Cf36 La Pensee Ecologique Et Lespace Litteraire Complet
Cf36 La Pensee Ecologique Et Lespace Litteraire Complet
Cf36 La Pensee Ecologique Et Lespace Litteraire Complet
Titre du cahier :
La pensée écologique et l'espace littéraire
Type de publication :
Cahiers Figura
Volume de la publication :
36
Date de parution :
2014
Résumé :
Que peut la pensée écologique? Une ressource insoupçonnée de la pensée écologique
se révèle lorsqu'on lui fait quitter le domaine scientifique du constat pour l'ouvrir à la
sensibilité poétique.
David, Sylvain et Mirella Vadean (dir.). 2014. La pensée écologique et l'espace littéraire.
Cahier Figura. En ligne sur le site de l’Observatoire de l’imaginaire contemporain.
<http://oic.uqam.ca/fr/publications/la-pensee-ecologique-et-lespace-litteraire>.
Consulté le 12 juillet 2021. Publication originale : (2014. Montréal, Université du Québec à
Montréal : Figura, le Centre de recherche sur le texte et l'imaginaire, coll. Cahier Figura,
vol. 36, 176 p.).
Sous la direction de
Mirella Vadean
et Sylvain David
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives
nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Dépôt légal :
Bibliothèque et Archives nationales du Québec • 2014
Bibliothèque et Archives Canada • 2014
La pensée
écologique et
l’espace littéraire
Sous la direction de
Mirella Vadean et Sylvain David
Stéphanie Posthumus
« Écocritique et ecocriticism.
Repenser le personnage écologique ».......................................15
Anaïs Boulard
« La pensée écologique en littérature. De l’imagerie
à l’imaginaire de la crise environnementale »..........................35
Julia Holter
« “Mon mode de résistance s’appelle poésie.”
Pensée écopoétique de Michel Deguy »....................................51
Pierre-Alain Gouanvic
« Conscience et nature après l’Affaire Sokal »...........................65
Sylvain David
« Cosmo/logos. Sorties littéraires de la modernité ».................83
Christian Guay-Poliquin
« La fin, la fin et la fin. Sociocritique de l’imaginaire
écologique chez Antoine Volodine ».........................................97
Philippe Handfield
« Le sublime chez Michel Houellebecq. De la domination
à la réconciliation dans notre rapport avec la nature »............119
Gabriel Vignola
« Pierre Perrault et la parole de la nature.
Écocritique du direct ».............................................................139
Mirella Vadean
« L’esprit comme milieu des idées. Une inspiration
écologique à partir des écrits de Marie Darrieussecq ».............161
Mirella Vadean
Sylvain David
Université Concordia
La pensée écologique
et l’espace littéraire
Oui, il y a une méthode écologiste, qui n’est ni prophétie, ni
militantisme, ni bourrage de crâne. C’est le dégel d’une pensée
assommée et le réveil de sensations anesthésiées, c’est la conversion
des consciences à un monde familier auquel on ne faisait plus
attention, qu’on ne voyait plus à force d’habitude. […] [Il s’agit d’]un
mouvement poético-politique […] parce que ceux qui ne savent
plus rêver le monde ne savent pas non plus le changer1.
L’
Serge Moscovici
De la nature
écologie est un thème clé de la pensée actuelle. Bien que
la pensée en lien avec ce domaine s’éveille dès l’Antiquité,
c’est Montaigne qui semble le mieux en exprimer la teneur
à travers son discours sur la nature. La « mesme nature », principe
unificateur des choses les plus disparates, entre tout ce qui est
humain et non-humain, s’estompe toutefois quelques décennies après
10
MIRELLA VADEAN ET SYLVAIN DAVID
13
Figura no 36 - 2014
Stéphanie Posthumus
Université McGill
Écocritique et ecocriticism.
Repenser le personnage
écologique
P
our définir le sujet écologique, Verena Andermatt Conley
décrit un nombre d’actes associés à une vie plus écologique :
prendre son vélo, marcher, prendre le transport en commun,
recycler du papier, réutiliser du plastique, parmi bien d’autres1.
Mais elle ajoute que de tels actes ne vont pas au cœur de ce qu’est
le sujet écologique qui, selon elle, se construit autrement que les
sujets précédents; ceux de l’ère classique, de l’ère romantique et
de l’ère moderne. D’après Andermatt Conley, le sujet écologique
est fondamentalement différent parce qu’il se construit comme un
ensemble de rapports et d’interactions plutôt que comme une entité
individuelle et isolée. Pour faire un portrait de ce nouveau sujet
2. Il est vrai que l’œuvre de Guattari et plus particulièrement son livre Les Trois
écologies (Paris, Galilée, 1989, 72 p.) a un lien beaucoup plus clair avec la pensée
écologique. J’y reviendrai.
3. Cette définition est tirée de l’introduction de Cheryl Glotfelty à la collection
The Ecocriticism Reader: Landmarks in Literary Ecology, Cheryl Glotfelty et Harold
Fromm [dir.], Athens/London, Georgia University Press, 1996, p. xv-xxxvii.
16
STÉPHANIE POSTHUMUS
18
STÉPHANIE POSTHUMUS
11. Pour une analyse approfondie de cette alliance instable, voir Dana Phillips,
The Truth of Ecology: Nature, Culture, and Literature in America, Oxford, Oxford
University Press, 2003, 320 p.
12. Glen Love, Practical Ecocriticism: Literature, Biology, and the Environment,
Charlottesville, Virginia University Press, 2003, p. 8.
13. Jean-François Chassay, « D’une fausse incompatibilité », Québec français,
148, 2008, p. 30-32.
20
STÉPHANIE POSTHUMUS
15. Rachel Carson, Silent Spring, Houghton Mifflin Harcourt, New York, 2002
[1962], 378 p.
16. Voir Catherine Larrère, « Éthiques de l’environnement », Multitudes, vol. 1,
no 24, 2006, p. 75-84 et l’introduction de Hicham-Stéphane Afeissa à son livre
l’Éthique de l’environnement — Nature, Valeur, Respect, Paris, Vrin, 2007, 384 p.
22
STÉPHANIE POSTHUMUS
26
STÉPHANIE POSTHUMUS
37. Marie Darrieussecq, Le pays, Gallimard, « Folio », 2005, 256 p. Pour une
analyse plus complète de ce roman selon une perspective écocritique, voir mon
article « Writing the Land/scape: Marie Darrieussecq’s Le Pays », French Literary
Studies, 30, 2012, p. 103-117.
38. Ce pays, qui s’appelle Yuoangui dans le roman, ressemble beaucoup à la
région où est née Darrieussecq, à savoir le Pays basque. D’après Darrieussecq,
Le pays est son seul texte d’autofiction (Marie Darrieussecq, « Je est unE autre »,
dans Écrire l’histoire d’une vie, Annie Oliver [dir.], Rome, Edizioni Spartaco,
2007, 142 p.). Le personnage principal, Marie Rivière, est également une
romancière en train d’écrire un roman intitulé Le pays. Analyser les enjeux de la
mise en abyme serait une autre façon d’aborder les processus de subjectivation,
de doublement et de fragmentation dans le roman.
28
STÉPHANIE POSTHUMUS
30
STÉPHANIE POSTHUMUS
50. Voir les articles parus dans Revue française d’études américaines où il est
question de présenter le genre nature writing au lectorat français (vol. 106,
no 4, 2005).
51. Nathalie Blanc, Thomas Pughe et Denis Chartier, « Littérature & écologie :
Vers une écopoétique (Introduction) » dans Écologie & politique, no 36, 2008,
p. 5.
52. Ibid., p. 11.
33
Figura no 36 - 2014
Anaïs Boulard
Université d’Angers
L
crise écologique contemporaine
e monde est-il en danger? Cette question semble habiter les
esprits contemporains. En effet, la possibilité de la fin de
notre ère est bien souvent évoquée et génère un discours
public anxiogène. Cette obsession pourrait apparaître comme un
héritage du XXe siècle dont la violence a considérablement ébranlé
l’optimisme et la quiétude des hommes, qui ont compris, comme
1. Cette étude est tirée d’une thèse de littérature comparée en cours intitulée
« Poétiques de l’environnement et l’imaginaire de l’écologie dans la littérature
contemporaine en France et en Amérique du Nord (États-Unis, Canada) »
commencée en 2012 à l’Université d’Angers, sous la direction de Madame Anne-
Rachel Hermetet.
LA PENSÉE ÉCOLOGIQUE EN LITTÉRATURE
Paul Valéry l’a formulé dès le début du XXe siècle, que « nous autres
civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles2 ».
Il semble donc que notre ère contemporaine vive avec l’idée d’un
monde en danger. Dans les médias, il serait difficile de recenser
le nombre de couvertures de journaux sensationnalistes montrant
l’ampleur des dégâts des catastrophes naturelles qui ponctuent notre
histoire contemporaine. Pour n’en donner qu’un exemple, suite
au séisme japonais de 2011, le journal français Libération a choisi
d’illustrer sa une du 12 et 13 mars par une photographie du séisme
au moment de sa formation, titrant simplement « “J’ai cru à la fin
du monde”5 ». Ces unes inquiétantes et très visuelles se multiplient
et enrichissent l’imagerie médiatique de la crise environnementale.
5. « Séisme d’une magnitude de 8,9 a frappé le Japon : “J’ai cru à la fin du monde” »,
Libération, no 9277, samedi 12 et dimanche 13 mars 2011.
6. Jean Lurçat, « Le chant du monde », 1957. La tapisserie fait écho à « La
tenture de l’Apocalypse », autre tapisserie exposée à Angers qui fut réalisée à la
fin du XIVe siècle et qui illustre « l’Apocalypse » biblique de Saint Jean.
37
Figura no 36 - 2014
LA PENSÉE ÉCOLOGIQUE EN LITTÉRATURE
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Figura no 36 - 2014
LA PENSÉE ÉCOLOGIQUE EN LITTÉRATURE
9. Neil Evernden, « Beyond Ecology: Self, Place, and the Pathetic Fallacy », dans
Cheryll Glotfelty et Harold Fromm [dir.], The Ecocriticism Reader. Landmarks in
Literary Ecology, Athens/Londres, University of Georgia Press, 1996, p. 103, cité
et traduit dans Nathalie Blanc, Thomas Pughe et Denis Chartier, « Littérature &
écologie : vers une écopoétique », Écologie & politique, n° 36, février 2008, p. 7.
10. Christian Chelebourg, op. cit., p. 127.
40
ANAÏS BOULARD
11. Lawrence Buell, « Ecocriticism: Some Emerging Trends », Qui parle, vol. 19,
no 2, Spring/Summer 2011, p. 87-115.
12. Ibid., p. 93.
13. Ursula K. Heise, « The Hitchhicker’s Guide to Ecocriticism », PMLA, vol. 121,
no 2, 1er mars 2006, p. 503-516.
41
Figura no 36 - 2014
LA PENSÉE ÉCOLOGIQUE EN LITTÉRATURE
42
ANAÏS BOULARD
explicitement (voir Cormac McCarthy, The Crossing, New York, Alfred A. Knopf,
1994, 432 p., et The Road, New York, Alfred A. Knopf, 2006, 287 p.).
20. Jean Loup Trassard, Territoire, Cognac, Le temps qu’il fait, 1989, 56 p.
21. Ernest Callenbach, Ecotopia. The Notebooks and Reports of William Weston,
Berkeley, Banyan Tree Books in association with Heyday, [1975] 2004, 176 p.
22. Bill McKibben, American Earth, Environmental Writing Since Thoreau, New
York, Literary Classics of the United States, 2008, 900 p.
23. Linda Hogan, People of the Whale, New York, W.W. Norton & Company,
2008, 312 p.
44
ANAÏS BOULARD
24. Nicolas Vanier, Solitudes blanches, Paris, Actes Sud, 1994, 196 p.
25. Il faut en revanche signaler, à la suite directe du roman, l’insertion par
l’auteur d’une véritable lettre vindicative de 1854 d’un chef indien au président
des États-Unis qui souhaite leur acheter des terres. L’engagement de l’auteur est
donc signifié immédiatement après la fiction.
26. Catherine Larrère, op. cit., p. 65.
27. Aldo Leopold, « Élégie des marais », Almanach d’un comté des sables, traduit
de l’américain par Anna Gibson, Paris, Aubier, 1995, p. 132.
45
Figura no 36 - 2014
LA PENSÉE ÉCOLOGIQUE EN LITTÉRATURE
28. Rachel Carson, Silent Spring, Boston, Houghton Mifflin, 2002 [1962], 400 p.
29. Edward Abbey, The Monkey-Wrench Gang, New York, Harper Collins, [1975]
2006, 480 p.
30. Ruth Ozeki, All Over Creation, New York, Penguin Books, 2004, 432 p.
31. Jean-Christophe Rufin, Le parfum d’Adam, Paris, Flammarion, 2007, 538 p.
46
ANAÏS BOULARD
clones évoluent est lui aussi détruit, ravagé par des inondations,
des séismes, des bombes nucléaires et autres catastrophes non
nommées. On retrouve donc dans la littérature contemporaine un
goût prononcé pour le récit post-apocalyptique, ou du moins pour la
fiction dystopique futuriste à caractère environnemental.
50
Julia Holter
Université de Washington
M
algré l’engagement de Michel Deguy autour de thèmes
plutôt en vogue (l’écologie et le déclin culturel), sa
pensée reste assez peu connue du public nord-américain1.
Sa poésie, quant à elle, est encore peu traduite en anglais2, et ceci
en dépit de la place importante qu’occupe Deguy dans le paysage
Pour Deguy, c’est la poésie qui fait voir. Elle signale le danger
de ces mutations en cours, fonctionnant par les hypallages
clairvoyantes, qui sont comme les « voyants », indicateurs lumineux
qui se mettent au rouge. L’écologie s’avère « affine8 » à la poésie par
cette même qualité d’être clairvoyante. Les deux assument ensemble
la responsabilité politique d’un combat contre la mondialisation et
contre la croissance économique, en contre-point de l’écologisme
des partis politiques.
54
JULIA HOLTER
9. Deguy n’est pas un philosophe classique. Son mode d’exposition n’est pas
l’enchaînement des raisons mais la logique associative propre au poétique : il
pratique le fragment, le jeu de mots, la néologie, renouvelant le langage dans
une conscience constante des sonorités et des étymologies verbales.
10. L’écologie deguienne proteste contre « l’extraterrestration » qui veut
dire le manque d’attachement à l’habitation terrestre. (On retrouvera le mot
« attachement » dans la définition de l’écologie chez Bruno Latour.)
55
Figura no 36 - 2014
« MON MODE DE RÉSISTANCE S’APPELLE POÉSIE »
11. Entretien avec Julia Holter, « À propos des Écologiques de Michel Deguy »,
French Forum, University of Nebraska Press, vol. 38, nos 1-2, 2013, p. 159-172.
12. Michel Deguy, La Pietà Baudelaire, Paris, Belin, 2012, p. 116.
56
JULIA HOLTER
Contrat écopoétique
Stéphanie Posthumus, qui traduit depuis plusieurs années la
thématique environnementale de la littérature française en termes
écocritiques nord-américains, a déjà souligné l’importance capitale
du style et de la métaphore dans la pensée écologique de Michel
Serres. En reprenant cette question de l’importance du style, je me
permets d’établir, avec toutes les précautions d’usage, un parallèle
entre le contrat social de Jean-Jacques Rousseau, le contrat naturel19
de Michel Serres, autre philosophe de la nature, et l’écopoésie de
Michel Deguy. Chez ces trois auteurs, on discerne, me semble-
t-il, une même tradition rhétorique mitoyenne de l’éthique, celle
d’accuser l’homme pour attirer son attention, pour le séduire afin
de réveiller sa conscience, si on veut parler comme Jean Starobinski
dans Accuser et séduire, livre récent où le critique présente Rousseau
comme un prédicateur du changement moral qui accuse le mal pour
mieux séduire avec le remède20.
58
JULIA HOLTER
60
JULIA HOLTER
27. Michel Deguy, N’était le cœur, Paris, Galilée, 2011, quatrième de couverture.
28. Les contre-finalités en philosophie définissent les substances devenant leurs
propres fatalités, par exemple des technologies que nous produisons et qui vont
nous tuer.
62
JULIA HOLTER
Conscience et nature
après l’Affaire Sokal
P
armi les plus grands succès du box-office mondial, Avatar1
occupe une place particulière parce que l’expérience qu’il
fait vivre aux millions de spectateurs et celle vécue par le
protagoniste sont fusionnées pour produire l’expérience de l’évasion
dans l’imaginaire la plus enveloppante — à grand renfort de 3D
— qui soit (selon les adeptes du film). Les spectateurs accourant
pour vivre cette délicieuse paraplégie2, où vont-ils? Dans la nature.
Ainsi, le réalisateur qui avait fait chavirer les salles de cinéma et
la civilisation avec son Titanic3 récidive, cette fois avec un propos
positif et écologique. Du côté du littéraire, les réactions sont un
Or, « ce qui fait la force d’une œuvre de fiction, c’est la théorie qu’elle
contient et à laquelle elle tente de donner une vraisemblance6 ».
Alors, cette histoire, n’est-elle qu’une autre histoire de cowboys et
d’indiens de l’ère Greenpeace à la sauce hippie?
La boîte de Pandora
Plutôt qu’un mal, Avatar fut un symptôme, pas le plus déplaisant,
d’une crise de l’imaginaire qui trouve sa source dans une rupture
théorique qui s’est produite dans le monde de la science de la nature
7. Dans Avatar, l’Arbre des Âmes de Pandora, que les habitants de cette planète
utilisent pour entrer en contact avec l’ensemble de la nature (par une connexion
filaire assurée par un appendice de la tête), est tout à la fois le lieu d’une grande
messe panpsychiste, un réseau social, une salle de cinéma bondée et un cerveau.
L’homologie avec notre monde technologique, qui n’a échappé à personne, rend
le contact fantasmatique avec cette nature particulièrement troublant — ou
révulsant, pour les critiques de l’écran global.
8. Alan Sokal, « Transgressing the Boundaries: Towards a Transformative
Hermeneutics of Quantum Gravity », Social Text, no 46/47, printemps/été 1996,
p. 228.
67
Figura no 36 - 2014
CONSCIENCE ET NATURE APRÈS L’AFFAIRE SOKAL
et
9. Ibid., p. 219.
10. Ibid., p. 220.
11. Fritjof Capra, The Tao of Physics: An Exploration of the Parallels between
68
PIERRE-ALAIN GOUANVIC
Modern Physics and Eastern Mysticism, Boston, Shambhala, [1975] 2010, 368 p.
12. Alain Sokal, op.cit., p. 231.
13. Jean Bricmont et Alan Sokal, Pseudosciences et postmodernisme : adversaires ou
compagnons de route?, traduit par Barbara Hochstedt, préface de Jean Bricmont,
Paris, Odile Jacob, 2005, 224 p.
14. Jean Bricmont et Alan Sokal, op. cit., p. 163-200.
69
Figura no 36 - 2014
CONSCIENCE ET NATURE APRÈS L’AFFAIRE SOKAL
15. Cité dans Mara Beller, « The Sokal Hoax: At Whom Are We Laughing? »,
Physics Today, 1998, vol. 51, no 9, p. 29.
16. Cité dans Mara Beller, op. cit., p. 29.
70
PIERRE-ALAIN GOUANVIC
20. « In recent years it has become ever more difficult for me to follow
developments [in physics] with understanding. After trying, ever more enervated
and torn, I have finally given up in DESPERATION. », cité dans Louisa Gilder,
The Age of Entanglement: When Quantum Physics Was Reborn, New York, Vintage
Books, 2009, p. 147. J’ai expliqué tout le contexte du drame, qui comporte des
éléments personnels tragiques, sur la page biographique Wikipédia du physicien.
21. Dans le documentaire The Decision to Drop the Bomb (Fred Freed et Len
Giovannitti, NBC, 1965, 82 minutes), Oppenheimer déclare, s’inspirant de la
Bhagavad Gita, « Now I am become death, the destroyer of worlds ».
22. Guido Bacciagaluppi et Antony Valentini, Quantum Theory at the Crossroads:
Reconsidering the 1927 Solvay Conference, Cambridge, Cambridge University
Press, 2006, p. 553.
23. Oppenheimer, cité dans Mike Towler, « Not even wrong. Why does nobody
like pilot-wave theory? », diaporama du cours « De Broglie-Bohm pilot-wave
theory and the foundations of quantum mechanics », University of Cambridge,
2009, http://www.tcm.phy.cam.ac.uk/~mdt26/PWT/lectures/bohm7.pdf (22
janvier 2014).
72
PIERRE-ALAIN GOUANVIC
24. « Interview with Dr. Basil J. Hiley by Olival Freire at Birkbeck College,
London, England, January 11, 2008 », Niels Bohr Library & Archives, http://
www.aip.org/history/ohilist/33822.html (22 janvier 2014).
25. Anja Skaar Jacobsen, « Léon Rosenfeld’s Marxist defense of complementarity »,
Historical Studies in the Physical and Biological Sciences, 2007, vol. 37, supplément,
p. 3-34.
26. « Congrès Solvay », http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Solvay_
conference_1927.jpg (25 avril 2014).
73
Figura no 36 - 2014
CONSCIENCE ET NATURE APRÈS L’AFFAIRE SOKAL
75
Figura no 36 - 2014
CONSCIENCE ET NATURE APRÈS L’AFFAIRE SOKAL
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PIERRE-ALAIN GOUANVIC
31. L’article Wikipédia sur cet effet n’est pas trop hermétique : http://
fr.wikipedia.org/wiki/Effet_photo%C3%A9lectrique (22 janvier 2014).
32. Un exemple parmi d’autres : le professeur d’un cours de premier cycle de
physique affirme « I do not believe that Quantum Mechanics is understandable,
at least for the usual meaning of the word understand » et enchaîne sur une
collection de dualités (masculin/féminin, actif/passif, particule/onde, yang/
yin), pour terminer sur le son d’une main qui applaudit. (David M. Harrison,
« Complementarity and the Copenhagen Interpretation of Quantum Mechanics »,
http://www.upscale.utoronto.ca/GeneralInterest/Harrison/Complementarity/
CompCopen.html (22 janvier 2014).)
33. « Temps, matière & Espace », Science et Vie, « Hors Série », no 260,
7 septembre 2012.
34. Mike Towler, « Bohmian metaphysics: the implicate order and other arcana »,
diaporama du cours « De Broglie-Bohm pilot-wave theory and the foundations
of quantum mechanics », University of Cambridge, 2009, http://www.tcm.phy.
cam.ac.uk/~mdt26/PWT/lectures/bohm8.pdf (22 janvier 2014).
77
Figura no 36 - 2014
CONSCIENCE ET NATURE APRÈS L’AFFAIRE SOKAL
seront ponctuels, certes, mais ces points accumulés, telles les pièces
d’un casse-tête, finiront par dessiner la figure d’interférence décrite
ci-dessus lorsque la lumière semblait être une onde35. C’est parce
que le monde quantique est étrange et incompréhensible par nature,
pour l’initié qui a compris. Personne n’a compris les explications de
Bohr et personne ne sait s’il se comprenait lui-même.
38. Jorge Luis Borges, Fictions, Paris, Gallimard, coll. « folio » 1983, 185 p.
39. Tushna Commissariat, « The Secret Lives of Photons Revealed », New
Scientist, 3 juin 2011.
40. F. David Peat, « Active Information, Meaning and Form », http://www.
fdavidpeat.com/bibliography/essays/fzmean.htm (24 janvier 2014). Peat,
physicien et vulgarisateur prolifique, est le biographe de Bohm.
79
Figura no 36 - 2014
CONSCIENCE ET NATURE APRÈS L’AFFAIRE SOKAL
L
a cosmologie des modernes serait, selon l’anthropologue
Philippe Descola, en train de montrer des signes d’usure, si
ce n’est de carrément « vaciller1 ». Une cosmologie est, je le
rappelle, une manière de connaître un monde, ou, plus précisément,
de répartir et ordonner les éléments qui le constituent. Dans le cas
des modernes, ce partage et cette catégorisation reposent sur une
distinction tranchée entre une nature, universelle et partagée, et la
culture (ou civilisation), strict apanage de l’humain. Cette vision
du monde, qui se veut fondamentale et absolue, demeure pourtant
circonscrite dans le temps et l’espace : elle accompagne la pensée
des Lumières et se cristallise dans la seconde moitié du XIXe siècle;
production à l’origine occidentale, elle se distingue radicalement
des autres conceptions de l’univers défendues jusque-là, lesquelles
2. Ibid., p. 98.
3. Bruno Latour, Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en
démocratie, Paris, La découverte, [1999] 2004, p. 94.
84
SYLVAIN DAVID
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SYLVAIN DAVID
On est dès lors loin du roman réaliste moderne : alors que celui-
ci explorait un possible parmi des options existantes, la prose de
Chevillard — qui s’inscrit manifestement à l’encontre de ce que la
narration de la Nébuleuse nomme « la loi qui oppose à chaque chose
son contraire et permet de la définir par antithèse15 » — épuise son
sujet en cumulant les incarnations hétérogènes, voire incompatibles,
de celui-ci. Les récits de l’auteur mettent ainsi en application, à leur
Cosmologie et virtualité
Mais la littérature est-elle véritablement significative, dans un tel
contexte? La position de Philippe Descola, à cet égard, est ambiguë.
D’une part, à la toute fin de Par-delà nature et culture, il déclare
péremptoirement que les fantaisies narratives contemporaines
n’auraient d’autre fonction que de « secouer un moment le fardeau
d’un réel trop prévisible22 »; d’autre part, toutefois, dans une note de
bas de page de l’article « La fabrique des images », paru peu après,
il avance que les toiles cubistes — avec les perspectives multiples
qu’elles permettent sur un même objet — permettent de « discerner
avec le plus d’anticipation les signes d’un effritement de l’ontologie
naturaliste, lequel n’est devenu perceptible que bien après dans
d’autres domaines23 ». Bruno Latour, quant à lui, se montre en faveur
d’une approche narrative pour suivre adéquatement la constitution
de liens et de relations entre êtres et choses — invitant, par le fait
même, à « faire passer au premier plan la médiation même du
texte24 » — mais n’évoque pas (à ma connaissance) le cas de la pure
27. Pierre Lévy, Qu’est-ce que le virtuel, Paris, La Découverte, 1998, p. 10.
28. Ibid., p. 15.
95
Figura no 36 - 2014
COSMO/LOGOS. SORTIES LITTÉRAIRES DE LA MODERNITÉ
96
Christian Guay-Poliquin
Université du Québec à Montréal
C
ette citation, tirée du premier texte que l’on retrouve dans
Des anges mineurs, résume très bien l’univers crépusculaire
dans lequel évoluent les personnages d’Antoine Volodine.
1. Antoine Volodine, Des anges mineurs, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points »,
1999, p. 7-8.
LA FIN, LA FIN ET LA FIN
98
CHRISTIAN GUAY-POLIQUIN
Réfractions du post-exotisme
Rappelons d’emblée qu’Antoine Volodine est le pseudonyme
d’un prolifique auteur français ayant également publié, entre
autres, sous les noms d’Elli Kronauer, de Manuela Draeger et de
Lutz Bassmann. Opérant un constant brouillage des repères et des
référents traditionnels, Antoine Volodine forme à lui seul tout un
corpus d’auteurs réunis sous la bannière du post-exotisme. Décrivant
les affres d’une société sous l’emprise d’une économie capitaliste à
la fois chaotique et triomphante, l’univers post-exotique est habité
par des personnages se revendiquant d’un héritage égalitariste
déchu dont ils sont les derniers dépositaires. Néanmoins, bien
qu’ils soient indéniablement vaincus, emprisonnés ou mourants, les
protagonistes volodiniens demeurent toujours désirants. Ils incarnent
ainsi une résistance qui s’exprime davantage par l’espérance et
la remémoration que par des coups d’éclat ou des revendications
musclées. Ils ruminent, ils marmonnent, ils se souviennent, ils
déforment aussi parfois, les promesses d’un passé suranné afin
d’en réactiver les possibilités. Malgré une indubitable défection de
l’avenir, les rapports ambivalents que les personnages du corpus
post-exotique entretiennent avec le temps et l’histoire démontrent
le besoin irrépressible de sauver quelque chose du passé assignant
à un avenir qui fait défaut au présent. En somme, dans cet univers,
on retrouve une pluralité de personnages qui, bien qu’ils vivent dans
l’ombre, n’arrivent jamais à taire leurs espérances. Dans Dondog,
on retrouve d’ailleurs Bartok, ce vieillard qui, dans la péniche sur
laquelle Dondog s’était réfugié lors de la deuxième extermination
des Ybürs, « avec des sifflements de centenaire, près du poêle éteint,
ruminait [d]es anathèmes gauchistes, mais il ne les énonçait pas4 ».
Historicité de la fin
Dans le premier volet de son triptyque Temps et récit, Ricoeur
avance que « [l]e temps devient humain dans la mesure où il est
articulé de manière narrative; en retour le récit est significatif dans
la mesure où il dessine les traits de l’expérience temporelle12 ».
Autrement dit, en proposant une herméneutique fondée sur la
correspondance entre récit et expérience de temps, Ricoeur insiste
sur l’importance du langage narratif pour rendre intelligible, donc
transmissible, le temps humain. Dans Revenances de l’histoire, Jean-
François Hamel avance d’emblée qu’à cette réciprocité « il paraît
légitime d’indexer l’historicité des pratiques narratives, c’est-à-
dire leur variabilité dans le temps et l’espace, à l’historicité des
formes de l’expérience temporelle13 ». Plus précisément, poursuit-il,
« [l]’invention de nouvelles configurations narratives constituerait la
conséquence vraisemblable, sinon nécessaire, d’une transformation
de l’expérience temporelle14 ». Ainsi, les textes littéraires révèlent
parfois, aux yeux du chercheur qui télescope les dispositions
12. Paul Ricoeur, Temps et récit I. L’intrigue et le récit historique, Paris, Éditions du
Seuil, 1991 [1983], p. 11.
13. Jean-François Hamel, Revenances de l’histoire. Répétition, narrativité,
modernité, Paris, Minuit, 2006, p. 26.
14. Ibid., p. 27.
103
Figura no 36 - 2014
LA FIN, LA FIN ET LA FIN
15. Ibid., p. 7.
104
CHRISTIAN GUAY-POLIQUIN
16. Manuela Draegger, Onze rêves de suie, Paris, Éditions de l’Olivier, 2010,
p. 168.
17. Antoine Volodine, Le post-exotisme en dix leçons, leçon onze, op, cit., p. 39-40.
105
Figura no 36 - 2014
LA FIN, LA FIN ET LA FIN
De cette façon, l’avenir dans cet univers semble dépourvu des attributs
avec lesquels on le qualifie habituellement. Certes, il fait partie du
futur, mais il n’attise ni crainte ni réelle espérance. Il est informe. La
seule chose qu’il semble susciter, c’est un sentiment d’épuisement,
de fatigue. Néanmoins, les protagonistes volodiniens ne cessent de
vouloir assigner un passé à celui-ci, aussi improbable soit-il. Ainsi,
c’est de façon paradoxale que l’avenir léthargique chez Volodine
est investi par la conscience historique des personnages. C’est donc
par opposition, voire négativement, que le post-exotisme affirme la
survivance des idéaux du passé au-delà de la consécration de leur
défaite. C’est en se remémorant ces derniers que les protagonistes
de Volodine historicisent et politisent la fin en assurant un avenir au
passé dont elle sonne le glas.
21. Theodor W. Adorno, Dialectique négative, Paris, Éditions Payot, 1979, p. 20.
22. À ce sujet, voir Krzysztof Pomian, « La crise de l’avenir » dans Sur l’histoire,
Paris, Gallimard, 1999, p. 233-262.
107
Figura no 36 - 2014
LA FIN, LA FIN ET LA FIN
Paysages de la fin
Les paysages post-exotiques se poursuivent en nous, bien après
la lecture, comme des images oniriques ou de lointains souvenirs de
voyage. À la fois incongrus et inquiétants, parfois chargés, parfois
déserts, ils forment un décor fascinant qui nous est, encore une fois,
étrangement familier. Villes abandonnées ou reconstruites à la hâte,
déserts jonchés de déchets, forêts inhabitées, camps de concentration
en ruines, édifices envahis par la jungle, océans corrosifs, étang de
bitume, les lieux chez Volodine sont marqués par le dérèglement,
le changement et le déséquilibre. Les murs s’effondrent, la nature
s’étiole. Tout subsiste, mais, à l’image du pommier cité en exergue,
rien n’est ce qu’il était.
108
CHRISTIAN GUAY-POLIQUIN
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CHRISTIAN GUAY-POLIQUIN
Habitants de la fin
En mettant en scène des personnages évoluant entre des ossatures
décharnées de l’époque industrielle, des décombres, des cités
désertées et des rivages goudronneux, Volodine nous parle davantage
de l’agonie de la société que de l’état détraqué du monde naturel.
Pourtant, l’un et l’autre se répondent, se complètent. Alors que les
représentations de la nature évoquent les multiples dérèglements du
monde, les protagonistes post-exotiques luttent, survivent et surtout
s’adaptent à ces conditions de vie particulières. Ainsi, dans Les songes
de Mevlido, Volodine décrit une humanité en pleine transformation
qui touche simultanément à sa fin et, au-delà, à sa métamorphose.
31. Antoine Volodine, Les songes de Mevlido, Paris, Éditions du Seuil, 2007,
p. 445.
32. Antoine Volodine, Des anges mineurs, op. cit., p. 173.
112
CHRISTIAN GUAY-POLIQUIN
34. Antoine Volodine, Le nom des singes, Paris, Minuit, 1994, p. 136.
35. Manuela Draegger, Onze rêves de suie, op. cit., p. 165.
114
CHRISTIAN GUAY-POLIQUIN
116
CHRISTIAN GUAY-POLIQUIN
43. Fredric Jameson cité dans Slavoj Zizek, Vivre la fin des temps, traduit par
Daniel Bismuth, Paris, Éditions Flammarion, 2010, p. 450.
117
Figura no 36 - 2014
Philippe Handfield
Université Concordia
Le sublime chez
Michel Houellebecq.
De la domination à la réconciliation
dans notre rapport avec la nature
L
e paradigme cybernétique modélise aujourd’hui notre vision
du monde, de l’homme, de notre corps et de notre existence.
La cybernétique réduit l’Être à la transmission d’informations,
elle se caractérise par la volonté de communiquer sans cesse, de
devenir transparent et ouvert, avec une efficacité et une rapidité
toujours plus accrues. Devant la seconde loi de la thermodynamique,
qui détermine l’accroissement constant de l’entropie dans l’univers,
Norbert Wiener, mathématicien et père de la cybernétique, conçoit
l’information comme une résistance au désordre. Dès 1957,
le mathématicien américain soumet l’idée d’une cartographie
informationnelle de la vie, d’une maîtrise et d’une manipulation du
« code » que serait l’humain. Les intuitions de Norbert Wiener se
concrétisent en quelque sorte par le projet Génome humain, complété
en 2003, qui alimente cette vision réductrice et unilatérale d’un
monde « mécaniste » constitué d’une unité primaire : l’information.
LE SUBLIME CHEZ MICHEL HOUELLEBECQ
Et cela n’est pas sans conséquence sur l’art romanesque. Pour Michel
Houellebecq, la construction de personnage consiste aujourd’hui
en un « exercice un peu formel et vain », car là où l’explication
cybernétique règne, la profondeur psychologique qu’implique la
notion même de personnage devient obsolète : la personnalité et
les émotions deviennent le produit d’échanges hormonaux, simples
paramètres de calibration, interprétables et manipulables comme le
serait une base de données et d’informations.
120
PHILIPPE HANDFIELD
des « types » humains qui existent, il échoue lui aussi dans sa tentative
de capter la figure de l’artiste.
5. Ibid., p. 173.
6. François Filleul, « L’“Illimité émotionnel” dans Les Particules élémentaires
de Michel Houellebecq. Anticipation nostalgique et utopie poétique » dans
Montserrat Serrano Manes, La philologie française à la croisée de l’an 2000 :
panorama linguistique et littéraire, vol. 1, 2000, p. 88.
7. Ibid., p. 90.
8. Michel Houellebecq, Les Particules élémentaires, op. cit., p. 225.
121
Figura no 36 - 2014
LE SUBLIME CHEZ MICHEL HOUELLEBECQ
14. Ibid.
15. Ibid.
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PHILIPPE HANDFIELD
18. Emmanuël Kant cité dans Theodor Adorno, Autour de la Théorie esthétique,
Paris, Klincksieck, 1976, p. 112.
19. Ibid., p. 112.
126
PHILIPPE HANDFIELD
130
PHILIPPE HANDFIELD
langage commun, nie les stéréotypes, les ragots, les lieux communs
et les idéologèmes (unité fonctionnelle du discours). L’art est pour
Adorno « une énigme », et se refuse à la circoncision rationnelle
du monde, se refuse à la définition, c’est-à-dire qu’il ne comporte
aucune réflexivité raisonnable. Car l’art ouvrirait à la dialectique
que les systèmes logocentristes, mathématiques, voire cybernétiques
tendent à inhiber.
132
PHILIPPE HANDFIELD
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PHILIPPE HANDFIELD
135
Figura no 36 - 2014
LE SUBLIME CHEZ MICHEL HOUELLEBECQ
136
PHILIPPE HANDFIELD
île ne résout pas les problèmes dépeints tout au long du récit de ses
personnages. Les posthumains du premier roman sont, rappelons-le,
le produit technoscientifique de la résolution des inégalités des
sociétés libérales occidentales. L’épilogue consiste en un passage
bénéfique vers une posthumanité utopique : celle de La Possibilité
d’une île emploie le chemin inverse. Le posthumain, à la suite d’une
révélation artistique, souhaite retrouver un état naturel, retourner à
un état plus « humain » : les frontières entre l’homme et un possible
successeur se brouillent, ce qui est soulevé par la mise en scène d’une
sensibilité esthétique sublime, atavique.
137
Figura no 36 - 2014
Gabriel Vignola
Université du Québec à Montréal
D
ans La Politique des États et leur géographie, Jean Gottmann
pose la problématique des relations internationales à partir
de cette hypothèse : « On peut se demander si l’humanité
habitant une “boule de billard” aurait été divisée en autant de
groupements différents que les États de notre planète1. » L’auteur
suppose ici l’influence sur le développement des sociétés humaines
de la diversité climatique et biologique de la planète. En effet, un
des enjeux fondamentaux des relations internationales est l’accès
aux ressources. Or, les différents États à la base du système mondial
actuel ne sont pas toujours délimités en fonction de frontières
naturellement inscrites sur le territoire, pas plus que les limites ainsi
imposées ne peuvent prétendre à séparer deux peuples de façon
2. Ibid., p. 2.
3. Ibid., p. 226.
4. Silviu Brucan, « L’État et le système mondial », Revue internationale des sciences
sociales, Paris, vol. XXXI, no 4, 1980, p. 811.
5. Dans Imagined Communities, Benedict Anderson définit la nation ainsi :
« it is an imagined community — and imagined as both inherently limited and
sovereign […] It is imagined because the members or even the smallest nation
will never know most of their fellow-members, or even hear of them, yet in the
minds of each lives the image of their communion […] The nation is imagined
as limited because even the largest of them, encompassing perhaps a billion
140
GABRIEL VIGNOLA
living human beings, has finite, if elastic, boundaries, beyond which lie other
nations […]. It is imagined as sovereign because the concept was born in an
age which Enlightenment and Revolution were destroying the legitimacy of
the divinely-ordaines, hierarchical dynastic realm […]. Finally, it is imagined
as a community, because, regardless of the actual inequality and exploitation
that may prevail in each, the nation is always conceived as a deep, horizontal
comradeship. » (Benedict Anderson, Imagined Communities, Londres, Brooklyn,
Verso, 2006 [1983], p. 6-7.)
6. « Il semble en effet que le discours romanesque et poétique soit ordinairement
en avance sur celui des idéologies et des sciences sociales, ce qui en fait un
témoin précieux de l’évolution culturelle du Nouveau Monde, un confident de
ses ambiguïtés, de ses angoisses et de ses réorientations. » (Gérard Bouchard,
Genèse des nations et cultures du Nouveau Monde. Essai d’histoire comparée,
Montréal, Boréal, 2001, p. 27.)
7. Pierre Perrault, De la parole aux actes, Montréal, Éditions de L’Hexagone, coll.
« Essais », 1985, 431 p. Désormais, les références à ce texte seront indiquées
entre parenthèses à la suite de la citation, précédées de la mention DPA.
141
Figura no 36 - 2014
PIERRE PERRAULT ET LA PAROLE DE LA NATURE
11. Dans le même ordre d’idées, Donald Creighton considère que le Canada
s’est développé grâce à l’existence « of a vast trading network, based on the
St. Lawrence River and the Great Lakes, which linked the interior of British
North America to the markets of Europe. » (Charles Taylor, Radical Tories,
Toronto, House of Anansasi Press, 1982, p. 29.) L’auteur sous-estime toutefois
l’apport des communautés francophones dans ce développement.
12. Jocelyn Létourneau et Anne Trépanier, « Le lieu (dit) de la nation : essai
d’argumentation à partir d’exemples puisés au cas québécois », Canadian Journal
of Political Science/Revue canadienne de Science politique, vol. 30, no 1, 1997,
p. 71. Pour consulter l’intégrale du document, voir : Déclaration de souveraineté
du Québec, Bibliothèque et archives nationales, http://bibnum2.banq.qc.ca/
bna/actionnationale/src/1995/05/05/1995-05-05.pdf, (9 janvier 2014).
143
Figura no 36 - 2014
PIERRE PERRAULT ET LA PAROLE DE LA NATURE
13. Lawrence Buell, The Environmental Imagination. Thoreau, Nature Writing, and
the Formation of American Culture, Cambridge, Londres, The Belknap Press of
Harvard University Press, 1995, p. 32.
14. Benedict Anderson, op. cit., p. 195.
144
GABRIEL VIGNOLA
15. Lawrence Buell, Writing for an Endangered World. Literature, Culture, and
Environement in the U.S. and Beyond, Cambridge, Londres, The Belknap Press
of Harvard University Press, 2001, p. 72. Contient une citation de Alexander
Wilson, The Culture of Nature: North American Landscape from Disney to the
« Exxon Valdez », Cambridge, Blackwell, 1992, p. 12.
145
Figura no 36 - 2014
PIERRE PERRAULT ET LA PAROLE DE LA NATURE
Pour Gérard Bouchard, ces concepts agissent comme des idéaux types
autour desquels se construit le discours du nationalisme au Nouveau
Monde. Celui-ci porte toujours une part d’équivoque dans la mesure
où chaque culture, à chaque moment de son histoire, comporte des
traits de continuités et de ruptures qui se développent en parallèle.
146
GABRIEL VIGNOLA
148
GABRIEL VIGNOLA
Or, l’auteur fait cela avec une telle radicalité qu’il en vient à
questionner les mécanismes du nationalisme. En effet, comme je l’ai
évoqué plus tôt, en rejetant les forces homogénéisatrices à l’œuvre
dans les journaux et dans le roman, c’est la dynamique même de
l’imaginaire national qu’il conteste. Pour Benedict Anderson,
l’émergence du nationalisme au XVIIIe siècle est intimement liée au
développement de ces formes d’écrits. « For these forms provided the
technical means for ‘re-presenting’ the kind of imagined community
that is the nation25. » Le capitalisme naissant s’affirmant dans le
développement de l’imprimé en Europe à partir de la Renaissance a
fait en sorte de jeter les bases de la nation moderne en entrainant,
d’une part, une homogénéisation linguistique permise par la
production et la diffusion de textes écrits en langue vernaculaire.
Les États européens étaient alors caractérisés par une grande
hétérogénéité linguistique. L’expansion du marché de l’imprimé
obligeait donc à écrire de façon à rendre les textes compréhensibles
par le plus grand nombre, imposant en cela certaines normes qui,
150
GABRIEL VIGNOLA
152
GABRIEL VIGNOLA
nous autres
icitte
à l’île...
tous les gens de l’île...
i nous appellent les marsouins
à première vue
on peut penser que c’est par rapport
à la pêche à marsouins
pas pour moé...
[…]
nous sommes isolés...
nous sommes sur une île
nous sommes tout le temps sur l’eau (DPA, p. 20-21)
154
GABRIEL VIGNOLA
32. Pierre Dansereau, La Terre des hommes et le paysage intérieur, Ottawa, Éditions
Leméac, 1973, p. 20.
33. Ibid., p. 11.
34. René Audet, « L’écologie humaine de Pierre Dansereau et la métaphore du
paysage intérieur », Natures Sciences Sociétés, vol. 20, no 1, 2012, p. 37.
35. Pierre Dansereau, op. cit., p. 9.
155
Figura no 36 - 2014
PIERRE PERRAULT ET LA PAROLE DE LA NATURE
156
GABRIEL VIGNOLA
36. Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Paris, Éditions Pocket, coll. « Agora »,
1990 [1962], p. 24.
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Figura no 36 - 2014
PIERRE PERRAULT ET LA PAROLE DE LA NATURE
37. Pierre Dansereau, « Les forces de la nature : les réponses de la culture », Vie
des Arts, vol. 35, n° 141, 1990, p. 19.
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Figura no 36 - 2014
Mirella Vadean
Université Concordia
P
eut-on comprendre, à la lumière du savoir écologique, l’esprit
comme milieu des idées? Quel serait, depuis cette perspective,
le rapport entre l’esprit et l’entendement, ces deux grandes
catégories de la pensée? Il a été montré que « l’entendement ne connaît
rien par ses seules forces ». Les opérations logiques sont conduites par
lui, « mais à la condition que la sensibilité lui fournisse les éléments
sur lesquels [l’entendement] travaille1 ». Cette sensibilité s’installe
dans notre cas, grâce à la littérature. Aujourd’hui, la pensée littéraire
ne rivalise plus avec la pensée scientifique, cela en dépit du fait que
la pensée littéraire soit la pensée qui favorise le plus l’abstraction
mentale, ce que toute forme de savoir exige, en fait. La figuration
comme activité de l’imaginaire et de la créativité, le symbole, dont
le rôle est d’établir le lien entre des présences et des absences, entre
ce qui se montre et ce qui se cache, sont des outils par lesquels la
littérature exprime ce qu’autrefois on appelait « l’esprit ».
2. Bateson montre que l’écologie n’est autre chose que l’interaction et la survie
des idées. (Gregory Bateson, Vers une écologie de l’esprit. Tomes I et II, Paris,
Seuil, 1995, 645 p.)
3. Marie Darrieussecq, Le Mal de mer, Paris, POL Éditeur, 1999, 128 p. Désormais,
les références à ce texte seront indiquées entre parenthèses à la suite de la
citation, précédées de la mention LMDM.
4. Marie Darrieussecq, White, Paris, POL Éditeur, 2003, 224 p. Désormais, les
références à ce texte seront indiquées entre parenthèses à la suite de la citation,
précédées de la mention W.
162
MIRELLA VADEAN
164
MIRELLA VADEAN
laisse derrière lui sa femme qui puisera dans ses dernières économies
et s’embarquera pour l’Australie, en quête d’une vie nouvelle.
7. À lire aussi l’ouvrage de Marie Darrieussecq, Précision sur les vagues, Paris, POL
Éditeur, 2008, 48 p. Cet ouvrage a pris naissance suite à l’écriture du roman Le
Mal de mer où l’économie du récit n’a pas permis à l’auteure de décrire à volonté
la façon dont les vagues se forment, leur sens.
165
Figura no 36 - 2014
L’ESPRIT COMME MILIEU DES IDÉES
8. La fractale est un objet, une surface qui se forme par la réitération à des
échelles variables d’un motif de base (pattern), selon des lois déterministes.
Bien que le phénomène soit connu depuis longtemps, la notion de fractale a été
introduite par le mathématicien Benoît Mandelbrot dans les années 70, suite à
l’observation du relief de la côte maritime de Bretagne. Voir Benoît Mandelbrot,
Les objets fractals, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1975, 190 p.
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MIRELLA VADEAN
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Figura no 36 - 2014
L’ESPRIT COMME MILIEU DES IDÉES
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MIRELLA VADEAN
10. Ibid.
11. Au tribunal les juges s’interrogent si un acte est intentionnel ou commis
non intentionnellement pour calibrer la peine, pour décider si le coupable
est responsable ou non de ses actes. Pour plus de détails voir Pierre Jacob,
L’intentionnalité. Problème de la philosophie de l’esprit, Paris, Odile Jacob, 2004,
299 p.
169
Figura no 36 - 2014
L’ESPRIT COMME MILIEU DES IDÉES
15. Comme l’avait affirmé l’auteure dans une entrevue, il y a plusieurs années.
171
Figura no 36 - 2014
L’ESPRIT COMME MILIEU DES IDÉES
Nous, lecteurs, nous nous laissons envahir par ces fantômes, nous
comprenons l’histoire grâce à eux. « Ils [nous] ouvrent les bras. Ils
[nous] attendaient. Ce que [nous voulions] savoir, ils vont [nous]
l’apprendre » (W, p. 155). En édifiant un espace-temps qui dépasse
le moi, ils décrivent la fractale en traçant à travers et à partir du récit
l’esprit d’Edmée :
Ou celui de Peter :
21. La notion freudienne se voit reprise par Derrida dans L’écriture et la différence,
op. cit., p. 317 et suiv.
176
Collection « Figura »
Directeur : Bertrand Gervais