendre la récupéraGon et l’exploitaGon du
l’autre, un Africain Hakim. Ils sont déportés en Guyane en 1906, l’un pour viol aggravé sur
bagne par la romancière guadeloupéenne Maryse Condé, un sujet sensible et douloureux
mineur ; l’autre pour meurtre. Ils y effectuent leur doublage, c’est-à-dire leur peine, côtoient
pour les Guyanais. Nous examinerons donc comment à travers un « texte hybride », le
Amérindiens et Bushenengue et semblent s’adapter à leur mode de vie sans vraiment
recours au cliché permet une « déconstrucGon» de l’image du bagnard.
l’accepter. Papa Doc est médecin –guérisseur ; Hakim lui, est employé comme « garçon de
1 CeJe thémaGque a été abordée dans « Figures de la mémoire guyanaise », dans l’ouvrage collecGf Conflits de
famille » chez M.Thénia, le « gouverneur de la banque de Guyane ». En effet, ils trouvent la
mémoire dirigé par Véronique Bonnet, Paris, Karthala, 2004.
mort lors d’une tentaGve d’évasion commune.

8 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 9
A travers le regard d’un narrateur hétérodiégéGque, un certain hommage est rendu aux d’une uGlisaGon hâGve de données sur ceJe période historique. C’est, ceJe lecture que fait

bagnards qui paraissent sympathiques. Ils sont présentés comme des démiurges, des arGstes aussi Kathleen Gyssels2 qui écrit :

mais aussi des vicGmes de la société. L’auteur a choisi de présenter des bagnards anGllais et
[…] Célanire cou –coupé où la nature reste assez clichée, un « décor » ar?ficiel ; le décor
africains, et qui plus est des personnages hybrides. Papa Doc et Hakim sont des méGs. En
naturel relève du bulle?n météo (…). A moins que la narratrice veuille imiter la conteuse
effet, plusieurs mondes se croisent à travers eux : l’Afrique, les AnGlles et la Guyane. Ce qui
créole, le tableau sonne faux. Il y a bien longtemps que le lecteur postmoderne et
peut paraître surprenant pour un lecteur guyanais, dont l’imaginaire, reGent surtout lorsque
postcolonial s’était désaccoutumé de pareille descrip?on. Ce qui dérange, me semble t-il, sont
l’on évoque la figure du bagnard, des portraits d’hommes blancs arrivant de l’hexagone –Les
ces séquences descrip?ves, chronologiques, ces étranges métalepses (« l’odeur de
prêtres réfractaires sous le régime de la terreur, Collot d’Herbois, Billaud Varenne, Henri
pourri [vous] saisissait à la gorge ») gramma?cales.
Charrière alias Papillon, Alfred Dreyfus, Guillaume Seznec, Francis Lagrange, Benjamin
Serge Gruzinski, dans La pensée mé?sse3, met d’ailleurs en garde contre l’uGlisaGon des
Ullmo…- A la fin des années soixante , il n’était pas rare de croiser dans les rues de Cayenne
clichés ; et notamment celui présentant la forêt amazonienne.
ou de Saint-Laurent, quelques bagnards; notamment Bébert, le marchand ambulant avec sa

broueJe pleine de charbon. Certains bagnards, après avoir purgé leurs peines, ont préféré Les écrivains, les poètes, les cinéastes n’ont cessé d’exploiter [ les ] clichés pour en faire des

d’ailleurs rester en Guyane et y fonder une famille. rêves à des?na?on d’un public toujours plus avide de mondes primi?fs et de pérennité. (…)

L’anthropologie structuraliste a ainsi fait de l’Amazonie le conservatoire de la « pensée


La romancière semble opérer des collages. En effet, le texte se présente comme un espace
sauvage ».
« hétéroclite » où sont rassemblés des types d’informaGons disparates et où se côtoient les

tons les plus variés : données historiques sur le bagne et les bagnards libérés, légende autour Aussi, le lecteur ne peut que s’interroger sur l’opportunité de ceJe évocaGon du

de la sirène Manman dlo qui envoûte puis tue les bagnards en fuite, évasion de Papa Doc bagne. Est- ce par souci romanesque ? Qu’apportent de plus ces pages sur le bagne au

rappelant celle de Papillon. Plusieurs discours se disputent l’autorité de l’énonciaGon : ironie roman ? Elles ne semblent pas faire avancer la ficGon et le lecteur n’apprend rien de plus sur

et gravité se complètent harmonieusement. Il en est de même du méGssage des expressions, les personnages. Fantaisie purement romanesque ; d’autant plus que les personnages

telle la syntaxe orale propre au conte qui diffère du discours du narrateur. Les archétypes (la condéens se caractérisent par leur mobilité. Souvent déçus par leur immédiateté, ils sont

bête humaine, le pauvre hère affaibli et sans argent…) et les stéréotypes (l’homosexualité, la sans cesse en quête d’un ailleurs meilleur.

puniGon, l’évasion…) du bagne sont répertoriés.

On serait même tenté de dire que l’auteure a découvert le bagne à travers la lecture de

narraGons rocambolesques et lors d’une visite/promenade- éclair ; ce qui donne l’impression 2 Gyssels, Kathleen, Passes et impasses dans le compara?sme postcolonial caribéen, Paris, Honoré Champion,

2010, p.60-61.
3 Gruzinski, Serge, La Pensée mé?sse, Paris, Fayard, 1999, p.24.

10 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 11
Pourtant, contrairement à Kathleen Gyssels, nous proposons une analyse plus nuancée de ce aux Iles du Salut, pourtant lieu symbolique où ont séjourné des bagnards célèbres (Alfred

passage sur le bagne. ConsGtue t-il un contre-discours ? Lorsque nous nous arrêtons sur la Dreyfus, Denis Seznec).

démarche de Maryse Condé, nous y voyons un texte hybride qui renvoie à une écriture
La romancière, place sur le même plan Histoire et stéréotypie. Il est reconnu, en effet, que
méGssée: éclatement du genre romanesque, polyphonie des voix…, technique
« les écrivains post-coloniaux entreprennent délibérément de brouiller les no?ons
qu’affecGonnent les écrivains post-coloniaux. L’écrivain comme l’arGste (musicien, peintre,
européennes « d’histoire » et de structura?on du temps. (…)L’Histoire admise jusque là est
danseur…) postcolonial privilégie, en effet, des modes de créaGon assumant les mélanges,
ainsi remodelée, réécrite et réalignée (… )» 5.
l’hybridité et traduisant leurs idenGtés mulGples, leurs appartenances diverses.
Aussi, ces descripGons rappelant les scènes rocambolesques du film Papillon, n’est-ce pas
Dans ces quelques pages consacrées à la Guyane, la romancière s’affranchit, là aussi, des
peut-être uGlisé sciemment par la romancière ? Ne s’emploie t-elle à subverGr les
convenGons narraGves. La rigueur des faits historiques est contrebalancée par l’oralité et le
stéréotypes, les représentaGons collecGves et sociales sur le bagne ? Ce qui fait de son
surnaturel avec la légende de Maman dlo ; technique déjà présente dans Les Derniers rois
écriture, une écriture « marronne », un acte de résistance ? On connaît l’intérêt qu’elle porte
mages où s’entrecroisent et se chevauchent les chroniques décrites par Djéré dans ses
aux Marrons (Moi, Tituba sorcière, Nanny of the Maroons). Précisons également qu’à
cahiers et les récits mythiques africains liés à la chasse. Croyances ancestrales, coutumes,
chacune de ses visites en Guyane, Maryse Condé s’est toujours rendue à Saint-Laurent du
mœurs sous-tendent ceJe écriture méGssée. Nathalie Schon voit dans ces clins d’œil
Maroni où elle a été accueillie par des Créoles mais aussi des membres de la communauté
ethnographiques « une ouverture sur l’exoGsme » et « des modes de percepGon liJéraire
noire marron du fleuve. En témoigne encore sa dernière rencontre en juin 2011 avec les
inspirés par la modernité4 ».
chefs coutumiers et spirituels6 bushenengue.

Il en est de même des personnages retenus dans ce passage sur la Guyane. Sont campées
Ainsi, l’axtude de la romancière est bien déconstrucGonniste. Elle subverGt le modèle
des figures emblémaGques de l’idenGté guyanaise, au contact de la nature et dépositaires de
romanesque et la langue française en y introduisant des marqueurs culturels différents
savoirs ancestraux : les Amérindiens (premiers habitants de la Guyane affaiblis et asservis
percepGbles génériquement, thémaGquement, stylisGquement.
avec la colonisaGon) et les Bushenengue (qui, à travers le marronnage, ont refusé la

dominaGon occidentale).

En guise de conclusion
Bien que l’auteure de Célanire-cou coupé annonce le voyage à Cayenne, elle ne s’arrête pas à

ceJe unique desGnaGon. Les espaces sont brouillés : la ville de Cayenne, le camp de la
5 Ashcroy, Bill, Griffiths, Gareth, Tiffin, Helen, L’Empire vous répond. Théorie et pra?que des liXératures post-
transportaGon à Saint-Laurent du Maroni, la forêt amazonienne. Aucune acGon ne se déroule coloniales, Serra, Jean-Yves, Mathieu-Job, MarGne (trad.), Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2012,
p.48.
6 Vergès, Françoise, Sesquin, Jérôme, Maryse Condé, une voix singulière. Documentaire, Paris, France-TV et
4 Schon, Nathalie, L'auto -exo?sme dans les liXératures des An?lles françaises, Paris, Karthala, 2003. CNC, 2011.

12 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 13
Il est important que l’on s’arrête sur la récepGon par les Créoles Guyanais de Célanire cou BIBLIOGRAPHIE
coupé, ouvrage évoquant le bagne et publié par une écrivaine anGllaise de renom, par une
Écrits liHéraires
figure majeure de la liJérature contemporaine de langue française. Un sondage a été

effectué auprès de plusieurs lecteurs à Cayenne et à Saint-Laurent : étudiants, enseignants, Ashcroy, Bill, Griffiths, Gareth, Tiffin, Helen, L’Empire vous répond. Théorie et pra?que des

clubs des retraités de l’éducaGon naGonale. Dans Célanire, les bagnards, bien que présentés liXératures post-coloniales, Serra, Jean-Yves, Mathieu-Job, MarGne (trad.), Pessac, Presses

comme les malheureuses vicGmes de la protagoniste Célanire, semblent peu sympathiques universitaires de Bordeaux, 2012.

aux lecteurs créoles guyanais. Ceux de moins de trente ans qui n’ont pas connu la période du
Bonnet, Véronique, (dir.), Conflits de mémoire, Paris, Karthala, 2004.
bagne constate simplement la vision négaGve de la Guyane à travers ce texte de Maryse
Charrière, Henri, Papillon, Paris, Robert Laffont, 1969.
Condé.

Condé, Maryse, Célanire cou - coupé, Paris, Robert Laffont, 2000.


En revanche, chez les lecteurs de plus de trente ans qui ont connu ceJe période, les

déclaraGons passionnées de ces derniers, témoignent encore de leur profonde souffrance Gyssels, Kathleen, Passes et impasses dans le compara?sme postcolonial caribéen, Paris,

face à cet épisode de l’histoire guyanaise. D’ailleurs, d’une manière générale, la thémaGque Honoré Champion, 2010.

du bagne ne permet pas tout simplement au lecteur créole guyanais7 de rêver, de s’évader
Jauss, Hans-Robert, Pour une esthé?que de la récep?on, Paris, Gallimard, 1978.
et d’oublier sa blessure non encore cicatrisée.
Sartre, Jean-Paul, Situa?ons II, Paris, Gallimard, 1948.
De plus, l‘auteur créole guyanais, par rapport à certains événements historiques et certains
Schon, Nathalie, L'auto -exo?sme dans les liXératures des An?lles françaises, Paris, Karthala,
personnages, entreGent une mémoire sélecGve. Aussi, ce dernier, préfère t-il valoriser
2003.
d’autres figures, qui lui rappellent la fierté mais aussi la résistance face au système

dominant : D’Chimbo, le bandit d’origine gabonaise, le Nègre Marron… Etudes historiques et autres essais

La responsabilité de l’écrivain face à l’Histoire, comme l’écrit Jean-Paul Sartre, est grande. Epailly, Eugène, Francis Lagrange bagnard, faussaire génial, Cayenne, Culture Francophonie,

Chaque parole a des retenGssements. Chaque silence aussi8. 1994.

Epailly, Eugène, Une page d'histoire du bagne de Guyane. Alfred Dreyfus déporté dans l'enfer
7 Précisons que dans les extraits où il est quesGon du bagne dans Célanire, différentes communautés culturelles
du diable, Kourou, C.N.E.S., 1995.
sont menGonnées, sauf celle des Créoles guyanais, composante majeure de la populaGon guyanaise, qui
employait les bagnards comme « garçons de famille », c’est-à-dire des domesGques .
Gruzinski, Serge, La Pensée mé?sse, Paris, Fayard, 1999.

8 Sartre, Jean-Paul, Situa?ons II, Paris, Gallimard, 1948, p.13.


Mam-Lam-Fouck, Serge, Histoire générale de la Guyane Française des débuts de la

colonisa?on à l'aube de l'an 2000. Les grands problèmes guyanais : permanence et évolu?on,

Matoury, Ibis Rouge ÉdiGons, 1996.

14 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 15
Broyer des espaces et des maux/mots dans Retour de Guyane de Léon Gontran Damas

Mylène DANGLADES, Maître de conférences en Cultures et langues régionales, Université de Guyane,


Laboratoire MINEA (Migration, Interculturalités et Éducation en Amazonie)

La littérature, qui imprègne nos sociétés, nous interpelle à bien des égards. Elle sort du schéma des
signes, des résonances sonores, des lignes filandreuses, prosaïques ou plus hermétiques pour se révéler
être une vaste toile où se déploient des idées, des mots, une « combinaison d’influences ». Le terme
« littérature » a évolué au fils du temps et correspondait à diverses acceptions. Il a revêtu au XVIe siècle,
le sens de « culture ». Il fallait entendre la culture du lettré, l’érudition, la connaissance des lettres, des
sciences, en définitive, une somme de lectures. Si le mot a pu désigner au XVIIIe siècle la condition de
l'écrivain, soit le monde, la carrière et l'industrie des lettres, il recouvre surtout un état, à savoir le parcours
de l’artiste jusqu’au stade de la reconnaissance en qualité d'écrivain. À partir du XIXe siècle, le mot
s’apparente aux « belles-lettres ». On s’attache à l'expression intellectuelle, notamment l’éloquence, la
poésie ; à la faculté d'écrire des œuvres intemporelles, singulières par rapport aux autres arts ou aux autres
techniques d'écriture. La littérature s’applique donc aussi bien à la théologie, à la philosophie ou à la
science et tend par conséquent à circonscrire divers aspects de l’existence. Elle est perçue comme une
activité, une essence esthétique. Au XXe siècle, Robert Escarpit, universitaire, écrivain et journaliste
AYAHUASCA français, a eu l’occasion de se pencher sur les œuvres littéraires, les auteurs, les lecteurs et a mis en
lumière l’existence de l’acte littéraire qui s’inscrit dans une dynamique communicationnelle. La
Dulce sabor embriagante son tus besos y alu- littérature, en se positionnant donc comme un acte, une interaction verbale entre plusieurs acteurs,
cinante tu recuerdo, eres mi raíz prohibida, mi circonscrit le temps, l’espace historique, sociologique et place l’humain devant le « Miroir »1 du monde,
ayahuasca, mi viaje a una realidad aparte, mi
notamment face à un passé colonial ou pénitentiaire. Les éléments s’entrelacent et dissolvent même « les
códice secreto, danza de rito purificador para
mi alma y todo mi cuerpo. frontières du littéraire et du non-littéraire »2 pour aboutir à une écriture interstitielle ou tendancieuse.
Et comment croiser et entremêler, précisément le verbe, pour expectorer l’engeance des
Sacerdotes y chamanes, tiene corazón este colonisateurs, se (re)trouver au travers des dédales existentiels, des maux et des chemins de traverses ?
camino? Muéstrenme mis yoes que habitan Faut-il s’inscrire nécessairement dans un processus qui transcende le langage et qui contraint l’auteur et le
internamente en la profundidad del silencio. lecteur, à adhérer aux idéaux en vigueur ou à les contrer pour s’affirmer, s’approprier ou se réapproprier
Evoco a la liberación de mi espíritu, templo de
son histoire, son patrimoine ? Avec Léon Gontran Damas, auteur originaire de la Guyane, des passerelles
adoración, vida, muerte y redención.
sont posées pour nous inviter à étendre nos cordages dans un univers localisé mentalement et
Eres mi amor sacro, susurro divino, mi Xo- spatialement, à considérer l’appartenance à un peuple, à une région ou à un plus vaste ensemble à englober
chipilli, principe de las flores, de la danza y la dans l’Histoire et dans toutes ses formes de renaissance ou de survivance.
belleza, deidad del arte y del amor, eres tú mi
señor mi culto y adoración. Tiende un lecho de
flores elevadoras de conciencia para los dioses 1 Finar Mar Jonsson, Le Miroir, naissance d'un genre li2éraire, Paris, Belles Le1res, 1995.
de juego caleidoscopio de visiones coloridas, 2 Robert Escarpit, « Histoire de l’histoire de la li1érature », in Raymond Queneau (éd.), Histoire des Li2ératures III.
y en ese extasis de linaje antiguo tómame por Li2ératures françaises, connexes et marginales, Paris, Gallimard, coll. « Encyclopédie de la Pléiade », 1958, p. 1780.
tuya.
1
Premio Internacional de Excelencia « Ciudad
del Galateo-Antonio De Ferrariis» 2021 / 1er.
Libertad Betancourt, The Poet, Mexique, USA Lugar Prosa Poética / Poema extranjero tradu-
cido al italiano.
16 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 17
La langue s’écrit, nourrit la créativité des auteurs qui glissent d’un genre ou d’un territoire à un colonisatrice. Il adopte à cet effet un ton cinglant, ironique et dans les années 1930-1940, il est considéré
autre. La littérature guyanaise naît dans des situations de contacts, de constructions ou de déconstructions. aux yeux du pouvoir français comme un agent subversif. Son recueil poétique, Pigments, dans lequel il
L’essayiste Léon Gontran Damas dans son écrit Retour de Guyane (1938), une voie émergente de la dénonce l’oppression des hommes noirs par le Blanc est censuré et indisponible jusqu’à la réédition en
diaspora noire, explore, par le biais de sa plume, les espaces finis ou indéfinis de son « pays de 1966. Des centaines d’exemplaires de Retour de Guyane ont été achetées et brûlées par l’administration
souffrances ». Et en exposant des faits, en communiquant des données, l’auteur tend à broyer les mots, à coloniale pour empêcher sa diffusion en Guyane. L’ouvrage est resté longtemps indisponible et le poète
violenter la langue pour signifier son refus de l’occident et de ses valeurs de raison ou de déraison. lui-même ne manque pas de souligner dans Back-Label les ennuis auxquels il fut confronté :

1. Des espaces de luttes multiples


malgré les visites à domicile

La littérature guyanaise à laquelle nous nous référons est liée à une sphère géographiquement malgré les rafles
malgré les flics
éloignée, les Antilles françaises situées dans l’arc caribéen. Le spectre des anciennes colonies se profile et
malgré les fouilles
nous ramènent à des schémas historiques et politiques qui peuvent sembler identiques. Rattachées à
malgré la meute de chiens dressés au flair de ses pigments
l’appellation de « départements français » depuis 1946 et affiliées à une mère-patrie, ces territoires ont

connu l’esclavage et la colonisation, mais certains écrivains ne manquent pas de souligner des divergences
malgré l’interdit qui suspend sa plume (B-L 28-29)
fondamentales. En Guyane, mentionnent-ils, par exemple :
Damas fait partie de ces hommes affectés à un moment donné à une tache : « […] je quittais
L’esclavage n’a pas atteint les sommets de cruauté de Saint-Domingue ou de la Martinique […]. La canne à récemment Bordeaux, comme me l’avait demandé le Musée du Trocadéro. Au bout de trois semaines
sucre […] n’a pas vraiment étendu son royaume. Toujours à cause des « grands bois », le marronnage était d’une traversée […], je débarquais à Cayenne chargé d’une mission dont le principal objet était l’étude de
facilité et souvent définitif […]. L’image terrifiante du Blanc […] n’a pas la précision de celle des Antilles l’organisation matérielle et sociale des Nègres Bosh, à peu près totalement inconnus » (25) ; « Vivre au
[…]. Comme les Martiniquais et les Guadeloupéens, quoique à un degré moindre, ils (les Guyanais) jour le jour, des mois durant, la vie matérielle et sociale de ces nègres restés purs ; recueillir toute
vénèrent « la Mère-patrie », idéalisent le drapeau bleu-blanc-rouge et idolâtrent la langue française documentation : tel était le but de ma mission » (27). La requête du Musée, les termes « mission »,
(Confiant-Chamoiseau : 1991).
« étude » et « documentation » délimitent le champ d’action dévolu à Damas. L’homme se serait
« volontiers » employé à la tâche pour rédiger le « reportage » (27) attendu de lui : « Volontiers m’y fussé-
Les histoires territoriales divergent d’une terre à l’autre. La Guyane est associée au bagne, aux
je cantonné si, parallèlement, je n’avais eu à me pencher sur le problème que pose la Guyane française, ce
frontières poreuses, à l’orpaillage, à la création de la base spatiale, au choix d’une politique agraire, des
pays sur lequel on aura beaucoup dit, beaucoup écrit et sur lequel on écrira davantage encore demain »
éléments déterminants dans la construction de sa population et de ses rapports au monde. Aux Antilles, on
(27). Damas n’entend pas adopter un discours léger, superficiel, mais considérer « le vrai visage de la
retient la colonisation, les rapports conflictuels entre les Blancs, les Métis et les Noirs esclaves résidant
Guyane », les véritables écueils, « dilemme », notamment son aménagement ou son évacuation.
dans les habitations autour de la canne à sucre. Vu sous cet angle, on peut difficilement amalgamer
Partageant le quotidien des habitants sur une longue période et en divers lieux, « Vivre au jour le jour, des
hâtivement les vécus des peuples noirs, résidant sous diverses latitudes ou se référer à une certaine
mois durant, la vie matérielle et sociale de ces nègres restés purs » ; « Huit mois durant, je l’aurai
universalité en les évoquant. Les particularismes et les nuances sont de mises, même si on peut être tenté
parcouru » (en parlant de la Guyane). Cette immersion l’amène à formuler des constats navrants sur la
d’évoquer dans son ensemble la littérature des Antilles et de la Guyane ou au-delà de ces frontières, une
Guyane, notamment sur sa population, la conception erronée du pays. Il s’agit pour l’auteur de souligner
littérature amazonienne.
quelques aberrations : « Beaucoup [de noirs] préférèrent la vie de la jungle à tout asservissement. Leur
Dans Retour de Guyane, qualifié par Lilyan Kesteloot comme « un reportage virulent »3, Léon
nombre augmenta même, ce qui donna naissance au marronnage […] » ; « Demeurant soit sur la rive
Gontran Damas use de la prose pour décrire les abus du système impérial à l’égard des colonisés, les
hollandaise, soit sur la rive française des Guyanes, les Bosh n’admettent qu’une civilisation : la leur » (26,
multiples tentatives d’occupation et d’exploitation du territoire, les échecs retentissants de la puissance
27). Ces « nègres de la brousse, des forêts, des bois » (26) s’inscrivent en marge de tout cliché réducteur.
Ils professent « un dédain lointain à l’endroit de ceux de leurs congénères qui, après avoir subi
3Lilyan Kesteloot, Les écrivains noirs de langue française : Naissance d’une li2érature, Bruxelles, InsPtut de
Sociologie de l’Université Libre, 1963, p. 60. l’esclavage, […] essaient de se composer une allure de petits-fils de Gaulois » (26). Les critiques fusent et

2 3

18 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 19
concernent à la fois une partie des occupants locaux et la puissance coloniale française. colons, la disette, le défaut d’objets de première nécessité, les crises périodiques d’indigénophobie ruinèrent
les espérances… Les Indiens se soulevèrent à nouveau. Il fallut déguerpir et laisser place aux Hollandais qui
Volontiers, le Français se figure qu’elle est peuplée sur toute son étendue. A vrai dire, il n’imagine pas convoitaient depuis longtemps l’île de Cayenne (35).
qu’elle soit une forêt vierge ; pour lui, la Guyane c’est le bagne et les Guyanais des fils de bagnards, avec,
toutefois, quelques nègres pour l’exotisme (27). Damas poursuit sa rétrospective historique de la vie guyanaise : « Des années s’écoulèrent sans
que l’on s’occupât sérieusement en France de la Guyane. Un sieur de la Barre se laissa pourtant
Voulant étayer son analyse, comprendre la passivité ou les choix erronés de la France, Damas nous persuader de former une nouvelle compagnie de colonisation » (35), mais les évènements s’enchaînent
livre des données historiques, économiques, sociales, culturelles et politiques sur la Guyane. Il remonte et aboutissent somme toute au démantèlement de toute entreprise coloniale : « Tout aurait été pour le
aux Incas, peuplant initialement les Guyanes. Les conquistadors aveuglés, en proie à la cupidité ne firent mieux, sans le besoin subit qu’éprouva incorrigible colonie, à l’instigation d’un certain Ducasse, de
guère preuve de réalisme. On trouve les passages suivants : prendre la mer à la conquête du Surinam » (36). Damas évoque une « situation désastreuse », de
« maladresses » « suivies d’une autre plus énorme et plus monstrueuse » (Ibidem). Il lève le voile sur un
À peine le littoral figurait-il sur les cartes du seizième siècle, que, sur la foi des relations de voyages, un
autre pan de l’Histoire guyanaise :
bruit se répandit de toutes parts situant sur les bords du lac Périmé, entre l’Orénoque et l’Amazone, une ville
aux toits d’or dans laquelle s’était réfugié, avec les derniers de sa tribu, le chef Inca, Manoa Del Dorado. Il Le désir de remplacer le Canada qui venait d’être cédé à l’Angleterre et d’établir sur le Continent de
n’en fallait pas davantage : toutes les imaginations ne furent plus, dès lors, occupées que de cette ville l’Amérique une population blanche assez nombreuse pour venir en aide à celle des Antilles, dans le cas où
lointaine, que de ce prince doré. Une légende était née, fille du merveilleux et de la cupidité (30). elle serait attaquée, engagea le Gouvernement Royal à entreprendre de coloniser la Guyane sur une grande
échelle (37).
Damas fustige ces désirs de gloire et de grandeurs extravagants en insistant sur le caractère
illusoire, farfelu de ces quêtes : « Au galop de cette chimère commençait l’ère des aventuriers. Ce fut une
Le Gouvernement Royal, par son manque de prudence, de sagesse, par sa mégalomanie nous
belle mobilisation d’illuminés » (Ibidem). L’auteur fait état de « l’existence fabuleuse du cacique
plonge dans des débâcles sans fin et ne semble pas en tirer les instructions qui s’imposent :
heureux », de « l’or insaisissable » et d’« une grande quantité d’expéditions à la poursuite de ce mirage »
(Ibidem). La soif de s’enrichir rapidement, le manque de pragmatisme, la méconnaissance du territoire, L’oubli cependant des précautions nécessaires pour assurer le logement et la subsistance, l’imprévoyance
des sols et du climat tropical ont généré l’échec de ces différentes tentatives de colonisation, pourtant si inconcevable qui se montra dans toutes les mesures, occasionnèrent une dépense de pure perte que l’on
prometteuses, qui devaient augurer notamment la « mise en valeur de [l’] Empire » (27). Celle-ci semble n’évalue pas à moins de trente millions de francs. Ces milliers d’insensés moururent d’inconfort, de sous-
avoir démérité, manqué d’ambition, de vision, dans la mesure où Damas argue plus loin : alimentation, de typhus, de terreur, de résignation, de nostalgie. Pour reprendre l’expression des gazettes de
l’époque « cela fit un gigantesque cimetière d’Européens (38).
Et il est dangereux qu’une puissance comme la France, presque spécifiquement, coloniale, outillée comme
elle l’est, possédant des capitaux, n’y ait encore rien créé qu’un bagne (28). « Les entreprises se succédèrent, à une cadence devenue habituelle, toutes avec la même absence de
méthode » (39), telle pourrait être la rengaine de Damas ou « on connaît la suite » (41). Des nouvelles
Les mots grandiloquents, réducteurs se veulent percutants pour heurter les consciences. Le velléités émergent :
pouvoir, les outils et les finances ne furent d’aucune utilité sur le terrain. Il poursuit en rattachant cette
« puissance » et cet « Empire » à un nom : Alors la Guyane découvre subitement les possibilités d’une immigration jaune. L’incompétence de cette
colonisation étant par trop manifeste, on en revient à la blanche. C’est ainsi que le Jura s’installe sur les
[...] Napoléon ne put, à son tour, trouver endroit plus sûr que cet enfer de la déportation pour se débarrasser bords de la Mana pour en revenir sagement au Jura : voyage aller et retour payé. Une entreprise de plus (42).
de ses ennemis. De plus, il annula par un décret l’émancipation des esclaves, ce que lui avait demandé
l’exquise Joséphine de Beauharnais à qui les nègres de la Martinique ont élevé une statue. Il est vrai que ce Damas tranche avec toutes ces incompétences et ces insuccès en soulignant la réussite d’une
même génie, pour qui la France ne fut jamais qu’une manière de colonie privilégiée, cédait, dans le même femme : « Sur les bords de cette même rivière, où les hommes si souvent échouèrent, une femme
temps, l’ancienne Louisiane, moitié des Etats-Unis actuels, à raison de trois centimes l’hectare. Chose dont réussit : Anne-Marie Javouhey-y fonde un bourg charmant » (Ibidem). Mais après cette embellie, les
le Français ne semble pas davantage lui tenir rigueur (40). actions et le rythme s’accélèrent comme s’il s’agissait d’énoncer la chronique d’une mort annoncée :

Les mots s’enchaînent, s’opposent sur un ton ironique et cinglant. L’auteur souligne la légèreté L’esclavage est aboli, la naturalisation en bloc accordée. Mais l’esclave affranchi, au souvenir des

4 6

20 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 21
souffrances que lui a values le travail du sol, se refuse systématiquement à prêter ses bras à la culture. Il faut
donc trouver des cultivateurs en dehors du milieu. La traite est interdite, on imagine de lui substituer la Damas conclue son investigation comme s’il s’agissait d’une démonstration minutieusement
transportation des condamnés aux travaux forcés et des récidivistes. On compte sur les anormaux, les tarés, menée. « Les pouvoirs exorbitants du Gouverneur », rappelés encore une fois, ne font aucun doute. En
les rebuts, pour peupler la Guyane, y faire naître de grandes industries, y créer un milieu social comparable matière civique, la Guyane n’est guère mieux lotie : « Le suffrage universel est appliqué, mais c’est un
à celui des collectivités (42).
suffrage universel singulièrement restreint … » (Ibidem). Il dénonce les « influences locales ou extra-
locales », puis s’exclame : « France ! demi-France ! République ! République à tempérament ! Vérité en
L’esclave affranchi se détermine à un choix, à un refus. Il s’y tient et la Métropole, qui se résume
deçà…, erreur au-delà… de quoi ? (Ibidem). Le pays souffre.
à un « on », un pronom impersonnel, doit envisager urgemment d’autres possibilités : « Il faut donc
trouver des cultivateurs en dehors du milieu », s’activer enfin, faire preuve d’imagination, trouver des Et ce pays cria pendant des siècles que nous sommes des bêtes brutes; que les pulsations de
subterfuges, des palliatifs. L’institution du bagne se profile, mais l’assemblage semble discordant : « les l'humanité s'arrêtent aux portes de la nègrerie ; que nous sommes un fumier ambulant hideusement
anormaux, les tarés, les rebuts » ne coïncident guère avec les espoirs de « faire naître de grandes prometteur de cannes tendres et de coton soyeux et l'on nous marquait au fer rouge et nous dormions dans
industries », de relever des défis, de reproduire un tableau existant, à savoir la création d’« un milieu nos excréments et l'on nous vendait sur les places et l'aulne de drap anglais et la viande salée d'Irlande
social comparable à celui des collectivités ». Les collectivités énoncées nous amènent à considérer le coûtaient moins cher que nous, et ce pays était calme, tranquille, disant que l'esprit de Dieu était dans ses
domaine politique. Damas critique la centralisation outrancière : actes (38-39).

Enclavée comme elle se trouve l’être au milieu de possessions étrangères et de grands Etats
Damas ne se sent pas extérieur au monde. Il ne méconnaît pas son milieu, il le parcourt du regard, du
voisins, la Guyane a besoin d’une grande liberté d’allure. Eloignée comme elle est de la Métropole, il est
cœur et leur plume prend le relais pour dire la noirceur du monde et d'une politique coloniale blanche. Ils
inadmissible que son administration soit tout entière concentrée entre les mains du Ministre des Colonies
engagent leur responsabilité et les termes employés ne laissent place à aucune ambiguïté. La violence du
[…]. Trop de questions, en vérité, viennent chercher leur solution à Paris. […] Et la colonie, depuis
lexique, de l'écriture l'atteste. La langue, maniée savamment, permet de multiples entrelacs pour délier les
toujours, se voit non seulement dirigée, gouvernée, mais encore administrée de loin, au moyen d’une
cordages, libérer du joug colonial.
législation dont le système ne s’explique que comme une survivance d’époques prétendues révolues
(42-43). Il décrie le rôle prépondérant du Gouverneur, « personnage qui, si les temps ont changé, et s’il
1. Des maux/mots « en chevaux fous »4
change lui-même assez fréquemment, n’en demeure pas moins l’intendant d’autrefois aux pouvoirs
exorbitants » (45). Ces temps d’autrefois renvoient à la période de Charles X. « Ce
Damas, lui, après avoir énuméré les diverses tentatives historiques de la colonisation de la
personnage considérable », précise-t-il encore comme pour l’incriminer davantage « exerce l’autorité
Guyane, parle d’« anéantissement », de « désastre regrettable », de « crime » (39). L’auteur fustige
militaire seul et sans contrôle » (Ibidem). Damas souligne par ces éléments la survivance d’une monarchie
ouvertement « l’héritage d’un passé lamentable » (32). L'implantation du bagne à la Guyane se solde par
absolue et ne manque de poursuivre l’allusion en se référant à la cour, au fauteuil, au roi lui-même et à ses
le même échec. Les éléments proposés par Damas, l'utilisation des tournures impersonnelles, de la voix
édits : « Il entre à la cour et occupe le fauteuil du … Roi pour faire enregistrer les lois et les ordonnances
passive dans les phrases accentuent les balbutiements, l'inertie de l'administration pénitentiaire :
royales » (Ibidem). Ses agissements ne paraissent pas avoir de limites, puisque l’auteur poursuit : « À
l’entrée du Gouverneur, les membres de la Cour se lèvent et se tiennent découverts. Ils s’asseyent et
Trois cents condamnés constituaient le premier convoi. Rien ne fut fait, au préalable, pour recevoir la
peuvent se couvrir lorsque le Gouverneur a pris place (Ibidem). Le protocole outrancier avoisine la cargaison. Aucun camp ne fut installé. On répartit les envahisseurs sur des îles qui, bien qu'elles
démesure, la bêtise, le vide de l’être et Damas révèle en fait son inaptitude couverte par la justice : présentassent des avantages certains pour touristes en mal d'exotisme, étaient par trop exiguës et impropres
au moindre essai de colonisation. Des centaines de transportés débarquent : aux convois succèdent des
Qu’il lui arrive de faire preuve d’incompétence (ce qui a été le cas de tous ceux qui ont eu à remplir de telles
convois. Aux évasions succèdent des évasions (48).
fonctions), il ne sera jamais recherché…
En définitive, le régime de la colonie reste bien spécial. Et la Guyane se trouve placée sous l’arbitraire
gouvernemental, régie par des décrets dont l’action sans contrôle et sans limite peut atteindre l’état des
personnes, les droits politiques, la propriété (47). 4 Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, Paris, Présence africaine, 1939.

7 8

22 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 23
Les négations, le recours à la voix passive abondent pour décrire les méfaits de l'administration
pénitentiaire. Des conséquences désastreuses s'ensuivent. Damas répète les mots "convoi", "succèdent", de Au risque de choquer mes amis de la Guyane, l'ajouterai [mentionne-t-il] n'y attacher que peu d'importance
manière à accentuer l'idée des convois successifs et par là-même des évasions. Le temps ne joue pas en si je me place au strict point de vue de l'intérêt de la Guyane en soi et non en tant que colonie. Pour préciser,
faveur de la gouvernance : « Des années s'écoulent de la sorte. Les fonctionnaires se succèdent et l'on le bagne disparaîtra fatalement de la colonie de la Guyane par l'excès même de ses erreurs. On peut
seulement spéculer sur les chances qu'il y a : ou bien que l'abcès soit opéré et la colonie vidée, ou bien que
continue à donner dans les mêmes erreurs » (49). Damas souligne l'existence d'une faille récurrente :
malencontreusement la colonie crève, l'opération ayant été trop longtemps différée (Ibidem).
« C'est par ce manque d'esprit de suite et par cette instabilité qu'il faut arriver à expliquer la faillite de la
transportation considérée comme pouvant être d'un rendement mécanique » (Ibidem). L'adjectif
Seuls l'intérêt de la Guyane prime pour Damas, celui des populations et non les diverses
« mécanique » souligne le caractère aléatoire de ces actions et le désastre résultant, voire persistant :
spéculations politiques, administratives. En considérant l'urbanisme, Damas affirme, « je pense que la ville
« Depuis qu'est née cette institution - il y a de cela quatre-vingt-six ans - la Guyane continue à vivre son
de Cayenne est une des plus mal tenues. Il faudrait l'assainir [...] » (68) ; « Le marché couvert est un
existence de paria... de paria lépreux » (Ibidem). Le pays importe « tout » « de l'étranger » (50) et pille la
scandale. On pourrait l'assainir [...] » (69) ; « D'une manière ou d'une autre, là aussi l'assainissement
France elle-même :
s'impose par la réorganisation complète des services de la police, la création d'une assistance aux enfants
abandonnés, l'amélioration des services de défense contre l'incendie et la création d'un corps de sapeurs-
Quel que soit l'échelon, le grade, tout le monde pille.
pompiers pourvus d'un outillage moderne ». « Défendre Cayenne, l'assainir, l'épurer, c'est réhabiliter cette
Si vraiment la Métropole portait de l'intérêt à la Guyane, il y a belle lurette qu'elle consacrerait les millions
qu'elle perd pour le maintien de cette espèce de bagne, au développement, à l'assainissement de cette
ville dont le charme vous attire, vous prend, vous captive » (Ibidem). Quant à l'éducation de l'enfant, il
colonie, la seule qu'elle possède en Amérique du Sud (53). mentionne que « les questions relatives à son apprentissage ne sont pas réglées » (110) « et les populations
rurales retournent [...] à l'isolement et à la barbarie médiévale, sous la protection de la République
Damas reprend le discours de quelques surveillants pénitentiaires avec l'emploi de l'italique, troisième. Pour une fois, Marianne a mérité l'épithète de Gueuse ! » (115).
comme pour les singer et souligner le grotesque de la situation : « Ils ne sont pas qu'alcooliques, ils puent
aussi le crime, l'arbitraire. Leur conscience a la couleur du sang de ces hommes qu'ils abattent, sans Damas énonce, dénonce, explique, suggère par l’utilisation récurrente des points de suspension. Il
égards, vachement, pour le plaisir d'en tomber, de se raconter leurs exploits, de se faire une réputation de en arrive finalement par dire : « Je m’arrête. Je ne suis pas tellement « retour de Guyane » […]. J’ai
tueur et d'avancer en grade » (52). l’impression d’être à l’heure actuelle de « ceux qui par quelque moyen que ce soit auront publiquement
Les questions s’enchaînent : « Se plaindre ? Comment et à qui voulez-vous que les condamnés se porté atteinte au respect dû à l’autorité française » ou de ceux « qui, soit par écrits, etc. » pour avoir
plaignent ? » (Ibidem) « Mesure-t-on, d'autre part, l'envergure du problème social que soulève la dit qu’un arriviste est un arriviste, qu’un négrier nègre est un négrier nègre, qu’un colonisé peut
transportation ? » (53) Damas évoque « l'infiltration de l'élément pénal dans la population libre » (63) et
devenir un super-colonisateur et qu’il ne faut pas confondre « le cher ami » et le « petit copain »
les crimes perpétrés par ces derniers (64). Il donne son avis sur la question et le constat final se révèle sans
(124-125). Il conclue son discours de la sorte :
appel :

Retour de Guyane, je ne reviens pas triomphalement, après avoir découvert l’or, quatre siècles après
Mon avis est, bien entendu, celui de tout homme sensé : il faut supprimer le bagne de la Guyane. Je dois Christophe Colomb. J’en reviens avec la conviction que tout est à faire, dans un pays qui permet tout, qu’il
cependant ajouter tout de suite - comme je le répète plus loin d'ailleurs - que cette mesure n'opérera pas les s’agisse du sous-sol, du sol ou des gens (153).
miracles qu'annonce une habile propagande électorale qui voit surtout là le moyen d'éviter de parler d'autre
chose. De parler, par exemple, de la question qui me paraît essentielle par sa concision même : coloniser la
Aimé Césaire, homme militant tout comme Léon Gontran Damas, se réfère aux éléments naturels
Guyane ou l'évacuer (64).
destructeurs pour dénoncer le système colonial. Son discours dans Cahier d’un retour au pays natal se
veut offensif pour traduire le retour sur le sol natal et sa voix retentit à l’image des éléments naturels : « Je
Cette sagesse, qui fait défaut à l'Administration coloniale et soulignée à maintes reprises dans
dirais orage. Je dirais fleuve. Je dirais tornade »5. Les mots se ruent, roulent en cascade et résonnent : « Je
l'essai de Damas, est mise en exergue dans ces propos. Elle aurait épargné de nombreux déboires si les
administrateurs avaient cherché à l'acquérir :
5 Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, Paris, Présence africaine, 1939, p. 21.

9 10

24 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 25
roulerais comme du sang frénétique sur le courant lent de l’œil »6. Et si l’on est tenté de croire que la voix Damas opère une véritable catharsis, il s'agit pour lui d’évoquer, de faire revivre le passé pour susciter une
faiblit, il reprend de plus belle : « Nous dirions. Chanterions. Hurlerions. Voix pleine, voix large, tu serais réaction, une révolution, engendrer un homme, une nouvelle terre, une région amazonienne et penser ainsi
notre bien, notre pointe en avant. Des mots ? Ah oui, des mots ! »7. Le poète et l’essayiste se veulent les à un avenir pluriethnique et plurilatéral plus serein. Et puisque les mots peuvent étreindre l’homme
« prophète[s] »8 du redressement de la race noire en employant à bon escient les mots. Toute tentative comme dans un étau, nous pourrions fort bien nous référer à Jean-Paul Sartre qui affirme que « les mots
pour le contrer est vaine : sont là comme des pièges pour susciter nos sentiments et les réfléchir vers nous ; chaque mot est un
En vain dans la tiédeur de votre gorge mûrissez-vous vingt fois la même pauvre consolation que nous chemin de transcendance […] »11. Ainsi, les mots entiers ou diffractés emprisonnent ou tendent à libérer
sommes des marmonneurs de mots. l’humain. Puisse-t-il se lancer dans un dialogue inépuisable avec sa conscience et les mots afin emprunter
Des mots ? quand nous manions des quartiers de monde, quand nous épousons des continents en délire, sans égarements le chemin de la liberté.
quand nous forçons de fumantes portes, des mots, ah oui, des mots ! mais des mots de sang frais, des mots
qui sont des raz-de-marée et des érésipèles et des paludismes et des laves et des feux de brousse, et des
flambées de chair, et des flambées de villes…9. Références bibliographiques

Léon Gontran Damas veut aiguiller ses semblables sur la même voie, établir des liens de fraternité CÉSAIRE, Aimé, Cahier d’un retour au pays natal, Paris, Présence africaine, 1939.

entre les Noirs et même avec ceux qui lui oppose leur mépris. Les « mots » se gorgent de « sang » et CHAMOISEAU P., CONFIANT R., Lettres créoles. Tracées antillaises et continentales 1635-1975,
d’énergie pour lutter contre toutes les formes d’infections viscérales, les gangrènes du corps et de l’esprit. Hatier, 1991, p. 99-100.
Le pays et les paysages intérieures, extérieures de l’homme doivent être « irrués »10, pour reprendre la DAMAS, Léon Gontran, Retour de Guyane, Paris, José Corti, 1938 ; Black-Lebel, Paris, Gallimard,
formule de Glissant. Les éléments salvateurs de l’humain doivent provenir d’un élan qui le soustrait à N.R.F. Collection Blanche, 1956.
l’engeance quotidienne et le porte vers le monde.
ESCARPIT, Robert, « Histoire de l’histoire de la littérature », in Raymond Queneau (éd.), Histoire des
Littératures III. Littératures françaises, connexes et marginales, Paris, Gallimard, coll. « Encyclopédie de
Conclusion
la Pléiade », 1958, p. 1780.
Léon Gontran Damas s’implique dans son discours ethnographique et engage sa responsabilité en ---, Le Littéraire et le social : éléments pour une sociologie de la littérature, Paris, Flammarion, 1970,
décrivant, en fustigeant la politique coloniale et pénitentiaire du gouvernement français. Les mots Nouvelle édition : Flammarion 1977, p. 259-272.
s’enchaînent en réseaux et viennent se heurter à la conscience et si le lecteur est tenté de le condamner, il
GLISSANT, Édouard, Introduction à une poétique du divers, Paris : Gallimard, 1996, p. 11.
riposte sans détours : « Poser le problème, c’est le résoudre » (152). Toute parole s’assimile donc à une
action. Par le biais de l’essai, l’auteur croise le verbe pour dénoncer la situation désastreuse de son pays, JONSSON, Finar Mar, Le Miroir, naissance d'un genre littéraire, Paris, Belles Lettres, 1995.
les dérives du système colonial, de l’aménagement et de l’exploitation du territoire guyanais. KESTELOOT, Lilyan, Les écrivains noirs de langue française : Naissance d’une littérature, Bruxelles,
Institut de Sociologie de l’Université Libre, 1963, p. 60.
Comment dénoncer et se réconcilier avec son histoire, sa culture et se révéler par là même un
passeur de mots, de messages significatifs ? Les expressions se succèdent, en l’occurrence : « aménager RACINE, Daniel, Léon Gontran Damas l’homme et l’œuvre, Paris, Présence Africaine, Collection
[la Guyane] ou l’évacuer » (27) ; « Il faut libérer la terre et la faire fructifier » (152) », tout cela pour Approches, 1983.
parvenir à un affranchissement, à une dépendance et à une résurrection symbolique. Dans son essai, SARTRE, Jean-Paul, Qu’est-ce que la littérature, Paris, Éditions Gallimard, 1948, p. 58.

6 Ibidem.
SENGHOR, Léopold Sédar, Anthologie de la Nouvelle poésie nègre et malgache de langue française,
Paris, Presses Universitaires de France, 1948.
7 Ibid., p. 27.
8 Ibid., p. 28.
9 Ibid., p. 33.
10 Édouard Glissant, IntroducEon à une poéEque du divers, Paris : Gallimard, 1996, p. 11. 11 Jean-Paul Sartre, Qu’est-ce que la li2érature, Paris : ÉdiPons Gallimard, 1948, p. 58.

11 12

26 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 27
Anna Georgina St Clair, « Fénix que mirar al mar mientras de su pecho brotan cantos de amor
submarino » oleo sobre tela, Mexique.

28 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 29
Professeur à l’Université du Guyana

30 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 31
Il émerge,
MARRONNAGES Le Marron…
La Peur ?
Le Chaos
Au sortir de noires visions
Amputé de tes racines,
Il m’est venu une pensée :
Orphelin de tes origines
Nous sommes bien de cette espèce
D’où viens-tu ?
Inapte à vivre sans ses peurs
Mutilé dans tes souvenirs,
C’est là notre moteur
Morcelé dans ta mémoire,
Au sortir de noires visions
Qui es-tu ?
Ouvrant mes yeux et ma conscience,
Bâtard de quelle ascendance,
Tremblant, frissonnant, vacillant
Filiation, lignage, souche, clan…
Cherchant en moi une assurance,
De quelle extraction es-tu coupable ?
Je n’en ai pas trouvé
Arrachement, extirpation, expulsion, éviction…
Racines, origines, souvenirs, mémoire ? Je me heurtai sans cesse, sans les apercevoir
J’ai oublié tous ces mots Aux murs que moi-même, j’avais placés en travers du layon
J’ai oublié ces lieux Afin de m’y briser l’espoir.
J’ai oublié les maux Plus d’espoir, plus de peur
J’ai perdu jusqu’à la souffrance… Plus de peur, alors plus de fuite ?
Mes anciennes racines arrachées, mais d’où ? Que serais-je sans mes craintes,
Mes origines extirpées, mais de quoi ? Mes appréhensions, mes frayeurs,
Mes souvenirs expulsés, vers où ? Mes tourments et mes anxiétés ?
Ma mémoire évincée, à quoi bon ? Où irais-je sans cette pulsion
Sortant de la chair de sa mère Qui me pousse à considérer
Marronne combattante, Ce côté interdit du mur,
La mémoire vierge de souvenirs… Poussé par un soudain élan
Le corps affranchi de douleur À rejoindre l’ailleurs jusque-là improbable ?
Le cœur débarrassé de peur Au sortir de noires visions
Et l’âme préservée de toute honte, Il m’est venu une pensée :
De l’ancien chaos de mémoires mutilées, Partir, c'est changer de peur !
Désormais inutiles, à présent récusées, Nègre marron
Il émerge, Le sablier s'effiloche et s'éclaircit, de grain de sable en grain de sable.
Le Marron… Joêl Roy, Guyane
Le fantasme, je le sens qui s’approche.
La Peur ? Rivages lointains,
Au sortir de noires visions Terres et populations inconnues,
Il m’est venu une pensée : Paysages insolites bien que rêvés...
Nous sommes bien de cette espèce Flore et faunes étranges ou hostiles,
Inapte à vivre sans ses peurs Chaleurs moites ou intenses…
C’est là notre moteur Nègre, qu’est-ce donc qui brille sous ton regard ?
Au sortir de noires visions Qui te fait convoiter, désirer, aspirer ?
Ouvrant mes yeux et ma conscience, Le Blanc t’a apporté le mot fantasme…
Tremblant, frissonnant, vacillant Mais ne sais-tu pas que l'idée même du fantasme
Cherchant en moi une assurance, Est liée à celle de peurs enfouies ?
Je n’en ai pas trouvé De lieux où la moiteur le dispute à l'inconnaissance ?
Le sablier s'effiloche et s'éclaircit, de grain de sable en grain de sable.
Le Marron fondamental, la Marronne essentielle
N'ont pu avoir accès au fruit de la connaissance
Qu'après avoir quitté leur intranquille immobilité.
Car c’est de la rupture que jaillissent
De nouvelles cohabitations, de nouvelles habitudes…
Devrais-tu être en souci ? Serais-tu seul face à des situations nouvelles et inattendues ?
Assurément, de nouvelles solidarités devraient venir à ton encontre...
Tu peux y compter…
Nègre, je te regarde, car tu te prépares à partir.
Je vais craindre pour toi, ressentir à ta place
Des frayeurs que tu n’auras pas.

Dyemba, Lobie Cognac, Guyane

32 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 33
Linguiste, Universitaire, Suriname

34 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 35
LE VOLEUR

Il faisait très sombre dans le musée. Une ombre se faufilait, parmi les sculptures exposées,
discrète, imperceptible. Les caméras ne la détectaient pas, car elle savait comment ne pas être
repéré ; quels étaient leurs angles morts. Profitant de cet atout, elle se glissa dans la pièce d’à-
côté.
Arrivée devant le tableau, la silhouette du voleur s’arrêta. Ancien marchand d'œuvres d'art, il
connaissait les tableaux ; surtout ceux qui valaient cher. Enfin, c’était avant que l’on découvre
que les œuvres que l’entreprise lui faisait vendre étaient des contrefaçons. On l’avait accusé
d’être de mèche, de fausses preuves avaient été montées contre lui, il avait fui pour ne pas être
arrêté. Un ami l’avait mis en relation avec des mafieux amateurs d’art. Depuis, il travaillait pour
eux et s’était habitué à voler.
C’est ainsi qu’il se retrouva ce soir-là face à ce tableau. Il s’était renseigné. Des rumeurs sur le
net le disaient maudit. Pourtant, son patron le voulait absolument et lui avait proposé une belle
somme en récompense. Il s’intitulait L’enfant qui pleure.
Le voleur s’approcha lentement de la toile, mais quand il voulut la prendre, une migraine le
saisit soudain. Il se prit la tête, ferma les yeux et en les rouvrant, il vit l’enfant bouger. Au même
moment, le petit garçon tendit le bras, l’attrapa et avec une force phénoménale le tira vers lui.
Il n’eut pas le temps de lutter et se retrouva dans une maison. Que se passait-il ?
Face à lui, l’enfant pleurait toujours. Le voleur, paniqué, observa les alentours ; les murs étaient
calcinés. Il consola le petit garçon, bien qu’il ne comprît toujours pas ce qui lui arrivait, et
chercha une issue. L’enfant lui indiqua une porte. Quand l’homme l’ouvrit, il déboucha sur une
rue, mais derrière lui, la maison et le garçon venaient de disparaître.
À la vue des immeubles haussmanniens, il sut immédiatement qu’il était à Paris. Il pleuvait et
la scène à laquelle il assista soudain lui rappela le tableau de Gustave Caillebotte, Rue de Paris,
temps de pluie. Cela l’impressionna tellement qu’en traversant ce qui devait être l’actuelle place
de Dublin, il faillit être percuté par un fiacre. Arrivé au bout de la rue, il était trempé. Un
gentilhomme qui passait par là, eut pitié de lui et lui donna son parapluie. Le voleur était
désemparé, mais continua machinalement à hâter le pas.
Il aperçut un pont au loin. Tandis qu’il pleuvait sur Paris et que le ciel était couvert,
étrangement, au-dessus de la passerelle le ciel se teintait de couleurs crépusculaires. Il se rendit
à la structure et, lorsqu’il mit un pied sur le pont, ce fût comme s’il avait changé de monde. Les
couleurs et la texture des choses lui évoquaient le courant expressionniste.
Il voulait sortir d’ici. Mais comment faire ? Pour l’instant, il ne pouvait faire qu’une chose :
avancer.
Comme il ne pleuvait plus, il ferma son parapluie. Les passants circulaient, telles des ombres,
à pas feutrés.
L'homme avait parcouru la moitié du pont lorsqu’une explosion se fit entendre au loin, tel un
volcan en éruption. Un passant, s’étant pris le visage entre des mains, poussa un cri affreux.
L’homme apeuré par ce défigurement voulut s’enfuir et bouscula, dans sa précipitation,
l'inconnu au passage. L’étranger le saisit par les épaules et se mit à le secouer en hurlant. Le
voleur, en se débattant, arracha un bout de vêtement à l’inconnu puis courut jusqu’au bout du
pont.
Quand il en sortit, il aperçut un parc non loin de là. Il s’y rendit pour se reposer. Son angoisse
augmenta. Où était-il ? Le décor, comme flou, avait un aspect huileux. Il y avait des balançoires
accrochées à des arbres. Une jeune fille, vêtue d’une longue robe blanche décorée de rubans
Emiliana Gutierrez , Argentine, Guyane
« Les Boules »

36 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 37
bleus, et entourée de deux hommes et d’un enfant, s’y balançait paisiblement. Le voleur épuisé
s’assit dans l’herbe. C’est alors que la jeune fille s’approcha de lui.
« Bonjour, Monsieur, dit-elle, vous m’avez l’air triste. Est-ce que tout va bien ? »
L’homme n’avait nullement besoin de compassion et n’avait sûrement pas envie d’avoir de
problème. En effet, les deux hommes qui accompagnaient la fille le dévisageaient.
« Tout va bien, répondit-il en lui faisant signe de partir.
- Très bien, dit-elle, mais sachez, quels que soient vos problèmes, que Dieu vous aime. »
Il la regardait, interloqué. Avant de repartir, elle détacha de sa robe un ruban bleu et le plaça
dans la main du voleur. Ce dernier le regarda, interdit, se rendant compte en même temps qu’il
tenait toujours un morceau de l’habit de son agresseur. Il glissa les deux bouts de tissus dans sa
poche, prit le parapluie et s’en alla.
En sortant du parc, il entendit soudain de la musique. C'était du French Cancan ! Il suivit les
mélodies pour savoir d'où cela venait. Il arriva au Moulin Rouge et y entra. C'était somptueux.
C'était immense. Les danseuses, vêtues de rouge, montraient leur dessous en levant une jambe
après l'autre. Une belle fille, aux traits crayonnés, s'approcha de lui et lui proposa de prendre un
verre. Il n'avait pas l'habitude de boire, mais face à son intérêt, sa vanité prit le dessus. Pour
paraître plus viril, il le but d'une traite comme un habitué. Il lui demanda quand même :
« Qu’est-ce que c’est ?
- De l’absinthe. »
Il devint rouge. Elle comprit aussitôt qu'il n’était pas accoutumé à l’alcool et cela la fit rire.
Pour le taquiner, elle lui passa son collier ras-du-cou autour de la gorge. Elle continuait de rire
tandis qu'il regrettait son acte. Les alentours se déformaient.
Il crût halluciner lorsque sa courtisane changea subitement d'habits. Sa belle robe rouge fût
remplacée par un long manteau mauve pâle, des gants blancs et des bottines noires. Un cheval
brun, harnaché, sortit du plancher juste en dessous d'elle. En un rien de temps, elle fût assise
sur son dos, une cravache à la main. Les bancs, les chaises et les danseurs se changèrent en
arbres ornés de milliers de points de couleurs. Les murs tombèrent et se transformèrent en une
fine couche de terre couverte de verdure. Il se retrouva bientôt dans une forêt. Mais le plus
étrange restait son ancienne cavalière. Assise sur son destrier, elle passait entre les arbres… et
entre le décor. Cette vision lui parut étrange et absurde. Elle partit en laissant tomber sa cravache
sans s’en rendre compte. Suite à son départ, les arbres moururent et tout devint désert. Le
paysage, où les couleurs chaudes dominaient, avait une texture cireuse.
La température augmenta d’un coup. Heureusement, le parapluie lui faisait de l'ombre. Il
entendit soudain un sifflement dans l'air. L'instant d'après, des montres vinrent s'écraser çà et là
– comme des crêpes que l’on aurait fait sauter – en s’aplatissant piteusement. Elles
commencèrent à fondre, ce qui attira une mouche et une horde de fourmis.
« C'est surréaliste ! » pensa-t-il.
La présence des insectes le dégoûta, il les dispersa à l'aide de la cravache qu’il avait ramassé.
Cependant, alors qu'il faisait ce geste, il se rendit compte qu'il fondait lui aussi.
Soudain, il s’éveilla. On lui passait les menottes. Il faisait jour. Le gardien du musée observait
son arrestation, les bras croisés, désapprouvant de la tête.
« Je n'ai rien volé ! » cria-t-il.

On lui confisqua ses affaires, son parapluie noir et sa cravache, et on le conduisit à l'extérieur.
Le gardien du musée fit un tour pour constater les éventuels dommages que le voleur malavisé Jocelyn Akwaba Matignon
aurait pu faire. Toutes les toiles étaient là. « 19 LORDS », Guadeloupe
Cependant, quelle catastrophe ce fût, lorsque le gardien – habitué à les voir tous les jours – «Seule la lumière du cœur existe
remarqua que certains détails avaient disparu des tableaux. Il manquait un parapluie à l'un des et elle est l’agent de l’activité créatrice.
figurants de la toile Rue de Paris, temps de pluie de Gustave Caillebotte, un bout du vêtement Établie en elle-même, son activité est prise de
au personnage dans Le Cri d’Edvard Munch, un ruban à la jeune fille Sur la balançoire
d’Auguste Renoir, le collier de La Goulue dans la lithographie, la cravache de la cavalière dans
conscience de soi et, s’ébranlant
Le blanc-seing de Magritte et les insectes de La Persistance de la Mémoire de Salvador Dalí. elle est le déploiement de l’univers...»
Quant à L'enfant qui pleure, il ne pleurait plus.
Mahārtha Mañjarī, (Cachemire, XIIe siècle)
Ketsia Loial
France Guyane

38 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 39
Bonjour madame
C’ était bien la première fois qu’elle se voyait affubler d’un dont les dents se serraient, en proie à une culpabilité Et c’est, animée de cette énergie finale, dans un dernier effort, qu’elle a levé la tête et prononcé :
«  Bonjour Madame  » si proche, si charnel. Pourquoi me palpable. • Bonjour Madame, tout du long, alitée.
direz-vous ? Puisqu’il en est ainsi dès lors qu’un corps de C’est un « Bonjour Madame » qui a pris corps dans la suc- Réitérant encore :
jeune fille s’en va, évanescent, rejoindre la meute de jeunes cession de jours sombres, d’un confinement né d’un petit • Bonjour Madame.
filles prépubères et pubères, et vous laisse à découvert un été de mars dont l’empilement a engendré des strates d’un Puis sa tête s’est reposée par elle-même, s’animant de souffles et râles en alternance.
corps nouvellement abouti, d’une femme naissante, crois- genre nouveau, avec ses gênes occultes. Ils ont pour amis, Sous les regards intermittents du corps médical et de la descendance de troisième génération.
sant jusqu’à son dernier souffle. des mots troubles dont l’évocation renvoie au saumâtre de Alors, nul ne la vit partir au petit matin de la journée qui suivit. Dans la plus stricte intimité d’un appel téléphonique perfo-
Lisa n’avait donc, depuis longtemps, aucune raison d’être nos eaux, si douces pourtant. Ces mots se chargent de sono- rant le jour naissant. Zaza savait que les Instances concernées ne tarderaient pas à s’énorgueillir d’un énième décès Covid,
surprise, à ce qu’on l’appelât  «  Madame  », qu’on lui dise rités étranges, des ions : dématérialisation, distanciation… là dans cet EHPAD dit de bonne réputation.
« Bonjour Madame », elle qui depuis effeuillait ses décen- Alors, dans le silence tourmenté de ce petit matin-là, s’entendit son hurlement, jurant à qui pourrait l’entendre que Man
nies. Et s’amusait même quelquefois à se souvenir de la der- Mais Man Yèyène n’en a saisi qu’une  : Annulation. Ainsi, Yèyène était partie avec l’ami intime. Avec une autre aussi, d’une déshydratation clairement identifiée.
nière fois où une grosse voix masculine lui avait soudain les nouveaux protocoles de visites, dus à la chose immonde,
asséné d’un baise-main à l’ancienne et susurré «  Bonjour mondialement dénommée Covid-19, apportaient sur un Sylviane VAYABOURY, avril 2021
Mademoiselle ». plateau son lot d’annulations de visites de leurs proches, Ecrivaine Guyane
pour Man Yèyène et tous les résidents de cet EHPAD dit de
Tant d’eaux avaient coulé depuis  : saumâtres, douces à bonne réputation.
l’image même de la contrée amazonienne sienne, de ses pri-
pris, rivières et criques jusqu’à ses fleuves de belle diversité. Dans les jours d’avant, dans un temps plus étriqué de ses
C’est pour cela que Lisa, la soixantaine affirmée, gardait bien
en mémoire ce temps adieu d’un « Bonjour Mademoiselle »
couvre-feux et autres restrictions, les jours grandissaient
d’annulations florissantes et seuls, les écrans, téléphones Des milliers de pas
jusqu’à ce jour éveillé d’un « Bonjour Madame » prononcé portables, tablettes et autres objets numériques se faisaient Des milliers de pas
au matin de ses vingt ans, dans un magasin libanais de la la part belle de visages et de voix réconfortantes. Mais Man Où vont ces milliers de pas mêlés ?
place, débordant de ses tissus chatoyants. Yèyène n’en avait que faire de cette révolution technolo- Où vont ces milliers de pas entrecroisés ?
C’est ce jour-là, sans doute, que Lisa prit conscience qu’elle gique. Que peut-on y saisir quand on a déjà enfilé plus de
était devenue femme et qu’on ne lui dirait plus jamais  « neuf décennies tel un rosaire égrené ? Balayés par le ballet incessant
Bonjour Mademoiselle  ». Et une petite voix (qu’elle était De vagues poteaux mitan
seule à entendre) venait surenchérir, depuis son mariage Alors, jour après jour, Man Yèyène s’était évertuée à monter Saumâtres, tendres et douces, fougueuses, tumultueuses
daté depuis :« Bonjour Madame…Madame…Madame… » en oubli ses deux syllabes préférées (Za-za) et sans doute
beaucoup d’autres, jusqu’à oublier les prénoms de celles et Où vont ces milliers de pas mêlés ?
Souvent, les proches aiment vous parer de ces surnoms et ceux qui la pressaient et l’entouraient sur les besoins pri- Où vont ces milliers de pas entrecroisés ?
autres sobriquets, de ces choses d’un maternage intemporel. maires, revêtus invariables des mêmes panoplies.
C’est peut-être pour cela que Lisa aimait tant à se retrouver Ils courent, ils courent
avec ceux qui l’appelaient Zaza, rester confort sur le socle C’est un temps qui a duré longtemps, un espace fragmen- A forme humaine, animale et végétale
d’une interminable enfance. té, qui s’est disloqué en autant de petits morceaux, qu’il est Foulés, sous-exposés
difficile de reconstituer. En vérité, je vous le dis, durant Surexposés à d’autres qui les foulent
Man Yèyène était de ceux-là. Parce que de toutes façons, ce temps, Man Yèyène a eu tout loisir à se repasser tel un Foule désordonnée comme un mirage à leur corps expiant
la progéniture ne se voit quasiment jamais appeler  «  Ma- vieux film, les activités jusque-là proposées. D’un temps
dame » par sa génitrice bienfaitrice, amour, cœur et bon- d’avant Covid ! Et même que tout le monde la reconnaissait, Le tien a peut-être croisé le mien
heur de dur labeur. Oui, Man Yèyène n’avait pu appeler toujours au premier plan, de reportages à la télé Guyane Ordonné, désordonné
Lisa, sa fille cadette, de tout temps, que par son surnom : 1ère (c’est Zaza qui le dit) : que de gymn plus que tonique, Là où des corps se sont enlacés
Zaza. Et il en était bien ainsi. de séances manucure, coiffure et pause nocturne à l’entrée Là où des adeptes de Djokan
Alors quand ce matin-là, revêtue d’une panoplie qu’il de notre salle mythique carnavalesque « Chez Nana », aux Ont bousculé leurs pas
convient de décrire  : chaussons, blouses et charlottes je- premières loges de l’entrée de nos traditionnels Touloulous. Là où des postures yoga
tables d’un bleu azur et d’un masque FFP2, Zaza apparut Ces espaces désormais relégués au Patrimoine Mondial de Ont pris la pause intérieure
dans la petite chambre aménagée des objets de la Mémoire, l’humanité ! Là où des joggeurs ont enfoui leurs appuis
de cadre-photos de longue lignée générationnelle, après un Là où des mâles crabes ont buté au même trou
temps surgi de nulle part, Man Yèyène ne prononça que C’est sans doute, à ce moment-là, que Man Yèyène a dérou- Là où des prunes pays ont reposé empreintes
deux mots qui lui parvinrent à la vitesse de la lumière. Telle lé le fil de sa vie : Nétwayé, baléyé, kaz la toujou penpan !
une gifle, en miroir même d’un temps écoulé. Comme une rengaine à ses oreilles réanimées, de la femme Le sien a peut-être devancé le nôtre
• Bonjour Madame, lui lança donc Man Yèyène, tout du de ménage qu’elle fut…Puis, elle s’est laissé glisser sur le C’était peut-être le vôtre
long, alitée. temps d’un autre apprentissage  : un temps chagrin qu’elle Ces milliers de pas sur la plage
• C’est Zaza, affirma Lisa, s’efforçant de sa voix douce. Ta a apprivoisé jusqu’à en faire l’ami intime. Oubliant là, son Là où les pas s’effacent
fille Zaza… vieil adage : « Tant qu’il y a la vie… » Et renaissent à petits pas
Elle lui caressa ses cheveux blancs, vigoureux encore, re- Au chagrin, son allié, elle lui a promis d’oublier tous les Ce dimanche-là, d’un insupportable confinement.
montés en chignon. Puis la peau, d’une illusion lissée, de- mots. D’un champ lexical réduit à sa portion congrue. Pour
meurée à domicile fixe, d’une fusion sur les os. Parcourut le ne garder que deux mots nécessaires à l’ultime visite de de Sylviane VAYABOURY
corps fluet. Zaza. Tant de jours sans elle, avaient eu raison du démantè- Ecrivaine Guyane
• Bonjour Madame, répéta Man Yèyène. lement de tant de maillons. Elle se sentait désormais prête.
Zaza s’éloigna un peu, pour que Man Yèyène ne vît point D’une mémorisation parfaite et assumée.
ses larmes perler, en descente vertigineuse dans une bouche

40 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 41
LE TEMPS
Mon présent est en train de passer
Trop simplement !
Composant avec mon futur déjà presqu’imparfait,
Un lien indéfectible
Qui me submerge de douleur.

Le temps me presse !
Je m’inquiète !
Car demain est déjà hier,
Et hier un passé lointain,
Faisant de mon lendemain hélas,
Un triste jadis !

NAITRE GUYANE
Je suis née ici ! dans ce pays !
Terre permissive !
Terre craquelée !
Terre marécageuse !
S’éveillant à l’Oyapock
S’endormant sur le Maroni.

Je suis née dans ce pays là !


Sans repère !
Pays aux multiples couleurs,
Bleu ! blanc-blanc ! rouge et blanc !
Pays aux sangs mêlés !
Pays au sang noir du nègre-indien rebelle !
Pays mutilé ! pays muselé !
Pays de nègre marron perdu dans les méandres de son histoire !

Je suis née ici ! dans ce pays là,


Terre permissive et trop indulgente !
Terre morcelée et trop timorée
Située entre Surinam et Brésil !
Tout commence par une intuition, Pays de sang mêlé à la savane !
Pays de sang lié à l’Afrique mère !
une émotion, qui s’impose à moi. Sang qui coule !
J’accepte alors de me confronter à elle, qui coule jusqu’aux fleuves sinueux
de l’explorer, pour l’apprivoiser…ou Sang qui coule jusqu’à la rive de sang
qui dérive et vogue,
peut-être pour me laisser apprivoiser Au gré du vent !
par ce qu’elle suscite en moi… Au gré du sang!
Au rythme de l’histoire !
C’est un travail d’écoute intérieure... Sang ! sang ! sang !
sang qui coule jusqu’à « entacher » les consciences !
Chaque émotion, chaque expérience ENTACHER ! ENTACHER !
Entacher la mémoire du nègre NEGRE !
est déterminante dans le choix des
techniques et matières à utiliser. Dans Je suis née ici !
mon travail j’ai recours à différents Ici là ! dans ce pays !
Pays aux saveurs de vie et d’espoir !
médiums: toile de jute, fil de chanvre, Pays aux multiples couleurs !
papier, miroirs, sable... Vert ! jaune ! rouge ! rouge !
Rouge kalimbé !
Rouge sang ! rouge ! rouge !
Solange Alin Pays nombril de femme Africaine !
Guyane Pays du plus nègre des nègres !
Pays du nègre fondamental !

Je suis née là ! dans ce pays,


Terre d’Amérique !
Terre de Guyane !
Terre de Damas !

Sylviane Beaufort, poêtesse, Guyane

42 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 43
À l’ombre des loucés Annan lombraj pyé lousé ya

Lydia Delgado, Cuba

Soledad
Me acostumbre,si,me acostumbré al silencio, a Cuàndo partiste,
a no oír tu sonrisa. llena sòla de recuerdos
a no sentir tu presencia y de esperanzas
sentado en el sillòn, de un feliz retorno.
saboreándo un café. La tuya,la tuya ya tiene dueña
Me habitué,a mirar que comparte tus ojos,
tu espacio vacío tu risa,tu cama,tu vida.
a mi lado en la cama, Me buscaste,violándo La Paz
que tanto tiempo compartimos. interior que permanecía dormida,
Me sonreí muchas veces, recordándo con ansias y melancolía,un pasado
recordándo tu maliciosa que no ha muerto,pero,
mirada,cuándo deseabas sin embargo, no puedes
hacerme el amor, revivirlo.
una mirada especial, Sòlo nostalgia,sòlo temores,
sòlo tuya,sòlo para mi. inseguridad y hasta un compromiso
Te recordé mil veces, de mantener una relaciòn
cuándo al llegar del trabajo,esperabas ansioso no merecida.
mi compañía. Cobardía! Si! Cobardía
Sentí mucho tiempo, sacrificar tu vida,
no saber de ti, soñando a diario
ni el porque? estar en mis brazos.
Han transcurrido Hasta cuándo has de aguantar?
muchos años,tantos, Y hasta Cuàndo podré seguir
pero núnca olvidé esperàndote?
tus ojos,tu sonrisa. Mientras tanto,la lluvia corre Christelle Johnny
ni tu boca que incita por el cristal de mi ventana,
a besar. sòlo se ven sombrillas Guyane
Hoy llegas y pensaste calle arriba,calle abajo.
que te había olvidado. Y dentro de mi habitaciòn,
La vida de ambos cambiò sòlo me acompaña la
y en especial ,la tuya. soledad.
La mía,está igual Lydia Delgado, Cuba

44 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 45
Por amor sigo viviendo Friendships of Heaven
Golpea mi pena contra el amado viento,
vestigio de un teléfono que no volvió a sonar. and Earth.
Se quebró mi fe como un cristal Words flow in delight,
por sus promesas vanas epicurean elegies visit my pen
y ahora llora mi alma ahogada and in tune, praise becomes letters,
con las lágrimas del mar. profess of stars and moons.

Un silencio entre gárgolas, The Celtic Dream Cavern wakes up.


un adiós sin despedidas, Echoes and lexicons come to me and remain alert.
angustia, ira, pertrecho adolorido, And they go through the Liffey, space and time,
y sin embargo el beso que imagino Cuchulain revives in legends
¡aún lo aguardo de su boca! and the blue energy of the planet awakens!

Sin brillo en mi mirada It is there, where peaceful, in my memory...


ni labios expectantes, in the heat of winter flames, I find you,
tiembla mi cuerpo watering peace, even on taciturn paths!
imaginándole un instante Because the light you radiate, my friend,
Se fue en un barco breaks through the distant gates of the world!
sin rumbo por la vida,
y aunque muere mi amor como Alfonsina And today, from the rainbow of Ireland, I write to you,
en el océano de los recuerdos, seeing my heart, beacon of my way,
¡aún sin su amor, as was Martel lighthouse for James Joyce
por amor sigo viviendo ! or the waves, caressing my lap,
and even if I’m surrounded by salt water,
like a sweet river, I hug you!

And from here,


between oghams and legends,
my wish is:
Amistades del cielo y la tierra that friendships
united
En deleite fluyen las palabras, like ours in heaven
epicúreas elegías visitan mi pluma continue to find their ways
y en sintonía, alabanzas se vuelven letras, on earth!
profesar de estrellas y lunas.

La Caverna celta de ensueños despierta.


Ecos y léxicos vienen a mí y permanecen alertas. The reason for my existence
Y atraviesan el Liffey, el espacio y el tiempo,
Cuchulain revive en leyendas What a joy
¡y se despierta la energía azul del planeta! that invades me,
You always fill my life!
Es allí, donde apacible, en mi recuerdo… How can we not thank
al calor de las llamas de invierno, te encuentro, to heaven,
regando paz, ¡aún en caminos taciturnos! if you are the light
Porque la luz que tú irradias, mi amigo, who guides me?
¡traspasa las puertas lejanas del mundo! You are Joyce’s lighthouse,
my Martel
Y hoy, desde el arcoíris de Irlanda, te escribo, in the dark night,
ojeando mi corazón, faro de mi camino, a lit torch
como fue faro Martel para James Joyce and in my pen
o las olas, acariciando mi regazo, you are the moon!
y aunque me rodee el agua salada, I was born blessed,
¡como río dulce, te abrazo! with talent
in my crib.
Y desde aquí, The fairies surely agreed on equal spells, O sweetness!
entre oghams y leyendas, You are the poet’s singing,
mi deseo es: Mio Cid’s dream,
que las amistades Borges’ doodle.
unidas, Oh Poetry,
como la nuestra en el cielo You are the reason for my existence!
se sigan encontrando
¡en la tierra !

Reinier Asmoredjo
Suriname

Ada Noemí Zagaglia


Dublin, Irlande, Argentine.

46 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 47
INVITAME UN CAFÉ..
y cuéntame la historia de tu vida ,ven sentémonos en ese
rincón tan cálido y lleno de silencios ,donde solo pueda ver
tus ojos y escuchar de tus labios una dulce melodía de amor,
Invitame un café ?

y te diré que desde que te conocí mi mundo se volvió co-


lorido, el viento dejo de soplar fuerte y el tiempo paro sus
manecillas,
Ven vamos a encontrarnos nuevamente ,como si el tiempo
no hubiese pasado,como si de la lluvia cayeran sus gotas tan
fuertes y frías y así acaricia mi rostro ,
Hagamos de este instante un momento mágico y comence-
mos de nuevo,
Invitame un café ?

y te diré que con tan solo una mira te digo que te amo con el
alma, que ni el tiempo ,ni distancia apagaron este amor tan
lleno de ilusión que siento yo por ti,
Ven vamos, solo invitame un café ?y dejemos pasar el tiempo
charlemos de esos bellos momentos, donde nuestros senti-
mientos estallaron a flor de piel con tan sólo tomarnos un Kika Millot
café. La poeta del amor
Mexique

Como Cristal...
Yo
te alcanzo,
¡agárrame!
¡No!

¿Por qué?

Me sueltas
cuando más te necesito,
me miras con desprecio,
ves el infinito,
me ignoras
cuando sabes cuánto te quiero,
porque tu amor me destroza,
como hielo.

Frío,
¡Sí!

Frío en tu cuerpo
porque tus besos son de cristal
ya no hay fuego.

Creí ser una reina en tu reino,


pero yo parecía cristal,
resulté ser de hierro.

Tu amor que parecía fuerte Delphine Tomes, Jersey Royaume Uni.


era quebradizo como cristal,
todo quedó destrozado en el piso, Margreth Jiménez
tal como quedó mi corazón. Marin, Costa Rica

48 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 49
Soy río
esperándote
Un 30 de noviembre en Guatemala. Ese silencio.
para saciar Ese silente que acompaña tu andar,
tu sed. Era roja la luz intermitente que cortaba la oscuridad profunda de esa madrugara, 30 de ese silencio aturdidor de tu mirada gacha,
noviembre, ninguna alma estaba despierta solo se podía escuchas el viento golpear las esas palabras calladas que quieres gritar,
Soy una hoguera hojas de los árboles constantemente y aquel frío que carcomía la piel y los huesos, de pero tu voz no las deja salir.
esperándote todo aquel que no tenia la dicha de tener un techo acogedor y una cama, calida y confor- Ese silencio que aprisiona mi pecho y me ahoga hasta la angustia mustia,
para calmarte table, pasaron pocos minutos, cunado despertó el bello amanecer, el cual prometía de la soledad traicionera,
del frío. nuevas experiencias de vida, enseñando a todo ser vivo que el señor tiempo no tiene pie- que acompaña como si fuese mi sombra...
dad ni misericordia, con nada que este sobre su espacio físico. Existe una raza de seres Ese silencio que penetra mi pecho,
Soy brazos abiertos que se cree superior a todo lo que le rodea, actúa y piensa a su conveniencia sin analizar como una daga de doble filo que abre mi pecho,
esperándote sus actos futuros no importándole el futuro de su misma especie, eso si no todos estos y me arranca el corazón,
para abrazarte. seres piensa y actúan de la misma manera, son almas atrapadas en un cuerpo que cada que sostiene como trofeo en su mano.
minuto muere; parte de la vida es saber llevar y vivir por esa carga de energías llamadas Ese silencio que no me deja escuchar el arpa de los sueños
Soy oídos sentimientos, no se si llamarlos benditos o malditos sentimientos, pero sin ellos no nos y las ilusiones,
esperándote distinguiríamos de los demás, no existe un manual especificó de cómo: pensar, actuar, que tocan las melodías dulces del amanecer,
para escucharte. sentir y vivir. Son tantas cosas inciertas y tan ciertas que nunca antes algunas persona ese sosiego de tu andar que inquieta mi alma y perturba mis sentidos,
en la faz de este mundo ha logrado contar o expresar con tanta exactitud, lo que se le que se pierden entre la niebla espesa de los recuerdos idos de un amanecer que no llega
Soy boca acerca un poco a estos sentimientos son las poesías, canciones y tantas pinturas que jamás, donde solo el cielo tenebroso acompaña una solitaria luna que mira con ojos
esperándote pueden expresar muchos sentimientos, que en simples palabras o letras muertas que al nostálgico a un frío lucero que se esconde entre las nubes de las dudas.
para llenarte verlas solas no sirven para nada, pero son tan poderosas al unirlas, de esta manera pue- Silente, que posee angustia, dolor, miedo,
de besos. do entender que un alma sola no significa nada pero cuando se unen las creencias, ideas, silente de perturbadora mirada de desdén que se pierde en el ocaso gris de este anocher
metas y sentimientos son para marcar la diferencia y darle sentido a la vida en si, ya que que no termina,
Soy mujer esta quietud tan débil y constante se fuera para siempre, marcando a distintas vidas, en dejando a la deriva los rayos de sol,
esperándote el trascurrir del tiempo y así nunca más regresar. que duermen y sueñan con un amanecer entre tus labios...
para que te goces.

Soy amor

Un suspiro.
esperándote
para amarnos. Lágrimas.
Qué esperas? Entre el amor perdido de cientos cantos de amaneceres,
Mayra Cristina En un suspiro lleva tantos recuerdos, ilusiones y sueños lloro tristemente tu partida,
Gálvez Berdugo. donde por un instante dos personas coinciden, yo que soñaba con tus ojos al despertar,
De: Guatemala acariciando cada una de las almas. vivo en soledad lo que pudo ser y no fue...
Derechos reservados. Recordando momentos específicos, que por el tiempo se quedan Lágrimas al despertar de un nuevo día,
gravados en los pensamientos invoco tu amor perdido,
Tu Cuerpo y de repente se escapa un tierno, amoroso SUSPIRO buscando consuelo,
cubierto con Que recuerda lo que nunca será. entre las sábanas húmedas de llanto,
el mío, de una larga noche,
y mi cuerpo que no termina de acabar...
cubierto por
el tuyo. ¿Qué es el amor? Estrellas en el firmamento,
me guían a tu encuentro,
quiero tocarlas y alcanzar la finura de tu cuerpo,
Acurrucados Recuerdo muy bien esa pregunta ¿Qué es el amor para vos? Respondí sin titubear, para veo como te desvaneces,
muy cerca mí el amor es un estado de emocional, que nace desde nuestro propio concepto de poco a poco entre la niebla...
los dándonos vida, el cuidar a mi cuerpo y mi espíritu, llegando así a entender o tratar de entenderé Llora mi alma,
el calor el el actuar de los demás, no es tan fácil dar opiniones de los demás, sin comprender el sangran mis ojos,
uno al otro. contexto de lo que se está viviendo o por qué actuó de esa manera; el amor no es retener, el amor que tengo guardado en medio del pecho...
no se agarra, no se esconde, no se olvida, para mí el amor es querer estar, vivir el aquí y
En un el ahora, sin pensar en el pasado o el futuro, el amor es libertad de querer pasar el tiem-
momento po con el ser amando ya que el tiempo es lo único elemento que no tiene piedad del ser
se funde humano y si combinamos el tiempo con el amor la vida tendrá un mejor sentido, para
en un mí eso es el amor.
solo cuerpo.

Cristy Galvez, Gladys Aracely Enriquez Ortiz, Doris Mabel Pena


Guatemala Guatemala Sepulveda ,Chili

50 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 51
UN TE AMO SOY MUJER
Una palabra es alegría, Soy mujer y no tengo miedo
Una palabra es más que letras, Soy mujer fuerte, ágil y veloz
¡Una palabra es más que un significado! en un campo de batalla incesable,
donde la palabra es mi arma,
Pero… Un te amo, el valor he tomado por escudo,
Un te amo es una frase tan corta y la decencia mi adorno primordial.
Que dice mucho, que transmite
¡Los más puros de los sentimientos! La virtud de mágicos y creativos efectos,
el conocimiento que me abre puertas,
Un te amo, sin duda alguna y la libertad de decidir por mí cuenta
es todo lo que mis oídos desean escuchar, sin falta son mis más fiel aliados.
un “Te Amo”, y transmitirlo a mi corazón. Con o sin igualdad, soy mujer.

Un te amo me dice de tu amor. No tengo miedo y no me rindo.


¡Un te amo! Es todo lo que anhelo decir. Soy mujer, no sé rendirme
¡Un te amo! es todo lo que debes saber. más bien, se luchar para vencer,
y contraponerme a adversidades
Me pregunto ¿Cuánto tiempo pasará que el tiempo sin duda alguna trae
para escuchar de tu dulce voz un “Te Amo” y el olvido lleva sin retorno alguno.
tendré que esperar, toda una vida,
unos cuantos años, unos pocos meses, Hoy, quiero gritar
algunos días, horas, minutos o segundos? ¡Soy mujer y no me rindo!
Esto digo, puesto que vivo
¿No puedes decir un te amo? en un océano de oportunidades,
¿Por qué? ¿acaso tú lo sabes? No lo sé. que, como sus aguas permanecen.
Cada día sin un te amo es una eternidad Algunas veces me equivoco
para un corazón que necesita ser amado. pero la corrección no tengo en poco.

Un te amo no lo dice la boca, Cuando los turbulentos y fuertes


lo dice mi corazón vientos golpean agitadamente, soy
como un capitán que experimenta
¡Un te amo! ¡Revive un alma necesitada! al timón, superando los miedos
cuando lo dices en el momento oportuno manteniendo la calma y el control,
con sinceridad, sin duda alguna, mirando al mar y sus bravías olas
¡un te amo es cual oasis en un desierto! con cabeza erguida y frente en alto.

¡Un te amo! Es alegría para un corazón triste, Con imperfecciones y con errores,
¡Un te amo! Es más fácil cuando hay amor, soy inoportuna, con preguntas
cuando es tu corazón quien lo dicta y conversaciones con gran sentido,
cuando lo sientes y por eso lo dices. dejando los temores en el olvido.

Un te amo siempre debe ser correspondido Soy mujer y no me rindo


por un te amo, o mejor por “yo te amo más”. Soy mujer y otras veces soy prudente,
Un te amo, no es una frase más para decirla Inteligente, sabia, fría, calculadora.
Un te amo, por siempre y para siempre… Soy vida, soy entrega, soy pasión,
soy esencia y soy orgullo, por eso digo
Un te amo es más que un te quiero. soy mujer y me place decirlo.
Un te amo…
Es más que un extraordinario sentimiento.

«El mar»
Alejandra Avila,
Argentine

Paula Yesenia Rivera Salmeron,


El Salvador

52 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 53
PARADIGMA GORDIVA ACONTECEU ASSIM FELIZ NATAL
EXISTENCIAL As minhas formas fora das normas Ele me chegou misterioso Fui Neo Colonizado
impostas pelos padrões sociais sem alarde, queria tudo. pelo Papai Mercado,
Era desesperante la situación As minhas formas fora das normas Eu estava sempre em dívida. pela Diáspora Cultural
que germina la devastación, impostas pelos padrões sociais Dei-lhe meu corpo e alma, da América da Morte
por causa de la insurrección. As minhas formas fora das normas não bastava, tudo era pouco.
impostas pelos padrões sociais Minha Coca-Noel
En medio de esta coyuntura Trazia listas de desejos novos me vicia dia a dia,
Valkiria llega al convento, Já se olhou no espelho? delirantes, todas as manhãs. em consumo, em hedonismo,
escapando de un aniquilamiento. Olho e me vejo todos os dias Nos intervalos dos seus gozos, em assassinar minha raiz.
Quantas necessárias vezes for ofertava-me raios multicores
Monseñor ordena a la Priora Olhar e ver que lá estou inteira e o sonho de eternizar os instantes. Sou o fruto desenfreado
que abra el pórtico ahora Com todas as minhas curvas do capitalismo...
y a Valkiria la acoge su bienhechora. e dobras quebrando tabus de beleza Sofri de taquicardia, de suor nas mãos
Não abaixo a magreza, e de muita saudade. Democratizar o desejo,
En el convento todas son un primor mas no meu corpo Entre o gozo dos anjos no corpo é a arma da publicidade,
monjas y novicias todo un candor ela não foi, não é e as dúvidas que desesperam, colocar o Papai Cruel,
cuya hospitalidad y amor era lo mejor. e nunca vai ser segui minha aventura lírica: vestido de Coca-Cola,
ditadura da beleza. Ornada com muitos pedidos, dentro de minha geladeira,
Luego de un coloquio dominical Incertezas e sobressaltos. na minha consciência,
la noble, Priora angelical Amo as minhas curvas Quando eu o chamava de amor é sutil dominação,
une a Valkiria a su Umbilical. Amo as minhas curvas não respondia, calava-se. isso é ciência,
Amo as minhas curvas me transforma por demência,
Y se transforma en el acto e os meus tamanhos ataca minha carência,
en madre, amiga ¡Que impacto! Quando abro ou fecho os olhos me faz subjugado,
Se unen por siempre en un Pacto. Quando abro ou fecho os olhos ajoelhado,
Quando abro ou fecho os olhos ao ritmo do coração,
Ahora es su Paradigma Camuchina Me vejo, Me amo, Me gosto do Senhor Santa Claus,
por la Providencia Divina do Senhor Consumo...
¡Queda Pillada la meta Genuina! Quando abro ou fecho os olhos
a Valkiria la protege la abadía Quando abro ou fecho os olhos Em suma, minha afeição,
se le otorgan dones de María No espelho ou fora dele me encontro meu amor familiar,
ella avizora su luz guía. Bela ,Única, Plural vira pura escravização...
Negra, Gorda, Diva
Valkiria y la priora angelical Exprimindo na curva mais bonita
se unen para siempre en un Pacto, do corpo de uma mulher
se transfigura en guía existencial. um amor sem igual
Una sustancia se salva de la Peste,
una luz la guía en el mundillo agreste Quando abro ou fecho os olhos
¡Sonríe la bóveda Celeste! Quando abro ou fecho os olhos
Jovina Souza, Brésil
Passando a mão pelo meu corpo
Sentindo toda proporção
da minha sinuosidade
Porque o corpo
é além do visível.
É também intimidade.
E mulher não é padrão,
é diversidade.

Valdeck Almeida de Jesus, Brésil

Miluska Vera Mendoza,


Pérou

Jacquina Nogueira, Brésil

54 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 55
Chedli Mahdaoui, Guyane

56 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 57
LXXX – Moribundo Soma
Al desgranar mis manos calcinadas en esa impaciencia ataviada de escarcha,
con la piel sedienta volviéndose humo, sembrado de pena parida en la rabia,
descubrí que el beso, atorado intento, solo en su mudez se apagó en mi alma
y el yo impertinente que ansioso gritaba, es un circunspecto vacío que calla.
La risa molida en ingrato exilio vocifera ígnea a los pies del yermo su pérdida ingrata; y, en el colapsado vértice del sino restallan los
sueños sin ser concebidos en la negra nada.
Compungido y necio el pecho se horada con la última gota del aliento vívido,
cuando la retina, en cuasi ceguera, palpará al silencio intenso y furtivo que, a hurtadillas roe el erecto templo de razón y arbitrio.
Entonces, mi cuerpo, pasajero en vilo, de sangre desierta sin calor ni frío,
mordiendo la arena del brutal abismo, con la cruz en mano, pálido, contrito,
le dará a la Parca, impiadosa dama, de su voz en fuga su poster suspiro.

IMPÍO CRONOS
El asolador tiempo, verdugo detractor, es horno calcinando, en el sembradío de las horas. Ruge eufórico dispersándose sobre el
violáceo amargor asfáltico y un disfónico tic tac indeleble marca la causalidad de las ausencias, del dolor, de las caídas. Áspero lapso
de rigor crujiente, no se detiene jamás; es impiadoso, sigiloso... Arremete y traspasa los desnudos huesos que restallan. Es un sacrílego
golpe inesperado, desgranando el rostro de la espera. Digerir su fastidio, su mezquindad, es vulnerar la insistencia del espíritu, y en
su azabache longevidad, hurga los recónditos recintos del interior que quebranta. Solo, en su peyorativa existencia arcaica, desenvaina
su arcabuz de improperios ladinos cuyo encono busca el colapso de sumisión. Colérico subyuga en aflicción intensa y quemante la
garganta, silenciándola. Bufonesco, lleno de ironía, marchita los sueños que guardan los indescifrables enigmas de la persistencia y
aunque la sangre rechaza su malicia, encarnado, desgarra la infinitud que late en la sonrisa. Se detiene allí, en el vientre flácido y hara-
piento, donde batalla la humanidad doliente, y esparce su mísera carroña, para humillar su impertinencia de enfrentarlo. Nada detiene
al carnicero impío de conciencia y alma ennegrecida; sanguinario inquisidor, muerde las huestes de titánica luz buscando el sino y
atropella como tropel hereje al corazón que persiste, aún herido

Djalma Santos
«Totem», Guyane
Marta Altamirano de Alvarez,
Argentine

58 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 59
Mi corazón se va contigo. La metamorfosis.
Mi corazón se va contigo, Todo en la vida surte transformaciones
aunque no estés aquí, desde un cambio de estación
aunque tenga que recorrer como lo es el otoño
mares enteros, dónde los árboles pierden sus hojas por
y noches y días sin coincidir. la disminución de nutrientes
Se va contigo y la poca radiación del astro sonriente,
al final de cada día, De tal modo todo en poca medida va cambiando,
de cada sueño aletargado, aún ; un huevo, se transforma en oruga posteriormente en
de cada instante pasado, pupa y de el surge una crisálida,
de cada oración inconclusa. que dará origen a una lepidóptera;
Se va contigo todo este tipo de cambio,
siguiendo una estela de esperanza, va transformando esferas
un sueño por demás anhelado, que trascienden a lo largo de nuestra existencia,
una caricia sentida en la obscuridad con matices destellantes,
a tu lado. que nos enseñan a vivir en esta creación cambiante
Mi corazón se va, transformando vidas en obras de arte,
adonde te encuentre, que van más allá de solo “pienso y después existo”,
adonde tenga su nido y estar, es más bien ;
adonde la lluvia no lo toque, existo porque vivo y el vivir me hace un ser divino ;
adonde pueda cobijar al tuyo. por ello nuestro padre celestial,
Mi corazón, nos ha dotado de amor incondicional,
mi corazón se va… para “amar nuestro prójimo como así mismo”.
Haciendo de la existencia un acto humanístico.
Clarena Martínez Turizo
Colombiana.
Derechos reservados

Tirada.
Estoy tirada
Tu amor fue una ola.
a la vera del rio,
Una mañana soleada llego un susurro a mi ventana traía
pegada la oreja a la tierra
impregnada una figura alada, que se desvanecía en lo lejano de la
Heblyn valencia, Colombie , Equateur escucho las respuestas.
estancia.
El sonido del agua
De repente se escucha una voz algo extraña e incesante, que decía
me lleva a mi interior,
cosas bellas en aquel instante.
suaves fluidos en mi emanan,
Paso el tiempo;
se hacen uno, se vuelve agua.
más tardo una ola en llegar a la orilla de la playa, que aquel amor
La madre dice que esté atenta,
que llego a mi ventana aquella mañana soleada, prometiéndome
habrá incertidumbre y confusión,
un amor intenso como el azul del mar.
la tranquilidad vendrá de dentro,
Infinito como la grandeza de la eternidad.
de cada respiración,
Aquel amor interesante
me acurruco agradecida,
golpeo duro una y otra vez, el agua se olvidó del amor y se
disfruto mi huella en su regazo.
transformo en impetuosas olas que asfixian , que hieren y causan
Inhalo desapercibida,
desastre.
el suave canto del agua
Tu amor fue una ola de mar que arrasó con aquella ilusión de
que golpea las piedras.
un amor eterno.

Ada Noemí Zagaglia Aída Elena Ochoa Contreras Clarena Martínez Turizo
Irlande, Argentine. Mexique Colombie

60 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 61
René Ménil, Martinique
Maria Elena Gomez, Argentine

62 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 63
« Fugue poétique à Belèm do Parà » Quinze heures… comme à l’accoutumée des nuages de pluies se forment
et assombrissent les rues. La musique des gouttes d’eau se mêle aux
de Emmanuel LUCENAY bruits de la circulation et des passants cherchant précipitamment un abri.
Guyane Mais la pluie s’en va aussi rapidement qu’elle n’est venue, selon un
scénario typiquement amazonien, laissant la place à un soleil pressé de
récupérer le temps perdu.
C’est le point du jour sur Belem… déjà un rayon de soleil brûle le hamac et
son occupant qui s’étirent tous deux paresseusement dans le patio d’une Dix-neuf heures… Le coucher du soleil vu du côté des quais de la luxueuse
tranquille pousada du centre-ville…un petit havre de paix et de fraîcheur promenade de Estaçao das Docas provoque un silence sans mesure,
en plein coeur de la bruyante métropole portail de l’Amazonie. rompu seulement par le clapotis des eaux du fleuve rougeoyant.

Par vagues progressives, des envolées de klaxons, d’appels, de musiques Les moiteurs s’évaporent, les sueurs s’estompent dans la fraîcheur
et propagandes publicitaires diffusées par des haut-parleurs bousculent la nocturne qui s’installe. La nuit tombe comme un couperet et donne le
quiétude matutinale. Comme un rituel bien rôdé, le centre-ville compris sifflet final à toute cette agitation. La solennité de l’instant invite au verre
dans la triangulaire de l’avenue du Presidente Vargas, du vieux quartier de caïpirinha au citron vert qui revivifie l’âme assoupie du promeneur.
Comercio, et du marché Ver-O-Peso, s’agite fébrilement. Une multitude de
21heures… Dans un soudain déferlement de percussions, de couleurs et
petits métiers occupent déjà le pavé en encombrant les ruelles
de chorégraphies, un groupe du folklore régional bouscule la léthargie
tortueuses. Celles-ci se faufilent entre de vieux immeubles historiques
ambiante. C’est l’heure d’en apprendre un peu plus sur cette terre
témoins de l’épopée coloniale des riches barons du caoutchouc.
merveilleuse, ses populations et ses danses si variées et riches : Lundu,
Huit heures… L’eau étonnamment glaciale de la douche sous ces latitudes Xote, Lambada, Carimbo, Siria…
fait s’envoler les traces du réveil. Une immense faim est balayée par le
Minuit … Les dansetarias, boates, barzinhos et pagodes attendent, à
café du matin accompagné de crêpes de tapioca, de gâteau de maïs, d’un
souhait, de griser le promeneur de l’ambiance d’un autre monde nocturne
jus de mangue et autres fruits du jardin amazonien.
et festif au sens inné de la danse : Brega, Forro, Samba…
La programmation de la journée promet d’être longue entre la découverte
Enveloppée dans un ciel d’encre et d’étoiles, la lune sourit comme si elle
de cette gigantesque capitale paraense et de ses environs jusqu'aux
savait l’effet du spectacle de la nuit paraense sur les sens enivrés de
incontournables virées nocturnes.
rythmes et de musiques. Elle s’amuse, coquine, à couvrir d’or et de
La matinée s’écoule le temps d’une flânerie sans but dans une ruche de lumière les jolies caboclas à la peau de miel et aux cheveux noirs urubu
passants happés par l’entrelacs sans fins d’étals et boutiques croulants dont les silhouettes souples enchantent les regards qui les suivent.
de marchandises.
Mais gare au ladron invisible qui guette l’anonymat de quelque mauvais
Midi… La faim revient, alors quoi de mieux que de déjeuner au bord de la coup, à l’escroc au discours habile, et aux charmes de la belle de nuit qui
baie de Guajara un poisson fraîchement pêché accompagné du abusera de la crédulité du gringo éperdu.
traditionnel bol de açaï et de sa farinha de mandioca familier aux palais
Trois heures… La lune semble alors vouloir se disputer le hamac à
de la Guyane voisine, et une crème de cupuaçu en dessert. Bien entendu
nouveau occupé par le promeneur qui a retrouvé, épuisé, le calme de la
le tout arrosé comme il se doit d’une cerveja givrée.
pousada providentielle du centre-ville.

64 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 65
La fête de Saint-Esprit de Régina: une tradition séculaire. « Rendre la fête » c’est, remercier, par « le don » qui consiste à nourrir durant trois jours tous
les participants. La reine fournit tout ce qui est nécessaire au rite de Saint-Esprit et reçoit les
Roseman ROBINOT. Guyane, Martinique dons en espèce ou en nature, des adeptes ; ce qui constitue une pour elle une charge matérielle
Master Arts, Lettres et Langues. Domaine Sociétés et Inter- culturalités. (Extrait) et spirituelle importante.

Cependant on distingue deux sortes de reine:


La fête de Saint-Esprit de Régina, importée du Brésil, au XIXème siècle lors de la ruée vers -celle qui a fait un vœu et qui, ayant obtenu grâce, doit « rendre la Fête (elle choisit son roi) Et
l’or en Guyane est une pratique religieuse et une fête populaire. Elle a été transmise oralement celle qui accompagne un roi et n’a pas d’autre responsabilité que de figurer à ses côtés.
à des générations de Guyanais par des familles créoles de Régina, ville de 1000 habitants
située sur le fleuve Approuague. Régina était autrefois un comptoir colonial prospère et Puis viennent :
florissant grâce aux industries qui y étaient développées autour de la mine, du bois, des
plantations de bois de rose, cacao. Le célébrant:
- sorte de « père-savane est un prêtre-initiateur, le détenteur de la parole et de la « langue
La fête de Saint-Esprit se fonde, sur un rite qui mêlent le cultuel et le culturel, dans un lieu à
secrète ». Il célèbre le culte, dit la prière, consacre « le Saint », donne « la bénédiction ».
part, un sanctuaire pourvu d’espaces de cultes et d’habitations sommaires, appelé Village
Saint-Esprit. Ses adeptes s’y retrouvent une fois l’an pour adorer le « Saint »1 et faire la fête,
Les adeptes:
associant le sacré et le profane, dans un but thérapeutique.
- hommes et femmes qui portent le rite, prêtres, initiés. Ils ont entre 17 et 60 ans et plus.
Conçue d’une part, sur le dogme de l’église catholique : croyance en un dieu unique, et de ses
saints, et d’autre part sur la cosmogonie africaine et amérindienne, la « fèt » ainsi appelée par Les Innocents:
les adeptes, est un culte syncrétique, dans lequel le «sensible» et les « images imaginantes »
s’arc-boutent autour de multiples symboles, tel celui d’une colombe d’or qui y est vénérée et - sont les enfants qui accompagnent leurs parents ou leurs amis. Ils ont entre trois et douze
des mâts dressés sur une aire sacrée. ans. Ils participent à un banquet présidé par la Reine et ou le Roi. Ils figurent dit-on, les anges.
Et sont vêtus de blanc.
Le rite se constitue autour d’un mât, symbolique de la divinité. “Sans mât, pas de fête” disent
les adeptes. Car le mât d’après la tradition orale, le mât, arbre de vie, est la principale Les participants:
offrande, du culte de Saint-Esprit. Enrichi de végétaux de la pharmacopée traditionnelle, et de
petits objets manufacturés, le mât est érigé pour rendre hommage au “Saint” entité multiple, Croyants, incroyants, ruraux, citadins, français, brésiliens, jeunes, et moins jeunes, hommes,
dont la vénération repose sur la crainte. femmes de tous âges. .

La fête de Saint-Esprit comprend quatre célébrations obligatoires qui s’inscrivent dans le Il n’y a pas de costume particulier pour les adeptes à la fête de Saint-Esprit mais un code de
calendrier de l’église catholique de la fête de l’Ascension à celle de la Saint Jean – Baptiste. couleurs symboliques du rite. Rouge et Bleu sont retenus dans le rite de Saint-Esprit. Le rouge
attribué au Saint-Esprit et le bleu pour la Saint Jean identifient les autels situés dans la
- les deux premières se déroulent à l’Ascension et à Pentecôte au mois de mai
-les deux autres à la fête de Saint-Antoine et à la fête de Saint Jean-Baptiste en juin. - la chapelle où les adeptes se rendent pour la prière au bout de trois sons de cloche, avant de
se rendre en procession dans l’ espace sacré pour les rituels des mâts, du feu et de l’eau.
L’organisation rituelle et festive de la fête de Saint-Esprit est dirigée par le « ministre du
.
culte » assisté de pas moins de quinze officiants, tous adeptes, initiés de la fête. Mais la fête
« est portée » par un personnage principal : la Reine, qui peut-être un membre sympathisant.
Clé de
LE RITE
voûte du rite, la reine préside et organise matériellement la fête. Elle a, une «responsabilité» D’après la tradition orale le rite du village de Saint-Esprit se compose:
propre à sa fonction. Celle « rendre la fête »
- de lévéma en mai et juin
1
Terme de la tradition orale des adeptes de la fête de Saint-Esprit de Régina, pour désigner la
divinité.

66 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 67
chorégraphie particulière qui se fait au
moment du koupéma. au rythme du
tambour sacré.

Crédits photos : © Roseman Robinot 2016

Volédifé (rite du feu) dans la nuit du 23 au 24


juin.
C’est un rituel qui consiste à enjamber sept
petits fagots de bois en feu, après avoir fait un
vœu. Chaque participant, doit effectuer trois
passages en aller-retour-aller en franchissant
- de koupéma en mai et juin les sept fagots pour voir réaliser son vœu.
- du repas des Innocents en mai
- du volédifé en juin
Lavésen (rite de l’eau)
- du lavésen en juin
Après le volédifé de la nuit du 23 au 24 juin,
.
les adeptes se rendent dès 5H du matin,
Le lévéma est un rituel fondateur au cours duquel, de l’adepte
en procession au bord du fleuve pour «se laver» .
adresse un voeu au « Saint » pour lui-même ou pour sa famille.
C’est un rituel d’élévation d’un mât garni d’offrandes végétales
et de petits objets manufacturés. A la fête de Saint-Esprit, les cérémonies cultuelles sont suivies de banquets rituels, offerts par
la reine à l’occasion de :
- la fête du Saint-Esprit le dimanche de Pentecôte,
- repas des Innocents le lundi de Pentecôte. -
- la fête de Saint-Antoine le 12 juin
- la fête de Saint-Jean Baptiste dans la nuit du 23 au 24 juin
Le koupéma clôture obligatoirement le Après ces agapes, les participants peuvent danser le kaseko, et participer à une cavalcade qui
rituel des mâts. se fait à l’aube appelée alvorade.
Il symbolise la rupture. L’abattage du mât, La fête de Saint-Esprit de Régina par sa longévité et unique culte syncrétique créole s’inscrit
signale le retour, le recommencement. Il dans le patrimoine culturel de la Guyane.
finalise le vœu et indique que la promesse
.Cette fête a été durant longtemps combattue par l’église catholique, qui a condamné ses
doit être tenue.
adeptes par trois fois à l’excommunication levée en 1976, par Monseigneur Morvan, évêque
de Guyane.

BACHELARD, Gaston, 1949, la psychanalyse du feu, Editions Gallimard, Paris.


Notes bibliographiques.
BACHELARD , Gaston, 1942, L’Eau et les Rêves, biblio essais, le Livre de Poche. Paris.
Le dansésen est la danse sacrée ffectuée BASTIDE, Roger, 1967, les Amériques Noires, Editions Petite Bibliothèque. Payot. Paris
par la reine. On dit qu’elle «fait danser le JOLIVET, Marie-Josée, La question créole. Essai sociologique de la Guyane Française. ORSTOM. 1982. Paris.
Saint ». C’est une danse rituelle sans MAM LAM FOUCK, Serge, 2009, Histoire religieuse de la Guyane Française aux XIXème siècles. La dimension magique de
la religiosité des créoles. Editions Ibis Rouge. Guyane Française.
MÉTREAUX, Alfred, 1977, le vaudou haïtien, Editions tel Gallimard. Paris.

68 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 69
Sandra Hernández (Université de Lyon 2), Espaces latinos (2013)

Nancy MOREJÓN, « Mirar adentro » (La Habana, Piedra pulida, 1986) :


Del siglo dieciséis data mi pena Regard de l’intérieur
y apenas lo sabía Du seizième siècle date ma peine
porque aquel ruiseñor et à peine m’en doutais-je d’ignorer ses racines en tant que descendant d’esclaves, réduisent la prise de Le serpent d’eau rampe et se balance.
siempre canta en mi pena. car ce rossignol Avec son corps de hamac qui le fait osciller.
chante toujours dans ma peine. conscience, l’accès à la vérité fondatrice, puisque pour celui dont les Des caravelles, des fantômes, des peaux brûlées
se dessinent sur les feuilles des saules.
ascendants venaient d’Afrique, la racine est perdue, comme le lamentait
NANCY MOREJON Le serpent d’eau
Nicolás Guillén dans son « élégie familiale », « El apellido » (1951-53). près des saules.
Le serpent d’eau.
Ce retour incessant au passé colonial chez Nancy Morejón, comme cela fut le
L’Histoire coloniale et la culture métissée qui en est issue, la sauvegarde Le serpent d’eau dresse sa tête
cas pour Nicolás Guillén, est l’une des caractéristiques thématiques de sa
avec une langue bipède et millénaire.
des traditions culturelles créoles, savantes et populaires, l’appartenance insulaire Un bout de langue tombe dans le Golfe.
poésie. La révélation de la blessure à exorciser se fait en tant que femme noire
L’autre, dévorant des centaines de barques.
et régionale, constituent les piliers thématiques et métaphoriques de
et parce qu’elle est cubaine, jusqu’à l’un de ses derniers ouvrages intitulés,
Le serpent d’eau
l’imaginaire de Nancy Morejón (La Havane, 1944), et témoignent d’une quête
 Persona (Prix Rafael Alberti 2007), dans le sens générique (une personne qui près des saules.
identitaire constante, quand il s’agit de retranscrire un passé douloureux et une Le serpent d’eau.
doit lutter pour s’affirmer en tant que telle, depuis des siècles) et dans le
mémoire culturelle en quête d’ancrages. Les engagements politiques et Le serpent d’eau devient énorme et avance
double sens du français (personne, qui n’est pas, qui n’existe pas) : avec son gosier grand ouvert :
esthétiques du XXe siècle dont Nancy Morejón s’est fait l’écho en tant que poète, impénitent, pâle, vorace ;
« Persona » ses anneaux dorés, son va-et-vient implacable.
¿Quién es esa mujer
critique littéraire et traductrice de poètes francophones, débouchent chez elle sur que está en todas nosotras huyendo de nosotras, Le serpent d’eau
la volonté de réécrire dans une perspective féministe l’histoire occultée ou oubliée huyendo de su enigma y de su largo origen près des saules.
con una incrédula plegaria entre los labios Le serpent d’eau.
de l’esclave noir(e) et du Nègre marron que l'histoire et la culture officielles ont o con un himno cantado
después de una batalla siempre renacida? 3
écartés de la reconnaissance nationale, s'ouvrant ainsi à la modernité d'une Le serpent se balance tel un hamac et danse sournoisement sous les
Personne
écriture mémorielle en tant que femme, membre à part entière d’une saules, dans un paysage aquatique au repos. Cet animal dévorant, de dignité
[…] Qui est cette femme
communauté, noire, cubaine et caribéenne. qui est en toutes les femmes et qui nous fuit, se redresse sur ses pieds de bipède implacable, car il a su se défendre et
fuyant son énigme et sa longue origine
Dans ses travaux de réflexion sur la littérature, l’histoire culturelle et les une prière incrédule aux lèvres résister, armé de sa langue double (celle du métissage) et de sa force
ou un hymne chanté
métissages en Amérique, Nación y mestizaje en Nicolás Guillén (1982), après une bataille toujours renaissante ? millénaire (le mythe de l’homme révolté face à l’oppression). Comme dans les
Fundación de la imagen (1988) incluant l’article Presencia del mito en el décimas de Guillén dédiée au peuple cubain6, il se réveillera avec la force du
L’auteure élabore des stratégies symboliques constamment réitérées, à
Caribe, Poética de los altares (2004)1, l’essayiste cubaine suit les  traces de cyclone quand la voix de la révolte sonnera. Les choix sémantiques,
travers la voix poématique, les images et les motifs intra- ou intertextuels, les
l’épique nègre d’après les résistances et les survivances culturelles de ce l’accumulation énumérative, les rimes, renforcent la portée des mots clés qui
personnages, les lieux de sa mémoire visuelle ou sentimentale, des espaces
qu’elle nomme « l’Afro-Amérique l’invisible ». Elle rappelle que la culture issue font ressurgir des réalités historiques longtemps occultées de l’Amérique.
imaginés ou réinventés. Il s’agit de prôner une libération du corps et de
des métissages évolue sans cesse et que les critères récurrents de l’unité et Outre la seule référence directe au Mississippi par le titre, quelques
l’image de la femme noire, ainsi que la récurrence du symbole de la langue
substantifs symbolisant la traite négrière, l’esclavage et les lynchages, et
dominante, imposée aux opprimés et que ces derniers ont adoptée pour se
1Poética de los altares, La Habana, Letras Cubanas, Col. Mínima, 2004 (articles écrits entre l’hommage à Guillén qui a métaphorisé le fleuve dans ses textes anti-
1992 et 1995). révolter. L’apport original de la Cubaine réside dans le fait que ses figures
de la diversité sont toujours en vigueur dans la Caraïbe. Elle insiste sur ségrégationnistes, la mise en scène semble être hors-contexte, en dehors d’un
l’importance des racines africaines dans la conformation historique, féminines acquièrent, par la métaphorisation de l’espace féminin (corps et
temps historique précis. L’évocation d’un passé ainsi réactualisé, avec le
Sandra Hernández (Université de Lyon 2), Espaces latinos (2013) environnement quotidien) et sa mythisation, une nouvelle perception de la
mythologique et sont
de la diversité culturelle de laenrégion,
toujours et sur
vigueur dansle la
rôle du paysage
Caraïbe. Elle (tropical et
insiste sur refrain aux strophes paires, donne le ton de la litanie et son écho perdure dans
insulaire), se basant sur des conceptions féminité, en totale osmose avec un univers quotidien et un imaginaire
l’importance des racines africaines proches
dans ladeconformation
la Poétique dehistorique,
la Relation le présent. La structure des quatrains (vers longs) et des tercets (vers courts)
d’Edouard Glissant. Cette socioculturel riche en mythes à reconstruire dans une nouvelle vérité.
mythologique
Nancy MOREJÓN, «et culturelle
Mirar adentro demise
» (La la région,
Habana, en
Piedrarelation
etpulida, leest
sur 1986) : posée
rôle du paysage comme un défi
(tropical et qui dessine les ondulations du serpent, l’alternance élaborée des rythmes
de la diversité sont toujours en vigueur dans la Caraïbe. Elle insiste sur
Del siglo dieciséis
esthétique qui datadoitmi pena
mener Regard de à l’intérieur
insulaire),
yl’importance
se basant sur desles
apenas lo sabía des racines africaines
Caribéens
conceptions proches libérerde leur
la imaginaire,
Poétique tout en
de la Relation
dans la conformation historique,
Du seizième siècle date ma peine binaires ou ternaires,
6 Nicolás GUILLÉN, constituent
“Un largo uninbel
lagarto verde” hommage
La paloma au popular
de vuelo style de Guillén, à son
(1958)
d’ignorer
retournant
porque
d’Edouardaquel ses laracines
ruiseñor sourceen
àGlissant. des
Cettetant que
misedescendant
mythes eten
des traditions
et à relation
peine d’esclaves,
m’en de posée réduisent
l’oralité
doutais-je
est populaire.
comme la prise
un défi de 3 La in
“Persona” négritude, comme
La Quinta, op. cit. processus identitaire de désaliénation qui
mythologique
siempre canta en miet culturelle de la région,
pena. car ce etrossignol
sur le rôle du paysage (tropical et Le serpentpour
goût constant d’eaularampe et se balance.
rénovation de la métrique espagnole.
conscience,
esthétique qui l’accès
doit mener à la vérité les Caribéensfondatrice,
chante toujours puisque
à libérerdans ma leur pour
peine. celui dont
imaginaire, tout lesen s’achève, est assumée à la suite d’une longue trajectoire de retour aux Avec son corps de hamac qui le fait osciller.
insulaire),
Regard de se basant sur des conceptions proches de la Poétique de la Relation
l’intérieur
Des caravelles, des fantômes, des peaux brûlées
ascendants
retournant à venaientla source d’Afrique,
des mytheslaet racine des traditions est perdue, comme
de l’oralité le lamentait
populaire. origines, depuis la traversée comme point de départ incontournable qui doit se dessinent sur les feuilles des saules.
d’Edouard
NANCY MOREJON Glissant. Cette mise en relation est posée comme un défi
Nicolás Dans ses portraits
Guillén dans sonet« élégie ses fresquesfamiliale », à tonalité épique, Nancy
« El apellido » (1951-53). Morejón met être assumée jusqu’à une démarche incessante et ininterrompue, à la Le serpent d’eau
esthétique qui doit mener les Caribéens à libérer leur imaginaire, tout en près des saules.
Regard
en scène de l’intérieur
des
Ce retour incessant personnages
au passé anonymes colonial chez ou Nancycélèbres,Morejón, souvent comme féminins,
cela futqui le recherche d’une renaissance perpétuelle. La représentation imaginée et Ana CAIRO, Bembé
Le serpent d’eau.para cimarrones, Centro Félix Varela, La Habana, Acuario,
retournant
L’Histoireà la coloniale
source des et mythes
la culture et des traditions
métissée qui de l’oralité
en est issue, populaire.
la sauvegarde 2005.
jouent
cas pour le rôle
Dans sesparadigmatique
Nicolás Guillén,
portraits et ses est de la résistance
l’une
fresques desà caractéristiques
tonalité d’une
épique,condition humaine
thématiques
Nancy Morejón et/ou
de sa
met sexuée (au féminin) de la traite et de l’esclavage dans la plantation est Le serpent d’eau dresse sa tête
des traditions
féminine, culturelles créoles, savantes et populaires, l’appartenance insulaire constante dans toute son œuvre (années 1970-2000), depuis les hommages avec
Revista une langue
CASA, bipède et
De nuevo millénaire.
África en América, N° 264, Juillet-sept. 2011, La
poésie.
en scène
Regard deetrévélation
La qui
des
l’intérieurincarnent de la les
personnages racines
blessure
anonymes plurielles
à exorciserou célèbres, dufait
se peuple cubain
ensouvent
tant en quête
queféminins,
femme de
noire
qui Un bout de langue tombe dans le Golfe.
et régionale, constituent les piliers thématiques et métaphoriques de Havane, Casadévorant
L’autre, de las des
Américas.
centaines de barques.
ses
et origines
parce
jouent rôle: «
le qu’elle Tengo la obsesión
est cubaine,
paradigmatique de laderésistance
jusqu’à mi
l’un familia.
de ses Siempre
derniers
d’une heouvrages
condition querido
humaine saber
intitulés,de
et/ou aux mères et aux grand-mères, «  Presente Brígida Noyola  », «  Presente
Dans ses portraits et ses fresques à tonalité épique, Nancy Morejón met
l’imaginaire
dónde
 Persona
féminine, vine. de Esa
et […]
(Prix
Nancy
quiRafael idea
incarnent
Morejón
Albertideles la2007), (La Havane,
dispersión
racines dans
en scène des personnages anonymes ou célèbres, souvent féminins, qui
identitaire constante, quand ilune
s’agit
me
le sens
plurielles
de retranscrire
1944),
ha torturadoet témoignent»2d’une
peuplemucho
générique
du
un passé
(une personne
cubain
douloureux
en
quête
. [L’histoire
quête qui
et une
de Ángela Domínguez », « Madre », « El café », jusqu’aux personnages anonymes Le serpent
Juanamaría d’eau
CORDONES-COOK,
près des saules.
poesíaLede Nancy
Soltando amarras y memorias : mundo y
Morejón, Santiago de Chile, Editorial Cuarto propio, 2009.
Nancy Morejon, poétesse,
de
sesma famille : «est pour lamoi obsession. J’ai toujours voulu savoir d’où je paradigmatiques d’une résistance salvatrice, « Humus inmemorial », « Amo a serpent d’eau.
doit
venais.
double
lutter
origines
dónde vine. Cette
sens
pour
du
[…]idée
s’affirmer
Tengo
deidea
français
Esa
en tant
obsesión
la (personne,
dispersion
de la dispersión
deque
m’a
mi telle,
jouent le rôle paradigmatique de la résistance d’une condition humaine et/ou
mémoire culturelle en quête d’ancrages.
familia.
beaucoup
qui n’est me pas,
depuis
Siempre
Les torturée]
deshe
engagements
qui n’existe
ha torturado
siècles)
mucho
querido
Cepas) :
etsaber
politiques
passé,
dans
devenu
»2. [L’histoire
le
de
et mi amo », « Mujer negra », « Hablando con una culebra », « La silla dorada », Le serpent d’eau devient énorme et avance
Dominique Martin , poète
Michèle GUICHARNAUD-TOLLIS
son gosier grand ouvert : & Jean-Louis JOACHIM, Cuba : de
féminine, et qui incarnent les racines plurielles du peuple cubain en quête de
esthétiques
porteur
« Persona »
de ma famille
ses origines
¿Quién
de du XXe siècle
mémoire
est pour chez dont Nancy
moiles unepoètes Morejón
de sa J’ai
obsession.
s’est fait l’écho
génération,
: « Tengo la obsesión de mi familia. Siempre he querido saber de
es esa mujer
toujoursest voulu
en tant que poète,
réactualisé
savoir d’où sansje « Persona », etc.
avec
l’Indépendance à nos
impénitent, pâle, jours, Paris, Ellipses, 2007.
vorace ;
ses anneaux dorés, son va-et-vient implacable.
Salon du Livre 2019
critique
cesse littéraire
estácomme et traductrice
l’expression dede poètes
essentielle francophones, débouchent chez elle sur Le poème Mississippi (2002), dédié « à la mémoire de Nicolás Guillén »
que
venais. en todas
Cette nosotras
idée de lahuyendo
dispersion m’a de
nosotras, la mémoire
beaucoup collective,
torturée] Ce passé,la « trace
devenu »
dónde vine.
huyendo de su[…] enigma Esay ideade su de largo dispersión me ha torturado mucho »2. [L’histoire
la origen NancyLe
MOREJON, Ensayos, La Habana, Letras Cubanas, 2005.
serpent d’eau
la volonté
(Glissant), de réécrire dans une perspective féministe l’histoire occultée ou oubliée pour le centenaire de sa naissance, fait écho à Hablando con una
porteur
con delemémoire
una incrédula souvenir
plegariachez proche
entreles loset commun
poètes
labios de qu’ont laissé
sa génération, la déshumanisation
est réactualisé sans due près des saules.
de
o con maun famille
himnonoir(e) est pour moi une obsession. J’ai toujours voulu savoir d’où je
cantado Le serpent d’eau.
de
à l’esclave
l’esclavage et du Nègre marron que l'histoire et la culture officielles ont culebra4(1982), dans lequel il ne s’agissait pas seulement d’honorer la
cesse
después de una et
comme la dépersonnalisation
l’expression
batalla essentielle
siempre renacida? 3 de del’acculturation
la mémoire collective, coloniale. la « trace »
venais. Cette idée de la dispersion m’a beaucoup torturée] Ce passé, devenu
écartés de
Le quatrainla reconnaissance
intitulé « Mirar nationale,
adentro s'ouvrant
», inclus ainsi à la la modernité
plupart ded'une mémoire de Guillén (Sensemayá la couleuvre) et de s’inscrire dans la tradition
(Glissant),
Personne le souvenir proche et commun qu’ont laissédans la déshumanisation ses
due Le serpent se balance tel un hamac et danse sournoisement sous les
porteur de mémoire chez les poètes de sa génération, est réactualisé sans
écriture
anthologies, mémorielle
inscrit ceten tant que
héritage femme,
colonial membre à part entière d’une orale cubaine, mais aussi de prôner la révolte de la femme comme symbole de
à l’esclavage
[…] Qui est etcette
la dépersonnalisation
femme de dans une ethno-genèse
l’acculturation coloniale. qui débute au saules, dans un paysage aquatique au repos. Cet animal dévorant, de dignité
cesse comme l’expression essentielle de la mémoire collective, la « trace »
communauté,
siècle noire, les
qui est en toutes
XVIe fuyant :L’indice cubaine
femmes
temporel etetcaribéenne.
qui nous fuit,
est révélé dès»,leinclus départdans pour la orienter la lecture renaissance face au pouvoir des hommes. Le Mississippi est comparé à un
Le quatrain
son énigme intitulé
et sa « Mirar
longue origineadentro plupart de ses se redresse sur ses pieds de bipède implacable, car il a su se défendre et
(Glissant), le souvenir proche et commun qu’ont laissé la déshumanisation due
vers Dans
un ses incrédule
une prière
contexte travaux
historiquede lèvres
aux réflexion
précis, sur
lorsquela littérature,
commence l’histoire culturelle
la colonisation et les
à Cuba, serpent d’eau, sous le signe du féminin, son genre en espagnol:
anthologies, inscrit cet héritage colonial dans une ethno-genèse qui débute au résister, armé de sa langue double (celle du métissage) et de sa force
puis
ou un hymne
à l’esclavage
métissages
après une
XVIe l’esclavage 
et chanté
en
siècle :L’indice
la dépersonnalisation de l’acculturation coloniale.
Amérique,
bataille toujours
; ce temporel
premier Nación
renaissante ?
vers
est révéléety lemestizaje
titre
dès le
en Nicolás
impliquent
départ pour donc Guillén (1982),:
l’introspection 
orienter la lecture Nancy Morejon, Cuba
millénaire (le mythe de l’homme révolté face à l’oppression). Comme dans les
Le quatrain intitulé « Mirar adentro », inclus dans la plupart de ses « La serpiente de agua repta y se mece.
Fundación
un « un
mirar de la imagen
adentro  », un regard (1988) parmi incluant l’article
d’autres duPresencia
passé del mito
colonial qui en el
fonde Con su cuerpo de hamaca, bamboleándose.
vers contexte historique précis, lorsque commence la colonisation à Cuba, décimas de Guillén dédiée au peuple cubain6, il se réveillera avec la force du
anthologies,
L’auteure inscrit
élabore cet deshéritage colonial
stratégies dans une ethno-genèse
1,symboliques constamment qui débute au
réitérées, à Carabelas, fantasmas, pieles quemadas
Caribe, Poética
l’identité du sujetde los altares (2004) l’essayiste cubaine suit les  traces de
puis l’esclavage  ;qui
ce s’exprime
premier vers à la et
première
le titre personne.
impliquentLa donctonalité dramatique
l’introspection  : van dibujados sobre las hojas de los sauces.
cyclone quand la voix de la révolte sonnera. Les choix sémantiques,
XVIe siècle
travers la voix:L’indice
poématique, temporel lesest révéléetdès
images les le départ
motifs pour
intra- ouorienter la lecture
intertextuels, les
l’épique
s’impose nègre
avec d’après
la seule les résistances
récurrence, « pena » et les survivances
en rime culturelles de ce
un «  mirar adentro  », un regard parmi d’autres du métrique.
passé colonial La rime quiinterne
fonde La serpiente de agua l’accumulation énumérative, les rimes, renforcent la portée des mots clés qui
vers un contexte
personnages, leshistorique
lieux de sa précis,
mémoire lorsquevisuelle commence la colonisation
ou sentimentale, à Cuba,
des espaces junto a los sauces.
qu’elle
avec « nomme
apenas  « l’Afro-Amérique
» qui
amenuise encore l’invisible ».
plus l’infime Elle rappelle
possibilité quedu la « 
culture
recordar  issue »
l’identité du sujet s’exprime à la première personne. La tonalité dramatique La serpiente de agua. font ressurgir des réalités historiques longtemps occultées de l’Amérique.
puis l’esclavage 
imaginés ou réinventés.; ce premier vers de
Il s’agit et le titre impliquent
prôner une libération donc du l’introspection 
corps et de:
des« 
ou  métissages
mirar adentro évolue »  sans
: cesse et que
l’atténuation du les critères
savoir, le récurrents
fait de de l’unité ou
méconnaître et
s’impose avec la seule récurrence, « pena » en rime métrique. La rime interne La serpiente de agua va alzando su cabeza Outre la seule référence directe au Mississippi par le titre, quelques
un «  mirar
l’image de la adentro 
femme»,noire, un regard ainsi que parmi la d’autres
récurrence du du passé symbolecolonialde qui fonde
la langue con una lengua bípeda y milenaria.
avec «  apenas  » amenuise encore plus l’infime possibilité du «  recordar  » Un pedazo de lengua cae en el Golfo. substantifs symbolisant la traite négrière, l’esclavage et les lynchages, et
l’identité du imposée
dominante, sujet qui aux s’exprimeopprimés à la première
et que ces personne.
derniersLa onttonalité
adoptée dramatique
pour se El otro, devorando cientos de barcas.
2
1 Poética de losCORDONES-COOK,
altares, La Habana,Voz Letras Cubanas, Col. Mínima,
ou Juanamaría
«  mirar adentro  »  : l’atténuation y poesía dudesavoir, Nancy le fait2004
Morejón, de (articles écrits
Afro-Hispanic
méconnaître entre
Review,
ou l’hommage à Guillén qui a métaphorisé le fleuve dans ses textes anti-
s’impose
révolter.
1992 avec la seule
L’apport
et 1995). original récurrence,
de la Cubaine « pena » en rime
réside dans métrique.
le fait que La rimeses interne
figures La serpiente de agua
1996, vol. 15, n° 1, p. 66.
avec «  apenas 
féminines » amenuise
acquièrent, par laencore plus l’infime
métaphorisation de possibilité du «  recordar 
l’espace féminin »
(corps et junto a los sauces. ségrégationnistes, la mise en scène semble être hors-contexte, en dehors d’un
2 Juanamaría CORDONES-COOK, Voz y poesía de Nancy Morejón, Afro-Hispanic Review, La serpiente de agua. […] »5
ou  «  mirar adentro 
environnement »  : l’atténuation
quotidien) du savoir,
et sa mythisation, une le fait de perception
nouvelle méconnaître
de ou
la temps historique précis. L’évocation d’un passé ainsi réactualisé, avec le
1996, vol. 15, n° 1, p. 66.
Mississippi refrain aux strophes paires, donne le ton de la litanie et son écho perdure dans
féminité, en totale osmose avec un univers quotidien et un imaginaire
2 Juanamaría CORDONES-COOK,
socioculturel Voz
riche en mythes à y poesía de dans
reconstruire Nancyune
Morejón, Afro-Hispanic
nouvelle vérité. Review, le présent. La structure des quatrains (vers longs) et des tercets (vers courts)
4Octubre imprescindible (Octobre indispensable), 1982. Cf. notre article Palabras de memoria
1996, vol. 15, n° 1, p. 66. y resistencia en la poesía de Nancy Morejón in Marges, dir. V. Lavou-Zoungbo, n° 25, Université qui dessine les ondulations du serpent, l’alternance élaborée des rythmes
de Perpignan, 2004, pp. 213-241

3 “Persona” in La Quinta, op. cit. 5 “Mississippi” in Carbones silvestres, op. cit., p. 59. 6 Nicolás GUILLÉN, “Un largo lagarto verde” in La paloma de vuelo popular (1958)

70 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 71
“Elogio de Nieves Fresneda” « Eloge de Nieves Fresneda »
“Humus inmemorial” “Humus inmemorial” (Elogio de la danza, Eloge de la danse, 1982) Comme un poisson volant : Nieves Fresneda.
(Piedra pulida, Pierre polie, 1986) (Piedra pulida, Pierre polie, 1986)
Como un pez volador : Nieves Fresneda. Des vagues de mer, des galériens,
En Jovellanos, la flor de Jericó. A Jovellanos, la fleur de Jéricho.
des pétales bleutés d’algues
Madre que hallas tu vientre Mère, toi qui retrouves ton ventre
Olas de mar, galeotes, recouvrent ses jours et ses heures,
por entre grillos y ramales, entre les grilles et les branchages,
azules pétalos de algas comme renaissant à ses pieds.
esta es tu playa. voici ta plage.
cubren sus días y sus horas,
Le ciel blanc sillonné par la foudre.
renaciendo a sus pies. Une rumeur du Bénin
El cielo blanco surcado por los rayos. La mer grisâtre des cales
l’amena au fond de cette terre.
El mar grisáceo de las bodegas vomissant à grands flots
Un rumor de Benín
sacando a borbotones des nègres enchaînés,
la trajo al fondo de esta tierra. Là reposent
negros amordazados, les expulsant,
ses couleuvres,
echándolos, dans la brume,
Allí están ses cercles,
entre la bruma, sur un port quelconque.
sus culebras, ses coquillages,
sobre un puerto cualquiera.
sus círculos, ses jupons,
Jeune fille, mère qui retrouve son ventre
sus cauris, ses pieds,
Moza, madre que hallas tu vientre parmi les bêtes féroces et les ossements,
sus sayas, qui cherchent la forêt dense,
por entre fieras y osamentas, regarde le gardien,
qui ouvrent des chemins inconnus
mira al guardiero, qui surveille tes pas,
sus pies, vers Olokun.
celador de tus pasos, en train de se consumer,
buscando la manigua,
consumirse, encerclé et prisonnier.
abriendo rutas desconocidas Ses pieds marins,
cercado y preso.
hacia Olókun. enfin,
Bête de somme nous fûmes.
des troncs de sel,
Bestia de carga fuimos.
les pieds perpétuels de Nieves
Dans la plaine de Jovellanos,
Sus pies marítimos, qui s’élèvent comme des lunes pour Yemayá.
En la llanura de Jovellanos, la fleur de Jéricho.
al fin,
la flor de Jericó. Oh la plaine de la souffrance
troncos de sal, Et dans l’espace,
Oh la llanura del dolor à Jovellanos.
perpetuos pies de Nieves, ensuite,
en Jovellanos. 
alzados como lunas para Yemayá. au sein de l’écume,
Nieves
Y en el espacio, qui virevolte sur la mer,
luego, Nieves

“Madrigal para cimarrones” « Madrigal pour nègres entre la espuma,


Nieves,
au cœur du chant
immémorial du rêve,
(Octubre imprescindible, Octobre indispensable, 1982)
marrons »
girando sobre el mar, Nieves
Nieves dans les mers de Cuba,
A Miguel Barnet A Miguel Barnet por entre el canto Nieves.
La cabeza y las manos colgadas, llameantes, La tête et les mains suspendues, brûlantes, inmemorial del sueño,
burlando el rastro del Perseguidor. déjouant la trace du Poursuiveur. Nieves
Los cuerpos sudorosos se lanzan a la manigua húmeda. Les corps en sueur se lancent dans la savane humide. en los mares de Cuba,
Qué belleza tan dura tienen sus corazones. Quelle dure beauté celle de leurs cœurs ! Nieves.
Sobre sus machetes, como sobre ramales, Sur leurs machettes, comme sur des branches,
anidan palomas y jutías, se nichent des colombes et des agoutis,
y el tiempo de sol, et les jours de soleil,
y el tiempo de luna, et les jours de lune,
y el tiempo de la voluntad et les jours de cette volonté
haciéndolos renacer como a niños,
Origan
qui les fait renaître tels des enfants,
como a dulces niños de una libertad ya conquistada. tels de doux enfants d’une liberté déjà reconquise.
à Jovellanos.
Orégano
En el naufragio de las barcazas
perdí el olor del orégano Dans le naufrage des grandes barques
que estaba sembrado je perdis l’odeur de l’origan
en un ingenio antiguo de la Marie-Galante. qui avait été semé
Vino el pirata dans une ancienne plantation de Marie-Galante.
y se llevó su aroma Débarqua le pirate
de tierra y planta buena. qui a emporté son arôme
Vendrán los hierros de bonne terre et de plante.
de las algas marinas Viendront les fers
para blandir de nuevo su raíz des algues marines
-ahora marchita pero firme- pour brandir à nouveau sa racine
inscrita en la roca musgosa -désormais desséchée mais non moins ferme-
de un sueño milenario.  inscrite sur la mousse du rocher
d’un songe millénaire.

Nancy Morejon, La Havane

Traduction Sandra Hernández

72 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 73
Álvaro GARCIA, Surrealismo-Cósmico
Mi trabajo se caracteriza por las perspectivas y la lógica, impecable dominio grafico, con marcadas preferencias tonales que vibran en
azul, la profundidad y el frío. Posteriormente a mis estudios en facultad de Artes Plásticas del Distrito especial en la ciudad de Bogota;
culmino mis estudios en cerámica, diseño grafico y artes plásticas.

Mi primer interés a lo largo de mi desarrollo artístico ha estado marcado por el hecho de encontrar mi estilo propio. El arte se ha
convertido en una herramienta para vivir, dándole un sentido profundo a mi existencia.

Actualmente trabajo sobre el mundo subatómico y sus paisajes electromagnéticos, completando así un contexto existencial nombrado
Super Simetría y Super Gravedad.

La simbología surrealista en mi obra presenta elementos como los bloques en tierra cocida, que indican la base de la dignidad del
modus vivendi. (Civilizaciones milenarias)
También integro plataformas volantes que en una perfección geométrica representan la eternidad del alma humana.

Las esferas, muy características y presentes en mi obra, simbolizan la oportunidad que cada día nos ofrece para evolucionar en el cami-
no de nuestra conciencia, el pasto es testigo de la vida. Todos estos símbolos se manifiestan en un contexto cósmico.

Yo trabajo con la Geometría, perfección de las matemáticas, en mi obra las Vasijas en barro cocido representan el contenido cósmico
de la vida y su carácter imperceptible.

Yo presento el hombre como la resultante de todas las dimensiones de un cruce cósmico que hace de él la medida existencial de la vida
y un habitáculo para la conciencia, la cual, es la medida del ser humano. Análisis de la forja de la conciencia.

Alvaro Garcia, Colombie

74 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 75
INTERVALLE
Angelots tombés du ciel
Ce fut un fleuve
Qui amortit notre chute
Abandonnés par les nôtres
Te espero Si te vas Qu’avions-nous demandé
Me asomo a la ventana Si te vas, Pour subir cet affront
presiento que estás cerca me abrazaré a tu almohada Emportés par les flots
te espero con ansias para sentir tu aroma Nous dûmes notre salut
impaciente, dormiré con tu pijama A une mystérieuse rive
con las ganas a flor de piel en un intento de engañarme Perdus et sans repères
el deseo resbalando ante el espejo. Nos pas nous dirigèrent
por mis caderas Si te vas, Vers une ville étrangère
con un volcán por estallar antes, bebe de mi Peuplé d’êtres faméliques
la sensibilidad humedecida y sacia tu sed en mi transparente pozo Bâtards parmi les bâtards
y mis labios de inagotable sensaciones Qui étions-nous vraiment
hambrientos de ti. que te espera siempre ansioso. L’avons-nous su
Aliméntate de mi carne Nous devrons l’oublier
amándome con rabia, Car quatre à quatre
con ternura, con pasión. En ces vains intervalles
Así fue Si te vas, Ils creusent notre tombe
deja tu sexo derramado sobre mi,
SÍ, fue justo como lo imaginé. la cama deshecha, la toalla en el suelo,
Recorrer mi cuerpo la música alta Inteken, Guyane
tatuar tus besos calientes y húmedos inyéctame tu amor,
en cada poro de mi piel, cual suero en en mis venas,
jugar con mis cabellos tatúame tus labios en la piel
retrasar los besos que moría por sentir. para nunca olvidar tus besos
Acelerar los latidos de mi corazón,
incendiar mis ganas.
Si te vas,
regálame un concierto AMOR
Fue justo así, de orgasmos y gemidos,
delicado, suave, sin prisa, que el sudor nos abrace, Amor es lo que se respira joven,
poco a poco, como quien degusta hasta transportarme al sentir su calor,
el primer sorbo de café recién colado muy lejos de la realidad en el amanecer de la vida,
en una mañana de otoño. que aguarda mi soledad, si te vas. cuando ve en las flores,
Escapar de mi imaginación Si te vas, no las espinas que hieren y sangran,
para hacerte realidad dentro de mi, por favor, sino la belleza que inspira,
seguir junto a mi, como un día te imaginé. no me me avises, y el símbolo que inmortaliza.
no quiero saberlo,
solo antes, ámame, Amor es el lenguaje del alma,
sabiendo que no lo harás sin necesidad de decir la palabra,
nunca más, de estos versos sencillos,
mientras, Te saluda con el alma a la tuya.
me quedo en ese letargo
en el que deambulan
los amores que jamás se olvidan.

Noemi Salazar Cunalata, Equateur

María Piña, Escritora y poeta, Espagne, Republique


Dominicaine

76 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 77
MONCHOACHI

Nous habitons un corps


pouvoir articuler, autrement dit à pouvoir accorder, quand la logique présentement en
cours n'ambitionne qu'une unique chose : séparer. Séparer le ciel de la terre et la terre
du ciel, les hommes de la terre et les hommes entre eux, et toutes choses les unes des
autres. Et, sans la moindre menue souveraineté sur ce lieu où tout prend corps, l'homme
perd l'ultime ressource d'un possible sursaut en vue de se réaccorder au monde et d'y
Habiter un corps est le propre des humains. L'homme habite un corps comme une
réaccorder toutes ces choses à présent déglinguées.
demeure où il accueille ses expériences du temps et de l'espace, et plus que tout, la parole,
toutes choses qui vont lui permettre de se projeter pour s'accomplir. Cependant, tous les Déjà de partout, l'espace s'opprime et le temps se resserre et se précipite (c'est "le
hommes n'ont pas, sur le même mode et avec la même intensité, ce sentiment d'habiter temps réel", autrement dit... le non-temps, le temps qui ne donne plus le temps au corps de
un corps car l'épreuve du temps, les traces dont il imprègne le corps et qui vont animer la s'ouvrir dans l'espace, de rester-s'appartenir), tout se précipite comme parvenu au terme
langue, n'est pas la même pour tous. d'une destination prévisible où la seule assurance (est-ce une promesse?) est d'y trouver la
transparence totale ("pour votre sécurité"!). Mais transparence n'est pas clarté qui, elle,
Ainsi, nous, Antillais et Guyanais habitons un espace qui porte un passé dont la
comme la parole, requiert l'obscurité (la nuit à laquelle s'adossent les conteurs, les maîtres
présence ne peut être reléguée, puisqu'elle marque le début des Temps modernes, et que
de la parole) comme son plus intime compagnon qui la porte, la constitue, et de tous
c'est dans cet espace que l'Occident a ancré et dévoilé son projet de mainmise sur la terre
côtés l'habite.
entière. Cet espace que nous habitons porte donc cette empreinte particulière et
déterminante, et il va continument accuser cet effluve et le propager en toutes ces
vibrations. Le temps qui nous porte est aussi chargé de nos expériences propres et surtout
de notre épreuve singulière s'agissant du corps. Le jeu/L'enjeu : brandir le corps organique comme amorce pour mettre
la main sur l'homme
A présent, et d'une manière générale, avec les dispositifs technico-scientifiques
que déploient les temps actuels, ce sentiment d'habiter un corps qui est, nous l'avons dit, C'est donc bien la question du corps qui est l'enjeu central de la situation
le propre des humains, ne cesse partout de se dégrader à vive allure réduisant l'homme de actuelle, y ayant été cooptée en lieu et place du souci légitime provoqué par l'épidémie.
plus en plus à son corps organique, celui qu'il faut entretenir et soigner, requis qu'il est pour Ces derniers, souci et épidémie, étant à présent manipulés avec hargne et malice par des
fonctionner. Mais sans habiter un corps, au sens propre, on ne peut s'accorder à quelque mises en scène humanitaires visant à voiler cet enjeu central rapporté venu tout brouiller.
monde que ce soit pour y prendre rythme et y entendre résonner comme il convient les
tonalités du proche et du lointain : on n'est plus que domicilié ici ou là. Mais, ce n'est pas le corps organique qui est l'enjeu, mais bien le kò, autrement dit
l'homme même, et cela ne pouvait, à nous qui ne l'avons jamais séparé et que notre langue
a porté inflexiblement dans son unité, cela ne pouvait nous échapper.
Le corps : jointure et rythme de la parole créole Car ce qui va demeurer quand seront levées (si un jour elles le sont) les injonctions
impératives présentes matraquant un choix mystificateur à "être ou ne pas être.." ce qui va
Or, en dépit de cette pression sans cesse accrue d'un environnement techno-scientifique demeurer pour sûr, c'est l'infâme et marquante avancée dans le maillage du corps.
avec ses multiples et séduisants affects, l'homme antillais et guyanais, en l'extrême péril, se
voit comme interpellé, envahi par une voix silencieuse, celle qui parle dans sa langue Ne pas y être veillatif et s'abandonner allègrement, allant même jusqu'à s'adonner à
propre et le pousse à présent à s'adosser à son corps, ou pour mieux dire à son kò, railler et, plus encore, à prêter la main en toute impudeur, sans jamais prendre en vue le
comme à sa vérité propre, inutile de chercher dans les recoins pour nommer cette fait que cette logique technoscientifique avec tout son appareillage est à l'affût de la
invisible ligne de résistance sur laquelle il vient corer son corps et qu'il ne peut jamber pour moindre fente pour mettre la main sur l'ultime ressource de l'homme, la plus haute et la
reculer sans se renier. Cette ligne de résistance que sa parole, sa langue, a au fond d'elle- plus précieuse, le corps, la demeure souveraine où tout se tresse, c'est avoir l'esprit
même musicalement accueilli et s'en est tout du long parsemée, à présent l'inonde tout à singulièrement dérangé, au sens fort : déjà ravagé par les séductions perverses de cette
coup de clarté et de beauté. Et elle lui parle de son corps. Car le corps, le lieu où l'homme religion techno-science et n'avoir en définitive jamais de sa vie pris la mesure de la vraie
se doit d'habiter, nous en avons un jour fait le détour et avons accompli le retour en liberté, là où il convient de la prendre : dans ce lieu, qui n'est rien moins que le lieu même
passager de notre langue, de ce qu'elle nous tend avec entêtement, ce kò qui l'affleure de l'homme, où il faut veiller à ne point se laisser extraire si l'on ne veut être définitivement
continument, à nous de l'entendre. englouti, ce lieu où pour "être celui qu'on est", il faut se dresser et tenir raid' : il n'en est
pas de plus humble certes, il n'en est pas non plus, à nous requérir, de plus impérieux
1 depuis qu'il nous parle dans le voisinage de la Mort.
Car c'est dans le parler de notre langue, dans ce qu'elle dit avec le plus Vauclin
d'intensité, le kò, que nous atteignons notre "pays natal" en vue
d'habiter, ainsi qu'il convient d'habiter, là où se trouve la richesse, qui 4 octobre 2021
n'est que belle pauvreté.
Il faudra à ce propos que notre langue trouve un jour une écriture,
3
hors cet alignement sinistre de lettres abécibêta vouées à cloisonner et
démarier mots et choses, mots et corps, corps et kò, une écriture à la
hauteur de ce que notre parole dit en toutes ses articulations, des
volutes à même de la parer et de la célébrer nue, exposée rayonnante,
vibrant au temps et à l'espace.
En comparaison, la langue française, comme exemple de langue passée au moule
de la rationalisation, a escamoté le corps, elle l'a voilé en le remplaçant par des pronoms
dits "réfléchis", soit un réseau d'écrans (déjà!) un miroir qui en livre une si pâle image
qu'elle détourne de toute envie d'être mêmement son corps ("soi-même") de sorte de tout
orienter le regard vers la possession compulsive d'objets (de "richesses"!) en vue d'un
prétendu "progrès et développement" qui ne conduit qu'à ravager la terre, à en rompre
les équilibres et à co-rompre dans le même mouvement l'homme en détruisant son
harmonie avec le monde.

Pourquoi le corps constitue-t-il toujours la cible ultime?


Mais pourquoi le corps? Pourquoi le corps précisément constitue-t-il sans nul
démenti toujours la cible ultime, la clé et le fil conducteur qui guide invariablement en
toutes ses étapes la marche et la mise en œuvre du déploiement de la logique funeste
d'uniformité totale du monde portée par la civilisation occidentale? Monchoachi, Martinique
Hier, ce fut avec l'ancienne religion en doublant le corps d'une âme pour le veiller et
le garder pur, à l'abri du péché censé le guetter de partout, niché dans tous les coins et
recoins de la terre; aujourd'hui, à l'âge de la technique, à l'âge de la nouvelle religion
techno-science, tous les dispositifs sont produits et orientés pour concourir à une unique
mission : la transparence totale (la pureté totale?) d'un bout de l'espace à l'autre et à tout
instant. Oui, pourquoi donc le corps de l'homme constitue-t-il l'aboutissement et le nœud
où ce dispositif trouve à s'assurer et à s'immuniser?
Car enfin, à considérer la sérieuse dégradation déjà infligée à la parole de l'homme Pearl Brunings, Suriname «Sans regret»
par le langage numérique et ses multiples prolongements encore en cours dans toutes les
sphères affectant les rapports des hommes entre eux et leurs rapports à la terre, le
bouleversement du temps et de l'espace, l'homme fragilisé à l'extrême, livré déshabillé
aux manipulations de toutes sortes, lui-même s'y prêtant et s'y engloutissant, oui, en quoi
le corps de l'homme, lui déjà en une telle perdition, constituerait-il encore un enjeu?
Il peut sembler d'une part qu'ambitionnant de figurer ce Dieu-Un qui l' a porté et
qui s'affirme Tout-Lumière : "Un homme peut-il se cacher dans des cachettes sans que moi je le voie?
" (Jérémie, 23:24), le dispositif de l'Occident trouve son couronnement et son triomphe
dans la transparence totale du corps de l'homme.
Mais il y a autre chose et d'un tout autre ordre que ce qui peut paraître relever de la
simple broderie, de la rodomontade, il y a ceci : de tous les vivants, l'homme est le seul à
2

78 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 79
«Bad Girls» «More Love»

«Send nudes»
«Bruja»

Inteken, Guyane

Ana Ivette Ortiz, Mexique

80 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 81
Ruben Makosi, Chaman, artiste plasticien
Cérémonie chamanique lundi 09 août 2021 à Matoury, Guyane

Serge Goudin-Thébia, Guyane

82 M I T A R A K A : A R T S P L A S T I Q U E S , P O É S I E , L I T T É R A T U R E D U P L A T E A U D E S G U Y A N E S , D E L A G R A N D E C A R A Ï B E E T D E L ’ A M É R I Q U E D U S U D 83
Michael Wong Loi Sing , Guyane «Songe»

Vous aimerez peut-être aussi