[go: up one dir, main page]

0% ont trouvé ce document utile (0 vote)
120 vues51 pages

Textes Littéraires Et Enseignement deFLE

Ce document présente un cours sur l'utilisation de textes littéraires, en particulier de théâtre, dans l'enseignement du français langue étrangère. Le cours est organisé en quatre dossiers abordant différents aspects du texte théâtral, avec des parties théoriques et des applications. L'évaluation prend la forme d'un examen final d'analyse d'un extrait et de propositions pédagogiques.
Copyright
© © All Rights Reserved
Nous prenons très au sérieux les droits relatifs au contenu. Si vous pensez qu’il s’agit de votre contenu, signalez une atteinte au droit d’auteur ici.
Formats disponibles
Téléchargez aux formats PDF, TXT ou lisez en ligne sur Scribd
0% ont trouvé ce document utile (0 vote)
120 vues51 pages

Textes Littéraires Et Enseignement deFLE

Ce document présente un cours sur l'utilisation de textes littéraires, en particulier de théâtre, dans l'enseignement du français langue étrangère. Le cours est organisé en quatre dossiers abordant différents aspects du texte théâtral, avec des parties théoriques et des applications. L'évaluation prend la forme d'un examen final d'analyse d'un extrait et de propositions pédagogiques.
Copyright
© © All Rights Reserved
Nous prenons très au sérieux les droits relatifs au contenu. Si vous pensez qu’il s’agit de votre contenu, signalez une atteinte au droit d’auteur ici.
Formats disponibles
Téléchargez aux formats PDF, TXT ou lisez en ligne sur Scribd
Vous êtes sur la page 1/ 51

Master 1

DIDACTIQUE DU français
Textes littéraires et Apprentissage du
français langue étrangère

16D492/1

Année 2015/2016

Claire DESPIERRES

En vertu du code de la Propriété Intellectuelle – Art. L. 335-3 : Est également un délit de contrefaçon toute
reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des
droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi.
(L. n° 94-361 du 10 mai 1994, art. 8) – Est également un délit de contrefaçon la violation de l’un des droits de
l’auteur d’un logiciel définis à l’article L. 122-6.
Les cours dispensés par le C.F.O.A.D. relèvent du présent article. Ils ne peuvent être ni reproduits ni
vendus sous quelques formes que ce soit sous peine de poursuite.

PSIUN 4, bd Gabriel - BP 17270 - 21072 DIJON CEDEX


AIDE-numérique Tél. (33) 03.80.39.50.91
CFOAD - Appui-cours e-mail: appui-cours-cfoad@u-bourgogne.fr
CALENDRIER 2015/2016

16D492 : TEXTES LITTÉRAIRES ET APPRENTISSAGE DU FRANÇAIS

Enseignante : Claire DESPIERRES

Dates 1) Contenus et activités des envois 2) Si devoir (s) dates


Des envois retour à l'enseignant
(cours, TD, devoir, corrigé)

21 octobre 2015 L’énonciation théâtrale

20 janvier 2016 Didascalies Retour du devoir au


plus tard le 27 février
Pragmatique conversationnelle

La représentation de l’oral au théâtre

Sujet de devoir

06 avril 2016 Corrigé du devoir

Conclusion

Adresse mail : claire.despierres@u-bourgogne.fr

Envoi des devoirs par les étudiants,

- envoi papier à l’attention de Claire Despierres.


CFOAD-AIDE numérique- 4, boulevard Gabriel, BP 17270 – 21072 DIJON

ou
- envoi électronique claire.despierres@u-bourgogne.fr

Permanence téléphonique : sur rendez-vous pris par mail:

Rappel Modalités d'Examen : Ecrit de 2 heures


16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Présentation du cours

Le choix du texte de théâtre


La littérature est à la fois un mode spécifique de communication et un outil de
réflexion sur la communication, ce qui lui donne une place légitime dans
l’enseignement d’une langue étrangère. Elle exacerbe la question de la relation de la
forme et du sens et met en jeu toutes les possibilités de la langue, grossissant les
faits par un effet de loupe qui leur donne une visibilité nouvelle et accrue.
Le théâtre occupe une place à part dans la création littéraire : le dialogue théâtral en
effet est fondé sur la feintise, le simulacre d’échanges communicationnels réels tout
en étant perçu pour sa valeur esthétique. L’énoncé théâtral est aussi une parole
active, chaque réplique produit des effets et vient modifier l’univers théâtral.
Il ne s’accomplit véritablement que lors de la représentation et comporte en lui « la
tension et le mouvement qui le projettent vers la scène à venir » (Ryngaert, 2008, 2).
Il pose plus que tout autre texte littéraire la question de la place du lecteur, invité à
construire sa propre mise en scène virtuelle. Il offre ainsi un potentiel sémiotique qui
lui confère une richesse illimitée dans une classe de langue étrangère.

L’étude du texte de théâtre peut trouver ses prolongements dans l’analyse des
représentations théâtrales, avec laquelle elle ne se confond pas. Elle constitue aussi
parfois la première étape du jeu théâtral, et inscrit l’apprentissage de la langue dans
une démarche qui s’appuie sur le travail du corps, de la voix et des émotions.

Objectifs et organisation du cours

Cours théorique et applications

Le cours comporte 2 volumes et est organisé en 4 dossiers qui abordent chacun un


aspect du texte théâtral. Chaque dossier comporte une partie de cours théorique et
un certain nombre d’applications portant sur des textes et / ou des captations vidéo
de spectacles.
Ces cours et ces applications s’adressent à des étudiants de Master de didactique
(et non à des apprenants de FLE). Les cours sont destinés à donner des outils
solides, notamment linguistiques, pour aborder les textes de théâtre. Les applications
servent à mettre en œuvre ces notions afin d’en acquérir une certaine maîtrise. En
effet seule une réelle familiarité avec un minimum d’outils d’analyse peut permettre
de construire des séquences didactiques mettant au jour la richesse des textes qui
pourra être perçue par les apprenants, quel que soit leur niveau, grâce à l’élaboration
de tâches adaptées.
Les applications apportent néanmoins aussi une ouverture sur d’autres perspectives
qui ne sont pas étudiées de manière progressive et rigoureuse, comme par exemple

1
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

l’analyse de mise en scène qui, pour prétendre à une réelle pertinence, doit être
menée avec ses outils propres que ce cours ne permet pas de développer. La
dimension interculturelle, les notions d’histoire littéraire feront largement appel à des
recherches et une documentation personnelles, autour des œuvres de référence. De
même certaines propositions de jeu pourront être évoquées plus comme des pistes à
explorer que comme des consignes à reproduire.

Vous ne trouverez pas dans ce cours de « recettes didactiques » prêtes à l’emploi


mais en développant votre capacité d’analyse et la richesse de votre réception,
j’espère que votre propre appropriation des textes de théâtre vous guidera vers
l’élaboration de séquences pleines de créativité et d’action(s).

Evaluation : examen final

La validation de ce cours se présente sous la forme d’un examen final de deux


heures :
- analyse d’un point particulier en lien avec le cours d’un extrait de pièce de théâtre
- pistes d’exploitation didactiques du passage dans une classe de FLE.

Un devoir facultatif sera proposé avec l’envoi 2. Je vous recommande vivement de


profiter de cette occasion de vous entraîner et de faire le point sur vos
connaissances.

Envoi n°1
L’énonciation théâtrale
Œuvres de référence : le théâtre classique. Tartuffe de Molière.

Envoi n°2
Didascalies
Pragmatique conversationnelle.
La représentation de l’oral au théâtre.

Œuvres de référence :
- le théâtre de l’absurde.
- le théâtre contemporain.

2
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Bibliographie

Je vous recommande de vous procurer un des deux ouvrages en gras.


Sur le théâtre

BIET C. ET TRIAU C., (2006) Qu’est-ce que le théâtre ? Gallimard Folio.


BONNABEL A.-M, MILHAUD M.-L., (2000), A la découverte du théâtre, Ellipses.
HUBERT M.-C., (2008), Le théâtre, Cursus, rééd. A. Colin.
PRUNER M., (2010), L’analyse du texte de théâtre, rééd. A. Colin.
RULLIER-THEURET FR., (2003), Le texte de théâtre, Hachette sup., coll.
Ancrages.
RYNGAERT J.-P, (2008) Introduction à l’analyse du théâtre, rééd A. Colin.
RYNGAERT J.-P., (2011), Lire le théâtre contemporain, rééd. A. Colin.
UBERSFELD A., (1996), Les termes clés de l’analyse du théâtre, rééd Seuil.
UBERSFELD A., (1996), Lire le théâtre, Tomes I, II et III, rééd. Belin Sup.

Théâtre et FLE

ALIX Ch., LAGORGETTE D. et ROLLINAT LEVASSEUR È.-M. (dir.), Didactique du


Français Rollinat-Levasseur Langue Étrangère par la pratique théâtrale, Université
de Savoie, collection « Langages », 2013.
CORMANSKI, A. (2005). Techniques dramatiques : activités d’expression orale.
Paris : Hachette Français Langue Etrangère.
DEGERT, A. (2000). « Pratique du théâtre en classe de FLE ». Travaux de
didactique du français langue étrangère, n°43-44, pp. 55-65.
DUTERNE, N. (1997). « L’expressivité et la relation au corps : Pratique théâtrale et
didactique du FLE ». Travaux de didactique du français langue étrangère, n°38, pp.
171-177.
MEGEVAND, M. (2001). « Le plaisir du texte théâtral ». Le français dans le monde,
n°316, pp. 39-40.
PAGE, C. (2001). Eduquer par le jeu dramatique : pratique théâtrale et éducation.
Paris : ESF.
PAYET A., (2010) .Activités théâtrales en classe de langue, Clé International.
PIERRA, G. (2001). Une esthétique théâtrale en langue étrangère. Paris :
L’Harmattan.
2006). Le corps, la voix, le texte. Paris : L’Harmattan.
(2007) Une esthétique théâtrale en langue étrangère. Paris : L’Harmattan.
POINTECOUTEAU, M. (2003). « Travailler le texte en le revivant. » Le français dans
le monde, n°329, pp. 54-55.. RESSICO, S. (2006). L’Europe et les langues par le
théâtre. Le français dans le monde, n°337, pp. 39-40.
ROLLAND, D. (1999). « A l’école du théâtre ». Le français dans le monde, n°305, pp.
55-70.
THIEBAUT, N. (1997). « La pratique théâtrale : Une méthode en faveur de
l’expression subjective de l’apprenant : Pratique théâtrale et didactique du FLE ».
Travaux de didactique du français langue étrangère, n°38, pp. 229 234.
VIELMAS, M., (1990), A haute voix. Paris : Clé international.

3
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Préambule

Textes littéraires et apprentissage du FLE : un rapide


panorama de la question.
La place de la littérature et du texte littéraire a varié suivant les époques, suivant les
objectifs et les méthodologies d’enseignement et suivant l’évolution des approches
critiques de la littérature elle-même.
Elle occupait une place centrale pendant une longue période pour n’être plus utilisée
que comme un réservoir comme un autre de documents de langue au même titre
que les recettes de cuisine ou les petites annonces.

L’approche classique, jusque dans les années 80


(cf. Jean Peytard, et Mireille Naturel)
C’était l’époque de la grandeur du texte littéraire ; elle se manifestait par l’existence
dans les méthodes d’un 4ème volume entièrement consacré à la littérature ; les trois
premiers niveaux correspondant à l’apprentissage de la langue (débutant, moyen,
avancé).
• Années 60 : la vision de la littérature à la fois diachronique et panoramique est
dominée par l’importance de l’auteur (cf. Mauger bleu). Avec l’étude de la
littérature française, on « entre en contact avec un des civilisations les plus riches
du monde moderne », on « cultive » son esprit ; on devient une « personne
distinguée » (Mauger 53) ; celle-ci remplit une visée édificatrice et civilisatrice.
• Années 70 : L’évolution se caractérise par l’importance accordée désormais au
texte. La vision est restreinte aux seuls auteurs contemporains, par souci de
modernité : la littérature permet d’échapper aux contraintes de « civilisation » en
intégrant un chapitre « pour lire et pour rêver » ; c’est aussi l’occasion d’une
ouverture à la francophonie.
• Années 80 : Certaines méthodes mettent en place une véritable approche
pédagogique des textes littéraires. Par exemple La France en direct (69-80)
propose le texte littéraire en prenant en compte son niveau de difficulté et guide
l’étude de son fonctionnement, de ses différents niveaux de signification. De
nouvelles pistes sont ouvertes pour passer du texte court à l’œuvre complète ou
travailler sur des regroupements thématiques.

Tout se passe comme si, dans la tradition classique, le recours aux textes et aux
exemples littéraires faisait apparaître :
a) D’un côté, la langue à apprendre comme un corpus de règles (grammaticales)
b) De l’autre, la littérature comme un donné, un « déjà-là » incontestable,
découpable en morceaux de textes qui existent en eux-mêmes sans renvoi
nécessaire
- à une œuvre
- ou à une époque
- ni même à la personne d’un auteur ;

4
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Cette littérature de pages choisies n’est pas prétexte à lectures plurielles, à


interprétations multiples : tout comme il y a la « bonne » traduction, même si la
tradition classique y voit une part de « je ne sais quoi », de talent non réductible à
la connaissance de la grammaire ou au jeu de la rhétorique, il y a un sens juste,
accessible par la langue et susceptible d’être rendu, au plus près dans une autre
langue.

Enfin, le plus souvent ces textes littéraires sont descriptifs plutôt que narratifs,
car ils sont là pour
- illustrer tel « centre d’intérêt », tel thème traité par la classe ;
- et offrir un support à l’enrichissement du vocabulaire.

Les méthodes SGAV (structuro-globales audio-visuelles) et le texte (80-90)


Pour des raisons nombreuses, le texte littéraire a été exclu de ces méthodes :
- les raisons linguistiques : une langue est d’abord une réalité orale ;
- les raisons statistiques : la parole occupe dans la communication humaine plus
de place que l’écrit ;
- les raisons pratiques : il importe plus de savoir demander son chemin que de
réciter un poème d’Apollinaire ;
- les raisons éducatives : susciter et maintenir la motivation des débutants
demande autre chose que de bons auteurs ;
- la raison idéologique : la dimension perçue comme élitiste de la littérature.

Ainsi la littéraire est écartée parce que (sur)valorisée : l’accès au texte littéraire se
mérite après un long apprentissage : les progressions didactiques s’en approchent
peu à peu, mais les textes littéraires demeurent loin des sentiers battus de la
pédagogie
- on considère que le texte littéraire est un produit linguistique d’un genre
particulier : difficile, imprévisible, et loin de la langue parlée ;
- les MAV (méthode audio-visuelle) et MAO (audio-orale) en outre se sont
élaborées contre le « descriptif » décrit par Philippe Hamon : dialoguer ce n’est
pas décrire.

Ainsi le texte littéraire est-il abordé,


- soit quand il est entièrement lisible
- soit à titre d’écart, pour une appréciation différentielle par rapport au connu : le
décalage devenant dès lors un indice de littérarité.
Il est néanmoins introduit dans les méthodes par des manipulations linguistiques
diverses :
- il est adapté, récrit, simplifié pour en faire disparaître les difficultés syntaxiques ou
lexicales ;
- donne lieu à la fabrication de textes-filtres ou sous-textes qui vont préparer
l’apprenant au contact avec l’original ;

5
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

- sert à écrire ou faire écrire des textes « de type littéraire » en imposant des
contraintes linguistiques particulières.
Enfin, dans ces méthodes, qui font appel au dialogue, au sketch, à la saynète, on ne
mobilise que des savoirs sociaux et une connaissance du monde censés appartenir
à l’expérience commune, normale de tout un chacun (ni exotisme ni
encyclopédisme).
Dans une telle perspective, où l’apprentissage consiste à vérifier les mécanismes au
fur et à mesure qu’on les met en place, le TL (texte littéraire) n’a pas sa place, il n’est
pas « traitable ».
C’est que le TL « par nature » sollicite et éprouve fortement la machinerie
linguistique, voire la perturbe.
Avec de telles méthodes, on n’apprend pas dans le texte, on n’apprend pas par les
textes littéraires, mais plutôt pour eux, et malgré eux.

Depuis 90, on assiste à une forme de retour du texte littéraire


D’abord en raison de l’intérêt porté
- à la lecture (cf. HR Jauss, Pour une esthétique de la réception) avec mise en
valeur de la participation du lecteur, de la manière dont celui-ci construit le sens,
fondée sur la notion d’horizon d’attente, de pacte de lecture ;
- à la texture : la réflexion sur les genres notamment, ainsi que sur les notions de
séquences et d’organisation du texte fournit des pistes pour amener l’apprenant à
une compétence textuelle ;
- à l’intertextualité, les relations que les textes entretiennent entre eux, avec des
problématiques telles que la réécriture ou le transcodage (passage d’un système
sémiotique à un autre. Ex. : un film tiré d’un livre).

Dans l’évolution de la place du texte littéraire dans les manuels sont ainsi mises en
jeu à la fois les méthodes d’apprentissage et les théories littéraires dominantes :
critique biographique, structuralisme, esthétique de la réception…

Bibliographie généraliste sur la Didactique de la Littérature en FLE

BENAMOU, M., (1971), Pour une nouvelle pédagogie du texte littéraire, Hachette
Larousse
BERTRAND D., PLOQUIN F. (éds.) (1998), Littérature et enseignement, la
perspective du lecteur.- Le Français dans le monde. Recherches et applications,
février/mars
BLONDEAU N. et alii. (2003), Littérature progressive du français (avec 600 activités).
Niveau intermédiaire.- Paris : Clé International.
BRIARD J., DENIS F. (1993), Didactique du texte littéraire. Paris : Nathan
CICUREL, F. (1991), Lectures interactives en langue étrangère. Paris : Hachette
Français Langue étrangère, 1990.- F/Autoformation.
COLLES, Luc et alii, Enseignement du FLES : didactique de la lecture, de la
littérature et de la culture.- Le langage et l’homme, mars 2000, vol. XXXV, n°1.
COLLES, Luc.- Les enseignements de la littérature.- Cahiers de l’ASDIFLE - Actes
des 7e rencontres, janvier 1991, n°3.

6
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

ELA, n° 115, juil. / sept 1999 sur « Fiction littéraire et apprentissage des langues ».
GRUCA, I. (1996), « Didactique du texte littéraire : un parcours à étapes. » Le
Français dans le monde, décembre 1996, n°285, pp.56-59.
GRUCA, I. (1994), « Place et fonctions du texte littéraire dans la méthodologie
« traditionnelle » du FLE : histoire d’un couronnement ». Travaux de didactique du
français langue étrangère, 1994, n° 32, pp. 15-27.
KASSIS, P (1993). La poésie, Clé international,
NATUREL, M. (1995), Pour la littérature : de l’extrait à l’œuvre. Paris : Clé
international.
PAPO, E., BOURGAIN, D. (1989), Littérature et communication dans la classe de
langue – Une initiation à l’analyse du discours littéraire. Paris : Hatier-Credif, LAL.
PEYTARD, J. (éd.). (1982), Littérature et classe de langue, français langue
étrangère. Paris : Hatier-Crédif.
SOUCHON M., ALBERT M-C (2000), Les textes littéraires en classe de langue.-
Paris : Hachette.

7
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

DOSSIER 1

L’énonciation théâtrale

Œuvre de référence des applications


Tartuffe de Molière

Et plus particulièrement, pour la représentation, la


pièce mise en scène par Stéphane Braunschweig
Théâtre National de Strasbourg, 2008. La captation
intégrale de la pièce n’est malheureusement plus en
ligne mais elle existe sous forme de DVD
En vente sur le site de TV5 monde
http://www.theatre-tv5monde.com/tartuffe.html
et disponible dans un certain nombre de
médiathèques.
Si ce visionnage est un complément intéressant, il
n’est cependant pas indispensable pour suivre le
cours.
En effet ce cours est doublé d’une ressource en
ligne coproduite par l’UB et accessible gratuitement
sur le site
http://aidenum-production.u-
bourgogne.fr/ress/uoh/TexteDeTheatre/
Pour accéder au texte complet en ligne
http://www.site-moliere.com/pieces/tartuffe.htm
Pour trouver toutes les informations sur la biographie et l’œuvre de Molière
http://www.toutmoliere.net/

8
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Ouvrages de la bibliographie à consulter

Dans les différents manuels sur le théâtre proposés dans la bibliographie, lire
les chapitres qui concernent la scène d’exposition.

Bibliographie complémentaire pour ce dossier

Revue Pratiques (articles en ligne)


http://www.pratiques-cresef.com/

N° 41, « L’écriture théâtrale » (mars 1984)


Catherine Kerbrat-Orecchioni « Pour une approche pragmatique du dialogue
théâtral », n° 41, mars 1984, pp. 46-62.
http://www.pratiques-cresef.com/p041_ke1.pdf

n° 74, « Pratiques textuelles théâtrales » (juin 1992)


André Petitjean « La figuration de l’espace et du temps dans les dialogues de
théâtre », pp. 105-125.
http://www.pratiques-cresef.com/p074_pe1.pdf

Corvin, M., Lire la comédie, Dunod, 1994.

9
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

DOSSIER 1

Approche théorique

L’énonciation

Introduction

Ce premier chapitre est consacré à la notion d’énonciation et précise les conditions


spécifiques de l’énonciation théâtrale. Qui parle au théâtre ? et à qui ? quels sont les
codes qui permettent que « ça marche » ? Si ces notions semblent a priori abstraites,
on verra que la description et la compréhension des mécanismes de la
communication théâtrale sont indispensables pour éviter les confusions, notamment
entre dialogue théâtral et échange ordinaire. En effet, en utilisant le texte de théâtre
en classe de FLE comme s’il s’agissait de conversations authentiques, on passerait
à côté de tout ce qui lui confère un intérêt particulier.

10
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Chapitre 1

La notion d’énonciation

Qu’est ce que l’énonciation ?

Enonciation : nom formé sur la base du verbe énoncer à l’aide du suffixe (a)tion qui
sert à former des noms d’action : l’énonciation est donc l’acte d’énoncer.
Un acte implique quelqu’un qui l’accomplit, un agent : c’est l’énonciateur. Benveniste,
lui, emploie le terme de locuteur car l’acte accompli est un acte de parole.

Le produit de l’acte d’énonciation, c’est l’énoncé. L’énonciation, en tant qu’acte,


implique :
- des acteurs, des « personnes »,
- un temps et un lieu où cet acte se produit.
Personnes / espace / temps sont les paramètres de la situation d’énonciation.

Le dialogue de théâtre suppose bien : des partenaires qui échangent entre eux, dans
un lieu et à un moment donnés.
Dans le système que constitue la langue, on a un ensemble de signes, des
éléments, dont le sens et la référence dépendent de facteurs qui changent d’une
énonciation à l’autre.

Ainsi dans l’énoncé


Viens dîner ici demain,

- La forme verbale viens indique le mode impératif et « la deuxième personne », celui


à qui l’énonciateur s’adresse.
- L’adverbe demain ne peut s’interpréter que par rapport au moment où cet énoncé
est proféré, le présent de l’énonciation.
- Ici désigne le lieu de l’énonciation.

Cet énoncé n’est donc pleinement accessible que par ses relations avec l’acte
d’énonciation.
Un certain nombre d’unités linguistiques présente ainsi cette propriété : leur sens ne
peut être perçu complètement que par un retour à la situation d’énonciation qui
permet d’identifier leur référent.

Les indicateurs de personne, de lieu et de temps

Les premiers éléments constitutifs d’un procès d’énonciation sont le locuteur, celui
qui énonce, et son allocutaire, celui à qui est adressé l’énoncé, on désigne parfois
ces instances du terme de co-énonciateurs afin de marquer l’implication réciproque
des deux partenaires dans l’activité de langage. Ils sont représentés dans l’énoncé
par les marques de personne je et tu et apparaissent aussi dans les formes nous et
vous.
11
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

L’énonciateur fournit aussi des indications permettant de situer dans le temps et dans
l’espace les procès inscrits dans l’énoncé :

Nous irons [chez toi] [après-demain].

Un certain nombre de marqueurs ancrent l’énoncé dans la situation d’énonciation :


chez toi signifie au domicile de celui à qui je m’adresse,
après-demain signifie deux jours après le jour où je parle. Il s’agit dans ce cas d’un
repérage déictique.

L’usine de moutarde Maille [à Dijon] a définitivement fermé [en 2009].

A Dijon et en 2009 sont des termes autodéterminés dont la référence ne change pas.
Elle est accessible en dehors de toute mise en relation avec la situation
d’énonciation. Les dates ou les noms propres de lieux sont considérés comme
appartenant à un savoir partagé (Paris renvoie pour la plupart des locuteurs à la
capitale de la France mais pour quelques américains, il s’agit d’une ville du Texas).
On parle de repérage absolu.

Je travaille au Vietnam et je me plais dans ce pays.

Par des éléments de reprise, le repérage peut s’effectuer par rapport à l’énoncé.
Dans ce pays n’est interprétable qui si on remonte à l’information donnée
précédemment au Vietnam. C’est le mode de repérage co-textuel ou anaphorique.

Différentes situations d’énonciation

La situation où s’actualisent de la manière la plus évidente les marques linguistiques


de l’ancrage dans la situation d’énonciation est l’interlocution. Les partenaires de
l’échange sont en présence, au même lieu et au même moment. Ils sont tour à tour
locuteur et allocutaire.
Tel ce dialogue dans la rue :
X : - Bonjour, tu vas bien ? Qu’est-ce que tu fais par ici ?
Y : - Ca va. J’attends ma sœur. Elle revient de vacances aujourd’hui. Et toi ?

C’est l’énonciation directe.

Il existe des variantes de cette situation d’énonciation directe, comme les


communications à distance dans lesquelles les deux partenaires ne sont pas dans le
même lieu (téléphone), les échanges non réciproques (discours public) ou la
combinaison de ces deux paramètres (émission de radio).

Dans le cas d’une énonciation écrite comme la lettre, ni le temps ni lieu de


l’énonciation ne sont communs aux deux partenaires. Il y a deux temps et deux
lieux : temps / lieu de l’écriture et temps / lieu de la lecture sont différents.
Les textes écrits quels qu’ils soient présentent tous des situations d’énonciation
différée.
En tant que locuteur, nous sommes souvent amenés à rendre compte de propos
tenus par d’autres locuteurs, en d’autres lieux, à d’autres moments :
Paul : Ma sœur Marie m’a annoncé hier qu’elle allait se marier avec Alfred.

12
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Une première énonciation, celle de Marie, est rapportée à l’intérieur d’une autre
énonciation, celle de Paul. C’est ce qu’on appelle le discours rapporté.

L’énonciation littéraire

Le texte en général - et le texte littéraire comme tout autre - résulte forcément d’une
énonciation. A un moment quelqu’un s’est exprimé dans un lieu donné et s’est
adressé à quelqu’un. Mais l’énonciation littéraire n’est pas un échange linguistique
ordinaire, elle exclut le caractère symétrique et immédiat de l’interlocution à l’oral.

Le lecteur n’est pas en contact direct avec l’auteur, l’auteur est effacé et le lecteur n’a
pas de possibilité de réponse. On assiste à un dédoublement des instances
émettrice et réceptrice en même temps que l’univers de référence (lieux, moments,
personnages) est entièrement créé par le seul pouvoir des mots. Le texte ne garde
pas toujours les traces de la situation dans laquelle il a été énoncé.

Dans le discours littéraire, les trois dimensions, spatiale, temporelle et personnelle


font donc l’objet d’un jeu spécifique. La première démarche face à un texte, c’est
donc de repérer ces marques d’énonciation dans l’énoncé. Qui parle ? à qui ?
quand ? où ?
L’auteur instaure un énonciateur distinct de lui, qu’on désigne généralement du
terme de narrateur (Camus n’est pas celui qui dit je et va commettre un crime dans
L’Etranger). Le destinataire est une instance construite dont on peut trouver ou non
des traces dans le texte et qui ne se confond pas avec chacun des lecteurs effectifs
du livre.

13
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Chapitre 2

L’énonciation théâtrale.

Pour accéder à la ressource en ligne correspondant


à ce chapitre :
http://aidenum-production.u-
bourgogne.fr/ress/uoh/TexteDeTheatre/res/m1/prese
ntation_html5.html
1. Un processus de communication complexe
Le texte théâtral appartient à la sphère des textes littéraires mais il présente des
caractéristiques énonciatives propres.
Observons un instant comment s’établit la communication au théâtre. Prenons
l’exemple de la première scène de Tartuffe (dont vous trouverez le texte à la suite du
chapitre 3).

- des personnages dialoguent entre eux. Ils échangent un message. Ils sont
tour à tour locuteur et allocutaire. On les désignera des termes d’émetteur et
récepteur intrascéniques (de intra- à l’intérieur) ou intradiégétiques. La
diégèse, c’est l’univers spatio-temporel du récit et les personnages
appartiennent bien à l’histoire racontée.

- Cette pièce, Tartuffe, a été écrite par Molière en 1669, Molière qu’on peut
appeler, en suivant Catherine Kerbrat Orecchioni, le scripteur pour bien le
distinguer de l’auteur, l’auteur en tant qu’individu particulier, c’est-à-dire une
entité physique et psychique, dotée d’une histoire personnelle, d’une famille
etc. D’ailleurs l’auteur dans ce cas précis a choisi un pseudonyme, un nom de
plume, puisque pour l’état civil il se nomme Jean-Baptiste Poquelin, ce qui
souligne cet écart entre les deux instances de l’auteur et du scripteur. Le
scripteur c’est la source énonciative du discours.

14
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

- Le destinataire de son énonciation, c’est bien un lecteur ou un spectateur


virtuels qui pourraient ne jamais s’incarner, si la pièce n’est finalement ni
éditée, ni jouée.

- Nous qualifierons le scripteur et le lecteur /ou le spectateur virtuel d’émetteur


et récepteur extrascéniques ou extradiégétiques.

C’est ce qu’on appelle couramment le mécanisme de la double énonciation


théâtrale.
On peut représenter cet emboîtement des instances énonciatives sous la forme d’un
schéma qui montre en quelque sorte ces deux niveaux de la communication :

scripteur personnage personnage Lecteur/spectateur


virtuels

Émetteur et récepteur
intrascéniques

Émetteur et récepteur extrascéniques

Double énonciation
théâtrale
C1

Allons un peu plus avant dans la description du processus de communication.


Le lecteur virtuel va s’actualiser dans chacun des lecteurs réels : un metteur en
scène, des comédiens, qui peuvent décider de monter la pièce, mais aussi des
amateurs de textes de théâtre, ou encore des lycéens et leurs professeurs d’hier et
de demain.
Le spectateur virtuel, lui, va se réaliser dans la multiplicité et la diversité des
spectateurs en chair et en os qui assistent à une représentation de la pièce, Louis
XIV, les spectateurs qui étaient présents lors de la représentation du Tartuffe mis en
scène par Stéphane Braunschweig à l’Odéon en 2008 et peut-être vous ou moi un
jour prochain.
Les acteurs eux aussi sont bien réels, en 2008 à l’Odéon, il s’agissait de Claude
Duparfait en Orgon et Clément Bresson en Tartuffe.
Les acteurs endossent un rôle, ils profèrent des répliques en mimant un échange de
paroles, une interaction verbale authentique, une interaction à laquelle le spectateur
accepte de croire parce qu’il partage le code défini par le genre théâtral, un code
notamment matérialisé dans l’espace par la coupure entre la scène et la salle.
On emploie, pour représenter cette coupure, l’image du 4e mur, une sorte de mur
symbolique qui sépare l’espace scénique de la salle.

15
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Par conséquent, si, par commodité, ce dispositif est désigné du terme de double
énonciation, ce feuilletage est bien plus complexe, ce que le schéma de C. Kerbrat
Orecchioni donne partiellement à voir.

Pôle d’émission Pôle de réception

auteur/personnage/acteur acteur/personnage/public

Communication symétrique
Actants réels

Communication symétrique: actants fictionnels

Communication dissymétrique : actants réels

L’énonciation théâtrale
Schéma de C. Kerbrat Orrecchioni, in Le dialogue théâtral, p.237.

Trois niveaux sont pris en compte dans ce schéma, celui des acteurs en chair et
en os, celui des personnages dialoguant entre eux, et celui de l’auteur adressant
son message à son destinataire le public.
Mais on a vu précédemment que devraient être ajoutés à ce schéma :
- la distinction entre l’auteur actant réel / et le scripteur instance discursive ;
- la communication entre les acteurs et le public. Bien entendu, les acteurs
échangent entre eux mais ils communiquent aussi avec le public qui, de son
côté, leur adresse diverses formes de réponses comme des rires, des
protestations, des applaudissements ou simplement une plus ou moins grande
attention. Toutes ces manifestations sont perçues par les comédiens et
infléchissent leur jeu ;
- la communication entre le metteur en scène et les spectateurs. En effet, on ne
doit pas oublier que le metteur en scène, par sa lecture propre de l’œuvre et
par ses choix, délivre lui aussi un message à l’intention des spectateurs.

Tous ces éléments font partie intégrante du processus de communication.

2. Le texte théâtral : deux couches textuelles


Laissons momentanément de côté ces aspects de la communication théâtrale pour
nous en tenir aux voix de ces êtres de papier qui peuplent le texte, et aux
manifestations linguistiques de ces voix.

16
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Pour cela, regardons le texte de la pièce.

SCENE VI SCENE VII

ORGON, ELMIRE TARTUFFE, ELMIRE, ORGON

ORGON TARTUFFE
sortant de dessous la table.
Tout conspire, Madame, à mon
Voilà, je vous l'avoue, un abominable homme! contentement
Je n'en puis revenir, et tout ceci m'assomme. J'ai visité de l'œil tout cet appartement ;
Personne ne s'y trouve; et mon âme
ELMIRE ravie...

Quoi ? vous sortez si tôt ? vous vous moquez des ORGON


gens. en l'arrêtant.
Rentrez sous le tapis, il n'est pas encor temps;
Attendez jusqu'au bout pour voir les choses sûres, Tout doux! vous savez trop votre
Et ne vous fiez point aux simples conjectures amoureuse envie […]
.
ORGON

Non, rien de plus méchant n'est sorti de l'enfer


[…]

Deux couches textuelles se distinguent sur le plan scripturaire et typographique :


- les didascalies (parfois appelées indications scéniques) en italiques ou
petites capitales ;
- les répliques.

La source énonciative de cet ensemble, c’est bien le scripteur déjà évoqué, ici
Molière.
La question du destinataire en revanche se pose de manière différente pour chacune
des deux couches :
- Les répliques sont écrites à la fois pour être lues et pour être proférées sur
scène selon le principe de la double énonciation intra- et extrascénique.
- Les didascalies en revanche sont adressées uniquement au lecteur du texte.
Elles guident celui-ci dans la construction de la représentation mentale de la
pièce. Elles lui donnent notamment des indications sur les noms des
personnages, la distribution des répliques, la rotation des tours de parole.
Elles fournissent aussi des précisions concernant les décors, costumes, les
jeux de scène, l’intonation. Leur variété et leur forme linguistique feront l’objet
d’un chapitre spécifique.

L’ensemble forme un matériau verbal stratifié dont les niveaux sont en interaction.
Pour conclure revenons en quelques mots sur cette notion de double-énonciation. Le
schéma le plus simple décrivant ce dispositif comme la superposition des deux
échanges :
- l’un, entre instances extradiégétiques : auteur /scripteur s’adressant au lecteur
/spectateur ;

17
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

- l’autre, entre instances intradiégétiques : les personnages dialoguant entre


eux :

existe dans toute œuvre littéraire et devient explicite dès qu’on rencontre du
discours direct.

scripteur personnage personnage Lecteur/spectateur


virtuels

Émetteur et récepteur
intradiégétiques
dialogue

Émetteur et récepteur extradiégétiques


récit

Double énonciation
littéraire
Les personnages d’un roman dialoguent, le poète s’adresse à la femme aimée, mais
le roman comme le poème vise ce destinataire second qu’est le lecteur.
La véritable originalité du théâtre, ce qui le différencie de manière radicale des autres
genres, c’est bien l’introduction d’une énonciation réelle, celle des acteurs, à la
fois passeurs de parole et authentiques énonciateurs.

3. L’interaction didascalies /répliques


Le texte théâtral se présente comme un matériau stratifié, les deux couches du
texte : répliques et didascalies, fonctionnant en interaction. Mais comment cette
interaction est-elle mise en œuvre concrètement ?
Les didascalies répondent en partie à ces questions : qui ? à qui ? quand, où ?
Elles précisent les conditions d’usage de la parole mais les répliques doivent aussi
comporter des éléments afin d’informer le spectateur, puisque lui n’a pas accès aux
didascalies, notamment les didascalies de noms de personnages.
En reprenant notre texte, on va étudier plus particulièrement la question initiale : qui
parle ? à qui ?
Certaines formes linguistiques, nous l’avons vu, ont la spécificité de ne renvoyer qu’à
la situation de communication. C’est le cas notamment des indices personnels je et
tu, et de leurs formes amplifiées nous et vous. Je désigne celui qui parle et énonce
quelque chose à propos de lui-même, tu c’est celui auquel je parle, c’est je qui
instaure tu face à lui comme son allocutaire. Dans la plupart des échanges
ordinaires, on emploie ces formes sans avoir besoin d’y ajouter d’autre indication de
dénomination.

18
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

On peut aussi très bien imaginer une pièce tout au long de laquelle les personnages
se désignent uniquement par je et tu, ou vous, le théâtre contemporain se passe
ainsi fréquemment de la nomination. Cependant si le scripteur veut faire connaître au
spectateur le nom des personnages, il n’a guère d’autre moyen que de les placer
dans la bouche-même des personnages.

En revanche d’autres éléments contenus dans les didascalies ne trouvent pas de


résonance directe dans les répliques. C’est là qu’interviennent le metteur en scène,
le scénographe et les comédiens qui constituent des lecteurs tout à fait privilégiés et
spécifiques des didascalies. Le texte de théâtre étant écrit pour être joué, incarné, ils
ont pour tâche d’opérer le changement de système sémiotique : passer d’un
matériau textuel à sa transposition visuelle ou phonique par des signes tels que les
éléments de décor, les costumes ou les jeux de scène et de voix.
Et finalement plus important encore, le texte, didascalies comprises, ne dit pas tout,
la réalité scénique proposera une interprétation de ses ellipses, de ses blancs. C’est
ainsi que chaque nouvelle mise en scène et même chaque représentation énonce à
neuf et offre une expérience sensible de la textualité dans un présent partagé et
unique.

19
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Chapitre 3

L’énonciation théâtrale (2)

Mécanismes de la double adresse

Les échanges verbaux tels qu’on les rencontre dans le théâtre sont autant de
schématisations, de stylisations de situations de la communication ordinaire. A ce
titre, l’analyse du texte de théâtre a tout à tirer de l’éclairage que lui offrent les
perspectives ouvertes par la linguistique de l’énonciation et la pragmatique. En
retour, les linguistes puisent dans le théâtre des cas d’échanges verbaux qui leur
donnent l’occasion de mettre à l’épreuve leurs catégories descriptives.
Dans la classe de FLE, le texte de théâtre propose un véritable terrain d’exploration
de la complexité et de la variété des situations de la communication tout en rendant
celles-ci plus « lisibles » car elles participent à chaque instant de la construction d’un
sens qui n’est pas toujours aussi immédiatement saisissable dans les échanges
quotidiens.
C’est le cas notamment de ce qui concerne les différents types de double adresse ou
d’adresse multiple.
Comme nous l’avons vu en 1, le dispositif théâtral est par essence un dispositif de
double adresse, ce que Catherine Kerbrat Orrechioni décrit comme un véritable trope
communicationnel. Elle entend par trope « tous les cas de renversement de la
hiérarchie normale des destinataires, c’est-à-dire le décalage entre le destinataire
apparent (l’adressé principal) et le destinataire réel (la cible) ». Au théâtre, si le public
épie des échanges qui ne lui sont pas adressés, c’est cependant bien lui le véritable
destinataire de l’ensemble du discours dont on peut dire en ce sens qu’il fonctionne
comme un trope communicationnel.
Mais le trope communicationnel s’inscrit aussi dans les échanges intrascéniques,
entre les personnages. Et il fonctionne dans ces cas de manière beaucoup moins
floue que ce qu’on rencontre dans les échanges ordinaires, les marqueurs y sont
plus nets et le plus souvent l’interprétation de la situation ne laisse aucun doute sur
le sens de l’interaction. En effet le trope communicationnel intrascénique est un
trucage énonciatif construit à l’intention du spectateur qui jouit de sa position
surplombante et privilégiée.

1. La notion de récepteur multiple

On entend souvent par situation de communication une situation d’échange dyadique


(un émetteur s’adressant à un récepteur) à tel point qu’on identifie dialogue et
interaction duelle (alors que comme le rappelle C. Kerbrat le préfixe dia ne signifie
pas deux mais « à travers »). Or le plus souvent, s’il y a bien un seul émetteur, on a
plusieurs récepteurs dont il convient de préciser le statut.

20
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Selon Goffman, face à un locuteur, les participants auditeurs sont susceptibles


d’être :
• ratifiés ou non :

- sont ratifiés ceux qui font officiellement partie du groupe conversationnel. Ce


sont des éléments non verbaux qui en témoignent, tels que la disposition des
participants dans l’espace et les uns par rapport aux autres (dite proxémique),
les regards échangés. Cette notion n’est pas sans poser de problème dans les
échanges ordinaires. Dans une interaction le degré de ratification peut
évoluer, par exemple lors d’un débat télévisé, l’animateur du débat peut
privilégier tel ou tel participant à un moment donné.

Parmi les auditeurs ratifiés, Goffman distingue :


 les adressés principaux, ceux auquel le locuteur adresse
directement son énoncé ;
 les adressés latéraux, qui sont des destinataires secondaires

- Les participants non ratifiés (bystanders chez Goffman) sont ceux qui ne font
pas partie du groupe conversationnel, ils sont présents dans la situation
communicative mais soit

 Ils surprennent « par inadvertance » un discours qui ne leur est


pas destiné (overhearers ou surpreneurs)
 Ils écoutent secrètement un discours qui ne leur est pas destiné
(eavesdroppers ou épieurs).

Ces distinctions renvoient à la notion de cible (celui à qui est destiné l’énoncé) et
parfois cette cible ne correspond pas à l’adressé principal, occasionnant toute sorte
de formes d’énonciation indirecte qui sont encore redoublées au théâtre puisqu’elles
sont perceptibles par le lecteur/spectateur selon le schéma de la double énonciation
théâtrale. Le trope communicationnel, on le voit, fonctionne donc à deux niveaux.
Le théâtre nous offre une multiplicité de situations et des auteurs (scripteurs) tels que
Molière ou Beaumarchais manient avec le plus grand brio ces acrobaties
communicationnelles qui font partie intégrante de leur dramaturgie.

2. Quelques modalités d’adresse

Selon que la présence ou l’absence de destinataire du discours est spécifiée dans


l’énoncé, soit au plan didascalisque, soit au sein même de la réplique (par exemple
par une apostrophe) on distingue cinq grands types de discours :
- La cible du discours est un / plusieurs interlocuteurs présents : c’est le
dialogue qui se spécifie en dialogue (deux instances), trilogue (trois), ou
polylogue (au-delà de trois participants à la situation de communication). Nous
reviendrons ensuite sur différents schémas de circulation de la parole
dialoguée ;
- La cible désignée du discours est le lecteur / spectateur (adresse au public) ;

21
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

- Le discours n’est pas adressé à un destinataire présent en scène mais à un


allocutaire absent ou à soi-même, voire à personne en apparence
(monologue).

• L’adresse au public

Le discours adressé directement au public abat en quelque sorte le quatrième mur.


On le rencontre sous la forme de l‘aparté mais aussi dans des prises de parole plus
longues comme certains prologues par exemple.

L’aparté (de l’italien a parte) est une sorte de monologue généralement bref produit
par un personnage qui n’est pas seul en scène mais se soustrait momentanément à
l’interaction discursive en cours. Discours que le personnage s’adresse à lui-même il
est néanmoins nécessairement perçu parfois par un autre personnage, toujours par
le lecteur / spectateur. L’aparté constitue un commentaire sur l’interaction ou fournit
des informations sur les intentions des personnages, soulignant le double-jeu et
instaurant la connivence avec le public. C’est une convention théâtrale qu’on trouve
souvent dans les comédies où les jeux de dupe et les quiproquos sont des
mécanismes dramaturgiques essentiels.

Ainsi la scène 9, de l’acte V du Mariage de Figaro, de Beaumarchais, au cours de


laquelle Suzanne et la comtesse ont échangé leurs vêtements pour piéger le Comte
qui entend profiter des faveurs de Suzanne, camériste de la Comtesse, fonctionne
sur le mode d’une communication biaisée.
Il fait noir, le Comte croit avoir rendez-vous avec Suzanne, Suzanne et Figaro,
cachés, l’épient. Le Comte se croit d’abord seul, puis pense avoir surpris sa femme
dans les bras d’un autre, ses répliques ne s’adressent donc pas aux personnages en
scène mais sont énoncées à lui-même, à part, et informent le spectateur de son état
d’esprit, et offre au public ce surcroît de plaisir de mesurer toute l’erreur de Comte.

Le Mariage de Figaro, Beaumarchais

SCENE 9, Acte V

Le Comte entre par le fond du théâtre, et va droit au pavillon à sa droite; Figaro,


Suzanne.

LE COMTE, à lui-même. - Je la cherche en vain dans le bois, elle est peut-être


entrée ici.

SUZANNE, à Figaro, parlant bas. - C'est lui.

LE COMTE, ouvrant le pavillon. - Suzon, es-tu là-dedans?

FIGARO, bas. - Il la cherche, et moi je croyais...

SUZANNE, bas. - Il ne l'a pas reconnue.

FIGARO. - Achevons-le, veux-tu? (Il lui baise la main.)

22
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

LE COMTE se retourne. - Un homme aux pieds de la Comtesse!... Ah! je suis sans


armes. (Il s'avance.)

FIGARO se relève tout à fait en déguisant sa voix. - Pardon, Madame, si je n'ai pas
réfléchi que ce rendez-vous ordinaire était destiné pour la noce.

LE COMTE, à part. - C'est l'homme du cabinet de ce matin.

(Il se frappe le front.)

FIGARO continue. - Mais il ne sera pas dit qu'un obstacle aussi sot aura retardé nos
plaisirs.

LE COMTE, à part. - Massacre, mort, enfer!

FIGARO, la conduisant au cabinet, bas. - Il jure. (Haut.) Pressons-nous donc,


Madame, et réparons le tort qu'on nous a fait tantôt, quand j'ai sauté par la fenêtre.

LE COMTE, à part. - Ah! tout se découvre enfin.

On constate combien on est loin ici d’un échange ordinaire.

L’adresse au public, peut aller au-delà de cette convention de l’aparté en constituant


celui-ci comme interlocuteur principal et en transformant l’adresse en véritable
interpellation.

Ainsi Harpagon, dans L’Avare de Molière, scène 7, Acte IV, en plein délire suite au
vol de son argent s’adresse-t-il directement au spectateur :

HARPAGON

Que de gens assemblés! Je ne jette mes regards sur personne qui ne me donne
des soupçons, et tout me semble mon voleur. Eh! de quoi est-ce qu'on parle là ? De
celui qui m'a dérobé? Quel bruit fait-on là-haut? Est-ce mon voleur qui y est ? De
grâce, si l'on sait des nouvelles de mon voleur, je supplie que l'on m'en dise. N'est-il
point caché là parmi vous ? Ils me regardent tous, et se mettent à rire. Vous verrez
qu'ils ont part sans doute au vol que l'on m'a fait. Allons vite, des commissaires, des
archers, des prévôts, des juges, des gênes, des potences et des bourreaux. Je veux
faire pendre tout le monde; et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai moi-même
après.

• Le monologue

Le monologue est un discours tenu par un personnage seul en scène, il s’adresse


à un allocutaire absent ou à soi-même (auto-adressé). En ce sens un monologue
comporte toujours une dimension dialogale puisqu’il n’existe pas de discours sans
destinataire, ne serait-ce que par un dédoublement de l’énonciateur lui-même.
Toutes sortes d’instances peuvent être élevées au statut de destinataire, des
personnes, divines ou humaines, des animaux, mais aussi des éléments de la
nature ou des sentiments (personnification).

23
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Dans le célèbre monologue d’Auguste (scène 2, acte IV), dans Cinna, de


Corneille, le personnage s’adresse successivement au Ciel, à lui-même, à Cinna
pour finalement s’exhorter lui-même à mourir (attention les noms Octave et
Auguste désignent la même personne) :

AUGUSTE

Ciel, à qui voulez-vous désormais que je fie

Les secrets de mon âme et le soin de ma vie ?

Reprenez le pouvoir que vous m'avez commis,

Si donnant des sujets il ôte les amis

Si tel est le destin des grandeurs souveraines

Que leurs plus grands bienfaits n'attirent que des haines,

Et si votre rigueur les condamne à chérir

Ceux que vous animez à les faire périr.

Pour elles rien n'est sûr; qui peut tout doit tout craindre.

Rentre en toi-même, Octave, et cesse de te plaindre.

Quoi! Tu veux qu'on t'épargne, et n'as rien épargné!

Songe aux fleuves de sang où ton bras s'est baigné

[…].

Quelle fureur, Cinna, m'accuse et te pardonne,

Toi, dont la trahison me force à retenir

Ce pouvoir souverain dont tu me veux punir,

Me traite en criminel, et fait seule mon crime,

Relève pour l'abattre un trône illégitime,

Et, d'un zèle effronté couvrant son attentat,

S'oppose, pour me perdre, au bonheur de l'état ?

[…]

Octave, n'attends plus le coup d'un nouveau Brute;

Meurs, et dérobe-lui la gloire de ta chute;

24
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Meurs; tu ferais pour vivre un lâche et vain effort,

Si tant de gens de cœur font des vœux pour ta mort,

Et si tout ce que Rome a d'illustre jeunesse

Pour te faire périr tour à tour s'intéresse;

Meurs, puisque c'est un mal que tu ne peux guérir;

Meurs enfin, puisqu'il faut ou tout perdre, ou mourir. […]

Le théâtre classique recommandait la limitation du recours au monologue qui


suspend l’action et son usage répondait à des conventions précises, remplissant des
fonctions dramaturgiques définies. En revanche, le théâtre contemporain a érigé en
forme à part entière les pièces « seul en scène » et multiplie les dispositifs
énonciatifs et les types d’adresse qui en construisent la dramaturgie.

25
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Applications

Je vous propose maintenant de vous approprier ces notions théoriques en les


mettant en œuvre dans l’analyse d’un texte, Tartuffe de Molière, puis, d’un
extrait d’une représentation théâtrale, mise en scène par Stéphane
Braunschweig au Théâtre National de Strasbourg en 2008.

Molière est notre plus célèbre dramaturge français, ses œuvres sont connues,
traduites et jouées partout dans le monde ; c’est en quelque sorte un pilier de
la culture française, dont tout apprenant de FLE a au moins vaguement
entendu parler ;

Tartuffe est une comédie universelle et intemporelle, le thème de l’hypocrisie,


de la religion détournée de ses fins et de sa dimension spirituelle et celui de
l’aveuglement et du fanatisme sont si contemporains que chaque année
fleurissent de nouvelles mises en scène de cette pièce écrite il y a plus de 350
ans ;

Le texte n’en reste pas moins difficile, la langue du XVIIe est éloignée de la
nôtre et nombre de références culturelles nous échappent non seulement pour
des raisons diachroniques (variation dans le temps), mais aussi pour les
apprenants, diatopiques (éloignement géographique), diaphasiques (question
de style, il s’agir ici d’une pièce en vers).

Pour les étudiants qui ne sont pas des francophones natifs, vous pouvez lire la pièce
en vous aidant d’une traduction dans votre langue maternelle si nécessaire. Je vous
joins aussi un résumé de la pièce qui vous aidera à en avoir une vision synthétique.

Le texte complet est accessible en ligne :


http://www.toutmoliere.net/oeuvres.html

26
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Molière.
A retenir

(1622-1673)

Molière (Jean-Baptiste Poquelin) est baptisé le 15 janvier 1622 à


Paris (église Saint-Eustache).

Fils d’un tapissier, Molière fait ses études chez les jésuites avant
d’aller étudier le droit à Orléans.

Avec Madeleine Béjart, il crée l’Illustre-Théâtre qui est un échec en raison de dettes
(en août 1645, Molière est même emprisonné). Cette même année, il quitte Paris
pour la province. Il y restera treize ans.

En 1658, il revient à Paris pour jouer Nicomède et Le Dépit amoureux devant le roi.
C’est la pièce Les Précieuses ridicules (1659) qui lui apporte la célébrité. Molière
obtient du roi la salle du Petit-Bourbon puis celle du Palais-Royal (à partir de 1660)
où il remporte de nombreux succès en tant qu’auteur, acteur et directeur de troupe.

Tartuffe, jouée pour la première fois en 1664 à Versailles, pièce dans laquelle il
critique l’hypocrisie des faux dévots, fait scandale. La pièce est interdite par le roi
sous la pression des dévots qui se sentent visés.

En 1665, Dom Juan suscite également des remous. Malgré son succès, la pièce est
retirée.
Molière continue cependant de bénéficier de la faveur du roi.

Viennent les pièces Le Misanthrope (1666), George Dandin (1668), Le Bourgeois


Gentilhomme (1670), L’Avare (1668), Les Fourberies de Scapin (1671), Les Femmes
savantes (1672), etc.

Épuisé par le travail et la maladie (il est phtisique), Molière meurt le 17 février 1673
après la quatrième représentation du Malade imaginaire (il jouait le rôle d’Argan).

Source : http://www.etudes-litteraires.com/moliere.php#ixzz1bWBKdSZJ

27
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Résumer Tartuffe 1

ACTE I : La famille d’Orgon divisée par l’intrus

Scène 1 : En l'absence d'Orgon, Mme Pernelle reproche à sa bru (Elmire) et à


ses petits-enfants (Mariane et Damis) de mener une vie dissolue ; elle prend
la défense de Tartuffe, dévot personnage qu'Orgon a recueilli chez lui et que
les autres membres de la famille accusent d'exercer dans la maison un
pouvoir “tyrannique”, sous des dehors hypocrites.
Scène 2 : Dorine (la nourrice) expose à Cléante (beau-frère d’Orgon)
l'aveuglement d'Orgon à l'égard de Tartuffe, dont elle dénonce l'hypocrisie.
Scène 3 : Est évoqué le mariage de Mariane, fille d’Orgon, et de Valère.
Scène 4 : De retour de voyage, Orgon s'inquiète de la santé de Tartuffe,
s'attendrit aux réponses ironiques de Dorine en soupirant “le pauvre homme”,
alors que c’est sa femme Elmire qui a été malade toute la nuit.
Scène 5 : Scène entre Orgon et Cléante. Orgon fait l'éloge de Tartuffe et
répond évasivement à Cléante qui tente de lui révéler son aveuglement («
Mais par un faux éclat je vous crois ébloui »). Dans une longue tirade, il
distingue l’artifice et la sincérité, le comportement du faux dévot et celui du
vrai dévot. A la fin de la scène, Cléante rappelle à Orgon la promesse de
mariage accordée à Valère, amoureux de Mariane.

ACTE II : L’amour en péril

Scène 1 : Orgon annonce à Mariane qu'il lui destine Tartuffe comme époux.
Stupeur indignée de Mariane, qui aime Valère.
Scène 2 : Dorine tente en vain de faire revenir Orgon sur sa décision.
Scène 3 : Avec une feinte rudesse, Dorine réconforte la trop docile Mariane et
l'exhorte à la résistance.
Scène 4 : Scène de dépit amoureux entre Mariane et Valère. Mais Dorine
réconcilie de force les deux amants.
ACTE III : L’imposteur triomphe

Scène 1 : Damis, furieux, veut se venger de Tartuffe, mais Dorine l'engage à


laisser Elmire agir à son idée.
Scène 2 : Appelé par Elmire, Tartuffe paraît enfin. Il rencontre Dorine, qui le
nargue effrontément.
Scène 3 : Elmire demande à Tartuffe de renoncer à Mariane. Tartuffe en
profite pour essayer de séduire Elmire qui consent à ne pas révéler à son mari
la conduite de l'imposteur, à condition que celui-ci favorise l'union de Valère et
de Mariane.
Scène 4 : Mais, d'un cabinet voisin, Damis a tout entendu. Indigné, il court
informer son père de l’attitude indécente de Tartuffe. Ce dernier refuse de
croire les paroles de son fils.
Scènes 5 et 6 : Devant Orgon, Tartuffe joue l'humilité et la dévotion
persécutée. Accusé de calomnie, Damis est déshérité et chassé par son père.

1
Extrait du dossier pédagogique en ligne.

28
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Scène 7 : Tartuffe continue son manège : il s'effacera et quittera la maison.


Mais Orgon le supplie de rester, lui permet de voir Elmire en toute liberté, et lui
lègue tous ses biens.

ACTE IV : L’hypocrite démasqué

Scène 1 : Indigné de la conduite d'Orgon et de Tartuffe, Cléante enjoint à ce


dernier de réconcilier le père et le fils. Mais Tartuffe se dérobe et coupe court
à l'entretien.
Scènes 2 et 3 : Malgré les supplications de sa fille et les protestations de
Cléante, Orgon décide de marier au plus tôt Tartuffe et Mariane.
Scènes 4 et 5 : Pour désabuser son mari, Elmire fait cacher celui-ci sous une
table, appelle Tartuffe et feint de répondre à ses avances, en l'obligeant à se
démasquer.
Scène 6 : Orgon comprend enfin qu'il a été joué et donne libre cours à son
indignation.
Scène 7 : Il veut chasser Tartuffe mais celui-ci jette le masque : la maison lui
appartient désormais.
Scène 8 : Elmire, qui ignore la donation, s'étonne de l'embarras d'Orgon.

ACTE V : Le châtiment de l’imposteur et le rex ex machina

Scène 1 : Resté seul avec Cléante, Orgon confesse qu'il a remis à Tartuffe
une cassette, contenant des papiers compromettants confiés par un ami
proscrit.
Scène 2 : Furieux, Damis veut châtier l'imposteur.
Scène 3 : Seule, Mme Pernelle se refuse encore à croire Tartuffe coupable.
Scène 4 : M. Loyal, huissier, signifie à Orgon l'ordre d'expulsion.
Scènes 5 et 6 : Mme Pernelle, enfin désabusée. Valère veut aider Orgon à fuir
pour échapper à la justice du Roi.
Scène 7 : Tartuffe se présente avec un exempt pour faire arrêter Orgon. Mais
-coup de théâtre-, c'est Tartuffe que l'exempt arrête : le roi a démasqué
l'imposteur et pardonne à Orgon en raison d'anciens services rendus sous la
Fronde. Grâce au prince "ennemi de la fraude”, Mariane épousera Valère.

29
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Applications portant sur les chapitres 1 et 2

Application 1

Travail sur le texte.

La scène d’exposition au théâtre

La construction de la référence personnelle dans la scène 1 de l’acte I de Tartuffe de


Molière (texte page suivante)

Voyons ensemble comment Molière a résolu ce problème dans Tartuffe. Pour cela
suivez avec attention le début de cette première scène en gardant en tête notre
première question : qui parle à qui ?

Consignes

1) Comparez la didascalie initiale de personnages et la didascalie du début de la


scène 1 et complétez le tableau : quels sont les personnages qui seront
absents de cette première scène ?
Didascalie initiale Didascalie Acte I, scène 1

PERSONNAGES
ACTE PREMIER
SCENE I
Mme PERNELLE, mère d'Orgon.
ELMIRE, femme d'Orgon.
DAMIS, fils d'Orgon.
MARIANE, fille d'Orgon et amante de
Valère.
CLEANTE, beau-frère d'Orgon.
DORINE, suivante de Mariane.
FLIPOTE, servante de Mme Pemelle.
ORGON, mari d'Elmire.
TARTUFFE, faux dévot.
UN EXEMPT
M LOYAL, sergent.

2) Au fil de la scène, relevez toutes les marques qui servent à désigner un


personnage (adresse directe par l’apostrophe). Quels sont les absents dont on
parle ? (dénomination/présentation d’un personnage hors scène)

3) De quelle nature sont les informations qui permettent d’identifier


progressivement les personnages ? (Cette étape peut nécessiter une
recherche de vocabulaire et une élucidation de l’emploi de certains termes
dans la langue du 17e). Quels sont les éléments qui nous donnent à penser
que la pièce n’a pas été écrite récemment ? Mettez ces informations en

30
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

relation avec celles données dans la didascalie initiale (à laquelle n’a accès
que le lecteur).

4) Que peut-on imaginer quant à l’intrigue qui va être déployée dans la pièce ?
en quoi cette scène remplit-elle la fonction de la scène d’exposition ?

ACTE PREMIER
SCENE I

MADAME PERNELLE ET FLIPOTE sa servante,

ELMIRE, MARIANE, DORINE, DAMIS, CLEANTE

MADAME PERNELLE

Allons, Flipote, allons, que d'eux je me délivre.

ELMIRE

Vous marchez d'un tel pas qu'on a peine à vous suivre.

MADAME PERNELLE

Laissez, ma bru, laissez, ne venez pas plus loin :

Ce sont toutes façons dont je n'ai pas besoin.

ELMIRE

De ce que l'on vous doit envers vous on s'acquitte.

Mais, ma mère, d'où vient que vous sortez si vite ?

MADAME PERNELLE

C'est que je ne puis voir tout ce ménage-ci,

Et que de me complaire on ne prend nul souci.

Oui, je sors de chez vous fort mal édifiée :

Dans toutes mes leçons j'y suis contrariée,

On n'y respecte rien, chacun y parle haut,

Et c'est tout justement la cour du roi Pétaud.

DORINE

Si...

31
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

MADAME PERNELLE

Vous êtes, ma mie, une fille suivante

Un peu trop forte en gueule, et fort impertinente :

Vous vous mêlez sur tout de dire votre avis.

DAMIS

Mais...

MADAME PERNELLE

Vous êtes un sot en trois lettres, mon fils;

C'est moi qui vous le dis, qui suis votre grand-mère;

Et j'ai prédit cent fois à mon fils, votre père,

Que vous preniez tout l'air d'un méchant garnement,

Et ne lui donneriez jamais que du tourment.

MARIANE

Je crois...

MADAME PERNELLE

Mon Dieu, sa sœur, vous faites la discrète,

Et vous n'y touchez pas, tant vous semblez doucette;

Mais il n'est, comme on dit, pire eau que l'eau qui dort,

Et vous menez sous chape un train que je hais fort.

ELMIRE

Mais, ma mère...

MADAME PERNELLE

Ma bru, qu'il ne vous en déplaise,

Votre conduite en tout est tout à fait mauvaise;

Vous devriez leur mettre un bon exemple aux yeux,

Et leur défunte mère en usait beaucoup mieux.

32
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Vous êtes dépensière; et cet état me blesse,

Que vous alliez vêtue ainsi qu'une princesse.

Quiconque à son mari veut plaire seulement,

Ma bru, n'a pas besoin de tant d'ajustement.

CLEANTE

Mais, Madame, après tout...

MADAME PERNELLE

Pour vous, Monsieur son frère,

Je vous estime fort, vous aime, et vous révère;

Mais enfin, si j'étais de mon fils, son époux,

Je vous prierais bien fort de n'entrer point chez nous.

Sans cesse vous prêchez des maximes de vivre

Qui par d'honnêtes gens ne se doivent point suivre.

Je vous parle un peu franc; mais c'est là mon humeur,

Et je ne mâche point ce que j'ai sur le cœur.

DAMIS

Votre Monsieur Tartuffe est bien heureux sans doute...

MADAME PERNELLE

C'est un homme de bien, qu'il faut que l'on écoute;

Et je ne puis souffrir sans me mettre en courroux

De le voir querellé par un fou comme vous.

DAMIS

Quoi ? je souffrirai, moi, qu'un cagot de critique

Vienne usurper céans un pouvoir tyrannique,

Et que nous ne puissions à rien nous divertir,

Si ce beau Monsieur-là n'y daigne consentir ?

33
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Application 2

Les deux autres paramètres de la situation énonciative sont le lieu et le temps : où et


quand la scène se passe-t-elle ? on trouvera pareillement des éléments de la
construction référentielle du temps et de l’espace dans les didascalies, par exemple
dans la didascalie initiale : La scène est à Paris, mais aussi au sein des répliques.

Consigne : dans cet extrait de la scène de l’acte 4, relevez ce qui réfère à l’espace.

Ecrivez l’indication scénique présente dans les répliques.

ELMIRE
Approchons cette table, et vous mettez dessous.
ORGON
Comment ?
ELMIRE
Vous bien cacher est un point nécessaire.
ORGON
Pourquoi sous cette table ?
ELMIRE
Ah, mon Dieu! laissez faire :
J'ai mon dessein en tête, et vous en jugerez.
Mettez-vous là, vous dis-je; et quand vous y serez,

34
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Application 3

Il s’agit d’une mise en scène récente et intéressante par les choix radicaux
opérés par Stéphane Braunschweig, choix à propos desquels il s’est exprimé.

Visionnez la captation de la pièce. Acte I, scène 1.


http://aidenum-production.u-
bourgogne.fr/ress/uoh/TexteDeTheatre/res/m2/presentation_html5.html

Le discours de la mise en scène

1) Observez le décor et les costumes de chacun des personnages. Décrivez-les


et établissez :
Une fiche espace / décor
Une fiche personnage (âge, vêtements, accessoires) pour chacun des
participants à cette scène

2) Commentez et discutez le choix du metteur en scène et du scénographe.

35
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Eléments de corrigé

Pour accéder à la ressource en ligne correspondant


à ce corrigé :
http://aidenum-production.u-
bourgogne.fr/ress/uoh/TexteDeTheatre/res/m2/presentation_html5.h
tml

Application 1

1) Tous les personnages indiqués dans la didascalie initiale sont présents sur le
plateau dès la première scène sauf deux : Tartuffe et Orgon. Cependant ils
sont bien présents comme objets du discours de tous les autres et ils
constituent le sujet même de la crise sur laquelle s’ouvre la pièce.

2) Flipote, / Ma bru, / Ma mère, / Ma mie, / Mon fils, /Moi […] qui suis votre
grand’mère, / Sa sœur, / Ma mère, / Ma bru, / Ma bru, / Madame, / Monsieur
son frère

3) La distribution de la parole / l’identification des protagonistes : Commentaire

Si l’on observe ce début de la scène 1 de l’Acte I et qu’on le compare avec la liste


des personnages précédant cette scène, on constatera que les informations données
en didascalies, non accessibles au spectateur, sont reprises pour être portées à la
connaissance de ce spectateur dans les répliques. En principe avant la fin de cette
scène, le spectateur attentif est déjà en mesure de situer tous les personnages les
uns par rapport aux autres, c’est ce qu’on va vérifier en étudiant maintenant le texte.
C’est essentiellement dans la première scène la fonction dramatique de Madame
Pernelle, c’est elle qui va désigner les différents personnages et on va voir que cette
première scène est saturée d’appellatifs2. C’est grâce à ces appellatifs que le
spectateur est peu à peu informé des liens qui unissent les différents protagonistes.
Ces liens sont énoncés à plusieurs reprises car les informations transmises sont
nombreuses en début de pièce, c’est l’exposition, et certaines peuvent échapper au
spectateur.
Madame Pernelle est la véritable plaque tournante du discours, elle va s’adresser
successivement à tous les personnages en scène.
L’apostrophe par le nom propre Flipote et la sècheresse de l’injonction, donnent,
hormis la connaissance effective du nom, un indice sur les rapports de classe entre
les deux personnages : le costume pourra confirmer bien sûr cet indice.

2 Appellatif : Terme de désignation ou de qualification d’une personne. Ex : Maman, tu viens au


cinéma avec nous ? voir C. Kerbrat-Orecchioni : L’énonciation. De la subjectivité dans le langage.
Armand Colin, 1980, p. 34-69.

36
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Les deux répliques suivantes exposent les liens entre Madame Pernelle et Elmire :
ma bru / ma mère (l’appellatif mère qui est employé aussi pour belle-mère qu’on
trouverait en français moderne)
Puis on est informé du statut social de Dorine : fille suivante
Ensuite Madame Pernelle coupe la parole à Damis, et sa réplique multiplie les
marques de lien de parenté.
C’est d’abord mon fils / moi qui suis votre grand-mère / et quand elle introduit un
personnage absent, c’est encore en indiquant sa place dans la généalogie familiale:
mon fils votre père. (Attention mon fils est employé tour à tour pour interpeller le petit-
fils puis désigner le fils Orgon)
Puis c’est une adresse à Mariane, qui tente de prendre la parole, désignée
obliquement par l’appellatif, sa sœur, vous faites la discrète (donc Mariane est la
sœur de Damis) on remarque au passage que sa sœur implique que madame
Pernelle ne s’adresse directement à Mariane qu’après l’avoir désignée.
Elle se tourne à nouveau vers Elmire, on retrouve l’échange ma mère / Ma bru. Dans
la réplique Le syntagme leur défunte mère précise aussi qu’Elmire n’est pas la mère
biologique de Mariane et de Damis, ce qui n’est pas sans importance pour l’action
dramatique.
Puis la parole circule entre une nouvelle paire d’interlocuteurs : Madame Pernelle qui
est prise à parti par Cléante : mais Madame.
Elle lui répond en usant à nouveau d’un procédé indirect monsieur son frère :
Cléante est donc le frère d’Elmire, elle-même bru de madame Pernelle.
Et s’il en est encore besoin, madame Pernelle précise : Si j’étais de mon fils son
épous (c’est-à dire si j’étais Elmire qui est bien l’épouse du fils de madame Pernelle,
Orgon).
Un peu plus loin la réplique de Damis introduit un autre personnage, un personnage
absent, celui-là, de la situation d’énonciation, le seul qui soit doté d’un nom propre,
et pour cause : il est le seul à ne pas appartenir à la famille, ce qui est essentiel sur
le plan dramatique puisqu’il sera question d’argent, de mariage et d’héritage
détourné. C’est aussi le personnage qui donne son titre à la pièce : Tartuffe.
Et finalement c’est madame Pernelle qui établit le lien entre Orgon, Tartuffe, et tous
les protagonistes : mon fils à l’aimer vous devrait tous induire.

Ainsi en trois pages et quelques minutes, sont introduits 9 personnages, 7 en scène


et les deux principaux protagonistes hors scène, objets du discours (et du conflit) de
tous les autres.
Si on se reporte à la liste des personnages, on voit qu’un seul manque à l’appel,
Valère, l’amant de Mariane. Et les deux utilités : l’Exempt et M. Loyal.

C’est une véritable gageure que de parvenir à nous faire saisir en quelques minutes
et sans qu’on y sente l’artifice la complexité des liens entre tous ces protagonistes.
D’ailleurs est ce que ce n’est pas autre chose qui se joue là ? on perçoit un contraste
entre l’énoncé du nom propre Tartuffe et cette forme d’évitement pour les autres
personnages. Le fait est qu’on ne connaît toujours aucun nom de ces protagonistes,
à la place, on a cette surenchère d’appellatifs, parfois obliques et quelque peu
obscurs :

Flipote, / Ma bru, / Ma mère, / Ma mie, / Mon fils, /Moi […] qui suis votre
grand’mère, / Sa sœur, / Ma mère, / Ma bru, / Ma bru, / Madame, / Monsieur son
frère

37
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Cette surenchère nous signale que la portée de ces marqueurs dépasse largement
l’aspect strictement informatif.
Toujours est-il qu’après quelques minutes (ou quelques pages de texte) les
personnages n’éprouvent plus la nécessité de s’apostropher à chaque réplique, les
apostrophes disparaissent presque totalement, l’identification est considérée comme
acquise et l’échange est consacré à l’explicitation de la situation et au nœud de
l’action dramatique.
La construction textuelle de cette scène remplit ainsi une fonction référentielle et
répond à la question que se pose le spectateur : qui parle ? à qui ?
On constate combien cette construction discursive est éloignée de la conversation
ordinaire. Le scripteur recourt à des artifices mais grâce à sa maîtrise de l’art et à la
coopération du spectateur qui accepte cette « stylisation », cet apport d’information
n’empêche pas la scène de fonctionner sur le plan dramatique.

4. La pièce ouvre sur une crise familiale aiguë. C’est l’arrivée de Tartuffe au sein
de la maison qui déclenche le désordre et le conflit entre tous ses membres,
seule Madame Pernelle, personnage de faible importance par ailleurs, prend
le parti d’Orgon qui a introduit Tartuffe chez lui. La question qui se pose
immédiatement est donc : comment les protagonistes vont-ils agir, les uns
pour se débarrasser de l’intrus, les autres - Orgon, Tartuffe lui-même- pour
imposer sa présence et son influence.

Application 2

Aucune indication scénique sous forme de didascalie dans ce passage mais les
répliques elles-mêmes fournissent des indications très précises par :
Les verbes de mouvement qui indiquent les déplacements à effectuer : approchons /
mettez / mettez-vous là
Les compléments de lieu : cette table / dessous / sous cette table / là
Ils renvoient à la situation d’énonciation et sont donc déictiques ; cette table, c’est la
table qu’Elmire montre à Orgon, l’adverbe là renvoie aussi à un endroit montré
(indice d’ostension) par le locuteur.
Le texte de théâtre peut ainsi désigner des lieux qui appartiennent à la situation
d’énonciation (intrascéniques) mais il peut aussi évoquer le hors scène, par exemple
dans les récits d’événements rapportés par des personnages.

Application 3

Le metteur en scène s’explique dans ses notes sur le choix qu’il a fait de situer
l’action à l’époque actuelle, sur le sens à accorder au décor et à la construction de
l’espace. Ces éléments de scénographie sont l’expression d’une vision
dramaturgique de la pièce décrite dans la note d’intention reproduite ci-dessous.
Vous pouvez comparer vos fiches décor et costumes avec les notes du metteur en
scène et mieux comprendre ses intentions. Peut-être vous-même avez-vous une
autre interprétation de cette pièce. Pour découvrir d’autres visions, comme celle
d’Ariane Mnouchkine par exemple, qui décide de faire de Tartuffe un intégriste
islamiste, reportez-vous au dossier en ligne.
Toute mise en scène peut ainsi susciter un débat surtout si les partis-pris sont très
accentués.

38
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Note d’intention de Stéphane Braunschweig

Tartuffe est une pièce où on sent que tout est déjà traversé par un passé, un passif.
On peut bien sûr prendre la pièce dans son abstraction, mais on peut aussi essayer
de voyager dans ce qui traverse les personnages et ce pourquoi ils en sont arrivés
là. C'est une pièce qui commence dans la crise.
Est-ce que la crise de Madame Pernelle est démesurée par rapport à la situation ?
En tout cas elle recouvre quelque chose de paradoxal : alors qu’elle dit que rien ne
va plus, Orgon arrive en déclarant au contraire que tout va bien depuis que Tartuffe
est là. La pièce est l’histoire de quelqu’un qui pense aller très bien sous l’emprise de
Tartuffe, mais qui a en lui une faille que la pièce va ouvrir. La question est alors de
savoir de quelle nature est cette faille, comment elle a été comblée avant, ce qui l’a
causée, etc. Même si tous les personnages jouent un rôle déterminant, pour moi le
personnage principal est Orgon ; je tourne autour de la maladie d’Orgon, des
symptômes d’Orgon. Il faut arriver à se raconter ce qui s’est passé avant dans sa
famille. Si on se raconte que sa première femme, celle qui plaisait à Mme Pernelle,
était une sorte de bigote, qu’il ne devait pas avoir une relation très épanouie
sexuellement avec elle, et que devenu veuf il a choisi en Elmire une jeune femme
avec un côté joyeux, sensuel, et que là tout d’un coup il est sous une emprise
sexuelle, on peut penser que c’est ça qui déclenche la crise. Sur la base d’une peur
du sexe, d’une culpabilité qui lui est liée. Il faut bien que le discours de Tartuffe – qui
dit tout le temps que le sexe est la chose la plus horrible du monde – trouve une
prise chez Orgon.
(…)
Molière n’écrit qu’avec ce qu’il est, ce qu’il vit. C'est partout. Par exemple la question
de la jalousie qui est un thème central chez lui, n’apparaît pas au premier abord dans
Tartuffe. Mais quand on plonge dans la pièce on s’aperçoit que c'est là tout le
temps… C'est comme une donnée de base de la relation d’Orgon à sa femme.
Molière jouait Orgon avec la matière d’Alceste. Les personnages ne sont pas les
mêmes, ils n’ont pas la même histoire socialement mais il y a un fond d’être
commun. Il les jouait comiques, c'était une manière de mettre en jeu ses propres
affects en les démontant et en les ridiculisant. Je pense que jouer avait pour lui une
fonction thérapeutique. Le monde a évolué, les mœurs évoluent, la morale aussi,
mais la peur de l’amour, la peur de ne pas être aimé, le désir de sauver l’autre, les
situations d’emprise, ce sont comme des invariants de la condition humaine
moderne. Et là, Molière, sous l’apparence de la légèreté et parfois de la convention,
est d’une profondeur inouïe. En travaillant hier la scène de la dispute de Valère et
Marianne, qui m’avait toujours paru la scène la plus conventionnelle de la pièce, il
apparaît une réalité et une profondeur des sentiments amoureux tout à fait
étonnante. Le roman est ce qui me motive actuellement dans mon travail de metteur
en scène, mais c’est aussi le moyen de décaper la pièce du leurre de ses formes. De
ses conventions.

La religion est un levier dans ce dispositif. C'est d’abord un contexte, un contexte


politique qui peut faire penser à ce qu’on vit aujourd’hui : les rapports du pouvoir et
du discours religieux. On a eu pendant quelques années ce qu’on appelait le retour
du religieux, et maintenant on a le retour des dévots. Le pouvoir se remet à prendre
appui sur ça – c'est complètement nouveau ! Il y a des conséquences politiques,
mais ce n’est pas Tartuffe qui peut nous permettre de les aborder. Si on veut

39
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

regarder ça de façon plus politique, il faudrait plutôt aller voir du côté de Sainte
Jeanne des abattoirs, par exemple… Parce que là, la problématique est prise dans
l’intimité de Molière – c'est comme ça que je le vois. La religion est l’endroit où la
maladie d’Orgon trouve une échappatoire, c'est le couvercle qu’on met sur la
marmite.
Ce dont je parle en abordant le thème religieux à travers Brand, Mesure pour mesure
ou Peer Gynt, c’est toujours d’un certain rapport à la culpabilité, à la souillure. Le
monde dans lequel on vit – c'est un peu banal de le dire mais c'est quand même
aussi une réalité – est un monde hyper matérialiste et qui touchant le fond de ce
matérialisme rebondit sur un besoin de spiritualité énorme. Pour moi l’un est
absolument l’envers de l’autre, de même que le cynisme est l’envers de l’idéalisme.
Le besoin de spiritualité est la face cachée du matérialisme.
(…) Nous nous étions dit une fois que Molière vivait dans un profond scepticisme, et
que ce qui le protégeait du cynisme c’était une foi dans le théâtre – là j’emploie un
mot religieux parce qu’il n’y en a pas d’autre. Croire que le théâtre permet de
produire du sens ou de survivre à un monde sans dieu. Et peut produire aussi ce qui
résiste aux certitudes. Je me sens proche de ça. La façon dont Molière tire sur tout
ce qui croit, ça me convient, je me sens en famille. Pas tellement avec ses
problématiques de jalousie mais avec les problématiques liées à la foi, au théâtre, au
sens de ce qui se joue par le théâtre, à la mise en jeu de l’intime et à la question de
l’amour comme une chose centrale – là, je me sens en famille.

Stéphane Braunschweig, février 2oo8, Extraits d’un entretien avec Anne-Françoise


Benhamou.

Note sur la scénographie

La scénographie représente la maison d’Orgon.

L’atmosphère est à la fois moderne et monastique. Quelques éléments high-


tech dans un espace qui évoque un couvent ou une prison. Dès le début, on
doit sentir une atmosphère de frustration, et par conséquent de désirs secrets
ou clandestins.

Le sol est un plancher trapézoïdal, en perspective selon les lignes de fuite des
murs latéraux ; son aspect est « pauvre », comme un plancher qu’on pourrait
trouver dans une église ou un couvent : planches de bois gris clair, aucun
cirage.

Les murs, blancs, plâtreux, s’élèvent à 5 m, et tout l’espace est recouvert d’un
plafond blanc.

Dans la partie haute, une rangée de petites fenêtres avec des grilles permet à
la lumière extérieure de rentrer dans la pièce. En revanche, personne ne peut
regarder par les fenêtres, donc le monde extérieur est en quelque sorte
condamné, tandis que le « ciel » pèse sur tous.

Dans la partie basse des murs, deux ouvertures dans les murs latéraux
laissent deviner un couloir qui longe le mur du fond. Dans celui-ci, deux petites

40
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

portes en bois comme des portes de cellule sont situées dans la partie Jardin,
donnant accès aux chambres de Marianne et Damis. De l’autre côté, une
porte identique ouvre sur la chambre de Dorine.

Dans le mur latéral Cour, une double porte donne accès à la chambre de
Tartuffe. Dans le mur latéral Jardin, une porte à un seul battant et qu’on
devine blindée donne sur l’extérieur.

Sur la partie Cour du mur du fond, accroché comme un tableau, un écran


plasma. Seul meuble au début de l’acte 1, un fauteuil en cuir très confortable
et pouvant tourner sur lui-même est placé en face du téléviseur (donc de dos
pour nous). A l’acte 3, le fauteuil en cuir disparaît et laisse la place contre le
mur de Cour à une table recouverte d’une nappe blanche surmontée d’une
croix (une sorte d’autel) et à deux chaises d’église.

Avant la première rencontre de Tartuffe et Elmire, les murs se mettent à


monter d’environ 2 mètres, de sorte qu’on a un peu l’impression d’être
descendu à la cave ou dans une crypte. Les murs sont d’ailleurs plus sales et
abîmés dans leur partie basse. Seul accès dans l’espace à présent, un petit
escalier débouchant par une ouverture dans la paroi du fond, légèrement
décalé à Cour. Toutes les autres portes et couloirs donnent maintenant sur le
vide, et les fenêtres sont encore plus éloignées du sol.

Pendant la fameuse scène de la table, cauchemar d’Orgon, les murs s’élèvent


encore de 2 mètres, l’espace devenant de plus en plus onirique : cette fois
plus aucun accès vers l’extérieur, de sorte qu’au dernier acte toute la famille a
l’air prise au piège entre ces 3 murs très sales et aveugles. On est comme au
fond d’un puits, ou de l’enfer.

Maquette des costumes


Dans ce spectacle, les costumes ne renvoient pas au XVIIème siècle. Les
rôles masculins seront habillés d’un costume moderne au ton assez neutre.
Cléante et Damis porteront même un jean. Il n’y a pas de maquette pour ces
costumes qui ne sont pas fabriqués aux ateliers du TNS mais qui sont
directement achetés à l’extérieur.
En revanche, les costumes pour les rôles féminins sont tous fabriqués aux
ateliers.

Stéphane Braunschweig, avril 2oo8

41
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

APPLICATIONS portant sur le chapitre 3

Tartuffe, scène 3 à 5 de l’acte IV

Nous allons appliquer à ces trois scènes les outils d’analyse décrivant les
mécanismes de double adresse.

Ces trois scènes comportent quelques didascalies mettant en place la situation mais
le texte lui-même crée une tension « vers la scène » et possède sa force
dramaturgique qui fait que tout lecteur projette sa propre mise en scène.

Application 1

Identifier les systèmes d’adresses emboîtées dans Tartuffe, extraits des scènes 4 et
5 de l’acte IV

Revenons sur cette notion de trope communicationnel intrascénique en observant


notre texte de Tartuffe.

Tartuffe, lors de la scène 3 de l’acte III, a fait des propositions sans ambiguïté à
Elmire. Ainsi il s’est révélé non seulement qu’il manœuvre pour spolier la famille de
ses biens mais qu’il veut trahir Orgon en devenant l’amant de sa propre femme.
Orgon dans sa passion aveugle refuse de croire ce que lui en dit Damis qui a surpris
la scène entre Elmire et Tartuffe, même quand Elmire, passant outre sa pudeur et sa
discrétion le confirme. Elle lui propose donc un stratagème pour confondre Tartuffe.

Différentes consignes accompagnent la lecture de ces extraits, elles sont insérées au


fil du texte en gras ; vous trouverez des éléments de corrigé à la fin de cette
application.

Consignes

1) Décrivez la situation de communication mise en place dans la scène 4 et


indiquez le statut des différents participants, Elmire, Tartuffe, Orgon. Qui
sont les destinataires des répliques ?

42
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

SCENE IV

ELMIRE, ORGON

ELMIRE

Approchons cette table, et vous mettez dessous.

ORGON

Comment ?

ELMIRE

Vous bien cacher est un point nécessaire.

ORGON

Pourquoi sous cette table ?

ELMIRE

Ah, mon Dieu! laissez faire :

J'ai mon dessein en tête, et vous en jugerez.

Mettez-vous là, vous dis-je; et quand vous y serez,

Gardez qu'on ne vous voie et qu'on ne vous entende.

ORGON

Je confesse qu'ici ma complaisance est grande;

Mais de votre entreprise il vous faut voir sortir.

ELMIRE

Vous n'aurez, que je crois, rien à me repartir.

A son mari qui est sous la table.

Au moins, je vais toucher une étrange matière :

Ne vous scandalisez en aucune manière.

Quoi que je puisse dire, il doit m'être permis,

43
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Et c'est pour vous convaincre, ainsi que j'ai promis.

Je vais par des douceurs, puisque j'y suis réduite,

Faire poser le masque à cette âme hypocrite,

Flatter de son amour les désirs effrontés,

Et donner un champ libre à ses témérités.

Comme c'est pour vous seul, et pour mieux le confondre,

Que mon âme à ses vœux va feindre de répondre,

J'aurai lieu de cesser dès que vous vous rendrez,

Et les choses n'iront que jusqu'où vous voudrez.

C'est à vous d'arrêter son ardeur insensée,

Quand vous croirez l'affaire assez avant poussée,

D'épargner votre femme, et de ne m'exposer

Qu'à ce qu'il vous faudra pour vous désabuser

Ce sont vos intérêts; vous en serez le maître,

Et... L'on vient. Tenez-vous, et gardez de paraître.

SCENE V

TARTUFFE, ELMIRE, ORGON

TARTUFFE

[…]

2) Quelle est le destinataire de cette marque non-verbale (la toux) et que


signifie-t-elle pour chacun des personnages ?

3) Relevez toutes les occurrences du pronom on dans la réplique suivante


d’Elmire et dites à qui il renvoie. (vous pouvez utiliser la fiche mémento
de linguistique sur le pronom indéfini on jointe en annexe de ce dossier).

44
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

ELMIRE

après avoir encore toussé.

Enfin je vois qu'il faut se résoudre à céder,

Qu'il faut que je consente à vous tout accorder,

Et qu'à moins de cela je ne dois point prétendre

Qu'on puisse être content, et qu'on veuille se rendre.

Sans doute il est fâcheux d'en venir jusque-là,

Et c'est bien malgré moi que je franchis cela;

Mais puisque l'on s'obstine à m'y vouloir réduire,

Puisqu'on ne veut point croire à tout ce qu'on peut dire

Et qu'on veut des témoins qui soient plus convaincants,

Il faut bien s'y résoudre, et contenter les gens.

Si ce consentement porte en soi quelque offense,

Tant pis pour qui me force à cette violence;

La faute assurément n'en doit pas être à moi.

TARTUFFE

Oui, Madame, on s'en charge; et la chose de soi...

ELMIRE

Ouvrez un peu la porte, et voyez, je vous prie,

Si mon mari n'est point dans cette galerie.

TARTUFFE

Qu'est-il besoin pour lui du soin que vous prenez ?

C'est un homme, entre nous, à mener par le nez;

De tous nos entretiens il est pour faire gloire,

Et je l'ai mis au point de voir tout sans rien croire.

45
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

ELMIRE

Il n'importe : sortez, je vous prie, un moment,

Et partout là dehors voyez exactement.

SCENE VI

ORGON, ELMIRE

ORGON

sortant de dessous la table.

Voilà, je vous l'avoue, un abominable homme!

Je n'en puis revenir, et tout ceci m'assomme.

46
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Eléments de corrigé

1. Elmire a mis le piège en place et précisé les conditions de sa réalisation (« c’est à


vous d’arrêter »). Toute la scène se déroule donc selon deux niveaux d’interaction
verbale :

- l’interaction entre Elmire et Tartuffe, Elmire s’attachant par ses propos, à gagner la
confiance de Tartuffe pour l’amener à se dévoiler ;

- l’interaction entre Elmire et Orgon, Elmire voulant déciller Orgon en le mettant en


position d’entendre le discours séducteur de Tartuffe

- Orgon est donc le destinataire principal des propos d’Elmire, bien qu’il soit un
récepteur caché et apparemment non adressé,

- C’est un épieur pour la situation telle que la vit Tartuffe mais un destinataire ratifié
pour Elmire.

2. La toux est un signal qu’Elmire adresse à Orgon, trouvant que la situation est allée
assez loin, mais sera interprétée comme symptôme d’un rhume par Tartuffe. Bien
que Tartuffe ait incontestablement fait montre non seulement de ses avances vis-à-
vis d’Elmire mais aussi de son vice moral et de son mépris de la religion, Orgon ne
se manifeste toujours pas, plaçant Elmire dans une situation critique.

3. Tout le passage est à lire comme un discours à double-entente, le pronom on


renvoyant à Tartuffe dans l’interaction 1 et à Orgon dans l’interaction 2.

Conclusion

Ce premier dossier s’est donné pour objectif de vous familiariser avec les codes de
l’énonciation théâtrale, leur complexité mais aussi leur richesse sur le plan
sémiotique et communicationnel.
Vous trouverez ci-dessous un exercice (corrigé) qui porte sur la mise en œuvre de
ces notions : l’analyse du mécanisme énonciatif du Prologue d’Antigone d’Anouilh.
Je vous encourage à le faire avant de lire la proposition de corrigé.

47
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

Annexe : Fiche linguistique

Le pronom on

Les grammaires classent on soit parmi les indéfinis, soit parmi les pronoms
personnels selon qu’elles prennent en compte son sémantisme (indéterminé) ou sa
syntaxe (on fonctionne comme il).

- Pour le sens on est bien un indéfini. C’est à l’origine « homo » tout homme,
n’importe qui, tout le monde, les gens, tout sujet à la condition qu’il soit indéfini.
On a sonné : on est bien l’équivalent de quelqu’un et dans les énoncés au présent,
on peut prendre une extension très générale, désignant l’ensemble des sujets
possibles. C’est le on des sentences et des maximes et le on du sens commun.
- Sur le plan syntaxique, on suit le fonctionnement du pronom personnel il. Il est
toujours sujet, et se trouve remplacé dans les autres fonctions, dans les énoncés
généralisants par un indéfini (quelqu’un, personne) ou par vous (on n’est pas
encouragé /on ne vous encourage pas).
Il ne peut être séparé du verbe que par une négation faible (ne) et ne peut être le
support d’une expansion (d’un complément, d’une épithète détachée ou d’une
relative) comme un pronom disjoint ( lui qui…) ou indéfini (rien de nouveau).
On peut se substituer pratiquement à toutes les personnes.
On pour je (par ex dans un écrit scientifique)
On pour la seconde personne tu ou vous dans les énoncés hypocoristiques (alors,
on a encore oublié ses affaires)
On pour la première personne amplifiée pluriel nous inclusif ou exclusif (on est en
retard)
On pour la troisième personne (en haut lieu, on espère qu’un accord sera trouvé)
Dans ces deux derniers cas on équivaut à un pronom personnel pluriel, plus ou
moins indéterminé (généralité indécise du on selon Benveniste) mais il n’est jamais
anaphorique du il singulier.

48
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres

L’intérêt du on tient à cette neutralisation de la personne, qui rend nécessaire son


interprétation mais n’impose pas l’identification de son référent : celui-ci peut être
identifié sans être explicité, on maintenant l’indétermination de la personne.
On est à considérer non comme un pur substitut personnel ou un pur indéfini mais
comme une frontière entre la personne et la non personne.
Sa polysémie en fait l’instrument de la métamorphose énonciative, puisque dans un
même texte les occurrences successives de on peuvent avoir des valeurs
différentes.
Chaque texte va pouvoir jouer à sa façon de cette indétermination, de cette fonction
de caméléon et d’échangeur de on.

49

Vous aimerez peut-être aussi