Textes Littéraires Et Enseignement deFLE
Textes Littéraires Et Enseignement deFLE
DIDACTIQUE DU français
Textes littéraires et Apprentissage du
français langue étrangère
16D492/1
Année 2015/2016
Claire DESPIERRES
En vertu du code de la Propriété Intellectuelle – Art. L. 335-3 : Est également un délit de contrefaçon toute
reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des
droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi.
(L. n° 94-361 du 10 mai 1994, art. 8) – Est également un délit de contrefaçon la violation de l’un des droits de
l’auteur d’un logiciel définis à l’article L. 122-6.
Les cours dispensés par le C.F.O.A.D. relèvent du présent article. Ils ne peuvent être ni reproduits ni
vendus sous quelques formes que ce soit sous peine de poursuite.
Sujet de devoir
Conclusion
ou
- envoi électronique claire.despierres@u-bourgogne.fr
Présentation du cours
L’étude du texte de théâtre peut trouver ses prolongements dans l’analyse des
représentations théâtrales, avec laquelle elle ne se confond pas. Elle constitue aussi
parfois la première étape du jeu théâtral, et inscrit l’apprentissage de la langue dans
une démarche qui s’appuie sur le travail du corps, de la voix et des émotions.
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16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
l’analyse de mise en scène qui, pour prétendre à une réelle pertinence, doit être
menée avec ses outils propres que ce cours ne permet pas de développer. La
dimension interculturelle, les notions d’histoire littéraire feront largement appel à des
recherches et une documentation personnelles, autour des œuvres de référence. De
même certaines propositions de jeu pourront être évoquées plus comme des pistes à
explorer que comme des consignes à reproduire.
Envoi n°1
L’énonciation théâtrale
Œuvres de référence : le théâtre classique. Tartuffe de Molière.
Envoi n°2
Didascalies
Pragmatique conversationnelle.
La représentation de l’oral au théâtre.
Œuvres de référence :
- le théâtre de l’absurde.
- le théâtre contemporain.
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Bibliographie
Théâtre et FLE
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16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Préambule
Tout se passe comme si, dans la tradition classique, le recours aux textes et aux
exemples littéraires faisait apparaître :
a) D’un côté, la langue à apprendre comme un corpus de règles (grammaticales)
b) De l’autre, la littérature comme un donné, un « déjà-là » incontestable,
découpable en morceaux de textes qui existent en eux-mêmes sans renvoi
nécessaire
- à une œuvre
- ou à une époque
- ni même à la personne d’un auteur ;
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Enfin, le plus souvent ces textes littéraires sont descriptifs plutôt que narratifs,
car ils sont là pour
- illustrer tel « centre d’intérêt », tel thème traité par la classe ;
- et offrir un support à l’enrichissement du vocabulaire.
Ainsi la littéraire est écartée parce que (sur)valorisée : l’accès au texte littéraire se
mérite après un long apprentissage : les progressions didactiques s’en approchent
peu à peu, mais les textes littéraires demeurent loin des sentiers battus de la
pédagogie
- on considère que le texte littéraire est un produit linguistique d’un genre
particulier : difficile, imprévisible, et loin de la langue parlée ;
- les MAV (méthode audio-visuelle) et MAO (audio-orale) en outre se sont
élaborées contre le « descriptif » décrit par Philippe Hamon : dialoguer ce n’est
pas décrire.
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- sert à écrire ou faire écrire des textes « de type littéraire » en imposant des
contraintes linguistiques particulières.
Enfin, dans ces méthodes, qui font appel au dialogue, au sketch, à la saynète, on ne
mobilise que des savoirs sociaux et une connaissance du monde censés appartenir
à l’expérience commune, normale de tout un chacun (ni exotisme ni
encyclopédisme).
Dans une telle perspective, où l’apprentissage consiste à vérifier les mécanismes au
fur et à mesure qu’on les met en place, le TL (texte littéraire) n’a pas sa place, il n’est
pas « traitable ».
C’est que le TL « par nature » sollicite et éprouve fortement la machinerie
linguistique, voire la perturbe.
Avec de telles méthodes, on n’apprend pas dans le texte, on n’apprend pas par les
textes littéraires, mais plutôt pour eux, et malgré eux.
Dans l’évolution de la place du texte littéraire dans les manuels sont ainsi mises en
jeu à la fois les méthodes d’apprentissage et les théories littéraires dominantes :
critique biographique, structuralisme, esthétique de la réception…
BENAMOU, M., (1971), Pour une nouvelle pédagogie du texte littéraire, Hachette
Larousse
BERTRAND D., PLOQUIN F. (éds.) (1998), Littérature et enseignement, la
perspective du lecteur.- Le Français dans le monde. Recherches et applications,
février/mars
BLONDEAU N. et alii. (2003), Littérature progressive du français (avec 600 activités).
Niveau intermédiaire.- Paris : Clé International.
BRIARD J., DENIS F. (1993), Didactique du texte littéraire. Paris : Nathan
CICUREL, F. (1991), Lectures interactives en langue étrangère. Paris : Hachette
Français Langue étrangère, 1990.- F/Autoformation.
COLLES, Luc et alii, Enseignement du FLES : didactique de la lecture, de la
littérature et de la culture.- Le langage et l’homme, mars 2000, vol. XXXV, n°1.
COLLES, Luc.- Les enseignements de la littérature.- Cahiers de l’ASDIFLE - Actes
des 7e rencontres, janvier 1991, n°3.
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ELA, n° 115, juil. / sept 1999 sur « Fiction littéraire et apprentissage des langues ».
GRUCA, I. (1996), « Didactique du texte littéraire : un parcours à étapes. » Le
Français dans le monde, décembre 1996, n°285, pp.56-59.
GRUCA, I. (1994), « Place et fonctions du texte littéraire dans la méthodologie
« traditionnelle » du FLE : histoire d’un couronnement ». Travaux de didactique du
français langue étrangère, 1994, n° 32, pp. 15-27.
KASSIS, P (1993). La poésie, Clé international,
NATUREL, M. (1995), Pour la littérature : de l’extrait à l’œuvre. Paris : Clé
international.
PAPO, E., BOURGAIN, D. (1989), Littérature et communication dans la classe de
langue – Une initiation à l’analyse du discours littéraire. Paris : Hatier-Credif, LAL.
PEYTARD, J. (éd.). (1982), Littérature et classe de langue, français langue
étrangère. Paris : Hatier-Crédif.
SOUCHON M., ALBERT M-C (2000), Les textes littéraires en classe de langue.-
Paris : Hachette.
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DOSSIER 1
L’énonciation théâtrale
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Dans les différents manuels sur le théâtre proposés dans la bibliographie, lire
les chapitres qui concernent la scène d’exposition.
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DOSSIER 1
Approche théorique
L’énonciation
Introduction
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Chapitre 1
La notion d’énonciation
Enonciation : nom formé sur la base du verbe énoncer à l’aide du suffixe (a)tion qui
sert à former des noms d’action : l’énonciation est donc l’acte d’énoncer.
Un acte implique quelqu’un qui l’accomplit, un agent : c’est l’énonciateur. Benveniste,
lui, emploie le terme de locuteur car l’acte accompli est un acte de parole.
Le dialogue de théâtre suppose bien : des partenaires qui échangent entre eux, dans
un lieu et à un moment donnés.
Dans le système que constitue la langue, on a un ensemble de signes, des
éléments, dont le sens et la référence dépendent de facteurs qui changent d’une
énonciation à l’autre.
Cet énoncé n’est donc pleinement accessible que par ses relations avec l’acte
d’énonciation.
Un certain nombre d’unités linguistiques présente ainsi cette propriété : leur sens ne
peut être perçu complètement que par un retour à la situation d’énonciation qui
permet d’identifier leur référent.
Les premiers éléments constitutifs d’un procès d’énonciation sont le locuteur, celui
qui énonce, et son allocutaire, celui à qui est adressé l’énoncé, on désigne parfois
ces instances du terme de co-énonciateurs afin de marquer l’implication réciproque
des deux partenaires dans l’activité de langage. Ils sont représentés dans l’énoncé
par les marques de personne je et tu et apparaissent aussi dans les formes nous et
vous.
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L’énonciateur fournit aussi des indications permettant de situer dans le temps et dans
l’espace les procès inscrits dans l’énoncé :
A Dijon et en 2009 sont des termes autodéterminés dont la référence ne change pas.
Elle est accessible en dehors de toute mise en relation avec la situation
d’énonciation. Les dates ou les noms propres de lieux sont considérés comme
appartenant à un savoir partagé (Paris renvoie pour la plupart des locuteurs à la
capitale de la France mais pour quelques américains, il s’agit d’une ville du Texas).
On parle de repérage absolu.
Par des éléments de reprise, le repérage peut s’effectuer par rapport à l’énoncé.
Dans ce pays n’est interprétable qui si on remonte à l’information donnée
précédemment au Vietnam. C’est le mode de repérage co-textuel ou anaphorique.
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Une première énonciation, celle de Marie, est rapportée à l’intérieur d’une autre
énonciation, celle de Paul. C’est ce qu’on appelle le discours rapporté.
L’énonciation littéraire
Le texte en général - et le texte littéraire comme tout autre - résulte forcément d’une
énonciation. A un moment quelqu’un s’est exprimé dans un lieu donné et s’est
adressé à quelqu’un. Mais l’énonciation littéraire n’est pas un échange linguistique
ordinaire, elle exclut le caractère symétrique et immédiat de l’interlocution à l’oral.
Le lecteur n’est pas en contact direct avec l’auteur, l’auteur est effacé et le lecteur n’a
pas de possibilité de réponse. On assiste à un dédoublement des instances
émettrice et réceptrice en même temps que l’univers de référence (lieux, moments,
personnages) est entièrement créé par le seul pouvoir des mots. Le texte ne garde
pas toujours les traces de la situation dans laquelle il a été énoncé.
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Chapitre 2
L’énonciation théâtrale.
- des personnages dialoguent entre eux. Ils échangent un message. Ils sont
tour à tour locuteur et allocutaire. On les désignera des termes d’émetteur et
récepteur intrascéniques (de intra- à l’intérieur) ou intradiégétiques. La
diégèse, c’est l’univers spatio-temporel du récit et les personnages
appartiennent bien à l’histoire racontée.
- Cette pièce, Tartuffe, a été écrite par Molière en 1669, Molière qu’on peut
appeler, en suivant Catherine Kerbrat Orecchioni, le scripteur pour bien le
distinguer de l’auteur, l’auteur en tant qu’individu particulier, c’est-à-dire une
entité physique et psychique, dotée d’une histoire personnelle, d’une famille
etc. D’ailleurs l’auteur dans ce cas précis a choisi un pseudonyme, un nom de
plume, puisque pour l’état civil il se nomme Jean-Baptiste Poquelin, ce qui
souligne cet écart entre les deux instances de l’auteur et du scripteur. Le
scripteur c’est la source énonciative du discours.
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Émetteur et récepteur
intrascéniques
Double énonciation
théâtrale
C1
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Par conséquent, si, par commodité, ce dispositif est désigné du terme de double
énonciation, ce feuilletage est bien plus complexe, ce que le schéma de C. Kerbrat
Orecchioni donne partiellement à voir.
auteur/personnage/acteur acteur/personnage/public
Communication symétrique
Actants réels
L’énonciation théâtrale
Schéma de C. Kerbrat Orrecchioni, in Le dialogue théâtral, p.237.
Trois niveaux sont pris en compte dans ce schéma, celui des acteurs en chair et
en os, celui des personnages dialoguant entre eux, et celui de l’auteur adressant
son message à son destinataire le public.
Mais on a vu précédemment que devraient être ajoutés à ce schéma :
- la distinction entre l’auteur actant réel / et le scripteur instance discursive ;
- la communication entre les acteurs et le public. Bien entendu, les acteurs
échangent entre eux mais ils communiquent aussi avec le public qui, de son
côté, leur adresse diverses formes de réponses comme des rires, des
protestations, des applaudissements ou simplement une plus ou moins grande
attention. Toutes ces manifestations sont perçues par les comédiens et
infléchissent leur jeu ;
- la communication entre le metteur en scène et les spectateurs. En effet, on ne
doit pas oublier que le metteur en scène, par sa lecture propre de l’œuvre et
par ses choix, délivre lui aussi un message à l’intention des spectateurs.
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ORGON TARTUFFE
sortant de dessous la table.
Tout conspire, Madame, à mon
Voilà, je vous l'avoue, un abominable homme! contentement
Je n'en puis revenir, et tout ceci m'assomme. J'ai visité de l'œil tout cet appartement ;
Personne ne s'y trouve; et mon âme
ELMIRE ravie...
La source énonciative de cet ensemble, c’est bien le scripteur déjà évoqué, ici
Molière.
La question du destinataire en revanche se pose de manière différente pour chacune
des deux couches :
- Les répliques sont écrites à la fois pour être lues et pour être proférées sur
scène selon le principe de la double énonciation intra- et extrascénique.
- Les didascalies en revanche sont adressées uniquement au lecteur du texte.
Elles guident celui-ci dans la construction de la représentation mentale de la
pièce. Elles lui donnent notamment des indications sur les noms des
personnages, la distribution des répliques, la rotation des tours de parole.
Elles fournissent aussi des précisions concernant les décors, costumes, les
jeux de scène, l’intonation. Leur variété et leur forme linguistique feront l’objet
d’un chapitre spécifique.
L’ensemble forme un matériau verbal stratifié dont les niveaux sont en interaction.
Pour conclure revenons en quelques mots sur cette notion de double-énonciation. Le
schéma le plus simple décrivant ce dispositif comme la superposition des deux
échanges :
- l’un, entre instances extradiégétiques : auteur /scripteur s’adressant au lecteur
/spectateur ;
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existe dans toute œuvre littéraire et devient explicite dès qu’on rencontre du
discours direct.
Émetteur et récepteur
intradiégétiques
dialogue
Double énonciation
littéraire
Les personnages d’un roman dialoguent, le poète s’adresse à la femme aimée, mais
le roman comme le poème vise ce destinataire second qu’est le lecteur.
La véritable originalité du théâtre, ce qui le différencie de manière radicale des autres
genres, c’est bien l’introduction d’une énonciation réelle, celle des acteurs, à la
fois passeurs de parole et authentiques énonciateurs.
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On peut aussi très bien imaginer une pièce tout au long de laquelle les personnages
se désignent uniquement par je et tu, ou vous, le théâtre contemporain se passe
ainsi fréquemment de la nomination. Cependant si le scripteur veut faire connaître au
spectateur le nom des personnages, il n’a guère d’autre moyen que de les placer
dans la bouche-même des personnages.
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Chapitre 3
Les échanges verbaux tels qu’on les rencontre dans le théâtre sont autant de
schématisations, de stylisations de situations de la communication ordinaire. A ce
titre, l’analyse du texte de théâtre a tout à tirer de l’éclairage que lui offrent les
perspectives ouvertes par la linguistique de l’énonciation et la pragmatique. En
retour, les linguistes puisent dans le théâtre des cas d’échanges verbaux qui leur
donnent l’occasion de mettre à l’épreuve leurs catégories descriptives.
Dans la classe de FLE, le texte de théâtre propose un véritable terrain d’exploration
de la complexité et de la variété des situations de la communication tout en rendant
celles-ci plus « lisibles » car elles participent à chaque instant de la construction d’un
sens qui n’est pas toujours aussi immédiatement saisissable dans les échanges
quotidiens.
C’est le cas notamment de ce qui concerne les différents types de double adresse ou
d’adresse multiple.
Comme nous l’avons vu en 1, le dispositif théâtral est par essence un dispositif de
double adresse, ce que Catherine Kerbrat Orrechioni décrit comme un véritable trope
communicationnel. Elle entend par trope « tous les cas de renversement de la
hiérarchie normale des destinataires, c’est-à-dire le décalage entre le destinataire
apparent (l’adressé principal) et le destinataire réel (la cible) ». Au théâtre, si le public
épie des échanges qui ne lui sont pas adressés, c’est cependant bien lui le véritable
destinataire de l’ensemble du discours dont on peut dire en ce sens qu’il fonctionne
comme un trope communicationnel.
Mais le trope communicationnel s’inscrit aussi dans les échanges intrascéniques,
entre les personnages. Et il fonctionne dans ces cas de manière beaucoup moins
floue que ce qu’on rencontre dans les échanges ordinaires, les marqueurs y sont
plus nets et le plus souvent l’interprétation de la situation ne laisse aucun doute sur
le sens de l’interaction. En effet le trope communicationnel intrascénique est un
trucage énonciatif construit à l’intention du spectateur qui jouit de sa position
surplombante et privilégiée.
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- Les participants non ratifiés (bystanders chez Goffman) sont ceux qui ne font
pas partie du groupe conversationnel, ils sont présents dans la situation
communicative mais soit
Ces distinctions renvoient à la notion de cible (celui à qui est destiné l’énoncé) et
parfois cette cible ne correspond pas à l’adressé principal, occasionnant toute sorte
de formes d’énonciation indirecte qui sont encore redoublées au théâtre puisqu’elles
sont perceptibles par le lecteur/spectateur selon le schéma de la double énonciation
théâtrale. Le trope communicationnel, on le voit, fonctionne donc à deux niveaux.
Le théâtre nous offre une multiplicité de situations et des auteurs (scripteurs) tels que
Molière ou Beaumarchais manient avec le plus grand brio ces acrobaties
communicationnelles qui font partie intégrante de leur dramaturgie.
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16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
• L’adresse au public
L’aparté (de l’italien a parte) est une sorte de monologue généralement bref produit
par un personnage qui n’est pas seul en scène mais se soustrait momentanément à
l’interaction discursive en cours. Discours que le personnage s’adresse à lui-même il
est néanmoins nécessairement perçu parfois par un autre personnage, toujours par
le lecteur / spectateur. L’aparté constitue un commentaire sur l’interaction ou fournit
des informations sur les intentions des personnages, soulignant le double-jeu et
instaurant la connivence avec le public. C’est une convention théâtrale qu’on trouve
souvent dans les comédies où les jeux de dupe et les quiproquos sont des
mécanismes dramaturgiques essentiels.
SCENE 9, Acte V
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16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
FIGARO se relève tout à fait en déguisant sa voix. - Pardon, Madame, si je n'ai pas
réfléchi que ce rendez-vous ordinaire était destiné pour la noce.
FIGARO continue. - Mais il ne sera pas dit qu'un obstacle aussi sot aura retardé nos
plaisirs.
Ainsi Harpagon, dans L’Avare de Molière, scène 7, Acte IV, en plein délire suite au
vol de son argent s’adresse-t-il directement au spectateur :
HARPAGON
Que de gens assemblés! Je ne jette mes regards sur personne qui ne me donne
des soupçons, et tout me semble mon voleur. Eh! de quoi est-ce qu'on parle là ? De
celui qui m'a dérobé? Quel bruit fait-on là-haut? Est-ce mon voleur qui y est ? De
grâce, si l'on sait des nouvelles de mon voleur, je supplie que l'on m'en dise. N'est-il
point caché là parmi vous ? Ils me regardent tous, et se mettent à rire. Vous verrez
qu'ils ont part sans doute au vol que l'on m'a fait. Allons vite, des commissaires, des
archers, des prévôts, des juges, des gênes, des potences et des bourreaux. Je veux
faire pendre tout le monde; et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai moi-même
après.
• Le monologue
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AUGUSTE
Pour elles rien n'est sûr; qui peut tout doit tout craindre.
[…].
[…]
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16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Applications
Molière est notre plus célèbre dramaturge français, ses œuvres sont connues,
traduites et jouées partout dans le monde ; c’est en quelque sorte un pilier de
la culture française, dont tout apprenant de FLE a au moins vaguement
entendu parler ;
Le texte n’en reste pas moins difficile, la langue du XVIIe est éloignée de la
nôtre et nombre de références culturelles nous échappent non seulement pour
des raisons diachroniques (variation dans le temps), mais aussi pour les
apprenants, diatopiques (éloignement géographique), diaphasiques (question
de style, il s’agir ici d’une pièce en vers).
Pour les étudiants qui ne sont pas des francophones natifs, vous pouvez lire la pièce
en vous aidant d’une traduction dans votre langue maternelle si nécessaire. Je vous
joins aussi un résumé de la pièce qui vous aidera à en avoir une vision synthétique.
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16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Molière.
A retenir
(1622-1673)
Fils d’un tapissier, Molière fait ses études chez les jésuites avant
d’aller étudier le droit à Orléans.
Avec Madeleine Béjart, il crée l’Illustre-Théâtre qui est un échec en raison de dettes
(en août 1645, Molière est même emprisonné). Cette même année, il quitte Paris
pour la province. Il y restera treize ans.
En 1658, il revient à Paris pour jouer Nicomède et Le Dépit amoureux devant le roi.
C’est la pièce Les Précieuses ridicules (1659) qui lui apporte la célébrité. Molière
obtient du roi la salle du Petit-Bourbon puis celle du Palais-Royal (à partir de 1660)
où il remporte de nombreux succès en tant qu’auteur, acteur et directeur de troupe.
Tartuffe, jouée pour la première fois en 1664 à Versailles, pièce dans laquelle il
critique l’hypocrisie des faux dévots, fait scandale. La pièce est interdite par le roi
sous la pression des dévots qui se sentent visés.
En 1665, Dom Juan suscite également des remous. Malgré son succès, la pièce est
retirée.
Molière continue cependant de bénéficier de la faveur du roi.
Épuisé par le travail et la maladie (il est phtisique), Molière meurt le 17 février 1673
après la quatrième représentation du Malade imaginaire (il jouait le rôle d’Argan).
Source : http://www.etudes-litteraires.com/moliere.php#ixzz1bWBKdSZJ
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16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Résumer Tartuffe 1
Scène 1 : Orgon annonce à Mariane qu'il lui destine Tartuffe comme époux.
Stupeur indignée de Mariane, qui aime Valère.
Scène 2 : Dorine tente en vain de faire revenir Orgon sur sa décision.
Scène 3 : Avec une feinte rudesse, Dorine réconforte la trop docile Mariane et
l'exhorte à la résistance.
Scène 4 : Scène de dépit amoureux entre Mariane et Valère. Mais Dorine
réconcilie de force les deux amants.
ACTE III : L’imposteur triomphe
1
Extrait du dossier pédagogique en ligne.
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16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Scène 1 : Resté seul avec Cléante, Orgon confesse qu'il a remis à Tartuffe
une cassette, contenant des papiers compromettants confiés par un ami
proscrit.
Scène 2 : Furieux, Damis veut châtier l'imposteur.
Scène 3 : Seule, Mme Pernelle se refuse encore à croire Tartuffe coupable.
Scène 4 : M. Loyal, huissier, signifie à Orgon l'ordre d'expulsion.
Scènes 5 et 6 : Mme Pernelle, enfin désabusée. Valère veut aider Orgon à fuir
pour échapper à la justice du Roi.
Scène 7 : Tartuffe se présente avec un exempt pour faire arrêter Orgon. Mais
-coup de théâtre-, c'est Tartuffe que l'exempt arrête : le roi a démasqué
l'imposteur et pardonne à Orgon en raison d'anciens services rendus sous la
Fronde. Grâce au prince "ennemi de la fraude”, Mariane épousera Valère.
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16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Application 1
Voyons ensemble comment Molière a résolu ce problème dans Tartuffe. Pour cela
suivez avec attention le début de cette première scène en gardant en tête notre
première question : qui parle à qui ?
Consignes
PERSONNAGES
ACTE PREMIER
SCENE I
Mme PERNELLE, mère d'Orgon.
ELMIRE, femme d'Orgon.
DAMIS, fils d'Orgon.
MARIANE, fille d'Orgon et amante de
Valère.
CLEANTE, beau-frère d'Orgon.
DORINE, suivante de Mariane.
FLIPOTE, servante de Mme Pemelle.
ORGON, mari d'Elmire.
TARTUFFE, faux dévot.
UN EXEMPT
M LOYAL, sergent.
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16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
relation avec celles données dans la didascalie initiale (à laquelle n’a accès
que le lecteur).
4) Que peut-on imaginer quant à l’intrigue qui va être déployée dans la pièce ?
en quoi cette scène remplit-elle la fonction de la scène d’exposition ?
ACTE PREMIER
SCENE I
MADAME PERNELLE
ELMIRE
MADAME PERNELLE
ELMIRE
MADAME PERNELLE
DORINE
Si...
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16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
MADAME PERNELLE
DAMIS
Mais...
MADAME PERNELLE
MARIANE
Je crois...
MADAME PERNELLE
Mais il n'est, comme on dit, pire eau que l'eau qui dort,
ELMIRE
Mais, ma mère...
MADAME PERNELLE
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16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
CLEANTE
MADAME PERNELLE
DAMIS
MADAME PERNELLE
DAMIS
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16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Application 2
Consigne : dans cet extrait de la scène de l’acte 4, relevez ce qui réfère à l’espace.
ELMIRE
Approchons cette table, et vous mettez dessous.
ORGON
Comment ?
ELMIRE
Vous bien cacher est un point nécessaire.
ORGON
Pourquoi sous cette table ?
ELMIRE
Ah, mon Dieu! laissez faire :
J'ai mon dessein en tête, et vous en jugerez.
Mettez-vous là, vous dis-je; et quand vous y serez,
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16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Application 3
Il s’agit d’une mise en scène récente et intéressante par les choix radicaux
opérés par Stéphane Braunschweig, choix à propos desquels il s’est exprimé.
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16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Eléments de corrigé
Application 1
1) Tous les personnages indiqués dans la didascalie initiale sont présents sur le
plateau dès la première scène sauf deux : Tartuffe et Orgon. Cependant ils
sont bien présents comme objets du discours de tous les autres et ils
constituent le sujet même de la crise sur laquelle s’ouvre la pièce.
2) Flipote, / Ma bru, / Ma mère, / Ma mie, / Mon fils, /Moi […] qui suis votre
grand’mère, / Sa sœur, / Ma mère, / Ma bru, / Ma bru, / Madame, / Monsieur
son frère
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16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Les deux répliques suivantes exposent les liens entre Madame Pernelle et Elmire :
ma bru / ma mère (l’appellatif mère qui est employé aussi pour belle-mère qu’on
trouverait en français moderne)
Puis on est informé du statut social de Dorine : fille suivante
Ensuite Madame Pernelle coupe la parole à Damis, et sa réplique multiplie les
marques de lien de parenté.
C’est d’abord mon fils / moi qui suis votre grand-mère / et quand elle introduit un
personnage absent, c’est encore en indiquant sa place dans la généalogie familiale:
mon fils votre père. (Attention mon fils est employé tour à tour pour interpeller le petit-
fils puis désigner le fils Orgon)
Puis c’est une adresse à Mariane, qui tente de prendre la parole, désignée
obliquement par l’appellatif, sa sœur, vous faites la discrète (donc Mariane est la
sœur de Damis) on remarque au passage que sa sœur implique que madame
Pernelle ne s’adresse directement à Mariane qu’après l’avoir désignée.
Elle se tourne à nouveau vers Elmire, on retrouve l’échange ma mère / Ma bru. Dans
la réplique Le syntagme leur défunte mère précise aussi qu’Elmire n’est pas la mère
biologique de Mariane et de Damis, ce qui n’est pas sans importance pour l’action
dramatique.
Puis la parole circule entre une nouvelle paire d’interlocuteurs : Madame Pernelle qui
est prise à parti par Cléante : mais Madame.
Elle lui répond en usant à nouveau d’un procédé indirect monsieur son frère :
Cléante est donc le frère d’Elmire, elle-même bru de madame Pernelle.
Et s’il en est encore besoin, madame Pernelle précise : Si j’étais de mon fils son
épous (c’est-à dire si j’étais Elmire qui est bien l’épouse du fils de madame Pernelle,
Orgon).
Un peu plus loin la réplique de Damis introduit un autre personnage, un personnage
absent, celui-là, de la situation d’énonciation, le seul qui soit doté d’un nom propre,
et pour cause : il est le seul à ne pas appartenir à la famille, ce qui est essentiel sur
le plan dramatique puisqu’il sera question d’argent, de mariage et d’héritage
détourné. C’est aussi le personnage qui donne son titre à la pièce : Tartuffe.
Et finalement c’est madame Pernelle qui établit le lien entre Orgon, Tartuffe, et tous
les protagonistes : mon fils à l’aimer vous devrait tous induire.
C’est une véritable gageure que de parvenir à nous faire saisir en quelques minutes
et sans qu’on y sente l’artifice la complexité des liens entre tous ces protagonistes.
D’ailleurs est ce que ce n’est pas autre chose qui se joue là ? on perçoit un contraste
entre l’énoncé du nom propre Tartuffe et cette forme d’évitement pour les autres
personnages. Le fait est qu’on ne connaît toujours aucun nom de ces protagonistes,
à la place, on a cette surenchère d’appellatifs, parfois obliques et quelque peu
obscurs :
Flipote, / Ma bru, / Ma mère, / Ma mie, / Mon fils, /Moi […] qui suis votre
grand’mère, / Sa sœur, / Ma mère, / Ma bru, / Ma bru, / Madame, / Monsieur son
frère
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16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Cette surenchère nous signale que la portée de ces marqueurs dépasse largement
l’aspect strictement informatif.
Toujours est-il qu’après quelques minutes (ou quelques pages de texte) les
personnages n’éprouvent plus la nécessité de s’apostropher à chaque réplique, les
apostrophes disparaissent presque totalement, l’identification est considérée comme
acquise et l’échange est consacré à l’explicitation de la situation et au nœud de
l’action dramatique.
La construction textuelle de cette scène remplit ainsi une fonction référentielle et
répond à la question que se pose le spectateur : qui parle ? à qui ?
On constate combien cette construction discursive est éloignée de la conversation
ordinaire. Le scripteur recourt à des artifices mais grâce à sa maîtrise de l’art et à la
coopération du spectateur qui accepte cette « stylisation », cet apport d’information
n’empêche pas la scène de fonctionner sur le plan dramatique.
4. La pièce ouvre sur une crise familiale aiguë. C’est l’arrivée de Tartuffe au sein
de la maison qui déclenche le désordre et le conflit entre tous ses membres,
seule Madame Pernelle, personnage de faible importance par ailleurs, prend
le parti d’Orgon qui a introduit Tartuffe chez lui. La question qui se pose
immédiatement est donc : comment les protagonistes vont-ils agir, les uns
pour se débarrasser de l’intrus, les autres - Orgon, Tartuffe lui-même- pour
imposer sa présence et son influence.
Application 2
Aucune indication scénique sous forme de didascalie dans ce passage mais les
répliques elles-mêmes fournissent des indications très précises par :
Les verbes de mouvement qui indiquent les déplacements à effectuer : approchons /
mettez / mettez-vous là
Les compléments de lieu : cette table / dessous / sous cette table / là
Ils renvoient à la situation d’énonciation et sont donc déictiques ; cette table, c’est la
table qu’Elmire montre à Orgon, l’adverbe là renvoie aussi à un endroit montré
(indice d’ostension) par le locuteur.
Le texte de théâtre peut ainsi désigner des lieux qui appartiennent à la situation
d’énonciation (intrascéniques) mais il peut aussi évoquer le hors scène, par exemple
dans les récits d’événements rapportés par des personnages.
Application 3
Le metteur en scène s’explique dans ses notes sur le choix qu’il a fait de situer
l’action à l’époque actuelle, sur le sens à accorder au décor et à la construction de
l’espace. Ces éléments de scénographie sont l’expression d’une vision
dramaturgique de la pièce décrite dans la note d’intention reproduite ci-dessous.
Vous pouvez comparer vos fiches décor et costumes avec les notes du metteur en
scène et mieux comprendre ses intentions. Peut-être vous-même avez-vous une
autre interprétation de cette pièce. Pour découvrir d’autres visions, comme celle
d’Ariane Mnouchkine par exemple, qui décide de faire de Tartuffe un intégriste
islamiste, reportez-vous au dossier en ligne.
Toute mise en scène peut ainsi susciter un débat surtout si les partis-pris sont très
accentués.
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16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Tartuffe est une pièce où on sent que tout est déjà traversé par un passé, un passif.
On peut bien sûr prendre la pièce dans son abstraction, mais on peut aussi essayer
de voyager dans ce qui traverse les personnages et ce pourquoi ils en sont arrivés
là. C'est une pièce qui commence dans la crise.
Est-ce que la crise de Madame Pernelle est démesurée par rapport à la situation ?
En tout cas elle recouvre quelque chose de paradoxal : alors qu’elle dit que rien ne
va plus, Orgon arrive en déclarant au contraire que tout va bien depuis que Tartuffe
est là. La pièce est l’histoire de quelqu’un qui pense aller très bien sous l’emprise de
Tartuffe, mais qui a en lui une faille que la pièce va ouvrir. La question est alors de
savoir de quelle nature est cette faille, comment elle a été comblée avant, ce qui l’a
causée, etc. Même si tous les personnages jouent un rôle déterminant, pour moi le
personnage principal est Orgon ; je tourne autour de la maladie d’Orgon, des
symptômes d’Orgon. Il faut arriver à se raconter ce qui s’est passé avant dans sa
famille. Si on se raconte que sa première femme, celle qui plaisait à Mme Pernelle,
était une sorte de bigote, qu’il ne devait pas avoir une relation très épanouie
sexuellement avec elle, et que devenu veuf il a choisi en Elmire une jeune femme
avec un côté joyeux, sensuel, et que là tout d’un coup il est sous une emprise
sexuelle, on peut penser que c’est ça qui déclenche la crise. Sur la base d’une peur
du sexe, d’une culpabilité qui lui est liée. Il faut bien que le discours de Tartuffe – qui
dit tout le temps que le sexe est la chose la plus horrible du monde – trouve une
prise chez Orgon.
(…)
Molière n’écrit qu’avec ce qu’il est, ce qu’il vit. C'est partout. Par exemple la question
de la jalousie qui est un thème central chez lui, n’apparaît pas au premier abord dans
Tartuffe. Mais quand on plonge dans la pièce on s’aperçoit que c'est là tout le
temps… C'est comme une donnée de base de la relation d’Orgon à sa femme.
Molière jouait Orgon avec la matière d’Alceste. Les personnages ne sont pas les
mêmes, ils n’ont pas la même histoire socialement mais il y a un fond d’être
commun. Il les jouait comiques, c'était une manière de mettre en jeu ses propres
affects en les démontant et en les ridiculisant. Je pense que jouer avait pour lui une
fonction thérapeutique. Le monde a évolué, les mœurs évoluent, la morale aussi,
mais la peur de l’amour, la peur de ne pas être aimé, le désir de sauver l’autre, les
situations d’emprise, ce sont comme des invariants de la condition humaine
moderne. Et là, Molière, sous l’apparence de la légèreté et parfois de la convention,
est d’une profondeur inouïe. En travaillant hier la scène de la dispute de Valère et
Marianne, qui m’avait toujours paru la scène la plus conventionnelle de la pièce, il
apparaît une réalité et une profondeur des sentiments amoureux tout à fait
étonnante. Le roman est ce qui me motive actuellement dans mon travail de metteur
en scène, mais c’est aussi le moyen de décaper la pièce du leurre de ses formes. De
ses conventions.
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regarder ça de façon plus politique, il faudrait plutôt aller voir du côté de Sainte
Jeanne des abattoirs, par exemple… Parce que là, la problématique est prise dans
l’intimité de Molière – c'est comme ça que je le vois. La religion est l’endroit où la
maladie d’Orgon trouve une échappatoire, c'est le couvercle qu’on met sur la
marmite.
Ce dont je parle en abordant le thème religieux à travers Brand, Mesure pour mesure
ou Peer Gynt, c’est toujours d’un certain rapport à la culpabilité, à la souillure. Le
monde dans lequel on vit – c'est un peu banal de le dire mais c'est quand même
aussi une réalité – est un monde hyper matérialiste et qui touchant le fond de ce
matérialisme rebondit sur un besoin de spiritualité énorme. Pour moi l’un est
absolument l’envers de l’autre, de même que le cynisme est l’envers de l’idéalisme.
Le besoin de spiritualité est la face cachée du matérialisme.
(…) Nous nous étions dit une fois que Molière vivait dans un profond scepticisme, et
que ce qui le protégeait du cynisme c’était une foi dans le théâtre – là j’emploie un
mot religieux parce qu’il n’y en a pas d’autre. Croire que le théâtre permet de
produire du sens ou de survivre à un monde sans dieu. Et peut produire aussi ce qui
résiste aux certitudes. Je me sens proche de ça. La façon dont Molière tire sur tout
ce qui croit, ça me convient, je me sens en famille. Pas tellement avec ses
problématiques de jalousie mais avec les problématiques liées à la foi, au théâtre, au
sens de ce qui se joue par le théâtre, à la mise en jeu de l’intime et à la question de
l’amour comme une chose centrale – là, je me sens en famille.
Le sol est un plancher trapézoïdal, en perspective selon les lignes de fuite des
murs latéraux ; son aspect est « pauvre », comme un plancher qu’on pourrait
trouver dans une église ou un couvent : planches de bois gris clair, aucun
cirage.
Les murs, blancs, plâtreux, s’élèvent à 5 m, et tout l’espace est recouvert d’un
plafond blanc.
Dans la partie haute, une rangée de petites fenêtres avec des grilles permet à
la lumière extérieure de rentrer dans la pièce. En revanche, personne ne peut
regarder par les fenêtres, donc le monde extérieur est en quelque sorte
condamné, tandis que le « ciel » pèse sur tous.
Dans la partie basse des murs, deux ouvertures dans les murs latéraux
laissent deviner un couloir qui longe le mur du fond. Dans celui-ci, deux petites
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portes en bois comme des portes de cellule sont situées dans la partie Jardin,
donnant accès aux chambres de Marianne et Damis. De l’autre côté, une
porte identique ouvre sur la chambre de Dorine.
Dans le mur latéral Cour, une double porte donne accès à la chambre de
Tartuffe. Dans le mur latéral Jardin, une porte à un seul battant et qu’on
devine blindée donne sur l’extérieur.
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Nous allons appliquer à ces trois scènes les outils d’analyse décrivant les
mécanismes de double adresse.
Ces trois scènes comportent quelques didascalies mettant en place la situation mais
le texte lui-même crée une tension « vers la scène » et possède sa force
dramaturgique qui fait que tout lecteur projette sa propre mise en scène.
Application 1
Identifier les systèmes d’adresses emboîtées dans Tartuffe, extraits des scènes 4 et
5 de l’acte IV
Tartuffe, lors de la scène 3 de l’acte III, a fait des propositions sans ambiguïté à
Elmire. Ainsi il s’est révélé non seulement qu’il manœuvre pour spolier la famille de
ses biens mais qu’il veut trahir Orgon en devenant l’amant de sa propre femme.
Orgon dans sa passion aveugle refuse de croire ce que lui en dit Damis qui a surpris
la scène entre Elmire et Tartuffe, même quand Elmire, passant outre sa pudeur et sa
discrétion le confirme. Elle lui propose donc un stratagème pour confondre Tartuffe.
Consignes
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SCENE IV
ELMIRE, ORGON
ELMIRE
ORGON
Comment ?
ELMIRE
ORGON
ELMIRE
ORGON
ELMIRE
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SCENE V
TARTUFFE
[…]
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ELMIRE
TARTUFFE
ELMIRE
TARTUFFE
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ELMIRE
SCENE VI
ORGON, ELMIRE
ORGON
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Eléments de corrigé
- l’interaction entre Elmire et Tartuffe, Elmire s’attachant par ses propos, à gagner la
confiance de Tartuffe pour l’amener à se dévoiler ;
- Orgon est donc le destinataire principal des propos d’Elmire, bien qu’il soit un
récepteur caché et apparemment non adressé,
- C’est un épieur pour la situation telle que la vit Tartuffe mais un destinataire ratifié
pour Elmire.
2. La toux est un signal qu’Elmire adresse à Orgon, trouvant que la situation est allée
assez loin, mais sera interprétée comme symptôme d’un rhume par Tartuffe. Bien
que Tartuffe ait incontestablement fait montre non seulement de ses avances vis-à-
vis d’Elmire mais aussi de son vice moral et de son mépris de la religion, Orgon ne
se manifeste toujours pas, plaçant Elmire dans une situation critique.
Conclusion
Ce premier dossier s’est donné pour objectif de vous familiariser avec les codes de
l’énonciation théâtrale, leur complexité mais aussi leur richesse sur le plan
sémiotique et communicationnel.
Vous trouverez ci-dessous un exercice (corrigé) qui porte sur la mise en œuvre de
ces notions : l’analyse du mécanisme énonciatif du Prologue d’Antigone d’Anouilh.
Je vous encourage à le faire avant de lire la proposition de corrigé.
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Le pronom on
Les grammaires classent on soit parmi les indéfinis, soit parmi les pronoms
personnels selon qu’elles prennent en compte son sémantisme (indéterminé) ou sa
syntaxe (on fonctionne comme il).
- Pour le sens on est bien un indéfini. C’est à l’origine « homo » tout homme,
n’importe qui, tout le monde, les gens, tout sujet à la condition qu’il soit indéfini.
On a sonné : on est bien l’équivalent de quelqu’un et dans les énoncés au présent,
on peut prendre une extension très générale, désignant l’ensemble des sujets
possibles. C’est le on des sentences et des maximes et le on du sens commun.
- Sur le plan syntaxique, on suit le fonctionnement du pronom personnel il. Il est
toujours sujet, et se trouve remplacé dans les autres fonctions, dans les énoncés
généralisants par un indéfini (quelqu’un, personne) ou par vous (on n’est pas
encouragé /on ne vous encourage pas).
Il ne peut être séparé du verbe que par une négation faible (ne) et ne peut être le
support d’une expansion (d’un complément, d’une épithète détachée ou d’une
relative) comme un pronom disjoint ( lui qui…) ou indéfini (rien de nouveau).
On peut se substituer pratiquement à toutes les personnes.
On pour je (par ex dans un écrit scientifique)
On pour la seconde personne tu ou vous dans les énoncés hypocoristiques (alors,
on a encore oublié ses affaires)
On pour la première personne amplifiée pluriel nous inclusif ou exclusif (on est en
retard)
On pour la troisième personne (en haut lieu, on espère qu’un accord sera trouvé)
Dans ces deux derniers cas on équivaut à un pronom personnel pluriel, plus ou
moins indéterminé (généralité indécise du on selon Benveniste) mais il n’est jamais
anaphorique du il singulier.
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