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Pianiste Magazine - 104 - Mai Juin 2017
Pianiste Magazine - 104 - Mai Juin 2017
Pianiste Magazine - 104 - Mai Juin 2017
DE PARTITIONS
TOUS NIVEAUX
PROGRESSEZ À VOTRE RYTHME, VIVEZ VOTRE PASSION ! www.pianiste.fr / Bimestriel mai-juin 2017 n°104
JOUEZ
ET GAGNEZ
l’intégrale Pollini
VD !
en 55 CD et 3 D
PAGE 71
REPORTAGE
Au cœur des pianos
Bösendorfer
NOS TESTS
Trois pianos droits
d’excellente facture
À L’AFFICHE
Lukas Geniusas
Belgique, Lux, Grèce, Port cont., Italie: 9,20 € - Canada: 12,50 $can - Dom: 9,20 € - Nouvelle Calédonie: 1150 XPF - Polynésie: 1300 XPF - Suisse: 15,10 CHF
ALFRED
BRENDEL
M 03611 - 104 - F: 8,90 E - RD
L’âme sensible
ZINIO
LE MAGAZINE
5 ÉDITORIAL
Par Stéphane Friédérich
6 ACTUALITÉS
Événements, festivals,
partitions, livres…
24 À L’AFFICHE
Lukas Geniusas
28 REPORTAGE
Bösendorfer: valse de timbres et de couleurs
34 EN COUVERTURE
Alfred Brendel : le cœur et la raison
60 PIANOS À LA LOUPE
BENJAMIN EALOVEGA/DECCA
LIVRET DE PARTITIONS
32 pages de partitions
annotées
FELIX BROEDE/SONY CLASSICAL
LA PÉDAGOGIE
43 UNE AFFAIRE DE CŒUR
SDP
J.-F. PAGA
28
ÉDITORIAL
PIANISTE EST UNE PUBLICATION BIMESTRIELLE N O 104 ❚ MAI-JUIN 2017
SOCIÉTÉ ÉDITRICE : Groupe L’Express
SA au capital de 47 150 040 euros
SIÈGE SOCIAL : 29, rue de Châteaudun,
75308 Paris Cedex 09
Tél. : 01 75 55 10 00 - Fax : 01 75 55 41 11
RCS 552 018 681 Paris
PRINCIPAL ACTIONNAIRE : SFR PRESSE
PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL : Alain Weill
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : Guillaume Dubois
ABONNEMENTS
Pianiste - Service Abonnements
4, route de Mouchy, 60438 Noailles Cedex
Tél. : 01 70 37 31 53 - Fax : 01 55 56 70 91
Depuis l’étranger : (+33) 1 70 37 31 53
E-mail : abonnements@pianiste.fr
www.pianiste.fr/abonnements
Tarifs abonnements France Métropolitaine
39 euros - 1 an (soit 6 nos + 6 CD) ;
69 euros - 1 an (soit 6 nos + 6 CD + 6 DVD)
« Tradition ist
RÉDACTION
DIRECTEUR DE LA RÉDACTION :
Bertrand Dermoncourt
Tél. : 01 75 55 43 33 (bdermoncourt@lexpress.fr)
RÉDACTEUR EN CHEF :
Schlamperei »*
Stéphane Friédérich
Tél. : 01 75 55 41 51 (sfriederich@pianiste.fr)
G
SECRÉTAIRE DE RÉDACTION : Valérie Jacobs
Tél. : 01 75 55 41 53 (vjacobs@pianiste.fr) ustav Mahler serait l’auteur de cette ses instruments. Pour les musiciens, faire vivre
ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO : Sylvia
Avrand-Margot, Jacques Bonnaure, Jany Campello,
phrase, agacé que les directeurs d’opéras, une tradition est souvent une exigence artistique.
Jérôme Chatin (photo), Jean-Noël Coucoureux, les metteurs en scène et les artistes s’enfer- Certains l’ont portée jusqu’au sacerdoce.
Bernard Désormières, Michel Fleury, Elsa Fottorino,
Antoine Hervé (pédagogie), Jean-Pierre Jackson,
ment dans leurs traditions et la patine de C’est le cas du pianiste autrichien Alfred Brendel,
Claire-Marie Le Guay, Aurélie Moreau, celles-ci, qui n’est que le visage distingué de la en couverture de ce numéro. Son œuvre, consacrée
Clément Serrano, Alexandre Sorel, Véra Tsybakov
(pédagogie), Philippe Venturini
routine. Au début du XXe siècle, le chef d’orches- en grande partie à la musique viennoise, de Mozart
DIRECTRICE ARTISTIQUE : Isabelle Gelbwachs tre et compositeur combattit cette forme de paresse à Schoenberg, témoigne d’une fidélité maniaque
RÉDACTEUR-GRAPHISTE : Sarah Allien
(sallien@groupe-exp.com)
jusqu’à Vienne où il régna sans partage sur la vie aux textes. Pour autant, la probité de ses inter-
SERVICE PHOTO : Cyrille Derouineau symphonique et lyrique. Ce mois-ci, nous som- prétations, son questionnement incessant des
Tél. : 01 75 55 44 41 (cderouineau@lexpress.fr)
PHOTO DE COUVERTURE : Lewis/Writer
mes allés dans cette capitale d’un empire disparu, sources musicales du répertoire viennois qu’il a
Pictures/Leemage contemplant les imposantes façades des monu- parcouru toute sa vie ne l’ont pas empêché d’écrire
MANAGEMENT ments dédiés aux arts, qui rendent dérisoires dans son ouvrage L’Abécédaire d’un pianiste que
DIRECTEURS GÉNÉRAUX DÉLÉGUÉS :
François Dieulesaint, Guillaume Dubois les luxueuses boutiques des rues piétonnes. « les règles sont là pour être remises en question ».
DIRECTEUR DÉLÉGUÉ PÔLE CULTURE : Nous avons poussé les portes du Stadtsalon de C’est peut-être la meilleure définition d’une tra-
Tristan Thomas
Tél. : 01 75 55 40 73 (tthomas@groupe-exp.com) Bösendorfer, situé derrière la mythique salle de dition intelligente et heureuse.
PUBLICITÉ : concert du Musikverein, pour vous emmener à
Hind Benbirahim (Directrice de clientèle)
Tél. : 01 75 55 42 77 ou 06 26 95 86 46 la découverte de la nouvelle série de pianos de la * La tradition est une négligence.
Fax : 01 75 55 16 06 (hbenbirahim@er-services.fr) marque, Vienna Concert. Celle-ci l’a conçue pour
VENTE AU NUMÉRO RÉSERVÉE
AUX DÉPOSITAIRES DE PRESSE répondre aux exigences des interprètes d’aujour- Stéphane Friédérich
Tél. : 0800 42 32 22 d’hui, tout en préservant la sonorité typée de Rédacteur en chef
ANCIENS NUMÉROS-VPC :
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FABRICATION : Pascal Delépine (Directeur
technique), Dominique Savonneau
PRÉPRESSE : Key Graphic
PÔLE GRAND PUBLIC
L’Express, Classica, Lire, StudioCinélive, Pianiste
GROUPE L’EXPRESS PIANISTE ET LA SALLE GAVEAU PRÉSENTENT
Diffusion : Alexis Bernard
Directeur des ressources humaines :
Jules Neutre
Directeur des services informatiques :
Au cœur d’une œuvre
Christophe Godin
IMPRIMERIE
Roularta Printing. Imprimé en Belgique
Les chefs-d’œuvre du piano
• Distribution : Presstalis • Diffusion en Belgique :
AMP, Rue de la Petite Ile 1 B-1070 Bruxelles
racontés et interprétés
Tél : + 32 (0) 252 514 11 - E-mail : info@ampnet.be
N° de commission paritaire : 0917 K 80147 par Claire-Marie Le Guay
N° ISSN : 1627-0452 • Dépôt légal : 2er trim. 2017
Les indications de marques et adresses qui figurent dans les pages rédaction-
nelles sont fournies à titre informatif, sans aucun but publicitaire. Toute repro-
duction de textes, photos, logos, musiques publiés dans ce numéro est rigou- 11 mai 2017 à 12 h 30 et 20 h3 0
JÉRÔME CHATIN POUR PIANISTE
ACTUALITÉS ÉVÉNEMENTS
Plus d’infos sur www.pianiste.fr
de nombre d’interprètes
dits « baroqueux »…
On ne peut pas tout jouer dans un
seul style. Certains diminuendos et
certaines notes « leaders » d’une
partition doivent être privilégiés.
Même si j’apprécie la clarté, les jeux
de texture et souvent la sensibilité
des interprètes baroques, je pense
très différemment d’eux ; avec beau-
coup de nuances certes, car la « famille
baroque » est très diverse : songez
aux interprétations des Gardiner,
Norrington ou Harnoncourt.
Quel type de piano
et de sonorités recherchez-vous
dans cette musique ?
Je ne recherche pas un piano spécial.
Il faut simplement qu’il soit expres-
sif. Je ne suis pas attaché à une sono-
rité en particulier. Vous pouvez
jouer Bach sur toutes sortes de cla-
viers. Le son est un paramètre
secondaire. C’est très différent des
œuvres de la période romantique
qui sont intimement liées à la fac-
ture instrumentale.
À L’ÉPREUVE DU BACH
plus italienne que française. Les
Suites françaises sont particulière-
ment délicates, comme le répertoire
français de l’époque. En revanche,
Le 22 juin, le pianiste donnera un récital à la Philharmonie de Paris. De passage les Suites anglaises me paraissent
dans la capitale, il nous a accordé un entretien. Le sujet : le Cantor de Leipzig ! franchement françaises !
philharmoniedeparis.fr
D
Propos recueillis
eutsche Grammophon semblait préférable. Le seul qui per- C’est la manière dont on transpose par Stéphane Friédérich
a sorti votre sistait… dans l’erreur était Glenn au piano les ornements, par exem-
enregistrement Gould. Je l’ai rencontré et nous ple, qui est importante. Dans ce 1. Heinrich Schenker (1868-1935) fut
des Suites avons longuement parlé, pas telle- domaine aussi, l’évolution a été un compositeur, pianiste et théoricien
dont la méthode d’analyse de la musique
françaises de Bach. ment de Bach, mais plutôt de la considérable. Dans les années 1950-
tonale a fortement influencé de grands
Vous jouerez l’une d’entre elles musique en général. Sa conception 1960, le jeu était empreint d’une pianistes comme Murray Perahia
à la Philharmonie de Paris. de l’interprétation n’était pas la austérité, d’une rigueur toute ger- et Alfred Brendel.
Quel regard portez-vous mienne. Je pense que l’œuvre de manique. Chaque note était sacra-
sur l’évolution de vos interprétations Bach doit résonner dans notre pré- lisée. Plus je me suis penché sur
de l’œuvre de Bach ? sent. Je ne joue donc pas dans le le contrepoint, plus j’ai réalisé que À ÉCOUTER
Quand j’ai commencé à jouer Bach, style d’un claveciniste, mais sur celui-ci était en vérité au service 22 juin, Philharmonie de
il y a fort longtemps, la plupart des un piano d’aujourd’hui, qui est l’ins- de l’émotion. Tout mon travail a Paris ➜ Bach : Suite française
pianistes, comme Claudio Arrau trument le plus répandu au monde. consisté à retrouver un art du chant n°6 BWV 817 ➜ Schubert :
et Clifford Curzon, m’ont conseillé Cela étant, pendant deux ans, qui soit le plus naturel possible. Impromptus D.935
de ne pas interpréter son œuvre au j’ai étudié en détail et au clavecin Vous avez été profondément ➜ Beethoven : Sonate n°32
piano (ce qu’eux-mêmes avaient les écritures de Couperin, Rameau, inspiré par l’analyse de Schenker1 opus 111
pourtant fait !). Le clavecin leur Bach et d’autres compositeurs. qui s’oppose à la conception
Événements exclusifs
Tous les mercredis à 19h30 du 17 mai au 5 juillet
Places limitées – Inscriptions sur steinway.fr
ACTUALITÉS ÉVÉNEMENTS
Plus d’infos sur www.pianiste.fr
LA CONQUÊTE
DE L’AMÉRIQUE
Créée en 2014 par Mathieu Petitjean, un Français
installé outre-Atlantique, cette fondation aide
les jeunes pianistes à lancer leur carrière
aux États-Unis. Une idée menée… tambour battant !
P
romouvoir les jeunes artis-
tes français dans des pays
anglo-saxons, et plus parti-
culièrement aux États-Unis,
n’est pas aisé. Après une conversa-
tion avec Jean-Efflam Bavouzet et
Le salon du consulat
Jerome Rose, un chef d’entreprise, de France à New York où se
MARK C. MORRIS
Mathieu Petitjean s’est attaqué à produisent, entre autres,
ce constat : « Carte blanche est laissée les boursiers de la fondation.
aux deux Conservatoires nationaux
de Paris et de Lyon pour qu’ils sélec- Nous avons quatre boursiers par an des idées et une énergie qui inter- Conservatoires de Paris et de Lyon.
tionnent les meilleurs candidats, futurs (cette année, seulement deux, car nous pellent. Deux anciens boursiers en « Depuis 2014, nous avons accueilli
boursiers de la fondation. De notre côté, faisons l’acquisition d’un Steinway témoignent. « Aux États-Unis, j’ai une trentaine de lauréats. Progressi-
trois critères sont nécessaires : avoir modèle B qui sera installé au consu- pu rencontrer des enseignants venus vement, les lieux de récitals s’ouvrent
la nationalité française, moins de lat de France à New York). Nous du monde entier, participer à diverses et nous fidélisons un certain nombre
27 ans et accueillir autant de filles sommes en quelque sorte un “incuba- classes de maître et enrichir mon projet d’étudiants qui reviennent au début
que de garçons. Nous apportons alors teur pour jeunes pianistes”. » consacré à la musique espagnole et, tout de leur carrière avec un premier disque.
un soutien financier grâce à des entre- La bourse assure la prise en charge particulièrement, à Iberia d’Albéniz », C’est tout un réseau qui se crée entre
preneurs français installés outre- des voyages et des séjours à New confie Julie Alcaraz. Tanguy de Wil- les conservatoires en France, le Bureau
Atlantique. Nous faisons connaître York, ainsi que la participation aux liencourt est tout aussi enthousiaste : Export et la diplomatie française »,
ainsi la nouvelle génération de pia- classes de maître organisées dans « Durant deux semaines d’académie conclut Mathieu Petitjean. La French-
nistes français et, du même coup, le cadre de l’International Keyboard de musique, vous êtes immergé dans American Piano Society est assuré-
un répertoire auprès des Américains, Institut & Festival initié par Jérome des cours “à la carte”, au cœur de ment un atout supplémentaire pour
très friands de la French Touch. Rose. Sans rivaliser avec les masto- l’effervescence de la vie musicale améri- les jeunes talents français. « A vision
Nos jeunes interprètes se produisent dontes que sont les prestigieuses caine. » Les deux boursiers 2017 sont for the future » est, à juste titre, la phi-
en concert, nouent des contacts inter- universités américaines, la French- Sarah Margaine et Félix Dalban- losophie de la fondation.
nationaux, suivent des classes de maître. American Piano Society apporte Moreynas, respectivement des S. F.
du 16 au 25 juin, fetesmusicales.com
GRANDS
RENDEZ-VOUS
STÉPHANE FRIÉDÉRICH
STÉPHANE FRIÉDÉRICH
Julie Alcaraz jouera des parti- L’abbaye de Royaumont a été La bibliothèque
tions de Chopin, Albéniz, Haydn fondée en 1228 par Saint Louis. musicale François-Lang.
et Sancan, le 10 mai, à la Société
historique et littéraire polonaise FONDATION ROYAUMONT des interprètes et des instruments. Avec
de Paris. Le 12, elle offrira, au tous ces atouts, les participants seront
Conservatoire de Paris, les Nuits
dans les jardins d’Espagne de Le culte de la musique convaincus par la richesse du piano his-
torique », affirme Sylvie Brély, direc-
Falla, accompagnée par l’Orches- trice du programme Claviers de la
tre des lauréats du Conserva- utre la magie du lieu à visiter, scolaires. La seconde est la média- Fondation. De son côté, Edoardo
toire de Paris.
www.bibliotheque-
polonaise-paris-shlp.fr,
O l’abbaye de Royaumont recèle
bien des trésors sonores qu’il
serait dommage de ne pas décou-
thèque Gustav-Mahler installée à
Paris, près du parc Monceau.
Parmi les nombreux ateliers de for-
Torbianelli livre quelques pistes de
réflexion: « Mon jeu change en fonction
de l’esthétique des œuvres. Savez-vous
conservatoiredeparis.fr vrir. Le Centre international pour mation professionnelle, certains que Chopin, adolescent, improvisait avec
les artistes de la musique et de la concernent les claviers. Le pianiste des amis sur ses leçons d’histoire apprises
Dans le cadre de Piano à Lyon, danse offre, en effet, des résidences Edoardo Torbianelli, le violoncelliste au cours de la journée ? »
Christian Zacharias se pro- et gère deux bibliothèques musi- Fernando Caida-Greco et les musi- Du 4 au 8 août, lors d’un autre ate-
duira, le 10 mai, salle Rameau. cales. La première se trouve in situ cologues Jeanne Roudet et Michael lier, le claveciniste Bertrand Cuiller,
Il proposera la Sonate n°5 D.537 et porte le nom de François Lang Pecak aborderont « Chopin, rythme la violoniste Sophie Gent et le flûtiste
de Schubert, les Sonates n°27 et (1908-1944), car son fonds a été et prosodie polonais et le chant du Jocelyn Daubigney approfondiront
n°30 de Beethoven, et les Davids- constitué à partir de la remarquable violoncelle » du 10 au 14 juillet. En L’Offrande musicale de Bach. Puis,
bündlertänze de Schumann. collection d’éditions et de manuscrits résidence à Royaumont jusqu’en au début de la saison suivante, on
pianoalyon.com – environ 1300 titres du XVe au 2018, le soliste italien jouera sur des retrouvera les artistes lors d’un week-
XXe siècle – réunis avant-guerre pianos Pleyel de 1828 et 1842, ainsi end de concerts: Concertos de Haydn
Nelson Freire donnera Mozart, par le pianiste français. La Fonda- que sur un Erard de 1837. Ces ins- avec Kristian Bezuidenhout, Aman-
Chopin, Ravel et Schumann, tion Royaumont l’a acquise grâce truments appartiennent à la collection dine Beyer et Gli Incogniti (30 sep-
le 15 mai, à la Halle aux Grains au mécénat d’entreprise du groupe d’Edwin Beunk. « Nous louons des pia- tembre), Concertos de Chopin avec
de Toulouse. Métro. Elle accueille chercheurs, nos exceptionnels. Pour nous, il est Edoardo Torbianelli et Fernando
grandsinterpretes.com musiciens professionnels ou ama- important que ces ateliers offrent la plus Caida-Greco (1er octobre)…
teurs et d’autres publics comme les grande qualité en ce qui concerne le choix S. F.
David Kadouch interprétera,
le 22 mai, à Gaveau, le Concert
sans orchestre de Schumann,
Gaspard de la nuit de Ravel, LES MUSICALES DE BAGATELLE Florian Noack.
la Sonate n°1 de Prokofiev et
la Suite « En plein air » de Bartók.
sallegaveau.com
Roulez jeunesse !
ue ce soit à Paris ou en régions, Danse macabre de
Le 20 mai, aux côtés de l’Orches-
tre de la Staatskapelle de Dresde
dirigé par Christian Thielemann,
Q la manifestation propose de
nombreux concerts du 27 mai
au 29 septembre. L’occasion de
Saint-Saëns et joue-
ront, aux côtés de
divers musiciens,
Daniil Trifonov présentera découvrir des jeunes talents, lauréats Le Carnaval des
le Concerto en sol de Ravel au de la Fondation Banque Populaire. animaux dont le
Théâtre des Champs-Élysées. C’est ainsi que l’on entendra les texte de Francis
theatrechampselysees.fr pianistes Sélim Mazari et Florian Blanche sera lu par
Noack, seuls ou en musique de le pianiste Pascal
MARTIN TESCHNER
ACTUALITÉS ÉVÉNEMENTS
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PIANO LAB
AU BONHEUR
DES PIANISTES
C
omment comprendre le nom
de « Piano Lab », une nou-
velle enseigne consacrée
au piano ou, plus exacte-
ment, aux claviers ? Serait-ce un cen-
tre d’expérimentation de 1 000 m2
autour du piano sous toutes ses for-
mes, situé à vingt minutes de Paris
en voiture ? Tel est le concept, si
l’on en croit ses deux concepteurs,
Michel Labord et Florent Garci-
more. L’alliance des talents de
ces deux professionnels est déjà Un superbe C. Bechstein
une belle promesse pour les curieux à restaurer.
et passionnés qui franchissent les
portes de ce showroom de Villebon-
sur-Yvette (91). Le premier est
facteur et concepteur de pianos, Ils proposent aussi de personnaliser on.
Le studio de créati
technicien, restaurateur… Le second leur design – rappelez-vous, le Col-
serait plutôt le manager, quoique mann Piano Galet présenté dans
au piano il se défende fort bien. Pianiste n°95, conçu pour être « tous
temps », qui utilise des matériaux
Touches personnelles résistant à l’eau, tels que la fibre de
Aligner des claviers les uns à côté carbone pour la table d’harmonie,
des autres comme dans une conces- l’ABS pour le clavier et le Téflon.
sion automobile est intimidant.
Les mélanger et multiplier les envies Le service dans leurs cordes
de dialoguer est plus habile. Quel- Piano Lab est aussi dédié à la créa-
ques pianos anciens en cours de res- tion et à l’expression artistique de
PHOTOS PIANISTE
tauration nous accueillent. Un Carl tous les talents, qu’il s’agisse de musi-
Bechstein côtoie d’autres marques ciens amateurs ou professionnels, Le showroom.
comme Feurich, Sauter et Cole- et accueille, par exemple, les pro-
mann France. Autant de modèles ductions vidéo de débutants. Des la même interrogation de la part y gagnent en plus-value culturelle.
qui témoignent d’un choix d’instru- récitals seront, par ailleurs, bientôt des fondateurs de Piano Lab : com- Piano Lab est pensé comme un lieu
ments typés. S’ajoute, côté numé- programmés et des enseignants y ment répondre à tous les besoins de partage musical, et non plus seu-
riques, le label Casio. Ce n’est assu- organisent déjà les auditions de artistiques, qu’ils soient individuels lement comme un simple magasin.
rément pas le tout-venant. leurs élèves. En clair, tout ce qui ou collectifs ? Enfin, des espaces de À méditer.
Vendre des pianos, les accorder, relève du « service à la personne » location sont prévus pour de l’événe- Tél. : 01 69 82 03 16
les expertiser, y installer également dans le domaine du piano, avec mentiel. Les séminaires d’entreprises pianolab.fr
B çais : deux étages totalisant 750 m2 dédiés à la vente et au concert. L’ensemble des gammes de pianos de la firme y sera représenté, comme
le très étonnant piano autonome Spirio dont nous avons déjà annoncé la sortie et sur lequel nous reviendrons ultérieurement. Une salle de
récital de 50 places et deux studios de répétitions seront à disposition. Il s’agit du second espace de la marque inauguré en Europe en cent
quarante-deux ans. Le précédent a en effet été ouvert en 1875, à Londres. 230, boulevard Saint-Germain, 75005 Paris
ACTUALITÉS ÉVÉNEMENTS
Plus d’infos sur www.pianiste.fr
I
l fallait y penser: pour n’im-
Superbe finale, le 5 mars, à la salle L’Apostrophe de Pontoise. porte quelle occasion, vous
La 16e édition de la compétition a tenu ses promesses. Trois lauréats pouvez inviter chez vous
un(e) pianiste qui jouera sur le
dont notre prix remis à la pianiste géorgienne. Rencontre. piano (ou clavier) en état de
votre salon. Un programme au
V
enez-vous d’une famille aéronautique. Je suis venue à la musi- Participer à cette épreuve a été l’une choix de l’hôte : jazz, clas-
de musiciens et comment que tout à fait par hasard. Mes parents de mes plus grandes expériences. sique… L’idée de Luc Auberger,
avez-vous découvert ont décidé de me faire donner des Piano Campus et Pascal Escande, un passionné de piano, a pris
le piano ? leçons de piano à l’âge de 4 ans, juste son directeur artistique, ont su créer rapidement son envol. Une tren-
Absolument pas ! Ma mère est car- pour mon plaisir et mon dévelop- une atmosphère extraordinaire, ami- taine d’artistes déjà – des inter-
diologue, et mon père, ingénieur en pement artistique. Mon professeur cale et particulièrement agréable prètes issus pour la plupart des
m’a enseigné quelques morceaux pour les participants. La salle était grands conservatoires et qui ont
simples, puis comme je les assimilais pleine à craquer ! Autant d’atouts passé des concours internatio-
bien, j’ai rapidement progressé vers qui m’ont profondément stimulée naux – y participent. Plusieurs
des partitions de plus en plus com- pour que je donne le meilleur de « bureaux » se sont ouverts en
plexes. À 5 ans, j’ai joué un Concerto moi-même. Je ne pouvais imaginer régions (Lyon, Marseille, Nice,
pour piano d’Isaac Berkovich avec recevoir autant de récompenses Bordeaux et Nantes).
orchestre. [7 sur 14 lui ont été attribuées dont Les solistes sont répartis en fonc-
Avec quel professeur étudiez-vous le Campus d’Argent et le Prix Pianiste, tion des répertoires et des
actuellement ? ndlr]. Ce fut vraiment un choc ! besoins des particuliers. Il suffit
J’étudie au Conservatoire de Mos- Propos recueillis de remplir la demande de réser-
cou, dans la classe d’Elisso Virsa- par Stéphane Friédérich vation en ligne. Les tarifs sont
ladze. Auparavant, j’avais suivi transparents : 196 euros pour un
des cours à Tbilissi, auprès de Nino concert de quarante minutes
Tchirakadze. devant moins de 15 personnes.
Comment définiriez-vous LE PALMARÈS « Les artistes que nous avons
votre répertoire actuel ? ➜ CAMPUS D’OR : sélectionnés, avec les pianistes
Difficile… Schumann, Brahms, Hin-Yat Tsang (Chine) Aurélien Pontier pour le classique
Mozart, Beethoven, Chopin, Liszt, ➜ CAMPUS D’ARGENT : et Nico Morelli pour le jazz, vivent
Prokofiev… Ana Kipiani (Géorgie) des expériences étonnantes, parfois
DAMIEN MAURICE
Que représentent pour vous ➜ CAMPUS DE BRONZE : même bouleversantes. Ils entrent
le Concours et le Prix Piano Cadmiel Botac (Roumanie) pour quarante minutes dans
Campus ? l’intimité d’un groupe et font par-
tager leur talent ! » s’enthou-
siasme Luc Auberger. De grands
moments d’émotion à déguster
FESTIVAL D’AUVERS-SUR-OISE en famille ou avec des amis.
concertino.fr
Lancement du 37e opus
L
a « patrie » de Van Gogh accueillera, pour sa 37e édition, Jean-Frédéric Neuburger en compositeur
invité. La manifestation s’ouvrira, le 9 juin, avec la Messe du couronnement et le Requiem de Mozart.
Pascal Amoyel se produira avec son spectacle Le Pianiste aux 50 doigts, hommage à Georges Cziffra (11).
Miroslav Kultyshev jouera Chopin et Rachmaninov (14). Thomas Enhco et la percussionniste Vassilena
Serafimova interpréteront diverses partitions pour le moins colorées et rythmées (17). Nicolas Giacomelli,
Campus d’Or 2016, offrira Beethoven, Liszt, Prokofiev et Neuburger (18), tandis que Jean-Frédéric
Neuburger, cette fois au piano, et le violoncelliste Henri Demarquette donneront des pièces de Schubert,
Brahms et Neuburger (24). Lucas Debargue, quant à lui, proposera des œuvres de Schubert et Szymanowski
(29). Le 7 juillet, Philippe Cassard et Natalie Dessay refermeront le festival avec des mélodies de Schubert,
Luc Auberger.
SDP
APRÈS COUP
Concertos en série
À l’Auditorium Rainier III, le soir
LE PLUS GRAND CHOIX DE
suivant, il s’agissait de convaincre avec
l’excellent Orchestre philharmonique
PIANOS ACOUSTIQUES &
de Monte-Carlo. Jan Michiels a NUMÉRIQUES EN
ouvert le bal avec un Concerto pour
DUSAN-MARTINCEK
ACTUALITÉS ÉVÉNEMENTS
Plus d’infos sur www.pianiste.fr
NATURE ROMANTIQUE
Fréquentation en hausse, stars internationales
côtoyant des jeunes talents, édition en CD
d’archives remarquables… Yves Henry est
un président de festival heureux ! Interview.
E
xpliquez-nous le thème Nohant. L’intimité du lieu et la salle
de cette édition du festival : de concert à « taille humaine » dif-
« Le romantisme fèrent des grandes manifestations
en liberté » ? qui sont parfois devenues des usines
Jean-Yves Clément, le conseiller musi- à récitals. Ici, le côté champêtre et
SDP
cal et littéraire du festival, et moi le calme demeurés intacts décuplent,
avons imaginé une programmation chez les interprètes et les auditeurs,
qui met en valeur l’idée de liberté au une qualité de concentration stupé-
cœur du « bouillonnement » roman- fiante. Les concerts du dimanche
tique. Des stars du piano – Martha matin témoignent d’une ferveur com-
Argerich, Elisso Virsaladze, Alexan- parable à ceux programmés en soirée.
dre Kantorow, Lucas Debargue, Comment voyez-vous l’évolution
Nikolaï Lugansky, Nelson Goerner, du festival ? en 2017, seront consacrés à Emil
entre autres – illustreront cette épo- Je constate qu’au fil des années, Gilels et à Byron Janis. D’autres
que étonnante. À cela s’ajoutent le taux de remplissage des concerts volumes sont prévus, mais les négo-
des échanges littéraires et musicaux. augmente. Associer de très grands ciations avec les ayants droit prennent
D’où l’invitation de personnalités noms de la musique à de jeunes du temps. Nous sommes également
telles qu’Alain Duault, Bruno Mon- talents, dont certains sont parfois en pourparlers avec Warner Classics Argerich, Lucas Debargue, Akiko Ebi,
saingeon, Michel Onfray, Nathalie encore étudiants, séduit. Nous avons, pour diffuser plusieurs archives du Kotaro Fukuma, Nelson Goerner,
Rykiel, Jean-Jacques Eigeldinger… d’ailleurs, noué un partenariat avec festival. À vous de deviner de quels Alexandre Kantorow, Pavel Kolesnikov,
Parlez-nous du public… l’École normale de musique de Paris. grands pianistes il peut s’agir… Adam Laloum, Karl Leister, Nikolaï
Le festival accueille des mélomanes Sur le plan discographique, les pre- Propos recueillis Lugansky, Bruno Rigutto, Béatrice
fidèles et attire chaque année de nou- miers albums des archives du festival par Stéphane Friédérich Uria-Monzon, Elisso Virsaladze,
veaux publics qui découvrent une de Nohant ont rencontré beaucoup du 3 juin au 25 juillet, Cheng Zhang, Trio Wanderer, Quatuor
atmosphère et une magie uniques à de succès. Les prochains, programmés festivalnohant.com de Leipzig…
AUVERS
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Opus Pianistes
ZINIO
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SDP
SDP
CONCOURS BRIN D’HERBE sympathique, « bien loin de ce qu’on peut
connaître lors des concours ». Les jurés PALMARÈS
ont fait preuve de bienveillance, « pour NON EXHAUSTIF
DES BELLES NOTES encourager ces jeunes qui se sont donnés
à fond, comme leurs professeurs et leurs ➜ 1er NIVEAU
I
ls ont tout des grands, la ges- Gestes assurés, poings, avant-bras, main-en-Laye, Paris, Orléans) et, félicitations: Alma Bettencourt
tuelle, la posture, la concentra- paumes des mains… tout était pré- cet été, au Festival Brin d’herbe qui Prix d’excellence:
tion, l’envie de se surpasser, la texte à « jouer » du clavier grâce aux se déroulera dans les jardins et Viola Asoskova
recherche du son juste, mais ce Játékok de Kurtág imposés ; une les châteaux de la région Centre- 1er Prix: Wonjae Ko
sont bien des enfants qui se sont approche physique et ludique. Mais Val de Loire, a précisé Isabella Prix spécial pour la meilleure
réunis salle de l’Institut à Orléans, le piano, c’est aussi cérébral : la soli- Vasilotta, la directrice artistique. interprétation de Brins
liés par leur passion pour le réper- dité du mental des candidats a été Alors, jeunes interprètes, conser- de sons: Tigrane Ponsin
toire contemporain. Durant trois testée. À l’issue des épreuves, alors vez longtemps votre âme d’enfant. ➜ 3e NIVEAU
jours, ils ont présenté un programme que le jury, présidé par le compositeur Parents, pas trop de pression. Pro- Prix d’excellence
solo et Brins de sons, un cycle de suisse Michel Runtz, délibérait lon- fesseurs, conservez votre humanité. avec félicitations: Hae Min An
pièces composées par Marc-Olivier guement, les pianistes en herbe, dont C’est à ces conditions que Brin et Riccardo Bisatti
Dupin pour chœur et piano, jouées le stress était retombé, se sont retrou- d’herbe restera un espace de partage Prix spécial pour la meilleure
en collaboration avec l’excellent vés pour jouer, au gré des nouvelles unique pour les jeunes mordus de interprétation de Brins
chœur du Conservatoire d’Orléans amitiés nouées. Les parents, quant à musique contemporaine. de sons: Riccardo Bisatti
dirigé par Émilie Legroux. eux, discutaient. Il régnait un esprit Sylvia Avrand-Margot
S
i Brin d’herbe est l’un des événements phares d’Orléans Concours International, d’autres manifestations sont présentées par Isabella
Vasilotta, sa directrice artistique. Une véritable « saison nomade » jusqu’à la fin de l’été. Ce sont des concerts et des résidences d’artistes
en lien, par exemple, avec des universités américaines, mais aussi la participation à des festivals dans diverses régions. Cette ouverture se
poursuit avec des tournées internationales. L’une d’entre elles, qu’accompagnera Pianiste, aura lieu au mois de mai en Italie. Ce sera l’occasion
de retrouver des solistes, mais aussi des lauréats de Brin d’herbe dans les répertoires les plus variés, l’objectif étant « de rendre le mot contemporain
obsolète », selon la formule de Françoise Thinat. Ce que la présidente d’Orléans Concours International a initié depuis des années porte aujourd’hui
ses fruits, l’institution faisant partie de la Fédération mondiale des concours internationaux de musique. oci-piano.com
A
la scène internationale, et Tarasevich-Nikolaev, Jean-Paul u fil des ans, la philosophie du festival est demeurée intacte :
60 concerts sont programmés au Gasparian, Nathalia Milstein soutenir la création, les jeunes musiciens et le répertoire
Touquet : Pascal Amoyel et son et Irina Lankova. À noter, plusieurs pianistique. La 18e édition de la manifestation, qui aura lieu
spectacle Le Pianiste aux 50 doigts, classes de maître, notamment celle du 2 au 17 septembre, propose une série de concerts d’une heure
mais aussi Plamena Mangova, d’Elena Tarasova, et la venue de sans entracte, incluant une œuvre contemporaine. S’ajoutent,
Arcadi Volodos, Nikolaï Lugan- l’Orchestre d’Auvergne (dir. Roberto
sky, François Dumont, François- Forés Veses). Il accompagnera la
Frédéric Guy, Dmitri Masleev et jeune pianiste russe et le trompet-
Boris Berezovsky. D’autres pia- tiste Romain Leleu dans le Premier
nistes se produiront en récital, en Concerto pour piano et trompette de
musique de chambre, à deux pia- Chostakovitch.
nos, parfois avec des chanteurs : du 18 au 26 août, lespianosfolies.com
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BÉATRICE BERRUT
VENT DE FRAÎCHEUR
Après deux disques remarqués, Lux æterna
et Metanoïa, respectivement dédiés à Bach et à Liszt,
la jeune pianiste se produira la saison prochaine
en France. Un nouveau souffle venu de Suisse.
C
omment êtes-vous passionne pour la littérature et la phi-
devenue pianiste ? losophie allemandes.
À cause de… ou grâce à… Vous êtes particulièrement à l’aise
Krystian Zimerman. Enfant, dans le répertoire romantique…
il était mon « dieu » ! Un jour, à la J’ai davantage de facilités avec les œu-
maison, j’ai écouté l’enregistrement vres qui ont besoin de grands accords,
de son Deuxième Concerto pour comme celles de Liszt. Sa musique
piano de Brahms [un disque qu’il a me pose moins de problèmes que
gravé avec le Philharmonique de celle de Chopin. Sa technique est
Vienne dirigé par Leonard Bern- vraiment plus difficile.
stein pour Deutsche Grammophon Quel est le Liszt qui vous attire ?
en 1984, ndlr]. Une telle beauté Celui des Années de pèlerinage,
ALINE FOURNIER
sonore a bouleversé mon exis- des Légendes, de la Sonate en si
tence ! Réellement. mineur, mais également la dernière
Quels sont les grands « piliers » période. J’apprécie moins les Rhap-
de votre répertoire ? sodies hongroises et ce répertoire de Qu’est-ce qui vous plaît personnalisé dont je rêvais. Le toucher
Je vais plutôt vers la musique alle- salon, que je trouve plus convenu. dans les pianos de ce facteur ? est très précis et léger, les sonorités
mande. Est-ce dû à mes origines ? Dans ce numéro, nous avons Je collabore avec Bösendorfer depuis sont variées et chaudes. Pour tout
Probablement. Je viens d’un canton consacré un dossier à la marque trois ans. J’ai enregistré mon CD Bach dire, les pianos Bösendorfer me ren-
suisse où l’on parle le français et Bösendorfer dont vous êtes sur le tout premier prototype du dent la vie plus belle.
l’allemand. J’ai étudié à Berlin et je me l’une des ambassadrices. Vienna Concert. C’est l’instrument Quels sont vos projets ?
Ils sont multiples. En ce moment,
je réalise la transcription des Wesen-
À ÉCOUTER donck Lieder de Wagner, ainsi que
➜ 3 mai, Martigny (Suisse) : Chopin, Concerto pour piano n°2, avec l’Orchestre de chambre de Berne, celle de l’Adagietto de la Cinquième
dir. Philipp Bach ➜ 11 mai, Mies (Suisse) : concert-lecture avec le comédien Jean-Luc Bideau ➜ 13 juillet, Symphonie de Mahler. Je sais qu’il en
Festival Clef de Soleil à Lille : récital ➜ 3 août, Festival de la Vézère à Saint-Ybard (19) : récital existe déjà plusieurs, mais sans m’ins-
avec la violoncelliste Camille Thomas ➜ 12 août, Rencontres musicales de Champéry (Suisse) : récital pirer de celles-ci, je veux savoir ce que
➜ 7 (Angers), 8 et 9 (Nantes) et 11 novembre (Cholet) : Liszt, Concerto pour piano n°1, avec l’Orchestre donnera la mienne.
national des Pays de la Loire, dir. Theodor Guschlbauer Propos recueillis
par Stéphane Friédérich
Jean-Philippe
Collard.
AXEL COEURET
FLÂNERIES MUSICALES DE REIMS
Remarquables balades
u 22 juin au 12 juillet, cette « Schubert, entre l’amour et la dou-
GRANDS RENDEZ-VOUS
Le 4 mai, le Collège des Bernardins accueillera Mikhail Rudy pour
un récital intitulé « Musique et liberté », qui mêlera Bach, Mozart,
Wagner, Scriabine, Cage, Ligeti, Pärt, Glass et Kurtág.
collegedesbernardins.fr
HAENDELSSOHN
I
l s’agit ici du joli titre
« à la Schnittke »
de l’œuvre de Karol Beffa
dont la partition est éditée
par Gérard Billaudot.
La pièce, d’une difficulté
moyenne, est née
d’une improvisation qu’a
transcrite et enregistrée
amputé du bras droit sur le front le compositeur pour
russe pendant la Première Guerre le label Intrada. Utilisée
mondiale, avait imposé par contrat plus tard par le chorégraphe
d’être le seul interprète à jouer la Julien Lestel pour son ballet
partition durant une période de Corps et âmes, elle se déploie
sept ans. Il en profita pour la rema- dans un choral jouant de
nier profondément sans en parler deux inspirations, classique
à Ravel. Ces modifications provo- et romantique, un flot
quèrent une rupture violente entre incessant que Karol Beffa
le compositeur et le soliste. Jacques qualifie de « baroque
Février fut le premier à livrer une fantasmé ». Il précise
version satisfaisante de l’ouvrage aux également que « les nuances
yeux de son créateur. La « recréa- sont laissées au choix
tion » eut lieu le 19 mars 1937, sous de l’interprète ». Seules
RUE DES ARCH VES
V
oici la première parution de ce genre, l’essentiel est de donner, recréé, sorte de musique de cabaret,
d’une édition non fran- non pas l’impression d’un tissu sonore malgré les rythmes chaloupés et
çaise de l’un des plus célè- léger, mais celui d’une partie écrite l’emploi du saxophone.
bres concertos du réper- pour les deux mains. […] Après Pour un pianiste, même de niveau
toire du XXe siècle. Deux une première partie empreinte de moyen, la pièce est passionnante
partitions, comme toujours: orches- cet esprit [celui du concerto tradi- à déchiffrer. Les déplacements de
tre et piano, puis réduction à deux tionnel] apparaît un épisode dans la main, la respiration, la tenue
pianos de la main de Ravel. Le tra- le caractère d’une improvisation qui du rythme, la souplesse des gestes
vail éditorial, réalisé sous la direc- donne lieu à une musique de jazz », que l’on a parfois envie d’accélérer…
tion de Douglas Woodfull-Harris, a précisé le compositeur au cours tout est bénéfique dans l’étude d’un
est remarquable. « Le Concerto d’une interview. tel chef-d’œuvre dont Ravel tenait
pour la main gauche seule est […] Le 5 janvier 1932, à Vienne, Paul absolument à ce que « le texte, seule-
en un seul mouvement, avec beau- Wittgenstein donna la première ment le texte soit respecté ».
coup d’effets de jazz, et l’écriture n’est du Concerto pour la main gauche. Stéphane Friédérich
pas aussi simple. Dans une œuvre Le pianiste autrichien, qui avait été barenreiter.de
PAUL NADAR
PAUL NADAR
Claviers tous azimuts valse pour les besoins du film. Cette œuvre reste pourtant peu connue
du grand public, n’ayant bénéficié que d’un seul enregistrement en 1993
par Danielle Laval (Valois Auvidis).
’éditeur allemand propose une pour avoir réuni en un seul volume Cette édition est donc bienvenue pour quiconque souhaite en savoir
du Piano
mai-juin 2017 I PIANISTE n°104 I 21
ZINIO
ODYSSÉE PIANISTIQUE
tion qui synthétise la version origi- à la collection « The Easy
nale avec d’autres sources. C’est très Piano Pieces and Dances ».
clair mais sans doigtés. Pour les plus L’ensemble constitue
téméraires se trouve enfin une antho- un formidable témoignage
P
armi les multiples rééditions édition se base sur l’autographe du logie du piano couvrant deux cents sur l’éclectisme artistique
parues chez l’éditeur vien- compositeur, enrichie de quelques ans de musique, de Bach à Schoen- d’un musicien en exil :
nois, citons la seconde série annotations conformes à son style. berg en passant par Joplin et Debussy. expérimentation de la
des Impromptus opus pos- Une préface (en français, en anglais et La difficulté des pièces est réelle musique nord-américaine,
thume 142 (D 935) de Schubert. en allemand) revient sur les carac- mais homogène, nécessitant toute- influence de l’école de Paris,
Écrit en 1827, ce recueil suscita téristiques du document source et fois la présence d’un enseignant. des danses populaires, du
la colère de Schumann qui y voyait aboutit sur une notice remarqua- La mise en page est précise et aérée, folklore morave… En ressort
une sonate déguisée, et non une blement bien documentée rédigée avec des commentaires de Robert un recueil de six morceaux
composition libre jouée à la manière par Robert D. Levin. Les doigtés D. Levin. C. S. à la brièveté riche et incisive,
d’une improvisation. Cette présente sont, eux, de Paul Badura-Skoda. www.wiener-urtext.com au contenu dense, de quoi
promettre de longues
et belles heures au clavier.
BÄRENREITER Concernant la difficulté,
cet ouvrage s’adresse à un
Beethoven et Mozart niveau intermédiaire et a fait
l’objet d’une révision quant
A
près les Trois Sonates de les conditions d’interprétation pro- C. S.
Beethoven (voir Pianiste ches du jeu originel. On remarque barenreiter.de
n°101), Jonathan Del Mar notamment la reproduction de cer-
se lance dans une nouvelle édition taines sections du manuscrit, accom-
de la Grande Sonate « Waldstein ». pagnées d’analyses et de commen-
Composée en 1803-1804 et dédiée taires. Il en va de même pour les
au premier mécène du composi- Deux Sonates en mi majeur et sol
teur, « commandeur de l’ordre Teu- majeur opus 14, des œuvres de jeu-
tonique à Vindsberg et chambellan nesse dont l’apparente modestie pré-
de Sa Majesté », cette pièce dévoile figure le génie de la « Pathétique ».
une forme musicale en pleine muta- La Sonate en la majeur dite « Alla
tion, capable d’aligner le complexe, Turca » K.331 de Mozart paraît
l’épure, le lyrisme et la retenue sur dans une édition Urtext enrichie,
une même échelle. La présente car elle regroupe à la fois le matériel
édition (en anglais et en allemand) de la parution originale et d’impor-
est augmentée d’un glossaire en tants fragments du manuscrit.
tout début d’ouvrage, reprenant barenreiter.de
SCHOTT MUSIC
D
’œuvre du Russe Nikolaï Kapustin ans ces colonnes, nous avons
LE PIANO
Je pense être l’un des maillons de
ce concept étrange que l’on appelle
improprement l’école de musique
russe. Personne ne peut se revendi-
quer, aujourd’hui, de ce concept qui
EN HÉRITAGE
ne correspond plus à rien. D’ailleurs,
plutôt que de concept, je devrais parler
de saveur ou d’arôme. Quelque chose
d’indéfinissable et pourtant que
l’on ressent. Cela mêle beaucoup
d’éléments : une exigence technique,
Né dans une famille de grands pianistes qui ont joué un rôle un sens de la projection sonore, une
attitude devant le piano et sur scène…
majeur dans son éducation musicale, le soliste russo-lituanien Mais le monde change, l’éducation
s’est très vite fait remarquer dans les plus prestigieux concours musicale aussi.
Comment cela ?
ou sur les scènes internationales pour sa sensibilité, son inventivité En Russie, l’enseignement qui est
dispensé pendant les premières années
et sa virtuosité. À 26 ans, il est devenu l’un des jeunes interprètes d’apprentissage est toujours aussi
les plus prometteurs de sa génération. À croire que le talent remarquable. C’est le meilleur au
monde et il n’a pas baissé qualitati-
se transmet par les gènes ! Rencontre. vement depuis la fin de l’ère sovié-
tique. Les écoles de musique publi-
ques bénéficient de fonds massifs et
appliquent des méthodes incompa-
Il y a sept ans, Pianiste vous a pression parmi les professionnels et rables. Malheureusement, ce n’est
interviewé, alors que vous veniez
LUKAS GENIUSAS au sein du public. J’étais très stressé. pas le cas dans les grandes institutions
de remporter le 2e Prix EN QUELQUES DATES On peut se demander ce qui qui forment les futurs musiciens pro-
du Concours Chopin de Varsovie. 1990 Naissance le 1er juillet vous a poussé à le tenter après fessionnels. Il suffit de comparer avec
Quel souvenir gardez-vous à Moscou celui de Chopin… ce qui se passe dans les universités,
de cette compétition ? 1995 Début de l’apprentissage D’une part, j’avais besoin d’accroître écoles et conservatoires à l’étranger.
du piano
Ce fut un moment très important ma notoriété et, d’autre part, j’éprou- Je suis bien placé pour m’en rendre
2003 2e Prix du Concours de piano
dans ma carrière, qui a provoqué Gina Bachauer à Salt Lake City vais l’envie de me mesurer à moi- compte car je voyage beaucoup, sans
un changement radical dans ma vie. (États-Unis) même, de repousser mes capacités parler de mon épouse qui enseigne à
Ce prix a profondément modifié 2008 Fin des études musicales le plus loin possible. En somme, Londres ou de mon père qui travaille
l’organisation de mon travail, c’est- à l’École de musique Frédéric-Chopin je souhaitais relever un défi aussi bien à Glasgow. Les structures russes sont
à-dire de mon quotidien. de Moscou. Classe de Vera personnel que professionnel. aujourd’hui largement dépassées. Elles
En 2015, vous avez obtenu Gornostaeva au Conservatoire Puisque nous en sommes aux se sont enfermées dans une tradition,
de Moscou
la Médaille d’argent d’un autre 2005 Prix « Jeune Talent »
souvenirs, parlons de votre famille. ce qui est un non-sens à l’époque des
prestigieux concours, le Tchaïkovski de la Fédération de Russie À part votre grand-mère, vos parents, échanges internationaux entre pro-
de Moscou. Avez-vous ressenti 2010 2e Prix au Concours Chopin Petras Geniusas et Xennia Knorre, fesseurs et étudiants. Une tradition
les mêmes impressions ? de Varsovie sont également pianistes. n’est valable que si elle évolue. La fai-
L’expérience a été très différente. 2011 CD Chopin : Études opus 10 Vous rappelez-vous vos premières blesse de l’enseignement supérieur
Lorsque j’ai participé au Concours et opus 25 (Dux) émotions musicales ? est clairement apparue après la chute
2013 CD Préludes de Rachmaninov
Chopin, j’étais un parfait inconnu. Ce dont je suis certain et aussi loin de l’URSS et les nombreux départs
(Piano Classics)
Je n’avais rien à perdre et je n’attendais 2014 CD sonates : Sonate que je m’en souvienne, je n’ai jamais consécutifs des enseignants russes
rien. Lors du concours de Moscou, « Hammerklavier » de Beethoven rien imaginé sans musique. En tout vers les pays de l’Ouest.
ma carrière était déjà bien lancée et et Sonate n°1 opus 1 de Brahms cas, mes parents m’ont toujours Vous êtes d’origine lituanienne.
j’arrivais en territoire « miné », notam- (Piano Classics) accompagné sans jamais me freiner. Que représente cette culture
ment parce que ma grand-mère, Vera 2015 Médaille d’argent L’un de mes plus anciens souvenirs dans votre parcours artistique ?
Gornostaeva, était l’un des grands au Concours Tchaïkovski. est d’avoir entendu ma mère travailler Grâce à mon père, la culture litua-
CD « Émancipation de
JEAN-BAPTISTE MILLOT
professeurs du Conservatoire [Alexan- le premier mouvement de la Sonate nienne m’a profondément marqué et,
la dissonance », œuvres
dre Paley, Ivo Pogorelich et Sergei de Desyatnikov, d’Arzoumanov n°2 de Chopin. notamment, sa musique contempo-
Babayan firent partie de ses nombreux et de Ryabov (Melodiya) Revendiquez-vous une tradition raine. J’ai joué, entre autres, des œuvres
élèves, ndlr]. Je ressentais une forte pianistique, notamment vis-à-vis de Kutavicius dont l’écriture est [
« LA MUSIQUE DE CHOPIN RESTE TOUT DE MÊME LE SOCLE DE MON J’apprécie particulièrement le son des
premiers Steinway. Un peu comme
PIANO. SANS LUI, JE NE SERAIS PROBABLEMENT PAS PIANISTE. » les vieux vins… Cela étant, on ne dis-
pose que rarement d’un piano ancien
[ à la fois ancrée dans une tradition la « nouvelle simplicité » avec un musi- sur scène. On joue le modèle que l’on
nationale et dans un langage d’aujour- cien tel qu’Arvo Pärt ou des compo- a sous les doigts. Si j’avais le choix,
d’hui [né en 1932, Bronius Vaidutis siteurs russes contemporains – Valery j’irais plus souvent vers les instruments
Kutavicius est considéré comme le plus Arzoumanov, Leonid Desyatnikov d’époque, notamment pour interpré-
grand compositeur lituanien vivant, et Vladimir Ryabov – dont j’ai enre- ter Beethoven ou Chopin.
ndlr]. À Vilnius, il y a une puissante gistré plusieurs pièces. Peut-être À ENTENDRE D’où vous vient cette attirance ?
Union des compositeurs lituaniens et qu’un jour, je me focaliserai davantage 7 juillet Récital au château Lafite De ma famille ! Nous possédions trois
je suis heureux que ce pays possède sur une période ou un artiste, mais Rothschild (33) : Enesco, Ravel, ou quatre demi-queue de la mar-
une telle identité nourrie de person- ce n’est pas encore le cas. Je n’ai pas Prokofiev et Stravinsky que Steinway à Moscou. Ils étaient
nalités aussi diverses. de styles, d’esthétiques ou d’époques 20 juillet Récital dans le cadre tous différents. Nous avions même
Poursuivons dans votre répertoire. préférés. Enfin, presque… du Festival de Radio France un modèle américain. J’ai donc vécu
Montpellier : Rachmaninov,
Par exemple, votre discographie C’est-à-dire ? dans le son de ces pianos.
Prokofiev et Zaderatsky
associe Chopin, les musiciens La musique de Chopin reste tout 9 août Récital au Festival Jouer sur ce type de pianos
baltes, John Adams, mais aussi de même le socle de mon piano. international Piano Classique de a influencé vos interprétations
Rachmaninov avec Brahms Sans lui, je ne serais probablement Biarritz (64) : Liszt, Enesco et Ravel de quelle manière ?
et Beethoven. Qu’est-ce qui guide pas pianiste. 11 août Récital au château de Cela a eu assurément une influence
vos choix ? Vous posez-vous la question Verteuil à Verteuil-sur-Charente (16) sur le tempo et le phrasé. Dans le
J’aime autant la musique des mini- du choix de l’instrument, 17 août Récital au Festival répertoire préromantique, il est pri-
de La Roque d’Anthéron (13) :
malistes américains que le roman- précisément quand vous interprétez mordial de préserver la fluidité du
Chopin et Liszt
tisme allemand, les courants dits de le répertoire du XIXe siècle ? jeu. Par exemple, les œuvres tardives
EVGENIA LEVIN
de Beethoven sont d’un niveau spi- je suis aidé par plusieurs agences
rituel et émotionnel si élevé qu’il est d’artistes dans différents pays. J’ai
inutile de les alourdir avec nos propres besoin de points de repère pour mieux
émotions. On doit bannir toute forme me concentrer, chaque saison, sur
d’emphase et rechercher sans cesse l’apprentissage d’autres œuvres. Cha-
la simplicité du discours. Les pianos que année, mon catalogue s’enrichit
anciens nous y aident. C’est para- de deux ou trois concertos, ainsi
doxalement en nous préservant de qu’un ou deux nouveaux programmes
notre surcharge émotionnelle que l’on de récitals et autant en musique de
sert au mieux les chefs-d’œuvre. chambre.
Revenons à votre répertoire. Et votre quotidien au piano ?
Jouez-vous de la musique française ? Les premières pièces que je joue en
Ravel, en premier lieu. J’ai joué sa début de journée sont généralement
Sonatine lorsque j’étais enfant, ce fut quelques Études de Chopin. C’est
l’un de mes premiers « grands » mor- plus efficace que n’importe quel autre
ceaux. J’ai souvent interprété les exercice. Je joue, en moyenne, trois
Miroirs et les deux concertos. J’ai éga- à quatre heures par jour, parfois plus,
lement programmé toute l’œuvre de jusqu’à huit heures lorsque j’ai un
Debussy, mais aussi du Poulenc et impératif. En outre, je déchiffre assez
du Satie. Ce dernier, qui était à bien les nouvelles partitions, mais là
son époque un avant-gardiste, a eu encore, tout est relatif. L’un de mes
une influence certaine sur mes choix amis, le pianiste ukrainien Vadym
de partitions contemporaines. Kholodenko, est le plus incroyable
De plus en plus de pianistes déchiffreur que j’aie jamais rencontré.
interprètent des transcriptions Enfin, je ne pense pas avoir une grande
qu’ils ont parfois eux-mêmes capacité mémorielle. Je dois la faire
réalisées. Est-ce un domaine travailler sans cesse.
qui vous intéresse ? Quels sont vos projets
J’ai réalisé des transcriptions de pièces discographiques ?
de Stravinsky, car sa musique orches- Je vais enregistrer l’intégrale des sona-
trale est très inspirante pour les pia- tes pour piano de Prokofiev. Un long
nistes. Je me suis notamment intéressé voyage en perspective…
à Pulcinella et à L’Histoire du soldat. Vous vous produisez régulièrement
La transcription est un exercice que en France, dans des festivals
les interprètes devraient pratiquer et des grandes séries de concerts.
régulièrement. Comment ressentez-vous
Quelles sont les musiques le public hexagonal ?
ou les esthétiques qui ne vous Le public français est particulièrement
inspirent guère ? attentif et très mélomane. Je parle
Je confesse que j’ai beaucoup de dif- souvent avec ceux qui viennent
ficultés avec la musique sérielle. m’écouter et que je trouve éduqués.
Tout ce qui appartient, disons, à Nul n’est choqué quand je pro-
la seconde école de Vienne me pose gramme des œuvres rares comme
problème en termes de compréhen- le Ludus Tonalis de Paul Hindemith.
sion et d’expression. Vous êtes, par ailleurs, très investi
Avez-vous été plus dans des projets sociaux,
particulièrement marqué notamment « Looking at the Stars »
par certains pianistes ? à Toronto. C’est ainsi que
Impossible de tous les citer ! J’ai, vous jouez dans les prisons,
bien évidemment, des idoles comme les hôpitaux, pour les réfugiés…
Sviatoslav Richter, Arturo Benedetti Au Canada, je participe en effet à ce
Michelangeli dont le jeu m’a profon- projet philanthropique, car il répond
dément inspiré. Aujourd’hui, je pour- à une question importante que je me
rais vous citer Mikhail Pletnev qui pose : « Quelle est ma place dans la
est, à mes yeux, un géant du piano. société ? » Pour moi, il s’agit d’une
Comment s’organise forme d’accomplissement artistique.
votre carrière ? Propos recueillis
Pour l’organisation des concerts, par Stéphane Friédérich
REPORTAGE
VALSE DE TIMBRES
ET DE COULEURS
Rares sont les facteurs de pianos à avoir traversé l’Histoire en préservant le prestige
de leur nom. C’est le cas de Bösendorfer, illustre maison viennoise. Les caractéristiques
de conception de ses instruments, qui permettent notamment au meuble entier de participer
au son, leur offrent une palette sonore très riche. Depuis son acquisition par Yamaha
en 2007, la firme fait entendre une voix beaucoup plus puissante avec son nouveau fleuron,
la série Vienna Concert. Nous sommes donc partis à la découverte de l’univers
de la marque en compagnie de la pianiste Claire-Marie Le Guay.
Commençons par un peu d’histoire. son jeu tout en force et en impulsivité. manège du prince Liechtenstein. En mondiale. La production artisanale
Fils du célèbre ébéniste viennois Il adopta le Bösendorfer dont il aima quarante ans, plus de 4 500 concerts reprit lentement et, jusqu’en 1966,
Jakob Bösendorfer, Ignaz Bösendorfer la puissance et la sonorité. En 1830, y furent donnés. En 1909, Ludwig Bösendorfer ne fabriqua qu’une cen-
(1794-1859) commença son appren- Ignaz reçut des mains de l’empereur Bösendorfer, qui n’avait pas d’héritier, taine de pianos par an. Cette année-
tissage auprès du Viennois Joseph d’Autriche le titre de « fabricant de céda la firme à un ami, Carl Hutter- là, Arnold F. Habig, président du
Brodmann, facteur d’orgues et de pianos pour la Chambre et la Cour strasser. En 1913, la salle fut fermée géant américain Kimball Internatio-
pianos renommé. En 1828, il reprit Royale et Impériale ». L’aventure pour des raisons d’urbanisme. Pen- nal Inc. USA, en devint le nouveau
la manufacture de son maître, fonda familiale débutait… dant la Première Guerre mondiale, propriétaire. Une nouvelle usine
sa société et commença la fabrication En 1860, l’entreprise déménagea à puis avec la crise économique de fut implantée en 1973 à Wiener
de ses propres instruments. Sa répu- Neu-Wien puis revint s’installer 1929, les commandes s’effondrèrent. Neustadt, l’actuel site de production.
tation grandit rapidement grâce à dix ans plus tard à Vienne. Une salle Dans les années 1930, la BBC acheta En 2002, le groupe bancaire Bawag-
Franz Liszt. En effet, le compositeur de concert Bösendorfer, inaugurée de nombreux pianos de concert, ce qui P.S.K. en prit le contrôle puis,
et interprète ne trouvait pas de pianos en 1872 par Hans von Bülow, fut relança la marque avant la destruction cinq ans plus tard, Yamaha racheta
à queue suffisamment résistants pour construite dans l’enceinte de l’ancien de l’usine durant la Seconde Guerre la manufacture. [
La façade de l’usine
de Wiener Neustadt.
partie de la gamme des pianos Marie Le Guay nous livre ses pre- JORG DEMUS, Cent vingt personnes y travaillent
Bösendorfer, ainsi que divers modè- mières impressions : « Ici, tellement dont 95 directement à la production.
les Yamaha. Les conditions acous- d’artistes exceptionnels ont joué, dirigé ! MARIA JOÃO PIRES, Nous découvrons un nouvel et impo-
tiques sont optimales. Sur les murs La musique vibre dans ces murs. Le LOUIS LORTIE… sant showroom où plus d’une tren-
sont accrochées les photos en noir Vienna Concert 280 trône, magnifique, taine de pianos, parfaitement pré-
et blanc d’artistes, musiciens, pia- grandiose dans ce salon qui est un écrin SONT OU ONT ÉTÉ parés et représentatifs de la gamme
nistes ou compositeurs, qui sont ou pour une première rencontre. En me LES AMBASSADEURS complète de l’entreprise, sont exposés.
ont été les ambassadeurs des pianos mettant au piano, j’ai le sentiment de Le paradis des musiciens et des ache-
Bösendorfer, du classique au jazz : retrouver un son que je connais, un son DE LA MARQUE. teurs venus du monde entier !
Jorg Demus, Wilhelm Backhaus, très personnel, empreint du passé et je L’usine produit 300 pianos à queue
Maria João Pires, Oscar Peterson, découvre également un nouvel instru- SUR LE SITE et 60 pianos droits par an. S’il faut
Cecil Taylor, Louis Lortie, Philippe ment qui a la vivacité de la modernité. DE PRODUCTION plus d’une année pour réaliser un
Entremont, Peter Gabriel, Ray- Sa palette sonore est très riche, les pos- Nous voici à 45 km au sud de Vienne, Bösendorfer, les bois nobles usinés
mond Young, Paul Badura-Skoda… sibilités de nuances sont extrêmement à l’usine Bösendorfer de Wiener ont séjourné, quant à eux, pendant
En entrant dans le salon, Claire- variées. Il m’emporte vite avec lui. » Neustadt, Gymelsdorfergasse 42. cinq ans et par tous les temps [
REPORTAGE BÖSENDORFER
[ dans l’impressionnant parc exté- insérées dans des petites fentes ou et de peinture étant proches de celles
rieur du site. C’est le prix pour obte- encoches à l’intérieur de cette ceinture. employées par les grands carrossiers
nir la meilleure stabilité des futurs Des capodastres amovibles sont ins- de l’automobile. Pour certains modèles
instruments. Dans les ateliers, de tallés dans l’aigu, et les sommiers de à queue, l’angle d’inclinaison du cou-
nouvelles machines à commande chevilles sont apparents sur la plu- vercle a été soigneusement défini pour
numérique destinées à l’usinage Ajout de flipots dans part des modèles. Les matériaux et une projection sonore optimale.
du bois et du métal des cadres per- la ceinture extérieure. les composants sont de la plus grande Enfin, dans toute l’usine, les condi-
mettent une précision et des tolé- qualité, souvent d’origine allemande, tions d’hygrométrie et de température
rances géométriques impensables d’harmonie. « Tout le meuble participe tels les claviers Kluge et leurs touches sont contrôlées en permanence. Si la
dans le passé. Par exemple, le lissé au son comme un violon », précise Peter revêtues de Tharan (matériau offrant haute technologie est essentielle, de
des bois est admirable. von Seherr-Thoss. Toutes les cordes des sensations proches de l’ivoire), très nombreuses opérations, notam-
Quelques spécificités de facture méri- sont montées à bouclettes, et non à les mécaniques Renner (spéciales pour ment de finitions et de réglage, sont
tent d’être soulignées. Bösendorfer cheval, les graves étant filées sur place. Bösendorfer) ou les marteaux, montés effectuées artisanalement. « Ce qui
est le seul à inclure plus de 80 % de Pour les pianos à queue, le solide bar- à la colle chaude. Les tringles des m’a frappée dans la première partie de
bois de résonance (essentiellement rage est en partie rectangulaire, avec pédales des pianos droits sont en bois la visite, c’est la présence du bois. Le bois
de l’épicéa autrichien) dans ses pianos. des croisements de poutres souvent et les cadres métalliques sont fondus en tranches, en cubes, en pavés, en gran-
En effet, d’après le facteur, le meuble à angle droit et peu en V. La ceinture au sable, technique traditionnelle. des pièces, en petites pièces, en copeaux.
dans son entièreté est ainsi mis en extérieure est en épicéa, et des petites Leur finition est exceptionnelle, les Le bois au repos, le bois travaillé ! C’est
vibration, et pas simplement sa table pièces coniques, sortes de flipots, sont techniques de ponçage, de polissage comme si l’odeur et la présence du bois
appelaient le son. Plus loin, c’est l’univers
du métal qui domine : fonte, cuivre,
polissage, découpage. Cette fois, c’est
le bruit et la force qui vont nous conduire
au son ! » s’enthousiasme Claire-Marie
Le Guay. Le savoir-faire des techni-
ciens, accordeurs, harmonisateurs,
régleurs et ébénistes sont dignes des
artisans les plus qualifiés. Tous ces
atouts sont au service du fleuron de
la marque, la série Vienna Concert.
UN NOUVEAU STANDARD
La série Vienna Concert (VC) est
apparue en 2016 avec le modèle 280,
puis un an plus tard, le demi-queue
214 est né. Pourquoi avoir fabriqué
ces nouveaux modèles ? Qu’apportent-
ils à la gamme déjà très complète
des tailles d’instruments ? Élément
de réponse avec Peter von Seherr-
Thoss: « Le Vienna Concert… c’est une
autre aventure ! Nous avons remarqué
Cadres métalliques terminés. que la nouvelle génération des pianistes
est majoritairement plus intéressée par
musicales
Bösendorfer a donc travaillé pendant en vissage, en ponçage, en réglage,
presque six ans pour concevoir une le piano prend pour moi dix visages, dix
nouvelle gamme de pianos, prenant présences qui vont donner sa personnalité
en compte les critères de puissance, à l’instrument. Je ne jouerai plus jamais
la longueur de son notamment dans sur un piano comme avant, je n’écouterai
l’aigu, la capacité de l’instrument
à chanter, sa résistance aux change-
plus jamais un piano de la même façon.
Dans chaque instrument, je verrai de Reims
ments climatiques et aux transports, apparaître les visages de ceux qui l’ont
la stabilité de l’accord et des régla- façonné, préparé avec tant d’attention
ges, etc. Ces caractéristiques sont et de précision. Je jouerai le Vienna
reproduites et adaptées aux différen- Concert à la salle Gaveau, le 11 mai
tes tailles. Pour réaliser ces modèles, prochain. Son timbre si personnel racon-
les moyens de recherche les plus tera l’histoire de Brahms dans le cadre
modernes ont été utilisés, comme des d’“Au cœur d’une œuvre”. »
procédés de simulation numérique. Texte de Bernard Désormières,
Une conception révolutionnaire de Stéphane Friédérich et Claire-Marie
la liaison de la table d’harmonie avec Le Guay. Photos de Bernard Désormières
le meuble a ainsi été élaborée. Celle- et Stéphane Friédérich
ci est comme cerclée d’une sorte de
cadre en bois (un aspect confidentiel
boesendorfer.com festival 22.06 ••• 12.07
Remerciements à Éric Valenchon, chef
de l’étape de fabrication et pour lequel des ventes de Yamaha Music Europe. concert pique-nique 22.07
Au showroom de Wiener Neustadt, Claire-Marie Le Guay
compare plusieurs Vienna Concert 280, présentés
par le responsable technique de Bösendorfer, Hans Muff.
WWW.FLANERIESREIMS.COM
EN COUVERTURE
ISOLDE OHLBAUM/DECCA
des conférences, de lire ma poésie et passé d’excellents moments avec La musique est déjà écrite, mais elle
BEN EALOVEGA/DECCA
Alfred Brendel dans sa maison
de Hampstead, un quartier et d’offrir des master classes. ceux qui aimaient ce que je faisais et dort. Nous sommes là pour poser
du nord de Londres.
Pensez-vous avoir été utile comprenaient ce que je voulais obte- un baiser afin qu’elle se réveille.
dans votre vie ou revendiquez-vous nir. Quant à ceux qui ne savaient pas Les grands chefs-d’œuvre
la magnifique et nécessaire réellement ce qu’était un concert, de la musique sont inépuisables.
Vous avez cessé de donner inutilité de l’artiste ? le travail a été plus compliqué. Vous arrive-t-il encore d’y trouver
des concerts en 2008. À Paris, Bon, on ne risque pas sa vie à jouer Pensez-vous qu’un interprète de nouvelles richesses auxquelles
c’était au Théâtre du Châtelet, du piano… et je n’ai tué personne. peut être, dans une certaine vous n’aviez pas songé
lors d’un récital comprenant Donc, je n’ai pas mauvaise conscience. mesure, un créateur ? auparavant ?
des œuvres de Haydn, Mozart, Et je pense avoir rendu des gens heu- Il existe des interprètes qui utilisent Absolument. Parfois, au beau milieu
Beethoven et Schubert, le cœur reux au cours de ma carrière. Mais, les pièces qu’ils jouent comme si elles de la nuit, certaines musiques me tra-
de votre répertoire. Avez-vous eu évidemment, il y a certainement étaient les leurs. Je suis convaincu, versent l’esprit, très en détail. Ce qui
des regrets par la suite ou caressé, d’autres moyens d’aider ses contem- pour ma part, que le pianiste n’est est intéressant pour moi, à mon âge,
même fugitivement, le désir porains à mieux vivre. J’ai simplement pas le créateur. Sans le compositeur, alors qu’une partie de mon esprit
de remonter sur scène ? fait fructifier le talent que j’avais reçu il n’est pas grand-chose. Nous devons s’évapore un peu, inexorablement,
Pas un seul instant. Ma décision était et cela m’a rendu moi-même heureux. venir en aide au créateur. À ce propos, c’est que la musique reste très pré-
mûrement réfléchie et j’avais une Avez-vous parfois martyrisé le pianiste Edwin Fischer a dit : sente, très vivante. Elle continue à se
idée très claire de ce que je voulais les accordeurs de pianos qui « L’interprète doit rendre vie à l’œuvre développer en moi, à grandir. Je vois,
faire après avoir donné des concerts devaient régler votre instrument sans la brutaliser. » C’est ma position. j’entends et je sens certaines choses
pendant soixante ans de ma vie. avant les concerts ? Certains pensent que la musique avec beaucoup plus de précision
J’ai aussi une activité littéraire et J’ai toujours demandé beaucoup aux commence à prendre vie au moment qu’autrefois. C’est ce que je remarque
j’ai pensé que le moment était techniciens qui m’assistaient. J’ai ren- où ils la jouent, sinon l’œuvre n’existe lorsque je travaille avec des musiciens
venu d’écrire davantage, de donner contré des personnes extraordinaires pas. Je ne crois pas que ce soit la vérité. et que je les conseille.
FONDATION D'ENTREPRISE
ZINIO
RICHARD HOLT/DECCA
« Je suis libre de faire ce qui me passe
par l’esprit. » Cette liberté doit être
remise en question et considérable-
ment nuancée par ce qui constitue
mêlés. Dans la grande musique et la les lois de la musique, à l’exception
« QUAND JE JOUE, CERTAINES CHOSES SONT grande littérature, l’enchevêtrement des passages qui sont liés à l’improvi-
LE FRUIT DE LA PENSÉE, ET D’AUTRES des deux libère et élève l’esprit. La musi- sation ou qui évoquent des récitatifs
que est différente en ce qu’elle n’est d’opéra. L’interprète est libre, à condi-
APPARTIENNENT À L’INSTANT PRÉSENT. » pas liée aux mots ou à la réalité. C’est tion de savoir se diriger lui-même et
ce qui la rend si mystérieuse. d’avoir des qualités de chef d’orchestre.
[ Un pianiste doit-il être à la fois nécessaire d’être poète en jouant du Pensez-vous que les grands Je m’en suis souvent rendu compte,
un chanteur et un chef d’orchestre piano, mais la poésie n’est pas l’essence compositeurs avaient toujours au cours de ma carrière, en jouant
à son piano ? de la musique. Je dirais que c’est une la conscience des possibilités des concertos avec de grands chefs
J’ai plus appris des chanteurs et des épice enchanteresse. Si un musicien contenues dans leurs œuvres d’orchestre. Vous comprenez alors
chefs d’orchestre que de mes collè- est exclusivement un poète, il rencon- ou que celles-ci leur échappaient que les changements de tempos ont
gues pianistes. Pour moi, la musique trera des défaillances dans d’autres et même que, parfois, l’œuvre un sens organique, un sens d’ensem-
qui précède le XXe siècle trouve son domaines qui constituent la musique. était plus grande que l’idée ble, et qu’ils ne sont pas uniquement
essence dans le cantabile. Et, en même Alors, qu’est-ce que la musique ? qu’ils s’en faisaient ? le fruit d’une intuition charmante.
temps, le piano a presque toujours été La musique se compose de sons orga- Lorsque l’œuvre quitte le compositeur, Il n’y a jamais eu autant de
traité de manière orchestrale, pas seu- nisés. Mais il faut y voir bien davan- elle vit sa propre vie, jusqu’à un certain pianistes en activité dans le monde
lement à l’époque romantique, mais tage. Le physicien Max Born écri- degré. Nous essayons toujours de com- qu’aujourd’hui. Est-ce, selon vous,
aussi à celle de Bach et dans certaines vait à Albert Einstein que l’émotion prendre le compositeur, de savoir une bonne ou une mauvaise chose ?
sonates de Mozart. D’ailleurs, Hans et l’intellect y sont pernicieusement ce qu’il a voulu accomplir, de sentir Plus l’on enregistre de disques et
von Bülow avait l’habitude de dire plus l’on a de chances d’en trouver
que le pianiste avait un orchestre dans des bons. C’est juste une question
ses dix doigts.
Il était à la fois pianiste
BRENDEL PARLE de probabilité.
Louis Jouvet disait que la base
et chef d’orchestre…
Oui, il est peut-être dans l’Histoire DE MOZART du travail de l’acteur résidait
dans l’art d’aimer et l’art d’admirer,
le seul très grand pianiste à avoir été Si l’écriture de Mozart nous offre la perfection de la forme et du détail, et il ajoutait que, malheureusement,
aussi un très grand chef. il nous apparaît tout autant comme un musicien infiniment raffiné, sensuel le théâtre était pratiqué par
Restez-vous un musicien en et chaleureux. Ce sont les deux aspects de cet équilibre qu’il faut restituer. des gens égoïstes et imbus
écrivant des poèmes et un pianiste Ils sont indissociables et, apparemment, ils ont été créés de la façon la plus d’eux-mêmes. Pensez-vous aussi
doit-il être une sorte de poète, car naturelle. Ces partitions font partie des œuvres les plus insaisissables de la que cela concerne les musiciens ?
ces deux arts semblent proches ? création musicale. Le piano moderne est mieux adapté que les instruments Un interprète doit aimer son père,
Quand je joue du piano, je ne suis pas anciens pour rendre justice à la qualité du chant et à la variété instrumentale et son père, c’est le compositeur.
un écrivain et, lorsque j’écris, même des timbres. Il va de soi que le piano que nous connaissons produit ces qualités S’il critique son père ou s’il le déteste,
si c’est de la poésie, je ne suis pas de façon satisfaisante dans les salles de concert destinées à l’accueillir. il devrait plutôt essayer de devenir
un musicien. C’est peut-être un peu un compositeur lui-même. [
ALFRED BRENDEL
À ÉCOUTER
P
our le label Philips, Brendel fut,
durant plusieurs décennies, l’une
des grandes icônes du piano, aux côtés
www.roland.com/fr
ZINIO
RÉFLEXIONS FAITES
Buchet/Chastel, 240 p., 17,25 euros
P
aru pour la première fois en français en 1982, le célèbre ouvrage
du pianiste autrichien est publiée dans une édition révisée. Les
pianistes – mais pas seulement – se passionneront pour un texte
qui aborde en profondeur la question de l’interprétation. Que signifie
la « fidélité » à l’œuvre? Quelle forme et quelle psychologie dans les
sonates de Beethoven? Les préjugés dans les sonates de Schubert…
Avec humour et une culture aussi vaste qu’acérée, Brendel fait preuve
de lucidité et, parfois, de provocation dans bien des sujets. Il évoque
BEN EALOVEGA/DECCA
aussi avec affection le souvenir d’Edwin Fischer. Un livre de référence
pour tout pianiste, quel que soit son niveau.
F
aisant suite à son ouvrage Réflexions faites, Alfred Brendel sique ». Cette prise de conscience
nous livre quelques précieux conseils dans ce petit livre des plus dans cette catégorie ? relève en grande partie de la responsa-
instructifs.Retiré de la scène, le pianiste se confie en homme C’est ainsi que je le ressens. Il traite bilité des interprètes. Au final, je dirais
de lettres. Dans ses propos teintés de nostalgie et d’humour, il pose certains compositeurs comme s’ils qu’il en existe deux sortes: ceux qui
clairement certains enjeux esthétiques et techniques: réglage étaient ses ennemis. Visiblement, éclairent l’œuvre de l’extérieur et ceux
des instruments, cohérence des programmes, importance des doigtés, certaines personnes aiment ce trai- qui illuminent l’œuvre de l’intérieur.
influence majeure du lied pour les pianistes… Ses propos sont précis tement un peu… sauvage. Ceci est beaucoup plus rare.
(« ritardando », « trilles », « Una corda », etc.), épurés de toute Que pensez-vous de la Et bien plus difficile…
dithyrambe. Les entrées consacrées aux compositeurs ne sont en rien démocratisation de la musique Oui, cela implique plus de travail.
des hagiographies, mais offrent des clins œil inspirants ou pleins classique ? Est-ce une bonne Écoutez-vous parfois de la musique
de sagesse. Le sens de la formule domine (« Il y a des pianistes nouvelle pour l’avenir de l’humanité « pauvre » ou prétendue telle:
qui ne font que jouer du piano ») et bien des idées sont à méditer, ou le signe d’un déclin de l’idée de la variété, du jazz, de la pop ?
telles que « C’est la pulsation des notes de petite valeur qui définit qu’on peut se faire du grand art ? Je n’en écoute pas par plaisir, elle
le jeu d’ensemble ». Enfin, on s’amuse de sa détestation de tout excès: Le grand art est aristocratique par existe partout et m’irrite souvent,
« Le trouble obsessionnel compulsif, la minutie excessive du contrôle essence. Ce qui ne veut pas dire que car elle est diffusée trop fort. Je res-
de l’instrument… » Un régal. la musique classique doit être un pri- pecte le jazz et comprends la néces-
vilège pour une poignée de personnes. sité de ce style, mais ce n’est pas
UNE AILE BLANCHE ET L’AUTRE NOIRE Je suis très heureux de constater que une musique dont j’ai besoin et qui
Christian Bourgois, 543 p., 26 euros de plus en plus de gens ont accès à me rend heureux.
cette belle musique, mais en même Dans vos poèmes édités
C
e recueil de plusieurs dizaines de poèmes bilingues (en allemand temps, l’accès à une musique plus pau- chez Christian Bourgois qui était
et en français) joue une partition d’inspiration surréaliste. Point vre est nettement plus important. En votre ami, votre sens de l’humour
de métrique définie, mais des couleurs et des rythmes qui se fait, il y aura toujours une musique et de l’absurde nous révèle une
superposent et se croisent. De grands thèmes animent ces pages qui sera l’apanage d’un petit nombre autre facette de votre personnalité.
d’un lyrisme qui prend d’autant plus sa force lorsqu’on lit l’allemand: qui aura eu la chance d’y être fami- D’où cela vous vient-il: de vos
anges et diables, dieux et monstres, bouddhas et pères Noël, spectres liarisé. Prenez Haydn: peu savent à racines moraves ou de l’Angleterre,
et apparitions, hommes et fantômes… autant de mouvements quel point il est un compositeur extra- votre patrie d’adoption ?
qui serpentent la pensée souvent humoristique d’un pianiste aussi fin ordinaire, qu’il a créé un univers dans Je ne sais pas. Même en Allemagne,
gourmet des lettres qu’il le fut des notes. S. F. ses quatuors à cordes, qu’il a introduit il y a un sens de l’humour. Curieu-
de l’humour dans sa musique, qu’il a sement, je ne le ressens pas en France.
PAROLES DE PIANISTES
ALINE FOURNIER
B. EALOVEGA
Alfred Brendel reste une référence pour un grand
nombre de musiciens et continue de les inspirer.
SDP
BÉATRICE BERRUT À PROPOS DE MOZART… ET DE BRENDEL.
Dans Mozart, mon maître absolu, c’est Brendel ! Un génie ! Il crée un monde avec une imagination débordante inspirée par le chant. Il représente la sensibilité
et l’intelligence, il est le pianiste qui parle et qui chante à la fois. Il s’est retiré au sommet de son art. Il est un modèle pour moi, à tous les niveaux.
Il y a de l’esprit, oui, mais l’humour, 1933-19341, est l’un des plus beaux
ORCHESTRE
c’est autre chose… Et pourtant vous disques de piano jamais réalisés, tout Orchestre National Du 5 au 14
avez eu Rabelais ! Il faut pouvoir comme son Concerto n°4 de Saint- Philharmonique
de Russie (N.P.R) juillet 2017
accepter ce qui a du sens et ce qui Saëns avec Charles Munch ou ses
n’en a pas. C’est ça, l’humour ! Et Variations symphoniques de Franck. CHEFS
Emmanuel Plasson
19 concerts
je crois que c’est plus difficile pour Il était un chef d’orchestre admiré par Michel Plasson
Vladimir Spivakov
certains que pour d’autres. Debussy. Il a travaillé à Bayreuth, créé
Aimez-vous Paris ? des opéras de Wagner à Paris puis, CHŒUR
Grand Chœur« Maîtres
Dans une prochaine vie, quand je sitôt qu’il a cessé de diriger, il est par- de chant choral » de
Moscou
pourrai bien parler le français, je vivrai venu au sommet de son art au piano.
une partie de ma vie ici. Je suis tou- Pensez-vous que vos disques ENSEMBLES
Trio Wanderer
jours ravi de me promener dans les vous survivront, malgré l’évolution Quatuor Arod
rues de Paris, surtout si le soleil brille. de la technologie, ou que ce sont PIANO
La beauté de cette ville va au-delà vos textes qui resteront, car le texte Zoya Abolitz
François-René Duchable
des autres cités du monde moderne. reste en l’état ? Sofja Gülbadamova
Alexandre Kantorow
Un immeuble moyen y est plus beau Même quand le texte reste, le langage Adam Laloum
que n’importe lequel ailleurs. évolue. On ne parle plus aujourd’hui Nikolaï Luganski
Hélène Mercier
Et vous avez une grande comme Shakespeare, Chaucer2 ou Alexander Romanovsky
admiration pour le pianiste Rabelais. J’espère que quelques-uns Grigori Sokolov
PÉDAGOGIE
JÉRÔME CHATIN
Balbastre au titre encourageant : n’est pas si facile, et il faut bien comprendre
Joseph est bien marié (tant mieux !). Nous les moyens techniques permettant
interpréterons aussi une sonate de Scarlatti d’y parvenir. Si la main droite s’aplatit
et une sonate de Haydn, laquelle s’achève sur vers le petit doigt, si vos 3e, 4e et 5e doigts C’est là une considération que vous devez
un optimisme vivace. Jouer les « classiques » sont mous et s’affaissent sur les touches, retenir. « Chanter » au piano, avoir un beau
est important pour développer la technique. votre son semblera étouffé. Il faut donc son, cela dépend de beaucoup d’éléments.
L’agilité des doigts est sans cesse sollicitée sentir la fermeté des doigts du chant Du dosage des plans sonores,
dans ces œuvres où il faut apprendre à tenir et ménager un peu de hauteur sous la main, de la conduite du chant, mais aussi
la pulsation, savoir comment obtenir un jeu comme une sorte de coque. Nous devrons de la manière dont ce chant se déroule dans
clair en développant la mobilité des doigts aussi contrôler la partie médiane : le temps, car sur notre instrument les sons
jouant les notes aiguës, mais également l’entendre, la doser, maîtriser le poids meurent d’eux-mêmes. Donc, si nous
avoir un plan des tonalités dans la tête. des pouces lors du passage d’une main jouons trop lentement, ils ont le temps
Le siècle de Fragonard fut raffiné1. à l’autre. Le pouce est un doigt particulier, de s’éteindre de l’un à l’autre et la ligne
Notre technique doit l’être tout autant ! il faut apprendre à sentir son contact. se fragmentera. Donnez-vous un cadre de
Puis nous ouvrirons les portes En ce début de l’Arabesque, il faut surtout temps très précis. Bref, tout cela concerne
de la tendresse et de la « fleur bleue » respecter scrupuleusement la superposition le « métier » de pianiste, les moyens pour
de Novalis en étudiant l’Arabesque des voix et les tenues indiquées. Si nous accéder à la beauté. Quant au reste, la faculté
opus 18 de Schumann. Marcel Beaufils ne faisons pas entendre la polyphonie, d’émouvoir, de transmettre la poésie
débutait son ouvrage La Musique pour piano si nous lâchons le doigt un dixième contenue dans la musique de Schumann
de Schumann par cette phrase : « J’ai déjà dit : de seconde trop tôt ou trop tard, au lieu et ce profond mystère de l’existence qu’elle
Schumann est une affaire de cœur. Vingt ans d’entendre un chef-d’œuvre, notre auditeur exprime, osons dire que cela ne s’apprend
plus tard, je ne dirais pas autre chose. percevra une bouillie ! Et que dire pas vraiment, sauf en développant
Schumann est une affaire de cœur. » Ajoutons des silences dans l’Intermède, ce rythme la culture, en vivant intensément et en
que, pour bien jouer Schumann, peut-être haché si caractéristique de l’écriture touchant le piano amoureusement. Sur
faut-il même avoir connu le grand amour, de Schumann ? Le pianiste doit donc se cette dernière remarque, j’aimerais rappeler
comme celui que Robert éprouva pour transformer en orfèvre. S’il s’y prend bien, cette belle image du pianiste Abdel
Clara. Cependant, faire vibrer le cœur n’est l’auditeur aura la sensation du naturel. Rahman El Bacha, qui résume tout,
pas synonyme de sentimentalité, bien au C’est cela que nous percevons dans le jeu surtout lorsque l’on joue cette Arabesque :
contraire ! D’ailleurs, Schumann, à l’instar d’un très grand interprète : tout a l’air facile « Il faut jouer du piano comme l’on caresse
de Chopin, avait horreur des épanchements et fluide, cela « chante tout seul ». Oui, le visage de celle que l’on aime. »
déplacés. Et Beaufils d’acquiescer : mais cette simplicité apparente est le résultat Alexandre Sorel
« La sensiblerie est, chez Schumann, accident d’un grand travail !
rare. L’accent réel est, sauf exaltations fugitives Il est encore un point essentiel, il faut 1. Joseph Haydn et Jean-Honoré Fragonard
de joie, celui d’une virilité blessée. » trouver le tempo juste. Alfred Brendel sont nés la même année, en 1732.
2. « Ombres et lumière dans l’interprétation »,
Trouver une expression juste et belle dans le répétait : « Le chant reste au cœur de la
conférence donnée par Alfred Brendel à la Cité
la pudeur, cela vient aussi de notre ressenti musique. Et d’ajouter : Une déclamation de la Musique le samedi 15 janvier 2011. Texte
des modulations : moduler, c’est changer distincte est aussi affaire de tempo et de rythme. »2 non publié, il s’agit de notes que nous avons prises.
PÉDAGOGIE
➔ Ce petit scherzo est parfait pour commen- (Ve degré). Apprenez-les ainsi. Quand on com-
13-16
cer. En effet, il n’est pas trop compliqué et plutôt prend les mots et les phrases d’un texte, celui-ci
joli. Pourquoi est-il assez facile ? Parce qu’il com- devient tellement plus facile à retenir !
porte un phrasé très simple et peu d’harmonies Faites aussi travailler votre mémoire des
différentes. doigts. Relevez les doigts qui ne jouent pas.
Prenez les « empreintes » de ces accords.
MES. 1-8
Comment toucher les notes ? D’abord, MES. 13-16
apprenez votre main droite. Remarquez qu’il y a Repérez les « aiguillages de la musique ».
des points au-dessus des notes. Ils signifient qu’il Après un premier petit parcours de huit mesures,
faut détacher les Mi. Sentez ces Mi sous votre Moscheles reprend comme au début. Cependant,
pulpe de doigt, puis repoussez-vous du clavier mesure n°13, cela change. Regardez bien où
par une petite impulsion du bout du doigt. Voyez exactement : à partir de la nuance mf. Notre
ensuite les arcs de phrasé à partir de la mesure voyage se poursuit alors vers le Do majeur.
n°2. Tombez avec un peu de poids dans la pre- Sentez que cette nouvelle tonalité est plus gaie
mière note, afin de bien la prononcer, et laissez que le début qui était en mineur. Éprouvez
la terminaison se jouer toute seule. Allégez votre la musique dans votre cœur.
main et débloquez bien votre poignet. Ce n’est
pas facile de se relaxer volontairement ! MES. 36-39
Les accords. Quant aux accords de la main Notes aiguës. Pour la musicalité et aussi pour
gauche, apprenez-les en réfléchissant. Lorsque développer votre technique, faites bien sonner vos
nous récitons une poésie, nous lisons des mots, notes aiguës au début de chaque petite phrase :
et pas seulement des lettres. Dans la musique, le Mi, mesure n°36, et le Ré, mesures n°38 et n°39, sur le côté de la main, est le « beefsteak du pia-
les accords sont comme les mots, alors que et, enfin, le La, mesure n°40. Pour cela, tendez niste » !). Puis tombez dans les notes avec un peu
les notes isolées ne sont que des lettres. Ici, nous bien votre 5e doigt ou votre 4e doigt. Sentez que de hauteur. N’ayez pas la main aplatie sur le cla-
avons le mot (l’accord de) La mineur : La-Do-Mi ces doigts extérieurs de votre main sont bien vier. Ensuite, diminuez les notes qui descendent,
(Ier degré de La), puis celui de Mi : Mi-Sol #-Si fermes (on dit parfois que le muscle du 5e doigt, en relaxant vos doigts et en jouant de près.
36-39
Claude Balbastre (1724-1799) Joseph est bien marié, extrait du Recueil de Noëls
formant quatre suites avec variations
1-4
➔ Beaucoup de compositeurs ont écrit des dessin qui est très facile à retenir et que l’on notre main en deux, afin d’exécuter deux plans
œuvres sous forme de variations. Cela signifie appelle « un échange » : Fa-Mi-Ré descend à sonores dans une même main. Ici, mesures n°16
qu’ils exposent d’abord un thème sous une forme la main gauche, tandis que Ré-Mi-Fa monte à et n°17, nous avons : la voix du haut, La, Ré, Mi,
simple, puis le reprennent en étoffant l’écriture, la main droite. Cela s’écarte, les notes s’échan- Fa, Sol, Fa, Mi-i, qui est jouée avec les doigts
tout en gardant le même « fond d’harmonie » gent. Le sentez-vous ? Cette réflexion sur les direc- extérieurs de notre main (5e, 2e, 3e, 4e, 5e doigts) ;
(retenez ce mot !). C’est ce qui se passe ici. tions des notes est essentielle. Elle vous aidera tou- la voix interne qui est moins intéressante, car
jours beaucoup à apprendre. elle joue un La toujours semblable, répété avec
MES. 1-4 Toucher. À l’époque de Claude Balbastre le pouce. Faites sortir davantage la voix du haut
Commencez par bien apprendre le modèle intitulé (né trente-deux ans avant Mozart), le toucher (celle qui bouge !) et atténuez la voix du bas.
« Gracieusement ». D’abord, chantez chaque habituel était plutôt non legato. On l’appelait Utilisez les moyens techniques dont nous avons
main tour à tour. Nous le répétons toujours, « louré ». Pour le réaliser, fixez un peu votre poi- parlé à propos de la pièce de Moscheles.
mais chanter, c’est vraiment la base du jeu de gnet et jouez en soulevant légèrement votre bras 1. Tendez vos doigts qui jouent les notes aiguës.
piano. Ensuite, comparez les directions des notes entre chaque note de basse. Écoutez-vous et 2. Tombez dans ces notes avec un peu de hau-
dans la main droite et dans la main gauche, cela cherchez le bon détaché, à savoir ni trop ni trop teur. La hauteur sous le doigt est une caisse
vous aidera beaucoup à apprendre. Par exemple, peu. Détachez ainsi toutes les noires. Par oppo- de résonance qui permet de donner du son. On
au début, La et Ré sont deux notes qui s’écartent sition, liez les croches. l’obtient grâce à un tout petit geste de rotation
l’une de l’autre. Ensuite, les deux mains vont dans de l’avant-bras vers le dedans, ce qui allège
le même sens, elles descendent parallèlement en VARIATION I, MES. 16-18 aussi le côté extérieur de la main. 3. Atténuez
formant des intervalles de dixième : La et Do # Deux plans sonores dans une main. la voix moins importante, le La qui se répète.
puis Sol et Si. Un peu plus loin, voici un petit Au piano, il est important de savoir partager Détendez votre pouce. [
PÉDAGOGIE
16-18
MES. 1-2
Ici, il y a trois voix. La basse est à la main gauche.
À la main droite, il y a le chant et une voix au milieu
qui est jouée par les doigts internes de la main.
Savoir chanter. Nous le rappelons sans cesse: au
piano, pour être capable de conduire plusieurs voix
ensemble, il est fondamental d’apprendre à chanter
chacune de ces voix. Si nous ne savons pas chanter
une quelconque partie, notre oreille ne reconnaît
pas ces notes au moment où nous les jouons,
elle ne les identifie pas, et nos doigts ne savent pas
où se poser. C’est aussi simple que cela.
Sentir dans la main. Commencez à jouer
en vous efforçant de ne pas mettre ces deux
lignes musicales sur le même plan sonore. Voici
comment procéder. Partie aiguë. 1. Tendez À SAVOIR
un peu vos doigts auxquels le chant est confié :
Sib (4e doigt), Do (5e), Sib (4e), Lab (3e), Ré Carl Albert Löschhorn est un compositeur allemand. Comme celui-ci est
(5e doigt), etc. Ne laissez pas vos doigts extérieurs peu connu, le grand dictionnaire de la musique et des musiciens (le fameux
de la main tout mous, sentez-les ! Résistez à Grove Dictionary of Music and Musicians) ne donne que peu d’informations
la jointure du métacarpe. À l’inverse, relaxez sur lui. Il fut pourtant un excellent pianiste et professeur de piano. Il naquit
vos doigts du milieu de la main, afin d’atténuer à Berlin le 27 juin 1819 et y mourut le 4 juin 1905. Il fut l’élève de Ludwig
la partie interne. Cette indépendance dans Berger et étudia à l’Institut de musique d’église de Berlin. Ses pièces les plus
la main est une des bases de la technique du célèbres sont les Klavierstücke opus 86, les Études progressives pour piano
piano. 2. Jouez cette partie aiguë le plus legato opus 66 pour degré intermédiaire et les Études pour piano opus 65, publiées
possible. Tenez bien chaque note, ne quittez pas avec le sous-titre « Pour le développement de la technique et de l’expression ».
la touche avant d’avoir transféré votre poids Il est donc sans doute intéressant de chercher à découvrir un peu mieux
du doigt jusqu’à la suivante. Cet effort pour jouer cet artiste qui écrivait pour le piano.
legato est très important pour faire chanter
les notes au piano. Écoutez-vous et sentez-le
bien. 3. Dessinez la nuance, la courbe musicale, MES. 8-12 en Mi bémol majeur. Profitez-en pour réviser
comme si vous la chantiez. Pour la voix du Ici, mesure n°8, le compositeur module. Alors votre gamme de mi bémol avec ses bons doigtés.
bas. Relaxez vos doigts du milieu, afin qu’ils jouent que ce morceau avait commencé dans le « pays » Sentez en vous ce changement de couleur et ce
moins fort. Jouez-les de tout près. N’éloignez pas de Sol mineur, nous changeons de tonalité grâce bien-être dû au mode majeur qui s’installe
votre pouce du clavier. au La bémol qui s’ajoute. Nous passons alors mesure n°9.
Retards, dissonances. La musique est une suc- Ré qui vient ensuite. Ce Mi bémol, collé avec le Fa auditive, mémoire affective (émotions, sentiments),
cession de tensions et de détentes sonores, comme (2e doigt + 3e doigt), crée l’acidité d’une seconde mémoire physique. C’est ainsi qu’il faut étudier.
il existe en gastronomie l’opposition entre le salé et majeure. Sentez ce frottement sonore. De même, Pédale. Changez bien la pédale sur chaque
le sucré, le doux et l’épicé. Les dissonances sont juste après, la rencontre Fa + Sol fait naître une ten- basse. On ne joue pas seulement du piano
une tension pour notre oreille, tandis que les conso- sion qui se résout ensuite sur Do + Mi bécarre. Phy- avec les doigts, mais aussi avec l’oreille, le cœur
nances l’apaisent et lui sont plus agréables. Mesure siquement, sentez l’écartement entre vos doigts. et même le pied qui doit changer la pédale pour
n°10: le Mi b à la partie du milieu est un retard du Ainsi, toutes vos mémoires travaillent: mémoire les différentes harmonies.
8-12
MES. 1-5
Commencez par sentir que nous sommes dans
une mesure à deux blanches. Posons-nous à nou-
veau cette question fondamentale : pourquoi met-
on des mesures ? Pourquoi ne nous contentons-
nous pas d’écrire des rythmes (noires, blanches, [
PÉDAGOGIE
[ croches, etc.) les uns à la suite des autres ? ce balancement de la mesure. Or, celui-ci est grands musiciens. Alors qu’elle donnait un jour
Pourquoi ces barres verticales dans la musique ? essentiel musicalement et physiquement. Cher- une leçon de piano sur la Fantaisie en ut mineur
Réponse : les barres de mesures sont là pour chez tout de suite à l’obtenir. de Mozart entourée de ses élèves, elle questionna
distinguer les temps forts et les temps fai- Assurez la beauté de votre partie de main à la volée : « Qu’est-ce qui aide à comprendre
bles. C’est leur différence qui contribue à faire gauche. Si vous la savez parfaitement, si elle est une phrase musicale ? Comment s’établit la tona-
en sorte que la musique balance, qu’elle nous belle et vit par elle-même, votre main droite chan- lité ? Quel est le moyen qui permet de compren-
berce, contrairement au rythme indifférencié tera avec naturel. Ici, veillez à bien balancer votre dre la forme de ce que l’on dit ? » Silence… Per-
des marteaux-piqueurs qui défoncent les trottoirs main gauche à deux blanches, avec temps forts sonne ne savait répondre. « Mais allons, ce sont
des grandes villes. et temps faibles. L’exécution musicale de la main les cadences, naturellement ! Les cadences, c’est
Faites vivre la main gauche. Commencez par gauche est une condition absolue pour bien jouer la ponctuation de la musique ! » s’exclama-t-elle.
déchiffrer cette mélodie. Puis, fragment par frag- la main droite. On ne le répétera jamais assez ! Voici le premier et le meilleur conseil que l’on peut
ment, apprenez votre partie de main gauche à Cadences. Cette sonate de Scarlatti est très donner pour jouer cette pièce : commencez par
deux blanches et balancez-la bien. Lorsque nous tonale. Or, les piliers de la musique tonale sont bien apprendre vos cadences.
déchiffrons lentement et prudemment un nou- les cadences. Rappelons ce mot de Nadia Bou- Exemple. Cette sonate est en la majeur. Mesures
veau morceau (afin de ne pas faire de fausses langer1, qui fut le professeur de Daniel Barenboim, n°2 à n°4, votre basse dessine une première
notes), nous oublions souvent de donner vie à de Gershwin, de Dinu Lipatti et de bien d’autres cadence : La (tonique), Do (tierce) puis Ré (sous-
dominante), Mi (dominante) et, enfin, La, La
(tonique). Voilà le premier parcours. Les notes Ré
À SAVOIR et Mi sont « en chemin », elles avancent, tandis
que la résolution sur La, mesure n° 4, se pose (La
Domenico Scarlatti naquit à Naples en 1685, la même année que Jean-Sébastien est stable). Il en est de même mesures n°5 et n°6,
Bach, et s’éteignit à Madrid en 1757, âgé de 71 ans. Fils d’Alessandro Scarlatti, avec un aboutissement un peu plus prononcé.
grand compositeur d’opéras et de cantates, il suivit d’abord l’enseignement
de Francesco Gasparini à Venise et se lia d’amitié avec Haendel. Après avoir MES. 8-12
exercé comme maître de chapelle à la basilique Saint-Pierre, il partit à Lisbonne Syncope. Cette sonate a une caractéristique,
en 1720. Il y dirigea la chapelle du roi et fut chargé de l’éducation musicale de il s’agit de sa syncope. En effet, la mesure est ici
l’infante du Portugal, Maria Barbara. Lorsque celle-la épousa l’héritier du trône à deux blanches (deux temps). Mesure n°9, le Si
d’Espagne, Scarlatti la suivit à Madrid où il passa la plus grande partie de sa vie. bémol est une syncope, car il ne tombe pas sur
Domenico Scarlatti composa 555 sonates pour clavecin dont la plupart furent le véritable temps, mais au milieu du 1er temps,
écrites durant sa période madrilène. Elles constituent un véritable trésor musical juste après le Ré. Il faut ressentir ce qu’exprime
de finesse et de subtilité. On dit même que le musicien italien fut le père de la une syncope. C’est une sorte de facétie qui
technique moderne du clavier. Vladimir Horowitz, comme beaucoup de grands s’affranchit subitement de la mesure ou de la pul-
virtuoses, les interprétait très souvent. Une seule édition fut publiée en 1738, sation normale et qui doit nous surprendre. Rap-
du vivant de Scarlatti, sous sa propre direction, intitulée Essercizi per Gravicembalo. pelons ceci : une syncope doit être appuyée et
Il s’agit de 30 sonates dédiées au roi du Portugal. Il existe deux classifications il faut sentir, après celle-ci, que l’on se recale sur
pour se repérer dans la forêt des innombrables sonates de Scarlatti : Alessandro la pulsation normale (sinon nous perdons sim-
Longo (L) publia en 1906 la première édition complète en 10 volumes, sous plement le sentiment de la mesure). Récemment
le titre Opere complete per clavicembalo di Domenico Scarlatti. Cet opus encore, nous avons analysé ce mécanisme en
comprend 555 sonates, chacune étant précédée d’un numéro et de la lettre « L ». détail à propos du Ier mouvement de la Sonate
Plus près de nous, le claveciniste et musicologue américain Ralph Kirkpatrick « Pathétique » de Beethoven2.
fit paraître en 1953 l’intégrale des sonates de Scarlatti en 15 volumes pour 1. Appuyez votre Si bémol. Cependant, ne l’apla-
la première fois dans un ordre chronologique, en respectant les dates de leur tissez pas vers le bas, car il exprime un question-
composition et l’organisation par paires, ainsi que le souhaitait leur créateur. nement musical. Touchez le Si bémol avec le bout
Celles-ci portent donc la lettre (R). L’œuvre de Kirkpatrick demeure LA référence de votre doigt et faites entendre l’accent, tout
pour tout musicien qui se penche sur la musique de ce génie du XVIIIe siècle. en remontant un peu votre main. Il est malaisé
8-12
18-22
22-28
Scarlatti change subitement de mode. Il passe
en mi mineur en écrivant une tierce mineure :
Sol bécarre, au lieu du Sol # qui est à la clé. De
même, plus loin, Le Do # va devenir Do bécarre.
Sentez en vous-même la puissance expressive
de ces deux notes essentielles, à savoir les IIIe et
VIe degrés, que l’on nomme les notes modales.
Elles sont très importantes pour l’oreille musicale
et la compréhension de la musique, car elles font
schématiquement la différence entre le gai et le
triste3. Si vous repérez et que vous sentez en vous
les notes modales, l’alternance du majeur et du
mineur, vous apprendrez plus facilement vos
morceaux et les jouerez avec plus de sentiment.
Le piège du relief du clavier. La fin de la phrase
arrive mesure n°28, avec le Mi blanche. On doit
le diminuer. Sur une terminaison de phrase il faut,
la plupart du temps, ôter le poids et laisser la main
remonter souplement en libérant le poignet. Ici,
il y a un « piège » technique : ce Mi est une tou-
che blanche sur le clavier, une touche basse. Or,
nous venons tout juste de jouer un Ré # qui est
une touche noire, une touche haute sur le clavier.
d’expliquer par des mots parce que tout cela doit noires et commencent à contretemps : La, Do #, La tendance naturelle serait donc, si l’on n’y prend
surtout être ressenti. Il faut que le rythme et l’har- Ré #… Si, Ré #, Ré #… Si, Ré #, Mi… Continuez pas garde, de tomber complètement avec la main,
monie passent dans notre corps. 2. Sentez que vous à peser un peu plus dans le 1er temps à la main à cause de cette différence de niveau des tou-
vous rétablissez ensuite sur le 2e temps par la main gauche. Cependant, à la main droite, le geste n’est ches. N’en faites rien ! Luttez contre la tendance
gauche, c’est-à-dire sur le Sol #. Procédez ainsi pour pas le même : il faut tomber de haut en bas dans à s’écraser. Ne tombez pas de la main sur cette
toutes les syncopes écrites dans ce morceau. la première note du phrasé, puis laisser remonter terminaison, malgré le relief du piano. Cherchez
la main sur la fin de phrase. Que voyez-vous ? partout où il y a ce piège : une fin de phrase qui
MES. 18-22 Les gestes ne sont donc pas du tout les mêmes arrive sur une touche blanche, en venant d’une
Note modulante. Scarlatti écrit une nouvelle aux deux mains, et c’est là l’une des difficultés touche noire (mesures n°32, n°36, n°40, n°44,
altération, le Ré #, et à partir de ce point, il l’ins- techniques. Exercez vos gestes et comprenez bien n°60, etc.) ; ce principe est partout. C’est à croire
talle de façon durable. Cette note importante qu’ils correspondent à la musique elle-même. que Scarlatti l’a fait exprès pour nous apprendre
témoigne de l’entrée dans la nouvelle tonalité de Quand un petit phrasé finit sur une touche la technique !
mi majeur avec quatre dièses, qui est comme blanche, et que la note d’avant est une touche
1. Procurez-vous ce film passionnant : Nadia Boulanger,
un nouveau paysage. Pensez-la. Vous ne pouvez noire (mesure n°20), faites bien attention à ne Mademoiselle, de Bruno Monsaingeon, Médici Arts.
bien jouer que si vous sentez exactement où sont pas « tomber de la main ». 2. Voir Pianiste n°103, numéro de mars-avril 2017.
les frontières tonales. 3. Il y a naturellement beaucoup d’exceptions
à cette vision un peu schématique du majeur = joyeux,
Gestes. À partir de la fin de la mesure n°18, MES. 22-28 mineur = triste, notamment chez Schubert qui leur accorde,
Scarlatti écrit des petits phrasés qui durent deux Alternance majeur-mineur. Mesure n°23, au contraire, souvent la signification inverse.
PÉDAGOGIE
Joseph Haydn
(1732-1809) Sonate en mi mineur n°53, Hob. XVI:34
1-6
lisons d’ordinaire assez peu dans la vie courante, le même poids que la main gauche, puisqu’elle
mais le pianiste, lui, sait qu’ils ont une grande porte la terminaison du petit phrasé musical, Sol-
importance, car c’est souvent à eux qu’est confié Ré #-Mi. Une terminaison doit être généralement
le chant principal. B. Cependant, attention: appre- atténuée. Gardez un peu votre doigt dans la tou-
nez à chanter aussi la partie d’alto, même si elle che sur le dernier Mi, relâchez votre poignet
doit être jouée moins fort ! En général, notre oreille puis allégez votre poids. Si vous procédez ainsi,
est happée par la mélodie principale et nous en vous constaterez que votre main droite remonte
oublions d’apprendre la seconde voix. Apprenez d’elle-même. Ôtez la note sans sécheresse. Ana-
également cette partie interne (Si, La, Sol) par lysez bien ce petit mécanisme qui est très impor-
l’oreille, puis jouez-la moins fort, en relaxant votre tant pour la technique.
2e doigt, puis le pouce et encore le pouce. Gestes opposés. Sur le 1er temps, la main gau-
➔I ER MOUVEMENT: PRESTO 2. Synchronisation. Veillez aussi à jouer toutes che pèse vers le bas, afin d’assurer le temps fort.
Le premier thème de ce mouvement, d’un carac- vos doubles notes (tierces, sixtes) rigoureusement Au contraire, la main droite se relève pour atté-nuer
tère très alerte, est bâti sur des arpèges à la main ensemble. C’est fondamental pour sentir et déve- la fin de phrase. Les gestes sont donc opposés
gauche, auxquels répondent en écho des doubles lopper votre technique, car cela conditionne aux deux mains. Mémorisez bien ces sensations
notes à la main droite (tierces et sixtes). Il faut être vos empreintes. Par ailleurs, seule une parfaite qui correspondent à la diction musicale correcte.
précis pour jouer cette sonate, elle ne supporte ni synchronisation des doubles notes permet d’enten- Si vous avez bien compris, votre corps intégrera la
l’imperfection des doigts, ni celle de la pensée ! dre globalement ce que vous êtes en train de jouer. différence entre ces gestes, qui est due à la diffé-
Tombez verticalement dans ces notes. Dans le jeu rence des appuis, et vous ne l’oublierez plus jamais.
MES. 1-6 de piano, il existe non seulement une dimension
1. Main droite: obtenir la clarté des notes horizontale (qui correspond au dessin, à la nuance MES. 14-17
aiguës. Ce que nous devons faire en premier, c’est de la mélodie), mais également verticale pour la Doigts agiles = maîtriser le temps dans les
d’exécuter deux plans sonores dans la seule main synchronisation des notes doubles, des accords doigts. Les doigts doivent aller vite dans ce pas-
droite. Il faut distinguer la partie la plus aiguë, celle et le dosage des plans sonores. Ce qui est difficile, sage. Comment procéder ? Exercez-vous à contrô-
du chant, et la partie interne « accompagnante » c’est de faire les deux à la fois. ler votre pulsation à la croche. Vos doigts ne
(partie d’alto). Il est indispensable d’atténuer cette Rythme : main gauche-temps fort. Assurez doivent ni déraper, ni « savonner » au gré des posi-
dernière et de faire sonner davantage la première. votre temps fort à la main gauche, en donnant suf- tions qu’ils rencontrent sur le clavier. Chopin
Plans sonores. A. Pour jouer la partie aiguë fisamment de poids à votre première basse : Mi. disait : « Personne ne remarquera l’inégalité
plus sonore, Sol, Ré #, Mi, sentez une petite ten- Sentez la différence entre les temps forts et les du son dans une gamme très vite quand elle sera
sion dans vos doigts extérieurs de la main (5e, 3e, temps faibles4, car c’est cela qui donne son balan- jouée également pour le temps. » Retenez bien
4e doigts). Ne les laissez pas mous. Maintenez cement à la musique. Si vous martelez tous les cette phrase de Chopin, elle aussi est essentielle
un peu de hauteur sous ces doigts extérieurs. Si temps de la même manière, votre auditeur aura pour la technique.
votre main s’aplatit trop du côté du petit doigt l’impression que vous ânonnez votre texte, au lieu Surveillez spécialement vos 5e et 6e pulsa-
parce que vos doigts extérieurs sont mous, alors de faire de la vraie musique. tions (croches). Elles ne doivent ni déraper ni
votre son sera étouffé. Développez la sensation de Phrasé, dessin des phrases. Cependant, sur vous échapper. Exemple, mesure n°14 : contrôlez
vos derniers doigts de main (3, 4e 5e). Nous les uti- le 1er temps, la main droite ne doit pas avoir Ré avec le 5e doigt de la main droite, puis La avec
14-17
le 2e doigt. Écoutez: Ré, Ré, Si, La, Sol, Fa…/Ré, Ré, Remarquez d’où part le phrasé mesure n°19. donc jouer à chaque fois un peu moins fort. Ne
Do, Si, La, Si… sans presser. C’est une question de Il commence sur la deuxième note, juste après laissez pas votre pouce hors de la main. Une main
pulsation intérieure, de volonté intérieure. Conti- la pulsation… comme dans la musique de Bach ! écartée se crispe, une main condensée est agile.
nuez l’opposition des gestes entre main droite et Pensez le phrasé et imaginez sa courbe. Exécuter Technique de doigts rapides. 1. On raconte
main gauche. La fin du motif doit être diminuée une phrase musicale doit ressembler à l’élan que l’on faisait jouer Arthur Rubinstein avec une
à la main droite (relever, relâcher), tandis que du trait de pinceau du peintre sur sa toile. Ce der- pièce de monnaie sur le dos de la main. Absurde !
la main gauche marque le temps fort. nier sait où il veut mener son trait, il l’imagine Cherchons plutôt à savoir pourquoi on le lui deman-
à l’avance. Sentez jusqu’où s’élance chaque des- dait. La main des pianistes débutants a tendance
MES. 18-25 sin, quel est son sommet aigu : mesure n°19, à s’écrouler complètement vers le petit doigt.
Ce passage demande une grande maîtrise de la c’est Mi puis Ré (mesure n°20) et Do (mesure Nos doigts extérieurs de la main, 4e, 5e doigts, sont
main si l’on veut le jouer égal et joliment dessiné. n°21). L’ensemble de la musique descend et il faut naturellement moins habiles puisque nous les [
O P U S 1 02
PÉDAGOGIE
18-25
[ utilisons moins souvent dans la vie courante. des pires choses que l’on puisse faire au piano), une théorie sur ce mouvement circulaire du
Cependant, au lieu de poser une pièce sur votre effectuez plutôt un minuscule mouvement circu- doigt censé stimuler la sensation des pulpes. « Par
main (le sol serait jonché d’un véritable trésor !), laire du doigt vers la paume. Forkel, le biographe le mouvement circulaire, le doigt reste sous le
concentrez-vous plutôt pour obtenir le son que de Bach, affirme que le Cantor lui-même pratiquait contrôle de la pensée, il y a continuité dans le mou-
vous voulez, c’est-à-dire réussir toutes vos notes ce mouvement circulaire: « Le doigt ne doit pas se vement comme dans la pensée. La ligne courbe,
aiguës. Développez la sensation et la mobilité de lever perpendiculairement à la touche, mais glisser le mouvement arrondi tend vers la forme par-
vos doigts extérieurs de la main. Ce n’est pas ce qui doucement le long de cette touche, en se repliant faite », explique sa biographe, Hélène Kiener.
se voit qui compte, mais ce que l‘on sent et ce que graduellement vers la paume de la main. » La pia- Néanmoins, toutes ces considérations sur l’aspect
l’on entend ! 2. Toutefois, il faut contrôler égale- niste Marie Jaëll, amie et confidente de Liszt, ainsi physique du jeu comportent aussi un danger, celui
ment les notes jouées par votre pouce. Cette partie, que sa secrétaire personnelle à Weimar, imagina de risquer de nous détourner de la recherche
même si elle doit être moins forte, ne doit pas man-
quer, sinon vous perdrez le contact avec le cla-
vier. Mesure n°19, Haydn a d’ailleurs écrit une À SAVOIR
voix interne qu’il faut souligner, La, Sol, Fa #. Celle-
ci est jouée avec les doigts internes de la main La Sonate en mi mineur n°53, Hoboken XVI :34 de Haydn fait partie d’un groupe
(3e doigt, 2e doigt, puis pouce). Faites sonner cette de trois sonates éditées à Londres en 1783-1784, dans le cadre d’une série
voix en versant votre poids vers l’intérieur de la intitulée A Fifth Sett of Sonates, entreprise par les éditeurs Beardmore & Birchall.
main, vers le pouce. Utilisez pour cela une petite Celle-ci fut la troisième de ce recueil et parut le 15 janvier 1784. Chaque titre
rotation de votre avant-bras sur son axe. Ce savant de pièce composée par Haydn est toujours suivi de son numéro d’Hoboken,
équilibre de la main est la clé de la liberté et l’équivalent du Köchel pour Mozart. Anthony van Hoboken, un musicologue
de l’agilité des doigts. néerlandais (1887-1983), publia en 1957 le grand catalogue thématique
N’alourdissez pas. Ce passage est une marche du répertoire de Haydn. Mais, contrairement au classement chronologique
harmonique. D’abord, pensez vos notes fonda- des catalogues Köchel (Mozart) et Deutsch (Schubert), Haydn ayant écrit
mentales: La - > Fa #, puis un ton en dessous, Sol 750 œuvres, Hoboken choisit de les ordonner par genre de composition et définit
- > Mi, et encore un ton plus bas, Fa # - > Ré. 31 catégories numérotées en chiffres romains. Les œuvres pour piano
Doigts repliés, mouvement circulaire. Dans appartiennent à la catégorie XVI pour l’ensemble des sonates (n°1 à n°52).
tout ce passage qui requiert agilité et rapidité des La catégorie XVII se rapporte à d’autres pièces pour piano (n°1 à n°12).
doigts, notamment avec les petits gruppettos, ne La catégorie XVIIa, elle, concerne les pièces à quatre mains et, enfin, la catégorie
jouez pas avec les doigts tendus et raides devant XVIII est constituée de concertos pour piano (n°1 à n°11). La Sonate en mi mineur
votre main. Au lieu de frapper du doigt de haut n°53 est donc répertoriée Hob. XVI:34 de la catégorie « Sonates pour piano » :
en bas, de donner une « gifle » aux touches (l’une XVI dans l’œuvre générale de Haydn et la 34e de cet opus.
MES. 1-4
L’écriture de Haydn et Mozart opère souvent par
groupes de quatre mesures, selon ce que j’appel-
lerais le principe d’« ouverture-fermeture » har-
monique. Cette manière est très typique de celle
de Haydn, de Mozart et même, plus tard, de celle
de Beethoven. Expliquons-nous. La première
mesure procède de la tonique (Sol-Si-Ré). Elle
du but musical. Il ne faut jamais s’écarter – ne fût- descendantes, qui se répète plusieurs fois: Ré-Do- donne le sentiment suivant: fermé. La deuxième
ce qu’un seul instant – de l’imagination active de Si…/Si-Sol-Fa…/Do-Si-La…/Ré-Do-Si… Étape par mesure « ouvre » le discours, en exposant l’accord
ce que nous voulons entendre. étape, il se hisse jusqu’au Ré, sa note la plus aiguë. de dominante (Ré-Fa #-La-Do). Celui-ci exprime
1. Jouez un peu plus fort chaque note aiguë du un questionnement. Pour le jouer, conservez votre
MES. 30-35 petit dessin de trois notes Ré-Do-Si…/Si-Sol-Fa…/ regard vers le haut, évitez à chacune de vos deux
Deuxième thème (B) de la forme sonate. Do-Si-La… Diminuez la descente en relaxant vos mains de tomber vers le bas, sentez une sorte
Cette œuvre est bâtie sur le modèle de la forme doigts. 2. Jouez chaque groupe progressivement d’appel vers le ciel, physiquement et mentalement.
sonate. Voici le deuxième thème (B), dans le ton de plus en plus fort, en montant vers l’aigu. Ce Vous constaterez qu’il est alors très facile d’exé-
de sol majeur, ton relatif du ton principal. Celui-ci n’est pas facile à faire sonner, car notre main a ten- cuter la petite enluminure en triples-croches qui
est composé d’un petit dessin de trois notes dance à s’aplatir vers le côté du 5e doigt. Henrich s’achève, elle aussi, sur une interrogation. [
1-4
PÉDAGOGIE
13-16
[ Silence. En cette première fin de phrase, au long du mouvement et vous serez libre de pas par rapport aux autres, ou un facétieux lutin
mesure n°2, Haydn écrit une terminaison avec une déclamer comme dans un opéra de Mozart. qui surgit tout à coup ! Sentez l’effet. Un contre-
croche suivie d’un silence. Ce silence est d’une temps est cet accent subit et un peu déroutant,
importance capitale. Vous ne devez pas le négliger, IIIE MOUVEMENT: VIVACE MOLTO qui vient contredire provisoirement la mesure.
mais le « vivre », l’habiter de votre pensée. Durant Pour jouer ce mouvement, considérez d’abord C’est à travers ce genre de facéties musicales que
cette absence de son, vous devez écouter la musi- son caractère. Un mot le résume: il est jubilatoire. s’exprime l’humour musical de Haydn. Mozart
que des sphères, être tout aussi actif(ve) mentale- héritera de cet esprit espiègle de celui qu’il nom-
ment qu’en jouant des vraies notes. MES. 1-8 mait « Papa Haydn ».
Refermer. Mesure n°3, Haydn débute un nou- La première chose est de ressentir l’atmosphère Il y a donc un conflit entre la mesure qui indique
veau phrasé, mais celui-ci est aussi un question- dansante, le punch rythmique. Considérons que le 1er temps doit être plus fort et le phrasé de
nement. Ne posez donc pas votre jeu. Notez bien trois éléments pour jouer avec le bon rythme : la main droite, qui exige d’atténuer la deuxième
que l’harmonie et le phrasé ne changent pas en 1. La mesure. Elle doit « balancer » à deux temps note. Les deux mains sur le 1er temps ne doivent
même temps. Au contraire, ils se chevauchent. (forts-faibles). 2. Le phrasé. Il se trouvera parfois donc pas avoir le même poids, et c’est pourquoi
Puis nous voici à la mesure n°4. Elle ramène à la en contradiction avec la mesure. 3. Les carrures, elles ne doivent pas être jouées avec le même
fois la tonique et la fin de cette première phrase. les groupes de mesures. geste. Exercez ces gestes opposés. Sentez qu’ils
Il ne faut donc pas l’alourdir. On voit ainsi à quel 1. Temps forts-faibles. Notre mesure est à deux sont dictés par la musique, le rythme et le phrasé.
point la composition elle-même nous indique com- temps. Il y a donc – en principe – un temps fort et 3. Carrures. Haydn construit sa musique par
ment jouer physiquement. L’harmonie et le phrasé un temps faible. Quoi que l’on dise, c’est la pre- « carrures de mesures ». Le développement
sont les deux piliers principaux du cantabile. Ajou- mière chose. Une musique qui n’a pas de temps qu’il donne à son motif est parfaitement logique,
tons cette remarque concrète d’Alfred Brendel, forts et faibles ne « danse » pas. Pratiquez d’abord il s’apparente à un discours bien construit qui a
éminent interprète de Haydn: « Dans le cantabile, votre main gauche toute seule. Votre première un « plan ». Ce plan, il faut le faire sentir à votre
le coude doit toujours être libre. » basse de la mesure doit avoir un peu plus de poids auditeur, lui révéler, sans qu’il sache pourquoi,
que la seconde. les clés de l’œuvre, et pour cela, les 1ers temps de
MES. 13-16 2. Phrasé à contretemps. Maintenant, regar- chaque mesure ne doivent pas tous avoir le même
Menez cette même réflexion partout où la main dez le phrasé de la main droite. Il vient justement poids. Jouez la première basse de la mesure n°1
droite est très volubile. Mesure n°15, l’accord de contredire ce balancement de la mesure à deux suffisamment sonore et diminuez les 1ers temps
Sol à la main gauche est la sous-dominante de temps, qui serait à lui seul un peu « trivial » ! des mesures suivantes. Mesures n° 2, n°3 et n°4,
Ré. Ne la posez pas, avancez ! De même, mesure En effet, dès la mesure n°3, la main droite groupe jouez votre première basse, certes un peu plus
n°16, nous avons l’accord de quarte et sixte, éga- les notes par deux. Or, chacun de ces petits arcs forte que la deuxième, mais sans être aussi forte
lement interrogatif. Si vous asseyez votre pensée de phrasé commence sur la deuxième croche que la première basse de la mesure n°1. Dosez,
tonale et votre main gauche, votre chant de main du 2e temps : Si - > mi’, Mi - > Fa’, Fa - > La (trille), soupesez, évaluez le poids, écoutez-vous. Tout
droite sera statique. Les problèmes de doigt Fa, c’est-à-dire à contretemps. ce savant dosage est compliqué, penserez-vous
n’existent pas en eux-mêmes. Tous les traits Jouez la première de ces deux notes un peu plus peut-être. Certes, mais qui a dit qu’il était aisé
dans ce mouvement, fussent-ils écrits en triples- lourdement que la deuxième. Haydn écrit ici de parler un langage aussi infiniment spirituel ?
croches, doivent être considérés comme l’expres- un décalage de l’accent. On dirait un petit soldat 4. Même si, naturellement, il existe beaucoup d’exceptions
sion d’une pensée harmonique. Jouez ainsi tout qui, dans une marche militaire, se décale d’un à cette règle!
1-8
PÉDAGOGIE
1-8
[ Toutes les voix ensemble. Empreintes. le son en montant jusqu’à ce Fa aigu. Accompa- sous la main. 2. Après cette syncope, rétablissez
À présent, mettez toutes les voix ensemble. gnez votre nuance avec la main gauche. votre sensation du temps normal, retrouvez
Votre écoute harmonique est alors sollicitée et Contexte général. À ce stade de votre exécution, la vraie pulsation. Ajoutons que cette voix centrale
votre mémoire physique des empreintes, des écarts une chose est essentielle : en cherchant à nuancer de main gauche est aussi une note semblable
dans les doigts, commence à travailler. Ces écarts votre mélodie, demeurez dans le contexte musical répétée: Sol - > ol…/Sol - > ol…/La - > a… La - > a.
correspondent aux tenues de notes voulues par de l’œuvre. Bien que Schumann ait écrit des souf- Soulevez bien entre chaque note, puis attaquez
Schumann et, donc, aux intervalles. Pratiquez flets d’intensité, ne jouez jamais trop fort, ni avec de nouveau. Si vous restez englué(e) dans le cla-
d’abord très lentement, afin de bien sentir quels trop de « pathos ». Une exaltation romantique vier, vous ne mémoriserez rien.
sont les doigts qui doivent se lever et ceux qui excessive serait contraire au caractère d’ensemble Pédale. On dit que le secret du jeu de Chopin et
doivent tenir. Cet apprentissage relève de votre du morceau. Ici, l’atmosphère est celle d’une pièce de Liszt résidait dans leur usage subtil de la pédale.
seule discipline personnelle, de votre concentra- généralement douce et tendre. Albert Béguin écrit: Ici, votre pied aussi doit être très agile. 1. Relevez
tion, de votre patience. « Le lyrisme généreux d’un Jean Paul peut atteindre rapidement le pied en jouant la note, afin d’effacer
Nuancez, dosez. L’objectif est maintenant à une tendresse humaine que l’on n’a point éga- les restes de l’harmonie précédente. 2. Redes-
de faire ressortir le chant, la partie la plus aiguë lée. » C’est l’ambiance qui est dépeinte ici. cendez le pied assez tôt, et surtout, faites-le avant
par rapport à l’ensemble. Usez des trois éléments Tenues = écoute des sons longs. Tenir une d’ôter le doigt de la nouvelle note. Si vous redes-
qui sont à votre disposition pour donner davantage note avec le doigt n’est possible que si notre oreille cendez le pied trop tard, tandis que vous avez déjà
de son. 1. Rendez fermes vos doigts extérieurs de la perçoit le son qui se prolonge. Si l’oreille n’entend lâché le doigt, alors vous n’aurez pas pris la nou-
main: 4e et 3e doigts, lorsqu’ils exécutent les petites pas la continuité du son, le doigt lâche la note, iné- velle harmonie et votre chant sera sec et haché.
notes Si-La (Sol-Do). Ne les laissez pas mous. luctablement. Jouez donc suffisamment fort vos Lorsque l’on évoque la bonne façon de mettre
Arrondissez surtout le 4e doigt, comme si vous vou- notes longues qui doivent être tenues. Jouez fort la pédale au piano, il serait mieux de parler de
liez l’arc-bouter au-dessus des touches. 2. Prenez également la basse qui est en syncope puisqu’elle la coordination entre l’oreille et le pied.
un peu de hauteur sous ces doigts d’aigus, comme commence sur un temps faible et se prolonge Tempo. Enfin, trouvez le tempo juste, celui qui
si vous aviez une petite « caisse de résonance » ensuite sur le temps fort de la mesure: Ré - > Do/Ré permet de chanter au mieux cette phrase, de la
dans le creux de la main. Imaginez un petit écha- - > Do… puis Sol - > Fa…/Sol - > Fa… Il faut toujours déployer avec naturel. Au piano il y a une raison
faudage qui vous empêcherait de basculer vers appuyer une syncope, la rendre sonore. de plus à choisir un bon tempo. Le son commence
le 5e doigt. Si votre main s’aplatit trop du côté Les syncopes du début de l’Arabesque. à mourir dès qu’il a été émis. Par conséquent,
du 5e doigt, le son ne « sortira » pas. La note médiane, celle du 2e doigt de la main si nous jouons un chant trop lentement, chaque
Dessinez, dosez la courbe de la mélodie. gauche (Sol - > tenu… Sol - > tenu… La- > tenu…), son a excessivement le temps de « mourir » avant
Cette mélodie débute dans la nuance pp, puis est aussi une syncope, car attaquée sur un temps d’atteindre le suivant. La phrase musicale est alors
elle s’élance jusqu’à une première étape, le Fa faible, elle enjambe ensuite la mesure. 1. Appuyez hachée. Alfred Brendel le confirme : « Le chant
aigu, mesure n°4 (joué avec le 5e doigt). Commen- cette syncope, projetez le son. Donnez-lui du poids reste au cœur de la musique, et une déclamation
cez doucement, puis réchauffez progressivement avec un doigt ferme et suffisamment de hauteur distincte est aussi affaire de tempo et de rythme. »6
À SAVOIR 41-48
Schumann est l’auteur de grandes sonates pour piano ou de cycles pianistiques
tels que les Kreisleriana, les Études symphoniques ou les Scènes d’enfants.
En revanche, l’Arabesque opus 18 est, avec le Blümenstück opus 19, l’un des rares
morceaux isolés qu’il composa. Ces deux pièces ont été écrites à Vienne aux
environs de Noël 1838. Au même moment, Schumann composait An C-Gruss
zum heilingen Abend (À Clara, salut la veille de Noël). Blümenstück opus 19 fut
créé sur une idée un peu étrange, celle de « variations mais sur aucun thème »,
comme le souligne Brigitte François-Sappey. Quant à l’Arabesque que nous étudions
aujourd’hui, elle se présente comme un morceau tendre et plein de la fraîcheur
de l’enfance. En effet, Schumann rédige au début de la partition le commentaire
« Leicht und zart », soit léger et tendre. Elle est écrite sous forme de rondo,
car le thème principal revient plusieurs fois, comme un refrain avec deux couplets.
MES. 41-48, MINORE I, ETWAS une voix plus grave, en noires, que nous ne pou- le mariage (Ehe) est une parole très musicale.
LANGSAMER (ASSEZ LENTEMENT) vons pas lier. Exercez soigneusement cette sensa- Il ressemble à une quinte. » Et Schumann dessine
Deux voix, comme deux amants. Comme tion de deux voix parfaitement autonomes dans une portée avec trois notes magiques Mi-Si-Mi
dans un très grand nombre de ses ouvrages, Schu- votre main, l’une liée et l’autre non. Faites cela (= une quinte, la « quinte du mariage »). Nous
mann écrit ici deux voix chantantes qui marchent d’abord très lentement, afin de vous écouter et retrouvons ici cette alliance du ton d’ut majeur
en parallèle. Il s’agit de la métaphore de l’homme de bien sentir l’indépendance de vos doigts. et de la quinte de Clara dans notre gamme descen-
et de la femme qui se disent mutuellement leur dante. Le minimum est donc, pour nous, de jouer
amour. Schumann illustre ainsi sa passion pour MES. 88-96, RUHIGER (PLUS CALME) ce passage avec un sentiment d’amour.
Clara, qui n’a cessé d’imprégner toute son œuvre. Ce passage, constitué de deux blanches liées sui-
Cependant, pour nous, le mouvement parallèle des vies de croches, est une sorte d’appel des lointains. MES. 209, ZUM SCHLUSS (POUR FINIR)
voix n’est pas une chose si naturelle, car nos mains Il contient l’intervalle de quinte qui caractérise Cette dernière partie de l’Arabesque ressemble à la
sont « inversées » par rapport au clavier. Efforcez- Clara. On l’appelle la « quinte de Clara ». Ici, pièce intitulée Le poète parle des Scènes d’enfants.
vous cependant de réchauffer aux deux mains ce sont les notes Do, Si bémol, La, Sol, Fa. C’est Écoutez-la afin d’enrichir votre culture musicale et
le son en montant vers l’aigu et de le diminuer cette même quinte de Clara que l’on retrouve dans votre familiarité avec le langage de Schumann.
en descendant vers le grave. La voix aiguë (Clara la Sonate n°3 pour piano, au début de la Fantaisie Cette fin évoque la face Eusebius de Schumann, [
= main droite) doit jouer plus fort vers le Sol aigu opus 17 et dans les Impromptus. La musicologue
de la mesure n°42, vers le 5e doigt de la main Brigitte François-Sappey explique à propos des 88
droite, tandis que la voix grave (Robert = main Impromptus opus 5 sur une romance de Clara
gauche) doit jouer plus fort vers le pouce de la Wieck : « Les deux quintes Clara/Robert, qui se
main gauche. Nos deux mains doivent être retrouvent dans maintes œuvres à venir, consti-
intenses vers des doigts opposés. La difficulté tuent une devise secrète. Dans la mythologie schu-
vient donc de la coordination. manienne, le chiffre cinq et la quinte désigneront
Indépendance des liaisons dans une même toujours Clara par analogie avec les cinq lettres
main. Chaque main comporte deux voix à la fois. de son prénom. »7
Une voix aiguë en croches, qui doit être toujours
soigneusement liée avec les doigts – la pédale
Plus explicite encore, Schumann écrit à sa bien-
aimée Clara en avril 1838 (peu avant la com-
➜
ne suffit pas : si vous lâchez, cela s’entend –, et position de l’Arabesque) : « Je crois même que
PÉDAGOGIE
➜ 89-96
209
221-224
c’est-à-dire le versant tendre, doux et rêveur de a écrit beaucoup de syncopes. Si l’on n’y prend avec son long accord arpégé, suivi de ses célèbres
son caractère, par opposition à l’autre aspect de pas garde, elles ont largement le temps de mourir « pom, pom, pom » (La-La-Ré…) qui font mine
lui-même, Florestan (le jeune homme emporté et avant d’atteindre le son qui suit. de terminer l’histoire. Mais nous, nous savons
vigoureux). C’est donc ici la nostalgie de l’enfance qu’en réalité, cela ne finit rien. Ici, faites sentir à
qui s’exprime. Nombre de poètes du romantisme MES. 221-224 ceux qui vous écoutent qu’il n’y a pas de réponse,
allemand qui ont inspiré Schumann, tels Ludwig En parlant de l’œuvre de l’écrivain Jean Paul et que nul n’a encore pu regarder derrière le miroir:
Tieck, Novalis ou Eichendorff, évoquent cette Richter, Friedrich Schlegel évoquait une « leçon de touchez ce Mi du bout du doigt et prenez-le vers
douce tristesse qui accompagne la mémoire désorganisation ». On ne saurait mieux dire pour le haut en interrogeant, comme pour regarder
du passé et de l’enfance envolée. Pour la faire décrire ce thème qui se délite petit à petit et finit vers le ciel, vers l’infini des étoiles.
sentir, portez le plus grand soin à toutes vos notes sur la tierce Mi, comme si l’on n’avait jamais fini
tenues, à la main gauche et à la main droite. Tenir de s’interroger. Il est fréquent que la musique de 5. Albert Béguin, L’Âme romantique et le rêve, Librairie
José Corti, Paris, 1939, chapitre « Jean Paul », p. 191.
les notes, cela implique que nous puissions Schumann ne se termine pas vraiment et nous 6. « Ombres et lumière dans l’interprétation »,
percevoir leur son jusqu’au bout. Si ce son meurt laisse en suspens sur une interrogation. Le com- conférence donnée par Alfred Brendel à la Cité
trop tôt, notre doigt quittera la touche. Ici, pro- positeur suggère ainsi qu’il ne peut pas y avoir de de la Musique le samedi 15 janvier 2011. Texte non publié,
il s’agit de notes que nous avons prises.
jetez d’autant plus distinctement vos notes tenues réponse au mystère de la vie. Il en est ainsi, par 7. Brigitte François-Sappey, Robert Schumann,
que le tempo est lent (langsam) et que Schumann exemple, dans la 12e pièce des Papillons opus 2 Librairie Arthème, Fayard, Paris, 2000, p. 65.
oici un arrangement
PIANOS À LA LOUPE
Acoustiques
Trois pianos droits
d’excellente facture par Bernard Désormières
C
Médiums: colorés, chantants,
d’une belle rondeur. showroom installé près de Les marteaux à sous-garniture rouge
Quelques inégalités ponctuelles, Toulouse, à L’Union, que sont signés par Renner. Un très solide Conclusion
perfectibles par une harmonisation
et une égalisation plus poussées
Vincent Chavanne, physicien de barrage arrière de cinq poutres ver- Pour un prix imbattable, le 132FR
Graves: bonne puissance, formation et passionné de facture ticales contribue à la rigidité de la est un bon et solide instrument, bien
sans agressivité. Belle définition, instrumentale, produit artisanale- structure harmonique. conçu et bien construit, avec des com-
même dans les notes extrêmes ment deux modèles de pianos: un La table d’harmonie « brute », ainsi posants de haute qualité, très soi-
Pédales: 3 (forte, douce,
modérateur). À bonne hauteur. Pédale quart-de-queue de 187 cm (Pianiste que les barres de table, sont fournies gneusement sélectionnés par un fac-
douce un peu molle (défaut mineur n°68) et un nouveau grand piano par l’Italien Ciresa avec certificat per- teur connaissant son métier. Pouvant
facile à corriger). Extraction très facile droit de 132 cm, qui remplace celui sonnalisé, un label garantissant la être équipé en option d’une pédale
du feutre modérateur. Tringles
de 125 cm. Étudions le 132FR. meilleure qualité. Chavanne usine tonale sostenuto, ce grand piano droit
de pédales en bois
Dimensions: 132 (H) x 156 (L) de façon particulière cette table qui français, sans rival dans l’Hexagone,
x 68 (P) cm Descriptif devient lenticulaire et reçoit sous devrait être plus souvent choisi dans
Poids: 270 kg Le meuble classique, à consoles presse les barres et le chevalet (qui les conservatoires et les écoles de
Spécificités: conception
et réalisation françaises. Table légèrement effilées et à roulettes ont subi quelques traitements hygro- musique. La capacité de production
d’harmonie italienne Ciresa doubles, est imposant. Le clavier assez métriques secrets). Les tringles de de la petite entreprise Chavanne saura
de premier choix « marbrée ». haut (77 cm) limite l’impression de commande des pédales sont en bois, s’adapter à une demande quantitative
Ébénisterie: noir ou blanc brillant lourdeur par un bon équilibre esthé- preuve d’une belle finition. significative. Un silencieux numé-
Pronostic de durabilité: bon
Usage: amateurs et étudiants tique. Le large pupitre (90 cm), avec rique maison, 100 % français, très
avancés. Bon instrument de travail. feutre, est très bien positionné, sans Toucher et rendu sonore performant, peut être également
Écoles de musique et conservatoires gêne pour le pianiste. Les oreilles Le confort de jeu est au rendez-vous. fourni sur demande. Un modèle
Origine: France, avec certains
composants asiatiques et européens
latérales comportent de jolis arrondis, Les sensations de précision et de fer- encore beaucoup trop rare en maga-
signe d’une finition soignée. Pas de meté, les répétitions faciles montrent sins, à découvrir d’urgence.
Prix: 7 800 euros. Pédale centrale serrure, mais on apprécie la présence que l’on a affaire ici à un instrument
tonale, silencieux numérique d’un ralentisseur de cylindre. L’inté- sérieux. Le contact avec le revêtement
« Chavanne » (prix sur demande)
et touches noires en ébène rieur du 132FR révèle un superbe des touches est agréable. La puissance
à 300 euros en option cadre métallique d’une belle dorure, est là, disponible, et le timbre, varié,
Produit en France, à Toulouse, en haut duquel un macaron bleu- selon les nuances. L’importante lon-
par Pianos Chavanne
blanc-rouge est apposé à côté du nom gueur de son, la bonne assise don-
Remerciements à Pianos Chavanne
chavanne.com « Chavanne » en relief. Instrument née par des basses solides permettent
B. D.
français, sans nul doute. au pianiste de réaliser une belle
Durabilité de l’instrument. Les contacts que nous progressé dans les instruments d’entrée de gamme,
BANC D’ESSAI entretenons régulièrement avec les professionnels notamment d’origine chinoise ou indonésienne.
mode d’emploi du piano (facteurs, techniciens, accordeurs, régleurs On peut acquérir de bons pianos à des prix par-
DR
PIANOS À LA LOUPE
B. D.
K de claviers numériques de
salon: CL (Compact Line),
CN (économique), CA (Concert
Modes clavier : Normal,
Quatre Mains (Dual), Split
Effets et fonctions : 6 réverbs,
brillance, Tone Control. Nombreux
effets divers, Virtual Technician
Artist) et CS (Classic Série), la plus (19 paramètres pour les sons
luxueuse. Le CN25 (Pianiste n°90) de pianos, Smart Mode). Accord fin,
et le CN35, nés en novembre 2014, transposition, 8 tempéraments
ont été remplacés début 2017 par Sound Museum, Lessons
(12 recueils, 549 songs)
le CN27 et le CN37. Intéressons- Afficheur : latéral,
nous à ce dernier modèle. 128 x 64 pixels LCD
l’échantillon des grands pianos à un peu faible vers la barre de dièses, Enregistrement : 10 morceaux,
Descriptif queue de concert Shigeru Kawai est acceptable. Les pédales, bien pla- 2 pistes, 90 000 notes (interne).
WAV, MP3, Midi (externe)
Le design reste très classique et sans SK-EX et Kawai EX et celui du récent cées, assurent parfaitement leurs fonc- Métronome : oui, complet
surprise pour ce clavier à consoles. droit K-600. Le nombre d’effets et tions. L’écoute en mode amplifié est Connectique : Line In et Line Out
Par rapport au CN35, le pupitre à de paramètres de réglages a été accru, honnête, sans plus, et manque un peu en gros jack, 2 sorties casque (1/4,
1/8), USB to Host, USB to Device,
trois positions d’inclinaison a été élargi notamment dans Virtual Technician, de crédibilité pour les sons de pianos, Midi (In/Out), Bluetooth Midi
(80 x 20 cm). Les trois pédales ont et avec le Smart Mode pour les sons un peu trop sourds, malgré la présence Alimentation : par adaptateur
été légèrement rehaussées (à 6 cm du de pianos, comme sur les modèles de nouveaux échantillons. Au casque, AC/DC
sol), le bas des consoles a été redessiné plus haut de gamme CA ou CS. c’est meilleur et plus réaliste. On per- Spécificités : SHS (Spatial
Headphone Sound) pour une écoute
et, surtout, les commandes se font à L’amplification de 2 x 20 W, raison- çoit bien les nuances entre chaque son tenant compte du type de casque
présent par un boîtier placé, non au nable mais modeste pour un clavier de piano, ainsi que les harmoniques Finitions : noir, blanc, palissandre
centre du clavier, mais sur son bloc de salon, met en action deux paires et les « bruits » de la mécanique, Dimensions : 144,5 (L) x 43,5 (P)
x 88 (H) cm (pupitre baissé)
gauche et muni d’un afficheur plus de haut-parleurs, dont deux woofers facilement dosables (Virtual Techni- Poids : 54 kg
grand et plus confortable, ne pertur- d’un diamètre de 13 cm. L’arrivée du cian: Damper Noise, Fall Back Noise,
bant plus le regard du pianiste. Bluetooth + Midi permet désormais Hammer Noise…), qui font partie Prix : 1 625 euros
L’ensemble clavier-mécanique reste l’échange de données avec des tablettes intégrante du son global du piano. Importé par Hohner France
Remerciements à Paul Beuscher
le RH III en plastique (et non le ou des smartphones sans le moindre La présence de la nouvelle fonction
Grand Feel II en bois, comme sur les câble. La connectique est très com- SHS participe un peu à cette amé-
séries plus nobles CA et CS), à trois plète et moderne. Les prises Midi lioration de l’écoute. Les multiples fins de Virtual Technician, SHS)
capteurs et avec sensation d’échap- n’ont pas été supprimées. réglages sophistiqués proposent une et de sonorités ou timbres étendus
pement. La surface des touches vraie personnalisation de la diffusion (SK-EX), ce clavier, doté d’une
blanches présente une texture rap- Toucher et rendu sonore sonore, assez pointue, mais le boîtier connectique exhaustive, est très com-
pelant celle de l’ivoire. Trois nouveaux Le clavier RH III, référence récente de commandes n’est pas très simple plet, performant et ludique avec ses
sons de pianos ont été ajoutés, tels chez Kawai, laisse toujours une assez d’utilisation. En dépit de son bel affi- kits batterie et ses fonctions Lessons.
bonne sensation de confort sous les cheur, il risque d’être négligé par Son clavier, un peu moins agréable
doigts et une fermeté correcte, avec des claviéristes qui se contenteront que celui des séries CA et CS, reste
un agréable revêtement des touches, d’allumer l’instrument et de jouer correct et suffisant pour une pratique
qui sont bien guidées, sans jeu exces- immédiatement (réglages Presets). amateur. Le CN37 est proposé à un
sif. Les répétitions sont très aisées, prix compétitif. Un très bon choix
et le contrôle de la réponse dyna- Conclusion qui se justifiera si l’utilisateur n’a pas
mique, correct, permet un jeu poly- Bénéficiant de fonctions et de possi- peur d’exploiter les immenses possi-
B. D.
phonique contrôlé. L’enfoncement, bilités nouvelles (Bluetooth, réglages bilités de réglages de cet instrument.
PIANOS À LA LOUPE
sonore, sans fil. Les trois pédales, complet et très facile d’utilisation.
fixées sur une barre rigide, sont reliées Même si la diffusion sonore est per-
par un câble à la partie supérieure fectible et un peu limitée par rapport
de l’instrument. L’alimentation n’est aux modèles plus haut de gamme
pas directe en 220 V, mais nécessite de la marque (LX17, LX7, HP605),
l’emploi d’un adaptateur AC/DC l’écoute au casque est de qualité
dédié. La diffusion sonore se fait similaire à celle de ses grands frères.
par seulement deux haut-parleurs Un excellent investissement.
de 12 cm, pour une puissance de
2 x 30 W.
Clavier-mécanique : PHA 50,
Toucher et rendu sonore structure hybride bois et plastique,
sensation d’échappement
Le nouvel ensemble clavier-mécanique Pédales : 3, forte et douce
PHA 50, le haut de gamme de à détection continue, sostenuto
Roland, est d’une bonne fermeté. (assignable)
Genérateur sonore : SuperNatural
Il s’avère d’une précision satisfai- Piano Modeling (modélisation)
sante, permettant des répétitions Polyphonie : illimitée pour les sons
aisées. Le contrôle de la dynamique de pianos. 384 notes pour les autres
est aujourd’hui plutôt bien maîtrisé Sensibilité au toucher : oui,
100 niveaux + fixe
par le constructeur japonais avec un Amplification : 2 x 30 W.
ROLAND DP603-CB réglage à 100 niveaux. Il est possible
de bien doser les voix dans un jeu
2 HP de 12 cm
Sons internes : 307
polyphonique. Les possibilités de Démo : 353 songs
Modes clavier : Normal, Twin
isponible depuis début 2017, doigts. Apparaît alors, sous un pupi- réglage fin pour les sons de pianos
D
Effets et fonctions : Ambiance,
le nouveau clavier de salon tre de 60 cm de large, très profond (Piano Designer) sont très faciles Brillance. Casque Ambiance 3D,
Roland DP603, présenté (7,5 cm) et revêtu de velours anti- à mettre en œuvre et, parfois, assez Piano Designer (13 paramètres dont
Lid, Key Off Noise, Hammer Noise,
dans trois finitions dont deux bril- glisse pouvant recevoir d’épaisses bluffantes. Les harmoniques sont Duplex Scale, Full Scale String
lantes très chic, est une version partitions, la barre de dièses. Cette très présents quand certaines notes Resonance, Damper Resonance, Key
un peu design du récent HP603. dernière accueille sur toute la largeur sont enfoncées ou lorsque les pédales Off Resonance, Cabinet Resonance).
Il en possède des caractéristiques de l’instrument les nombreux bou- forte et sostenuto sont utilisées. Transposition, accord fin et 10 types
de tempérament, Registration, limite
très proches, voire quasi identiques. tons de commande et un grand affi- La diffusion sonore, d’une puissance du volume, Panel Lock, Auto Off
Examinons donc plus en détail cheur central LCD rétroéclairé. correcte en appartement, s’avère glo- Afficheur : Central graphique
ce modèle conçu au Japon et pro- Ces commandes sont explicites et balement assez sourde dans le grave 132 x 32 dots LCD, rétroéclairé
Enregistrement : Standard
duit en Indonésie. conviviales et il n’est pas nécessaire pour les sons de pianos. On regrette Midi files 70 000 notes (interne).
de consulter la notice pour effectuer l’absence d’un équaliseur accessible Wav sur clé USB (externe)
Descriptif la majorité des réglages de base. qui pourrait corriger dans l’instant Métronome : oui, complet
Le design de ce clavier de salon, à Pour les sons de pianos, le moteur ce timbre un peu dérangeant. Néan- et ajustable
Connectique : Output en 2 gros
fond ajouré, est assez original et sonore est le SuperNatural, avec une moins, l’écoute au casque bénéficiant jacks, Input en mini-jack stéréo,
sobre. Fermé, il est plutôt discret technologie de modélisation permet- d’Ambiance 3D est très confortable 2 casques (petit et gros jacks,
avec ses panneaux latéraux tant des réglages d’une très grande et d’une assez bonne crédibilité. éclairés), USB Computer, USB
rectangulaires al- finesse (Piano Designer). Au total, Memory, Bluetooth Audio (vers
ou depuis tablettes et smartphones
lant jusqu’au sol. 307 sons internes, plus 353 démos, Conclusion – tournage de pages) dans le boîtier
Il s’ouvre par offrent à ce clavier d’immenses pos- Pour environ 2 000 euros dans sa sous le clavier. Alim DC In, Pedal
le pivotement sibilités. Les connexions non per- version noire, le DP603-CB au design (câble venant du pédalier) à l’arrière
Alimentation : par adaptateur
du couvercle manentes sont concentrées dans un original offre un excellent rapport AC/DC dédié PSB 14U, fourni
grâce à des boîtier placé sous le clavier, les deux qualité-prix (en finitions brillantes Spécificités : design un peu
charnières et entrées casque étant éclairées pour PE et PW, très réussies esthéti- nouveau, couvercle à ralentisseur
deux pattes une insertion aisée de leur jack (mini quement, il est un peu moins bien Finitions : noir (CB), noir poli (PE),
blanc poli (PW)
latérales mé- et 1/4). On apprécie les deux prises placé). Son tout récent clavier Dimensions : 139,8 (L) x 31,1 (P)
talliques, plus USB, les entrées (mini-jack stéréo) hybride PHA 50, combiné aux x 78,3 (H) cm (clavier fermé).
voyantes, en et les sorties (deux gros jacks). Mais immenses variations de modulation 139,8 (L) x 37,7 (P) x 97,5 (H) cm
(clavier ouvert)
forme d’arc aucune prise Midi ! des sons de pianos (Piano Designer), Poids : 45,9 kg (CB),
de cercle. Le Le Bluetooth Audio est présent et sa connectique dernier cri (Blue- 47,4 kg (PE et PW)
couvercle est sera apprécié des possesseurs de tooth, USB, etc.), ses très nombreux
muni d’un smartphones et de tablettes, pour timbres et démos et ses possibilités Prix : 2 089 euros (CB),
2 779 euros (PE ou PW)
ralentisseur l’accès à des applications dédiées d’enregistrement le feront appré- Importé par Roland Europe
évitant de se comme Piano Partner 2. Le DP603 cier par les claviéristes et pianistes Remerciements à Paul Beuscher
coincer les deviendra aussi leur amplificateur désirant un instrument sérieux,
Sur papier, certainement, et sur d’autres supports qui n’existent pas encore.
La presse a déjà beaucoup changé. C’est même le média qui a le plus évolué.
Aujourd’hui, 98 % des Français nous lisent chaque mois, sur papier, ordinateur, tablette ou smartphone*.
Demain, pour vous accompagner, nous évoluerons encore. Mais ce qui ne changera pas, c’est la qualité du travail
de nos journalistes. C’est et cela restera notre cœur de métier. Et nous trouverons toujours le moyen de vous
rendre accessible une information de qualité qui vous procure du plaisir.
Notre évolution ne se fera pas sans votre avis, exprimez-le sur demainlapresse.com
avec
ZINIO
Classique et jazz
Cette rubrique présente une sélection des disques et DVD récemment parus.
Les « maestros » de Pianiste distinguent tout particulièrement ceux qui, selon nous,
ont marqué ou marqueront la discographie.
piano, pour faire entendre interprète, la légèreté n’est été réunis pour réaliser
JEAN-SÉBASTIEN les oppositions entre un JOHANNES pas antonyme de profon- un disque aussi fascinant,
BACH soliste (un instrument plu- BRAHMS deur, mais de lourdeur. En jusqu’à la prise de son enve-
(1685-1750) tôt mélodique aux trilles (1833-1897) génie de la couleur, il dompte loppante et incisive quand
d’une insigne élégance) et la plus infime respiration. À cela est nécessaire. Un récital
un ensemble instrumental ce niveau de contrôle, on à thésauriser.
à la vaste palette chroma- songe au « fanatisme artisa- Stéphane Friédérich
tique. De même, dans l’An- nal » qui caractérise aussi le
dante, le dialogue entre la travail au piano de Krystian
cantilène, qui semble im- Zimerman, bien que celui-
provisée par la main droite, ci n’ait pas, hélas, enregistré
et la basse en croches régu- ces Brahms. Il en aurait d’ail-
lières de la main gauche leurs traduit fort différem-
atteint une rare intensité ment l’univers. En revanche,
Concerto italien. expressive. Le pianiste po- Pièces opus 76 et opus 118. pour ce qui est de la pâte
Partitas n°1 et n°13. lonais peut alors préten- Intermezzi opus 117 sonore, Arcadi Volodos est
4 Duettos BWV 802-805. dre disputer la suprématie Arcadi Volodos (piano) assurément proche des Mur-
Fantaisie et Fugue d’Alfred Brendel. Sony Classical 88875130192. ray Perahia, Radu Lupu et
BWV 944 Cette capacité à éclairer les 2015-2017. 54’ Stephen Kovacevich. Il joue Thème et Variations
Rafal Blechacz (piano) lignes de l’intérieur, sans I Au fil de sa discographie, du silence dont l’épaisseur opus 18b. Ballades opus 10.
Deutsche Grammophon 479 5534. perdre la ligne directrice, Arcadi Volodos offre les pro- étouffante croît d’un opus à Fantaisies opus 116
2012-2015. 1 h 06’ trouve son parfait accom- grammes les plus contrastés. l’autre et fige progressive- Denis Kozhukhin (piano)
I On peut grossièrement plissement dans les quatre D’une part, la virtuosité la ment le monde musical de Pentatone PTC5186568. 2016. 57’
diviser l’interprétation de Duettos, originellement pen- plus folle avec des transcrip- Brahms. Un silence d’autant I Troisième Prix du Concours
Bach en deux camps adver- sés pour l’orgue, dans le cadre tions, puis un « Live at Car- plus écrasant que l’écriture de Leeds (2006) et Premier
ses. Celui de la clarté poly- du Clavier-Übung III. La negie Hall », sans oublier tend à l’épure (Opus 118). Prix du Concours Reine Eli-
phonique, de la lisibilité sûreté grâce à laquelle Rafal le Concerto pour piano n°3 Dans les expressions de la sabeth (2010), Denis Koz-
contrapuntique et de l’éner- Blechacz avance sans peine de Rachmaninov, et d’autre solitude et de la résignation, hukhin comprend la res-
gie rythmique se regroupe dans le labyrinthe chroma- part, des pièces ne sollicitant les quelques envolées lyri- piration de la musique de
sous la bannière de Glenn tique et les escaliers glis- guère des moyens digitaux ques, simulacres de révoltes, Brahms. Les Variations se
Gould. Celui du lyrisme, sants en triples-croches du particuliers, comme un album réminiscences des ballades déploient avec un phrasé très
de la couleur et de la sou- BWV 802 ou le ton badin et d’anthologie dédié à Mom- et des concertos, prennent naturel, dans un son chaleu-
plesse mélodique choisit le pied léger avec lesquels pou. En somme, des com- une force peu commune reux, creusé au fond du cla-
Murray Perahia pour am- il s’engage sur le BWV 804 positeurs et des œuvres sans parce que chaque pièce aux vier. Le ton est noble, les
bassadeur. L’intelligence devraient faire école. liens esthétiques, mais tous notes de plus en plus comp- dynamiques projetées sans
souveraine et l’éloquence Dans les Partitas, le soliste transcendés par les couleurs tées a miraculeusement pré- dureté. Les quatre Ballades
digitale avec laquelle Rafal trouve également le ton du piano. La jouissance de servé sa fantastique com- possèdent des humeurs plus
Blechacz appréhende cette juste, évitant toujours de la couleur ! plexité harmonique. En âpres, voire schumaniennes.
musique devraient les récon- prendre la pose (les sara- Ce récital Brahms témoigne cueillant méthodiquement À nouveau, le pianiste russe
cilier durablement. Son bandes), laissant les cou- à nouveau du contrôle absolu et dans chaque phrase le suc ne surcharge pas son jeu. Il
Concerto italien parvient, rantes caracoler, les menuets du son obtenu par le pianiste de l’émotion, en produisant s’en tient au raffinement des
en effet, à redéployer dans sourire comme le Scherzo et russe. Une maîtrise sidérante, une sorte d’apesanteur dans demi-teintes (Ballade n°4) et
l’espace ce que Bach a emportant les gigues dans sans l’ombre d’un manié- une ligne continue, à l’instar pose davantage de questions
concentré dans sa partition. le tourbillon d’un mouve- risme ou d’un artifice. Le tou- de ce que Karajan obtenait à qu’il n’assène de vérités.
Dès le premier mouvement, ment perpétuel. Bach n’a cher paraît effleurer le piano, l’orchestre et précisément Les sept Fantaisies opus 116
celui-ci exploite avec autant pas à hésiter : aujourd’hui, alors que l’on sait, parado- dans Brahms, Volodos nous prennent une dimension
d’efficacité que de goût les il a trouvé son camp. xalement, les doigts au fond fait oublier l’instrument lui- orchestrale. Les contrastes
capacités dynamiques du Philippe Venturini du clavier. Chez un tel même. Tous les atouts ont dynamiques et les ruptures
A
ssocier Mozart et Clementi,
n’est-ce pas curieux ? À l’époque actuelle où prévaut
Certes, on dit que Mozart le perfectionnisme quasi fanatique
méprisait Clementi, qui était de l’enregistrement, la réalité
un virtuose, une « star » de son temps – imparfaite – du pianoforte est
BERNARD MARTINEZ
gagnant beaucoup d’argent. un retour sain aux fondamentaux.
La réciproque n’était pas vraie. Un peu Comment êtes-vous venue
de jalousie, peut-être ? Clementi au pianoforte ?
assure une sorte de lien invisible Il y a une vingtaine d’années, je n’avais
entre le classicisme et le aucune idée de ce dont il s’agissait et Voilà donc une nouvelle le faire devant un piano moderne ?
préromantisme, entre Mozart et j’avais même un peu de mépris pour expérience qui enrichit votre jeu Voilà une bien mauvaise tradition.
Beethoven. Dans un premier temps, les instruments anciens. Je laissais et votre répertoire… Pour ma part, j’ai le sentiment d’avoir
j’avais eu envie de revenir à Mozart, volontiers cela aux spécialistes dont Je ne m’épanouis que dans trouvé une forme de liberté dans
incitée en partie par Augustin on disait qu’ils n’avaient pas assez des chemins inattendus. J’essaie le jeu et de rompre plus encore
Dumay avec lequel je l’ai joué à de de technique pour utiliser le piano de trouver du sens à tout cela. avec une certaine uniformisation
nombreuses reprises. Finalement, « moderne »… Bref, une succession Il est rare que je présente de l’interprétation et du son.
le disque s’est imaginé en miroir, d’a priori. Grâce à une rencontre avec en concert deux fois de suite le même Quel sera votre prochain
associant deux compositeurs le chef d’orchestre François-Xavier programme. D’ailleurs, depuis peu, disque ?
et deux instruments : un pianoforte Roth qui m’a demandé d’interpréter j’assume de ne plus jouer par cœur. Il sera consacré à des pièces tardives
Brodmann et un Yamaha CFX. un concerto sur pianoforte avec Je n’ai besoin ni de tourneur de Liszt, toujours chez La Dolce Volta.
Pourquoi avoir enregistré sur deux son ensemble Les Siècles, j’ai joué ni de pupitre. Je me débrouille. Le choix du piano n’est pas encore
instruments aussi dissemblables ? sur la copie d’un Walter et cela m’a Craignez-vous le trou de mémoire ? définitif. Un Bösendorfer, peut-être ?
Je ne devais jouer que sur pianoforte, profondément décontenancée. Bien Je connaissais le stress, mais pas
mais en travaillant la sonate tardive que ne m’étant jamais considérée encore le trou de mémoire. Pourquoi Propos recueillis
en sol mineur de Clementi sur comme une pro du pianoforte, j’ai eu se met-on une pression pareille, par Stéphane Friédérich
le Brodmann, un original, non envie de poursuivre l’expérience. alors que tout le monde se fiche
une copie, j’ai ressenti une limite Une expérience pour le moins que vous installiez une partition Mozart : Fantaisie en ré mineur
technique et sonore. Commencer aux antipodes de mes débuts ! Sur devant vous ou pas ? Comme si K.397. Sonate K.570. Clementi :
un concert ou un disque sur un pianoforte, il faut être extrêmement on devait « recréer » l’œuvre ! Sonates opus 23 n°2 et opus 50 n°3
instrument et l’achever sur un autre expressif et je pense avoir des doigts Quelle idiotie ! On ne reproche pas « Didone abbandonata – Scene
paraît étonnant, mais cela change assez légers et rapides, ce qui convient à un pianofortiste de jouer avec Tragiche » (La Dolce Volta).
toute l’interprétation. On dévoile à ce type d’instrument. une partition. Pourquoi ne pas Lire la chronique du CD page 70.
[ (1991-2012), un cahier suite, de pièces pour piano (pianoforte), Sigiswald Kuijken la légèreté du geste n’interdit
multi-enregistré, une dizaine à quatre mains par Kun-woo (violon), La Petite Bande jamais l’intensité de l’expres-
d’entre elles. L’Islandais en Paik et Hüseyin Sermet. La Challenge Classics SACD sion. La Sonate opus 50 n°3,
donne la version la plus ori- nouvelle intégrale est un peu CC72752. 2016. 1 h 14’ sous-titrée « Didone abban-
ginale et la plus maîtrisée à plus complète (!) que la pré- I Composés en 1782, un an donata » et conçue comme
ce jour. La stabilité rythmique cédente et l’on trouve quel- à peine après l’installation une scène d’opéra sans paro-
impressionne, le contrôle ques menus morceaux sup- de Mozart à Vienne, ces les, évolue du grave premier
de la sonorité et des échelles plémentaires : Improvisazione, trois concertos furent pro- mouvement en rythmes poin-
dynamiques aussi. Tout cela Canon dans le mode phrygien, posés par le compositeur dans tés vers le tumulte du dernier
avec un instrument bien Rêverie, Les Jeunes Lauriers, deux accompagnements, l’un avec une logique irrépressible.
réglé et une prise de son cli- deux brèves Études compo- pour orchestre, l’autre pour Fantaisie K.397. « Mon but n’est pas de prouver
nique, qui situent l’interpré- sées pour Magda Taglia- quatuor à cordes. L’origina- Sonate pour piano K.570 quoi que ce soit », confie Vanessa
tation de Vikingur Olafsson ferro en 1927, ainsi que la lité des présentes lectures + Clementi : Sonates Wagner. Son disque n’est pas
à l’opposé des tentatives du version pour piano de la repose sur le remplacement opus 23 n°2 et opus 50 n°3 une leçon : il rappelle seule-
compositeur (Sony) et de sa musique de scène de Manon, du violoncelle par une contre- Vanessa Wagner (piano ment que l’instrument reste
protégée, Maki Namekawa fille galante d’Henry Bataille basse, justifié selon Sigis- et pianoforte) un outil dont l’efficacité dé-
(OMM) : aucune recherche (1923), un sujet qui ne pou- wald Kuijken par le fait que La Dolce Volta LDV31. 2016. 56’ pend du talent du musicien.
climatique ici, nulle ambiance vait que séduire le disciple le phrasé du dernier suit I Vanessa Wagner fait se cô- P. V.
cinématographique, mais des de Massenet. généralement la ligne de toyer le pianoforte et le piano,
œuvres abstraites, que le musi- Il est difficile de départager basse et que cette substitution comme elle associe Mozart SERGE
cien rapproche de ces chefs- les deux sommes. Globale- permet de libérer l’espace (1756-1791) et Clementi
d’œuvre spéculatifs que sont ment, Deljavan semble mieux sonore pour magnifier la par- (1752-1832). Proches et dif- RACHMANINOV
les Études de Ligeti. C’est réussir les pages de caractère tie piano de la main gauche. férents. « C’est un compa- (1873-1943)
dire ! néoclassique, telle la Sona- Ce choix audacieux se révèle gnonnage », explique-t-elle,
Bertrand Dermoncourt tine, grâce à un style plus à l’écoute très convaincant, ajoutant que la pratique de
délié que celui de Cristina l’ensemble se parant d’une l’instrument ancien a affiné
REYNALDO Ariagno. Il est en outre dimension sonore élargie, le toucher de son cousin mo-
mieux servi par la prise de solide et chaleureuse, malgré derne : « Plus de subtilité, de
HAHN son – celle d’Ariagno paraît quelques raideurs induites clarté et de délié dans le phrasé. »
(1874-1947) compacte en comparaison. par la sonorité des instru- Il n’est pas, bien sûr, question
En revanche, pour les pages ments d’époque. Les Alle- de se livrer à une fastidieuse
les plus personnelles comme gros se déploient sans pathos, liste des qualités et des défauts
les 52 morceaux du Rossignol ni virtuosité excessive, gar- des deux instruments, et il vaut
éperdu où l’expression roman- dant ainsi le caractère de mieux se réjouir d’une telle Preghiera, arrangement
tique se pare de couleurs dis- divertissement qui sied. ouverture d’esprit. du Concerto pour piano n°2.
crètement « impression- Les musiciens parviennent Aux commandes d’un Brod- Trios élégiaques
nistes », les deux interprètes en permanence à préserver mann de 1814 du musée de n°1 et n°2 opus 9
savent tirer du piano d’infi- un équilibre souverain entre la Musique superbement Daniil Trifonov (piano),
nies nuances et, pour repren- les cordes et le pianoforte enregistré, la pianiste pro- Gidon Kremer (violon)
dre un titre de Messiaen, « les – une copie d’un Andreas pose une lecture d’une spon- et Giedré Dirbanauskaité
Intégrale de la musique sons impalpables du rêve ». Stein de 1785 – dont les tanéité enthousiasmante (violoncelle)
pour piano J. B. sonorités cristallines et colo- dans la Fantaisie de Mozart. Deutsche Grammophon 4796979.
Alessandro Deljavan (piano) rées exercent un pouvoir La première section, en trio- 2015. 1 h 07’
Ævea 4 CD Æ15001-07. WOLFGANG AMADEUS de séduction évident. Sou- lets arpégés, semble impro- I L’idée d’ouvrir ce récital par
2013-2015. 5 h 18’ tenus par la contrebasse, visée, soumise au bon vouloir l’arrangement du deuxième
I L’avantage de ces répertoi- MOZART les mouvements lents gagnent de l’inspiration et donc gui- mouvement du Concerto n°2
res méconnus, c’est que très (1756-1791) en densité sonore, se nim- dée par un léger rubato. Elle réalisé par Fritz Kreisler est
souvent ceux qui s’y risquent bent d’une dimension mé- contraste alors avec la partie excellente. Le dialogue ori-
ne le font pas sans de sérieuses lancolique et introspective, suivante, balisée de blanches ginel entre le piano, la flûte
motivations. La réussite est comme l’illustre le profond régulières et portée par un et la clarinette crée une im-
donc au rendez-vous. L’œu- Larghetto du Concerto en fa élan continu. Assise face à pression d’immobilité d’une
vre pianistique de Reynaldo majeur. Ces interprétations son Yamaha CFX, l’artiste étrange beauté, que le violon
Hahn est désormais bien ser- s’inscrivent entre les lectu- conserve une lisibilité des et le violoncelle transfigurent
vie. Voici la deuxième inté- res intimistes et raffinées lignes identique et la même avec une magnifique élégance
grale, quatre ans après celle pour quatuor à cordes « tra- souplesse du toucher. Ses et sans surcharge émotion-
de Cristina Ariagno, aux- ditionnel » de Sylviane doigts rebondissent réguliè- nelle. Les trois artistes ont
quelles s’ajoutent les trois Deferne et du Quatuor Ernest rement sur les trois temps largement éprouvé ce pro-
autres de l’énorme cycle Le Concertos pour piano (Doron) et celles pour orches- du premier mouvement de gramme en tournée et le Trio
Rossignol éperdu par Billy n°11 K.413*, n°12 K.414** tre, plus denses et colorées, la Sonate K.570 et esquissent n°2, pièce maîtresse du dis-
Eidi, Bernard Paul-Régnier et n°13 K.415** de Bezuidenhout avec le un sourire mutin dans le finale. que, est tout aussi admirable-
et Earl Wild, une anthologie (version pour quatuor Freiburger Barockorchester Les deux pièces de Clementi ment tenu. Habituellement,
de Laure Favre-Kahn et un à cordes) (Harmonia Mundi). profitent du même traite- c’est la voix du piano qui
volume, qui n’eut jamais de Marie* et Veronica** Kuijken Jean-Noël Coucoureux ment musical et digital où domine dans cet hommage [
2017,
de 200 pages.
[ de Rachmaninov à Tchaï-
ENTRETIEN AVEC… DENIS PASCAL kovski dont il venait d’appren-
dre la mort tragique. Ici, l’équi-
libre entre les trois solistes est
ARRÊTER LE TEMPS plus avéré que dans bien des
versions. Qui plus est, la beauté
de la prise de son sert parfai-
DANS UN ALBUM CONSACRÉ À SCHUBERT QUI PARAÎT CHEZ tement le caractère improvisé
de certains passages, comme
LA MUSICA, LE PIANISTE EXPLORE EN ARTISTE ET PHILOSOPHE les huit variations qui com-
DE LA MUSIQUE UN COMPOSITEUR QUI, SELON SON EXPRESSION, posent le mouvement central.
L’interprétation évacue à la
« NOUS EXTRAIT DU MONDE ». fois l’austérité des thèmes et,
à l’opposé, une certaine com-
plaisance expressive. Les trois
A
près Liszt et Chopin, sonates, la musique est distendue, temporelle du jeu, et de la laisser vivre, personnalités s’appuient al-
vous venez d’enregistrer le temps est scandé, étiré au point tout en veillant à la mesure du temps, ternativement sur des mélo-
Schubert. À votre avis, qu’elle avance comme un flot continu, dans l’effacement de soi. dies populaires et les chants
quel est son rapport infini. Ce ne sont pas seulement Où résident les difficultés techniques religieux qui fondent la mé-
à la musique romantique ? leurs « divines longueurs », les lenteurs, de cette œuvre ? lodie et l’harmonie de l’œu-
Le caractère introspectif de ses œuvres. qui font perdre pied, l’épreuve du Certainement pas dans la vélocité vre. La tension ne cesse de
Schubert parle de lui. Sa musique temps est aussi dans le rythme. Prenons ou la virtuosité. La principale difficulté, croître, la partition quittant
sonne « romantique », tel ce thème en l’exemple de l’Andante de la D.960: et pas des moindres, est de transcender progressivement l’esprit cham-
do dièse mineur dans la Sonate D.960. l’ostinato rythmique ressemble à un le piano, de le faire oublier. Elle est briste pour des contrastes et
Mais, dans sa dévotion à celle-ci, battement de cœur. Il faut le faire sien. précisément dans le chant, pas le chant un dynamisme aux allures
le compositeur est inclassable: La D.784 est beethovénienne par lyrique mais la chanson, celle que symphoniques. Daniil Tri-
toute sa vie est centrée sur l’écriture. certains aspects. Dans la D.960, il y a l’on fredonne pour soi. La musique fonov, notamment, restitue
Il s’exprime librement, suivant ces arrêts, ces interruptions de phrases, de Schubert est en résonance avec superbement le motif du
son inspiration, ne s’encombrant pas qui créent des silences d’une densité l’empathie de la voix, de la parole. requiem orthodoxe.
de barrières formelles, hors de toute particulière. Ce ne sont pas des silences Pour cette raison, elle exige que Alors qu’il était encore étu-
contrainte (en cela il serait plutôt structurels comme chez Beethoven ; l’on affine le jeu à un très haut niveau, diant au Conservatoire de
anarchiste !). Quant au classicisme Schubert, lui, immobilise le temps. quel que soit le piano, ancien Moscou, Rachmaninov com-
de Mozart, aucune comparaison Parlons justement de la dernière ou moderne. Je suis opposé à toute posa un Premier Trio en sol
possible. Si Mozart nous électrise, sonate, D.960: quand peut-on dichotomie entre l’un et l’autre. mineur. Sans numéro d’opus,
Schubert, lui, nous plonge dans un état « s’autoriser » à la jouer ? La musique appartient à tout le monde ; cette pièce fut oubliée durant
intérieur très particulier, un peu Il n’y a pas de règle. Cependant, il faut c’est ce que Thomas Mann nous dit plus d’un demi-siècle, alors
comme Wagner avec Tristan et Isolde. beaucoup de temps avant de faire quand un de ses personnages en haut que sa création, le 30 janvier
C’est-à-dire ? parler cette musique. Elle exige de d’une montagne fredonne un faux lied 1891, avait été un succès.
Un état hypnotique. Schubert nous l’interprète de faire le vide, de lâcher de Schubert en faux allemand ! Redécouverte, elle fut publiée
extrait du monde. Dans ces deux prise, pour entrer dans l’expérience Quels conseils donnez-vous en 1947, quatre ans après
en tant que pédagogue ? la mort du compositeur. Elle
Surtout pas de travail linéaire, se compose d’un seul mou-
obsessionnel. Il faut avoir joué avant vement, d’une fraîcheur et
les Impromptus de l’Opus 90. On doit d’une inventivité inouïe, que
beaucoup déchiffrer, en particulier les musiciens traduisent avec
les lieder. Considérer le rapport beaucoup de nostalgie. Un
au corps: trouver sa vibration intérieure, disque superbe.
sa respiration. S. F.
Quelle est la suite de vos projets ?
Enregistrer les dernières sonates, FRANZ
les Impromptus, les Klavierstücke,
la Wanderer Fantasie. Continuer SCHUBERT
à sonder les tréfonds de cette musique (1797-1828)
tournée vers la lumière, celle
de la réconciliation: Schubert,
c’est l’émotion de demain.
Propos recueillis par Jany Campello
(La Musica).
Lire la chronique du CD dans le prochain
numéro de Pianiste.
Sonate pour piano n°21 pianoforte contiennent la mozartien (n°2) et la force Schubert, bénéficiant de la n’amoindrit pas une grande
D.960. Drei Klavierstücke dynamique avec une belle élé- primitive de Beethoven (n°3). magnifique acoustique de la noblesse de ton, le peu de
D.946 gance. L’épaisseur des silences Un très beau récital. S. F. Chaux-de-Fonds en Suisse. perte de substance (n°4 D.899,
Ismaël Margain (piano) est judicieuse. Cette version, Ce programme représente un n°1 D.935). On pourra re-
Records LBM 006. 2016. 1 h 06’ éminemment structurée, man- vrai défi, car il s’agit d’entrer, gretter un peu de distance,
I Le 6 mars dernier, au Théâ- que pourtant d’un soupçon à chaque pièce et dès les pre- certainement, dans le troi-
tre de l’Athénée de Paris, d’imprévisibilité. Ismaël Mar- mières mesures, dans un uni- sième ImpromptuD.899, com-
le jeune pianiste se produisait gain n’est pas encore prêt vers bien identifié. Aman- pensée par l’habileté dans le
dans ce même programme pour le « lâcher prise ». En dine Savary projette le son du mi bémol majeur (D.899) qui
qui avait été également capté témoignent Sokolov, Bren- piano avec naturel, sa maîtrise respire si naturellement (à
en public moins d’un an aupa- del, Serkin, Pollini, Fleisher de l’art du chant et de l’ac- force de travail, devrait-on
ravant à Deauville. Il fait et Richter dans l’Andante sos- compagnement – la musique ajouter). La seconde série
l’objet du présent disque. tenuto de la pièce. Les deux de chambre, assurément –, (D.935) se situe peut-être au
D’un récital à l’autre, les im- derniers mouvements sont étant une aide précieuse. même niveau, jouant d’une
pressions demeurent, mais au impeccables d’énergie, pressés Impromptus D.899 et D.935 À la première écoute, on pen- patine plus unifiée avec d’iné-
bénéfice de l’enregistrement. et vifs. On les aurait aimés Amandine Savary (piano) cherait plutôt pour un jeu vitables pesanteurs (variations
La très grande maîtrise du plus rudes encore, moqueurs, Muso MU-015. 2016. 1 h 03’ masculin – allez savoir pour- du troisième D.935). Cela
flux narratif est assurée dans achevant ainsi la partition I La pianiste française a dé- quoi – et on apprécie une per- étant, le sentiment de probité,
cette Sonate traitée comme dans une forme de tourbillon buté une brillante carrière en sonnalité affirmée, qui ne de justesse, ce côté germa-
un immense lied, une ultime de plus en plus amer, cachant Grande-Bretagne. Membre minaude jamais à proximité nique de Schubert (Kempff
« promenade » aux teintes difficilement un sentiment du Trio Dali aux côtés de Jack des chausse-trappes de cette et Zacharias) s’imposent dans
encore mozartiennes. La prise irrépressible de peur. Liebeck et de Christian- musique si propice à la digres- ces interprétations qui ne
de risques est plus patente Plus réussis, les Drei Klaviers- Pierre La Marca, elle a enre- sion malheureuse. L’inter- cherchent pas une séduction
dans cette gravure que lors du tücke déploient une tension gistré plusieurs albums dont, prète joue avec une belle hau- à vil prix. Amandine Savary
concert parisien. Le style vien- haletante, une cruauté obs- en solo, un récital Bach (Toc- teur de vue (pratique-t-elle a eu raison d’avoir privilégié
nois de l’œuvre, le jeu perlé tinée et même des visions cata) de belle facture. Pour son le pianoforte ?), mais avec les la dure vérité d’un Schubert
d’un toucher évoquant – peut- fantastiques associant l’impro- nouveau disque, elle a réuni moyens du Steinway moderne. au désespoir au beau parfois
être inconsciemment – le bable : le classicisme encore l’intégrale des Impromptus de La puissance de l’instrument bien factice. S. F. [
ZINIO
[ pièces ? Cette version, très style néoclassique assez pro- Eroïca, sur un thème d’interprètes possèdent une
ROBERT personnelle, ne saurait faire che de celui de Chostako- original, sur les ruines perfection sonore et des cou-
SCHUMANN oublier Argerich, Richter et vitch, est restituée avec une d’Athènes. Sélection de leurs autrement plus sédui-
(1810-1856) Pollini dans la Fantaisie, ni verve magnifique, sans au- Bagatelles. Concertos pour santes. Richter, lui, ne joue
Argerich ou Horowitz dans cune sécheresse. La fugue piano n°1 et n°3. Rondo pas comme un pianiste : la
Kreisleriana. Aurélie Moreau conclusive est une véritable pour piano et orchestre. beauté du son l’indiffère. Il
« bataille sonore » propre- Sonates pour violoncelle éblouit dans une Bagatelle, au
ment réjouissante. En toute et piano n°1 à n°5 détour d’un mouvement de
RÉCITALS logique, la Première Sonate de Sviatoslav Richter (piano) sonate, par un rubato, un si-
Chostakovitch explose avec Mstislav Rostropovitch lence, l’explosion d’une éner-
YURY une vigueur et une clarté de (violoncelle), Orchestres gie jaillissant parfois de détails.
la construction qui suscitent symphoniques de la RTV d’URSS, S. F.
FAVORIN l’admiration. Il y a, en effet, d’État d’URSS, Orchestre
tout ce que l’on espère : la philharmonique de Moscou,
Fantaisie. Kreisleriana mobilité, la frénésie, le sens dir. Kurt Sanderling, Hermann
« 4 CITIES »
Jean-Philippe Collard (piano) du grotesque, mais aussi la Abendroth, Kirill Kondrachine
La Dolce Volta LDV 30. 2017. 1h07’ qualité des effets acoustiques, Profil Hänssler 12 CD PH16030.
I Un cri d’amour, de souf- tout ce qui pressent déjà l’écri- 1947 à 1963. 14 h 25’
france et de désespoir, c’est ture révolutionnaire de l’opéra I Cette réédition d’archives
ainsi que l’on aime à entendre Le Nez, achevé en 1928. présente des sources très di-
la grande Fantaisie de Robert Les sept pièces pour piano verses, incluant des bandes
Schumann. Le premier mou- d’On the Other Side de Vla- jamais diffusées, comme les
vement, « à jouer d’un bout à dimir Rebikov stupéfient par Sonates n°8, n°9, n°10 et n°12
l’autre d’une manière fantastique Prokofiev : 4 Études op. 2. leur modernité. Nous som- captées, en 1947, à Moscou.
et passionnée », comme l’indi- Popov : Grande Suite mes dans le primitivisme, non On retrouve aussi le fameux
que Schumann, est exposé pour le piano op. 6. loin de Stravinsky, et parfois concert de Leipzig du 28 no- Fazil Say : 4 Cities.
sans détour par Jean-Philippe Chostakovitch : Sonate même d’un « préminima- vembre 1963 (CD Parnassus) Debussy : Sonate
Collard. Il se montre riche n°1 op. 12. Rebikov : lisme » teinté d’harmonies et les gravures soviétiques des pour violoncelle et piano.
sur le plan sonore et bien On the Other Side, 7 pièces entre Debussy et Scriabine ! concertos. Les sonates pour Janácek : Pohadka. Presto.
mené. Cependant, l’effort pour piano op. 47. Feinberg: Favorin joue avec expressivité violoncelle et piano regrou- Chostakovitch : Sonate
pour maintenir une tension Sonate pour piano n°6 op. 13 ces courts morceaux pleins pent les témoignages de Mos- pour violoncelle et piano
dramatique au sein du foi- Yuri Favorin (piano) de poésie. Dans un tel pro- cou (1950) et de Vienne Fazil Say (piano),
sonnement d’idées ne semble Melodiya MEL CD 1002459. 2016. gramme, la Sixième Sonate de (1962-1963). L’éditeur a Nicolas Altstaedt (violoncelle)
pas assez soutenu. Dans le 1 h 07’ Samuel Feinberg passerait ajouté les bandes studio Phi- Warner Classics 0190295867249.
deuxième mouvement, les I Dès la première Étude de presque pour un choix banal ! lips captées, à Paris, en 1963. 2015. 1 h 12’
rythmes sont affûtés et l’on Prokofiev, nous sommes éba- Une fois encore, le soliste En tout, 18 des 32 sonates, I Ce programme s’ouvre sur
sent une véritable joie de his par la richesse du jeu du domine la construction de la mais avec des doublons (n°9, une première mondiale du
jouer. Néanmoins, celui-ci pianiste qui offre, de surcroît, partition avec un son d’une n°10, n°11, n°17 et n°22). Les compositeur Fazil Say: 4Cities,
manque de contrastes: les dif- un programme passionnant. superbe densité musicale. Il bandes n’ont visiblement pas quatre villes d’Orient, sont res-
férents épisodes sont traités On interprète souvent le pre- s’approprie l’univers du com- été remastérisées, mais un peu tituées dans leurs ambiances,
sensiblement de la même mier Prokofiev de manière positeur russe, sans en faire nettoyées. Est-ce suffisant ? bruitistes parfois. L’inventivité
façon et la coda paraît aussi cassante, métallique, sous pré- du « proto » Scriabine ou Pro- La somme est tellement im- de l’écriture séduit autant que
bien sage. Dans le sublime texte de « modernisme ». Ici, kofiev. Admirable. S. F. portante que ce coffret mérite la performance physique des
finale et sa longue cantilène, la puissance tellurique du toutefois d’être acquis, car deux interprètes. La liberté
le pianiste déploie une superbe piano s’enrobe aussi de teintes il rassemble des témoignages de ton domine dans les uni-
palette de couleurs qui met subtiles, d’une pâte sonore « SVIATOSLAV jamais réunis ainsi. vers des trois autres compo-
en valeur la beauté des har- très personnelle. Ce toucher RICHTER PLAYS Peu de pianistes, c’est le moins siteurs. Un Debussy lumi-
monies schumaniennes. d’une énergie impressionnante qu’on puisse dire, ont marqué neux, puissant, charpenté,
Dans Kreisleriana, il impres- est d’abord au service de la BEETHOVEN » à ce point le répertoire beetho- comme on l’entend peu. Jus-
sionne par sa concentration couleur. Rappelons que Yury vénien. L’engagement de qu’aux silences qui ont, ici,
et sa façon d’économiser Favorin a étudié auprès de Richter oscille entre la tru- une importance considérable.
l’énergie digitale et le mouve- Mikhail Voskresensky puis de culence (variations) et la bru- La reconstitution des atmo-
ment. Ses mains ne se dépen- Jacques Rouvier. En 2010, il talité assumée. Il crée un véri- sphères des deux pièces de
sent qu’à bon escient. Peu de a remporté le 4e Prix du Reine table théâtre musical, offrant Janácek est tout aussi convain-
tumulte, pas d’agitation inu- Elisabeth. Depuis, il est invité dans les sonates ultimes une cante. C’est avant tout l’ex-
tile dans ce jeu très rationnel. par les plus grands festivals en sorte de voyage aux sources pression qui prévaut. Elle
Ausserst bewegt impose le ton. France. Son répertoire réserve de la pensée du compositeur. s’enrichit des folklores recréés,
Sehr innig évite de larmoyer une large place à la musique Son jeu devient « subversif », mais aussi d’un romantisme
et Sehr langsam est traité avec contemporaine et à l’improvi- à l’égal de l’écriture de Beet- encore à fleur de peau. Les
une sorte de nonchalance. sation pour laquelle il a créé Sonates pour piano nos 3, 7, hoven. La mise en danger est couleurs sont violemment
Le jeu du soliste est pur et un ensemble, Error 404. 8, 9, 10, 11, 12, 17, 18, 19, permanente parce que Rich- contrastées et conduisent à
élégant, mais traduit-il la Après Prokofiev, la Grande 20, 22, 23, 27, 28, 30, 31 ter cherche la tension vitale une narration – Pohadka est
douleur de ce cycle de huit Suite de Gavriil Popov, d’un et 32. Variations Diabelli, de la musique. Beaucoup un conte – d’autant plus [
VC
the new
280VC Vienna
Concert
ZINIO
[ personnelle qu’il existe déjà Amadé, dir. Leon Fleisher KM/GGMT. 52’ géant canadien. La présence rative qui émaillait chacune
nombre de grandes versions Accentus Music ACC20407. I Après 53rd Street et High de thèmes extraits de la musi- des prestations d’Erroll Gar-
de l’œuvre. Pièce à part, le 2014, 2015. 1 h 28’ Line qui avaient déjà consacré que de Bach (Concerto bran- ner, maître malicieux et plus
Presto fut à l’origine destiné à Spécialiste des répertoires de à la fois le pédagogue et le debourgeois n°3), Frank (Pré- savant qu’il ne voulait bien
Pohadka. Altstaedt et Say Mozart et Beethoven (elle fut pianiste, le compositeur et lude opus 18) et Beethoven le faire croire. La réussite de
jouent cette page assez rare aussi élève de Fleisher), Mar- l’improvisateur, Robert Kad- (sublime 2e mouvement de l’entreprise, c’est qu’elle n’est
avec un sens aigu du swing ! garita Höhenrieder offre deux douch renouvelle l’esthétique la Septième Symphonie dont pas imitation servile, mais
Un peu moins probante est interprétations particulière- de la rencontre musicale. l’enchaînement harmonique vive mise en œuvre de l’esprit
la Sonate de Chostakovitch. ment inspirées des concertos Après celle avec Gary Pea- n’avait curieusement pas été que diffusait le clavier de cet
Les couleurs sont ouverte- de Beethoven. Le Deuxième, cock, cet album offre en réa- encore exploité par le jazz) elfe légendaire. J.-P. J.
ment romantiques, à peine en si bémol majeur, porte en- lité une double rencontre. indique assez l’attrait qu’il
teintées de quelques acidités. core l’influence mozartienne, D’abord, avec les composi- éprouve pour le grand réper-
TIGRAN
Dans la danse effrénée de que les musiciens traduisent tions de Gérard Trémège, toire classique. La participa-
l’Allegro, le piano domine sans avec autant d’élégance que maire de Tarbes, qui sont tion du Quatuor du Maine HAMASYAN
conteste, remplissant l’espace d’humour. La sonorité du magnifiées par un traitement en atteste brillamment. S’y
sonore de notes percutées, piano est ronde et chaleureuse. inspiré de celui que Béla Bar- incorporent en outre des com-
refusant tout silence. L’Allegro Leon Fleisher anime avec tók opérait sur les mélodies positions personnelles, une
est superbe. Il annonce déjà, beaucoup d’intelligence un populaires roumaines où de Michel Petrucciani et
avec quelques décennies orchestre aux pupitres allégés, « traiter une mélodie qui émane « Qu’est-ce qu’on attend pour
d’avance, le langage épuré des un peu trop docile toutefois. du cœur, c’est comme sertir un être heureux ? » de Ray Ven-
pages ultimes du composi- Les dialogues sont serrés, joyau ». C’est dire combien tura, soigneusement arrangée
teur. Le finale est un Allegro sans une perte de concen- ici l’improvisation ne délaisse et superbement interprétée.
sarcastique, caractéristique tration ou de tension. pas les mélodies, mais vaga- Cette passerelle a toujours
du tempérament tragique et Le Concerto en ut mineur est bonde sur un Fazioli F278, existé entre le jazz et la musi-
burlesque de son auteur. Le plus creusé avec l’Orchestre sans rien oublier de leurs fra- que classique ; elle trouve ici « An Ancient Observer »
violoncelle semble ici accom- de chambre du Wurtemberg grances. Rencontre ensuite une nouvelle et passionnante Nonesuch PRO 559256 (Warner).
pagner le piano, le premier de Heilbronn, que l’on sent avec la contrebasse de Michel illustration. 45’
étant peut-être trop dans la posséder davantage de métier. Benita dont la concentra- J.-P. J. I Neuvième album sous son
cantilène, alors que les pas Une fois encore, on est pris tion, l’attention aux moindres nom, An Ancient Observer
lourds et violents du second par la clarté du jeu de la pia- détours font merveille avec est sans doute le plus per-
PIERRE
devraient être progressive- niste qui va au cœur de la par- une constante justesse d’énon- sonnel de Tigran Hamasyan.
ment dominés par la voix de tition. Le chef dirige un en- ciation et une pertinence sans CHRISTOPHE L’Arménie, ses mélodies
l’instrument à cordes. Une semble plus valeureux dans défaut. Univers délicat et sen- populaires, ses paysages et
lecture qui surprend, à défaut les vents que dans les cordes. sible donc, loin des fureurs l’esprit de cette terre imprè-
de nous combler totalement. Fleisher et Höhenrieder pos- du monde, dont pas un mo- gnent à l’évidence son appro-
S. F sèdent une conception com- ment ne peut être indifférent che et les contrées sonores
plémentaire de l’œuvre. Ils à qui ne confond pas le ravis- qu’il fait naître. Seul avec
assurent une mise en place sement installé hors du temps son clavier, et non face à lui,
DVD étourdissante, une évidence avec l’intérêt du jour présent il fait chanter les touches,
de ton d’un classicisme à toute et ses foucades. distille avec une maîtrise et
LUDWIG VAN épreuve. Une très belle leçon Jean-Pierre Jackson un remarquable sens des
de musique. nuances et des dynamiques
BEETHOVEN S. F.
PHILIPPE « Live ! » une sorte de nostalgie, une
(1770-1827) Camille Productions 022017. 58’ manière de terre poétique
DUCHEMIN I Tout le monde connaît (ou imaginaire. Pour autant, il
JAZZ devrait connaître) Concert n’est nul besoin d’être armé-
by the Sea, Misty ou Mambo nien ou même de savoir
Moves Garner, trois disques qu’un pays réel est évoqué
ROBERT d’Erroll Garner dont la popu- pour chavirer et rendre les
KADDOUCH ET larité et l’excellence ne sont armes. Car la lassitude ne
pas démenties par les années. pointe pas un instant le bout
MICHEL BENITA Enregistré en public à Vaux- de son nez, malgré la redou-
sur-Mer, cet album rend table épreuve qu’est le piano
hommage à ce maître es solo où d’autres parfois nous
swing et pianiste inclassable ennuient, tant le désir qu’il
« Passerelle » à travers huit thèmes de sa provoque est souvent plutôt
Black & Blue 815.2. 51’ composition et trois standards de chanter et même, c’est un
Concertos pour piano I Réputé pour être l’un de dont il a donné des versions accomplissement, de danser
n°2 et n°3 ceux qui en France ont assi- souvent renversantes. En avec lui. Au fond, d’où l’on
Margarita Höhenrieder (piano), milé le style et la technique compagnie d’une rythmique vient est moins important
Orchestre de chambre d’Oscar Peterson, Philippe à toute épreuve et suffisam- en musique que ce que les
du Wurtemberg de Heilbronn, Duchemin ne limite pas son ment féline, Pierre Chris- doigts peuvent faire naître
Philharmonie de chambre « Une rencontre » univers musical à celui du tophe fait revivre la joie robo- pour tous. J.-P. J.
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PASCAL BRUCKNER
A avec le compositeur
Anton Bruckner ?
Aucun et, d’ailleurs, je le
déteste. Je n’aime pas du tout sa musi-
que trop lourde et trop grandilo-
mon professeur de philosophie,
Vladimir Jankélevitch, qui jouait
tous les jours ! Moi, j’aurais adoré
être musicien dans un groupe de rock.
« En compensation », je prends beau-
quente. Pour un peu, elle me don- coup de plaisir à pianoter dans les
nerait envie de changer d’état civil ! gares ou les aéroports !
Alors, qui figure en haut La pratique du piano,
de votre palmarès ? que vous apporte-t-elle ?
Bach. Les cantates, les messes… tout Pour moi qui suis un cérébral, le piano
son répertoire pour clavier, je l’écoute me permet d’avoir un usage « pra-
à longueur de journée. Cela remonte tique » de mes mains. Mais, surtout,
JEAN-FRANÇOIS PAGA
à mes années d’enfance. À la maison, l’instrument est comme un appel.
on mettait de la musique le diman- Il nous convie à le réveiller, à explorer
che. J’ai pris cette habitude assez toutes les mélodies qu’il recèle en lui.
jeune. Puis j’ai cessé complètement Muet, il ressemble à un meuble.
jusqu’à mes 40 ans. Joué, il devient le personnage central l’existence. Hélas, aujourd’hui, les davantage pour l’homme que pour
Pour quelle raison ? du lieu, un petit dieu Lare qui attire gens n’achètent pas de pianos. Quel- ses prestations. Dans ce répertoire,
C’était une façon de rejeter mon édu- les regards et les sens. Tout amateur que chose a été oublié, comme si cet je lui préfère Richter, que j’adore. Et,
cation catholique bourgeoise. Puis ne peut se contenter d’écouter des instrument était un vestige du passé. insurpassable, Rachmaninov par lui-
j’ai fini par comprendre que j’allais œuvres en boîte. Il doit, à son tour, Le philosophe Roland Barthes, même. À mes yeux, il est celui qui
m’appauvrir. Je me suis replongé à son modeste niveau, participer, les qui était pianiste amateur, a écrit joue le mieux la musique qu’il a écrite.
dans la musique avec Bach et Mozart, ressusciter sous ses doigts en éprou- que la pratique de la musique Autre grand souvenir, Horowitz, que
notamment la Messe du couronnement. vant les beautés et les surprises. La engageait le corps amoureux. j’ai vu deux fois. Il était très vieux et
En Autriche où j’ai passé une partie musique s’exerce en solitaire, mais Cette idée vous est-elle familière ? fatigué. Et c’était magnifique. Parmi
de mon enfance, on l’écoutait tou- se joue en groupe, devant des témoins Pas vraiment. Le clavier est une les contemporains, je suis sensible
jours au moment de Noël. Mainte- qui participent au plaisir. Quand énigme qui s’offre à nous. Cela dit, à Hélène Grimaud, pour son côté
nant que la musique s’est réinstallée elle est belle, allègre, elle intensifie certains interprètes donnent l’im- romantique, mais aussi à Fazil Say,
dans ma vie, je ne peux plus m’en pression de « faire l’amour » à leur Evgeny Kissin, David Fray… Et,
passer. C’est une extension formi- piano. Je pense, par exemple, à Khatia dans Bach, Alexandre Tharaud.
dable de la sensibilité. J’ai redécou- À LIRE Buniatishvili. Mais c’est peut-être Quel regard portez-vous
vert une tradition que j’avais déclarée Dans Un racisme imaginaire, Pascal plus son physique qui doit impres- sur les solistes ?
morte. J’ai l’impression de toucher Bruckner revient sur l’un de ses chevaux sionner le public. J’ai une profonde admiration pour
du doigt quelque chose d’illimité. de bataille: appliquer l’esprit d’examen Quels sont vos interprètes les solistes. Il existe une mélancolie
Pratiquez-vous aujourd’hui aux systèmes religieux et, ici, à l’islam. de prédilection ? de l’interprète. Malgré son travail,
Dans son essai, il livre sa réflexion
un instrument ? J’ai entendu plusieurs fois Keith Jarrett son exploration acharnée de la parti-
sur l’antiracisme
Comme mon grand-père, je joue et les dérives en concert, au tout début de sa car- tion, l’œuvre reste finalement l’appen-
du piano : de la variété, du jazz et du du politiquement rière, à San Francisco. Il jouait aussi dice du compositeur. Derrière ce
blues. Le classique m’a vite semblé correct et s’attaque bien du jazz que Haendel et Bach. métier se cache l’idée d’un sacrifice.
ennuyeux à travailler. Je trouvais cette au concept Quand on pense à Bach, le nom de Même si, parfois, certains pianistes
musique trop conventionnelle. Je me d’islamophobie. Gould s’impose, même s’il y a quelque supplantent le compositeur, la musi-
suis pris d’une passion pour le jazz. Grasset, 272 pages, chose d’un peu froid dans ses inter- que dévore ses propres serviteurs.
J’essaie de m’exercer régulièrement. 19 euros. prétations. Je me passionne peut-être Propos recueillis par Elsa Fottorino
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Claude Balbastre Joseph est bien marié, extrait du Recueil de Noëls DÉBUTANT SUR LE CD PLAGE 2
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