Traité de La Ponctoation de Francais
Traité de La Ponctoation de Francais
trait
de la ponctuation
franaise
J/
gallimard/indit
JACQUES DRILLON
trait
de la ponctuation
franaise
t J & l , gallimard/indit
i
C O L L E C T I O N TEL
Jacques Drilion
Trait
de la ponctuation
franaise
Gallimard
Ne dgradez pas le lot commun, nous
dit Francis [Ponge] ; ne gauchissez pas la
phrase jamais lmentaire qui nous lie
l'tre dans notre rapport la socit,
l'histoire; n'innovez pas non plus sans
tenir compte de la rhtorique du corps
jubilant, sans vous soucier de l'adhsion
au cosmos que le corps rclame; autour
des lisibles signatures des objets, dessinez
de parfaits parafes.
Pierre Oster, Pierre de Caen.
fait cole la manire que Marcel Proust avait de sparer La deuxime partie est une etude du bon usage qu'on
les paragraphes de ses lettres : il ne revenait pas la ligne fait des signes de ponctuation. Appuye sur des exemples
et se contentait d'crire : .. Ce point-tiret-point tait tirs exclusivement de la littrature franaise, moderne et
pourtant commode (conomique). romantique (pour la classique, on ne s'y rfrera qu'avec
La saisie informatique a remplac la composition , la plus grande prudence, eu gard l'tat adolescent de la
et les clavistes les compositeurs . Mettre en page les ponctuation d'alors, et aux ditions dont nous disposons
notes, indexer les noms cits, raliser des lettrines sont aujourd'hui, qui, presque toutes, l'ont modernise), elle
des jeux d'enfants. L'on passe, par simple pression d'une dict les rgles qui forment le code commun ceux qui
touche, du Garamond corps 7 en Times corps 9. Veut-on, crivent et lisent le franais, voquant aussi les effets
sur un coup de tte, ajouter un paragraphe au dbut d'un obtenus, qu'on les applique ou qu'on y droge. On trou-
ouvrage dj saisi? La machine dcale toute la mise en vera, en fin de chapitre, une note sur les conventions typo-
page, en ralise une nouvelle. Remplacer, dans un accs graphiques propres chaque signe.
de rage, tous les points-virgules par des deux-points? Elle
le fait en un tournemain. Un dictionnaire est intgr aux *
logiciels de traitement de texte , qui avertit le claviste
d'une faute de frappe. Mais il est devenu presqu'impos- L'auteur remercie les personnes dont le nom suit pour
sible d'intercaler une jolie carte dpliante comme on en l'aide qu'elles lui ont apporte, un titre ou un autre,
trouve frquemment dans les livres anciens. Les pieds de dans la rdaction de cet ouvrage :
mouche se font rares, les V barrs introuvables. Impos- Martine Lecur,
sible d'obtenir un rentr d'alina si le maquettiste en Michle Gardon,
a dcid autrement, des points de suspension aprs un Simone Bec, Evelyne Chevalier, Valrie Delaunoy,
point abrviatif si le correcteur applique strictement la Colette Fellous, M"e Laine (Librairie Larousse), Claude
consigne de son manuel. Mais cela est une vieille histoire Maupom, Isabelle Ottaviani, Nicole Phelouzat (C.N.R.S.),
que les rcents dveloppements de l'informatique n'ont Christiane Pierre, Anne Rey, Denise Roques, Anne Yguet,
pas russi faire oublier; tant il est vrai que tradition et Dennis Collins, Jean-Paul Fargier, Patrick Floppy Filip-
nouveaut, contrainte et fantaisie, sont ici lies dans un
pini, Marc de Launay, Franois Michel, Henri Millot,
mme faisceau.
Hubert Nyssen, Pascal Quignard, Philippe Sollers, Alain
Villain, Jean-Nol Von der Weid, Daniel Zerki.
*
Histoire, ides,
histoire des ides
cogitoje pense: je suis, et faire l'conomie du donc; syntaxique sans pour autant lui contester son rle ryth-
car le deux-points, comme la reine des checs, peut mar- mique et respiratoire. Toute une histoire...
cher en avant, en arrire et en diagonale. Or j e suis parce
que je pense, mais je pense parce que je suis; et mme j e
pense et je suis. Le deux-points symbolise la perfection Qjie la ponctuation n'est pas tout fait
l'ambigut de Ver go cartsien aussi ancienne que l'criture
Il peut signifier bien d'autres choses encore; la virgule
ne se borne pas relier les termes d'une numration, ou Alors qu'on crit depuis six mille ans, on doit aux deux
sparer un mot de son apposition; les guillemets ne successeurs de Znodote d'Ephse la tte de la biblio-
citent pas toujours; le tiret n'est pas tout coup thque d'Alexandrie, Aristophane de Byzance (~ 2 5 7 -
employ pour interrompre un discours: il lui arrive - 180) etAristarque deSamothrace ( - 2 2 0 - -143), d'avoir
mme 1 de rattacher la phrase ce que la syntaxe avait introduit un ensemble de codes (appels de notes, division
spar. Peu de codes, beaucoup de sens. Et, pour tout du texte en chapitres, titres, etc.) qui sont un peu les anc-
compliquer, aucune obligation employer les codes. Nul tres de notre ponctuation ou, plus justement, de la plus
ne s'offusque de voir crit : Je dis je ne sais pas. Margue- lmentaire mise en page.
rite Duras et ses pigones ont impos cette manire de ne Aristophane de Byzance employa le premier ce qu'on
pas ponctuer (sans pour autant subordonner), renouant peut nommer signes de ponctuation. Us taient au
ainsi avec la pauvret de l'archaque parataxe : En nombre de trois: 1 le point parfait (un point plac
vrit, en vrit, je vous le dis, je suis l'arbre de vie (pour : l'extrmit suprieure de la dernire lettre d'un mot), qui
En vrit, en vrit, je vous dis : "Je suis l'arbre de vie2. " ). indiquait que le sens de la phrase tait complet, et dont
(Voyons les codes de cette fin de phrase: un appel de l'quivalent actuel serait peu prs l'alina ; 2 le sous-
note, un point, un guillemet anglais, un guillemet fran- point (plac l'extrmit infrieure d'un mot), qui indi-
ais, une parenthse fermante, un point; quelle quait une lgre suspension de sens, et qu'on retrouve
extraordinaire quantit d'information ils transmettent!) aujourd'hui dans la fonction du point final ; 3 le point
Mais, comme nous l'avons dit plus haut, les codes de moyen ( mi-hauteur), quivalant au point-virgule. Mais
ponctuation ont volu, continuent de le faire, et sur leur les copistes respectaient rarement ces conventions, qui
sens tous ne s'accordent pas. Certains disent qu'une vir- restrent longtemps le propre des correcteurs (dj), et le
gule n'quivaut pas une indication syntaxique, compa- signe d'un luxe.
rable celles que nous avons choisi d'noncer, mais Les pictogrammes cuniformes, les hiroglyphes 3 ,
qu'elle marque l'endroit o le lecteur peut reprendre son taient naturellement spars les uns des autres par des
souffle. D'autres enfin donnent la virgule sa valeur
blancs 4 . Tandis que la pratique de la scriptio continua des par nos typographes bas de casse, sont utilises dans
Grecs qui ne sparaient pas les mots les uns des autres l'criture manuscrite. La coutume s'est d'ailleurs perp-
avait entran l'tablissement tardif d'autres codes: on l uce, dans les inscriptions lapidaires modernes, de graver
plaait un point entre un mot et le suivant pour l'isoler. <'ii capitales ( quadrata monumentale ), et de sparer les
O n indiquait les syllabes accentues, les lettres amues ou mots par des points (isols ou groups) :
les voyelles par des signes suscrits ou souscrits ; la pronon-
ciation des voyelles initiales tait marque par un esprit [...] AMI-N-ENTRE-PAS-SANS-DESm [...]
(tait-il rude, il fallait aspirer; doux, il ne le
...dit sans ciller Paul Valry sur le long bandeau du palais
fallait point); le sigma ne s'crivait pas de la mme
de Chaillot. (Les mathmatiques, qu'il pratiquait d'ailleurs
manire selon qu'il tait plac l'intrieur d'un mot ou
brillamment, ont longtemps conserv ce point central
la fin, le bta, l'intrieur ou l'initiale d'un mot; l'iota
pour indiquer la multiplication comme le deux-points
qui suivait une voyelle longue tait souscrit ; brve, adscrit.
la division, et de trs nombreux autres signes, bien
(C'est de semblables signes diacritiques qu'ils firent
entendu :
appel lorsque, aux xvn e et xvm e sicles, les jsuites entre-
prirent de latiniser la langue vietnamienne.) 8ax2y 9bx3y2- 4axy2 = 288a2bx8y5.)
Par cet ensemble de signes qui permettaient aussi bien
de lire que d'entendre un texte, de le prononcer que de le Quant la langue allemande, elle a conserv ce culte de
transmettre, les Grecs avaient fond le principe mme de la majuscule dans la graphie normale de ses substantifs.
la ponctuation.
On peut noter, par parenthse, que le principe de la C'est l'origine commune des signes de ponctuation
scriptio continua pourvue de points fut suivi en Angleterre qu'on doit de les avoir conservs dans presque toutes les
jusqu'au xn e sicle... langues du monde. (On pourrait aussi bien leur trouver
Outre les signes diacritiques , les Grecs usrent aussi des quivalents transparents dans les autres arts, architec-
d'une vritable ponctuation : le point en haut (), qui- ture et musique, notamment. N'importe quel musicien
valent du point-virgule et du deux-points (ces deux signes sait qu'une phrase de Mozart possde virgules, points-
seront longtemps confondus, et continuent de l'tre !), ou virgules, points d'interrogation, de suspension, d'exclama-
le point d'interrogation, figur par un point-virgule. tion, et mme des tirets, des guillemets, qui en fixent la
Les Latins emploient le punctum, la fois signe de construction 5 ; de mme, les architectes savent que les
sparation et de prononciation ; de ce mot vient celui de
ponctuation. Les capitales sont rserves chez eux la
gravure sur pierre, tandis que les minuscules, nommes 5. D'ailleurs, certains compositeurs, comme Franois Couperin,
notent clairement des virgules qui sont autant de signes de phras... Il
crit, dans la prface son troisime livre de pices de clavecin : O n
4. Mais le sens de la lecture tait indiqu, dans les hiroglyphes, p a r trouvera u n signe nouveau d o n t voicy la figure ' ; c'est p o u r marquer la
l'orientation des ttes humaines ou des becs d'oiseau : s'il tait courant terminaison des Chants, ou de nos Phrases harmoniques, et pour faire
d e lire de droite gauche, il arrivait aussi qu'on d t lire de naut en bas, comprendre qu'il faut u n peu sparer la fin d'un chant, avant de passer
ou alternativement de haut en bas et d e bas en haut, etc. celuy qui le suit. Cela est presqu'imperceptible en gnral, quoy qu'en
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fentres sont les virgules d'une faade, les colonnes les totalement dpourvus du moindre signe, et qui prsen-
points-virgules d'un difice, un fronton le point final... tent souvent des mots lis entre eux; il tient mme qu'on
Inversement, nous apprend Valry Larbaud, Ricardo date un manuscrit d'aprs sa ponctuation. Le blanc entre
Guiraldes 6 avait propos qu'on substitut les signes musi- les mots se gnralise au vn e sicle, s'impose au sicle sui-
caux la ponctuation, et qu'on crivt un soupir la place vant, et devient pratiquement de rgle au cours des deux
d'un point, une demi-pause pour un alina, etc.7) cents ans qui suivent. Les systmes varient d'un auteur
On dit en gnral que la ponctuation, telle qu'on peut ou d'un copiste l'autre. Ici, des points ; l, des chevrons ;
en admettre aujourd'hui sinon la lettre du moins l'esprit, l encore, des trois-points . Et, soudain, tout se bloque,
remonte au vm e sicle. Pierre Larousse (voir Bibliogra- rien ne se passe plus. La ponctuation, jusqu'au xm e sicle,
phie) cite des manuscrits plus anciens (ve et vi e sicles8) n'volue plus : elle se contente de la multiplicit des sys-
tmes. Le plus trange est qu'elle y ait survcu...
A partir de cette poque, la ponctuation s'en tient au
n'observant pas ce petit Silence, les personnes d e got sentent qu'il point et la virgule ; au deux-points, parfois ; chez les plus
m a n q u e quelque chose l'xcution; en u a mot, c'est la diffrence de avancs, quelques signes supplmentaires sont employs.
ceux qui lisent d e suite, avec ceux qui s'artent aux points et aux vir- Son rle alors est plus esthtique que grammatical; on
gules. Ces silences se doivent faire sentir sans altrer la mesure. (1722)
pourrait mme parler de mise en page. Si la majuscule
6. L'crivain argentin (1886-1927) qui a publi, en 1925, Don Segundo
Sombra. tait employe dans des manuscrits assez anciens (Hlne
7. In Sous l'invocation de saint Jrme. Nas9 cite la Conqueste de Constantinople, de Villehar-
8. A cette poque, on confond encore les rgles d e grammaire, les exi- douin, qui date du xm e sicle), la capitale d'imprimerie
gences de la construction, avec les impratifs respiratoires. Isidore, fut introduite par l'imprimeur Tory (1533), suivie de
vque d e Sville (ca 570-636), dcrit ainsi u n e p r i o d e :
l'apostrophe, qui permet de sparer l'article du substantif.
T o u t discours est fait de mots, de commas, d e colons et d e periodus
assembls. Le comma est u n e petite partie de phrase. Le colon est u n En conclusion de son tude consacre Villehardouin, et
membre. Le periodus est u n e conclusion, u n e chute. Un comma est com- dans lequel elle n'a retrouv que trois signes (point, majus-
pos d e mots, u n colon d e commas, u n periodus d e colons. U n comma est cule et initiale rougie), Hlne Nas dclare que cette
u n assemblage de mots, c o m m e : " B i e n que j e craigne, messieurs les ponctuation n'avait pas de valeur syntaxique, non plus
j u g e s " . Voil ce qu'est u n comma. Suit u n autre c o m m a : "qu'il n e soit
que respiratoire, mais qu'elle permettait d'insister sur ce
ridicule de parler au n o m d'un h o m m e trs b r a v e " ; nous avons l u n
colon, c'est--dire u n m e m b r e qui offre u n sens. Mais la phrase est toujours qui, selon le scribe (ou l'atelier), constitue le principal
en suspens ; aprs plusieurs membres de ce type, u n e p r i o d e se trouve centre d'intrt du texte.
cre ; la phrase s'achve ainsi : "... ils recherchent les anciennes cou-
tumes judiciaires." Mais u n e priode doit tre suffisamment brve p o u r
tre p r o n o n c e d ' u n souffle. (De colo, commate et periodis, extr. des pouvoir a p p o r t e r sa dfense u n e force d ' m e gale la sienne ; et pour-
Etymologiae, texte latin tabli p a r P. K. Marshall, Les Belles Lettres, 1983.) tant cet appareil insolite d'un tribunal d'exception pouvante les regards
Le texte d'Isidore se rfre presque mot p o u r m o t D i o m d e qui, partout o ils se portent, cherchent en vain l'antique coutume du bar-
(IVe sicle), Gramm., 2. Q u a n t la p r i o d e de Cicron laquelle il fait reau et les usages judiciaires d'autrefois. (Cicron, Pro Milone, texte
allusion, la voici reconstitue: Certes, j ' a p p r h e n d e , juges, qu'il n e soit tabli et traduit p a r A n n e Boulanger, Les Belles Lettres, 1978.) D e toute
ridicule d'prouver d e la crainte en p r e n a n t la parole p o u r d f e n d r e u n vidence, cette p r i o d e ne saurait se p r o n o n c e r d ' u n souffle, c o m m e
h o m m e de grand courage, et tout fait malsant, q u a n d p o u r sa p a r t dit Isidore. Le traducteur a rajout d'ailleurs u n point-virgule bien venu.
T . Annius est plus inquiet d u salut d e l'Etat q u e d u sien propre, d e n e 9. In La ponctuation, recherches historiques et actuelles (C.N.R.S.).
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Ces quelques signes ont suffi donner lieu au premier second disparat, et se voit remplac par le typographe
trait de ponctuation (atelier de la Sorbonne, 1470), dont qui entend dicter sa loi.
la rigidit laisse rveur10... En tout cas, ainsi que le rap- On trouve, grce Dolet (154012), imprimeur lyonnais
pelle Gilbert Ouy", les humanistes franais furent trs tt cher Clment Marot13, mais aussi Rabelais, tout un
soucieux de ponctuation exacte (bien qu'elle ft trs ensemble de signes qui rappelle l'arsenal dont nous nous
variable d'un auteur l'autre!). Et il parle d'un Italien, servons aujourd'hui: la virgule, le point, le deux-points,
Barzizza (1370-1431), qui voyait dj la ponctuation les parenthses, le point d'exclamation et le point d'inter-
comme un ensemble de signes ayant une double fonction : rogation (lui-mme emploie les alinas, le , le Vs, les
lever l'quivoque, et permettre au lecteur de reprendre lunes, les soleils, les pieds de mouche, la croix ( + ), l'ast-
son souffle. On la retrouvera, nonce aussi clairement, risque, le losange, la petite main qu'on retrouve aujour-
dans les positions prises par certains encyclopdistes du d'hui dans les logiciels d'informatique et autres signes
xvm e sicle. Les signes sont compris alors comme des savants). Dans la ralit, la liste qu'il dresse des signes est
codes. Par exemple, la ncessit dans laquelle se trouvent relativement rduite, quoique suffisante: le colon (.),
les copistes d'conomiser le parchemin les amne noter ponctuation forte, le comma (:), ponctuation moyenne,
au long (dans la continuit du texte) des paragraphes et le point queue ou incisum (,), ponctuation faible ;
diffrents ; le passage de l'un l'autre ne se figure pas par plus trois signes secondaires (point-virgule, point d'excla-
un retour la ligne, mais par un pied de mouche. Dans les mation et parenthse/crochet).
textes religieux, le V barr indique le versus, le R barr, le Trs vite, clate l'interminable lutte entre les orateurs,
rpons. La ponctuation possde une double fonction: qui revendiquent une ponctuation calque sur la ryth-
pour l'oral, elle dtermine les pauses faire ; pour l'crit, mique respiratoire, et les puissants typographes : elle nous
elle souligne ce qui est important, elle permet d'expliquer occupe depuis 14 .
en marge, etc. De cette ambigut, fort ancienne, natront
Nina Catach, qui nous devons de savoir ce que fut la
bien des confusions et des conflits...
ponctuation dans les temps passs, crit ce sujet: Les
Enfin, Gutenberg vint. Les livres s'impriment, et les grammairiens-philosophes prennent donc la plume et
codes deviennent typographiques. Voil la seconde vraie s'expriment vigoureusement, au moins pour trois raisons :
rvolution, depuis le dcouverte du blanc, et qui accom procder une analyse ncessaire des rapports nouveaux
pagne, au milieu du xve sicle, l'invention de l'impri
merie: un foss se creuse aussitt entre imprim et
manuscrit. Du couple form par l'auteur et le copiste, le 12. Dolet est n Orlans en 1509. Partisan du rationalisme p a d o u a n
a u t r e m e n t dit, il tait athe et a n n o n c i a t e u r d e Du Bellay en
matire d e dfense d e la langue franaise, il finit ses j o u r s sur un b c h e r
10. Jean Heynlin, nous a p p r e n d Claude Tournier, dressa la liste des en 1546.
signes et leur usage en 1471 (Compendiosus dialogus de arte punctuandi) 13. O n n e sait lequel des deux, e n la matire, est le dbiteur d e
il distingue la virgula (,), le colon ('), le periodus (;), le comma ou distinctio l'autre...
(point moyen avec virgule suscrite), le punctus interrogativus (?), la paren- 14. Il faut rappeler, cet gard, q u e le neume, signe d e notation e n
thesis... Il emploie aussi la division simple (/) ou double (//) p o u r couper usage dans le grgorien , a p o u r tymologie pneuma , mot grec signi-
les mots en fin de ligne. (Ibid.) fiant souffle , esprit ; et que ce systme e m p r u n t e ses signes princi-
11. Ibid. p a u x la ponctuation (virga, punctum).
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Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides 29
de l'oral et de l'crit; se dfendre contre les nouveaux valeur maximale, c'est pourquoi on le trouve encore au
usages qu'on leur impose et qu'ils jugent aberrants; enfin, xvm e sicle suivi d'une majuscule. La " protase" (monte)
donner leurs conseils et leurs mises en garde aux meil- autant que 1'" apodose" (descente) pouvaient, leur tour,
leurs imprimeurs, qui en sont preneurs 15 . comprendre plusieurs parties, spares par des virgules
La conception du texte, telle qu'elle s'exprime alors, ou des deux-points, qui avaient la valeur de virgules ren-
repose sur une unit beaucoup plus longue que la forces. Par la suite, c'est le point final qui remplace le
phrase telle que nous l'entendons. Il s'agit plutt de "periodus" et, sous forme de point-virgule, il rapparatra
priodequi se confond davantage avec la phrase au en tant que ponctuation moyenne.
sens musical du terme. Dans son dictionnaire, Furetire la En tout cas, la grammaire et la logique de Port-Royal
dfinit comme une petite estendu de discours qui ignorent la ponctuation, et Vaugelas, peu de chose prs,
contient un sens parfait, & qui ne doit pas estre plus longue fait de mme.
que la porte ordinaire de l'haleine 16 . L, le souffle rgne Nanmoins, si l'on consulte une dition du xvn e sicle,
en matre. L'crit treint la parole. Nina Catach explique : l'on peut constater que la ponctuation y est assez large-
La priode distribue donc ses units par une structure ment distribue, et peu loigne des conventions actuelles.
d'abord ascendante, puis descendante : la premire partie Du moins pour ce qui concerne les ouvrages abstraits
se termine par un sommet, vritable "point d'orgue" qui sont les seuls auxquels un Nicolas Beauze fasse rf-
(appel "acm"), marqu alors par le double point. La rence dans son article ultrieur de l'Encyclopdie (1765);
seconde partie mnage habilement sa "chute", marque pour les romans, c'est autre chose. Ils sont, l'poque, ce
en finale par un signe qui avait la forme de notre point- que sont peu prs les bandes dessines d'aujourd'hui
virgule, et qu'on appelait bien sr le "periodus". Il inspirant aux lettrs le mme respect mesur...
s'agissait depuis la cration des signes du " p o i n t " grec Lisons par exemple quelques lignes extraites d'un
livre admirable, intitul Essay des merveilles de nature, et
des plus nobles artifices. Pice trs-ncessaire, tous ceux qui
15. In Langue franaise n45. font profession d'loquence. Par Ren Franois [Etienne
16. Cette dfinition r e p r e n d celle d'Aristote. Furetire parle aussi d e
Binet, S. /.], Prdicateur du Roy. Sixime dition. Reueu,
priodes r o n d e et quarre. L'Encyclopdie d e Diderot explique q u e
la premire a des membres joints & pour ainsi dire enchsss les u n s corrige, & augmente par l'Autheur. (1626) A u c h a p i t r e
d a n s les autres [... ; elle] coule avec u n e galit parfaite, sans qu'on y L'homme , il est crit :
r e m a r q u e de r e p o s considrables; d'autres auteurs, dit ce m m e
ouvrage, considrent q u e la priode r o n d e est celle d o n t les membres 8. Les arteres sont conduits qui sortent du cur, o est la
sont tellement disposs qu'on p o u r r o i t mettre le c o m m e n c e m e n t la fin, grande artere mere de toutes les autres, elles sont couuertes
& vice versa. La p r i o d e carre est compose d e trois ou quatre
de tayes fermes, & espaisses, afin que les esprits vitaux
membres gaux, distingus l'un d e l'autre. Exemple: Si M. d e
T u r e n n e n'avoit su q u e combattre et vaincre {premier membre), s'il n e qu'elles charrient, n'esuaporent. Elles & les veines sont
s'toit lev au-dessus des vertus humaines (second membre), si sa valeur iointes, afin qu'elles suent leur nourriture des veines, & que
& sa p r u d e n c e n'avoient t animes par u n esprit d e foi & de charit les veines tirent de la chaleur des arteres, aussi y a-t-il des
(troisime membre), j e le mettrois au r a n g des Fabius et des Scipion (qua- Orifices & des bouches afin qu'elles se puissent communi-
trime membre). La p r i o d e croise est celle d o n t les membres sont quer ensemble.
opposs (par antithses, oppositions, paralllismes, etc.). 9. Le sang se fait du chile le plus espais, gluant, bien cuit.
100 Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides 31
Les membres sont pesans, ou de plus grand trauail & effort ; Reposant sur l'ide de pause (orale), ces rgles ne font
sont arms d'os, de nerfs et autres choses plus sortables et que dcrire la hirarchie des pauses qu'il convient de faire
proportionnes.
en parlant, et des signes qui les indiquent. Nanmoins, on
10. Il y a dans l'homme trois cens os, c'est dire cent cin-
quante de chaque cost : chacun d'eux a dix proprietez (les trouve dj, dans le Trait du rcitatif, de Grimarest, dont
Anatomistes les nomment Scopos) la douceur, rudesse, l'esprit est ancr au plus profond du xvu e sicle bien qu'il
liaison, anchassure, figure, & autres toutes diffrentes des date des premires annes du suivant, une rfrence cons-
autres, de faon que multipliant cela, rsultent dix mille cinq tante la ponctuation : De l, dit-il, quelquefois dpend
cens proprietez d'vne coste, & autant de l'autre coste de la clart d'un acte, l'claircissement des faits, l'explication
l'homme en ses os seulement, sans les occultes. des sciences, et des arts ; et l'on sait que le dfaut de ponc-
tuation a souvent caus des quivoques, qui ont eu de trs
La libert, dans la ponctuation comme dans l'ortho- mauvaises suites. Plus loin : Il y a plus de difficult que
graphe, est vidente. La virgule, en fin d'numration, l'on ne pense bien ponctuer, et quoique cette connois-
saute ou subsiste (Beauze recommandera de la conser- sance ait paru jusqu' prsent arbitraire, examiner la dif-
ver). Elle spare le substantif du relatif qui s'y rapporte, frente ponctuation des auteurs, je voudrais pourtant
mais sans que cela soit une constante. Elle tient lieu parfois bien faire voir qu'elle ne devrait pas l'tre. Il y a l le
de point-virgule et mme de point final. Il arrive frquem- germe des tudes menes par Buffier, Girard, Dumarsais,
ment qu'elle spare le sujet du verbe (au paragraphe 6 : et qui aboutiront toutes, comme au fleuve les affluents,
Les filamens, sont des chordes, & filets longs, gresles et la somme de Beauze.
blancs, solides, forts ; ils servent ou tirer la nourriture, D'autre part, on ne sait que peu de chose sur la ponc-
ou la retenir, ou pousser les superfluitz ), mais cela tuation des auteurs de cette poque. Elle tait le fait des
n'est pas plus constant (paragraphe 7 : Les veines sont typographes les auteurs, le plus souvent, n'en avaient
canaux, & tuyaux o coule le sang plus pais... ).
cure17 et nous est parvenue par l'intermdiaire d'di-
teurs peu scrupuleux. Lorsqu'on a la chance de trouver
Pourtant, on y sent l'bauche d'une ponctuation vraie, une dition vritablement critique (les scrupules des uni-
sans doute calque sur la dclamation (mais qui oserait, versitaires, qui font pourtant grossir de variantes infinies
parmi les plus fervents orateurs d'aujourd'hui, mettre les volumes de la Bibliothque de la Pliade, s'arrtent
une virgule entre le sujet et le verbe?). C'est la phrase avant la ponctuation, et lire Pascal ou Descartes revient,
elle-mme qui n'est pas dfinie de la mme manire au chapitre de la ponctuation, lire Teilhard de Chardin
qu'aujourd'hui, comme l'a fait remarquer Nina Catach, et ou Bergson18), on sent instantanment ce que la virgule,
qui autorise des juxtapositions parfois tranges. Le foison-
nement des virgules s'explique de cette manire. Malgr 17. Nous avons dj cit, nanmoins, des auteurs comme Marot ou
tous les manquements ce qui deviendra la rgle , un Montaigne, qui, u n sicle plus tt, y apportaient dj u n e grande atten-
texte comme celui-l reste plus clair qu'une priode de tion.
Michel Tournier. Sur-ponctuer est un travers, sous-ponc- 18. Voici, p a r exemple, ce que dit Marie-Thrse H i p p en tte d e son
commentaire critique aux Mmoires du C al d e Retz (Bibliothque d e la
tuer un dfaut. Au xvn e sicle, la ponctuation est rgie par
Pliade): C o n f o r m m e n t aux habitudes d'aujourd'hui, nous avons
des rgles qui, pourrait-on dire, ne font pas force de loi. modernis la ponctuation dans l'ensemble des textes : certes le manus-
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Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides
notamment, indiquait alors de mlodique dans la phrase. oublieux de sa destine ; ou s'il passe dans son esprit quelque
C'est ainsi qu'on remarque l'abus de virgules, dans tous les dsir volage de s'y prparer, il dissipe bientt ces noires
textes d'orateurs, qui semblent indiquer une pause ides : et je puis dire, Messieurs, que les mortels n'ont pas
moins de soin d'ensevelir les penses de la mort, que
neutre, une simple respiration, presque une indication de
d'enterrer les morts mmes.
rgie, comme au thtre. Comparer plusieurs ditions
du Sermon sur la mort, de Bossuet, est une vritable .. a tout de mme une autre allure lorsqu'elle est ainsi
preuve. Sans doute les leons sont-elles nombreuses, ponctue :
et dlicates les procdures d'tablissement du texte. Mais
enfin, cette valse de virgules, de points-virgules (l'dition Chacun rappelle en son souvenir depuis quel temps il lui a
Didot de 1883!), a quelque chose de ridicule. Et mme parl, et de quoi le dfunt l'a entretenu ; et tout d'un coup il
est mort. Voil, dit-on, ce que c'est que l'homme ! Et celui
l'dition Deforis (chez Boudet, 1772) est grotesque, tant
qui le dit, c'est un homme ; et cet homme ne s'applique
elle montre de la rpugnance tout signe mlodique ; les rien, oublieux de sa destine ! ou s'il passe dans son esprit
points d'exclamation, fort nombreux chez un harangueur quelque dsir volage de s'y prparer, il dissipe aussitt ces
comme Bossuet, sont tous remplacs par des points-vir- noires ides ; et je puis dire, Messieurs, que les mortels n'ont
gules... Cette priode, ainsi note par Deforis : pas moins de soin d'ensevelir les penses de la mort que
d'enterrer les morts mmes.
Chacun rappelle en son souvenir depuis quel temps il lui a
parl, et de quoi le dfunt l'a entretenu ; et tout d'un coup il Lorsqu'on lit une dition ancienne des Mmoires du
est mort : voil, dit-on, ce que c'est que l'homme ; et celui Cal de Retz, celle de Cusson (Amsterdam, 1717) ou Fabry &
qui le dit, c'est un homme ; et cet homme ne s'applique rien, Barillot (Genve, 1751), on sent une ponctuation passa-
blement rigoureuse, mais qui fait la part belle au geste
large, aux constructions dveloppes. Ici encore, la parole
crit R [celui d e P.-F. Ral] prsente gnralement un texte fort correct,
mais on y r e n c o n t r e cependant des lapsus, des omissions ; Retz met beau- domine.
c o u p d e virgules ou d e majuscules, parfois intempestives, mais fort peu Nous verrons les limites et les dfauts de cette manire
d e points. Voil u n e information prcieuse ; mais sur les quelque six de faire qui n'a d'ailleurs gure survcu; mais il n'est
cents pages de notes que c o m p r e n d le volume, c'est peu. pas moins sr que son texte, ponctu par M"e Hipp 19 , perd
Il faut, l'inverse, r e n d r e hommage aux rudits qui, ralisant u n e
beaucoup de son souffle ; les paralllismes, dont Retz tait
dition critique, reproduisent la ponctuation originale. O n pourrait
citer l'un d'entre eux : Eugne Parturier. Dans son introduction la si friand, disparaissent, hachs par les virgules. Edition
Dlie, d e Maurice Scve (Socit des textes franais modernes, 1916), il Fabry:
crit et cela p o u r r a i t servir de rgle morale tous ceux qui font pro-
fession d'diter des textes anciens : J'ai scrupuleusement suivi la ponc- Je trouvois l'archevch de Paris dgrad l'gard du
tuation, bien qu'elle soit arbitraire et bizarre, souvent m m e videm- monde, par les bassesses de mon oncle, & dsol l'gard de
m e n t fausse. Toutefois, dans quelques cas o elle et t trop choquante, Dieu, par sa ngligence & par son incapacit.
j e l'ai corrige, mais en relevant dans l'appareil critique l'tat original.
Dans un texte aussi obscur, d o n t le sens prte souvent discussion, j'ai
pens que toute autre correction d e ponctuation impliquait u n e inter-
19. ... d e qui l'auteur d e ce livre, au temps de sa jeunesse folle, n'a eu
prtation personnelle, dplace dans u n d o c u m e n t qui doit avoir u n e
pourtant qu' louer les comptences en matire d e littrature classique...
valeur objective.
100
Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides 35
Edition Hipp ( Bibliothque de la Pliade ) : douceur, en vigilance, en fermet : nulle n'a aport au Gou-
vernement d'un grand Empire tant d'art & d'experience :
Je trouvais l'archevch de Paris dgrad, l'gard du nulle n'a tant de valeur pour le sotenir, ou pour l'accrotre :
monde, par les bassesses de mon oncle, et dsol, l'gard de nulle n'a joint la science de commander sur Terre, une si
Dieu, par sa ngligence et son incapacit. vaste & et si sre connoissance de la Mer, soit pour la
Guerre, soit pour la Navigation.
Disons par parenthse que cette ponctuation n'est
mme pas correcte, au sens o l'on prend ce mot dans les On verra cela plus clairement encore dans ce para-
traits d'aujourd'hui. Il et fallu ponctuer: graphe de Malebranche :
Je trouvais l'archevch de Paris dgrad l'gard du monde L'esprit ou l'ame de l'homme n'estant point matrielle ou
par les bassesses de mon oncle, et dsol l'gard de Dieu par sa tendue, est sans doute une substance simple, indivisible et
ngligence et son incapacit. sans aucune composition de parties : mais cependant on a
coutume de distinguer en elle deux facultez, savoir l'enten-
Pour tre irrgulire, la ponctuation de Retz n'en est dement & la volont, que nous allons expliquer d'abord : car
pas moins grammaticale, alors que celle des orateurs se il semble qu'elles ne sont pas ordinairement assez connues ;
calque presque toujours sur la seule diction. Nous verrons je veux seulement dire, que les notions ou les ides, qu'on
la fin de ce chapitre qu'il en va de mme des auteurs dra- a de ces deux facultez, ne sont pas assez nettes, ni assez
distinctes.
matiques. L'trange est que deux systmes aient pu coha-
Nicolas Malebranche,
biter ; mais le xvn e sicle montre des paradoxes plus
La recherche de la vrit21.
curieux encore (voir notre avant-propos).
Il semble que, parfois, on ait alors soign la ponctuation
Le xvm e sicle, malgr les injonctions des acadmiciens,
des textes importants. Le Journal de voyage du
montre une ponctuation trs libre, c'est--dire anar-
Ch r Chardin 20 , par exemple, comporte une ptre limi-
chique. Rousseau, en particulier, omet les virgules spa-
naire au roi, fort longue et sur-ponctue comme par
rant les termes d'une numration, annonce une citation
dfrence. Le livre proprement dit est beaucoup plus par un point-virgule, une virgule ou mme un point. Le
souple. Dans la priode qu'on va lire, on verra clairement point d'interrogation est souvent remplac par un point
que le sujet, ds qu'il n'est pas immdiatement plac avant final, et inversement dans l'interrogation indirecte; il
le verbe, est spar de lui par une virgule ; et que l'emploi manque souvent une virgule au dbut ou la fin des inci-
qui est fait du deux-points et du point-virgule est inverse dentes ; le point-virgule spare souvent la principale de la
de celui qui est fait aujourd'hui : subordonne, etc. Les ditions les plus fidles prsentent
quantit de corrections, effectues partir des manus-
J'ai eu l'honneur d'aprocher des Rois qui passent pour les
plus-puissans du Monde ; mais nulle de ces grandes Images
crits, copies, ditions originales, parfois nombreuses et
de la Divinit, n'est son Image, Sire, comme vous l'tes en contradictoires, tant du point de vue de la ponctuation
que de l'orthographe. Trs tt, on a de lui une image bien xvm e sicle humaniste est ainsi. Mais il lgifre autant
fausse, faite de nettet et de rigueur. On lit, par exemple, qu'il le peut. En tmoignent les travaux nombreux des
dans les lettres qu'il crivit Christophe de Beaumont grammairiens de l'poque: Dumarsais, Girard, Beauze,
telles qu'elles ont t dites Neuchtel en 1763 (en fait Restaut... Si le xvn e sicle, avec Vaugelas et ses zls com-
par Simon, imprimeur de la reine), une priode dont mentateurs 23 , tait pris de bien-parler, le xviu e s'adonne
l'accomplissement du seul point de vue de la ponctua- une passion nouvelle, celle des classifications, catalogues
tion ne doit pas grand-chose l'auteur du Contrat social : et nomenclatures, qu'on retrouve illustre par les natura-
listes de l'poque: Linn, Buffon, mais aussi, plus tard,
Monseigneur, vous avez t pour moi ni humain, ni gn- Lamark, Geoffroy Saint-Hilaire ou Cuvier... Aprs la Cor-
reux ; &, non seulement vous pouviez l'tre sans m'pargner rection vient la Raison ou, du moins, l'Ordre. L'esprit des
aucune des choses que vous m'avez dites contre mon lois, qui est lui seul un recensement des murs et des
ouvrage, mais elles n'en auroient fait que mieux leur effet. lgislations, parat en 1748, soit en mme temps que les
J'avoue aussi que je n'avois pas droit d'exiger de vous ces premiers volumes de l'Histoire naturelle de Buffon.
vertus, ni lieu de les attendre d'un homme d'Eglise. Voyons Diderot et d'Alembert, quant eux, conoivent alors leur
si vous avez t du moins quitable et juste ; car c'est un grand projet d'Encyclopdie. Dans sa notice, l'acadmicien
devoir troit impos tous les hommes, & les saints mmes Beauze, qui fit la premire thorie cohrente de la ponc-
n'en sont pas dispenss.
tuation, et que Hugo hassait tant 24 , la dfinit ainsi: L'art
d'indiquer par des signes reus la proportion des pauses
Alors que l'auteur de ce paragraphe polic avouait lui-
que l'on doit faire en parlant. Comment s'tablit-elle? En
mme son diteur, aprs avoir reu les preuves du
fonction de trois rgles, qu'on trouve nonces et combi-
Discours sur l'ingalit: Les fautes de ponctuation sont
nes dans la Grammaire gnrale25, du mme Beauze:
innombrables. Quand j'ai dsir qu'on suivt exactement
1 le besoin de respirer; 2 la distinction des sens par-
le manuscrit j e n'entendois pas parler de la ponctuation
tiels qui constituent le discours ; 3 la diffrence de degrs
qui y est fort vicieuse. Priez M. l'Abb Yvon de vouloir
de subordination qui conviennent chacun des sens par-
bien la rtablir dans les preuves suivantes.
tiels dans l'ensemble du discours2''. Il faut bien se garder
Cela dit, Rousseau, rappelons-le, n'a pas valeur
d'exemple en cette matire. Nanmoins, il atteste une ten-
dance : c'est chez lui l'oral qui domine, la respiration et le
23. C'est--dire La Mothe Le Vayer, Scipion Duplex, Mnage,
rythme. Le repos de la voix dans le discours, crit
Bouhours, Conrart, Chapelain, T h o m a s Corneille, etc., d o n t les
Diderot 22 , et les signes de la ponctuation dans l'criture, se commentaires o n t t runis par J e a n n e Streicher (Commentaires sur
correspondent toujours, indiquent galement la liaison les Remarques de Vaugelas, Paris, 1936, rd. Slatkine).
ou la disjonction des ides. 24. Oui, si Beauze est Dieu, c'est vrai j e suis athe , crivait-il dans
Diderot lui-mme annonce frquemment une citation Les contemplations.
25. Paris, 1767.
par une virgule suivie parfois d'une majuscule. Le 26. C'est Littr et Robert qui se r a p p r o c h e n t le plus de cette dfini-
tion, mais aussi, dj, Restaut... Ce grammairien du xvm e sicle m o n t r e
souvent u n e modernit tonnante, n o t a m m e n t dans la dfinition d u
22. Article Encyclopdie d e Y Encyclopdie. point-virgule, qu'il tend employer c o m m e on le fait aujourd'hui.
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Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides
de trop ponctuer et de ne pas rompre l'unit de la pense affaire de ttonnement ou de fantaisie : ponctuer c'est dis-
globale . En tout tat de cause, les rgles nonces dans un squer les phrases et donner chacune de leurs parties le
ouvrage comme YEncyclopdie taient loin de faire auto- sens voulu par l'auteur. Base sur la logique, elle est uni-
rit ; et nombreux taient les imprimeurs qui n'en faisaient verselle, c'est--dire pour tous les idiomes de tous les
qu' leur tte, surtout lorsqu'il s'agissait de littrature de temps et de tous les pays, s'appliquant sans aucune diff-
bas tage (les romans, comme nous l'avons dit...). rence au grec, au latin, l'italien, l'espagnol, l'anglais,
l'allemand comme au franais 28 .
Au xix e sicle, un livre rellement spcialis parat : le L'extrme rigidit des rgles de la ponctuation, telles
Trait de ponctuation, de Ricquier 27 . Celui-l est entire- qu'elles sont nonces et appliques par les typographes
ment fond, ou presqu'entirement, sur la syntaxe. Les du xix e sicle, se remarque trs tt. On lit ainsi, dans une
signes recenss sont les mmes qu'aujourd'hui, cela dition d e 1828 d u Tableau descriptif, historique et pitto-
prs qu'il inclut dans la ponctuation l'alina, l'accolade, resque de la mile, du chteau et du parc de Versailles, u v r e
l'apostrophe, etc.: tous les signes sans correspondant immortelle (!) due la plume prcieuse de Vaysse de Vil-
phonmique... liers, des phrases qu'on dirait droit tires des manuels, tant
Dans ce sicle gonfl de rvolte s'panouit la ponctua- les virgules y sont distribues avec une minutie de pion :
tion acadmique. La lutte entre les typographes et les
auteurs tourna presque toujours l'avantage des pre- Le dernier alignement, qui ne commence, comme nous
miers. Cela se comprend : ils sont en bout de chane, et l'avons dit, qu'aprs la barrire, place jadis ce coude, et
gardent le mot de la fin. Ils ont d'ailleurs la ferme convic- recule depuis, afin d'augmenter les produits de l'octroi, se
tion d'tre les garants de la clart, et l'un d'entre eux crit : prolonge, pour la perspective, ainsi qu'on le voit en regar-
La ponctuation a une part trop importante la clart de dant derrire soi, travers les bois touffus dont est entoure
notre langue, comme de toutes les langues d'ailleurs, pour et domine de tous cts la ville de Louis XV.
l'abandonner aux caprices des crivains qui, pour la plu-
part, n'y entendent pas grand-chose. (N'tait l'inlgance de cette phrase hyperhypo-
taxique, qui ne saurait tre tenue pour modle, les
En tout tat de cause, la typographie du xix e sicle, sans
auteurs d'aujourd'hui, de gare ou d'acadmie, ne per-
doute sous l'impulsion donne par Ambroise Firmin-
draient rien mditer quelques instants sur cette ponctua-
Didot, a beaucoup corrig la langue des sicles prc-
tion militaire...)
dents, elle l'a billonnfe], camisol[e] dans des bande-
lettes de signes superflus, conformes aux bonnes murs
napoloniennes, crit Nina Catach.
28. Beauze, dj, dfendait la m m e d o c t r i n e : Il [Girard] s'est
Annette Lorenceau cite un numro de L'imprimerie encore mpris, crit-il, sur le titre d e son seizieme discours, qu'il a inti-
(avril 1876), dans lequel il est crit: La ponctuation est tul de la ponctuation franoise. U n systme d e ponctuation construit sur
l'anatomie du langage ou de la pense, et non point une d e solides fondements, n'est pas plus p r o p r e la langue franoise qu'
toute autre langue. C'est u n e partie d e l'objet de la G r a m m a i r e gn-
rale. Il fait preuve en tout cas d ' u n e constance certaine puisque sa
Grammaire gnrale porte en page d e titre la mention sert d e fonde-
27. Paris, 1876. m e n t l'tude d e toutes les langues .
40 Histoire, ides, histoire des ides
Histoire, ides, histoire des ides 41
Ce sicle rigide et puritain, mais dont un Balzac a dcrit
la corruption profonde, affiche volontiers la rigueur de sa bierre de bois qui ne sera cloue qu'au bout des quarante-
Loi. Le point, le point-virgule et la virgule envahissent les huit heures prescrites ci dessus l'expiration desquelles la
dite bierre sera cloue. [...] la fosse une fois recouverte il sera
textes comme de minuscules insectes nuisibles. Ds le
sem dessus des glands, afin que par la suite le terrain de la
xvm e sicle, on ponctue tout; on sme des points dans
dite fosse se trouvant regarni, et le taillis se retrouvant fourr
les endroits les plus innocents: au numro d'ordre des comme il l'tait auparavant, les traces de ma tombe dispa-
chapitres, au titre courant 29 , aux titres de chapitre, et jus- raissent de dessus la surface de la terre comme je me flatte
qu'au titre gnral du livre, qui ne saurait se passer de sa que ma mmoire s'effacera de l'esprit des hommes, except
positive griffe! Voici, par exemple, une page de titre nanmoins du petit nombre de ceux qui ont bien voulu
reprsentant assez bien cette cole de typographie m'aimer jusqu'au dernier moment et dont j'emporte un bien
furieuse: doux souvenir au tombeau.
Fait a charenton-Saint maurice en tat de raison et de
GNIE sant ce trente janvier mil huit cent six.
DE BUFFON, D.A.F. Sade30
ou On a du mal croire que, au moment mme o Sade fai-
CHOIX LITTRAIRE ET SCIENTIFIQUE DES MEILLEURS sait preuve d'une telle parcimonie dans l'emploi de la
MORCEAUX DE CET AUTEUR. ponctuation, les typographes aient pu lgifrer dans
Par un Ecclsiastique. l'ombre de leurs imprimeries, et prparer l'instauration
d'un systme dont la cohrence ne parvient pas masquer
TOURS, la rigidit. (Mais rien n'est tonnant : n'est-il pas vrai que
Donatien de Sade a tabli des vrits, dont l'clat nous
CHEZ MAME ET Cie, IMPRIMEURS-LIBRAIRES.
aveugle encore, une poque o l'on enfermait les tres
1839. humains sans mme qu'il part ncessaire qu'ils fussent
Pourtant, moins de vingt-cinq ans plus tt, Donatien de jugs? N'a-t-il pas, quelques annes plus tard, terroris
Sade ponctuait encore la manire du xvm e commenant, ceux qui exeraient la Terreur? L'histoire montre de ces
ainsi qu'on peut en juger la lecture de son testament contrastes.)
(1806), dont voici le dernier item cher Andr Breton
(ponctuation et orthographe sont celles du manuscrit) : Lorsqu'on lit Hugo, Baudelaire ou Zola, on est frapp
que la ponctuation semblt rpondre des rgles syntaxi-
cinquimement enfin: je defends absolument que mon ques fort strictes, mais laisst la place aux pauses orales
corps soit ouvert sous quelque prtexte que ce puisse etre. je et aux effets rhtoriques. Du moins peut-on le penser
demande avec la plus vive instance quil soit gard quarante-
huit heures dans la chambre o je decederai, plac dans une
30. D'aprs le fac-simil publi aux ditions Calligrammes (1987). La
graphie de Sade, claire et prcise au demeurant, est douteuse sur le cha-
29. O n n o m m e titre courant le rappel, en haut d e chaque page, du pitre des majuscules : il les trace c o m m e des minuscules agrandies ; cela
titre d e l'ouvrage. ne porterait pas confusion s'il n'avait aussi l'habitude d'agrandir la
lettre initale d e chaque mot.
100 Histoire, ides, histoire des ides 43
Histoire, ides, histoire des ides
aujourd'hui, grce aux ditions critiques que les cher- De mme, pour Houssiaux, une interrogation est une
cheurs nous ont prpares, et qui, seules, se sont affran- interrogation. Une phrase commenant par qui
chies de la tyrannie exerce par les typographes. Le lec- s'achve sur un point d'interrogation. Pourtant Hugo
teur de Victor Hugo, suivant qu'il ouvre l'dition Furne, la avait ainsi ponctu son sizain :
grande Ollendorf de l'Imprimerie nationale, ou une di-
tion moderne, ne lit pas le mme texte. Si l'on tire une Qui peut savoir combien de jalouses penses,
De haines, par l'envie en tous lieux ramasses,
pice au hasard, Ddain, par exemple, extraite des
De sourds ressentiments, d'inimiti sans frein,
Feuilles d'automne, on constate d'entre que le typographe
D'orages courber les plus sublimes ttes,
de l'dition intgrale Houssiaux (1857) est all jusqu' cor- Combien de passions, de fureurs, de temptes,
r i g e r l'exergue ( Yo contra todos, y todos contra yo , crit- Grondent autour de toi, jeune homme au front serein !
il, alors q u e F u r n e p o r t e : Yo contra todos y todos contra
yo); est-il all vrifier la graphie originale dans les Pour Houssiaux, la question est pose : il remplace donc
Romances du Cid, d'o Hugo dit l'avoir tire? Certes non, l'exclamation par une interrogation. Pour Hugo, la ques-
pour la raison simple qu'on ne l'y trouve pas ; les hispani- tion est de pure forme, elle ne se pose pas: nul ne sait
sants prtendent d'ailleurs qu'il et t plus correct combien de jalouses penses, etc. Et pas ce jeune homme,
d'crire contra mi que contra yo. Mais cela n'est en tout cas, puisqu'il enchane :
qu'anecdote. Le certain est qu'un typographe a corrig la
citation. Il n'a pas fait que cela. Voici les deux premiers Tu ne le sais pas, toi !
vers, tels qu'on les lit dans Houssiaux (Hetzel) :
Alors que Houssiaux, par son point d'interrogation,
Qui peut savoir combien de jalouses penses, laisse entendre que ce jeune homme pourrait savoir
De haines par l'envie en tous lieux ramasses, [...]. mais ne sait pas ! Il laisse entendre que d'autres pourraient
savoir, qui ne sont pas cits dans le pome.
Les voici dans l'dition critique de Pierre Albouy
Quant la rhtorique hugolienne, elle fait aussi les frais
( Bibliothque de la Pliade ), tablie d'aprs les manus-
de cette ponctuation d'diteur. Dans une numration
crits originaux :
dont tous les termes sont spars par des points-virgules,
Qui peut savoir combien de jalouses penses, Hugo glisse un point d'exclamation : la formule lui plat, il
De haines, par l'envie en tous lieux ramasses, [...] la souligne donc. Le point d'exclamation sera impitoya-
blement soumis par Houssiaux au rgime gnral, et
La rgle acadmique, au xix e sicle, directement issue
transform en point-virgule :
des prceptes de Girard et de Beauze, interdisait la vir-
gule dans l'inversion simple; Houssiaux n'a donc pas cru Il ne vous connat pas. Il dit par intervalles
bon de la conserver entre haines et par l'envie, sans Qu'il faut aux jours d't l'aigre cri des cigales,
s'interroger davantage... Si bien que, chez lui, seules les L'pine mainte fleur ; que c'est le sort commun ;
haines sont par l'envie en tous lieux ramasses. Que ce serait piti d'craser la cigale ;
Hugo, lui, avait crit que les jalouses penses et les Que le trop bien est mal ! que la rose au Bengale
haines taient par l'envie en tous lieux ramasses... Pour tre sans pine est aussi sans parfum.
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Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides
Signalons aussi que Houssiaux, pour faire bonne ... remplaant le point-virgule des premires preuves
mesure, a plac au Bengale entre virgules avant de par un deux-points, et corrigeant l'inverse la premire
donner le bon tirer. Bon tirer dessus ! se ft exclam dition...
Larbaud. On sait que le pote (Hugo) se plaignit amre- Il reste que les meilleures ponctuations, les plus dis-
ment de ce qu'il appelait les insectes belgicains (les crtes et les plus efficaces, se voient dans les livres du
virgules dont les typographes belges avaient maill xixc sicle, dans Zola, dans Stendhal, dans Chateau-
ses textes), ajoutant ainsi aux sarcasmes magnifiques de briand, dans Flaubert. Peut-tre cela tient-il ce que la
Baudelaire. syntaxe franaise est alors tendue comme une corde
Tels sont les mfaits des typographes. C'est leur suite piano, l'extrme limite de sa rsistance, et que la
que se sont colports les commentaires errons et les tra- ponctuation aide l'y maintenir; que l'une et
ditions contrefaites. Pour un Henri Chamard, combien l'autre s'assemblent et s'ajustent comme les pices d'une
d'diteurs abusifs 31 ! mcanique complexe. Nul ne s'avise de la compliquer
A leur dcharge, il faut avouer que les manuscrits sont davantage !
souvent fautifs tous gards ; les preuves sont corri-
ges avec un soin qui varie d'un auteur l'autre, c'est le
moins qu'on puisse dire ; et l'on ne peut exiger d'un prote Que souffler n'est pas jouer
qu'il fasse uvre d'rudit, collige les sources, et plante
son bivouac dans la grande salle de la Bibliothque natio- Depuis, la ponctuation ne cesse d'voluer, de s'enri-
nale. Prciser enfin que souvent auteur varie. Il suffit de chir, mesure que se restreint l'emploi qui en est
consulter une dition scientifique, de comparer les fait. (Voir, chapitre 9, l'histoire du point-virgule.)
variantes d'un mme texte, pour mesurer l'ampleur de ces Les signes sont plus nombreux, plus diversifis, plus
fluctuations. Ainsi, Baudelaire a corrig deux foix, mais prcis. On atteint, notamment dans les textes critiques,
en sens contraire, la ponctuation finale de ce vers (Parfum une vritable inflation de ponctuation: les pieds de
exotique) : mouche, les crochets, les chevrons, les barres verticales
ou inclines, s'ajoutent aux richesses de la typographie,
Je vois se drouler des rivages heureux italiques, petites capitales, exposants, indices, graisses
Qu'blouissent les feux d'un soleil monotone ; diverses...
Une le paresseuse o la nature donne En revanche, l'usage quotidien fait disparatre cer-
Des arbres singuliers et des fruits savoureux [.,.]. tains signes, et vide de leur sens ceux qu'elle conserve,
prenant l'un pour l'autre, ne reconnaissant plus les
identits, et renonant la hirarchie qui en rgissait
31. L'on pense au grand clat d e rire qui souleva le m o n d e d e l'art, le l'emploi.
j o u r qu'on s'avisa d e nettoyer La ronde de nuit, et qu'on dcouvrit, sous
la couche d e crasse accumule par les sicles sur les couleurs sombres d e
la toile, les traces d ' u n autre clairage, celui d u soleil... Il s'agissait d ' u n e
r o n d e d'aprs-midi... Vains, les commentaires sur les incohrences
gniales de Rembrandt, qui ne plaait pas les ombres o il fallait...
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Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides
L'tape qui a suivi en effet le triomphe du puritanisme acceptant la succession d'autres et, comme il ne s'agit pas,
imprial est la suppression de toute ponctuation dans la ainsi que toujours, de traits sonores rguliers ou vers
posie 32 : la corde s'est rompue. plutt, de subdivisions prismatiques de l'Ide, l'instant de
Il y eut d'abord Mallarm, avec Un coup de Ds jamais paratre et que dure leur concours, dans quelque mise en
n'abolira le Hasard (1897). scne spirituelle exacte, c'est des places variables, prs
On sait que ce pome est dpourvu de ponctuation ; il ou loin du fil conducteur latent, en raison de la vraisem-
est dcoup en grandes pages sur lesquelles Mallarm dis- blance, que s'impose le texte.
pose les mots et les blancs selon un ordre qui dpasse Voil qui est clair, dfaut d'tre explicite. Quant la
celui de la phrase, et use de diffrents caractres typogra- rfrence la parole, elle est dclare: Ajouter que de
phiques, des capitales, de l'italique. Apparat pour la pre- cet emploi nu de la pense avec retraits, prolongements,
mire fois l'expression espace de lecture que Mallarm fuites, ou son dessin mme, rsulte, pour qui veut lire
explique ainsi, dans sa prface: Les "blancs" en effet, haute voix, une partition. La diffrence des caractres
assument l'importance, frappent d'abord ; la versification d'imprimerie entre le motif prpondrant, un secondaire
en exigea, comme silence alentour, ordinairement, au et d'adjacents, dicte son importance l'mission orale et
point qu'un morceau, lyrique ou de peu de pieds, occupe, la porte, moyenne, en haut, en bas de page, notera que
au milieu, le tiers environ du feuillet: je ne transgresse monte ou descend l'intonation.
cette mesure, seulement la disperse 33 . Le papier intervient Ainsi l'avait compris l'acteur Christian Rist qui trouva
chaque fois qu'une image, d'elle-mme, cesse ou rentre, bonne, dans les annes quatre-vingt, l'ide de lire en
public ce grand pome. Circonstances et lieu de la lecture
taient l'avenant de l'imprieuse loi que s'tait dicte le
32. La prose n'a pas tard suivre. Nous verrons plus tard, avec Phi- pote. C'tait minuit, dans une loge de l'Odon. Deux
lippe Sollers, ce q u e cette suppression p e u t nous enseigner sur la ponc- spectateurs seulement taient admis par sance, apparis
tuation orale . Mais il faut aussi citer Albert Cohen, qui note les mono- par Rist lui-mme selon des critres encore obscurs. Les
logues intrieurs d'Ariane (dans Belle du seigneur), nouvelle Molly
Bloom, en les e x o n r a n t de tout signe, afin de r e n d r e la continuit d e la
deux spectateurs taient assis cte cte, face au miroir
pense, de la rverie, et ses incongruits ; car la pense, c o m m e le foudre, entour d'ampoules; derrire eux, l'acteur, debout; et
va par lignes brises. C'est u n e preuve, a contrario, d e l'importance de la donc visible par eux dans le miroir chacun voyant les
ponctuation en tant qu'elle structure et p e r m e t u n e lecture structure : deux autres. Entre eux, pose la place des pots de crme
[...] j e ne descendrai pas non je ne veux pas voir le type tant pis si scandale oh
et de fard, la grande dition d'Un coup de Ds'M. Rist
j e suis bien dans mon bain il est trop chaud j ' a d o r e a tralala dommage j ' a r r i v e ralisait ce que dcrit Mallarm dans sa prface, cela
pas siffler vraiment bien comme u n garon oh j e suis bien avec moi les tenant prs qu'il y ajoutait le geste, pointant d'un doigt exact
deux mains j ' e n soupse l'abondance j ' e n prouve la fermet ils me plaisent
follement au fond j e m ' a i m e d ' a m o u r Eliane et moi neuf dix ans on p a r t a i t tel mot, tel blanc. Ainsi s'ajoutaient entre elles diverses
pour l'cole l'hiver on se tenait p a r la m a i n d a n s la bise glace la chanson q u e couches d'information (plusieurs sources auditives, plu-
j ' a v a i s invente on la chantait lugubrement on chantait voici q u ' i l gle pierre
fendre sur les chemins et nous pauvres devons descendre de b o n matin voil
sieurs sources visuelles), tendant rendre compte de la
c'est tout et puis on recommenait [...]
33. Il semble q u e les blancs aient t calculs p a r Mallarm, et qu'il 34. Ralise p a r Mitsou Ronat et Tibor P a p p p o u r les ditions Change
errant/d'atelier (1980).
faille les relier au douze, n o m b r e d'or d e la posie.
100 Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides 49
fantastique complexit que revt l'arborescence, la raison (A la lecture de cette lettre, on constate que la ponctua-
d'tre de ce pome mythique. lion, jusques et y compris dans la prose pistolaire, n'tait
A coup sr, la ponctuation franaise n'y suffisait pas. point le souci d'Apollinaire.)
(Pour tout dire, la lecture de Christian Rist non p l u s - Michel Dcaudin crit: Explication laquelle on pour-
Tant il est vrai que ce qui ne peut tre ponctu ne peut rait trouver deux confirmations: d'une part l'anecdote
tre entendu.) selon laquelle il triomphait en constatant que ceux qui il
faisait lire son livre pour la premire fois n'taient pas
Apollinaire, la suite de Mallarm, de Rouault et de gns par la disparition des signes de ponctuation; en
Marinetti, dcide u n beau j o u r (fin 1912) d'expurger les second lieu la diction mme d'Apollinaire qui, on le sait,
preuves d'Alcools de toute ponctuation sans p o u r avait enregistr plusieurs de ses pomes pour les Archives
autant aller jusqu' gommer les blancs qui sont pourtant le de la Parole en 1913 : chaque vers est isol par un silence,
signe premier d'un dsir de ponctuer, ainsi que le prouve et dit d'un seul souffle, comme chant sur un air de
la savante rpartition qu'en font Mallarm, dans son mlope. O n remarquera, d'ailleurs, que rares sont dans
grand pome, et Znodote d'Ephse, dans les manuscrits cette posie rejets et enjambements.
de sa bibliothque alexandrine.
Sur ses brouillons, ajoute Dcaudin, il termine cou-
O n sait que certaines pices d'Alcools avaient paru dans ramment u n vers par un point; en revanche, il n'en met
des revues, nanties de leur ponctuation normale 35 . Dans pas toujours la fin des phrases. Ses lettres, ses manuscrits
son ouvrage, tout entier consacr au recueil d'Apolli- offrent le mme dsordre, qui pose l'diteur d'incessants
naire 36 , Michel Dcaudin cite u n e lettre Martineau, dans problmes. S'agit-il d'imprimer, son attention s'alarme
laquelle le pote s'explique : peine: nous avons de Salom plusieurs versions dont
Pour ce qui concerne la ponctuation j e ne l'ai sup- les variations de ponctuation ne relvent apparemment
prime que parce qu'elle m'a paru inutile et elle l'est en d'aucune intention prcise.
effet, le rythme mme et la coupe des vers voil la vri-
Peut-tre pourrait-on tirer de cela que la suppression
table ponctuation et il n'en est point besoin d'une autre.
des signes obissait une volont plus imprieuse?
Mes vers ont presque tous t publis sur le brouillon
Qu'elle a obi d'autre urgence? Celle, pour le pote,
mme. J e compose gnralement en marchant et en chan-
d'tre Absolument Moderne? Car enfin, celui qui crivait
tant sur deux ou trois airs qui me sont venus naturelle-
que ... l'Orthographe, l'Etymologie, le Phontisme n'ont
ment et qu'un de mes amis a nots 37 . La ponctuation
aucune importance. La langue parle doit passer avant la
courante ne s'appliquerait point de telles chansons.
langue crite. Ce n'est pas l'y qui donne de la grce aux
nymphes 38 tait celui-l mme qui notait dans un carnet
35. O n possde aussi, de Breton, quelques textes dans les deux tats :
tous les mots rares dont il voulait faire usage: asit,
ponctu, n o n ponctu.
36. Le dossier d' Alcools, Droz et Minard, 1971.
37. Les airs sur lesquels Apollinaire composait [...] n'existent pas, a 38. C o m p a r e r avec Francis Ponge: LE GYMNASTE. Comme son G
dclar Andr Rouveyre Andr Spire. J ' e n ai parl depuis des fami- l'indique, le gymnaste porte le bouc et la moustache que rejoint presque
liers. Il semble bien que ce n'tait p o u r quiconque en dehors de lui que u n e grosse mche en accroche-cur sur u n f r o n t bas. Moul dans u n
des sortes d'improvisations plus simplement phontiques que musicales maillot qui fait deux plis sur l'aine il porte aussi, comme son Y, la q u e u e
prcisment. (Cit par Michel Dcaudin.) gauche. (Le parti pris des choses.)
100 Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides 51
hmatidrose, aphlie, emphytose, etc., car le prcieux est Ce quatrain, le premier de Salom, vaut-il vraiment
patant; celui-l mme qui avait not, sans avoir l'air d'y mieux que celui-ci, tel qu'il parut la premire fois?
toucher : Monsieur Rouault ne met pas de ponctuation
dans ses pomes. ; celui-l mme qui avait crit un pome Pour que sourie encore une fois Jean-Baptiste,
en vers rguliers pour un concours du Matin , et qui, Sire, je danserais mieux que les sraphins.
aprs s'tre vu voler le prix par un autre, l'avait disloqu Ma mre, dites-moi pourquoi vous tes triste,
En robe de comtesse, ct du Dauphin ?
en expliquant: Que voulez-vous? En vers rguliers, mon
pome n'a pas plu aux yeux d'un jury classique. Je l'ai
Il faut vritablement faire effort pour le penser. (En
foutu en vers libres l'usage des gens intelligents. Ainsi,
revanche, un lecteur sensible fera remarquer que l'absence
l'on voit que Guillaume Apollinaire n'avait pas plus
de virgule, avant et aprs Sire, fait perdre de sa
d'estime pour l'intelligence que pour l'acadmisme.
noblesse au vocatif; que l'absence de point, aprs sra-
Les mous ont suivi. Car, comme le dit Guy Debord:
phins , ne laisse pas sentir aussi fortement le changement
Quand " tre absolument moderne " est devenu une loi
d'angle qui intervient dans le regard de Salom, tentant
spciale proclame par le tyran, ce que l'honnte esclave
de sduire Hrode, et simulant l'inquitude la vue
craint plus que tout, c'est que l'on puisse le souponner
d'Hrodiade.)
d'tre passiste39.
Lorsque la langue se fait plus prcieuse, le travail du lec-
Pour ce qui est du triomphe , dont parle Dcaudin,
teur se fait plus pnible :
que signife-t-il, si ce n'est que la langue d'Apollinaire, et
sa prosodie (la rythmique obsdante, les anapestes
Et tous les lys quand vos soldats roi Hrode
longueur de vers, l'absence d'enjambements par lui note)
L'emmenrent se sont fltris dans mon jardin
taient suffisamment simples pour qu'on pt rtablir ce
qu'il avait dlibrment supprim ? On sourit, l'ide qu'Apollinaire ait pu lire ces vers
Sa posie se passait-elle vritablement de ponctua- comme Dcaudin dit qu'il faisait: Et tous les lys quand
tion 40 ? Non pas: les signes en taient cachs, voil tout. vos soldats roi Hrode , puis un blanc, puis : L'emme-
Il revenait au lecteur de les dcouvrir. Un petit travail nrent se sont fltris dans mon jardin ...
supplmentaire pour lui. Et qu'est-ce que c'est que ce respect dsuet pour les
Lisons : majuscules en dbut de vers? Pour cette majuscule
Pour que sourie encore une fois Jean-Baptiste Dauphin? Qu'est-ce que c'est que cette orthographe
Sire je danserais mieux que les sraphins soigne ?
Ma mre dites-moi pourquoi vous tes triste L'on pourrait aisment paraphraser Erik Satie, et dire :
En robe de comtesse ct du Dauphin Apollinaire refuse la ponctuation, mais toute sa posie
l'accepte.
39. Pangyrique, C h a m p libre, 1989. Ce n'est pas le cas de toute posie, il s'en faut! Voir :
40. Parce qu'il ponctuait tort et travers, Guillaume Apollinaire
dcrta que toute ponctuation, et la meilleure du monde, ruinait toute
posie. (Ren Etiemble, L'criture.)
52
100 Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides
troisime dimension, comme l'a fait la peinture cubiste d'esprits forts. La ponctuation parachve les vertus de
C'est la raison pour laquelle l'il, et non le code, a t l'criture.
appel la rescousse. Vritablement, ce pome ne pour
rait exister sous une autre forme : pas plus qu'il ne saurait Pourtant il ne faut pas ddaigner, dans cette pratique
tre question d'crire une toile comme Les demoiselles de suppression, l'effet de continuit, d'ambigut, qui,
d'Avignon. lorsqu'il est contrl, n'est pas sans ajouter au sens du
Dans l'Apollinaire d'Alcools, au contraire, la phrase se texte. Dans la prose, l'effet obtenu est plus douteux. Maza-
droule comme l'habitude et les signes de ponctua leyrat et Molini crivent ce sujet: La pratique atteint
tion suffiraient lui donner son articulation. Mme le un point extrme lorsque la prose mme supprime la
blanc n'est pas employ autrement qu'il ne le fut dans ponctuation, connotant la fois le ddain des vtilles
La chanson de Roland... grammaticales et la rfrence une esthtique d'affran-
Depuis, ce signe primitif, qui est la posie crite ce chissement. Mais le texte n'en est dans sa perception ni
que la parataxe est la langue, connat une gloire toujours orient ni enrichi. Et le malaise qu'on ressent ne tient pas
alimente, et sur laquelle il n'est pas ncessaire de seulement de botiennes habitudes.
s'tendre. A l'articulation on prfre la juxtaposition. Ei On traitera donc l'absence de ponctuation dans les
pour un Maurice Roche, qui, dans Compact, par exemple textes modernes dans les anciens elle est affaire d'his-
a su tirer les leons de Mallarm, on trouve quantit de toire avec attention, mais circonspection. Ses valeurs en
potes, inoffensifs ou adolescents, pour qui le blanc et posie d'clairage particulier du texte et de notes d'inter-
l'absence de ponctuation restent les marques d'un genre prtation sont assurment considrer ; les connotations
nomm posie, qui ne pourrait s'en passer, sous peine de qui s'y attachent mritent sans doute rflexion: deux
n'tre plus qu'un banal nonsense. Oui : les marques, l'uni- plans d'observation. Sa place dans une tradition crite et
forme de faon que, si l'on ne respecte pas ces visuelle du message littraire est marquer l'occasion.
pomes , du moins respectera-t-on leur costume. Mais il y aurait peut-tre quelque excs en faire un com-
De ses versets, crits la manire des psaumes, mais posant actif d'une matire textuelle dont elle n'est que
aussi comme Claudel, Saint-John Perse ou Patrice de la l'cume43.
Tour du Pin, Aragon disait42 qu'ils taient des vers non Si l'une des tches de la ponctuation est de lever les
compts , de la prose non ponctue , et ajoutait : Cette quivoques 44 , la suppression de tout signe vise les
sorte de vers exige la disparition de la ponctuation, qui le
transformerait en prose, en bouleversant les tenues de
voix. [...] La prose se lit en fonction de la ponctuation. 43. Vocabulaire de la stylistique, P.U.F.
44. O n sait le soin q u ' a p p o r t e n t les diplomates la rdaction des
Mais Etiemble crivait: Bien que, pour comprendre
textes de traits... U n e virgule mal place, et c'est u n e frontire qui dm-
Alcools coup sr, il faille constamment recourir aux tats nage... Lors des Rencontres d e la traduction littraire (Arles, 1988),
ponctus des pomes, bien des nigauds la page veulent Hubert Nyssen s'est rgal : les nouveaux freudiens (les freudiens nou-
se persuader qu'en ne ponctuant pas ils acquirent brevet veaux?) se sont heurts, dit-il, la ponctuation allemande en voyant
que "les psychanalystes qui connaissent l'allemand sont... etc." n'avait
pas le mme sens que " les psychanalystes, qui connaissent l'allemand,
42. Dans u n e srie d'entretiens radiophoniques. sont... etc. ", mais alors pas du tout le m m e sens .
100 57
Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides
rtablir. Comme le mot-valise de Lewis Carroll agglutine faire demi-tour. Vaugelas considrait l'quivoque comme
nouveau ce que le blanc avait spar. Pour ma part, une des fautes les plus graves qu'il se pt commettre. Je
disait encore Aragon, j'aime les phrases qui se lisent de sais bien, crit-il la fin de ses Remarques, qu'il y en a quel-
deux faons, et sont par l riches de deux sens entre les- ques-unes que l'on ne peut viter. [...] Mais dire le vrai, je
quels la ponctuation me forcerait choisir. Or, je ne veux voudrais toujours l'viter autant qu'il me serait possible ;
pas choisir. Si je veux crire les deux choses, il me faut car aprs tout, c'est aux paroles de faire entendre le sens
donc bien crire moi-mme, choisir moi-mme mon qui et non pas au sens de faire entendre les paroles, et c'est
voque. Cette nouvelle sorte d'quivoque volontaire est un renverser la nature des choses que d'en user autrement.
enrichissement. Ce sont les plaisirs de ce que le musicien Un imprimeur-grammairien du xvin e sicle, Fertel, dit
appelle enharmonie ils se dfendent trs bien ! que la ponctuation est trs-ncessaire pour le soulage-
Mais cela on peut rpondre, avec crainte mais fer- ment de celui qui doit faire la lecture . Et Condillac : Ce
met, que toute l'histoire de la posie franaise illustre au n'est pas assez que, quand on a lu une phrase, on sente la
contraire une incessante qute de la clart, de Jean de vraie liaison des ides ; il faut que ds les premiers mots
Meung jacques Roubaud : la posie est peut-tre bien l'art on ne puisse pas s'y mprendre.
de mordre dans les notions, comme disait Ponge; ou Notons que, paralllement la suppression gnralise
rpliquer, plus simplement encore: Francis Ponge, cri- de la ponctuation dans le genre posie , certains auteurs
vain du pothique 45 (Perros), fut un pote plus grand que (de posie) considrent au contraire les signes comme
Louis Aragon, car de plus grande moralit franaise, hri- autant d'auxiliaires capables de diriger la lecture ; le choc
tier vrai de son matre Malherbe. Le reste est bavardage. entre une syntaxe trs complexe et une ponctuation trs
Et comment ne pas voir la ponctuation suivre de sa complte leur parat plus riche de consquence. Andr du
longue thorie de signes cette profession de foi : C'est de Bouchet, par exemple, commence ainsi son recueil O le
plain-pied que j e voudrais qu'on entre dans ce que j'cris. soleil :
Qu'on s'y trouve l'aise. Qu'on y trouve tout simple.
Qu'on y circule aisment, comme dans une rvlation, O le soleil
soit, mais aussi simple que l'habitude 4 ".? Enfin, cet le disque froid de la terre, le disque noir et pitin, o le
soleil a disparu jusqu' l'air, plus haut, que nous n'habi-
ouvrage n'est pas un lieu pour une telle querelle. La ponc-
terons pas.
tuation n'est que vassale de ces seigneurs ennemis.
Tout minime qu'elle soit, elle est indue, la dpense Puis, quelques pages plus loin :
d'nergie intellectuelle fournie par un lecteur pour dis-
siper une quivoque. L'auteur est toujours coupable de O la terre, aujourd'hui,
l'avoir entran sur une mauvaise piste, et contraint de sous cette
charge, submerge le soleil, toute, l'entourant, comme
l'herbe en meule au pr abrupt,
45. De l'utilit des mots-valises. Q u i n'est d'ailleurs plus prouver.
je l'ai vue.
Ponge lui-mme n'a-t-il pas crit des Promes? chant Yobjoie? C'est des
penses-valises qu'il faut se mfier.
46. In Le grand, recueil.
100
Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides 59
Avouons que Proust, avec ses moyens, parvint comme Les universitaires ont glos, au chapitre de la bataille
Mallarm une langue presque volumique. C'est que les que les auteurs ont livre contre les typographes (ou que
signes, chez lui, tendent s'indiffrencier ; qu'ils pour- les diteurs posthumes ont gagne contre les auteurs), sur
raient assez aisment tre changs ; et que leur fonction le diffrend qui opposa Gide, alors en Afrique, son ami
affaiblie entrane les membres de phrase s'empiler Roger Martin du Gard, charg par lui de veiller l'dition
comme des disques ou plutt comme les couches de cer- des Faux-monnayeurs48. Un malentendu de plus. La que-
tains entremets : on les voit, mais on ne les distingue plus, relle est suffisamment exemplaire pour qu'on en donne
tant elles ont fondu leur saveur dans une trop grande les pices justificatives principales, savoir: la lettre de
paisseur. Avant lui, la prose tait la mme que celle Martin du Gard qui dcrit assez prcisment l'image
contre quoi Mallarm avait construit Un coup de Ds: qu'on se faisait alors de la ponctuation et la rponse de
linaire; sitt le signe pass, l'esprit expulse ce qui le pr- Gide, qui dgonfle la baudruche en la perant d'une
cdait, pour s'intresser tout entier ce qui suit ; ainsi, la flche inattendue 49 . Le 10 octobre 1925, Martin du Gard
langue est u n e chane dont les maillons sont dlaisss crit Gide, et lui annonce que les preuves 50 de son livre
mesure qu'elle se droule. Tandis que, chez lui, l'affadisse- sont arrives, qu'elles ont t corriges, non sans mal :
ment de la ponctuation joint l'allongement de la priode [...] Mes colres venaient surtout de la forme. (Je ne
provoque une concrtion des membres de phrase. La parle pas de quelques chapitres que j e ne trouve pas
russite de cette opration n'est pas constante; mais le russis, le Profitendieu du dbut, la soire des Argo-
moins tonnant est que l'unit de mesure s'est une fois nautes, la visite de Cob-Lafleur Passavant...) D'abord j e
pour toutes dcale d'un cran : la proposition n'est plus dois vous dclarer tout net que nous ne nous entendrons
qu'un sous-ensemble, et la priode, si longue qu'elle soit, jamais sur la ponctuation. Vous semblez agir absolument
domine la pense de sa hautaine indiffrence 47 . Inutile de au hasard, sans accepter aucune convention tablie (ce qui
dgager la construction d'une phrase proustienne: elle ne serait rien, si, du moins, vous aviez tabli vos lois et si
n'est point faite pour cela, et France ou Gide se prteront vous vous y conformiez.) Je ne plaisante pas du tout. J e
mieux ce trs cicronien exercice. Comme u n e fugue de suis trs en colre. Cela me fait beaucoup souffrir. Vous
Bach, elle n'existe qu'arborise, elle ne prend son poids employez tort et travers, les guillemets, les tirets, les
que dans la simultanit des informations qu'elle
transmet; il est vain de vouloir les mettre plat.
48. Martin d u Gard, qui le r o m a n est d'ailleurs ddi, se prtera sou-
vent cet exercice. Il corrigera de nouveau les preuves des Faux-mon-
47. O n constate en musique la m m e volution : Haydn se c o m p r e n d nayeurs, p o u r u n e rdition, en 1943.
la mesure, Beethoven crit quatre mesures p a r quatre mesures, et 49. A n d r Gide et Roger Martin du Gard, Correspondance, 1913-1934
Bruckner pense la page. Le r a p p r o c h e m e n t n'est pas fortuit, puisque la (vol. 1).
musique, ainsi q u e n o u s l'avons dit, possde elle aussi son systme d e 50. Les secondes, semble-t-il, puisque la copie est dj imprime, ainsi
ponctuation. que le dit Roger Martin du Gard, et que le confirmera Gide.
100 Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides 61
parenthses, les points et virgules, etc. Dans une mme ma mthode sans imposer compltement la sienne, ont eu le
page vous vous contredites [sic] trois fois, ce qui prouve plus triste rsultat : un compromis absurde. Auquel j'ai port
que vous n'obissez vraiment aucune rgle. C'est inou remde en corrigeant neuf les preuves sur un exemplaire sp-
cial que je vois hlas ! qu'on ne vous a pas remis...
d'illogisme. S'il y a bien un domaine o une mthode un
peu rigoureuse soit ncessaire, c'est bien dans celui-l! Allons! tout le monde tait d'accord... Et haro sur
Ces signes sont faits pour donner de la clart, aider la Paulhan.
comprhension ; mais il est ncessaire de les utiliser avec De cet change pistolaire il est possible de tirer la doc-
une logique absolue. Si vous m'aviez remis un manuscrit trine qu'on avait au dbut du sicle en matire de ponc-
dactylographi, j'aurais pris sur moi de tout remettre en tuation. Elle doit tre cohrente avant tout, rgie par u n
ordre, et de faire sur votre texte le travail de clarification systme prcis, constant et reconnaissable par le lecteur.
que les diteurs de Montaigne ou de Mme de Svign ont En cela, elle est importante. Pour le reste... D'ailleurs, les
fait sur les Essais ou sur les Lettres, pour tablir un texte critiques de Martin du Gard, justifies par les corrections
acceptable 51 . Ne tremblez pas. Je n'en ai rien fait. Je abusives de Paulhan, ne semblent porter que sur les
n'en ai rien fait parce que j'avais devant moi un texte conventions typographiques et la manire de marquer
imprim, publi par vous dans la N.R.F., un texte dont vous les dialogues. Les ditions courantes des Faux-monnayeurs
aviez relu et corrig les preuves; d'o il m'a fallu sont aujourd'hui, en tout cas, d'une correction parfaite
conclure, avec dsespoir, que cette sarabande guigno- tous autres gards. Le livre obit aux rgles telles qu'elles
lesque des signes, non seulement ne vous choquait pas, taient dfendues par la typographie de l'poque, et qui
mais avait votre approbation. J'tais musel. Je ne me suis continuent d'avoir cours ici et l: peu de choses prs
donc permis qu'un nombre minimum de redressements : celles qu'observent Stendhal, Balzac et Baudelaire.
simplement l o c'tait par trop inacceptable. [...] (On a
tout de mme le sens des hirarchies...) Si nous parlons de lutte, de combat, ce n'est pas
pour donner un relief artificiel quelque discussion
Gide rpond aussitt: d'crivains pointilleux. Il s'agit bien d'pres changes, de
Mon cher Roger, ngociations, d'armistices. Larbaud 52 raconte qu'il voulait
Votre excellente lettre (o vous me parlez longuement crire, dans Allen :
des Faux-monnayeurs et en particulier de leur dfectueuse
ponctuation*) m'a fait un plaisir extrme (n'tait pr- Vous, devenez [...].
cisment que ce que vous me dites de la ponctuation me
consterne, car j'y apporte le plus grand soin et y attache la Le typographe s'y opposa, invoqua l'usage, la rgle : on
plus grande importance). ne spare point le sujet du verbe. Mais Larbaud voulait les
sparer, non pas qu'il s'agt d'un vocatif, mais plutt d'une
[en note ] * Au sujet de laquelle j'ai crit Paulhan une lettre insistance. Il voulait que l'on comprt :
dsespre : de son chef il a apport quantit de modifications,
(en particulier dans l'emploi des ) qui, venant l'encontre de Quant vous, vous devenez [...].
... comme on aurait dit : elui d'un linguiste belge, Albert Doppagne 54 , et celui
du chef correcteur au journal Le Monde, Jean-Pierre
Lui (,) devenait...
Colignon55. Les grammaires ne donnent que peu d'indica-
Refus du typographe: la rgle, l'usage... Insistance de llons, vagues et/ou contradictoires. Les dictionnaires cou-
Larbaud, qui invoque la ponctuation espagnole, et qui ne rants56, les encyclopdies, ignorent la question ; Grevisse
savait pas qu'en 1939 le grammairien Jacques Damourette l'aborde contraint et forc; quant Brunot, dont les
avait rclam pour cet usage un nouveau signe, la pau- vingt-trois volumes bleus57 forment, avec le dictionnaire
sette, figure par une virgule renverse... Obstination du de Littr, le plus beau monument jamais lev la gloire
typographe. Il fallut en appeler l'arbitrage de l'diteur. de la langue franaise, il s'excuse de ne pas entrer dans le
On trancha: il y aurait bien une virgule, mais Larbaud dtail de cette laborieuse et subtile analyse . Laborieuse
devrait l'expliquer par une note en bas de page. Il fallut se et subtile, il est vrai. A l'vidence, la thorie de la ponctua-
plier ce jugement qui aurait fait ricaner le roi Salomon ! tion, alors qu'elle continue dans les faits d'opposer
Larbaud, en son for intrieur, comptait bien supprimer auteurs et typographes, qu'elle intresse de prs tous ceux
cette note superflue dans une dition ultrieure. Ce qu'il qui ont jamais crire, est maintenant du seul ressort des
fit. Si cela ne ressemble pas un armistice, avec ce que linguistes universitaires.
cela suppose d'amertume, d'arrire-penses, mais aussi
d'absurde et de drisoire, qu'est-ce donc?... Que la ponctuation n'est ni plus ni moins qu'elle-mme
Aujourd'hui, trois protagonistes sont engags dans la
bataille : l'crivain, qui, le plus souvent, se rclame d'une La ponctuation n'est pas essentielle. Voudraient faire
ponctuation respiratoire; le grammairien, qui voit croire le contraire le pion qui se prend pour Valry, le
dans la ponctuation une simple partie de la syntaxe; le
typographe (devenu claviste ), qui rectifie les erreurs les 54. La bonne ponctuation, Duculot, 1984.
plus grossires (quand il sait encore le faire), se bornant 55. La ponctuation, art et finesse, chez l'auteur, 1981. A cet gard, o n
l'application pure et simple des lois que recle un ouvrage peut signaler q u e de n o m b r e u x traits d e ponctuation f u r e n t rdigs p a r
quasi mythique et dont la seule vocation suggre l'emploi des correcteurs d'imprimerie, c o m m e Tassis, qui fut collaborateur d e
Didot, vers le milieu du xix e sicle; et q u e le trs clbre Dictionnaire des
massif des majuscules : le CODE TYPOGRAPHIQUE.
difficults de la langue franaise, d'Adolphe Thomas, est d lui aussi u n
A quoi il faut ajouter le secrtaire de rdaction, qua- correcteur (de chez Larousse). Revoir la copie des autres excite le dsir
trime personnage, jeune souvent, et mystrieux toujours, d e lgifrer u n e fois p o u r toutes. (Voir Bibliographie.)
qui travaille aux cts du journaliste que l'crivain est 56. O n trouve u n e notice discrte dans le Grand Robert, p e i n e plus
presque toujours devenu : il tient Grevisse sous son coude consistante dans le Grand Larousse de la langue franaise.
57. Histoire de la langue franaise, des origines nos jours, 1916-1938,
gauche, et le Code typographique sous le droit. rdition A r m a n d Colin, 1966-1972. La collection, laisse inacheve p a r
Le xx e sicle a vu l'explosion de tous les systmes, Ferdinand Brunot, a t complte p a r Charles Bruneau qui, son tour,
malgr quelques survivances de mcanismes anciens. On ne put mener terme son tude. Le d e r n i e r volume, publi en 1972,
ne trouve actuellement 53 que deux traits de ponctuation, concerne la p r i o d e raliste (aux alentours d e 1880). Grald Antoine et
Robert Martin ont entrepris de poursuivre la collection. Leur p r e m i e r
volume a p a r u en 1985, et recouvre la p r i o d e 1880-1914 (Editions d u
53. En 1989. C.N.R.S.).
100 Histoire, ides, histoire des ides 65
Histoire, ides, histoire des ides
correcteur pour Littr, et les cuistres en gnral. La ponc- lion nombre de propositions, de complments, que sais-je,
tuation n'est pas mme importante : elle occupe l'espace qu'elle est quilibre ou non ; sa ponctuation ne ferait que
qu'on lui concde, et ne montre aucune vise expansion- confirmer cette certitude.
niste. Elle ne soulve pas l'enthousiasme ; elle ne rvolte
personne. On lui porte une attention polie. Inquite tout Pierre Larousse, qui ne fut pas seulement un lexico-
au plus. Elle sait se tenir; elle a dfinitivement pris des graphe de grand talent, mais aussi un excellent grammai-
quartiers d'hiver o ne viennent la visiter que les gens de rien, dont l'ouvrage, fourni gratuitement par la Ville de
mtier. Quelques-uns... Paris ses coles communales, une excellente gram-
Au xvm e sicle, l'abb Girard notait 58 : Il est trs-vrai maire89, soutient encore la comparaison avec les plus
que par rapport la puret du langage, la nettet de la doctes traits du bon usage, avait rpondu George Sand
phrase, la beaut de l'expression, la dlicatesse & la dans les colonnes de son grand dictionnaire, et d'une
solidit des penses, la ponctuation n'est que d'un mince manire fort pertinente. Il concluait: En rsum, si
mrite [...] mais [...] la ponctuation soulage & conduit le chaque caractre de style semble avoir sa ponctuation, ce
lecteur. n'est pas que la ponctuation soit arbitraire, c'est que l'cri-
vain multiplie volontairement les occasions d'en appli-
La ponctuation ne fait pas le style. Dans sa clbre lettre
quer les rgles. A l'excs, parfois. C'est ainsi que l'abb
Charles Edmond, George Sand crivait : La ponctuation
Mugnier, le plus attachant des ecclsiastiques mondains,
a sa philosophie comme le style. [...] La ponctuation est
mais le plus mauvais ponctueur qu'il se puisse ima-
encore plus l'homme que le style. Premirement, Sand
giner, ne mangeait pas tous les jours (grce au ciel, les
montre qu'elle n'a pas compris Buffon, lequel avait
princesses ne manquaient pas de pourvoir son assiette de
affirm que le style est de l'homme mme, par opposi-
mets nourrissants)... C'est du moins ce qu'il faudrait croire
tion simple avec l'information, la connaissance, qui sont
la lecture de son Journal :
de tous ; deuximement, Sand elle-mme ponctuait assez
intelligemment, mais, malgr les conseils de Musset, cri-
vait avec une extrme, impardonnable ngligence. Inver- Dn, hier Faubourg Saint-Honor, avec la princesse
sement, de grands crivains, penseurs, stylistes et potes Bibesco. (18.XII.1911)
ponctuent fort mal (Rousseau en est le meilleur exemple,
et certains prtendent Apollinaire un grand auteur ; mais Dn hier, chez la princesse Bibesco. (25.XII.1911)
on peut songer, plus prs de nous, Ren Daumal,
Dn, hier, chez la princesse Bibesco. (28.1.1912)
Henri Michaux, Perec...). Ce point, plus encore que le
prcdent, rend la ponctuation sa vritable valeur.
Q u e n'a-t-il, s i m p l e m e n t , dn hier chez la princesse
La ponctuation SUIT le style ; elle ne fait que lui donner Bibesco ! La virgule le rend affam...
son relief, sa lisibilit. Un crivain qui crirait haute
voix, comme font souvent les bons crivains, constaterait
que sa phrase est bien ou mal rythme, qu'elle compte le
58. Cit p a r Beauze d a n s sa notice d e l'Encyclopdie. 59. Grammaire suprieure (troisime anne), Larousse, 1880.
100
Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides 67
tation du numro de Langue franaise consacr au corps de blinds. La ponctuation ne fait pas le style, mais
sujet : Tout ce que nous souhaitons, c'est qu'un nombre rlle le rvle, le grossit comme ferait une loupe ; elle le
toujours plus grand d'historiens et de linguistes, de biblio- reprsente, aussi, ambassadeur d'une pense et d'une
graphes et de spcialistes de la littrature, nous aident, langue dont l'laboration reste trangre au lecteur. La
par leur rflexion et l'tude des textes anciens et ponctuation est Vanalogon du style littraire qui est,
modernes, assembler les lumires ncessaires [etc.]62. ainsi que l'crivait Michel Foucault, sous la ncessit sou-
Elle parle en effet de la fonction de metteur en scne veraine des mots employs, la possibilit, masque et dsi-
que remplirait la ponctuation ; et l'on sait que le metteur gne la fois, de dire la mme chose, mais autrement.
en scne n'est pas l'auteur... Elle cite Gassiodore: Les (Raymond Roussel. )
signes de ponctuation sont comme les guides du sens et La responsabilit porte par les typographes du
les lumires des mots, aussi instructifs pour les lecteurs xixe sicle, Didot en tte, n'en est que plus lourde. En
que les meilleurs commentaires. La phrase, parce qu'elle ponctuant de la mme manire tous les textes qui leur
parle de guides , voque la mme ide. taient confis, ils en modifiaient l'apparence, comme un
(Hlas, Catach termine son paragraphe en posant une chef d'Etat qui exigerait de l'missaire soudanais qu'il se
question dont la pertinence est loin de sauter aux yeux: vte de la mme manire que le japonais, et du japonais
Parviendrons-nous un jour, se demande-telle, commu- qu'il adopte le costume du Parisien. Les Didot ont propre-
niquer avec des traits et des points? Serait-ce l le langage ment travesti les auteurs anciens en les faisant passer pour
de l'avenir? Elles sont bien oublies, les ambitions de ce qu'ils n'taient pas; notamment, ils confraient de la
Mallarm...) rigueur aux styles les plus relchs, tels ces chirurgiens
Les penses sont nonpareilles ; les poques, les esthti- d'aujourd'hui, capables de vous faire croire que ce visage
ques. Les textes sont donc diffrents. Les ponctuations doit son lisse sa jeunesse, tels ces ncrophages de la
changent avec eux, car on ne construit pas le mme pont musicologie qui s'empressent comme de mauvaises fes
selon qu'on veut faire traverser une file de pitons ou un autour des symphonies inacheves, s'efforant de leur
procurer une fin digne de ce nom, cette fin que le compo-
siteur n'avait pu, ou su, trouver.
62. Dans Clef de la posie, J e a n Paulhan intitule un p a r a g r a p h e : Les
linguistes en dfaut ; ce texte commence ainsi : Le lecteur a pu tre
tent de nous o p p o s e r plus haut que, s'agissant d e lois et de rgles, c'est
aux savants (et prcisment aux linguistes) qu'il et d'abord fallu nous
Qu'il s'agit d'un combat singulier
adresser, plutt qu'aux potes et critiques. Car le linguiste, lui, se trouve
plac devant les faits d'expression e n toute innocence, simplement sou-
cieux de les c o m p r e n d r e et de les g r o u p e r en lois, sans le moindre dsir L'enjeu de la lutte qui oppose deux deux grammai-
d e les utiliser. riens, typographes et auteurs ne semble pas tre dans la
I1 est vrai. Cependant, si du moins nos conclusions sont justes et qualit de la ponctuation, mais dans la quantit. Tel pense
notre loi fonde, ce dsintrt m m e le devrait trahir, plus qu'il n e le
sert. Ce que nous avons dcouvert, ce n'est pas qu'il fallt observer la
qu'on sous-ponctue, tel autre, qu'on sur-ponctue ; et
posie sans parti pris. Loin d e l. Mais bien plutt qu'il convenait voil qui suffit les diviser.
d'accorder et de confondre, son endroit, les divers partis pris qui ont Tel prtend qu'il faut un nombre exact de signes, si
cours chez les potes. grand soit-il : le grammairien ; le typographe applique son
100 Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides 71
Code typographique ; l'auteur invoque la subjectivit sou- date: qu'il s'en arrange!]. On peut juger qu'il y a plus de
veraine du crateur, ou, dans le meilleur des cas, tient que doctrine dans P. Martinon, Comment on parle le franais,
le grand art est de parvenir une prose si fluide et si Larousse, Paris, 1927. (Notice Grammaire, in Encyclo-
souple qu'elle puisse se passer de ponctuation. Franois paedia universalis.) Dans un article savant, tel Talleyrand
Bon 63 parle d ' une langue qui tient, tient sans ponctua- demandant ses convives, suivant l'importance du per-
tion marque (la sienne n'est pas dans ce cas, comme on sonnage: Monsieur le duc voudra-t-il prendre de ce
peut le constater) ; il cite Montaigne : Je n'ayme point les buf ? , ou : Voulez-vous du buf? , ou : Du
tissures o les liaisons & les coutures paroissent, tout ainsi buf? ou seulement: Buf?, un linguiste 64 tablit
qu'en un beau corps il ne faut qu'on y puisse compter les une subtile gradation dans le respect d aux auteurs non
os & les veines. Cette proccupation est rpandue chez linguistes, et parle de P. Larousse (le bas de l'chelle),
les crivains : tmoin d'une morale aux exigences ternel- de M. Colignon 6 6 (un degr plus haut), mais de
lement insatisfaites. Daniel Percheron, dans la mme Madame Annette Lorenceau (le dessus du panier : une
revue, crit aussi : Il [un de ses amis] m'assura que le fin collgue 66 ).
du fin tait d'arriver rejoindre le peloton des ponc- La seule vritable question que se pose l'crivain digne
tueurs parcimonieux, gnrer des phrases qui ne de ce nom n'est pas de savoir s'il peut ou non faire
s'encombrent en chemin que d'un minimum de virgules. l'conomie d'une virgule tel endroit de son texte,
(On pourrait croire que cette doctrine confirme notre mais s'il est ou non parvenu construire sa phrase de
got pour l'lgance et la clart. Hlas, la construction manire qu'il dise ce qu'il veut dire, et qu'il puisse, en
grammaticale des phrases franaises est souvent un obs- consquence, distribuer justement les signes de ponctua-
tacle l'enchanement logique des termes infrangible tion, sans prodigalit ni lsine ; non pas crire comme il
principe; la logique s'obtient donc au prix de rejets fur- le veut, ni comme il le faut, mais comme il le doit. Un vri-
tifs, d'inversions coupables et d'incises rougissantes: table style ne doit rien la rgle ; il ne doit pas davantage
autant de virgules de pnitence et parfois doubles...) l'incurie ; il ne faut tre la victime d'aucun mirage : l'illu-
Nul ne se proccupe de savoir si les deux coles de sion de libert que procurent le laisser-aller, la mode ou
pense ne pourraient pas se rconcilier: le fanatisme, le l'atavisme ne vaut pas mieux que la solidit apparente
mpris et l'ostracisme sont plus srs. On prfre se jeter qu'amne le respect absolu des rgles. Aller au bout de
des insultes la figure : ractionnaire ! anarchiste ! Il est soi-mme, disait Aragon; et de son style, pourrait-on
loin, le temps o le grammairien tait un magicien- ajouter.
Ddaigneux, condescendant, u n linguiste comme Jean-
Claude Milner distribue blmes et encouragements jus-
qu'au dtour d'indications bibliographiques : ... la tradi- 64. J e a n Varloot, in La ponctuation, recherches historiques et actuelles,
tion de Vaugelas, qui se borne des classifications de type C.N.R.S./H.E.S.O.
botanique sans proposer de doctrine explicative, est 65. Jean-Pierre Colignon, chef correcteur au j o u r n a l Le Monde, est
aussi l'auteur d e La ponctuation, art et finesse.
reprsente par M. Grevisse, Le Bon Usage [sans ville, ni 66. Sans gard p o u r la rgle, bien c o n n u e p o u r t a n t , et de lui sans
doute, qui interdit d'crire Madame e n toutes lettres dans le discours
63. In Traverses, indirect.
100
Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides 73
Ainsi, l'acadmicien Jacques Laurent crit dans Le fran- ... il pouvait crire simplement: Pour distinguer le roman
ais en cage : historique du roman, j'avais imprudemment recouru ce
qualificatif qui prsentait l'avantage d'abrger mon propos.
C'tait parce que je voulais distinguer du roman, le roman
historique, que, pour qualifier celui-ci, j'avais recouru De fait, le propos et t abrg, et le franais moins
imprudemment ce mot [apophantique] qui prsentait l'troit dans sa cellule.
l'avantage d'abrger mon propos.
Le nombre de virgules ne fait rien l'affaire : il faut ce
Sans doute cette phrase est-elle laide ; mais l n'est pas
son dfaut principal : elle est mal pense. Si mal qu'elle ne qu'il faut. La phrase complexe est faite pour les penses
pouvait tre correctement ponctue. Posons une ques- compliques; et la ponctuation viendra clairer la lan-
tion : fallait-il une virgule entre les deux occurrences du (erne des lecteurs. Mais on ne peut pas demander
mot roman? On ne saurait le dire: apparemment il Malraux de penser comme Simenon.
n'en faut pas ; mais du roman le roman n'est pas envisa-
geable non plus. La question est donc mal pose. Il faut en La langue, ds lors qu'on l'crit telle qu'on la parle, se
essayer une autre. trouve envahie par les virgules. Dans Btons, chiffres et
lettres, Raymond Queneau fait remarquer que la phrase
L'ordre des mots est-il le bon? La phrase est-elle bien
quant moi, je n'ai pas le temps de penser cette
construite? Dans une autre configuration, pouvait-elle
affaire aurait une forme bien diffrente dans la langue
viter cette plthore de virgules? Bien crire consiste,
parle: Du temps, voyons! est-ce que j'en ai, moi, pour
avant toute autre opration, ordonner sa pense et sa
penser cette affaire-l !
phrase 67 .
Soit quatre virgules (dont une exclamative) au lieu
Si l'acadmicien Jacques Laurent, qui rve d'ouvrir la
d'une. Non sans raison, Queneau soutient que, dans la
cage dans laquelle le franais se trouve emprisonn,
langue parle, l'ordre des mots rpond une logique
avait crit je voulais distinguer le roman historique du
propre. Transpose, translate sur le papier, cette phrase
roman , il se ft pargn une sorte d'incise qui n'en est
paie son dracinement d'une quantit de signes que le
pas une, et les deux virgules qui Y enfermaient.
franais oral ngligeait instinctivement. Alexandre
Du mme coup, il et vit une cacophonie: histo- Vialatte68 crit : C'est elle aussi [la ponctuation] qui res-
rique, que. titue, dans l'criture, des choses que seuls peuvent donner
Pour viter aussi bien : le ton et les silences dans le discours ou la conversation.
de commencer sa phrase par c'tait ; L'abus de virgules, dans ce cas, est presque toujours la
d'employer la construction parce que... que ; trace visible d'un travail littraire insuffisant. Si l'on
de sparer j'avais recouru de l'agent ce mot ; voque la magnifique libert de la parole, la souplesse
d'utiliser la cheville celui-ci ; que lui confrent les paramtres du son (hauteur, dure,
intensit), l'expressivit que le geste y ajoute, on songe
67. Le style n'est que l'ordre et le mouvement q u ' o n met dans ses
penses. (Buffon.) 68. Voir Bibliographie.
100 74
Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides
l'aberration de \'e muet par exemple et de quelques autres changer son rgime, tous les procds similaires, analo-
ncessits vivantes, telles que la rduction de l'hiatus par gues la vieille plaisanterie d'allumer sans qu'il s'en rende
le z ou le t, il montre par l, du mme coup, qu'il est un compte le journal que lit votre voisin, prendre l'intransitif
des rares ne pas aspirer Vh d'hiatus. A savoir qu'il ne pour le transitif et rciproquement, conjuguer avec tre
faut (?) pas l'aspirer. On ne peut nier non plus qu'il est ce dont avoir est l'auxiliaire, mettre les coudes sur la table,
amusant de trouver sous sa plume des constructions direc- faire tout bout de champ se rflchir les verbes, puis
tement tires du latin, comme cette proposition infini- casser le miroir, ne pas essuyer ses pieds, voil mon carac-
tive : Maurras, Hermant, a savait crire le beau franais tre. Quelle syntaxe, justement! quelle langue admi-
filandreux qui faisait Cline tourner de l'il 73 ! De mme rable!... et quelle drlerie! Les plus furieux iconoclastes
Voltaire le strict parlait-il en haussant bien le ton, lorsqu'il (mais la langue est-elle une icne?) sont les plus soucieux
prtendait que l'criture est la peinture de la voix , que de perfection langagire ds qu'il s'agit de leur prose.
plus elle est ressemblante, mieux elle est, tout en peau- Ils hurlent comme Ben et Manzoni, mais peignent comme
finant les alexandrins de sa Mort de Csar... D'ailleurs, Ingres. Cela est trs bien ainsi : on a raison de se rvolter,
connat-on beaucoup de piliers de bar qui parlent comme disait le prsident Mao ; ajoutons : on a tort de mal crire.
Cline crit?
On trouve pareil paradoxe (pareille hypocrisie 74 ?) dans (Qui a dit qu'il faut crire comme on parle? Et pour-
Aragon (Trait du style): Je pitine la syntaxe parce quoi ne parlerait-on pas comme on crit? Ils sont presque
qu'elle doit tre pitine. C'est du raisin. Vous saisissez. toujours ridicules, ceux qui causent comme un livre,
Les phrases fautives ou vicieuses, les inadaptations de admettons-le. C'est peut-tre qu'on ne sait pas crire.
leurs parties entre elles; l'oubli de ce qui a t dit, le Et puis, crire comme qui parle? M. Hagge, ou
manque de prvoyance l'gard de ce qu'on va dire, le M.Dupont? Un Marseillais, ou un Strasbourgeois?)
dsaccord, l'inattention la rgle, les cascades, les incor-
rections, le volant fauss, les priodes dormir debout La fascination de l'homme des villes pour l'homme des
boiteuses, les confusions de temps, l'image qui consiste champs, l'irrsistible attrait qu'exerce le mauvais garon
remplacer une prposition par une conjonction sans rien sur l'tre raffin, le trouble qui envahit le lettr la seule
vocation de l'analphabte, sont les scories de la culture.
De Montaigne Ranc, de Bossuet Valry, l'rudit
73. O n trouve cette t o u r n u r e dans les r o m a n s d e Genet le voleur, a u
souffre d'une culpabilit qui crot raison de son savoir.
d b u t d e Notre-Dame-des-Fleurs, p a r exemple :
Monsieur Teste parle de la connaissance comme d'une
Voil donc le ct divin de sa mort. L ' a u t r e ct, le ntre, cause de ces flots taie sur l'il, Rousseau regrette le beau temps, le temps
de sang rpandus sur sa chemise et ses draps (car le soleil poignant, plutt q u e de la vertu de chaque peuple , celui de son ignorance 75 ,
vachement, sur les draps saignants, s'tait couch dans son lit), fait sa m o r t
quivaloir u n assassinat.
et Jos Bergamin, le plus fin des Espagnols, crit dans La
dcadence de l'analphabtisme: Qu'un enfant ou qu'un
Q u a n d ils o n t d u gnie, les mauvais garons aiment la syntaxe latine, peuple cesse d'tre analphabte, qu'adviendra-t-il de lui?
faut-il croire.
74. N'a-t-il pas dit, ce pote impeccable : Presque tous les potes o n t
fait des vers admirables en transgressant les rgles ? 75. Discours sur les sciences et les arts.
100 78
Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides
Si on enlve aux enfants comme aux peuples l'analphab- ment, dans les Lettres franaises : Tout ce que je pr
tisme cette vie spirituelle imaginative de la pense que tends, c'est crire comme a me plat, selon ma petite ide
nous appelons analphabtisme, que leur restera-t-il ? Voil au fond qui est bien orgueilleux. Et prtentieux.
Quand un enfant, ou un peuple, commence s'alphab- Mais sain, en tout cas! (Guy Debord, se fondant sur la
tiser, il commence se dnaturaliser, se corrompre, mme subjectivit, lui rplique: Je vais pour ma part
cesser d'tre ou ne plus tre ce qu'il tait: un enfant ou crire sans recherche et sans fatigue, comme la chose la
un peuple. Et il prit alphabtis. plus normale et la plus aise ; la langue que j'ai apprise et,
D'o qu'elle soit, quelqu'poque qu'elle vive, la mar- dans la plupart des circonstances, parle. Ce n'est pas
quise dsire toujours de coucher avec son chauffeur, moi d'en changer. [...] Autre avantage: en se rfrant au
esprant en secret perdre son titre avec sa vertu. vaste corpus des textes classiques parus en franais tout au
Pour l'hygine mentale, un morceau de savon suffit, long des cinq sicles antrieurs ma naissance, mais sur-
disait Ponge. En voici u n : le mot d'Hector Bianciotti, tout dans les deux derniers, il sera toujours facile de me
contemplant le Concorde au dcollage, travers la vitre traduire convenablement dans n'importe quel idiome de
d'un aroport: Les oiseaux sont de ples imitateurs 76 ! l'avenir, mme quand le franais sera devenu une langue
morte77. )
La ponctuation, parce qu'elle est un signe visible de la Les langues franaises, la parle et l'crite, sont plus
culture crite, a subi les assauts rpts des lettrs, qui fortes que tous les dcrets. Elles ne peuvent tre attaques,
aiment, comme certains scorpions, se mortellement car elles rsistent par une incomparable inertie ; elles ne
piquer eux-mmes. Dieumerci, Raymond Queneau est peuvent tre dfendues, car leurs dfenseurs sont plus fai-
beaucoup trop intelligent pour oindre sa doctrine du bles qu'elles. Il fut question rcemment de modifier
saint chrme populiste. Car s'il crit que lorsqu'on a l'orthographe du mot vnement, de l'crire vne-
conscience de la mallabilit de la phrase ou du mot, il ment. Inutile: le temps, qui est frre de la langue, agira
devient impossible d'admettre l'indfinie tyrannie de seul. Neuf personnes sur dix crivent vnement; la
l'criture actuelle, il s'empresse d'ajouter: Je n'ai d'ail- dixime s'y mettra bientt, sans dcret, sans dcision de
leurs aucun respect, ni considration spciale pour le l'Acadmie (dont la comptence, on l'a vu, est plus que
populaire, le devenir, la "vie", etc. Il avouait tranquille- douteuse). La preuve? On crivait nagure avnement ;
Littr le donne tel. L'usage en a dcid autrement, et les
dictionnaires ont entrin sa dcision sans appel. Evne-
76. Ceux qui veulent crire vite p r o p o s de rien ce que personne ne ment subira le mme sort. La lutte de Queneau pour un
lira u n e seule fois jusqu' la fin, dans les j o u r n a u x ou dans les livres, van- no-franais tait inutile : le no-franais est en marche
tent avec b e a u c o u p d e conviction le style du langage parl, parce qu'ils le
trouvent b e a u c o u p plus moderne, direct, facile. Eux-mmes ne savent pas
depuis qu'est n le franais.
parler. Leurs lecteurs non plus, le langage effectivement parl dans les Il en va de la ponctuation comme de l'orthographe, de
conditions de vie modernes s'tant trouv socialement rsum sa repr- la syntaxe et du vocabulaire. Sans oublier la prononcia-
sentation lue au second degr par le suffrage mdiatique, comptant
environ six ou huit tournures tout instant redites et moins d e deux cen-
tion ; Proust raconte que Franoise disait l'estoppeuse ,
taines de vocables, d o n t u n e majorit de nologismes, le tout tant soumis
u n renouvellement par tiers chaque semestre. (Guy Debord, op. cit.) 77. Op. cit.
100 Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides 81
et ajoute que ... les mots franais que nous sommes si la virgule. La ponctuation, comme les ordinateurs, fonc-
fiers de prononcer exactement ne sont eux-mmes que tionne sur un principe d'interrupteur qui la dsigne aus-
des " cuirs " faits par des bouches gauloises qui pronon- sitt comme la cible idale des linguistes. Ce n'est pas tant
aient de travers le latin ou le saxon, notre langue n'tant la rigidit des rgles d'emploi qu'ils fustigent, mais bien,
que la prononciation dfectueuse de quelques autres. Le au plus profond, cette logique d'emploi laquelle ils
gnie linguistique l'tat vivant, l'avenir et le pass du n'chappent pas, et jusque dans leurs propres textes; car,
franais, voil ce qui et d m'intresser dans les fautes de pour tre universitaire, on n'en est pas moins appel
Franoise . publier tt ou tard; et le linguiste, accoutum fuir
L encore, c'est sous la plume du plus prcieux des cri- dans l'obscur, dans la demi-mesure, dans le discutable et
vains de langue franaise que nous trouvons une telle pro- le libral, ou se rfugier dans une manie furieuse du
fession de foi. Le paradoxe continue. On le retrouve, classement (le trait d'union est-il, oui ou non, un signe de
invers, dans les querelles qui agitent priodiquement le ponctuation? s'interroge-t-il avec anxit), doit choisir,
public propos de l'enseignement du latin. Ses plus cette fois. Au surplus, il doit le faire en pleine lumire,
ardents dfenseurs sont souvent ceux qui commettent le devant tout le monde: virgule, ou pas virgule? Choisis-
plus grand nombre de solcismes, et les plus svres. sant, il se montre; ponctuant, il est vu par le lecteur
Les linguistes patents n'ont pas peu contribu enve- comme un crivain mdiocre, en l'occurrence. Quoi de
nimer la situation. Il suffit, pour le comprendre, de se rap- plus humiliant pour un spcialiste de la langue ? Que pen-
peler que certains langages, comme ceux qu'on emploie seraient les patients, si tous les mdecins taient malades?
en informatique, sont d'une rigidit absolue. Une Voil pourquoi les linguistes, aux travaux desquels nous
espace est-elle omise, ou une virgule, ou le plus anodin devons tant d'ailleurs, hassent la ponctuation, la sques-
des signes, et la machine cesse de comprendre, refuse trent dans un systme o l'amour et le plaisir le cdent
d'obir aux instructions qu'on lui donne. La ponctuation toujours au conceptuel, la phrasologie, et d'o la litt-
littraire n'est pas telle: les lecteurs ne sont pas des rature est dfinitivement absente.
machines, et peuvent mme lire entre les lignes... Cela Ce parasitisme est d'autant plus pervers que ces gram-
signifie qu'ils sont aussi capables de rtablir la ponctua- mairiens sans grammaire attaquent la rgle avec violence ;
tion correcte, si la ncessit s'en fait sentir et ils le font qu'ils se prsentent pars des atours de la libert, de l'indi-
sans cesse, comme l'Amricain replace automatiquement vidualisme, du tout-est-permis; qu'ils s'lvent avec
les subordonnants, verbes, articles et dterminants en vigueur contre ce qu'ils nomment avec ddain le nor-
gnral qui font dfaut dans ce qu'il appelle sa langue. matif : tout le monde y trouve son compte, eux les pre-
Et pourtant, il existe un point commun la ponctuation miers. Ils saisissent tout Corneille dans un ordinateur,
littraire et l'informatique: leur systme profond de tablissent des statistiques concernant l'emploi de la vir-
fonctionnement, ce langage trs primaire qu'on nomme, gule, du point, du tiret... Pendant ce temps-l, le deux-
bien tort, binaire ; a/non-a; zro/un ; on/off ; in/out. Le points se confond petit petit avec le point-virgule, et la
courant passe/ne passe pas. En ponctuation, le signe est virgule disparat o elle tait indispensable, pour se multi-
prsent/absent. Une imperturbable logique deux termes, plier ailleurs, pucerons sur une tige de rosier. La langue
dont nous verrons l'application dans le chapitre consacr devient tique. Les tout-petits se vengent ainsi d'un gnie
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Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides 83
qu'ils n'ont pas, et d'une langue qui leur chappe dans ce orale de celui qui crit pour la visuelle79. Aussi bien, tous
qu'elle a d'indispensable. les bons auteurs soumettent leur texte l'preuve de la
L'obligatoire n'tait pas trs rjouissant; il est remplac voix haute.
par le contingent: C'est ainsi, mais cela pourrait tre Nanmoins, il en est pour dire qu'ils crivent exclusive-
autrement. Or, la libert se restreint mesure que crot ment pour la voix parle. On pense aux orateurs attiques,
la part laisse au hasard: faute d'outils, le travail est aux tribuns, Saint-Just, aux auteurs dramatiques, aux
impossible, l'expression illusoire, la rflexion inacces- potes, que sais-je. Michel Tournier crit: Je suis avant
sible. Le libralisme fait plus de tort la langue qu' l'co- tout un conteur et je m'exprime mieux de vive voix devant
nomie d'un pays. L'indiffrenci ronge l'crit comme un un public que seul, la plume la main. Quand j'cris, je
cancer 78 . m'coute crire, et c'est encore haute voix que j'essaie
ensuite mon texte crit (voir Flaubert et son " gueuloir ").
La ponctuation a donc pour moi une fonction essen-
Qu'il faut douter des orateurs tiellement oratoire. J'affectionne les points d'inter-
rogation, d'exclamation, de suspension, et aussi les tirets
Parmi les auteurs, deux factions se sont toujours oppo- (a parte), etc. Moins le point-virgule que je n'entends
ses : les orateurs et les... les quoi, propos? On ne sait pas80. L'oral et l'crit, l'analphabte et le savant : perma-
trop comment les nommer. Des intellectuels ? La nence du charme qui l'un l'autre les relie.
langue franaise, pas plus qu'elle ne distingue, chez les lec- De son ct, Ren Nollet, dans son excellente dition du
teurs, celui qui lit haute voix, qui profre le texte, de Discours sur le stylem, de Buffon, prvient le lecteur: La
celui qui se contente de faire courir ses yeux sur la ponctuation que nous avons adopte est, part de rares
page, ne distingue un auteur qui crit pour la lecture exceptions, celle de l'dition originale. Si elle s'carte un
peu des habitudes que nous suivons aujourd'hui, c'est
qu'elle devait servir non pas seulement marquer les divi-
78. Il est indniable que la littrature n e r p o n d plus aux questions
sions naturelles de la pense, mais sparer, en vue de la
que l'homme se pose sur son existence et son destin ; que les sciences
exactes l'ont boute hors du fondamental et de l'universel. O n ne sau- diction, les membres oratoires de la priode.
rait t r o p dire si la ponctuation est ranger parmi les causes ou les cons- Faut-il conclure, ces deux professions de foi, que
quences d e cet amaigrissement essentiel. Elle est sans doute trop telle phrase prise au hasard du Roi des aulnes doive tre
modeste p o u r seulement en tre; mais elle est incontestablement,
dite sans que le moindre silence soit observ, la
c o m m e la littrature, la victime de cette marche de dsacralisation dans
laquelle on leur fait courber l'chin depuis cinquante ans. Toutes deux
moindre pause respiratoire mnage ? On en doute :
o n t p e r d u leur lgitimit, selon le mot de Danile Sallenave (in Le
Les premires grandes pluies d'automne avaient com-
Monde ). L'une et l'autre sont galement faciles et sales, innocentes et
inoffensives. Les fanatiques chrtiens, juifs ou musulmans confrent
menc lorsque le lieutenant Teschemacher qui dirigeait
encore la littrature u n e importance qu'elle serait bien en peine
d'avoir p o u r personne. Heureusement qu'ils sont l! Triste choix, vrai- 79. La musique est seule cultiver encore u n e discipline purement
ment, crivait Sallenave, et triste m o n d e que celui o rgnerait le par- visuelle (silencieuse) : l'harmonie d'cole.
tage entre les pays o l'on n'a pas envie d e lire et ceux o l'on n'a pas le 80. Et les guillemets, les deux-points, les entend-on?
droit de le faire. 81. Hachette. 1905.
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Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides
l'administration s'avisant que Tiffauges tait garagiste- Je n'ai Messieurs, vous offrir(,) que votre propre bien: ce
mcanicien le promut chauffeur du Magirus-cinq tonnes sont quelques ides sur le style que j'ai puises dans vos ouvrages.
attach au camp. C'est en vous lisant, c'est en vous admirant, qu'elles ont t
conues. C'est en les soumettant vos lumires, qu'elles se pro-
Michel Tournier.
duiront^) avec quelque succs.
De mme, dans son adresse l'Acadmie, Buffon dit :
On constate que Buffon observe en crivant certaines
Je n'ai, Messieurs, vous offrir que votre propre bien : ce rgles de ponctuation qui se rvlent inutiles la lecture
sont quelques ides sur le style, que j'ai puises dans vos haute voix (les virgules encadrant Messieurs); que
ouvrages ; c'est en vous lisant, c'est en vous admirant l'orateur, une fois encore, ponctue plus que ne le fait,
qu'elles ont t conues ; c'est en les soumettant vos l'crivain. On n'imagine pas un orateur lisant d'un trait
lumires qu'elles se produiront avec quelque succs. c'est en vous lisant qu'elles ont t conues (les ides),
sans sparer les deux membres de l'anacoluthe.
On peut noter que :
1. Tournier n'entend pas le point-virgule; de toute vi-
dence, Buffon a l'oreille plus fine. A la dmonstration, fonde sur des lectures non
2. S'il avait lire son texte haute voix, Tournier homologues, comme disent les sportifs, ajoutons un
ponctuerait sans doute ainsi (les signes entre paren- troisime exemple. Comparons le dbut de La tentation de
thses reprsentent des pauses facultatives) : saint Antoine, de Flaubert, telle qu'elle est ponctue p a r
l'auteur, et telle qu'elle fut lue par Jean-Marie Villgier,
Les premires grandes pluies d'automne avaient commenc(-) son premier chantre . Flaubert crit :
(L)lorsque le lieutenant Teschemacher, qui dirigeait l'adminis-
tration, s'avisant que Tiffauges tait garagiste-mcanicien(,) le Sur une montagne. A l'horizon, le dsert; droite, la
promut(,) chauffeur(,) du Magirus-cm tonnes attach au cabane de saint Antoine, avec un banc devant sa porte ;
camp. gauche, une petite chapelle de forme ovale. Une lampe est
accroche au-dessus d'une image de la Sainte Vierge ; par
On constate que la ponctuation traditionnelle a t terre, devant la cabane, corbeilles en feuilles de palmiers.
rtablie naturellement; qu'un crivain-orateur ponctue Dans une crevasse de la roche, le cochon de l'ermite dort
moins qu'un crivain normal ; que la lecture haute l'ombre.
voix suppose plus de pauses que ne l'exigent les rgles de Antoine est seul, assis sur le banc, occup faire ses
la ponctuation (pour autant qu'on la considre comme u n paniers ; il lve la tte et regarde vaguement le soleil qui se
ensemble de signes pausaux !). Nous laissons au lecteur couche.
sagace le soin de rapprocher ces trois dernires observa-
tions, et de conclure. Voici comment Villgier, lors d'une de ses lectures, a
3. Lorsqu'on prononce le discours de Buffon, on ponctu ce texte. Faute de pouvoir noter les lgres
ponctue naturellement de cette manire : pauses qui ne correspondraient aucun signe de ponctua-
tion rpertori (le blanc vocal ou la pausette dont
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Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides
Damourette rclamait l'institution), j'intercalerai le signe La radio italienne nous a conserv un enregistrement
/ 2- de ce discours, lu par son auteur. Voici ces mmes alinas,
avec leur ponctuation vocale, leurs blancs (/), et les
Sur une montagne. A l'horizon, le dsert. A droite, la cabane respirations supplmentaires ( [resp.] ), tels qu'on peut les
de saint Antoine, avec un banc, devant sa porte. A gauche, une noter d'oreille :
petite chapelle / de forme ovale. Une lampe / est accroche /
au-dessus d'une image de la Sainte Vierge. Par terre, devant la 5e lever aujourd'hui en l'honneur de [sic] Dante, c'est
cabane, corbeilles en feuilles de palmiers. s'exprimer / anonymement / au nom d'une immense famille :
Dans une crevasse / de la roche, le cochon / de l'ermite / celle pour qui le nom, le mot Dante, puissant vocable, tient la
dort / l'ombre. plus haute rsonance [resp.] au fond de l'antre potique.
Antoine est seul, assis sur le banc, occup faire ses paniers. Il Ceux-l se lvent avec nous / pour qui le fait Dante [resp.] se
lve la tte, et regarde vaguement / le soleil qui se couche. confond de lui-mme / avec le grand fait potique / dans l'his-
toire de l'homme d'Occident.
Ici, comme plus haut, la ponctuation du lecteur est bien Avec nous l'ovation jubilaire, et la louange en toutes langues,
plus riche que celle de l'auteur. La premire contient la sur toutes rives d'Occident !... Des feux s'allument sur les cimes,
seconde. Flaubert pourtant est clbre pour avoir pro- des voix s'lvent dans les villes, et c'est pour l'homme de notre
nonc, gueul ses phrases... temps [resp.] comme un saisissement nouveau.
Ritrons l'exprience avec un vritable discours, celui
que pronona Saint-John Perse en l'honneur de Dante, le Observations :
20 avril 1965, Florence. En voici les trois premiers ali- la ponctuation crite est respecte l'oral, 1'excep-
nas, tels qu'ils ont t publis : lion d'une virgule ( et la louange en toutes langues ), d'ail-
leurs facultative ;
Se lever aujourd'hui en l'honneur du Dante, c'est la ponctuation crite ne suffit pas la diction;
s'exprimer anonymement au nom d'une immense famille : encore une fois, nous vrifions ce fait d'importance ;
celle pour qui le nom, le mot Dante, puissant vocable, tient la ponctuation crite ne suffit pas la respiration
la plus haute rsonance au fond de l'antre potique. Alexis Lger, alias Saint-John Perse, n'avait pas en 1965
Ceux-l se lvent avec nous pour qui le fait Dante se con- d'aussi bons poumons que nos crivains-orateurs : il
fond de lui-mme avec le grand fait potique dans l'histoire reprend son souffle plusieurs reprises ;
de l'homme d'Occident. la diction permet des pauses (des virgules , disent
Avec nous l'ovation jubilaire, et la louange, en toutes lan- les linguistes) que la langue crite interdit absolument:
gues, sur toutes rives d'Occident !... Des feux s'allument sur
entre le sujet et le verbe, par exemple ( le fait Dante
les cimes, des voix s'lvent dans les villes, et c'est pour
l'homme de notre temps comme un saisissement nouveau. |resp.] se confond... ); les plus convaincus desdits cri-
vains-orateurs ne se la permettraient pas l'crit (tandis
qu'on l'a fait longtemps).
L'on peut ainsi conclure que la ponctuation, dans la
82. Il est e n t e n d u q u e les virgules se c o n f o n d e n t souvent avec des res-
pirations, q u e n o u s n'avons pas notes ; celles q u e n o u s m a r q u o n s sont
plupart de ses rgles, est commune la lecture intrieure
celles q u e l'acteur ajoute en lisant. et au discours parl ; l'affectation seule entrane les
100
Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides 89
crivains-orateurs ne les point respecter ; s'ils se mon- les auteurs eux-mmes ngligeaient parfois de respirer
traient d'accord avec eux-mmes, s'ils crivaient vraiment aux endroits marqus...
comme on profre, ils ponctueraient encore plus, et non Ainsi, la rgle rcente (comparativement) est bien
moins, que ne le font les autres 83 ; la ponctuation tradi- connue, qui interdit de sparer talis et qualis, tantus et
tionnelle ne suffit pas, dans les signes qu'elle offre, quantus (tel... que, tellement... que), et les constructions
rendre compte de la diction ; elle ignore, en particulier, la similaires; mais toutes les tudes (celle d'Henri Morier,
notion de pause, puisque la voix s'arrte en l'absence de surtout) montrent que dans le discours oral la voix monte
tout signe : elle ne les respecte pas tous, elle rinvente, en avant le que , fait une pose, et redescend ds le que
un mot, un outil oubli : le blanc. prononc. Dans une phrase comme j'ai tellement aim
ce livre que je l'ai lu trois fois de suite, la voix monte et
Nous tirons de ces quatre exemples que la ponctuation insiste sur tellement, descend, remonte sur livre,
n'est point destine la diction, bien qu'elle contribue la s'interrompt, et redescend pour la conscutive (avec un
prparer, lui faire son lit; par consquent, la ponctua- aigu appuy sur trois fois ).
tion, dans son essence, est propre au langage crit; enfin, Si nous lisons nanmoins un des billets galants de
l'oralit, en tant qu'elle est une esthtique rapporte, Mmede Villedieu (1668), qui ne le cdent en rien aux
n'est qu'un masque destin celer l'ignorance ou l'incurie. Lettres de la religieuse portugaise, et lui p r e n n e n t m m e
(D'ailleurs, il ne fait aucun doute que la lecture int- quelques longueurs sur le terrain de l'ironie dsespre,
rieure a compltement supplant la lecture haute voix. nous constatons que, la suite de priodes rythmes par
Et pourtant, la ponctuation reste ncessaire.) des virgules respiratoires, s'en glisse une bien diff-
Il est vrai nanmoins que le xvm e sicle peut tre tenu rente :
comme un assez bon exemple de priode au cours de
laquelle on a vraiment ponctu comme l'aurait fait un ora- N'avez-vous point de honte de demander des lettres & lon-
teur. Diderot, notamment (Jean Mourot le fait remar- gues & tendres, & d'en crire de si succintes & de si froides ?
J'en suis tellement en colere, que je ne vous diray rien de
quer), avait cette ponctuation spontane qu'on retrou-
l'ennuy que votre absence me cause. Si je pouvois me venger
vera dans les manuscrits de Proust. Cela signifie que les plus cruellement, je le ferois avec bien du plaisir. Je voudrois
signes (virgule de l'acm, point de la protase) taient de tout mon cur pouvoir vous rendre aussi mlancolique
placs au bon endroit; mais en quantit nettement insuffi- que je la [sic] suis. Mais je crains bien que d'autres per-
sante pour une diction normale. Cela confirme ce que sonnes ne vous donnent de la joye cependant que vous
nous avons avanc. m'ostez la mienne.
Le xvu e sicle aussi montre une ponctuation qui repro- Lettres et billets galants1*4.
duit (ou guide) la respiration, nous l'avons dit. Pourtant,
La premire virgule est parfaite : elle spare lettres et
longues et tendres de et d'en crire de si succinctes et
83. Baudelaire Poulet-Malassis : Q u a n t ma ponctuation, rappelez-
vous qu'elle sert noter non seulement le sens, mais la DCLAMATION. Il
montre, p a r ce n o n seulement, q u e les d e u x ponctuations sont troite- 84. Edition critique de Micheline Cunin, Socit d'tude du
xvn e sicle, 1975.
ment relies, q u e l'une est sous-ensemble d e l'autre.
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Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides
de si froides, marquant le paralllisme de la construc- l'crivions avec une virgule (toute facultative, aujourd'hui
tion, et dissociant deux termes de fonction grammaticale encore), nous refroidissions la phrase ; mais, la refroidis-
diffrente (tendres et crire). La respiration suit sant, nous lui donnions plus d'efficacit: la souffrance,
alors la grammaire, et l'on n'aurait pas fait autrement en visible dans le texte original, s'abritait alors sous le persi-
plein xix e sicle. La seconde, aprs tellement en colre , flage ; et le destinataire risquait plus d'tre atteint par ce
illustre ce que nous avons dit sur cette monte de la voix trait glac, quand l'amant infidle n'est qu'ennuy par des
entre tantus et quantus. Il y a l une vraie corrlation entre larmes, qu'il juge celles qui accompagnent toujours les
l'oral et l'crit; l'effet obtenu par la mlodie orale est interminables rcriminations des femmes abandonnes.
recherch dans son passage l'crit. Une virgule trop chre, en quelque sorte, pour une amou-
Mais la dernire phrase est plus mystrieuse. On aurait reuse due.
volontiers ponctu cette priode croise sur le modle Il s'agit donc l d'une vritable exception la rgle de la
des deux premires (et des suivantes, d'ailleurs) : respiration.
Le contraste entre la deuxime et la dernire priode
Mais je crains bien que d'autres personnes ne vous donnent de du billet est d'autant plus significatif que :
la joie, cependant que vous m'tez la mienne. il n'est pas une phrase, dans cette lettre, qui ne soit
conue d'aprs un principe rhtorique d'opposition, de
Il ne faut pas examiner de trop prs un billet dont la comparaison ou de paralllisme ( demander des lettres /
publication n'est due qu' l'indlicatesse et l'impcunio- en crire, tellement/*que, si je pouvais/je le
sit du destinataire, et qui n'a pas fait l'objet de soins par- ferais , aussi mlancolique / que je [le] suis , donnent
ticuliers, autres en tout cas que ceux de l'amour humili. de la joie / tez la mienne ) ;
Mais comment ne pas voir dans cette phrase crite d'un la manire de placer ainsi un miroir au milieu d'une
trait, comment ne pas entendre dans ce long aiguillon de pense double est propre ce xvu e sicle encore pris de
jalousie, plant droit (mais dans le cur de qui ?), un seul symtrie antique ;
et mme souffle, une amertume assene avec toute la la prsence d'une virgule, dans de telles construc-
force possible, sans que l'auteur daigne faire l'amant tions, est une des marques de l'poque, du moins dans les
indiffrent l'hommage d'une seule respiration ? Car enfin, phrases un peu longues (la subordonne de la quatrime
qu'est-ce qu'un reproche de femme trompe, sinon la est trop brve pour en exiger une) ;
faible gifle d'une impuissante qui se blesse ses propres tout, enfin, appelait une virgule qui n'est pas
coups? Il ne s'agit plus de rhtorique ni de respiration ; si venue.
la plume de Mmc de Villedieu consentait, en dbut de Et que, malgr tout, cette virgule, dont la fonction tait
billet, souligner la construction parallle d'une phrase, d'indiquer une salutaire hausse de la voix, et qui se
la jalousie ne s'accommode pas de tels effets. Elle veut dire montre aujourd'hui, peu de chose prs, comme ce qui
sa phrase, la dire d'un coup, au risque d'en perdre le spare la fois les classiques des modernes, et les ora-
souffle: mme, elle serait heureuse de suffoquer et de teurs des syntaxiques, cette virgule a t omise pour
pouvoir ainsi reporter sur son amant la responsabilit de des motifs apparemment suprieurs : le cur a ses raisons
la souffrance qu'elle s'inflige elle-mme. Lorsque nous que la respiration ne connat point.
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Histoire, ides, histoire des ides 93
Alors, si les orateurs (dits tels par l'poque ou la philo- voix, emploie le seul blanc (et la majuscule de dbut de
sophie) ne ponctuent jamais comme ils devraient le faire, phrase, qui n'est point un signe de ponctuation, mais reste
qui va s'en charger pour eux? line indication prcieuse). Daniel Zerki, qui lut en public
Dire la posie, confirme l'efficacit du systme. Le blanc
est une pause visible, comparable celle que le parleur
Que le blanc est de retour lait, soit pour reprendre souffle, soit pour rflchir. Dans
la parole improvise, ces blancs interviennent aux
moments les plus divers. Le ton suffit redonner la
Un seul signe de ponctuation est vritablement utile
phrase sa continuit perdue. Il arrive sans doute aussi que
pour l' orateur : le blanc , quoi se rduisent, vocale-
le sens soit plus fort que la fragmentation...
ment parlant, la plupart des signes. (A l'exception des
signes mlodiques, comme le point d'interrogation, En tout tat de cause, voici un paragraphe de Dire la
d'exclamation... qui ont une valeur mimique, comme posie, un peu pome dans le pome, ou plutt pome sur
le pome : manifeste et art potique la fois. Le parti
disent les linguistes.) Tout silence a son poids rhtorique :
pris de la parole, si l'on veut:
[Cette question] me rappelle la plus effroyable priode de
ma vie... Les pauses continuelles comme la voix reprend
!!!???,..!!! nous crimes-nous simultanment. souffle sont le mode le plus convenable la
contemplation on dit comme on contemple En
Oh ! pour Dieu ! [,.. ] Ne me parlez jamais de la transmi-
poursuivant diffrentes couches de sons pour
gration du Moi.
l'examen d'un objet unique la contemplation orale
!!!...!!! insistmes-nous.
reoit la fois l'impulsion de nouveaux dparts
Alphonse Allais, Allais...grement. et la justification de sa course irrgulire.
Les potes l'ont compris, qui en font un usage intensif, (N'oublions pas le blanc de Mallarm, dont nous
renouant ainsi avec une convention archaque. Claudel, avons voqu la fonction, ni celui dont parle Eluard, et
qui fit nagure la thorie du blanc, en quelque sorte, disait dont le rle est mystrieux, pour ne pas dire... occulte:
de lui : Il n'est pas en effet seulement pour le pome une Un pome n'est point fait de ces lettres que je plante
ncessit matrielle impose du dehors. Il est la condition comme des clous, mais du blanc qui reste sur le papier...
mme de son existence, de sa vie et de sa respiration. Le Les pomes ont toujours de grandes marges blanches, de
vers est une ligne qui s'arrte, non parce qu'elle est arrive grandes marges de silence o la mmoire ardente se
une frontire matrielle et que l'espace lui manque, mais consume pour recrer un dlire sans pass86. )
parce que son chiffre intrieur est accompli et que sa Lorsque la phrase devient trop complexe, les ressorts
vertu est consomme 85 . activs par la ponctuation deviennent trop faibles pour
A cet gard, il n'est pas indiffrent de voir qu'un la porter. Il faut faire appel, alors, une marque plus
Jacques Roubaud, lorsqu'il crit pour tre lu haute
86. Ibid.
85. Cit dans Langue franaise, n45.
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Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides
violente, plus visible. Ce peut tre le paragraphe ou le cha- Si rapide impuissant de sperme et de sueur
pitre. Ce peut tre, un degr moindre, le blanc. Retour Qu'ait t le chasseur; [...].
aux origines, en quelque sorte, une ponctuation brute : Sueur de sang.
Ds qu'on a franchi le seuil soit, comme il convient, par D'ailleurs, dans une autre version du mme pome,
la porte (mais il y en a plusieurs), soit par une des fentres Jouve choisit un vers plus court; les retours la ligne plus
qui sont restes ouvertes (et jugez de leurs proportions : elles frquents lui permettent une conomie de signes :
sont parfaites ; voyez aussi comme avec une justesse en
quelque sorte musicale elles se distribuent le long de la faade Sanglant comme la nuit
plutt modeste mais o se dcle le nombre de la grandeur : Admirable en effroi
elles clairent dj pour ainsi dire le dehors qu'elles consid- Sensible sans un bruit
rent et c'est peine une infraction rien de plus facile Mourant notre approche !
que d'enjamber leur appui en rez-de-chausse o, derrire
nous, le sobre espace se tient de plain-pied dans sa profon- Paradis, de Philippe Sollers, se prsente au contraire
deur lumineuse, populeuse oiseaux, herbe, nuages), comme une suite ininterrompue de blocs typographiques,
aussitt, totalement dserts par la ponctuation 87 , par les capitales,
on ressent une impression de clart par les alinas et par ces blancs qui marquaient chez
accrue, mais sans excs, car le plafond et les murs ont t Roubaud l'instant de la respiration. Belles plaques de
recouverts d'une teinte qui, la fois, absorbe et rflchit. signes, symtriques et nettes, uniquement ponctues par
Jacques Rda, les folios en bas de page.
Une visite l'atelier vide. Les deux tomes de Paradis furent crits, a dit Sollers,
pour tre lus haute voix : II y a la fois le rythme, la
Le blanc est bien l'origine de la ponctuation pour
danse, le roulement des syllabes et l'interprtation des
l'il. (Un coup de Ds est oblig de passer, dans sa thorie,
vnements. Le roulement continu des mots correspond
par le dtour de la parole pour ne pas sembler une
une sorte d'immobilit maximale... Rien n'est plus immo-
rgression mais un progrs, comme le calligramme, qui,
bile que la grande mobilit, qui reprsente, en effet, cette
n'tait le modernisme dclar d'Apollinaire, renverrait
espce de mouvement perptuel qu'on aurait tendance
naturellement aux hiroglyphes.)
prendre trs au srieux. C'est le flux des gnrations, de la
Le blanc n'est pas seulement l'espace qui spare les stro-
destruction, comme ce que tu as au Tibet sous forme du
phes, ou les blocs de mots en gnral. Il est aussi le retour
moulin prires 88 .
la ligne, ponctuation extrmement faible du point de
vue grammatical, mais d'une grande force visuelle. Pierre L'auteur lui-mme s'est prt l'exercice pour la radio
Jean Jouve a su ajouter ce signe un arsenal classique belge, pour la tlvision et pour le public du Centre
dont il ne mjuge pas l'importance : Georges-Pompidou. L'absence de tout signe, l'criture trs
Sanglant comme la nuit, admirable en effroi, et sensible 87. Les afficionados savent q u ' o n retrouve d a n s les ouvrages ult-
Sans bruit, tu meurs notre approche. rieurs d e Sollers des pans entiers d e Paradis, ponctus normalement.
Apparais sur le douloureux et le douteux 88. Vision New York.
96 Histoire, ides, histoire des ides
Histoire, ides, histoire des ides 97
sonore, riche en allitrations, rimes et assonances, a
lions), telle que l'a enregistre le microphone, et que nous
entran Sollers lire fort vite, relier dans un mme
pouvons aisment transcrire:
souffle ce que rien, sur la page, ne sparait ; mais la ponc-
tuation, au sens littraire et non vocal du terme, semblait
Le coup va venir ? C'est fini. Le coup va revenir cette fois,
toujours latente, implicite, profitant des respirations pour
vraiment, c'est fini. Un, deux, trois, pas tout fait / trois et de
se glisser dans les replis du texte, comme dsireuse de le nouveau un, deux, et puis / trois, on est au cur du cur.
structurer, de le recouler dans son moule habituel, bon Maintenant, dans le cur du cur, battant, se taisant. C'est lui
gr mal grS9. qui creuse, c'est lui qui poursuit, c'est lui qui sait ce qu'il faut
Premier cas : quelques lignes de Paradis, avec les seules savoir pour continuer dans la nuit.
respirations de Sollers (/) :
O l'on voit que, dans cette langue toute de juxtaposi-
le vent s'est lev de nouveau maintenant et je suis l de nou- tion typographique, la ponctuation est presque nor-
veau comme crivant le temps de nouveau / comme si le temps male , except les liaisons et ruptures de ton propres au
pouvait n'tre rien d'autre que des lignes recoupant des lignes langage parl et que tout un chacun peut noter la radio,
la ligne l / comme au bout du monde ne tenant plus que par un la tlvision ou sur la scne du Franais : entre le nom et
bout de bord ce monde droites diagonales angles cadrans le participe ( cur, battant ), par exemple, ou aprs la
demi-cercles / rayons revenant au centre cours des astres reflts copule ( et puis, trois ).
comme a par le centre / danse en cours avec moi reflet du dan- Il n'existe pas de langue franaise qui soit totalement
seur dans la nuit moi spectre et moi poison d'ombre, moi sque-
exempte de ponctuation, qu'elle soit pour l'il ou
lette abstrait mang par son ombre pas tout fait cependant /
pas encore tout fait / dclic / sursauts / nerfs / juste assez pour active par la voix . Les lecteurs les plus dtermins ne
tracer conduit ce qui suit voil on y va le concert reprend sa parviennent pas l'liminer tout fait; car il ne fait pas
cadence joie joie / voil c'est reparti a se suit / de doute que Sollers voulait lire comme il avait crit, d'un
bloc, afin de parvenir l'immobilit dont il parle, et qui
ne s'atteint qu'au prix d' une espce de mouvement per-
On peut dj constater que les respirations se font plus
ptuel .
gratuites, mesure que le paragraphe avance, et que les
dernires ( dclic sursauts nerfs) sont presque une ponc- En voici la preuve a contrario. Dans les annes soixante-
tuation indpendante de la contrainte pulmonaire. quinze, un producteur de radio, Claude Lust, avait tent
l'exprience de lire en studio des passages de La nause,
de Sartre, et de couper toutes ses respirations au mon-
Second cas : quelques lignes de Paradis, avec la ponctua-
tage90. Pour noter le rsultat sonore, il faudrait pouvoir
tion involontaire de Sollers (et non plus ses seules respira-
relier les mots entre eux de manire qu'on sente la conti-
nuit parfaite de la diction :
89. Plus mal q u e bon, car Sollers a dclar : Mon type d'criture a
u n e ponctuation accentue sur l'oreille du lecteur et pas du tout sur son
oeil. Le rsultat est u n e ponctuation situe entre il et oreille, mais qui 90. O n peut avoir u n e ide du rsultat obtenu en coutant la b a n d e
doit tre active par la voix. (Ibid.) sonore du film La petite chronique d'Anna Magdalena Bach, de Straub &
I luillet, ralise sur le mme principe.
100
Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides 99
91. Dans cette transcription, nous n'avons conserv que les points, 92. C'est nous qui soulignons. Le grammairien Pierre Restaut, q u a n t
seuls signes possder u n quivalent vocal incontestable dans le dis- lui, crivait en effet, ds 1732, que la ponctuation, c'est la m a n i r e d e
cours d'un prsentateur de tlvision : O c k r e n t n'est pas Sollers. Toutes marquer en crivant, les endroits d ' u n discours o l'on doit s'arrter,
les autres pauses ont t marques par u n e barre oblique, et les appuis pour en distinguer les parties, ou p o u r r e p r e n d r e haleine. (Cit par
par l'emploi d e l'italique. I. Barko, in La ponctuation, recherches historiques et actuelles, op. cit.)
100 Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides 101
lui prter, la courbe des diffrentes lectures ? L'auteur va- s'arrte chaque barre de mesure. La ponctuation tablit
t-il devoir ponctuer pour chacun de ses lecteurs? Lui instantanment des rapports hirarchiques, rythmiques,
prendra-t-il la fantaisie de se rfrer une respiration de mlodiques, entre les parties constituantes de la phrase, et
poitrinaire (quel dluge de virgules!), ou prfrera-t-il entre les phrases elles-mmes. Il ne faut donc presque
prendre mesure de la capacit thoracique dont jouissait jamais prononcer son sujet le mot de sparation , mais
Mounet-Sully? au contraire voquer la liaison, le rapprochement, la
En jetant le doute, Larousse vide deux sicles de pol- connexion, l'anastomose. Julien Gracq parle avec bon-
mique; d'un seul mot, l'auteur du plus volumineux dic- heur des solides sutures de la syntaxe franaise, qui veut
tionnaire qu'on ait crit au xix e sicle vide une querelle qu'on rapproche toujours troitement les deux bords
interminable, accompagne de son cortge: culpabilit, avant de coudre. Et Pierre Lepape, dans un article int-
morgue, cuistrerie, stupidit et dmagogie. ressant93, crit au sujet du point qu'il est le seul capable
d'induire un repos, un silence. Les autres signes entra-
nent, propulsent plutt qu'ils ne mnagent une pause
Que les linguistes font trop souvent la pause dans la course . Et, plus loin : La ponctuation, au lieu de
sparer, introduit des connexions nouvelles. Car enfin
La confusion entre ponctuation crite et ponctuation nul ne songerait prtendre que l'attelage qui relie deux
orale, largement entretenue par les grammairiens de wagons a pour fonction de les sparer. Il aura donc fallu
cette fin de sicle, a son origine dans une erreur trs que cette vrit essentielle vienne sous la plume d'un jour-
ancienne et trs commune: on associe aux principaux naliste. (Il est vrai cependant que la virgule, dans des cas
signes de ponctuation la notion de pause. Parce que la trs prcis, n'a pas d'autre emploi. Ainsi, dans la phrase :
voix marquait rellement des pauses, et que la ponctua-
tion, sa terminologie et sa fonction sont directement La cour, de votre altesse attend la signature.
issues de la pratique vocale, on a conserv le terme. Cette
... la virgule rompt l'attelage que le blanc, cet autre signe,
survivance est cause qu'on continue de parler inconsid-
installait entre un substantif et ce qui pouvait passer pour
rment de ponctuation respiratoire, de signes pau- un gnitif. Prcisons d'ailleurs que la virgule, dans une
saux, etc. Que nous sachions, l'il ne respire pas. Et s'il inversion moins quivoque, tait normalement proscrite.
fait des pauses, c'est que son champ de vision couvre quel- L'ambigut seule la justifie. Mais pensons aux virgules
ques centimtres la fois, et qu'il se dplace ainsi, de bloc des numrations : ne pourrait-on pas les figurer par le
en bloc sans tenir compte particulirement de la posi- signe + ? Aux virgules places avant les relatifs, les
tion des virgules ou des points. L'il s'arrte parce qu'il conjonctions : n'voquerait-on pas volontiers leur sujet
ne peut pas faire autrement, ft-ce en l'absence de tout les cadences rompues des musiciens, celles par les-
signe de ponctuation. Rencontre-t-il un de ces signes? Il quelles Wagner relance constamment un discours qui
l'enregistre au passage; nous intgrons tout ensemble la semble ne jamais vouloir se conclure? Etc.)
phrase et les signes, comme un musicien qui, voyant un
dise plac devant un fa, ne dissocie pas les deux sym-
boles, mais comprend aussitt:fa dise; pas plus qu'il ne 93. In Traverses .
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Histoire, ides, histoire des ides
Histoire, ides, histoire des ides
organisation priodique, que les priodes soient plus ou
La ponctuation tablit un rapport hirarchique entre
inoins rgulires, ou plus ou moins apparentes 95 . Le mot
les membres de phrase : elle relie en sparant, comme font
important de cette dfinition est rapport; en prose, la
les classes dans une socit humaine. Esclave et matre ne
syntaxe fait le rythme, parce que la syntaxe tablit les
sont-ils pas enchans l'un l'autre?
rapports de valeurs quantitatives ; la ponctuation n'est
Hlas, on excipe de cette ide pausale pour en tirer qu'un ensemble de signes qui permettent au lecteur de
des principes rgissant la fonction des signes ; on commet visualiser ces rapports, par prsence ou absence des
donc ce qu'en logique on appelle ptition de principe : la signes. Autrement dit, la ponctuation ne fait pas le rythme
(Apollinaire voir supra l'a supprime parce que le
consquence est incluse dans la dmonstration...
mtre du vers suffisait): elle suit le balancement de la
Il faut ajouter, la dcharge des linguistes, que les
phrase. Condillac 96 juge svrement telle phrase de Bos-
auteurs eux-mmes ont contribu entretenir cette erreur
suet en vertu de la liaison des ides :
en se rfrant constamment la lecture orale, afin de justi-
fier des pratiques de ponctuation anarchiques ou amor-
Il crivit de sa propre main sur deux tables qu'il donna
phes. Un Valre Novarina, pourtant pris d'une ponctua- Mose au haut du mont Sina, le fondement de cette loi,
tion aussi classique que possible, n'a-t-il pas dclar : O c'est--dire97 le dcalogue.
vous mettez le point, la virgule, voil ce qui compte : com-
ment vous respirez, jusqu'o vous allez retarder mme Il est vrai que la liaison des ides s'y fait mal ; le balance-
et surtout dans la tte le moment de reprendre l'air. On ment rythmique y est maladroit. Condillac corrige, et la
crit pour faire souffler avec soi, pour extnuer quel- ponctuation suit :
qu'un. Une page est une traverse respiratoire, quelque
chose nager. Ce n'est pas simplement la parole qui est Sur deux tables qu'il donna Mose au haut du mont
respire, rythme, ponctue ; c'est notre pense elle-mme Sina, il crivit le fondement de cette loi, c'est--dire le
dcalogue.
qui va comme a. En soufflant, par bouffes, par ouver-
ture et asphyxie. La pense respire. Elle brle sans cesse. Le dfaut de liaison entrane presque toujours une
Pas de repos pour nous94. ? faute de rythme: la mesure semble s'allonger, contenir
Deuximement, ds qu'il est question de droulement plus qu'elle ne peut. Il arrive alors que la ponctuation soit
temporel, de rythme, de silence, il rgne dans leur esprit embarrasse; l'auteur balance, hsite: fallait-il ou non
une si grande confusion de termes et de notions qu'ils mettre une virgule avant le fondement de cette loi , dans
identifient le rythme une rptition priodique de la phrase de Bossuet? On ne saurait le dire. Rythme et cer-
silences ! Nous en tenons pour preuve la double fonction titude se perdent ensemble. Dans une lettre Lon-Paul
qu'ils veulent assigner aux virgules, la fois signes pau-
saux et rythmiques... Il n'est pas inutile de rappeler
que le rythme, en musique, est le rapport des valeurs 95. Claude Lust, Wietand Wagner ou la survie du thtre lyrique.
quantitatives des dures sonores successives dans leur 96. Voir la Bibliographie.
97. Ici u n e virgule, dans le texte original : il tait habituel d'encadrer
c'est--dire p a r u n e paire d e virgules.
94. Voir la Bibliographie.
100 Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides 105
Fargue, Valry Larbaud rapporte que Saint-John Perse Dans une enqute mene auprs d'crivains99, Annette
demandait toujours, ds qu'on lui parlait d'un crivain: Lorenceau a recueilli des tmoignages qui reproduisent
Est-il musicien ? Fidlement cette irrductible opposition. Pierre Moustiers
crit ainsi : Il existe actuellement des rgles gnrales de
De nombreux grammairiens, qui sont aujourd'hui ponctuation : celles dictes par le bon sens et le souci de la
jets aux orties comme normatifs, ont soutenu cette communication o la fantaisie goste et le dlire n'ont
thse. Ainsi, Thimonnier dit que la ponctuation a une pas accs. [...] Se rfrer l'oral est une raction infantile.
valeur grammaticale; et les problmes qu'elle pose se [...] L'audace de pacotille qui consiste reproduire le lan-
ramnent des problmes d'analyse. Et Claude Tour- gage lmentaire ou les bafouillages sans virgule masque
nier, commentant cette phrase, ajoute: Thimonnier un aveu d'impuissance...
laisse entendre qu'il n'y a qu'une analogie entre la ponc- Tandis que Jacques Perry dclare : La ponctuation ne
tuation de l'crit et la prosodie de l'oral: la premire sert pas seulement la clart qui, pour moi, est essentielle.
permet une bonne comprhension du texte, qui permet Elle est surtout musicale, et j e n'hsite pas la sacrifier si
ensuite au lecteur de raliser judicieusement pauses et l'effet de compacit, de non-respiration me plat. Gene-
intonations 98 . vive Serreau: L'crivain est affront l un systme
C'est videmment cette tendance que nous nous rpressif, sournois, qui prtend mettre de l'ordre (un
rattachons, qui veut que l'effet suive la cause, et ne la ordre fait) dans l'espace d'une libert. [...] Oui, heureuse-
prcde pas. La ponctuation permet au lecteur de ment, il y a des rgles de ponctuation, sans a on ne pour-
comprendre ce qui est crit; elle lui permet ensuite de rait pas les enfreindre. [...] Mon habitude de ponctuation
faire comprendre d'autres, le cas chant, ce qu'il leur est surtout de l'inventer neuf chaque fois.
lit. Pour paraphraser Boileau, l'on pourrait dire que ce
qui est bien ponctu se prononce clairement, et que les Le prestige dont jouissent l'oral aujourd'hui, la Tradi-
pauses pour le faire arrivent aisment. tion Orale, la Transmission Orale, qui s'ajoute
Tous s'accordent donc sur u n partage des tches. Mais l'ignorance dans laquelle se trouvent linguistes et gram-
la part accorde au respiratoire varie d'un auteur mairiens de la manire dont on lit un texte, mais aussi
l'autre. Voil qui est fcheux : le respiratoire permet en dont on l'crit, d'une part ; la libert qui semble attache
effet toutes les liberts, tous les excs possibles. Tandis l'oral, et qui s'ajoute la rputation dsastreuse dont
que la ponctuation logique n'en permet que fort peu. Si souffre l'ide de rgle, d'autre part, ont contribu, en la
bien que, selon qu'on place le respiratoire avant le syn- matire, au retour l'obscurantisme.
taxique, ou le syntaxique avant le respiratoire, on dfend A trop se har, toujours renoncer soi, faire mine de
une ide normative ou laxiste de la ponctuation. Ces vnrer l'oralit, l'crivain occidental finit par n'tre
deux termes, aussi pjoratifs l'un que l'autre, sont-ils donc plus rien du tout. Sinon ridicule et illisible. C'est qu'il
les seuls dont la langue franaise dispose? renonce ses plaisirs, aux plaisirs de sa caste, dont le
principal est l'assidue lecture de Littr et de son diction- Jean Paulhan condamnait, avec la violence qu'on sait, les
naire alphabtique (l'italique est pour Bergamin, cit plus errements de ce qu'il est convenu d'appeler l'Epura-
haut; il devait, de son ct, s'abandonner en secret la lion, s'levant de sa plume douce et perante contre
pratique du Diccionario de autoridades, le bien nomm). l'hypocrisie smantique qui accorde au mot patrie
Ajoutons cela que le culte rendu la tradition perdue Ici sens en 1914, et tel autre en 1945; et dfendant au
a toujours vogu de conserve avec une indfectible nos- contraire le fondement de la dmocratie, c'est--dire un
talgie, une iconoltrie vritable l'gard de l'antique ; la langage commun, exempt d'incertitude et d'ambigut,
Rome impriale tait au cur de l'idologie fasciste; la capable d'offrir aux tres humains un lieu de dialogue. Il
mythologie allemande, du nazisme ; il n'y a pas de diff- uvait coutume de citer un mot de Confucius: La confu-
rence de nature entre la destruction systmatique des sion des mots entrane la confusion des ides; la confu-
cultures orales opre par les coloniaux, et la strilisation sion des ides entrane le mensonge et la malversation.
de la culture crite entreprise par les folkloristes ; enfin,
les plus grands spcialistes des traditions orales n'ont pas
t suspects d'avoir jamais particip ces actions imp- Qu'il faut admettre l'existence de la loi
rialistes: ils dfendent au contraire l'ide du respect
mutuel et de la coexistence, attaquent (Michel Leiris le On voudrait qu'il n'y ait pas de rgle, et que la crativit
premier) la publicit faite aux traditions orales, la mdia- soit la chose la mieux partage du monde. On voudrait
tisation qui leur est impose, et qui sont deux srs dboulonner la statue de Vaugelas pour la remplacer par
moyens de les touffer (noter que leur pratique quoti- celle du scripteur inconnu. O n fait crire les enfants, on
dienne de la culture non crite n'a jamais empch les expose leurs dessins.
chercheurs de consigner leurs observations et leurs ides Pourtant, l'enqute d'Annette Lorenceau montre que la
dans des ouvrages nomms livres). Les musiciens majorit des crivains interrogs croient encore aux
encore eux savent qu'il y a plus loin de Bartok au violo- rgles de ponctuation. Au grand dam des linguistes dont
neux roumain que de Ravel au chanteur de flamenco; la tche semble dsormais se borner l'observation de
mais l'Espagne de salon qu'on entend dans Alborada del faits grammaticaux et littraires, et qui prtendent, non
gracioso produit le mme effet sur l'auditeur de Carnegie sans quelque raison d'ailleurs, que la faute n'est pas la
Hall que ces Danses roumaines recueillies par un Bartok faute, mais qu'elle relve d'une autre grammaire ...
respectueux d'authenticit: de ce capital d'motion le Reproduisons le paragraphe de cet article, intitul
vieux paysan des Carpates et le noir Galicien ne touchent Quelques rsultats globaux :
pas mme l'usufruit.
La ponctuation ne relve pas de la Kultur, au sens o 1. 34 crivains pensent qu'il y a des rgles de ponctua-
Thomas Mann l'entendait: ce qui appartient en propre tion ; 5 sont de l'avis contraire.
chacun ; mais bien la civilisation, c'est--dire ce qui est
commun tout un groupe d'tres humains. Elle ne divise 2. 18 pensent que la ponctuation a plus de rapports
pas: elle rapproche. C'est au nom d'une grammaire avec l'oral qu'avec la syntaxe, 14 pensent qu'elle a plus de
commune, et non d'une politique ou d'une morale, que rapports avec la syntaxe ; 7 rpondent avec les deux.
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Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides
3. On ne consulte pas de manuel. Cinq auteurs citent Ces chiffres permettent une conclusion gnrale: la
Le bon usage du franais d e Grevisse, le Dictionnaire des dif- majorit des crivains consults estiment qu'il existe des
ficults de la langue franaise, le Code typographique, le rgles de ponctuation, qu'ils ont leurs habitudes propres,
Littr, le Petit Robert. Mais on ajoute que ces livres don- qu'ils mettent la ponctuation au premier jet, la corrigent
nent peu d'indications. (Il est intressant de noter que ces trs souvent. Ils ne consultent pas de manuel et ne se plai-
crivains dclarent qu'il y a des rgles, mais qu'ils n'utili- gnent pas de leurs diteurs.
sent pas de manuel. O trouve-t-on alors ces rgles?)
On peut tirer d'autres conclusions, d'autres observa-
4. 32 crivains, contre 8, disent avoir des habitudes de tions bien que l'chantillonnage des crivains ne soit
ponctuation. pas entirement reprsentatif: il runit nombre d'auteurs
de deuxime ou troisime ordre ; mais, enfin, ils font des
5. 31 crivains disent mettre la ponctuation ds le pre- livres.
mier jet, 7 non, 5 la corrigent, 9 la corrigent un peu, 10 ne
la corrigent pas. 1. Qu'il existe des rgles, mais pas de manuel, peut
signifier que :
6. 23 disent ne pas lire haute voix pour mettre la les crivains les connaissent parce que les rgles font
ponctuation, 10 le font; 2 rpondent j'cris haute partie de leur syntaxe, de leur langue ;
voix; un auteur rpond non, sauf pour le thtre; les crivains ne respectent pas les rgles, ou du
Herv Bazin dit user parfois du magntophone. moins ne les connaissent pas;
dans tous les cas, les livres consults sont mal faits.
7. 29 auteurs corrigent la ponctuation sur les
preuves, 3 la corrigent parfois, 6 ne la corrigent pas. 2. Prs de la moiti des auteurs pensent que la ponctua-
tion a plus de rapports avec l'oral qu'avec l'crit. Pourtant,
8. 26 auteurs rpondent que les diteurs respectent la un quart seulement d'entre eux lisent leur texte haute
ponctuation ; 10 disent pas toujours ; 5 disent non100. voix. L'autre quart ment. Et rien ne prouve que la lecture
haute voix concerne uniquement la ponctuation.
9. 30 auteurs disent s'attacher faire respecter leur
ponctuation; 4 disent non; 3 rpondent cela dpend, "il 3. 32 crivains prtendent avoir des habitudes de
faut ngocier". ponctuation; mais 14 la corrigent sur manuscrit, et 32
sur preuves. Les habitudes semblent mal ancres...
100. Aragon : Ils n e respectent rien ni personne, mais j e les fatigue.
S i m e n o n : Vous savez, j e suis u n m a n i a q u e des virgules, des points-vir- 4. Peu d'auteurs signalent des divergences entre leur
gules et des points, tant et si bien qu'avec mes diteurs, il est e n t e n d u ponctuation et celle qui leur est impose par l'diteur.
qu'ils n'ont pas le droit de changer surtout u n e virgule. Parce que j e
Ce fait s'explique de trois manires, qui ne sont point
d o n n e aux virgules u n e trs grande importance. C'est c o m m e au cinma,
q u a n d vous avez couper et r e p r e n d r e : a a u n e importance norme. exclusives :
(A Claude Chabrol, 1982.) a. soit ils ponctuent correctement;
110 Histoire, ides, histoire des ides
Histoire, ides, histoire des ides 111
b. soit leur diteur ignore les rgles de ponctuation ; xxe sicles), et tout particulirement la Bibliothque de
c. soit leur diteur sait les rgles, mais n'en a cure. la Pliade (Gallimard), qui nous interdisent de lire le texte
*
des pices anciennes dans leur texte original ; et rappeler
que nous n'avons que faire de la ponctuation des di-
teurs, quand des crivains aussi profondment dous
pour la scne qu'un Molire, qu'un Corneille, qu'un
Tentative de dfinition
Racine, ont pris le soin d'en indiquer une qui leur conve-
nait.
Claude Tournier: La ponctuation est, dans un mes-
sage crit, l'ensemble des signes qui n'ont pas de corres- D'autant qu'il apparat au premier coup d'il que la
pondant phonmique"". ponctuation des textes dramatiques, anciens ou
modernes, n'obit pas aux mmes rgles que les autres (ce
Amusant de voir que le propre de la ponctuation est qui confirme, a contrario, le caractre purement visuel de
d'tre muette (sans correspondant phonmique ), la ponctuation littraire ; et nous avons vu que dans Bos-
quand on prtend souvent voir en elle l'accessoire des ora- suet et dans le Cal de Retz cette opposition tait dj
teurs. C'est que le silence, pour eux comme pour Mozart, visible).
est encore du son; le son n'est intelligible que par le Il nous faut, pour les dgager, comparer quelque di-
silence qui l'entoure. Au commencement tait le Verbe , tions. Voici quatre tats du mme fragment de Cinna (I, 2),
dit la Gense. Mais Salomon dit: Tandis que le Silence ordonns l'inverse de l'ordre chronologique 102 :
entourait tout, que la nuit tait au plus haut priode de sa
vitesse, ton verbe, tout-puissant guerrier, premptoire, MILIE.
s'lana du haut des cieux de son trne royal... Au com-
mencement tait le silence. Et puis, il y eut le thtre, qui Je l'ai jur, Fulvie, et je le jure encore,
est la musique mle la pense. Quoique j'aime Cinna, quoique mon cur l'adore,
S'il me veut possder, Auguste doit prir :
Sa tte est le seul prix dont il peut m'acqurir.
Je lui prescris la loi que mon devoir m'impose.
Que le thtre est un lieu o l'on respire
FULVIE.
L'criture des textes destins la scne ne rpond pas Elle a pour la blmer une trop juste cause :
toujours aux critres gnralement admis en matire de Par un si grand dessein vous vous faites juger
ponctuation. Il faut redire, cette occasion, la respon- Digne sang de celui que vous voulez venger ;
sabilit crasante des diteurs contemporains (xixe et
FULVIE. CHRISAE.DE.
Elle a pour la blmer une trop juste cause, Nous sommes ici seuls ; et l'on peut, ce me semble,
Par un si grand dessein vous vous faites juger Sans craindre d'tre ous, y discourir ensemble :
Digne sang de celui que vous voulez venger, Voulez-vous qu'en ami je vous ouvre mon cur ?
Mais encore une fois souffrez... Votre dessein pour vous me fait trembler de peur ;
Et de quelque faon que vous tourniez l'affaire,
Prendre femme est vous un coup bien tmraire.
MILIE.
L'cole des femmes, I, 1,
Quoi, je le harai sans tcher de lui nuire ?
dition de Robert Jouanny,
(Paris, 1643.) Garnier, 1962.
cette fois, et un peu plus loin dans la mme scne intro- Molire jouait revtu des passementeries de Scara-
ductive : mouche, et qui affiche la satisfaction d'avoir achet
nagure une enfant de quatre ans, pour aujourd'hui en
Je me vois riche assez, pour pouvoir, que je crois, jouir librement.
Choisir une moiti, qui tienne tout de moi, On passera sur Racine, qui ponctuait fort sagement. Si
Et de qui la soumise, et pleine dpendance, les ditions d'poque montrent de nombreuses virgules
N'ait me reprocher aucun bien, ni naissance. de fin de vers, amenant les parataxtes desquelles on trou-
Un air doux, et pos, parmi d'autres enfants, vait s'tonner dans Corneille, on y voit aussi beaucoup
M'inspira de l'amour pour elle, ds quatre ans : de ponctuations moyennes (points-virgules et deux-
Sa mre se trouvant de pauvret presse, points), comme si Racine avait recherch le naturel d la
De la lui demander il me vint la pense,
diction et le confort d'une respiration aise.
Et la bonne paysanne, apprenant mon dsir,
A s'ter cette charge eut beaucoup de plaisir.
Il semble, aprs un examen trop bref, que l'ensemble des
Dans un petit couvent, loin de toute pratique,
Je la fis lever, selon ma politique,
uvres littraires ouvertement destines la scne ait
C'est--dire ordonnant quels soins on emploierait, rpondu ce critrium : indiquer les respirations, et mar-
Pour la rendre idiote autant qu'il se pourrait. quer autant que possible les variations de ton. Nanmoins,
ds l'avnement de la typographie moderne (qu'on peut
Peut-on dire, sans tre ridicule, qu'on croit entendre un dater, ainsi que nous l'avons dit, vers la fin du xvm e sicle),
acteur? Qu'on imagine les sautes de la voix, les regards en il est craindre que le thtre n'ait t plus strictement
coin, les aparts? A premire vue, on croirait ce texte rgi, et l'auteur moins libre d'ainsi diriger ses acteurs.
dit par un Didot devenu fou, devenu maniaque de la S'il n'tait question ici de littrature franaise, on pour-
virgule. Il n'en est rien ; et Didot se ft jet dans la Seine rait tudier, la suite de Percy Simpson, la ponctuation de
plutt que d'imprimer un air doux, et pos, ou, pis Shakespeare 104 ; et noter avec lui que pour l'auteur de
Macbeth une virgule indique une pause lgre (et seule-
encore, je la fis lever, selon ma politique... Molire
ment cela), un point-virgule une pause plus appuye (et
n'tait pas un fou de la virgule ; mais la manire des cla-
seulement cela), etc. Il s'agissait donc d'un vritable trsor,
vecinistes de son temps, il notait en toutes lettres les orne-
d'une inpuisable mine d'informations, d'autant qu'on
ments. Sa didascalie est plus prcise encore que celle de sait peu prs quoi correspondait, dans le ton ou le
Corneille. Ces trois derniers vers, ne portent-ils pas leur dbit, une parenthse, un crochet, un tiret, etc. Cela n'a
ironie dans cette incise, cette courte phrase qui se ren- pas empch les rudits du corpus New Shakespeare de
gorge ? Autant que dans ce vaniteux enchanement selon remplacer ces codes par d'autres, de leur cru, censs
ma politique,/ c'est--dire ordonnant, dont on ne sait pas mnager la fois les rgles de syntaxe et les indications
trs bien s'il s'agit d'une apposition,... ou quoi? Car enfin, vocales de l'auteur. Autant dire que ni les unes ni les
si c'est--dire explicite lever , le participe prsent ne autres ne sortent indemnes de l'opration. Henri Evans,
s'explique plus; s'il dveloppe ma politique, il est
incomprhensible. La ponctuation, comme la syntaxe,
souligne le ridicule et le tragique de ce personnage que 104. Shakespeare's Punctuation, 1911.
118 Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides 119
responsable d'une monumentale dition de Shakespeare Claudel montre un systme de ponctuation trs per-
en langue franaise 105 , explique: Il ne pouvait tre ques- sonnel, trs efficace: ayant dfini son verset, unit de
tion, dans une dition moderne, de restituer telle quelle souffle, base rythmique indpendante de la phrase, il le
cette ponctuation destine des acteurs et non des lec- met en concurrence avec une ponctuation large, gn-
teurs. Les savants parfois vous donnent le vertige. reuse, qui ne s'embarrasse pas de virgules excessives, et
Le xx e sicle, manifestement dsireux de supprimer qui aide le comdien tenir le long flux de sa prose po-
toutes les prcieuses indications que nous avaient laisses tique. La virgule chez lui soutient de frquentes parataxes,
beaucoup plus nombreuses que dans Giraudoux, et qui ne
les anciens sur la manire de dire leurs textes (sans doute
sont pas pour rien dans le caractre incantatoire du
afin de justifier les carts auxquels acteurs et metteurs en
thtre claudlien; elle redonne de l'nergie au verset
scne nous ont habitus), a nanmoins permis aux auteurs
long, le divisant pour le faire paratre plus ample encore,
dramatiques contemporains de droger souvent des
et plus fort. Beaucoup de vocatifs (et donc de points
rgles qui ne conviennent qu' l'crit, afin de peindre plus
d'exclamation), beaucoup de constructions parallles,
librement leurs personnages.
faces qui se refltent dans le miroir de la virgule:
C'est ainsi qu'un Montherlant se montrait dans son
thtre d'une dsinvolture qui et paru tout fait incom- ANNEVERCORS107.
prhensible dans ses romans sur la ponctuation des-
Violaine !
quels il tait trs pointilleux. Giraudoux est plus sage, Mon enfant ne la premire la place de ce fils que je n'ai
comme son frre Racine, et se borne respecter les rgles pas eu !
qui ont mrit son indfectible confiance. Les phrases Hritire de mon nom en qui je vais tre donn un
sont souvent plus courtes, voil tout106, mais toujours autre !
ponctues parfaitement: Violaine, quant tu auras un mari, ne mprise point
GISTHE.
l'amour de ton pre.
Car tu ne peux pas rendre au pre ce qu'il t'a donn,
D'autre part, prsident, il est incontestable qu'clatent quand tu le voudrais.
parfois dans la vie des humains des interventions dont Tout est gal entre les poux ; ce qu'ils ignorent, ils
l'opportunit ou l'amplitude peut laisser croire un intrt l'acceptent l'un et l'autre dans la foi.
ou une justice extrahumaine. Elles ont ceci d'extrahumain, Voici leur religion mutuelle, voici cette servitude par qui
de divin, qu'elles sont un travail en gros, nullement ajust... le sein de la femme se gonfle de lait !
La peste clate bien lorsqu'une ville a pch par impit ou Mais le pre voit ses enfants hors de lui et connat ce qui
par folie, mais elle ravage la ville voisine, particulirement tait en lui dpos. Connais, ma fille, ton pre !
sainte. La guerre se dchane quand un peuple dgnre ou L'amour du pre
s'avilit, mais elle dvore les derniers justes, les derniers cou- Ne demande point de retour et l'enfant n'a pas besoin
rageux, et sauve les plus lches. qu'il le gagne ou le mrite ;
Electre. Comme il tait avec lui avant le commencement, il
demeure
105. I m a g e s e t r e f l e t s , 1 9 5 4 .
107. A n n e Vercors est le pre d e Violaine.
106. Quelques parataxes, tout d e mme.
118 120
Histoire, ides, histoire des ides Histoire, ides, histoire des ides
Son bien et son hritage, son recours, son honneur, son ... c'est que la phrase ne fait qu'un tout, et qu'une suite de
titre, sa justification ! [...] virgules l'et casse, comme dans un deux trois quatre ! .
Jacques, tu es l'homme que j'aime. Prends-la. Je te donne De mme, dans cette injonction :
ma fille Violaine ! Ote-lui mon nom,
Aime-la, car elle est nette comme l'or, LE VEILLEUR.
Tous les jours de ta vie, comme le pain dont on ne se ras-
Rcitez la liste de vos jours qui sont fut !
sasie pas.
Elle est simple et obissante, elle est sensible et secrte. ... dans laquelle le point d'exclamation et l'absence de tout
Ne lui fais point de peine et traite-la avec bont. autre signe donnent une force peu commune la phrase
L 'annonce faite Marie"'*. et sa bizarrerie grammaticale.
Dans les laisses dont il a le secret, on trouve une ponc-
(Nous n'avons pas lsin sur la longueur de l'exemple : tuation parfaitement correcte, mais qui sait, lorsqu'il le
quoique le charme de l'criture claudlienne agisse ins- faut, suivre l'affranchissement syntaxique qu'elles affi-
tantanment, le rythme puissant qui l'anime exige un peu chent, et qui est propre l'criture dramatique (beaucoup
de temps pour s'installer...) de ces parataxes dcidment propres au thtre franais
Claudel traite la ponctuation comme la syntaxe: il du xx e sicle !) :
l'asservit absolument sa volont, il la distord sa guise ;
elle est sa servante. A sa manire, Claudel est un ponc- L ' E N F A N T DES C E N D R E S .
tueur idal ; il sait ce qu'il fait, pourquoi, et dans quel but. L'antpositif s'accorde en nombre au genre de la prposi-
Nous avons l une ponctuation proche de celle tion que son verbe complmente ; au mode quilatif, tant
qu'employait Corneille: tout pour le thtre et pour la qu'au dprciatif, le rgime du sujet reste blanc. Dites les six
voix rien pour le papier. Ponctu par un autre, son modes qui sont! L'optionnel, le dictatif, le subodoratif,
thtre serait sans doute insupportable: le spectateur l'injonctif, l'inactif, le dodcationnel. Sparatif est le mode
toufferait, et le comdien avec lui. de sparation; l'optionnel est le mode de l'option. Seize
temps sont quand il est encore temps : le prsent lointain, le
Le thtre d'aujourd'hui est plus libre encore vis--vis futur avanc, l'inactif prsent, le dsactif pass, le plus que
de la syntaxe, cela va de soi. La ponctuation suit. Un prsent, son projectif pass, le pass postrieur, le pire que
auteur comme Valre Novarina sait mieux qu'un autre pass, le jamais possible, le futur achev, le pass termin, le
donner aux phrases la ponctuation qu'elles semblaient possible antrieur, le futur postrieur, le plus que perdu,
porter en elles. S'il ponctue ainsi cette rplique (dans Vous l'achevatif, l'attentatif.
qui habitez le temps) :
S'opposent parfois des phrases bien campes sur leurs
LE VEILLEUR. jambes classiques, et des priodes penses/dites comme de
Suite suite suite suite ! longues units :
L ' E N F A N T DES C E N D R E S .
LE P O I N T
Dfinitions
Dolet: Quant au poinct final, aultrement dict poinct
rond, il se mect tousiours la fin de la sentence, & iamais
n'est en aultre lieu. Et aprs luy on commence uouluntiers
par une grand letre.
Furetire : Un point marque un sens complet, & que la
periode est acheve.
Littr : Petite marque que l'on met dans l'criture pour
indiquer la fin des phrases.
Grevisse : Le point indique la fin d'une phrase. Il se
place aussi aprs tout mot crit en abrg. [Remarque :]
Les crivains contemporains emploient parfois le point
(au lieu de la virgule) pour dtacher d'une proposition
principale une proposition subordonne ou un membre
Lorsque plusieurs articles se r a p p o r t e n t au m m e sujet, ils p o r t e n t u n de phrase auxquels ils veulent donner un relief plus
n u m r o d'ordre d e u x chiffres. 3/4 signifie, p a r exemple, q u e l'article accus.
ainsi dsign est le troisime sur u n total d e quatre.
Attention l'emplacement de la parenthse : s u b o r d o n n e (1/3) rela-
tive signifie que la numrotation concerne la s u b o r d o n n e en gnral ; 1. A quoi sert le point. La premire fonction du point
s u b o r d o n n e relative (1/3), qu'elle concerne la s u b o r d o n n e relative. semble donc de marquer la fin de toute phrase. Les
130 Les signes Le point 131
exemples ne manquent pas... En voici un, qui le concerne propres exciter son dsir, et suggres par un seul verbe
directement : suivi d'un point:
2. Marquer la fin d'un syntagme. Nanmoins on Le journalisme fait grand usage de phrases courtes
vient de le voir , le point marque l'achvement de cer- dpourvues de verbe, auxquelles le point donne un carac-
tains syntagmes isols, comme la citation d'un auteur et de tre affrmatif, pour ne dire pas premptoire. Les jour-
son ouvrage : naux les plus sobres ne sont pas exempts de telles suren-
Antoine Furetire, Dictionnaire universel. chres, du moins dans ce qu'on nomme en jargon de
mtier les chapeaux. Sous le titre Les industriels
Ainsi, certains journaux, fort rares ( Le Monde , par passent au vert, on pouvait lire, dans Le Monde du
exemple), faisaient, rcemment encore suivre d'un point la 24 juin 1989:
signature de l'auteur (voir paragraphe 13).
Finies les chemines d'usine. Termins les phosphates
3. La profusion de points finaux. On a beaucoup dans les lessives. En principe. Par obligation, et pour pr-
dbattu sur l'emploi du point dans les phrases courtes, les server leur image, les entreprises s'efforcent de fabriquer
propositions subordonnes, les phrases dpourvues de sans polluer. Un gigantesque march pour l'Europe. Et pour
les Etats-Unis.
verbe, etc. Cela ne regarde le point que de trs loin.
L'auteur dtermine comme il l'entend la longueur de sa
phrase ; et c'est faire un mauvais procs au signe de ponc- Mais si la publicit et les genres qui s'y rattachent le
tuation que de l'accuser de tares qui ne sont pas siennes. chapeau est bien une rclame pour le papier
Le point termine une phrase courte, longue, mal ou bien usent si largement du point, c'est avant tout qu'il est un
construite. signe positif. La phrase est termine, la cause entendue, la
Nanmoins, l'accumulation de points est un phno- vrit dgage. Le fait est certain. Voil qui, en notre
mne de ponctuation qu'il faut considrer, et l'effet poque technocratique, est une qualit inapprciable, une
duquel il faut chercher une explication. vertu.
Lorsqu'il est employ aprs des phrases brves et affir-
a. Poids du point. On se souvient peut-tre de cette matives comme celles que nous avons cites, il acquiert
campagne publicitaire pour un clbre club de vacances, mme un pouvoir exclamatif. Sur le point d'exclamation
qui fut conue autour d'actions simples et d'images il a l'avantage de ne point exprimer ouvertement l'tonne-
paradisiaques. En lettres gigantesques, les affiches ment, l'admiration, l'incrdulit. Il prte ces sentiments
offraient au chaland le choix entre quelques activits au lecteur, condamn s'merveiller. Le point, dans de
133 135
Les signes Le point.
tels cas, n'exprime pas: il provoque. Ainsi, sous le titre ainsi qu'il pose ses phrases comme des objets admira-
Hugo Wolf , ce chapeau : bles , au sens classique du terme, et jouit de l'effet pro-
duit. Aprs lecture d'un pareil catalogue, comment
Ce n'est pas un vrai compositeur. Il n'crit ni sympho- rsister au dsir d'entrer dans l'exposition ?
nies, ni quatuors ni concertos. Il passe tout son temps dans Est-ce l une rclame irrsistible? Pas toujours; mais
les livres. Il vit comme un chien. Il hurle ses pomes pr- elle se pose comme telle. Le journaliste ne va pas vers le
frs. Sa faon de crer est une aventure unique: crire lecteur : il fait en sorte que le lecteur vienne lui.
l'essentiel de son uvre en six mois. Son ambition est dme-
sure: condenser des opras entiers dans des chansons de b. Le point froid. Nous voyons que ce procd a pour
deux minutes. L'inspiration dvore ce musicien. De quel moteur la distance que l'auteur met entre le lecteur et lui.
prix va-t-il la payer ! Cette indiffrence, calcule ou non, n'est pas loin d'tre
In Le Monde de la musique . celle de Meursault, le narrateur de L'tranger-, elle
s'exprime par des phrases simples et courtes, aussi ano-
Il ne faut pas tre grand clerc pour comprendre o sont nymes que celles d'une dpche tlgraphique, et accom-
le jeu et l'enjeu de ces points rptitifs. Imaginons le pagnes de leur point:
dbut crit par un non journaliste :
Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-tre hier, je ne
Wolf n'est pas un vrai compositeur: il n'crit ni symphonies, sais pas. J'ai reu un tlgramme de l'asile : Mre dcde.
ni quatuors ni concertos, passe son temps dans les livres, vit Enterrement demain. Sentiments distingus. Cela ne veut
comme un chien, et hurle ses pomes prfrs. rien dire. C'tait peut-tre hier.
... Mais cela, dj, fait une phrase, une bauche de por- Albert Camus.
trait. Non point un chapeau ; car le portrait est cens Le point, plus encore que la brivet de la phrase qui
tre dans l'article... dtermine sa prsence, est le signe du fait accompli ; il est
Les points sont resssentis par le lecteur comme une invi- la marque de l'irrversible, de ce qui ne mrite plus
tation s'merveiller. Les remplacer par des points d'attention. Camus l'emploie donc pour suggrer l'indif-
d'exclamation quivaudrait une offre de communion, frence, tandis que le chapeau de journaliste labore sa
de partage. Le journaliste s'tonnerait, et communique- tactique de sduction sur cette indiffrence mme, sur cet
rait sa surprise : loignement que le lecteur, machinalement, cherche
rduire, comme on fait une fracture.
Ce n'est pas un vrai compositeur! Il n'crit ni symphonies, ni
quatuors ni concertos! Il passe son temps dans les livres! Il vit
comme un chien! Il hurle ses pomes prfrs! Le point, dans la phrase courte, est le signe du constat.
Il marque l'impassibilit de celui qui crit, comme de ce
Quelle maladresse ! Le journaliste dcouvrirait Hugo qui est dcrit :
Wolf en mme temps que le lecteur... Au lieu de quoi il
doit donner l'impression de savoir avant lui, et de le Reprsentez-vous la fort primaire : des fts vertigineux,
mener par la main sur le chemin de la connaissance. C'est verticaux, lisses, nus. Pas de sous-bois. Pas de vie. Une
134 Les signes Le point. 135
architecture de cathdrale dans la demi-tnbre. Levez la rable. Il ne cessera que le jour o la Terre, qui tourne une
tte: feuilles et branches constituent un lattis serr, infran- vitesse terrible, sera use par le frottement. Son rayon
gible, opaque, impntrable la lumire. Quelques papillons diminue chaque jour. Chaque jour rapproche donc l'homme
nocturnes, plutt. Pas de fleurs. C'est, d'abord, le du centre de la Terre. Le dernier jour, n'ayant plus de sup-
silence1. port, il tournera autour de ses pieds. Finalement, il mourra
de vertige. En attendant, il meurt de chagrin.
Max-Pol Fouchet,
Les peuples nus. L'lphan t est irrfutable.
c. Le point relie. Les points, lorsqu'ils sont rapprochs, Ou, mieux encore:
relient les phrases plus puissamment encore que ne le
font virgules ou points-virgules. Les voil rduites au Brice Parain vient de publier un ouvrage Sur la dialec-
commun dnominateur. Ainsi regroupes, comme tenues tique. Nul n'est plus savant que Parain. l est couvert de
en main, les phrases pointes ont un effet comique, ou doctorats. Il sait le russe et mille autres langues ; on ne triche
pas sur les universaux. Ce ne sont qu'Essais sur le logos pla-
suggrent l'agitation : les actions brves n'pousent plus le
tonicien et Recherches sur la nature et sur les fonctions du
rythme normal de la pense, mais le dpassent. Les points, langage qui sortent de sa plume avertie. Et cette plume est en
en sanctionnant cette fragmentation, en l'affirmant or. Et ses romans sont romans de philosophie. Ils s'appellent
comme prpondrante, soumettent le discours leur La mort de Socrate. Mais il lui faut des lecteurs savants. On
propre rptition. On ne sait plus alors ce qui fut premier, ne saurait comprendre sa Mort de Jean Madec sans admettre
de la brivet des phrases ou de la rcurrence du point avec lui que le mot cre la chose. Il a un style brillant et clair
final, comme on ignore souvent ce qui prcde l'autre, de au service d'une pense subtile. C'est un prisme philoso-
l'essoufflement ou de l'acclration du rythme cardiaque. phique.
Alexandre Vialatte, qui fut un crivain exquis, et un Ibid.
ponctueur hors pair, distingue trs subtilement les
points en cataracte des points-virgules en avalanche. Il Le lion est beau, grand, gnreux. Le lion est plein de
montre, dans cette Chronique dcourage , le pouvoir vitalit. Le lion est plein de superbe. Le lion en jette. Le lion
liant du point rptitif, et l'asservissement de la logique a du chien.
l'emploi qui peut en tre fait: Jacques A. Bertrand,
Tristesse de la balance
Le premier de l'an date de la plus haute Antiquit. Si loin et autres signes.
que l'on remonte dans l'histoire de la Terre, les annes ont
toujours fini et recommenc. Si bien que le premier de l'an Parfois, ces points rapprochs, qui font haleter la
date de bien avant l'homme. Il en a pris une majest consid- langue et ralentissent la lecture, n'expriment rien d'autre
qu'une certaine ambition littraire, et trahissent son
1. La raret des verbes ajoute la froideur du constat; plus encore,
chec :
l'emploi massif d'adjectifs, que proscrivait, pour cette raison mme, J e a n
Giraudoux: l'pithte n'agit pas, n e dit rien. Il faut la croire sur parole, Un humour froce. Macabre. Macabre et candide. Une
imaginer ce qu'elle dcrit. sorte d'innocence. Clair. Sombre. Perant. Confiant. Sou-
136 Les signes Le point 137
riant. Humain. Impitoyable. Sec. Moite. Glac. Brlant. Il Quant Franoise Sagan, elle avait exig qu'on crivt
me transporte dans un monde irrel. ainsi le titre d'un de ses romans :
Nathalie Sarraute,
Les fruits d'or. Aimez-vous Brahms..
Pis encore, plus laid, plus prtentieux: ... sans troisime point, ni point d'interrogation. Mais sa
consigne n'a pas t longtemps respecte: son diteur
a mais. Les mains de la vieille dame sur la photo. Le face- avait d la trouver un peu purile.
-main doublant les lunettes, la loupe de bureau. O. Quoi.
Sa bouche je ne. Qu'est-ce qu'il tient l entre ses dents. Rien. 5. Aprs le point, une capitale. Tout point est suivi
Des lvres. Comme tout le monde. Entrouvertes. Qu'est-ce d'une capitale, sauf s'il s'agit d'un point abrviatif situ en
que. Rien. Absolument.
milieu de phrase.
Genevive Serreau,
Ricercare2. 6. Le point abrviatif (1/4). On met un point pour mar-
quer l'abrviation de nombreux mots, dont il est impos-
Que disait donc Genevive Serreau, dans l'enqute que sible d'tablir ici liste complte. En effet, il est rare que ces
nous avons cite plus haut? Mon habitude de ponctua- abrviations soient codifies, et les auteurs sont frquem-
tion est surtout de l'inventer neuf chaque fois. Qu'est- ment amens les donner en tte de leur ouvrage. Un dic-
ce que. Rien. Absolument. tionnaire comme le Petit ROBERT3 en donne 374, qui
comprennent aussi bien des abrviations admises, comme
4. Le point multiple. Par dfinition, le point est
c.--d. ou trad. , que d'autres, moins courantes ( it.
unique; mais il peut tre triple: les points de suspension
pour italien , ou h. pour hapax ).
(voir ce signe). Il peut former des chanes (id.). Enfin, cer-
tains le considrent comme une unit pouvant tre multi- 7. Le point abrviatif (2/4). On met un point abrviatif
plie volont. Ainsi, Bernanos, dans Nouvelle histoire de aprs chaque lettre d'un sigle:
Mouchette, cherche rendre les tenues d'une chanson par
le redoublement du signe : S.N.C.F.
R.A.T.P., etc.
Esprez!... Plus d'espoir!
Trois jours, leur dit Colomb, et je vous d..o..nne Il arrive que certains sigles soient devenus de vritables
[un monde. mots usuels, comme Sacem. Dans ce cas, les points sont
Et son doigt le montrait, et son oeil pour le voir superflus (mais la majuscule initiale reste indispensable).
Scrutait de l'h..o.o.rizon l'i..mmen-si...t
[pro..fonde...
3. Nous r e p r e n o n s ici, en l'absence d e solution satisfaisante, la gra-
phie employe par Paul Robert lui-mme dans la prface qu'il crivit
2. Ces d e u x exemples ont t judicieusement choisis par Jacques Cel- cet ouvrage en 1977, bien qu'elle n'ait rien d e particulirement conve-
lard (in La vie du langage.) nable.
139 135
Les signes Le point.
En revanche, nul ne saurait nier qu'il faille crire: Pouvons-nous mettre un avis? La seconde solution
S.A.C.E.M. Si bien qu'on peut conclure, en cette parat plus normale, quoique dfendue.
matire dlicate, que seules les graphies SACEM
et S.a.c.e.m. sont fautives ou, du moins, non 10. La question des dates. O n m e t u n point, et n o n u n e
conformes. barre oblique, pour sparer, dans l'nonc d'une date, le
Il court, dans les milieux intresss, une rgle rcente jour du mois, et le mois de la semaine :
qui distingue :
a. les sigles dont on pelle chaque lettre: S.A.C.D., 25.VI.1954 ou 25.06.1954.
P.T.T. Dans ce cas, chaque capitale est suivie d'un point.
b. les sigles qu'on prononce comme un mot : Urss (pro- Et l'on met un point aprs la date, dans une lettre, un
nonc urss), Onu (prononc onu), Otan (prononc otan). journal intime, ou quelque autre document prcd d'une
Alors, on ne met qu'une majuscule initiale, et pas de date.
point. Mais lorsqu'on met une anne seule entre parenthses,
Cette distinction, fonde sur le seul usage oral, n'a que il n'est pas d'usage de la faire suivre d'un point (bien qu'il
des qualits. Elle semble rallier l'avis des spcialistes : Gre- s'agisse d'une vraie phrase abrge) :
visse, entre la neuvime et la dixime dition de son Bon
usage, a modifi en ce sens la notice qu'il consacre aux A Piron, qui lui demandait s'il tait rconcili avec Dieu,
sigles. Voltaire rpondit : Nous nous saluons, mais nous ne nous
parlons pas. (1752)
8. Le point abrviatif (3/4). Le point abrviatif sert
celer des noms de personnes ou de lieux: 11. Les abrviations. Certaines abrviations, contraire-
ment l'usage suivi pendant des sicles, ne sont plus sui-
M"" de G., la ville de T.
vies du point. Ce sont:
1 les units montaires, les symboles scientifiques, les
units de mesure, les titres honorifiques ou nobiliaires.
9. Le point abrviatif (4/4). O n a d m e t g n r a l e m e n t
2 les termes qui n'ont pas t abrgs par tronca-
qu'un point abrviatif absorbe le point final. On crira tion (apocope), et dont la dernire lettre figure dans
donc : l'abrviation, comme Dr pour Docteur.
Il prtend travailler pour la C.I.A. Voyez-vous cela ! Soit: F pour franc(s) 4 , m pour mtre(s), 1
pour litre(s), W pour Watt, C pour degr(s)
Mais un guillemet fermant complique la question. Diffi- Celsius, F pour degr(s) Fahrenheit, h et m
cile de trancher entre ces deux manires d'crire : pour heures et minutes, Fe pour fer, Cu
pour cuivre (etc.), V pour vitesse, M pour
Il prtend travailler pour la C.I.A.
Il prtend travailler pour la C.I.A. . 4. Franc n e s'abrge jamais en Fr, ni en Frc(s).
140 Les signes Le point. 135
masse5 ; on met moins encore de point, si l'on peut ainsi dates, le nom des fondateur et directeur, le numro d'di-
s'exprimer, lorsque l'abrviation est place en exposant: tion, les titres, les surtitres, le sommaire non plus que le
M me , Msr ou Mgr , C te pour Comte (et les autres numro des pages auxquelles il renvoie. Une phrase
titres nobiliaires), M e pour Matre, E ts ou Ets, comme :
xix e sicle, 1 er degr, etc.6.
Le sommaire complet se trouve page 22
12. Dans les parties d'une uvre. Dans un classement,
... n'est suivie d'aucune ponctuation; en revanche, on
on ne met pas de point aprs 1 ou 2, etc. En
lisait, rcemment encore, la fin d'un article :
revanche, on en met un aprs 1 ou A ou I , lors-
qu'ils ont la mme fonction ; mais aucune ponctuation ne DOMINIQUE GALLOIS.
suit l'intitul des parties (mme si elles ne sont pas prc- (Lire la suite page 19.)
des d'un numro d'ordre) :
14. Dans les nombres. On ne met pas de point pour ta-
I. Les causes de la guerre blir des sparations entre les chiffres formant un grand
A. Les causes politiques nombre, mais une espace fine :
1. La crise ministrielle
2. L'affaiblissement du pouvoir excutif 3 000 000.
B. Les causes conomiques
1. La dvaluation
15. Dans les catalogues. On ne met pas de point aprs
2. La surproduction agricole
II. Les consquences de la guerre
l'initiale d'un auteur de catalogue. On crit sonate
K 330 ( sonate portant le n 330 dans le catalogue de
(Dans ce cas, l'intitul prend une capitale.) Koechel ), concerto BWV 1052 ( n 1052 dans le Bach
Werke Verzeichnis ) ; si l'abrviation comporte plusieurs
13. Dans les titres d'uvre. On ne met pas de point lettres appartenant au mme mot, l'initiale seule se met en
aprs un titre de livre, de journal, de film, etc. capitale, et le sigle ne comporte pas plus de point qu'
Cette rgle est rcente. Jusqu'au dbut du xx e sicle, on l'habitude. On parle ainsi de la toccata BuxWV 165
faisait suivre d'un point le titre de l'ouvrage, mais aussi le ( n 165 d a n s le Buxtehude Werke Verzeichnis ).
nom de l'auteur et de l'imprimeur, la date et le lieu N.B. On ne met pas de point non plus l'abrviation de
d'impression, le titre courant, le quantime des chapitres, Mac dans les noms d'origine cossaise; on crit ainsi:
etc. Aujourd'hui, si l'on regarde la une du Monde , on
constate que ne portent aucune ponctuation finale le titre Joseph Raymond McCarthy.
(mme lorsqu'il forme une phrase complte), l'adresse, les
16. Dans les adresses. Il n'est pas ncessaire de mettre
5. Noter q u e Monsieur s'abrge toujours en M. et n o n en Afr,
un point aprs la suscription d'une adresse :
qui signifie Mister. Remarquer aussi que Docteur s'abrge en Dr
et non en D r , et Messieurs en M M . . 144 bd Richard-Lenoir
6. Rappelons au passage que l'abrviation d e confer se note Cf. . 75010 PARIS
142 Les signes
Conventions typographiques
CHAPITRE 2
17. Espace? Le point est coll au dernier mot de la
phrase, sans espace. Il est suivi d'une espace, mme
lorsqu'il est abrviatif. Il n'est suivi d'aucune espace LA V I R G U L E
lorsqu'il est employ pour sparer, dans une date, le jour
du mois, et le mois de l'anne. Dans les sigles, les usages
varient. Les lettres sont souvent colles sans espace. Mais Etymologie : du latin virgula ( petite verge ).
certains codes typographiques recommandent de les
isoler par une espace fine ou mme forte .
Dfinitions
rponses diffrentes. O n ne sait toujours pas pourquoi les information si prcieuse qu'elle suffit au lecteur pour
lecteurs lisent. dcrypter un message que la plus lmentaire clart et
U n crivain 2 n'avait pas t interrog, qui dclara dans irrmdiablement embrouill !
u n e mission de radio : on crit pour scrter du secret. Chaque mensonge est un aveu. Le lecteur volue avec
Une rponse comme une autre? Pas exactement: elle ne une aisance inattendue dans le ddale des pistes emm-
tentait pas d'lucider le pourquoi, au profit du pour les, alors que, ne pas se contenter de ce qui s'offre lui,
quoi . Les techniques psychanalytiques ont permis aux il s'gare sur les boulevards tout tracs des confessions
chercheurs de descendre si profondment dans l'me des loyales4.
hommes que les tres ont acquis la certitude d'tre trans- Il n'est pas avr que Suars ait eu raison de prtendre
parents. Ils se croyaient des blocs lourds et opaques, ils que la saintet de l'esprit est la clart ; et que puret, l-
imaginaient leur esprit l'abri des os de leur crne, leurs gance, lgret, forment les vertus premires de la langue
paroles masques par leurs mensonges ; mais ils taient de franaise. La qute de la vrit et le culte de l'motion
verre. Les lois auxquelles ils obissent sont occultes, devraient probablement avoir sur elles une prsance
certes, mais connues, commentes, dcrites. S'ils crivent, qu'il a souvent rpugn aux auteurs franais de lui
c'est pour reconstituer le mystre dont ils veulent tre accorder. N'importe : dans tous les cas, il faut travailler, et
ptris. Tout crivain sait cela. Il sait aussi que densit du la technique seule permet celui qui crit d'arriver ses
mystre qu'il produit et qualit de la confession croissent fins quelles qu'elles soient, puisqu'aussi bien elles se
en raison directe l'une de l'autre. Plus j e me livre, plus j e confondent l'horizon du Secret.
suis nigmatique. (Ceux que les critiques nomment des Sacha Guitry a plac, dans Si Versailles m'tait cont, ce
crivains secrets sont limpides : on leur voit l'me.) bref dialogue :
A quoi cela tient-il? A l'imagination du lecteur, qui Mmc de Maintenon. Vous implorez le Ciel?
dessine une image autour de ce qu'il sait; plus il en Louis XIV. Non, j'admire le plafond.
apprend, plus il produit d'image, et plus l'image masque C'est u n mot spirituel, mais inintelligent: le Ciel et le
en lui ce qu'il sait. La lecture est une opration constam- plafond, c'est tout un. A la question Pourquoi crivez-
ment dficitaire: chaque information reue se paye du vous? on aurait pu en adjoindre une autre: Pourquoi
double d'ignorance. Laquelle appelle de nouvelles infor- voulez-vous crire bien? O trouvez-vous l'nergie de
mations, et ainsi de suite. Les grands crivains sont ceux recomposer cent fois la mme phrase, ainsi que Boileau
qui se prsentent nus, et que leurs lecteurs habillent. prescrivait de faire? De lire, comme Flaubert, des livres
Marcel Proust, pour avoir exprim le plus secret de son stupides par centaines dans le seul but d'achever le matre
tre, avec le plus de prcision, d'acuit, d'intelligence, est livre sur la stupidit? De noircir, comme Cline, 8 000 5
son lecteur le plus impntrable des hommes.
A l'inverse, l'obscurit volontaire dont certains crivains
4. Q u a n d il a fallu qu'il [Dieu] ait paru [dans l'incarnation], il s'est
s'entourent (de Maurice Scve Pascal Quignard 3 ) est u n e
encore plus cach en se couvrant d e l'humanit ; il tait bien plus recon-
naissable q u a n d il tait invisible, que non pas q u a n d il s'est r e n d u
visible. (Pascal, lettre Mlk' d e Roannez.)
2. Jean-Nol Vuarnet.
3. Il n'est pas indiffrent que le second ait c o m m e n t le premier. 5. O u 80 000, d'aprs lui.
194 Les signes La xrirgule 195
feuillets pour en tirer 800 ? On trouve, dans une lettre que secret; faute d'amour pour sa langue, il l'abandonne aux
Debussy crivit son ami Caplet, cette confession ter- perilz & flotz trangers dont parle encore Joachim du
rible : J'ai hsit trois jours entre deux accords. Bellay, desquels elle ressort exsangue, indiffrencie,
Quelle force soutient un crateur dans de telles souf- perdue. Il n'est pas question ici de dfendre une langue
frances ? frileuse et ferme aux influences extrieures. Les
( Si ce n'est croyance en quelque dieu ?) changes ont toujours exist, et sont profitables aux deux
parties ; en revanche, lorsqu'un peuple lutte contre l'occu-
Le langage n'est pas uniquement l'outil de l'crivain : il pant tranger, on ne parle plus de xnophobie, mais de
est aussi son but du moins le seul qu'il puisse se fixer en rsistance. Ici, l'envahisseur s'appelle confusion, igno-
toute certitude. Le mystre et le secret lui seront donns rance, incurie. Contre toute apparence, l'Amricain, cou-
en sus. La langue franaise, parce qu'elle est la langue de pable d'avoir redescendu la noble langue anglaise au
l'crivain franais, est tout son horizon. Liszt crit que son niveau des grognements indistincts de Vhomo erectus, ne
piano lui est ce que le cheval est l'Arabe, la frgate au porte aucune responsabilit dans cette catastrophe linguis-
marin. Pas la course, ni la mer, mais cet quid nomm tique, mais la seule ngligence.
cheval, mais ce navire nomm frgate; non pas la
Alors que notre langue est sans doute la seule qui joigne
musique, non pas Bach ou Mozart, mais cette caisse noire
avec allgresse une morphologie extraordinairement
nomme piano. L'instrument est au dpart, l'arrive de
complexe et paradoxale 8 une syntaxe d'une prcision
toute chose, et le reste est silence.
sans quivalent, fine et souple, nos crivains ne montrent
Faire acte d'allgeance la langue franaise, amour et
que mpris pour la pure technique littraire. Ils semblent
soumission 6 , est pour l'crivain le seul espoir qui lui reste
ne consentir plus tre de bons artisans estimant sans
de se reconstituer entirement, de se rtablir dans son
doute qu'avoir des choses importantes dire ne s'accom-
intgrit primitive. A la suite de Charles d'Orlans, de mode pas du savoir-faire. Un bniste qui assemblerait ses
Malherbe, de Jean de Sponde, et de tous ceux qui ont eux- pices de bois comme l'acadmicien moyen ses phrases
mmes suivi ces pres fondateurs, Racine et Pascal, Sade serait la rise de ses pairs... et de sa clientle. L'crivain le
et Voltaire, Baudelaire et Hugo, Proust et Cline deux plus dou, s'il accumule les hiatus et les gnitifs en cas-
par sicle, toujours l'crivain franais doit user et forti- cade, se montre dans sa complte nudit; c'en est fini
fier sa langue, au seing de la tant desire France , crit du Secret: on le sait dou mais indiffrent sa propre
du Bellay, comme les premiers hommes conservaient le identit.
feu et se le transmettaient de pre en fils. C'est dans son
La virgule permet d'crire clairement; elle permet aussi
Enfer que Dante a mis un crivain coupable d'impit
d'crire obscurment : il faut choisir.
envers sa langue natale : pas de salut pour lui !
Alors que la plupart des signes sont dicts par la phrase
Faute de technique, l'art se perd 7 . Faute de tech-
(une interrogation porte naturellement son signe, une
nique, l'crivain ne produira pas de clart, et pas de
numration interrompue le sien, etc.), la virgule est
6. Deffence et illustration , disait du Bellay.
7. Le gnie est u n e question de muqueuses. L'art est u n e question d e 8. Suffisamment difficile en tout cas pour qu'on puisse organiser des
virgules. (Fargue.) concours d'orthographe.
194 Les signes La xrirgule 195
conjonction spare deux termes qui ne sont pas galit dans la phrase simple que nous venons de citer, le sujet est
dans la construction de la phrase : li au verbe, le verbe l'adverbe, l'adverbe la prposi-
tion qu'il gouverne, et ainsi de suite. A contrario, une vir-
O douleur ! douleur ! Le Temps mange la vie, gule sparant deux termes lis par le droulement normal
Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le cur des fonctions grammaticales installe une ambigut :
Du sang que nous perdons crot et se fortifie !
Charles Baudelaire, Les tres nerveux, rellement, souffrent de passer des
Les ifleurs du mal. heures dans le mme cube d'air et d'espace, [...].
Josphin Pladan,
En effet, vie et obscur Ennemi ne sont pas des Les amants de Pise.
termes grammaticalement quivalents : le premier est un
c.o.d., le second un sujet. On ne peut savoir si rellement modifie l'adjectif qui
Dans ce quatrain, emprunt un autre pome, Danse le prcde, ou le verbe qui le suit.
macabre, la profusion de fonctions grammaticales diverses On voit ainsi dans Genet une distribution parfaitement
provoque une cataracte de virgules : quitable entre des virgules qui ne laissent pas l'qui-
voque le loisir de s'installer, et une absence de virgule trs
En tout climat, sous ton soleil, la Mort t'admire loquente :
En tes contorsions, risible Humanit,
Et souvent, comme toi, se parfumant de myrrhe, Je vous parlerai de Divine, au gr de mon humeur mlant
Mle son ironie son insanit ! le masculin au fminin, et s'il m'arrive, au cours du rcit,
Ibid. d'avoir citer une femme, je m'arrangerai, je trouverai bien
un biais, un bon tout, afin qu'il n'y ait pas de confusion.
B. ABSENCE
Notre-Dame-des-Fleurs.
a. Par son absence, une virgule indique que deux termes
ne peuvent tre de fonction quivalente; voyons une Un ponctueur strict aurait spar au gr de mon
phrase simple : humeur de mlant le masculin au fminin; on
n'aurait pas su si au gr de mon humeur modifiait
J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans. parlerai ou mlant . Une virgule avant au gr , mais
Ibid. aucune aprs humeur: voil qui laisse une situation
smantique parfaitement propre (le sens flotterait avec la
Pas de virgule entre le sujet et le verbe, entre le verbe et virgule).
l'adverbe, entre l'adverbe et la prposition, entre la prpo- Inversement, Cummings disait : C'est un plaisir extraor-
sition et la conjonction, et ainsi de suite. dinaire que d'avoir fait quelque chose en premier 10 . De
quoi s'agissait-il? Il avait gliss une virgule o il ne fallait Il faut que ces affinits soient bien puissantes pour
pas: donner un sens ce fragment du passage clbre sur les
aubpines, dans Du ct de chez Swann :
[...] and, ashes [...]
Plus haut s'ouvraient leurs corolles et l avec une grce
Il expliquait: La vie n'a pour vivre aucun besoin de insouciante, retenant si ngligemment, comme un dernier et
lois. Il est vrai. Le seul plaisir, celui-l mme dont parlait vaporeux atour, le bouquet d'tamines, fines comme des fils
Cummings, les requiert. de la Vierge, qui les embrumait tout entires, qu'en suivant,
qu'en essayant de mimer au fond de moi le geste de leur efflo-
Mais ces quatre principes (1. la prsence d'une virgule rescence, je l'imaginais comme si 'avait t le mouvement
indique l'identit des fonctions; 2. elle indique aussi la de tte tourdi et rapide, au regard coquet, aux pupilles
diffrence des fonctions; 3. l'absence de virgule indique diminues, d'une blanche jeune fille, distraite et vive.
que les fonctions grammaticales sont diffrentes ; 4. elle
indique aussi que les termes de fonction diffrente sont La virgule est l rapidement dpasse; elle se contente
indissociablement lis) montrent l'ambigut de sa fonc- d'tayer des galeries dont l'entrelacs lui chappe; les
tion. Son rendement est dplorable. Pourtant, la langue subordonnants eux-mmes prouvent quelque difficult
franaise est si prcise que, dans la ralit de la lecture faire entendre leur voix: comment distinguer qui les
courante, l'esprit sait presque toujours quelle fonction la embrumait tout entires de qu'en suivant? Il faut
prsence ou l'absence de virgule ressortit. La virgule, en avoir gard en mmoire le si de si ngligemment
quelque sorte, n'a pas d'odeur. Le lecteur est oblig de pour comprendre qu'il commande qu'en suivant. Tant
l'analyser au plus vite, de lui en donner une... Quand il ne il est vrai que les affinits grammaticales, comme celles du
le peut, c'est que l'auteur a laiss, volontairement ou non, cur, sont affaire de souvenir: Proust n'avait pas tort.
subsister une ambigut. Voici par exemple une phrase A l'inverse, si la virgule est bien impuissante struc-
qui enchane plusieurs virgules de sens bien diffrents: turer la phrase, il serait impossible de la comprendre sans
elle. Telles sont de ce signe modeste la grandeur et la fai-
L'un parle, l'autre regarde la conversation, la dcline, la blesse.
refait l'envers, est devant cet interlocuteur sans dfense
comme devant un monstre qu'il dresse, de trs loin et trs
vite, dans une horrible complicit, dans un imperceptible
Prtons-nous maintenant un exercice d'analyse. Exa-
jeu de vases communicants. minons une phrase de Pladan (excellent ponctueur, en
gnral...), et vrifions sur pice la validit des principes
Georges Perros, Lectures.
simples que nous avons exposs :
Deux sujets, puis trois verbes, puis un quatrime, et puis
deux circonstanciels, et la phrase continue, par accumula- Elle s'assit une petite table, harasse quoiqu'elle n'et
tion de virgules, sans que rien n'indique au lecteur ce gure march, d'une humeur dsole au point de se joindre
qu'elles relient, ce qu'elles sparent si ce n'est quelques une bande Cook, si elle en avait rencontr.
affinits. Ibid.
194 Les signes La xrirgule 195
Ajoutons un terme perturbateur et qu'on pourrait sous- lecture de cet ouvrage admirable soit d'un grand profit
traire sans dommage (virgules de soustraction ) : pour ceux qui sont destins, un jour ou l'autre, prendre
la plume ou la parole).
Saint Louis, roi de France, rend la justice sous le chne de La distinction entre les incidentes dterminatives et les
Vincennes. explicatives sert isoler les cas o une virgule est nces-
saire avant un pronom relatif.
Enfin, bousculons l'ordre de la phrase en antposant le Pierre Larousse l'tablit ainsi: Les propositions pla-
complment de lieu (virgule d' inversion ) : ces aprs un pronom peuvent tre dterminatives, et
alors elles ne doivent point en tre dtaches par la vir-
Sous le chne de Vincennes, saint Louis rend la justice. gule ; elles peuvent aussi tre explicatives, et alors l'emploi
de la virgule est ncessaire. Ces propositions sont dtermi-
Voici une phrase qui combine les trois cas et non natives quand elles sont indispensables pour faire con-
sans une certaine allgresse grammaticale; Pierre natre la vritable valeur des pronoms ; elles sont explica-
Klossowski, dans sa traduction de l'Enide, souhaitait tives quand cette valeur est connue avant qu'elles soient
conserver le mouvement de la phrase latine. Il s'en est nonces. Supposons qu'un orateur chrtien dise en
suivi un grand nombre de virgules : chaire : Vous, qui avez quitt vos occupations ordinaires pour
venir entendre la parole de Dieu, la virgule sera admissible
Dissimuler aussi, tu esprais, perfide, pareil crime, parce que le pronom vous, applicable tous les auditeurs,
le pouvoir, et sournoisement t'loigner de mes terres ? conserve la mme tendue aprs qu'on y a joint la propo-
sition suivante. Mais si le mme orateur dit: Vous qui
* observez fidlement vos devoirs religieux, la proposition res-
treindra la signification de vous une partie seulement
des auditeurs; elle sera dterminative et ne pourra
14. L'ide d'incidente: rappel. Avant de passer
admettre la virgule15. C'est ici l'exemple :
l'tude des circonstances dans lesquelles la virgule joue
son rle, il faut rappeler une notion dont les grammai-
riens (de jadis) rebattaient les oreilles des amateurs & des Les lves qui ont fini leurs devoirs peuvent sortir.
connoisseurs, mais qui est bien nglige aujourd'hui:
celle d'incidente. Si nous plaons ici ce htif rappel, c'est
que de nombreux cas seront expliqus plus tard, qui sont 15. Larousse poursuit: Ajoutons que, mme dans le premier cas, la
gouverns par l'ide selon laquelle une incidente peut virgule peut tre supprime parce q u e le mot vous est si court qu'on n e
tre dterminative ou explicative. Autant dpoussirer tout peut gure y arrter la voix. Si l'on applique la mme rgle aux p r o n o m s
dmonstratifs, o n verra qu'il ne faut jamais mettre d e virgule e n t r e ce,
de suite ces termes confins...
celui, celle, ceux, celles, et la proposition suivante. O n verra d e m m e
Nous nous bornerons d'ailleurs rpter ce qu'on que celui-ci, celle-ci, ceux-ci, celui-l, celle-l, etc., d e m a n d e n t ordinaire-
trouve dans toutes les bonnes grammaires ce sujet; et ment la virgule parce que leur r a p p o r t des personnes, des choses dj
nul besoin de remonter jusqu' la Logique de Port-Royal dsignes et dtermines fait que la proposition qui les suit n e peut tre
qu'explicative.
pour comprendre de quoi il retourne (encore que la
Les signes La xrirgule 195
194
... on peut supprimer la dterminative en italique sans
Cela signifie: ceux des lves qui ont fini. La proposi-
grand dommage, il n'en reste pas moins que le sens
tion est dterminative. Pas de virgule. En revanche, celle-
obtenu est bien diffrent! De mme, il cite des incidentes
ci est explicative : explicatives qui, parce qu'elles sont oppositives ( l'amour,
lorsqu'il est absent, dcolore les plus beaux jours), ne
Les lves, qui ont fini leurs devoirs, peuvent sortir. peuvent tre supprimes. Mme mauvaise foi : car dans sa
forme complte, telle que nous la citons, la phrase n'est
Cela signifie : les lves ont fini et peuvent sortir. pas trs correcte; la logique rpugne une telle inci-
dente: ce n'est pas l'amour qui dcolore, mme s'il est
La Logique de Port-Royal donne un exemple qui mle
absent, mais bien l'absence d'amour qui n'est pas la
habilement propositions dterminative et explicative, mme chose.
sans qu'il soit question d'ensembles et de sous-ensembles:
Voici deux phrases qui prsentent une subordonne
La doctrine qui met le souverain bien dans la volupt du dterminative (qui s'enchane sans virgule) et une subor-
corps, laquelle a t enseigne par Epicure, est indigne donne explicative (qui est isole de la principale) :
d'un philosophe.
Est-ce de Gaulle qui crit ce texte en 1945, quand le
La premire relative ( qui met le souverain bien dans la monde occidental croit pressentir que la fin du franquisme
volupt du corps) est dterminative: tout le sujet de la ira de pair avec l'croulement des fascismes ?
phrase est la doctrine qui met le souverain bien dans la Est-ce Montherlant, qui brle de retrouver une Espagne
volupt du corps; il ne faut donc pas de virgule. La renaissante et superbe aprs les dsastres de la guerre civile ?
seconde ( laquelle a t enseigne par Epicure ) n est Frdric Deval,
qu'explicative; elle reprsente un dcrochement de la in Le nouvel Observateur .
pense, une information accessoire : elle est encadre de
virgules. Il est vrai, malgr tout, que cette distinction tablie
depuis toujours entre explicatif et dterminatif est loin
Cela dit, de nombreux cas litigieux peuvent apparatre,
d'tre parfaite. Elle reste pourtant d'une grande utilit ; et
qui contredisent ces dfinitions. S.-A. Tassis16 se plat
d'ailleurs, nul ne peut s'en passer. Nous la conserverons
citer des dterminatives qu'on pourrait supprimer sans
donc.
changer le sens de la phrase, et des explicatives indispen-
sables. Mais cette dmonstration n'est pas exempte de
mauvaise foi ; car s'il est vrai que dans la phrase : 15. La virgule: rappel historique. On sait, grce aux
travaux de J. McClelland, qui a tudi les ouvrages
Les livres de voyage que vous m'avez fait lire m'int- du xvi e sicle, que la fonction de la virgule tait dj
ressent beaucoup. multiple :
elliptique ( elle symbolise des lments non
16. Trait pratique de la ponctuation, 1859. rpts ) ;
La virgule 163
162 Les signes
Guinguettes claires,
Bires, clameurs,
Servantes chres
I I . U S A G E S DE LA V I R G U L E A tous fumeurs !
Paul Verlaine,
Romances sans paroles.
Nous reprenons ici les classifications tablies par Ren
Thimonnier et Jacques Damourette. 3. Sparer des indpendantes. On met parfois une
virgule pour sparer deux propositions indpendantes
juxtaposes (... si le sens de la seconde n'a rien de commun
A. ADDITION
avec celui de la premire ; dans le cas contraire, il faudrait
employer le point-virgule ou le deux-points) :
Une rgle est simple retenir et observer, mme si la
pratique montre qu'elle souffre une grande quantit
Turbidus est un pote dvou. Il a une ide, il conoit un
d'exceptions: on spare par une virgule les termes de pome : le voil parti pour l'accomplir et l'excuter. [...] Il a
fonction grammaticale quivalente, sauf s'ils sont relis fini, il nous revient, il vous cherche en hte. [...] Il me lit son
par une conjonction de coordination.
164 Les signes La virgule 165
pome, il le lit plusieurs autres [...]: il n'a pas cess Pour les paralllismes construits avec tantt... tan-
d'habiter dans son ide. tt... , soit... soit... , voir le paragraphe 27.
Sainte-Beuve, Mes poisons.
6. Sparer des termes isols. O n m e t u n e virgule pour
4. Sparer des relatives. O n m e t u n e virgule pour sparer des termes isols, des affirmations, des ngations,
sparer des relatives identiques : suivis ou non de complments :
Un seul Christ dans l'union hypostatique, pareille au mys- Ben oui, tiens.
tre de la gnration ; H oui, pas vrai ?
Qui est n de la Vierge Marie, qui a souffert sous Ponce C'est moi, quoi.
Pilate, qui est mort, qui est ressuscit le troisime jour ; [...].
Paul Claudel, 7. Sparer diffrents sujets du verbe (1/5). On met une
La Ville. virgule pour sparer les divers sujets d'un verbe (s'ils ne
sont pas relis, rptons-le, par une conjonction). L e d e r n i e r
5. Dans un paralllisme. On met une virgule, de la
sujet est lui-mme spar du verbe par une virgule18 (sur
mme manire, dans les proverbes construits sur le tour ce point, les grammairiens ne sont pas d'accord, et le Code
question-rponse, et les formules quivalentes, construites typographique a mme imprim en capitales sa dsappro-
sur des paralllismes : bation ; mais on peut considrer que la dernire virgule,
Moins il fait clair, mieux on y voit. immdiatement avant le verbe, confre tous les sujets
Jean Paulhan,
une valeur gale) :
Le clair et l'obscur.
La sottise, l'erreur, le pch, la lsine,
La voix de la cigale couvre les champs, mais son corps Occupent nos esprits et travaillent nos corps,
entier tient dans la main. [...].
Jean Paulhan, Charles Baudelaire, op. cit.
L'exprience du proverbe.
Nos pchs sont ttus, nos repentirs sont lches. 18. Il arrive bien e n t e n d u q u e la construction d ' u n e phrase fasse
Charles Baudelaire, op. cit. apparatre u n e virgule entre sujet et verbe. Voici u n exemple dans lequel
une apposition, place avant le verbe, et ncessairement encadre d e vir-
Plus on est de fous, plus on rit17. gules (voir le n57), en introduit u n e entre le sujet et le verbe :
Les arbres, les eaux, les revers des fosss, les champs Il pleut des balles, des obus, des pierres, d'indistincts mor-
mrissants, flamboient sous le resplendissement mystrieux ceaux de mtal dont la seule fonction est de coucher vos amis
de l'heure de Saturne ! dans la mort. Il tombe dans vos oreilles des cris affreux, des
Paul Claudel, explosions qui vous ptrifient ; et l'on ne sait si c'est de peur
Tte d'or. que vos yeux s'agrandissent : peut-tre que la mort vous a
touch aussi, vous, le meilleur ami que vous ayez jamais eu.
7 bis. Sparer diffrents sujets d u v e r b e (2/5). C'est Michel Mouton, op. cit.
p o u r q u o i l'on n'en mettra pas a p r s le d e r n i e r :
si les sujets s o n t en p r o g r e s s i o n : 9. Sparer diffrents a t t r i b u t s . O n m e t u n e virgule
pour s p a r e r les d i f f r e n t s attributs d ' u n m m e n o m ,
Les joies mondaines, la richesse, la gloire mme deve- qu'ils soient adjectifs ou substantifs, attributs d u sujet,
naient mprisables et insupportables. attributs d e l'objet ou d u p r o n o m rflchi sans o u b l i e r
Valry Larbaud, les attributs d u sujet d ' u n v e r b e i m p e r s o n n e l 1 9 :
Termina Marquez.
Il [Drieu] voulait paratre indolent, paresseux, indiff-
si les sujets sont repris, r e g r o u p s e n u n seul qui f e r m e rent. Ce n'tait qu'une attitude de dandy.
l'numration : Philippe Soupault,
Mmoires de l'oubli.
Le feu, les tranches, l'odeur de la poudre, les hurlements
des blesss, tout ce qui fait la guerre le ramenait ses soucis Bien des corps ont pass, morts, horribles, pourris,
d'enfant : une gne qui n'affectait que ses sens, et de trs Dont les mes avaient pour meurtrier Paris.
loin. Paul Verlaine,
Michel Mouton, Pomes saturniens.
Les introuvables.
si le d e r n i e r t e r m e est seul t r e s u j e t :
19. Balzac, dans Les secrets de ta princesse de Cadignan, a crit :
La vie humaine, la vie sociale a exist sous toutes sortes de J ' a i trouv tous les hommes que j ' a i connus petits, mesquins, superficiels.
formes au complet et avec son charme : quand elle s'est va- La ponctuation est correcte. Mais c o m m e n t aurait-il fait, s'il avait
nouie, rien n'est si difficile que de la ressaisir. Mais gardons- voulu dire :
nous de la nier.
Tous les hommes que j'ai connus petits, je les ai trouvs mesquins, superficiels ?
Sainte-Beuve, op. cit.
Il aurait ponctu d e la mme manire. l i n e faut pas, dans d e telles
8. Sparer diffrents sujets du verbe (3/5). O n m e t u n e condition, se priver d ' u n e virgule, mme irrgulire, et hsiter crire :
virgule, d e la m m e m a n i r e , p o u r s p a r e r les sujets rels fai trouv tous les hommes que j'ai connus, petits, mesquins, superficiels.
des verbes i m p e r s o n n e l s : T a n t pis.
194 Les signes La xrirgule 195
Je me vis accoud, froid, muet, enviant, [...] ce velout inimitable, ce noir de truffe, chaud,
Enviant de ces gens la passion tenace, animal, qui faisait toute la magie des Rembrandt...
Baptiste-Marrey,
Charles Baudelaire, op. cit. L'atelier de Peter Loewen.
Je crois qu'il [Drieu] nous trouvait mal levs, trop 12. Aprs la d e r n i r e pithte (2/2) d ' u n sujet. D e
bruyants, irrflchis. mme, o n s p a r e d u v e r b e la d e r n i r e d ' u n e laisse d'pi-
Philippe Soupault, op. cit. Ihtes qui m o d i f i e n t le sujet d u v e r b e :
10. Sparer les pthtes. O n m e t u n e virgule p o u r Tout un monde lointain, absent, presque dfunt,
s p a r e r les p i t h t e s et les participes, qu'ils p r c d e n t ou Vit dans tes profondeurs, fort aromatique !
n o n le substantif : Charles Baudelaire, op. cit.
[...] et d'une voix jaillie, sans dfense, inconsciente [...]. 13. Sparer diffrents c.o. O n m e t u n e virgule p o u r
sparer les d i f f r e n t s c o m p l m e n t s d'objet, directs ou
Pierre Jean Jouve,
Les beaux masques. indirects 2 " :
Une molle, grande, forte femme l'avait abord au coin de- Montre dans la mme phrase son reflet, sa rponse, son
l mairie en ruine. Elle ne prenait que les dollars : il essaya nant, ses fondements.
de l'oublier n'y parvint pas. Paul Valry,
Michel Mouton, op. cit. Tel quel.
Charles Baudelaire, op. cit. Le marxiste fut grand et gros, le thomiste petit et maigre.
Pourquoi pas le contraire ?
16. Sparer diffrents adverbes. On met une virgule
Pierre Drieu la Rochelle,
pour sparer les adverbes (ou les locutions, les participes Histoires dplaisantes.
valeur adverbiale), qu'ils prcdent ou non le terme qu'ils
modifient. Dans le premier cas, le dernier adverbe est Je ne sais s'il tait vraiment catholique ou bouddhiste.
spar du verbe par une virgule : Jacques Chardonne, Femmes.
194 Les signes La xrirgule 195
Ma sur, cte cte nageant, 19. En fin d'numration (1/5). O n n e m e t pas d e vir-
Nous fuirons sans repos ni trves a l e , dans u n e n u m r a t i o n , e n t r e les d e u x d e r n i e r s
Vers le paradis de mes rves ! termes j o i n t s p a r les copules et , ou , ni , qu'il s'agisse
Charles Baudelaire, op. cit. de complments, d e sujets, d'adverbes, d e verbes... :
C'est une femme belle et de riche encolure, [...]. Tu rappelles ces jours blancs, tides et voils,
Ibid.
Mon plus secret conseil et mon plus doux entretien, Charles Baudelaire, op. cit.
Pensers, chers confidents d'un amour si fidle,
Tenez-moi compagnie et parlons d'Isabelle... Malgr les souvenirs qui l'enracinaient au plus profond de
cette terre, il ne supportait le ciel brouill, les champs
Tristan L'Hermite,
dvasts ni le cri des corbeaux qui vrillait le silence avec plus
Les amours.
de duret que, la semaine prcdente, ne faisaient les obus et
Voyons, dit le roi voix basse et comme si, malgr l'assu- les balles traantes.
rance de Marguerite, ses craintes ne s'taient pas entire- Michel Mouton, op. cit.
ment dissipes, que venez-vous faire ici ?
Alexandre Dumas, Les premiers tats de certaines planches des Caprices, des
La reine Margot. preuves reconnaissables leur ton rougetre, [...] le drid-
rent ; et il s'abma en elles, suivant les fantaisies du peintre,
18. Virgule a v a n t la c o n j o n c t i o n (2/2). A l'inverse, o n pris de ses scnes vertigineuses, de ses sorcires chevau-
m e t u n e virgule si les c o n j o n c t i o n s relient d e u x t e r m e s d e chant des chats, de ses femmes s'efforant d'arracher les
f o n c t i o n d i f f r e n t e (voir les subtilits d'emploi). Voici la dents d'un pendu, de ses bandits, de ses succubes, de ses
suite d u p o m e d e B a u d e l a i r e q u e n o u s v e n o n s d e c i t e r : dmons et de ses nains.
Joris-Karl Huysmans,
Elle ignore l'Enfer comme le Purgatoire, op. cit.
Et quand l'heure viendra d'entrer dans la Nuit noire,
Elle regardera la face de la mort, [...]. Immanquablement, la branche encore verte pliait, gmis-
sait et se brisait avec tristesse.
P u r g a t o i r e et q u a n d n ' o n t pas la m m e f o n c t i o n : il
Michel Mouton, op. cit.
f a u t d o n c les s p a r e r p a r u n e virgule. O n n e f e r a pas sou-
v e n t d ' e r r e u r si l'on a p p l i q u e cette rgle la lettre. N.B. 1. A t t e n t i o n au t o u r j'ai aim, et j'aime toujours,
O n p e u t i m a g i n e r ainsi d e u x infinitifs j o i n t s p a r u n e la corrida , qui exige u n e p a i r e d e virgules ; d e m m e :
c o n j o n c t i o n , mais d o n t les f o n c t i o n s n e s o n t pas identi-
ques. Il f a u d r a les s p a r e r p a r u n e virgule : Il est permis, mais il n'est pas souhaitable, de se demander
ce qu'un tel parti pris de dmentir toutes les autorits pou-
L'hpital me va trs bien, dit Jules. Je n'aime pas mar-
vait positivement amener.
cher, et souffrir m'occupe.
Michel Mouton, op. cit. Guy Debord, Pangyrique.
194 Les signes La xrirgule 195
N.B. 2. Dans une numration (2/5). En rsum, il peul par une conjonction comme et, il ne faut pas de virgule
arriver qu'une conjonction vienne rompre rmunration avant cette conjonction ; nanmoins, si le dernier terme
avant que n'intervienne le dernier terme. En ce cas, toute seul est dvelopp par un complment ou une subor-
l'numration est rompue ; la phrase reprend aprs une donne, il est ncessaire de l'isoler des autres; en effet, il
virgule comme si l'numration n'avait jamais exist, et la ne faudrait pas qu'on pt croire que la subordonne
ponctuation obit aux rgles gnrales. Voici donc les modifie toute la laisse de termes :
trois cas qui peuvent se prsenter :
Repouss de partout, il vita les hommes ; et il se nourrit
a. numration normale : de racines, de plantes, de fruits perdus, et de coquillages
qu'il cherchait le long des grves.
Il lit des livres courts, lgers et bon march. Gustave Flaubert,
Trois contes.
b. numration perturbe par une conjonction de sens
contraire, mais dont les termes ont une fonction gramma- Si Flaubert avait voulu dire qu'il trouvait tout cela le
long des grves, il et ainsi ponctu :
ticale identique :
Il lit des livres courts, lgers, mais chers et rares. ...et il se nourrit de racines, de plantes, de fruits perdus et de
coquillages, qu'il cherchait le long des grves.
c. numration perturbe et dont les termes ont une
fonction grammaticale diffrente : 22. Termes lis deux deux. On met une virgule entre
des groupes de termes relis deux deux par la conjonc-
Il lit des livres courts, lgers mais chers, et le fait sans tion :
aucun discernement.
Qui balance entre une robe de soie et une robe de laine, un
20. Sparer diffrents sujets du verbe (4/5). Noter que, chapeau de feutre ou de cuir, ce n'est pas sans tre conduit
dans une laisse de sujets dont les deux derniers sont lis s'interroger sur l'usage et la raison du chapeau ou de la
p a r et , on ne met pas de virgule entre le dernier et le robe.
verbe : Jean Paulhan,
La rhtorique renat
Trop de diamants, d'or et de bonheur rayonnent de ses cendres.
aujourd'hui sur les verres de ce miroir o Monte-Cristo
regarde Dants. [...] et la diffrence tait presque nulle entre les grisailles
Alexandre Dumas, traces par NN. SS. Dupanloup ou Landriot, La Bouillerie
Le comte de Monte-Cristo. ou Gaume, par Dom Guranger ou le pre Ratisbonne, par
Monseigneur Freppel ou Monseigneur Perraud, par le RR.
PP. Ravignan ou Gratry, [...].
21. Sparer diffrents sujets du verbe (5/5). Nous avons
vu que, dans une laisse de termes dont le dernier est reli Joris-Karl Huysmans, op. cit.
176 Les signes La virgule 177
23. Conjonctions en cascade (1/4). L o r s q u e , d a n s uni- Nanmoins, il est frquent qu'on mette une virgule
suite de deux termes de fonction quivalente, on place ,ivant le second mais, afin de ne pas opposer les deux
deux et (ou deux ni, ou deux ou), le premier se termes qu'il relie :
trouvant avant le premier terme, alors on ne met aucune
virgule. Citons un passage du billet galant de Mme de Ville- Immolez non moi mais votre couronne,
dieu dont nous avons parl dans la premire partie de cet Mais votre grandeur, mais votre personne,
ouvrage : [...].
Pierre Corneille, Le Cid.
... des lettres et longues et tendres...
25. Conjonctions en cascade (3/4). On trouve aussi des
Ou bien : laisses de termes entirement relis par et, mais
dpourvues de toute virgule :
Il n'existait dans Carthage ni cerfs ni taureaux.
Gustave Flaubert, Salammb. Regardez la Ville des hommes ! Ils btissent des maisons de
pierre
Et ils y font des chambres et des tages et des escaliers, et
N.B. Il est frquent de voir apparatre le premier des
ils y mettent un toit, [...].
d e u x et aprs le premier terme de Vnumration ; d a n s ce
cas, il faut une virgule avant les deux et . Nous obtenons Paul Claudel, La Ville.
cette configuration :
L'on obtient ainsi une phrase trs lie, trs unie et pas-
... va roulant
sablement lyrique (ou ironique, ce qui est la mme chose).
Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent.
26. Conjonctions en cascade (4/4). En revanche, s'il se
Charles Baudelaire, op. cit. trouvait une vritable numration (plus de deux termes)
commenant par la conjonction, alors on prtend parfois
Il arrive, lorsque le terme 2 est trs li par le sens ou la qu'il faudrait faire prcder la premire conjonction
sonorit au terme 3, que disparaisse la virgule qui les spa- d'une virgule, et isoler ainsi la laisse de termes21 ; pour-
rait: tant, on lit souvent:
Far instants brille, et s'allonge et s'tale
Un spectre fait de grce et de splendeur. 21. S.-A. Tassis prtend que si la laisse est trs longue, il faut grouper
Ibid. les termes d e d e u x en deux, et sparer les paires par des virgules; il
donne cet exemple :
24. Conjonctions en cascade (2/4). Ces rgles sont vala- Et le riche et le pauvre, et le faible et le fort
bles pour mais rpt. On et crit : Vont tous galement des douleurs la mort.
Il est vrai que la phrase est mieux scande ainsi ; mais il lui faut imp-
Des lettres mais longues mais tendres.. rativement un n o m b r e pair de termes...
178 Les signes La virgule 179
Je ne dsire mme plus mourir ni commander l'action, 27 bis. (Soit) que... ou... (1/2). Les exemples de
faire jaillir le sang ou le sperme, je ne connais plus ni la hau- soit... ou... donns par Littr sont sans virgule :
teur, ni la largeur ni les larmes, ni le vent, ni la mer, ni la
mlancolie des sicles parfaits. Soit que je vous regarde ou que je l'envisage,
Pierre Guyotat, Partout du dsespoir je rencontre l'image.
Tombe au pour cinq cent Jean Racine, Brnice.
mille soldats.
Soit qu'il parle ou qu'il crive, [...].
... qui est la manire naturelle de ponctuer. Mais la rgle
La Bruyre, Les caractres.
voudrait qu'on crivt:
Mais les deux termes sont toujours si rapprochs qu'on
Je ne connais plus, ni la hauteur, ni la largeur, etc.
hsiterait, dans tous les cas, mettre une virgule. Cet autre
27. Avec soit... soit... Avec soit... soit..., tantt- phrase, de Bourdaloue, prsente la mme intimit des
tantt..., la rgle est trs fluctuante, d'autant que le deux adjectifs :
deuxime soit est presque toujours remplac par ou
(de manire viter la rptition). Tous les exemples que La mort, soit qu'elle ait t sainte ou criminelle, [...]
donne Littr sont avec ou .
(D'ailleurs, dans ce cas, on n'aurait encadr de virgules
Nanmoins, l'on rencontre frquemment la tournure
le deuxime adjectif que s'il avait t explicatif :
soit... soit... . Deux cas se prsentent:
Soit je travaille, soit j'choue. La mort, soit qu'elle ait t sainte, ou sanctifie par l'Eglise,
ou qu'elle ait t criminelle, etc.)
Le premier soit est en tte ou, du moins, il prcde le
verbe. On spare les deux membres par une virgule. Cela fait donc un troisime cas : avec (soit) que... ou...
Deuxime cas : on ne met pas de virgule ( moins d'effet particulier).
Voici le quatrime :
J'apprendrai soit l'anglais soit l'allemand.
Soit qu'ils se trompent ou non dans cette supposition,
Le premier soit est plac plus tard et s'oppose direc- [...].
tement au second. La virgule n'est pas utile. (Il faut pr-
ciser que le tour soit j'apprendrai l'anglais soit l'alle- Cette phrase de Pascal (que cite Littr) prsente le tour
mand est impardonnable 22 !) le plus net: ici, jamais de virgule.
N.B. Il ne faut pas de virgule avant le premier soit,
22 Mais o n p a r d o n n e tout Mmc de Svign, qui crit: J'avais mes dans ce tour:
desseins, soit que vous eussiez u n fils ou u n e fille. O n le fait p o u r t a n t
avec quelque rticence. Il faut soit que le cur se brise, soit qu'il se bronze.
180 Les signes
La virgule 181
... Soit dit pour paraphraser Chamfort. risque d'oublier le verbe ou le subordonnant qui a com-
(Voir aussi le n 60.) mand la premire). Nous devons la vrit de dire que
cette rgle se trouve vrifie trs souvent mme si elle
28. Avec et (1/7). On met toujours une virgule entre ne parat pas trs logique.
deux propositions relies par et si le sens de la seconde
s'oppose celui de la premire. Citons la premire phrase 29. Avec et (3/7). Dans le cas de deux propositions
du billet de Mn,c de Villedieu, qui rsumera la situation : entires que joignent et, il arrive qu'on considre
qu'elle forment chacune un tout, et que la virgule ne
N'avez-vous point de honte de demander des lettres et lon- s'impose pas ; pourtant, le mot qui prcde immdiatement
gues et tendres, et d'en crire de si succinctes et de si la conjonction n'a pas la mme fonction grammaticale
froides ? que celui qui la suit.
C'est affaire de longueur: si les deux propositions sont
S.-A. Tassis, au contraire, soutient que si les deux propo- courtes (surtout la seconde), aucune ambigut ne peut
sitions dpendent du mme verbe, ou du mme subor- s'installer, et l'on peut se passer de virgule :
donnant, il faut supprimer la virgule. Ainsi ponctue-t-il
cet exemple, construit sur le tour ignorez-vous que... et
Ce visage mignard, tout encadr de gaze,
que : Dont chaque trait nous dit avec un air vainqueur :
La Volupt m'appelle et l'Amour me couronne !
Ignorez-vous que le jugement est rendu et que son frre est
acquitt ? Charles Baudelaire, op. cit.
Nous pensons, quant nous, qu'une virgule n'aurait pas 30. Avant ou et non pas (1/2). L'emploi de la vir-
t superflue, car rendu et que son frre ont des gule avant ou est des plus pineux ; les nuances obte-
fonctions grammaticales diffrentes. Elle et t superflue nues n'en sont que plus exquises. D'ailleurs, la question de
dans le tour suivant : l'accord des verbes lis par ou divise encore les gram-
mairiens. Vaugelas dit ceci, l'Acadmie cela, Littr
Un souriceau tout jeune et qui n'avait rien vu
s'insurge, et l'on n'a pas fini de parler du ou conjonctif
et du ou disjonctif . Beaumarchais ironisait dj :
[...].
Jean de La Fontaine, Fables.
Bartholo. Je soutiens, moi, que c'est la conjonction
copulative " e t " , qui lie les membres corrlatifs de la
... parce que l'adjectif et la relative ont mme fonction phrase: je paierai la demoiselle et je l'pouserai.
grammaticale.
Figaro. Je soutiens, moi, que c'est la conjonction alter-
Avec et (2/7). S.-A. Tassis, lui, ne recommande la vir- native " ou ", qui spare lesdits membres : je paierai la
gule que lorsque les propositions sont longues (et qu'on donzelle, ou je l'pouserai.
194 Les signes La xrirgule 195
Il y a de Y et dans Y ou, voil le hic. ... les artifices ou la vanterie d'aucun de ceux qui font pro-
fession de savoir plus qu'ils ne savent.
Plusieurs cas se prsentent, parmi lesquels on peut
apprendre voir clair. Qu'on n'accuse pas l'diteur d'avoir oubli la virgule
On pourrait aussi bien ponctuer:
a. Deux termes brefs, opposs l'un l'autre, ne deman-
dent pas de virgule : ... les artifices, ou la vanterie, d'aucun de ceux...
b.Deux termes brefs et interchangeables. Le ou est e. Ou peut amener une apposition, dans une traduc-
alors plutt explicatif, et demande la paire de virgules. On tion, par exemple, une quivalence quelconque. L'apposi-
saisit trs bien la nuance entre : tion est encadre de virgules (n 57). On ponctue donc :
Il faut choisir : c'est toi ou moi. Le Dasein , ou tre l, n'a pas le mme sens pour
Kant ou pour Heidegger.
... et:
f. Lorsqu'on rpte ou , lorsqu'on le fait premier, cer-
Peu importe lequel de nous deux : toi, ou moi. tains auteurs prfrent isoler l'alternative, et ponctuer :
J'irai lundi, ou mardi, ou mme mercredi : qu'est-ce que
cela change ?
Quel chemin le plus droit la gloire nous guide,
Ou la vaste science, ou la vertu solide ?
D'une certaine manire, on peut dire : les deux hypo-
thses se valent, alors que dans le cas prcdent, elles Boileau, Eptres.
s'excluaient.
Premire constatation: une virgule spare les deux
c. Pourtant, il arrive frquemment qu'on se passe de vir- termes de l'alternative alors que le choix demand est
gule : c'est que ou est la fois conjonctif et disjonctif... exclusif.
Le et/ou des modernes se fait dsirer. C'est le cas dans Deuxime constatation : la virgule avant ou est justi-
cette phrase du Discours de la mthode, o Descartes fie avant tout par l'apposition de chemin et de science
stigmatise... ou vertu .
184 Les signes La virgule 185
On ponctuerait tout naturellement : Mme rgle dans cette construction (c'est--dire avec un
cul ou ) :
Des livres ou courts ou longs.
Qui m'afflige le plus, de sa vie ou de sa mort ?
Ici la rgle est peu prs celle qui rgit et rpt, et la
question se poser est identique : et-il fallu mettre une Dans les deux constructions, la virgule avant le ou
virgule avant le premier terme s'il n'avait t prcd par conjoncto-distinctif est facultative, comme nous l'avons dit
ou? Si oui, elle subsistera; sinon, elle sera superflue. plus haut.
On et ainsi ponctu l'exemple qui prcde : (Voir aussi le n 38.)
Des livres courts ou longs. Avant non pas (2/2). Pourtant, il n'est pas rare de
voir un non, un non pas, qui ne soit prcd
Tandis que la phrase de Boileau, dans quelque sens d'aucune virgule. Ainsi Flchier crit-il :
qu'on la tourne, ne saurait se passer d'une sparation (vir-
gule ou deux-points) due l'apposition : J'envisage non pas sa fortune mais sa vertu ; [...]
Cette mthode est loin d'tre satisfaisante. Elle ne ... les services qu'il a rendus, non pas les places qu'il a rem-
rpondra pas aux multiples questions qu'on se posera. plies ; les dons qu'il a reus, non pas les honneurs qu'on lui a
Mais elle a le mrite d'exister, comme on dit. rendus sur la terre.
g. Dernier cas de figure : ou est introduit par le On peut tirer de cet exemple la rgle suivante : si non
plus . On trouve dans Littr, deux lignes de distance, ou non pas se contentent de mettre au ngatif un terme
ces deux vers : qui, positif, et t enchan sans virgule, alors ils ne sont
prcds d'aucune virgule. Si, en revanche, non ou
Qui la chrit le plus ou d'Ulysse ou de moi [...]. non pas ont vritablement valeur conjonctive, alors ils
Racine, Iphignie.
ressortissent la rgle gnrale des conjonctions (virgule
s'ils lient deux termes de fonction diffrente, pas de vir-
Qui m'afflige le plus, ou sa vie ou sa mort, [...]. gule si les deux termes sont de fonction identique).
Corneille, Rodogune. N.B. Lorsque non ou non pas sont prcds par
et, la rgle qu'ils suivent est celle qui rgit et :
Il semble que le tour exige coup sr une virgule avant
le premier ou , car il est entirement fond sur un prin- Et mon cur, qui sans cesse en sa faveur se flatte,
cipe d'apposition. Cherche qui le soutienne et non pas qui l'abatte :
Les signes La virgule 187
186
... alors qu'on n'en met point s'ils prcdent le terme
Il demande secours pour mes sens tonns,
Et non le coup mortel dont vous m'assassinez23.
avec lequel ils sont mis en parallle ; ainsi, l'on crirait :
Pierre Corneille, Hraclius.
Il vaut sinon mieux qu'eux, du moins autant.
(Voir aussi le n 38.) 32. Avant mme. Il faut une virgule avant mme
lorsque ce mot est un adverbe de renchrissement :
31. Avant ni, sinon, non. Pour ce qui concerne
la conjonction ni , on peut suivre les rgles auxquelles Or, quoi de plus grave que tout cela, mme au point de vue
obit ou (voir le n 30). suprieur de ceux-l qui se sont le plus dtachs et dtourns
Non et sinon sont rgis par des rgles communes. du monde, de ses pompes et de ses uvres, et qui en ont le
Il faut voir dans la seule opposition une raison la pr- plus mpris le nant ?
sence d'une virgule avant ce sinon : Jules Barbey d'Aurevilly, op. cit.
Je crois confusment beaucoup de choses ; par-dessus Il faut aussi penser au(x) tour(s) il a une grande qua-
tout, l'existence de Dieu, sinon aux dogmes de la religion. lit, une vertu, (je dirais) mme... qui demande(nt) la
Henri Barbusse, L'enfer. virgule.
Car rien d'autre ne la justifie. On aurait parfaitement 33. Avant mais (1/5). A moins de vouloir marquer
pu ponctuer : une opposition, on ne met pas de virgule entre deux adjec-
tifs relis par mais , surtout si le nom auquel ils se rap-
Je crois [... / par-dessus tout l'existence de Dieu sinon aux portent les suit :
dogmes de la religion.
Un htel modeste mais propre. Un petit mais joli chteau.
(En revanche, la virgule est indispensable dans le tour :
Elle dconcertait Jules, qu'elle trouvait gentil, mais
Tu parleras, sinon tu mourras.) ballot. Il la jugeait remarquable, mais terrible. Elle amena
pour Jules une amie bonasse, mais Jules la trouva bonasse.
Mais il faut tre clair. On peut dire, sans grand risque
d'erreur, qu'il faut une virgule avant non et sinon Henri-Pierre Hoch,
Jules et Jim.
lorsqu'il suivent le terme avec lequel ils sont mis en paral-
lle, comme dans le tour :
On aime clairement opposer les deux termes lis par
mais:
Il vaut autant qu'eux, sinon mieux.
Il est possible d'imaginer deux systmes pour la mme introduisent une comparaison, on encadre le deuxime
expression : Icrme par des virgules, et le verbe s'accorde avec le pre-
mier. Voici les deux cas, enchans :
Il est nuit. La cabane est pauvre, mais bien close.
Elle ignore l'Enfer comme le Purgatoire,
Victor Hugo, Les pauvres gens. Et quand l'heure viendra d'entrer dans la Nuit noire,
Elle regardera la face de la Mort,
On pourrait aisment imaginer : Ainsi qu'un nouveau-n, sans haine et sans remords.
Charles Baudelaire, op. cit.
La cabane est pauvre mais bien close.
La nuance est fine, mais elle existe: dans sa ponctua- Dans le cas de comme si, tel(le) que, etc., il faut
tion, Hugo marque l'opposition ; la cabane parat encore dterminer le caractre de la subordonne : est-elle expli-
plus pauvre, encore plus close. Ceci rattrapant cela avec cative ou dterminative ? Explicative, il faut des virgules ;
plus de vigueur encore. dterminative, il n'en faut pas :
Dans le second cas, la cabane est plus close que pauvre;
elle parat d'ailleurs moins bien close, et pas si pauvre,
Tout dormait encore sur la lagune, comme si la ville
aprs tout. Close rend pauvre plus supportable. La entire et rgl par respect l'heure de son rveil sur le som-
situation est loin d'tre terrible. meil attard du palais.
Julien Gracq,
34. Avant mais (2/5). Mme rgle pour deux verbes,
Le rivage des Syrtes.
deux adverbes, etc. Hugo dissocie les deux effets de son
vers: Ils restaient tendus sur le sable, et faisaient comme s'ils
avaient t fauchs par la premire salve. Ils ne savaient pas
Mon vers vivisecteur fait saigner, mais gurit. que la seconde allait les immobiliser pour de bon.
Autour des Chtiments. Michel Mouton, op. cit.
35. Avant mais (3/5). On met une virgule avant Rien n'exige de grandeur comme de peindre la dcadence.
mais lorsqu'il est corrlatif de non seulement, dans
le tour non seulement il est beau, mais encore il est Michel Mouton, Sur Visconti.
riche .
(Voir, infra, deux autres cas : nos 59 et 80.)
3. Subtilits d'emploi
met pas de virgule avant et , bien que la conjonction lie elle a pour elle la logique et la pause que l'on ferait en
deux termes de fonction diffrente : parlant. En faut-il davantage?
Les amoureux fervents et les savants austres 38. Avec et (5/7) (ou, ni) dans l'effet de chute.
Aiment galement [...] On met une virgule avant et , ou , ni , mme s'ils joi-
Les chats puissants et doux, [...]. gnent deux termes de fonction identique, si l'on veut pro-
Charles Baudelaire, op. cit. voquer un effet de gradation ou de chute, un effet de
dcalage chronologique ou spatial :
... mais il ne faudrait pas que les deux substantifs fussent
trop loigns l'un de l'autre ; ici, divans et fleurs sont J'en parlerai au commandant, ou au gnral ! hurla-t-il.
trop spars par le comparatif comme des tombeaux Michel Mouton,
pour n'exiger pas une virgule : Les introuvables.
Nous aurons des lits pleins d'odeurs lgres, Ici, par exemple, l'auteur veut montrer deux actions
Des divans profonds comme des tombeaux, successives : se retourner, et voir. Deux actions qui ne sau-
Et d'tranges fleurs sur des tagres, raient tre effectues dans le mme temps a fortiori
Ecloses pour nous sous des cieux plus beaux. dans le mme espace :
Ibid.
Il se retourna, et revit la vision.
N.B. 1. Noter la disjonction de tagres et closes . Victor Hugo,
N.B. 2 Dans le tour une pomme, une poire, mres. Les travailleurs de la mer.
Mais le cas est difficile avec deux substantifs sans coordi-
Alors qu'on n'en a pas mis dans la phrase suivante :
nation, et auxquels se rapporte le mme adjectif. Exami-
nons les diffrentes configurations : Ta gorge qui s'avance et qui pousse la moire
[...].
J'ai mang une pomme, une poire mres.
Charles Baudelaire, op. cit.
On pourrait dire, par comparaison, que cette solution
n'est pas bonne; en effet, on ponctue assurment: ... car les deux actions sont, disons-le, contemporaines.
,39. Avant et (6/7). Il est dit parfois qu'il faut une vir-
J'ai mang une pomme, une poire mre.
gule avant et , si la conjonction relie deux adjectifs ou
On ponctuerait donc ainsi : deux participes suivis de leur complment :
Mais ce cas relve en fait de la rgle qui interdit presque La brume, froide et crayeuse, tait tombe sur lui comme
toujours de relier par et sans virgule deux termes de une cape de pltre.
fonction diffrente. Ibid.
Cela dit, il peut s'agir de deux adjectifs ou participes
pithtes (donc deux termes de mme fonction), ds lors Sa femme, grande, forte, rsolue, avec la voix haute et le
que le second est seul modifi (par un complment, mais dcision rapide, tait l'ordre et l'arithmtique de la maison
aussi de toute autre manire). Pensons aux tours : de commerce qu'il animait par son activit joyeuse.
Guy de Maupassant,
Un visage haut, et dform par la petite vrole. Boule-de-suif.
JDes lames courtes, et pointues comme des aiguilles.
Un homme gras, et gn aux entournures.
41. Avant pour. On ne doit pas sparer par une vir-
N.B. 1. Avant et (7/7) dans un chiasme. On met u n e gule la principale de la subordonne finale, introduite ici
virgule pour sparer les deux termes d'un chiasme, qu'ils par pour:
soient coordonns ou non :
J'cris pour pouvoir lire ce que je ne savais pas que j'allais
Il avait la peau blanche, et jaune le regard : de toute vi- crire.
dence, le caporal Mouchet avait le foie malade. Claude Roy,
Michel Mouton, op. cit. Temps variable avec claircies.
On et ponctu de la mme manire si la conjonction Si l'on en met une, la subordonne prendra un tout
et avait fait dfaut. autre sens, non pas celui d'une consquence attendue,
N.B. 2. On trouvera dans la premire phrase du para- mais celui d'une autre, justement. La virgule s'introduit
graphe n41 un tour qui demanderait la virgule avant comme un lapsus dans une conversation, et provoque
et : [...] finale, et introduite [...J. alors un glissement soudain vers la surprise :
40. Dans une laisse d'pithtes explicatives. La sous- Un homme alla sur la Lune, pour y tlphoner Nixon.
traction a le pas sur l' addition : qu'une numration Ibid.
d'adjectifs, par exemple, forme une incidente explicative
encadre de virgules (voir la soustraction ), et la seconde 42. Avant sans que, tant que, ainsi que,
d'entre elles subsistera devant le verbe, mme si le dernier quoique, ds que, parce que, etc. (1/2). Lorsqu'il
adjectif se rapporte au sujet24 : s'agit de certaines particules de liaison, la question est
plus difficile. Si la subordonne est introduite par sans
que, quoique,ainsi que, tant que, elle peut tre
24. De m m e q u e resteront spars le sujet et la p r e m i r e d e ses pi-
explicative: il faut donc la faire prcder d'une virgule
thtes. Voir la phrase tire de Boule-de-suif. (voir aussi le paragraphe 60)
194 Les signes La xrirgule 195
Le vieux dput a t fait grand croix, quoique nul n'ait On ne s'tonnera pas de trouver mille phrases qui
song le demander pour lui. Crapule ! chappent cette classification sommaire. Tandis que
peut vouloir dire en mme temps pendant que et
Michel Mouton, op. cit.
alors que :
Quand elle est dterminative, il n'en faut pas:
[...] les patriciens virent d'un il irrit la destruction de
ces ruines, tandis que la plbe, sans trop savoir pourquoi,
Il tait gnreux quoiqu'il ft conome. s'en rjouissait.
On peut dire les choses autrement et peut-tre ne Gustave Flaubert, op. cit.
sera-ce pas inutile. Avec puisque, parce que,
quand , lorsque , etc., si les deux actions sont penses L'opposition existe, mais les deux actions sont contem-
simultanment, la virgule est superflue; si la seconde poraines. Dans ce cas, la rgle est muette...
arrive plus tard, comme un correctif rapport, ou si son
sens l'oppose fortement la premire, alors il en faut une : 43. Avant la subordonne de consquence (si bien
que, de manire que, etc.). On met une virgule avant
Mais tu ne vois pas dans la nature le citronnier produire une subordonne introduite par si bien que , de telle
des pommes, quoique, peut-tre, cette anne-l, elles lui manire que , tant et si bien que , etc. :
coteraient moins cher former que des citrons.
J'ai relev, par la chert du prix, les choses manger, si
Paul Valry, Eupalinos.
bien que ceux qui les voient maudissent la vie de ce qu'ils ne
peuvent en prendre.
Le cas des subordonnes antposes sera examin plus
loin, partir du n 96. Gustave Flaubert,
La tentation
N.B. Avec tandis que. Avec tandis que, la question de saint Antoine (1849).
de la virgule est plus simple du moins en principe. On
sait que tandis que a deux significations : pendant le B. SOUSTRACTION
temps que et alors que. En gnral, dans le premier
cas, on se passe de virgule : les deux actions sont simulta- La rgle de base est simple et peut s'appliquer souvent :
nes ; l'Acadmie dit, et ponctue : on place entre virgules les incidentes explicatives, tandis
qu'on enchane sans virgule l'incidente dterminative la
Reposez-vous un peu tandis [pendant] que vous tes ici. principale. (Voir aussi les incidentes particulires: para-
graphes 81-83.)
Dans le second, les actions sont opposes. On met donc
une virgule avant tandis que ; l'Acadmie, toujours : 44. Une virgule ouverte se referme ! Une incise peut tre
ou non encadre de virgules. Mais il est impratif qu'elles
Tout le monde le croit heureux, tandis [alors] qu'il est forment une paire ; si une virgule est place en amont de
rong de soucis et de remords. l'incise, il en faudra une autre en aval, et inversement; s'il
196 Les signes La virgule 197
Car je jure qu'au fond, je prfre la sant aux mirages. Le lecteur tablit, dans le second cas, le parallle entre
raide et ridicule , tous deux prcds de la mme vir-
Il fallait: gule, identifie un peu ridicule non pas comme la quali-
fication dterminative du substantif qui prcde, mais
Car je jure que, au fond, je prfre... comme une pithte antpose de Alfred Miodowicz, et
194 Les signes La xrirgule 195
comprend tout naturellement que ledit Alfred Miodowicz 47. Dans les tours je ne sais que dire, idiot qu'il
est ridicule. est, le jour qu'il vint, etc. On ne met donc pas de vir-
Il ne faut donc rien sparer de ce qui est li par l'ordre gule avant que lorsqu'il remplace ce que (dans le tour
chronologique de la syntaxe : je ne sais que dire); lorsqu'il est attribut (dans le tour
idiot qu'il est); lorsqu'il est c.o.i. ou circonstanciel
Le sang s'parpillait en pluie dans les feuillages, et des (dans le tour: le jour qu'il vint); lorsqu'il remplace si
masses rouges se tordaient au pied des arbres en hurlant. ce n'est (dans le tour rien ne donne l'assurance que la
Gustave Flaubert, vrit (Pascal)).
Salammb. On met une virgule avant que neutre, en revanche,
Toute virgule supplmentaire, dans cette phrase, serait lorsque celui-ci reprend un pronom plac avant (dans le
d'un effet appuy et risqu. tour je dis ceci, que... ). De mme, avec le que expli-
catif; Proust crit, dans son pastiche de Balzac:
46. Avant les incidentes dterminatives (2/2). On ne
met pas de virgule avant une subordonne dterminative N'est-ce pas en effet une des grandeurs de la matresse de
introduite par qui, que, dont, o, auquel, maison cette carmlite de la russite mondaine , qu'elle
doit immoler sa coquetterie, son orgueil, son amour mme,
auxquels , non plus qu'aprs :
la ncessit de se faire um salon dont ses rivales seront parfois
Comparer : le plus piquant ornement ?
Razias, qui tait juste, s'est frapp de son pe [...].
Voir aussi le n 72.
Gustave Flaubert, op. cit.
48. Dans les dterminatives : pas de virgule sauf la fin
..et: d'une laisse sans copule. En revanche, si le relatif est pr-
Dieu maudit celui qui attente lui-mme. cd d'une laisse-de substantifs auxquels il se rapporte (ou
d'pithtes au substantif auquel il se rapporte), et qui,
Ibid.
faute de copule finale, et exig une virgule finale, alors la
Ne sais-tu pas les illusions que je te donne, et la hauteur o virgule subsiste :
je t'ai place ?
Ibid. Les framboises dlicates, fragiles, qu'il cueillait chaque
jour l'attendrissaient comme la vue d'un nourrisson. Aussi
etc. les crasait-il parfois avec violence dans sa main brune.
... et ceci mme si le relatif est introduit par une prposi- Michel Mouton, op. cit.
tion :
N.B. Aprs la dterminative ? Cas particulier. La ques-
[...] et les esclaves ne comprenaient pas d'o lui tait venu tion de la virgule aprs la relative est alors difficile
cet apaisement. rsoudre. On peut considrer qu'en l'absence de second
Ibid. adjectif on n'en et pas mis, et qu'on peut donc en faire
200 Les signes La virgule 201
l'conomie mme si la relative a pris des allures d'inci- deux, en revanche, si ce participe ou cet adjectif est expli-
dente explicative. catif ; comparer :
50. Incidente trop loigne (2/2). En revanche, on n'en Les passants rentrent dans des maisons auxquelles ils pen-
met pas si le relatif se rapporte un complment d'objet sent.
direct simplement spar de lui par le verbe de la princi- Henri Barbusse, op. cit.
pale:
54. Entre sujet en verbe. On ne met pas de virgule entre
Hamilcar plit extraordinairement, et ceux qui taient le sujet et le verbe :
penchs en dehors sur la fosse le virent qui s'appuyait d'une
main contre le mur pour ne pas tomber. Dans sa trente-cinquime anne, le nain du cirque Barna-
Gustave Flaubert, op. cit. boum se mit grandir.
... mme si le sujet est un pronom appos au sujet rel Car le sujet du verbe est des choses qui passeraient ina-
ellips (ne pas confondre avec un vocatif suivi d'un imp- perues aux yeux des gens ; et l'on ne spare pas le sujet
ratif) : du verbe...
Tandis qu'environnant sa tente avec amour, 55. Avec un vocatif. On met une virgule aprs (et avant)
Voyant son ombre aller et venir sur la toile, un vocatif :
Ceux qui restaient, croyant toujours son toile,
Accusaient le destin de lse-majest, Grand ge, nous voici. Rendez-vous pris, et de long-
Lui se sentit soudain dans l'me pouvant, temps, avec cette heure de grand sens.
[]
Saint-John Perse, Chronique.
Victor Hugo, Les Chtiments.
Danseras-tu longtemps, Rayon, sur le parvis
Je l'ai fait et vous l'avez dfait. De l'me sombre et souveraine ?
Pierre Guys, L'ombre. Paul Valry, Heure.
Il est vrai que l'envie en est forte, tant la voix monte Je confesse, Almdor, qu' mon regret extrme
avant le verbe. Voir la premire partie de ce livre, dans Je suis visiblement dissemblable moi-mme.
laquelle il est question de Valry Larbaud, qui voulait Jean Mairet,
crire : Les galanteries du duc d'Ossone.
Vous, devenez. 56. Avec un impratif. On met entre virgules un imp-
ratif employ seul :
Pour les questions de virgule entre sujet et verbe, voir
aussi le paragraphe n 7. Rappelons nanmoins que : Voil qui est bien royal, convenez, d'avoir lieu par
on met une virgule si le verbe est prcd d'une ligne.
laisse sans copule finale ;
Stphane Mallarm, en rponse
on n'en met pas entre le sujet et le verbe s'ils sont une enqute sur Verlaine.
spars par une incidente dterminative, car on considre
que le sujet et la dterminative font un seul bloc. C'est 57. Avec l'apposition. On met une virgule avant et
tort que Barbusse ponctue ainsi : aprs une apposition, qu'il s'agisse d'un nom, d'un
pronom, de deux noms ou de deux pronoms joints par
Des choses qui passeraient inaperues aux yeux des gens, et , ou , ni :
ont en moi beaucoup de retentissement.
Il fallait videmment ponctuer ainsi : Delacroix, lac de sang hant des mauvais anges,
Ombrag par un bois de sapins toujours vert,
[]
Des choses qui passeraient inaperues aux yeux des gens ont
en moi beaucoup de retentissement. Charles Baudelaire, op. cit.
194 Les signes La xrirgule 195
Le prince Wolkonsky, gnral et chef d'tat-major, [...]. et de sa pente native toujours le cur de l'homme, comme
les fleuves l'ocan, ira se dversant dans leur tendresse.
Franois Ren de Chateaubriand,
Mmoires d'outre-tombe. Gustave Flaubert,
La tentation
Nous avons vu plus haut que ou annonant la traduc- de saint Antoine (1849).
tion d'un terme qui prcde est ncessairement prcd
d'une virgule :
61. Incises de narration. On met une virgule avant et
En musique, le shake, ou tremblement, est un ornement aprs une incise de narration, qu'elle soit directe ou
universel. inverse :
58. Dans le tour la fleur, petite et fane, que tu m'as Tiens, dit Sigismonde, vous avez une nouvelle houature ?
jete. On met une virgule avant et aprs deux termes Raymond Queneau,
joints par une conjonction de coordination s'ils forment Les fleurs bleues.
une incidente explicative :
N.B. Il n'est pas rare de voir la seconde virgule remplace
Dans sa double allgeance, arienne et terrestre, l'oiseau par un point sans qu'on sache exactement pourquoi...
nous tait ainsi prsent pour ce qu'il est : un satellite infime Par exemple, si le personnage rpond Sigismonde :
de notre orbite plantaire.
Saint-John Perse, Oiseaux. Ce n'est pas la peine de le faire remarquer, dit Lucet, a se
voit.
59. Avant mais (4/5). On met une virgule avant
... Sigismonde, en revanche, faisant remarquer Yoland
mais si cette conjonction est place entre un nom
qu'il a aussi une nouvelle houature, se voit faire cette
modifi par un adjectif et son complment. Posons la
rponse :
phrase :
a n'a rien d'extraordinaire, dit Yoland. Tout le monde a
Il joue le rle modeste du confident.
toujours de nouvelles houatures.
Rectifions modeste par une incidente explicative :
62. Incises quant lui..., etc. On met une virgule
Il joue le rle modeste, mais moins risqu, du confident. avant et aprs une incise du type quant lui , pour ce
qui le concerne , etc. Cette rgle s'tend des incidentes
60. Avant (soit) que et quivalents (2/2). On met une un peu plus longues :
virgule avant une incidente explicative introduite par
(soit) que : Le pliage est, vis--vis de la feuille imprime grande, un
indice quasi religieux.
C'est cause d'elles [les femmes] que naissent les mlanco- Stphane Mallarm,
lies de la vie, soit qu'elles les provoquent ou les loignent, Quant au Livre.
206 Les signes La virgule 207
63. Avec c'est--dire. On met une virgule avant 65. Avec une relative explicative. On met une virgule
c'est--dire25 , autrement dit26 , etc., mais pas aprs : avant et aprs une relative explicative (mme quand elle
n'a d'explicatif que le nom) :
Le genre humain pensant, c'est--dire la cent millime
partie du genre humain tout au plus... Pareille au vaisseau dans la bourrasque, qui d'instinct se
Voltaire, Aventure de la mmoire. prsente tout debout la lame, elle rinvestissait dans un cri
toute sa longue histoire, [...].
N.B. On en met aussi une avant c'est--dire que... . Julien Gracq,
Le rivage des Syrtes.
64. Avec une participiale. On met une virgule avant et
aprs une proposition participiale explicative. On ne met [...] elle tait l'esprit solitaire de la valle, dont les champs
pas de virgule, p a r consquent, aux participiales dtermi- de fleurs se colorrent pour moi d'une teinte soudain plus
grave, comme la trame de l'orchestre quand l'entre pres-
natives :
sentie d'un thme majeur y projette son ombre de haute
nue.
La chair en prissant dgage du solennel.
Ibid.
Jean Genet, op. cit.
(Voir aussi les paragraphes 72, 79 et 113.)
Comme si, le frein de l'alphabet tant t, de la bouche
incohrente sortait la forme d'un vu !
66. Avec les complments circonstanciels. La rgle tradi-
Paul Claudel, La Ville. tionnelle voulait qu'on encadrt les complments circons-
tanciels par des virgules lorsqu'ils sont des lments qui
peuvent se dtacher du reste, parce qu'ils introduisent
25. Mme d a n s le tour un peu populaire qui fait r e p r e n d r e le terme une explication ou une dtermination qui n'est pas indis-
expliquer. Dans Genet (op. cit.), on lit :
pensable 27 . La formulation est maladroite: ce qui n'est
S'il ne tenait q u ' moi, j ' e n ferais u n hros fatal comme j e les aime. (Fatal,
pas indispensable n'a pas tre crit. Nanmoins, comme
c'est--dire dcidant d u sort de ceux q u i les regardent, mduss.) nous l'avons dit, nous ne voyons pas d'autre mthode...
Ou plutt si, mais elle ne vaut gure mieux. Examinons la
26. Attention cette expression. Elle peut tre incise; elle p o r t e r a
d o n c ses virgules. Elle peut relier d e u x mots ayant exactement la m m e phrase :
valeur; elle n'en p r e n d r a pas aprs (dans le tour riche, autrement dit
d m u n i de tout ). Enfin, elle peut tre suivie de prpositions qui laissent Il faudra combattre, par des tmoignages et par d'hono-
natre l'ambigut. Par exemple, on peut sparer p a r u n e virgule autre- rables amitis, tout ce que votre pass peut avoir d'obscur.
ment dit et que : Alexandre Dumas,
Le comte de Monte-Cristo.
J ' y ai dit comme a qu'elle me pompait, autrement d i t , qu'elle pouvait aller
se faire mettre.
Herbert Mdina,
Le barbare n 'a pas froid aux yeux. 2V. Grammaire Larousse du xx* sicle, 1936.
208 Les signes La virgule 209
On ne saurait trop dcider si par des tmoignages et Autre exemple de circonstanciel malencontreusement
par d'honorables amitis est indispensable la phrase. encadr de virgules :
Certes, on pouvait dire :
La prochaine fois, nous glissa la comtesse, sur le seuil, ce
Il faudra combattre tout ce que votre pass peut avoir sera plus sotrique.
d'obscur. Antoine Blondin,
Les enfants du bon Dieu.
Mais une bonne part du sens se ft perdue en route.
On peut donc tenter d'noncer la rgle autrement et On ne sait si la comtesse parle sur le seuil, ou si elle
demander : quelle question la phrase rpond-elle ? pense que ce sera plus sotrique devant sa porte ; car on
Que faudra-t-il faire ? Rponse : combattre. ne sait si le complment est dterminatif ou explicatif...
Comment faudra-t-il combattre? Rponse: par des
tmoignages et d'honorables amitis.
Si l'on juge que la question porte plutt sur le compl- 2. Termes ou membres soustraits (ellipses)
ment circonstanciel, alors la paire de virgules est super-
flue. 67. La virgule marque l'ellipse (1/4). La virgule est fr-
Si l'on juge que la question porte plutt sur le verbe quemment la marque d'une ellipse. Il est mme difficile
principal, alors les virgules sont indispensables. de trouver aucune virgule, dans aucune phrase, qui ne soit
Cette mthode est loin d'tre vraiment satisfaisante. Elle au fond la marque d'une ellipse. Nanmoins, il s'agit l
peut tre utile, nanmoins ; en effet, s'il n'y a pas de raison d'ellipses si communes qu'on ne les voit plus.
vidente de placer ou non des virgules avant et aprs les Nous parlons ici des ellipses grammaticales, dans les-
complments circonstanciels, c'est que la nuance obtenue quelles un mot est officiellement sous-entendu.
ou recherche est trs fine. Il ne faut donc pas Lorsqu'un mot est sous-entendu parce qu'il a dj t lu,
s'attendre une mthode qui le soit moins. il est remplac par une virgule. Ici, le verbe tre :
Mais on peut s'tonner tout de mme de cette profu-
sion : Le vol des oiseaux tait le seul mouvement qu'elle [l'inon-
dation] s'autorist ; le bleu, la seule couleur ; l'horizontal, la
Une nouvelle inopine, en 1891, circula par les journaux : seule direction.
que celui, qui avait t et demeure, pour nous un pote, On n'entendait pas un bruit qui ft proprement terrestre ;
voyageur, dbarqu Marseille, avec une fortune et opr, pas un son, proprement humain.
arthritique, venait d'y mourir. Michel Mouton, op. cit.
Stphane Mallarm,
Mdaillons et portraits.
68. La virgule marque l'ellipse (2/4). On peut avoir
affaire l'ellipse d'un mot qui n'a pas encore t lu, mais
qui est sous-entendu; la virgule le remplacera. Ici, on a
ellips l'article qui raconte l'histoire de :
210 Les signes La virgule 211
Vous avez lu, cet homme qui a guillotin sa femme d'un 69. La virgule marque l'ellipse (2/4). En matire
coup de rasoir ? d'ellipse, on considre gnralement que deux cas se pro-
Emile Zola, duisent :
Au Bonheur des Dames.
Lies deux membres de phrase (le complet et l'ellips)
Ici encore, c'est pay , ou vendu , qui a t ellips : sont spars par un signe fort (point, point-virgule, etc.) :
alors la virgule marquant l'ellipse est ncessaire. Coupons
Une poupe d'un sou, un louis, a n'tait pas dans leurs en deux une phrase de Vialatte :
moyens ! Trois crayons, deux louis, on voulait donc leur
retirer le pain de la bouche ! Le temps est frais. Le soleil, frquent.
Emile Zola,
Son excellence Eugne Rougon. Le point fait commencer une nouvelle phrase, qui
devrait comporter tous ses termes. La virgule signale au
Dans le langage parl, l'ellipse est trs frquente. Le ton lecteur qu'il doit se rfrer la phrase prcdente.
la fait sentir. Passe dans l'crit, elle se contente de la vir- 2. Les deux membres de phrase ne sont spars que par
gule. Ici, l'on a ellips le verbe tre : une virgule. Alors, l'ellipse n'est pas signale28, comme
dans l'original :
Quelle carne, votre cheval !
Le temps est frais, le soleil frquent.
Il s'agit d'un principe gnral. Lorsque des mots comme
c'est--dire , pourtant, etc., sont cachs, il faut les mar-
quer par une virgule. C'est d'ailleurs ce qui explique la
28. Cette pratique n'est pas sans inconvnients:
prsence des virgules dans les incidentes explicatives;
elles permettent une conomie prcieuse. Ainsi, dans cet L e temps est aigre, Paris revche.
La solitude, qui ne lui pesait pas Paris, l'tranger deve- La virgule aprs Paris n'aurait pas t superflue, parce q u e revche
a u n e dsinence qui peut r a p p e l e r u n verbe conjugu, et la phrase u n e
nait odieuse.
a u t r e construction, c o m m e :
Josphin Pladan,
Les amants de Pise. Le temps est aigre, Paris rencle.
Nanmoins, si l'ellipse concerne un membre de phrase Dcortiqus ne laisse pas d'tre ambigu. Faut-il
important (long et/ou de fonction grammaticale entendre :
complexe), on mettra la virgule qui marque l'ellipse,
mme si les deux membres de phrase ne sont pas spars certains passages doivent tre dcortiqus ?
par un signe fort :
... ou bien :
On ne sait de quel ct est le sens, duquel, le signe. certains passages dcortiqus doivent tre corrigs ?
Paul Valry,
Autrement dit, y a-t-il ou non ellipse du verbe devoir
Mauvaises penses et autres. tre avant dcortiqus? Si oui, on aurait eu intrt
crire :
On n'imagine pas pouvoir crire :
certains passages, dcortiqus.
On ne sait de quel ct est le sens, duquel le signe. 70. Ellipse du verbe dans l'incidente explicative. On
Car enfin, l'ellipse est ici considrable. Rtablissons les met une virgule avant (et aprs) une incidente explicative
termes manquants : dont le verbe (et le pronom sujet) est ellips, comme dans
les tours :
On ne sait de quel ct est le sens, on ne sait de quel ct est le
signe. Znon, de l'cole latique,...
Arthur Rimbaud, de Charleville,...
Autre exemple, o la rapidit de l'ellipse crve les yeux: N.B. Mais on dit:
Une porte vitre s'ouvre, cornette, une religieuse descend, Znon d'Ele...
ouvre les bras, [...]. Jean de Meung...
Pierre Guyotat, op. cit.
71. L'ellipse d'apposition. Parce qu'elle suppose une
N.B. La virgule marque l'ellipse (4/4). Il faut aussi par- ellipse (voir aussi les subtilits d'emploi), une incidente
fois dissiper certaines ambiguts, et placer une virgule appositive est toujours encadre de virgules :
quand la rgle la proscrit. Soit cette phrase, prononce
par Alfred Brendel dans un entretien (il s'agit d'une tra- [...] c'est l que Michel, seigneur de Montaigne, dbarqua
duction, mais elle est exemplaire) : en arrivant Rome, non loin de l'hpital qui servit d'asile
ce pauvre fou, homme form l'antique et pure posie,
que Montaigne avait visit dans sa loge Ferrare, [...]
Bien sr, de nombreuses choses doivent tre corriges par
la suite, et mme, malheureusement, certains passages dcor- Franois Ren de Chateaubriand,
tiqus ! op. cit.
La virgule 215
214 Les signes
lorsqu'on antpos un membre de phrase contenant une
... mais il arrive que l'apposition soit dterminative ; dans ellipse :
ce cas, la virgule est proscrite :
Comme de mes amis, il faut que je te chante
[...] ce qui mettait sa dvotion les magistrats ses collgues.
Certain air que j'ai fait de petite courante.
Emile Zola,
Molire, Les fcheux.
Son excellence Eugne Rougon.
Mon autre compatriote Claude mourut aussi sur les Le membre de phrase ellips peut tre un simple parti-
genoux de la reine du monde. cipe:
Franois Ren de Chateaubriand,
op. cit. Silencieux pendant deux mois, il s'enfuit le troisime pour
ne pas cder la tentation de rompre son vu qu'il devait
qualifier de puril et d'extravagant en atteignant ses quinze
72. Avec un pronom personnel (1/2): que elliptique.
ans par dpit de ne l'avoir tenu qu'en prenant la fuite.
On met une virgule avant que elliptique, c'est--dire :
lorsqu'il suppose afin (dans le tour viens, que je Louis-Ren Des Forts,
La chambre des enfants.
te dise... ;
lorsqu'il suppose pour (dans le tour que vous ai- 74. Avant l'pitfate ou l'attribut d'un terme ellips. O n
je fait, que vous m'en vouliez ? ) ; met une virgule avant un adjectif, un participe explicatif,
lorsqu'il suppose avant ( je n'irai pas, que vous mais aussi un attribut, lorsqu'ils se rapportent un terme
n'ayez accept... ), ce, de ce, etc. ellips. C'est tort que Michel Onfray crit:
(Littr donne une liste trs complte de ces ellipses
l'article que.) Lorsque enfant il m'a fallu comprendre ce qu'taient la
pauvret et les fins de mois de mes parents, ce sont les ufs
N.B. De mme, il faut une virgule avant que dans le ou les pommes de terre qui me l'ont signifi.
tour: Le ventre des philosophes.
Il chante, que c'(en) est un plaisir;
en revanche, elle n'est pas utile dans celui-ci : Le mme auteur, quelques pages plus loin, crit plus
C'est un plaisir que (celui) de l'entendre chanter. correctement :
(Sauf ambigut lever, bien entendu : si que est trop
loign de c'est, s'il semble se rapporter un substantif Alors que, lycen, j'tais sans le sou, [...].
qui prcde, etc., une virgule sera bienvenue.)
Enfin, il faut une virgule dans le tour : La paire de virgule est ncessaire pour deux raisons.
Je partirai, que vous le vouliez ou non. 1 Cette incise est porteuse d'une ellipse qu'on marque
par la virgule :
(Voir aussi le n 47.)
Lorsque (j'tais) enfant, il m'a fallu...
Alors que, ( l'ge o j'tais) lycen,...
73. Aprs une ellipse antpose. On met une virgule
216 Les signes La virgule 217
Heureux vos corps fondus, Eaux planes et profondes ! Pourquoi cette paire de virgules? Parce qu'elles don-
Paul Valry, nent une valeur absolue l'incise. Si l'on avait laiss lis
Fragments du Narcisse. ils dirigeaient Rome et avec une rare inconstance , on
et pu croire qu' ils ne savaient pas diriger Rome, que
Finies les dissonances, Rome se dirigeait toute seule. Alors qu' ils savent parfai-
Les conspirations de dcembre. tement bien comment il faut diriger Rome ; mais ils la
Andr Davoust, Le ddevenir. dirigent dans une mauvaise voie. La locution, comme un
adverbe, porte sur ce qui suit comme sur ce qui prcde. Il
Heureuse la courbe qui s'inscrit au pur dlice de l'amante. faut donc lui donner ce statut: un adverbe dtach,
Saint-John Perse, Amers. comme un fonctionnaire.
... Si l'auteur n'a pas rellement l'usage de ce suppl- 79. La virgule avant le pronom personnel (2/2). 11 arrive
ment de sens, il se passera facilement de la virgule. Par- qu'on recherche, en prsence d'une relative, un effet de
fois, il lui arrive de ne vouloir laisser subsister aucun lien disjonction. Une virgule sera bienvenue, qui, place avant
de causalit entre l'adjectif et le nom auquel il se rapporte, le relatif, le sparera du substantif auquel il se rapporte
mme loigns l'un de l'autre. Michaux tait coutumier pourtant; c'est qu'on ne sait plus s'il s'agit d'une subor-
du fait : donne dterminative ou explicative :
Quand trois jours aprs, le crne encoffr de bandages, il Il s'est accabl de superfluits, que l'habitude enfin lui
soulve incertain une paupire lasse, les mdecins et les aides rend ncessaires.
se congratulent. Mais lui, il ne se congratule pas. La Bruyre, Les caractres.
La vie dans les plis.
(Noter la prsence de enfin: le temps a pass et a
Evidemment, tout cela se discute. (Et pourquoi n'avoir transform le superflu en ncessaire, l'explicatif en dter-
minatif, ou l'inverse...)
pas crit:
80. Avant mais (5/5). On met une virgule avant
Quand, trois jours aprs, le crne, etc. ?
mais, si cette conjonction est place entre une proposi-
tion complte et une indpendante simple (voir aussi le
Pour acclrer le discours, sans doute.) chapitre consacr l' addition ) :
La virgule entre il soulve et incertain a t sup-
prime probablement pour araser un relief dans le dis- Jules leur disait :
cours que le malade n'tait pas en tat d'apprcier... Des enfants? a peut vous arriver, mais ce n'est peut-
Voir aussi les n os 37 N.B. et 121. tre pas votre spcialit.
Henri-Pierre Roch, op. cit.
78. Un c.i. entre virgules ? On peut isoler entre virgules
un complment indirect, mme s'il est dterminatif. Le 81. Incidentes particulires (1/3): se rapportant un
rsultat est une insistance. Reprenons les exemples de nom propre. Certains auteurs prtendent qu'il ne faut pas
Jacques Damourette : sparer une incidente du nom auquel elle se rapporte, si
celui-ci est un nom propre. Cela pourrait n'tre qu'une
Ils dirigeaient Rome, avec une rare inconstance, dans la variante de la rgle gnrale qui interdit la virgule avant
voie mme o s'tait perdue Carthage. les incidentes dterminatives, comme dans le tour :
C. Jullian, Histoire de la Gaule.
L'Aphrodite qu'on a trouve au large du Pire...
Ils dansent, et bientt l'un d'eux, d'une voix pntre,
attaque le chant de l'Espce. Mais ces auteurs prtendent que la rgle doit s'tendre ;
Joseph Delteil, La Fayette. si le nom propre n'est pas celui auquel se rapporte l'inci-
194 La xrirgule 195
Les signes
dente, et s'il la spare du terme auquel elle se rapporte, la inverse) bien qu'il contienne videmment une ellipse du
virgule reste interdite . Ainsi, S.-A. Tassis donne : verbe :
Le gouvernement grec informe les navigateurs que la Au ngociant le porche sur la mer, et le toit au faiseur
partie du canal de Ngrepont comprise entre l'Eube et la d'almanachs !... Mais pour un autre les voiliers au fond des
terre ferme a t creuse une profondeur uniforme, [...]. criques de vin noir, [...].
Saint-John Perse, Eloges.
Nous ne doutons pas de la validit de cette rgle.
N.B. Si l'on veut souligner une opposition, il est pos-
82. Incidentes particulires (2/3) : se rapportant un sible de mettre une virgule entre le c.o.i. et le verbe, et de
terme gnral. D'autres grammairiens disent qu'une inci- ponctuer ainsi :
dente est d'autant plus explicative qu'elle explique un
terme gnral : A la force, on peut opposer la dsobissance.
Le besoin de nouveau est signe de fatigue ou de faiblesse de
l'esprit, qui demande ce qui lui manque. Avec contre antpos. Mais cela est un peu lourd. En
Paul Valry29, revanche, avec contre antpos (pour autant qu'il
Mauvaises penses et autres. signifie l'opposition violente), la virgule semble indispen-
sable :
83. Incidentes particulires (3/3): se rapportant un
nom gnrique (peuple, empire, pays, etc.). De mme, elle Contre la force, levons des barrires de dsobissance !
serait d'autant plus explicative qu'elle se rapporterait un
nom de peuple, de pays, d'empire, de province, de fleuve,
de montagne... (Cette rgle ne doit pas tre confondue 85. Les incidentes optatives. On met entre virgules les
avec celle que nous avons nonce plus haut, et qui incidentes optatives ou quivalentes :
concerne les incidentes dterminatives suivant un nom
propre.) Songeons aux tours : J'irai jusqu'au bout, duss-je y perdre ma rputation, et je
ferai rendre gorge cette canaille !
Les Arabes, qui sont musulmans pour la plupart, prient Michel Mouton,
tourns vers La Mecque. Les exclus.
O triste, triste tait mon me ... mme s'il dpend d'un complment d'objet qui sera
A cause, cause d'une femme. toujours, par rgle, spar de lui (en gnral par le verbe) :
Paul Verlaine,
Romances sans paroles. []
Que la beaut du corps est un sublime don
Qui de toute infamie arrache le pardon.
... sauf s'il quivaut une subordonne explicative (c'est-
Ibid.
-dire une ellipse) :
Mais la virgule devient ncessaire pour dissiper d'ven-
L'amour de la mre occupait sa vie : vivante, elle le pour- tuelles quivoques. Rappelons-nous cet exemple tir de
suivait, et lui ne se retournait pas ; morte, elle le hante, et il Casimir Delavigne31 :
l'a devant lui.
Michel Mouton, La cour, de votre altesse attend la signature.
Sur Visconti.
89. Complment circonstanciel (1/5) antpos. Lorsque
le complment circonstanciel, plac aprs le verbe, est sim-
Et si l'adjectif, ou le participe, est suivi d'un compl- plement dplac avant, on ne le spare par aucune virgule :
ment, on dplace la virgule aprs le complment (s'il se
trouve une laisse d'adjectifs avec leur complment, alors il Le seul rve qui dans vos yeux purs navigua
faudra conserver une virgule entre le dernier complment Ne naufrage jamais Mademoiselle Helga.
d'adjectif et le verbe). Ainsi l'on crira: Stphane Mallarm,
Sur des galets d'Honfleur.
Morte de peur, elle restait immobile.
Charles Baudelaire, op. cit. Il lui sembla que rien ne restait de sa chambre quift intact.
226 Les signes La virgule 227
Mais encore faut-il qu'il soit dterminatif. S'il tait 91. Complment d'objet antpos. On ne met pas de
explicatif, on le ferait suivre (et, le cas chant, prcder) virgule lorsqu'on antpos un complment direct ou indi-
d'une virgule. Henri Morier cite ainsi ce vers de Racine32 : rect :
Le peuple saint, en foule, inondait les portiques. Il lui semblait que par une dfrence parfaite il rachetait
l'absence de tout autre sentiment.
Mais cela provient essentiellement du rle jou par Joseph Kessel, Les captifs.
l'ellipse du participe (voir ce paragraphe) dans en
foule. En dveloppant, on aurait crit et ponctu: En revanche, il en faut avant le verbe lorsqu'on ant-
pos plusieurs de ces complments :
Le peuple saint(,) group en foule(,) inondait les portiques.
Au chant des violons, aux flammes des bougies,
Ce qui, dj, est une ellipse de : Espres-tu chasser ton cauchemar moqueur,
[...]?
Le peuple saint, comme il tait group en foule, etc.
Charles Baudelaire, op. cit.
Voici un cas qui voit l'enchanement de deux compl-
ments, l'un tant li, l'autre dtach par des virgules : C'est donc tort que Claudel ponctue ainsi (peut-tre
l'alina du verset tient-il lieu de virgule?) :
J'aime comme en le ciel mr, contre la vitre, suivre des
lueurs d'orage. Au malade condamn, l'amant trahi, [...], au pote
Stphane Mallarm, cras sous les pieds ! , )
Variations sur an sujet. Ne retire pas le droit de se plaindre !
Paul Claudel, La Ville.
On le voit, pour des complments courts, l'auteur est
meilleur juge de ce qu'il convient de faire. Mais la distinc- 92. Dans l'inversion du verbe et du sujet (1/2). On ne
tion entre le dterminatif et l'explicatif peut lui tre de met pas de virgule avant l'inversion du verbe et du sujet,
quelque utilit. aussi bien dans une circonstancielle (dans le tour je sais
quand viendra le printemps) que dans une tournure
90. Complment d'adjectif antpos. On ne met pas de interrogative indirecte (dans le tour vous ne m'avez pas
virgule lorsqu'on antpos un complment d'adjectif. dit qui c'tait), ou que dans les subordonnes intro-
Ainsi, Racine crit : duites par un relatif au cas rgime ( La pomme que man-
Mais si ce mme enfant tes ordres docile grent Adam et Eve) ou oblique (La pomme dont se
Doit tre tes desseins en instrument utile, dlectrent Adam et Eve ).
Vous ne m'tes plus utile, [...]. Aussi, je vais vous faire passer, Jean Genet, op. cit.
etc.
96. Avec une subordonne (1/7) circonstancielle ant-
94. Avec un vocatif antpos. On met une virgule aprs pose. On met une virgule aprs une subordonne cir-
les vocatifs antposs (sauf s'ils sont suivis de quelque constancielle antpose :
adjectif, de quelque complment, de quelque subor-
Quand vous aurez fini de me coiffer, j'aurai fini de vous
donne: auquel cas la virgule est repousse d'autant; ici, har.
Saint-John Perse,
Eloges.
33. P o u r tre tout fait logique, il faudrait dire l'inverse: suivis d ' u n e
virgule, aussi et ainsi ne c o m m a n d e n t pas d'inversion du sujet et d u Et quand se fut parmi les sables essore la substance ple
verbe. La rgle est identique pour, placs en tte, encore , peut-tre , de ce jour,
sans doute , etc.
226 Les signes La virgule 227
... e t :
Au lieu de concentrer votre attention sur les splendeurs de
cette immortelle Andromaque, vous vous complaisez, enfer-
C'est en forgeant qu'on devient forgeron.
mant une blatte et une araigne dans une cage ridicule, des
occupations dgradantes qui font songer avec dgot ces
jeux proposs la vaine curiosit des populaces du bas ... o la s u b o r d o n n e est d e v e n u e p r i n c i p a l e !
empire romain.
N.B. Il a r r i v e q u e le p a r t i c i p e soit ellips. (Voir les
Marcel Aym,
ellipses.)
Le puits aux images.
Cela n'est pas une bonne manire de raisonner. Il vaut Dis donc, il fait lourd ici, j'peux pas enlever ma veste ?
mieux dire que l'accent, dans la premire phrase, est sur Ibid.
13 heures (autrement dit, qu'elle rpond plutt la
Mon Dieu, je suis la Toute-Folle.
question quand est-il sorti de chez lui?), dans la
seconde, sur prit fin la guerre de Cent ans (autrement Ibid.
dit, qu'elle rpond plutt la question que s'est-il pass
en 1453?). 2. En aval
(Voir aussi le n 21.)
100. Avec plusieurs complments circonstanciels (3/5) 102. Dans l'inversion du sujet et du verbe (2/2). On ne
antposs. On met une virgule la fin d'une laisse de com- met pas de virgule entre verbe et sujet, lorsqu'on place le
plments circonstanciels antposs : sujet immdiatement aprs le verbe, dans les inversions
interrogatives, dans les formules narratives :
Loin du monde railleur, loin de la foule impure,
Loin des magistrats curieux, Entrez, dit la secrtaire.
Ce que fit le dtective.
Herbert Mdina, op. cit.
35. Op. cit.
226 Les signes La virgule 227
Mais aussi dans les tours plus recherchs d'inversion, ... c'est--dire d'une mort naturelle.
comme :
Il est mort, naturellement.
Ne te gne pas le fait que Cline ait t antismite ?
Cela signifie que l'issue tait videmment fatale.
Jude Stfan, Dialogue des figures.
106. Avant un adjectif postpos. On met une virgule
103. Avant l'hyperbate. On place toujours une virgule avant un adjectif rejet en fin de phrase, et spar du nom
avant une hyperbate315 : auquel il se rapporte. Comparer :
Lucide, exigeant, Daumal l'est sans doute au suprme Je m'loigne. La haine est dans les curs sinistres.
degr, et frondeur. Victor Hugo, Les Chtiments.
Georges Perros, Lectures.
... et :
104. Avant un adverbe (2/4) postpos. On met une
Je m'loigne. La haine est dans les curs, sinistre.
virgule avant un adverbe rejet en fin de phrase, et spar
du mot qu'il modifie:
107. Avant un vocatif postpos. On met une virgule
avant un vocatif rejet en fin de phrase :
Marie-Antoinette s'essuie les joues, lentement.
Joseph Delteil, La Fayette. Envolez-vous, pages tout blouies !
Rompez, vagues! [...]
De mme qu'on peut postposer un adverbe comme
Paul Valry,
enfin, ou dj, etc., lorsqu'on veut appuyer l'effet
Le cimetire marin.
obtenu (soulagement, surprise, etc.).
108. Avant une interjection postpose, un juron... On
105. Avec un adverbe (3/4) postpos. Mais il faut met une virgule avant un juron, une exclamation, une
prendre garde ne pas involontairement sparer par une interjection, placs en fin de phrase :
virgule l'adverbe du mot qu'il modifie. Le sens obtenu
serait tout diffrent. Coignon donne ces exemples : J'en avais marre de l'existence telle qu'on la mne, oui.
Jean-Patrick Manchette, Nada
Il est mort naturellement.
Ce qu'on a fait, non, jamais.
Ibid.
36. Figure p a r laquelle on ajoute la phrase qui paraissait t e r m i n e
u n e pithte, u n complment ou u n e proposition, expression qui sur-
Qu'est-ce que vous me racontez, bordel de Dieu !
p r e n d l'auditeur et se trouve par l m m e mise fortement en vidence.
(Henri Morier.) Ibid.
226 Les signes La virgule 227
Avec quoi, bon, hein, etc. On le fait aussi avant Kathe et Jim s'appliqurent tre patients. Ils recommen-
ces courtes propositions qu'on place dans le discours crent, Kathe dessiner, Jim crire.
parl pour appuyer, insister, et qui sont comparables Henri-Pierre Roch, op. cit.
des scories que la langue produit naturellement ( quoi ,
bon , hein , h , voil , t , etc.). 112. Avant une subordonne (4/7) participiale post-
pose. On met une virgule avant une participiale rejete
109. Avant une locution narrative postpose. On met en fin de phrase :
une virgule avant une locution narrative rejete en fin de
phrase : Le soleil brlait les canaux vides et les grves mortes avec
la mme aridit qu'un paysage de salines, faisant grsiller
Jim penser vous bels yeux, belle bouche, bels cheveux, de blancheur les linges pendus aux fentres des quartiers
belle peau blanche, bel tout a, dit Jules. pauvres.
Henri-Pierre Roche, op. cit. Julien Gracq, op. cit.
110. Dans la redondance j'en ai, de la chance. On Car on sent trs fortement l'ellipse. En voici deux autres
met une virgule lorsqu'on rejette en fin de phrase cette exemple :
redondance populaire qu'il faut pouvoir distinguer du
gnitif : Pendant cinq lunes il les trana derrire lui, ayant un but
o il voulait les conduire.
C'te fois, c'est la bonne, j'en ai un dans le buffet, de pru- Gustave Flaubert, Salammb.
neau.
Herbert Mdina, op. cit. Son cur battait si fort qu'elle me sentait presque plus la
trpidation du moteur de la Harley, tournant au ralenti.
111. Avant une apposition postpose. On met une vir- Andr Pieyre de Mandiargues,
gule avant une apposition rejete en fin de phrase, surtout La motocyclette.
si elle est spare du mot avec lequel elle fait redondance :
C'est parce que le moteur de la Harley tournait au
ralenti que les battements de son cur pouvaient en cou-
Que tu brilles enfin, terme pur de ma course ! vrir les trpidations. La virgule remplace parce que,
Paul Valry, seconde par un participe prsent conome en dvelop-
Fragments du Narcisse. pements...
En voici deux autres exemples, dans le mme para-
Je les ferai gras, vos serviteurs, bien enferms, bien graphe de Jude Stfan, qui fait grand usage de cette tour-
obtus. nure:
Gustave Flaubert,
La tentation
J'eus un camarade qui de la sorte sauta sa cinquime,
de saint Antoine (1849). Paolo Cobigo, je me rappelle bien son nom... Il se trouva que
226 Les signes La virgule 227
plus tard, suivant le Tour de France pour un journal italien, (Il n'est pas moins vrai que lequel pronom relatif est
il me fit appeler par haut-parleur dans la ville de Pont- presque toujours prcd d'une virgule :
Audemer o la course passait, s'tant rappel que j'y tais n
quoique absent durant les vacances, des spectateurs Dans la rue un cheval au galop s'arrte, se dresse sur ses
l'entendirent et le dirent ma grand-mre ! pattes arrire, hennit, vide son cavalier, un jeune homme en
Dialogue avec la sur. haillons, lequel tombe, bras en croix, sur le ventre, dans le
sable.
113. Avant une subordonne (5/7) relative postpose. Pierre Guyotat, op. cit.)
On met une virgule avant une incidente explicative
rejete en fin de phrase, et introduite par un relatif Mais le cas le plus frquent est de voir une relative
comme qui, que, dont, auquel 37 et ses drivs, rejete en fin de phrase, la manire d'une hyperbate;
o , d'o , quoi , de quoi , etc. : elle se trouve donc disjointe de son antcdent par un
verbe :
Il porta les peines de son gnie en gagnant le prix de sculp-
ture fond par le marquis de Marigny, le frre de M de
Pompadour, qui fit tant pour les Arts. La premire dispute a eu lieu, qui finit en geste d'amour.
Honor de Balzac, Jean Genet, op. cit.
Sarrasine.
Il faut une virgule qui montre que l'antcdent du
C'est Marigny et non M""' de Pompadour qui fit tant relatif n'est pas le dernier substantif, mais le prcdent.
pour les Arts. Vaugelas, qui n'avait pas encore mesur En voici trois exemples que Jacques Cellard rapproche, et
la porte des signes de ponctuation, crivait dans ses qu'il juge inlgants parce qu'ils lui semblent rclamer un
Remarques sur la langue franaise: J'en d o n n e r a i un effort de la part du lecteur :
[exemple] de chacun [des "vices contre la nettet"]; du
relatif c o m m e c'est le fils de cette femme, qui a tant fait de Le pril est clairement annonc, qui nous menace.
mal. O n ne sait si ce " qui " se r a p p o r t e fils ou femme, de Pierre Boulez,
sorte que si l'on veut qu'il se rapporte au fils, il faut mettre Comprendre la musique
lequel au lieu de qui, afin que le genre lve l'quivoque. aujourd'hui.
Il aimait les diamants, la production desquels il devait sa fortune. Cette confession me tenait cur, qui me laisse dans une
La subordonne peut parfaitement tre dterminative : posture assez sotte.
Un petit garon s'ennuyait dans un coin de la maison, que 115. Avec un adverbe (4/4) antpos. On peut ant-
les invits ne remarquaient pas. poser un adverbe. Le cas n'est pas facile rsoudre. Si l'on
Ibid. veut insister sur l'adverbe, on le fera suivre d'une virgule ;
si l'on ne dsire pas mettre l'accent sur lui, on l'encha-
La construction, telle qu'elle apparaissait plus haut, nera directement :
laisse entendre que le coin, non le petit garon, passait
inaperu. Longtemps, je me suis couch de bonne heure
N'importe: dans tous les cas, la virgule est indispen- Marcel Proust,
sable ! Du ct de chez Swann.
Il faut aussi penser au qui elliptique :
Alors q u e j u d e Stfan crit:
C'est rien que des hommes, qui collectionnent les ufs.
Delfeil de Ton, Longtemps je me suis couch de bonheur.
in Le nouvel Observateur .
116. Avec enfin et dj antposs. Attention au
Dans ce tour, une apposition tait sous-entendue : mot enfin antpos (le mot dj suit peu prs les
mmes rgles, pour autant qu'on puisse dgager des
C'est rien que des hommes, ceux qui collectionnent les ufs. rgles). Il est rarement suivi d'une virgule; quand il
114. Avant qui distributif. On met une virgule, en marque la fin d'une attente, on peut en mettre une pour
gnral, avant qui distributif, dans le tour qui par le insister :
haut, qui par le bas , de manire ne pas le confondre
avec un relatif se rapportant au terme qui prcde : Enfin vous voil !
Enfin, vous voil !
Vous saurez donc, Monsieur, que cette maladie que vous
voulez gurir est une feinte maladie. Les mdecins ont rai- ... ou mme :
sonn l-dessus comme il faut ; et ils n'ont pas manqu de
dire que cela procdoit, qui du cerveau, qui des entrailles, Enfin ! vous voil !
qui de la rate, qui du foie ; mais il est certain que l'amour en
est la vritable cause, [...]. Car tout est possible.
Molire, Le mdecin malgr lui. Lorsque enfin signifie pour finir ou dfinitive-
ment, la virgule est peut-tre moins facultative:
Mais cela est discutable. Si la proposition est courte, la Un beau chat, fort, doux et charmant
[...].
virgule est souvent superflue.
On dit aussi qu'on la supprime si le verbe suit aussitt le Charles Baudelaire, op. cit.
substantif 38 : 125. Avec une laisse de vocatifs antposs. Le dernier
d'une laisse de vocatifs antposs est spar par une vir-
Au village de Claquebue naquit un jour une jument verte, gule du reste de la phrase (principale ou subordonne) :
non pas de ce vert pisseux qui accompagne la dcrpitude
chez les carnes de poil blanc, mais d'un joli vert de jade. Officiers, compagnons d'armes, hommes assembls ici,
Marcel Aym, qui respirez vaguement autour de moi dans l'obscurit, [...],
La jument verte. regardez-la, [...].
Paul Claudel,
C'est aussi que, si l'on maintient la virgule, on obtient Le soulier de satin.
un effet d'insistance que favorise la grande clart syn-
taxique. Nanmoins, la rgle que nous venons d'noncer 126. Avec de partitif. Avec de partitif, il est prf-
(virgule supprime si le verbe suit le substantif) fonc- rable de mettre une virgule (une, lorsqu'il est ant- ou
tionne trs bien. On la trouve respecte par les meilleurs postpos ; deux, s'il est inclus dans la phrase) :
auteurs. Baudelaire, par exemple, dans Le chat :
Quand nous tions jeunes, nous allions quelquefois au
bordel, Montesquieu, Buffon, le prsident des Brosses et
De sa fourrure blonde et brune
Sort un parfum si doux, [...].
39. Lorsqu'elles s'opposent clairement, il arrive mme qu'on doive au
contraire les relier par un trait d'union:
38. Si, autrement dit, le sujet et le verbe de la principale sont inverss. D u porc aigre-doux.
226 Les signes La virgule 227
moi. De nous tous, le prsident tait celui qui prsentait la Les hommes sont si ncessairement fous que ce serait tre
figure la plus imposante. fou par un autre tour de folie de n'tre pas fou.
Denis Diderot, Correspondance. Biaise Pascal,
Penses.
En revanche, on n'en met pas dans le tour distinguer
Tu es tellement sale que je t'adore.
d'une chose une autre chose .
Pierre Jean Jouve,
127. Avec le tour car, si... , mais, bien que... , etc. Les beaux masques.
Il est frquent de trouver le tour car, si..., ou bien
J'aime... J'aime !... Et qui donc peut aimer autre chose
mais, bien que... , on bien encore mais, puisque... . On Que soi-mme?...
considre alors que la subordonne introduite par si ,
Paul Valry,
bien que, puisque, mais aussi quand, lorsque,
Fragments du Narcisse.
parce que, ds que, aurait d se placer la fin de
la principale. Antpose, elle portera donc une paire de Car c'est vraiment, Seigneur, le meilleur tmoignage
virgules : Que nous puissions donner de notre dignit
Que cet ardent sanglot qui roule d'ge en ge
Mais, si tu crois en Dieu, pourquoi redoutes-tu le mal ? Et vient mourir au bord de votre ternit !
Gustave Flaubert, Charles Baudelaire, op. cit.
La tentation
de saint Antoine (1849). Et saurai-je tirer de l'implacable hiver
Des plaisirs plus aigus que la glace et le fer ?
128. Avec que corrlatif. On ne met pas de virgule Ibid.
avant que corrlatif, c'est--dire entre plus... et
que... , autre... et que... , tel... et que... ; entre Si entte, si confuse, si borne qu'elle [la nature] soit, elle
tant... et que... , entre si... et que... , au point... s'est enfin soumise, et son matre est parvenu changer par
des ractions chimiques les substances de la terre [...].
et que... , autre... et que... , etc., si les deux termes ne
sont pas spars par un membre de phrase de quelque Joris-Karl Huysmans, op. cit.
importance 4 " :
N.B. En revanche, si le corrlatif que est prcd d'un
autre que , il sera prcd d'une virgule afin que soit
40. Attention aux effets de l'inversion ! Perse ponctue ainsi :
leve l'quivoque. Dans l'exemple qui suit, le premier
que est gouvern par persuade; le second, qui l'est
... plus humble et plus sauvage et plus, q u ' u n vieux faubert,
par si , sera pour une fois prcd d'une virgule ;
extnu...
De manire, prcisment, qu'on ne p r e n n e pas qu'un vieux faubert
J'tais si persuade (voyez comme je suis folle !) que tout le
pour le corrlatif du plus qui prcde, mais bien pour celui de plus
monde allait tre frapp de ce nom comme d'un coup de
extnu.
226 Les signes La virgule 227
foudre, que je crus voir tressaillir mon pre et mme (pour 131. Dans la prose pistolaire (1/3). O n met une virgule
celui-l c'tait une illusion, j'en suis sre), et mme M. Ban- aprs la vedette d'une lettre 42 :
glars [...].
Alexandre Dumas, Cher monsieur,
Le comte de Monte-Cristo. Cher ami,
Lorsque le corrlatif est trop loign, l'absence de vir- 132. Dans la prose pistolaire (2/3). Dans une adresse, il
gule peut tre source de confusion; elle et pu laisser n'est pas ncessaire de mettre une virgule aprs le numro
croire, en l'occurrence, que le relatif se rapportait de la rue, non plus qu'aprs le nom de la voie, car l'adresse
foudre . forme un tout :
135. Avec eh bien. Il est frquent de voir eh bien nouvelle ligne par une majuscule ou une minuscule. Pour-
suivi d'une virgule. C'est un point d'exclamation qu'il tant, le mme Jude Stfan :
faut. On peut admettre aussi :
Je ne pus rien pour lui, je veux dire aprs que nous nous
Eh ! bien,... sommes aids en amants,
Il a vcu trente-trois ans. Aujourd'hui, je le redis, a-t-il
exist? Qu'tait-il, celui qui marchait au bord des flots,
136. Virgule pour deux-points. Il arrive que la virgule voyait la lumire, qui disait que sur terre ne valaient que les
remplace un deux-points. Voir ce signe et, infra, le couleurs ?
n 140. Il se refusa la farce des fils,
il ne demanda jamais l'amour de sa sur, qui pourtant lui
fut donn aprs que je me fus spare de mon normal
Conventions typographiques mari,
il est mort, il tait un mort, comme nous tous, le sachant.
Il existe une grande quantit de rgles d'emploi qui rel-
Une glace suffisait son humilit,
vent du Code typographique. Nous renvoyons donc le lec-
toutes choses sont peu, quand on n'est pas illusionn par le
teur cet ouvrage et nous bornons aux rgles essentielles. fracas des voix humaines.
Vie de mon frre.
137. Virgule et minuscule. Gnralement, la virgule est
suivie d'une minuscule. On trouve des exceptions intres- A l'inverse, il est proscrit par le Code typographique de
santes cette rgle absolue. Voici des propositions qu'on placer une virgule en tte de ligne. Pourtant, l'effet pro-
cite, sans condescendre leur donner un auteur, ni mme duit, rejet, apposition, est trs puissant. Ainsi :
de guillemets. Ce sont des phrases toutes faites, qui por-
tent leur majuscule comme la marque de leur banalit : Ah merle comme l'air est bon
pour toi dans ce buisson o est ton nid
Ces ressurgies priodiques, L'homme n'est pas collatral ,ermite qui ne sonne aucune cloche
du singe, Dieu n'est pas mort, Les pauvres ne sont pas spo- mlodieux doux paisible ton appel
lis par les aiss, Le Sexe n'est pas (presque) tout, tmoi- Jacques Roubaud,
gnent de leur incapacit affronter l'tre humain dans sa Neuf clats de l'ge des saints.
nudit et son injustification, qui leur font peur.
Jude Stfan, Contrepositions. 139. Espace ? Jadis, la virgule tait prcde d'une
espace. Cette rgle est tombe en dsutude. Mais le signe
reste suivi d' une espace forte .
138. Virgule la ligne ? De mme, on considre que la
virgule est une marque appose l'intrieur de la phrase.
Par consquent, la phrase ne peut tre termine ; il ne sau-
rait donc tre question d'aller la ligne (sauf au dbut
d'une lettre, bien entendu), que ce soit en commenant la
226 Les signes La virgule 227
on ne pense pas, qu'est-ce que c'est que ce type qui fait tout
pour qu'on ne le remarque pas ?
E. DESTIN DE LA VIRGULE Jean-Bernard Pouy,
La clef des mensonges.
140. La virgule vit deux destins contradictoires. D'une
part, elle est envahissante: elle permet toutes les juxtapo- La camionnette est arrive dans la cour de la gare, le gyro-
sitions possibles, elle donne corps aux phrases les moins phare en action, faites place la Loi, les chaussettes clous
arrivent.
construites. D'autre part, elle tend disparatre partout
o son absence ne suscite point de douleur insoutenable. Ibid.
C'est ainsi que dans le style relch la virgule sert de
joint tanche, quoique fragile, entre des propositions qui L, il est manifeste que l'auteur ne consent pas ouvrir
n'eussent pu tenir ensemble. Ds que la syntaxe est les guillemets ; il ne peut se rsoudre enchaner ces cita-
dpasse par la pense, la virgule surgit. Etant pose tions (qui sont d'ailleurs des phrases trop gnrales pour
l'identit de la pense et de la phrase, c'est vers la traduc- tre de vraies citations) sans autre forme de procs. La vir-
tion qu'on se tournera pour trouver les plus beaux exem- gule lui sert de guillemet, comme aux crivains de jadis...
ples d'une phrase (celle du traducteur) dpasse par la Il arrive qu'une virgule apparaisse aux yeux de l'auteur
pense (celle de l'auteur). Voici un paragraphe, pris au comme une prciosit dont il ne peut dcemment faire
hasard dans Lumire du monde, de Halldor Laxness (tra- usage. Au prix d'obscurits impntrables... Ainsi, la
duction de Rgis Boyer) : suite du texte que nous avons cit, et qui est extrait d'un
roman policier, le personnage principal, Alix, tlphone
Il y avait une espce de force magntique entre eux, en Laure; un rpondeur automatique l'invite enregistrer
sorte qu' un moment donn, il sembla qu'ils ne pourraient un message :
plus jamais se dtacher l'un de l'autre, le conscient du garon
s'offusquait de plus en plus et menaait de se dissoudre com-
pltement dans cette vibration absurde. Laure, c'est Alix. Je ne sais plus quoi faire. Tout le
Quand il revint lui, l'influx avait cess, le tremblement monde veut ma peau. Je rappelle plus tard.
avait disparu, elle se tenait devant lui, prononant, pleine de Elle a raccroch brutalement le combin.
crainte, son nom, mais Dieu merci ! il n'tait pas mort, il Bordel... elle a crach.
s'tait seulement vanoui un instant. Ibid.
Mais on trouve aussi, simplement poss les uns ct
Cette dernire rplique est obscure plus d'un titre. On
des autres, des fragments de pense qui ne semble plus
ne sait pas qui parle ; mais on peut supposer que c'est Alix.
dpasse du tout... Parfois, la virgule est un simulacre de O s'arrte sa phrase? Aprs Bordel? Aprs elle a
ponctuation, un geste qui masque ce qu'on n'ose plus crach ? Qui est elle ? Deux solutions s'offrent :
faire, ce qu'on rpugne faire :
1. la phrase signifie: Bordel, cracha-t-elle.
Ils sont suffisamment voyants pour qu'on les reluque en 2. la p h r a s e s i g n i f i e : Bordel, elle a crach, dit-elle (
disant, regarde moi ce con avec sa veste la con. Comme a, son complice, prsent dans cette scne).
254 Les signes La irirgule 255
Dans les deux cas, une ou plusieurs virgules s'impo- Hugo fait souvent de mme, remplaant le deux-points
saient pour que la phrase ft comprise du lecteur. par la virgule :
Nous sommes loin, tout point de vue, de la ponctua-
tion insistante, opinitre, de ce vers : Sachons-le bien, la honte est le meilleur tombeau.
Les Chtiments.
Dis-moi, ton cur, parfois, s'envole-t-il, Agathe, J...]43 ?
Charles Baudelaire, op. cit.
a. Remarques prliminaires
1. La parenthse dsigne la fois le signe et la phrase
qu'il marque.
CHAPITRE 3
2. On parle par parenthse, on crit entre paren-
thses.
3. Toute parenthse ouverte doit tre referme 1 .
LA P A R E N T H S E
Utilit de la parenthse. La parenthse est un message
que l'auteur ajoute son texte ; dire qu'elle n'est pas indis-
Etymologie : du grec parenthesis (action d'inter- pensable au sens de la phrase restreint son champ
caler ). d'emploi : il arrive au contraire qu'elle ne puisse en faire
l'conomie, comme un gnral de ses lieutenants. Elle
Dfinitions figure un dcrochement opr la faveur d'une halte
dans le droulement smantique et/ou syntaxique de la
Dolet : Quant la parenthese, c'est une interposition,
phrase. L'auteur prouve un besoin passager de prciser,
qui a son sens parfaict: & pour son interuention,
d'expliquer, d'ajouter une information, un commentaire ;
ou detraction elle ne rend la clausule plus parfaicte ou
il suspend alors sa phrase, place une parenthse, et
imparfaicte.
reprend son cours normal; il sait que le lecteur a pris
Furetire : Petit nombre de paroles intercalaires qu'on connaissance de la parenthse (au contraire des inter-
met dans un discours, qui en couppent le sens, & titres, qu'il est avr que le lecteur saute sans lire)2.
qu'on croit ncessaires pour son intelligence. En les reci-
tant on le prononce d'un autre ton, & en les crivant on 1. Il arrive, dans les textes manuscrits, qu'on n u m r o t e des paragra-
les enferme entre ces caractres ( ), afin de les faire distin- phes en employant un chiffre suivi d'une parenthse f e r m a n t e : 1) 2) 3),
guer de la suite du discours. Ces caractres se nomment etc. Rien ne s'oppose cette manire de faire.
aussi parentheses; & on dit qu'on ouvre la parenthese, 2. O n ne peut pas antposer u n e parenthse : elle concerne toujours
ce qui prcde, et non ce qui suit. Imaginons la phrase :
quand on se sert du premier; & qu'on la ferme, quand on
se sert du second. O n met une virgule avant et aprs un vocatif.
On prtend souvent qu'il ne faut pas abuser des paren- celui qui l'employa nagure en virtuose prodigieux, le
thses. Pourtant, il n'est pas pnible d'en lire de nom- R a y m o n d Roussel des Nouvelles impressions d'Afrique, et
breuses, et leur emploi n'entrane que de rares fautes. qui n'a pas hsit c'est mme une bonne partie de son
Tout au plus peut-on dire qu'il arrive frquemment propos creuser une parenthse dans la parenthse,
qu'une incise, place entre virgules, pourrait leur tre puis une autre l'intrieur de la premire, jusqu' la cin-
aisment substitue. quime gnration ; par surcrot, il renforce ce que Fou-
cault appelle la fort concentrique des parenthses par
b. La parenthse de Caillois. La parenthse est un lieu l'emploi de tirets supplmentaires et de notes en bas de
o l'auteur semble se trouver confortablement install; page... Laissons-lui le soin de dmonter ces poupes russes
un cocon doux et chaud; une halte reposante; il s'y d'un genre admirable :
rfugie, s'y installe ; il la recherche. Il jouit alors de soi-
mme, comme l'abri d'un cran qui lui pargnerait, Soit un groupe de cinq3 alexandrins :
pour un temps, la dure confrontation avec autrui. Lov
Rasant le Nil, je vois fuir deux rives couvertes
l'intrieur de ces deux courbes, il se met en chien de fusil. De Heurs, d'ailes, d'clairs, de riches plantes vertes
C'est ce signe que Roger Caillois, dsireux de trouver Dont une suffirait vingt de nos salons,
une mtaphore au Livre, fait appel dans le Fleuve Alphe : D'opaques frondaisons, de fruits et de rayons.
Ainsi, depuis que j'ai su lire, j e n'ai fait que lire, et n'et
t mon incessante et enfantine curiosit des choses et Aprs ces vingt salons (tous orns par la verdeur d'une
l'impossibilit pour mon attention de n'tre pas la proie plante unique) ouvrons une parenthse (peu importe pour
du premier objet rencontr, je n'aurais vcu que par l'instant la raison et ne disons pas trop vite qu'il s'agit de pr-
l'entremise des livres. Je m'aperus trs lentement que par ciser, d'expliquer, etc.):
l'usage qu'il font et qu'ils poussent faire des mots, ils ten- vingt de nos salons
dent remplacer la perception spontane de la ralit, (Doux salons o sitt qu'ont tourne les talons
vritablement, ils m'avaient attir d'emble dans ce que Sur celui qui s'loigne on fait courir maints bruits)
j'ai appel la parenthse. D'opaques frondaisons, de rayons et de fruits.
c. La parenthse de Roussel. Avant de commencer Une heureuse transposition dans le dernier hmistiche res-
l'numration des diffrents emplois de ce signe sympa- titue une rime favorable. Sur la trace des deux talons, s'ouvre
thique, nous voudrions faire... une parenthse, consacre une seconde parenthse :
Comme ceci (elle ferme les yeux) : Deux, deux quoi ? Deux 6. L a parenthse comme confidence a u lecteur. La
femmes. [...] . p a r e n t h s e p e r m e t p a r f o i s l ' a u t e u r d e f a i r e u n a parte,
Andr Breton, Nadja. d e se d t a c h e r m o m e n t a n m e n t d e la scne qu'il dcrit,
c o m m e s'il baissait le ton, p o u r faire p a r t a g e r au lecteur sa
3 . L e c o m m e n t a i r e . La p a r e n t h s e i n t r o d u i t u n com- p e n s e la plus secrte 4 . La r h t o r i q u e n o m m e cela u n e
mentaire : p a r a b a s e . C'est u n m o y e n vif, r a p i d e , efficace, d o n t il est
arriv Colette d ' a b u s e r , p r t a n t au m o i n d r e j e u d e scne
Ce qu'on peut dire en gnral des triumvirs, c'est que leur u n e valeur qu'il n ' a pas toujours, et m e t t a n t e n t r e paren-
mauvais renom d'intrigue et de violence, les bruits sinistres thses u n e p h r a s e c o m m e : Il s'incline. D a n s la p l u p a r t
(quoique injustes) qui coururent sur eux l'occasion de la d e s cas, n a n m o i n s , l'effet r e c h e r c h est o b t e n u :
mort de Mirabeau, auront conduit les Jacobins suivre de
prfrence un homme net, pauvre, austre, de prcdents [...] Dieu! s'crie-t-elle en levant ses poings, le Trans-
inattaquables. vaal a pourtant besoin d'hommes, qu'est-ce qu'il fiche
Jules Michelet, ici ?
Histoire de la (Sa narquoiserie volubile et voulue m'emplit de
Rvolution franaise dfiance.)
Mais, Rzi, que ne confiez-vous votre achat au got
4. L a p a r e n t h s e comme guillemet. La p a r e n t h s e p e u t infaillible d'un valet de chambre ?
f a i r e r f r e n c e , c o m m e certains guillemets, des traits d e J'y ai song. Mais la domesticit, sauf ma "mes-
langage, a u vocabulaire p r o p r e s u n g r o u p e , u n e per- chine ", appartient mon mari.
s o n n e , u n milieu social. La citation e n t r e p a r e n t h s e s a (Dcidment, elle tient sortir.)
u n aspect plus sec q u e celle q u ' o n fait e n t r e guillemets, et Allez, pouse vertueuse, allez fter la Saint-Lam-
brook...
c o n t i e n t e n elle-mme u n j u g e m e n t , u n e i r o n i e :
(Elle a dj rabaiss sa voilette blanche.)
Si je suis de retour avant six heures, voulez-vous encore
Par exemple, un monsieur passe dans la rue, tout occup de moi ?
de ses chatouillements internes (ses penses, comme il dit). (Qu'elle est jolie ainsi penche ! Sa jupe, colle en torsade
Ren Daumal, par la vivacit de son geste, la rvle toute...[...])
La grande beuverie.
Claudine en mnage.
5. P a r e n t h s e et syntaxe. L a p a r e n t h s e p e u t inter-
r o m p r e t o t a l e m e n t le flux syntaxique n o r m a l d e la p h r a s e ,
sans p o u r a u t a n t le p e r t u r b e r :
4. Dans u n e note d e Qu'est-ce que ta littrature?, Sartre fait allusion
C'est mme l un argument ad hominem (le duc employait aux romans crits sous f o r m e d e dialogues de thtre, et dit : ... Ensuite
l'auteur n e se privait pas p o u r autant d'entrer d a n s la conscience d e
un peu tort et travers l'expression ad hominem) qu'on ne
ses personnages et d'y faire e n t r e r avec lui son lecteur. Simplement, il
fait pas assez valoir pour montrer la mauvaise foi des Juifs. divulguait le contenu intime d e ces consciences e n t r e parenthses et en
Marcel Proust, La prisonnire. italiques [...].
258 264
Les signes La parenthse
7. L a parenthse offre u n nouvelle couche de rcit. La Marcel Proust, cet auteur sujet des malaises,
Porte en toute saison pelisse d'astrakan,
p a r e n t h s e p e r m e t d ' e n t r e c r o i s e r les d i f f r e n t e s c o u c h e s Depuis que, tourment d'un qui, d'un que, d'un quand,
d e rcit, e t d e r e n d r e ainsi la c o m p l e x i t d e certaines Il prit un courant d'air entre deux parenthses.
258 266
Les signes La parenthse
8. La parenthse : discours dans le discours (1/2). Dans entendre) indique u n e minuscule intervention de
le mme ordre d'ide, on trouve dans Proust des paren- l'auteur, un commentaire subtil et souvent ironique, une
thses qui sont des dcrochements du discours. Ainsi, le complicit qui s'tablit entre le lecteur et lui : ils ont Y crit
narrateur de la Recherche raconte des histoires dont l'ori- en commun ; le personnage, lui, n'a que l'oral. Proust joue
gine n'est pas donne. On ne sait comment il est cens les de cette clandestinit, et place des parenthses qui sont
avoir apprises. Par exemple, il dcrit les gots de M. de autant de railleries imperceptibles :
Guermantes en matire de femmes; on pourrait croire
qu'il les sait d'exprience, qu'il a frquent son salon, qu'il Il faut absolument qu'ils disent que ceci a t bien jou,
a vu les femmes que le duc y conviait, et qu'il en a t ins- que cela a t moins bien jou. Il n'y a aucune diffrence.
truit de cette manire 7 ; mais une parenthse habilement Tenez, ce petit Thodose Cadet (je ne me rappelle plus
insre dans sa description laisse entendre que ce qu'il son nom) m'a demand comment a s'appelait, un motif
sait, le narrateur le tient autant de conversations que d'orchestre. Je lui ai rpondu, dit la duchesse les yeux bril-
d'observations. Ce sous-entendu est un venin : il l'instille lants et en clatant de rire de ses belles lvres rouges : a
avec dlice ; la vie mondaine est un enfer, car on y parle8 : s'appelle un motif d'orchestre.
Ibid.
Le mari tait un ardent apprciateur des grces fminines.
Elles se ressemblaient toutes un peu ; car le duc avait le got 10. Parenthse dans le discours direct (2/2). Nous
des femmes grandes, la fois majestueuses et dsinvoltes, venons de voir qu'il est possible de mettre une parenthse
d'un genre intermdiaire entre la Vnus de Milo et la Vic-
dans le discours direct, bien qu'il s'agisse d'un code pure-
toire de Samotbrace; souvent blondes, rarement brunes,
quelquefois rousses, comme la plus rcente, laquelle tait ce ment graphique. Elle n'a pas toujours le poids d'ironie
dner, cette vicomtesse d'Arpajon qu'il avait tant aime que Proust lui donne, mais se contente de suggrer une
qu'il la fora longtemps lui envoyer dix tlgrammes par diffrence de hauteur (la voix baisse) et peut-tre
jour (ce qui agaait un peu la duchesse), correspondait avec d'intensit; il peut alors se glisser comme un gauchisse-
elle par pigeons voyageurs quand il tait Guermantes, [...]. ment du ton:
Le ct de Guermantes.
Eh bien ! aussitt que rsonna votre nom, mon pre tourna
9. Discours dans le discours (2/2), parenthse dans le la tte. J'tais si persuade (voyez comme je suis folle !) que
discours direct (1/2). Il est possible, grce aux parenthses, tout le monde allait tre frapp de ce nom comme d'un coup
de s'immiscer dans le discours d'un personnage. Leur pr- de foudre, que je crus voir tressaillir mon pre et mme (pour
sence, dans le discours direct (qui ne sait les faire celui-l c'tait une illusion, j'en suis sre), et mme M. Ban-
glars [...].
Alexandre Dumas,
7. Dans l'exemple qui suit, les adverbes souvent, rarement,
Le comte de Monte-Cristo.
quelquefois , le laissent supposer.
8. Et l'on n e sait jamais d'o vient la conversation. Rien n e laisse sup-
poser q u e le narrateur l'a t e n u e lui-mme. Il se pourrait bien qu'elle lui Qu'on m'apporte je veille et n'ai point sommeil
ait t seulement rapporte, lors d ' u n e autre conversation, etc. qu'on m'apporte ce livre des plus anciennes Chroniques.
268 Les signes La parenthse 269
Sinon l'histoire, j'aime l'odeur de ces grands Livres en peau porter ses propres signes de ponctuation, qui n'altrent
de chvre (et je n'ai point sommeil). en rien la phrase principale.
Saint-John Perse,
Amiti du prince. 13b. Parenthse et ponctuation (2/4) finale. La position
de la parenthse, lorsqu'elle est associe un point est une
11. Parenthse de rgie. La parenthse, mieux que le question difficile. Il semble que de multiples conventions
crochet, introduit dans un texte dramatique une indica- soient observes. Raisonnons. On crit:
tion scnique, une didascalie (il est d'usage de marquer
la distance entre rplique et action par le passage Prcder tout ce qui suit.
l'italique) : "tj
... car la citation garde sa ponctuation. Si l'on ajoute
Ne me touchez pas. (Il murmure.) A genoux, tous ! Tous le nom de l'auteur, on commence une nouvelle phrase,
ensemble enchans de si prs, qu'il nous faut aussitt, de considrablement abrge, certes ; cette phrase est place
tout notre long, sur le sol, atterrs, tre pareils l'un l'autre. entre parenthses, et comme telle porte son point final
(Il se redresse d'un bond.) Debout, la vermine est la chane : avant que la parenthse ne soit referme :
universelle, du premier au dernier, elle nous lie tous. L'ange
mme ne peut rompre le lien. Prcder tout ce qui suit. (Valre Novarina.)
Andr Suars, Si la phrase (ici la citation) n'est complte qu'avec sa
A l'ombre de matines.
parenthse, alors le point est rejet la fin : c'est le cas
pour le nom d'un personnage suivi de ses dates de nais-
12. Parenthse et traduction. On met entre paren-
sance et de mort (voir Clment Marot, n 17), etc. Car la
thses la traduction d'un mot, d'une phrase :
phrase signifie :
Loquerisne linguam latinam ? (Parlez-vous latin ?) lui
dit l'abb Pirard, comme il revenait. Marot Clment (n en 1496 et mort en 1544).
- Ita, pater optime (oui, mon excellent pre), rpondit
C'est pourquoi l'on crira :
Julien, revenant un peu lui.
Stendhal, Macbeth (Thtre National Populaire).
Le rouge et le noir'3. Jean Giraudoux : Adorable Clio (Grasset).
13a. Parenthse et ponctuation (1/4). On voit dans Mais on date une oeuvre en plaant l'anne de composi-
l'exemple prcdent qu'une parenthse peut trs bien tion entre parenthses, et sans point (ni intrieur ni ext-
rieur la parenthse) :
20. Parenthse, chiffres et lettres. On emploie les 23. Une phrase entre parenthses. On peut commencer
parenthses pour donner en toutes lettres ce qui vient une phrase par une parenthse ; en ce cas, il faut la com-
d'tre donn en chiffres : mencer par une capitale, la finir dans la parenthse, ponc-
tuation comprise :
Tenez, moi qui vous parle, j'ai vu dernirement,
Toulon, un canon de marine dont chaque coup reprsente la Tout homme attend quelque miracle...
modique somme de 1800 fr (dix-huit cents francs). ou de son esprit ; ou de son corps ; ou de quelqu'un ; ou des
vnements.
Alphonse Allais, Contes.
(Ceci est pure observation.)
21. Parenthse d'information (3/3). Les parenthses Paul Valry,
s'utilisent pour indiquer la continuation ou la fin d'un Mauvaises penses et autres.
texte :
24. Mot code entre parenthses. On met un mot code
Rome (suite). entre parenthses. Ainsi, dans une chanson, pour viter
J'ai besoin de voir Nicolas Poussin tous les jours. d'avoir rcrire le texte du refrain entre chaque couplet,
on note :
Andr Fraigneau,
Journal profane
d'un solitaire. (Refrain)
22. Parenthse d'alternative. Lorsqu'on dsire donner Ou, pour ne pas rcrire deux fois le mme vers, on
au lecteur le choix entre deux formes (masculin et note:
fminin, singulier et pluriel) on place l'une des deux entre
(bis)
parenthses :
14. Il faut noter que c'est prcisment dans les manuels scolaires avouer que la typographie o f f r e bien peu de possibilits... En revanche, il
qu'on fait u n usage aberrant des parenthses. O n lit dans Lelay, H i n a r d est inadmissible qu'on exige des enfants qu'ils mettent entre parenthses
et Hidray, op. cit., cette phrase, a p p a r t e n a n t u n exercice de conju- ce qu'ils veulent biffer, pour faire plus propre, c o m m e faisaient les
gaison : Nous sommes arrivs comme il (partir). Sortez avant qu'il copistes, au Moyen Age (mais l'aide du point). Si bien qu'ils ignorent
(faire) trop chaud. A la dcharge d e ces auteurs d e manuels, il faut longtemps le vritable sens d e ce signe.
258 276
Les signes La parenthse
d'entraner des confusions ou des complications compa- signe de l'intervention extrieure, et non des parenthses,
rables celles dont nous avons parl propos de Ray- qui sont en propre l'auteur.
mond Roussel: (((( )))). Certains utilisent les crochets en
guise de parenthses du second degr. Il faut l'viter, car 27. Espace? La parenthse ouvrante est immdiate-
les crochets, comme nous l'avons dit, sont rservs ment colle au signe qui la suit, sans espace; fermante, au
l' diteur (voir le chapitre 4). Les tirets leur sont prf- signe qui la prcde. La premire est prcde par une
rables. Roussel lui-mme ne les ddaignait pas... (Mais espace 15 ; la seconde est suivie immdiatement de la ponc-
Foucault ne les compte que comme un demi-degr suppl- tuation, le cas chant, ou d'une espace.
mentaire.)
Pour fermer deux parenthses places l'une dans 28. Corps? Les signes de parenthse se composent
l'autre, il est assez frquent qu'on s'en contente d'une : dans le corps et le caractre de la phrase principale
laquelle elles appartiennent en propre, ou mme, mieux,
J'tais contre la vitre (ferme) tass, passant inaperu dans le corps du texte courant, et non dans celui de la
(inaperu de moi-mme (?). L'heure importe : huit heures du phrase incluse, contrairement aux habitudes des typo-
matin fin avril.
graphes qui, lorsque la phrase entre parenthses est en ita-
Francis Ponge, lique, composent les signes de parenthse en italique.
La rage de l'expression.
Cette habitude est absurde : si le dbut de la parenthse
est en romain, et la fin en italique, il est impossible
Mais il est prfrable, pour plus de clart, qu'on ouvre d'adopter un systme cohrent... Tandis que si l'on
autant de parenthses qu'il en faut, et qu'on en referme observe la rgle qui veut qu'un signe de parenthse soit
autant qu'on en a ouvert : imprim dans le corps du texte gnral, la difficult
tombe d'elle-mme. C'est l'opinion de Jean-Pierre Coli-
Le parcours de Tho est nettement boulonnais lui aussi gnon et de nombreux autres correcteurs :
(rue Gambetta, rue Escudier ((avec les travaux actuels)),
boulevard Jean-Jaurs, rue des Tilleuls ((qui est la rue dans
laquelle je vis pour le moment)), rue Maurice-Belafosse ((la Dans cette perspective, il convenait d'accorder une atten-
plaque qu'il contemple est relle))), mais l'cole qui n'existe tion particulire ce type de peintures que l'on appelait
pas dans ce primtre, vient tout droit de la province, [...]. communment les cabinets d'amateur (Kunstkammer) et
dont la tradition, ne Anvers la fin du X V I e sicle, se
Paul Fournel,
perptua sans dfaillance [...] jusque vers le milieu du
L'Equilatre.
X I X e sicle.
guillemets. Aujourd'hui, on les utilise dans certaines di- Gallimard ? Ou bien alors est-ce une prcision de l'di-
tions scientifiques lorsque les crochets ne suffisent plus ; teur? On ne le saura jamais. Les chevrons auraient t
ils peuvent aussi figurer un mot biff par l'auteur. Les di- bien utiles...
teurs (ici Crpet et Pichois), ne pouvant noter ils en les
mangent pas-, se contenteront d'indiquer:
LES CROCHETS
Il faut voir les quartiers pauvres, et voir les enfants nus se
rouler dans les excrments. Cependant, je ne crois pas qu'ils
2. Utilit des crochets. La dfinition de Grevisse est
< e n > les mangent < p a s > .
trs imparfaite: inexacte et incomplte. Les crochets
Charles Baudelaire,
s'emploient lorsqu'on dsire ajouter un commentaire au
Pauvre Belgique.
texte sans le porter en note :
N.B. Chevrons et crochets. D'autres diteurs prfre- Le marquis entretiendra pendant longtemps une corres-
ront, pour le mme usage, faire appel aux crochets. O n ne pondance avec Florence, o il a nou des relations et laiss
peut leur en faire grief; mais cette pratique les contraint des collaborateurs, tels que le docteur Mesny [g de
renforcer le texte des commentaires, ajouts, etc., par soixante ans], mdecin du grand-duc. Mme aprs son inter-
l'emploi de l'italique, seule manire d'tablir une diff- nement Vincennes, les lettres d'Italie sont les seules [avec
rence entre les parties de texte biffes par l'auteur et les celles de sa femme], qu'il soit autoris recevoir directe-
informations de l'diteur; encore ne le font-ils pas ment.
toujours : dans la Correspondance Paulhan/Ponge (Galli- Paul Bourdin,
mard), les dates sont ainsi compltes en italique : cit par Gilbert Lely,
in Vie du marquis de Sade.
Lundi 25 [novembre 1946]
La phrase est extraite des Annales de Paul Bourdin;
les indications entre crochets sont donnes par Gilbert
Mais, dans le texte, les mots billes sont en romain : Lely.
Selon ce que tu m'avais conseill un jour, j'ai demand O n le voit: les crochets permettent un diteur d'inter-
une couverture de couleur et Gaston [Gallimard] m'a dit de venir l'intrieur d'un texte cit. Littr cite Saint-Simon qui
songer [penser] au motif typographique de cette couverture dclare: J'ai mis entre deux crochets de parenthse
[(pour cette couverture)]. quelques mots qui ne sont pas dans le crmonial.
C'est pourquoi les interventions entre crochets se font tou-
Penser a t remplac dans le texte dfinitif de la jours du point de vue du commentateur (voir Dolet, supra). Si
lettre par songer et la parenthse pour cette couver- l'auteur cit a crit :
ture par de cette couverture, sans parenthse. Mais
Gallimard? Ponge a-t-il prfr crire Gaston Elle m'a quitt hier.
280 282
Les signes Les crochets
Triste ! je suis retourn au 4vs [maison close sise rue des Il faut y insister : le dandysme n'est pas un sujet tout
Quatre-Vents] Ce ft [sic] lamentable. Ainsi que j'ai eu la venant. En dcembre 1863, Baudelaire s'en explique auprs
douleur de vous l'annoncer, la maquece est creve. d'un directeur de journal: J'avais dtermin dans ma
pense de vous offrir: les Raffins et les Dandies. [...] Mais si
Joris-Karl Huysmans, Vingt
ce genre de travail vous parat d'une nature trop bizarre, je
lettres Tho Hannon,
m'arrangerai pour vous trouver une matire imprimable en
dites par Jean-Pierre Goujon.
feuilletons.
Tous enfin se montrrent sur un ton si haut, si baroque et Roger Kempf, Dandies,
si fou, qu'ils formrent le chur le plus extraordinaire, le Baudelaire et Cie.
plus bruyant et le plus ridicule qu'on et entendu devant et
depuis des...no...d...on... Si la s u p p r e s s i o n est d ' i m p o r t a n c e , l ' d i t e u r le f e r a
[Le manuscrit s'est trouv corrompu cet endroit.] savoir au lecteur e n n e se b o r n a n t pas cette indication,
Cependant l'orchestre allait son train, et les ris du par- mais en intercalant u n e ligne d e points, si possible e n t r e
terre, de l'amphithtre et des loges se joignirent au bruit crochets :
des instruments et aux chants des bijoux, pour combler la
cacophonie.
Comment, rien ! Croyez-vous qu'on fait le journal avec
Denis Diderot, Ecrits sur rien et de l'esprit ? vous aurez beau polir une crotte de
la musique, dits chvre, ce sera toujours un crottin. Heureusement que mes
par Batrice Durand-Sendrail. petits jeunes gens vont arriver. (Avec emphase) Bonjour,
monsieur Viard, bonjour, monsieur Vitu, bonjour, mon-
4. P o i n t s d e suspension e n t r e crochets. Les c r o c h e t s sieur Baudelaire! Trois grands hommes! Eh bien, mon-
s ' e m p l o i e n t lorsque l'diteur a s u p p r i m u n passage d e la sieur Viard, vous ne voulez toujours pas travailler ?
Les crochets 285
284 Les signes
5. Crochets en cascade. La suppression du passage peut
Votre journal tait si bte hier. Il y avait un article tre accompagne d'une explication de l'diteur, d'un
dshonorant. rsum, d'un commentaire. On voit ainsi que deux paires
[ - ]
de crochets peuvent s'enchaner :
[...] Taisez-vous donc, l-bas, messieurs Vitu et Baude-
laire, on ne peut pas travailler.
Article anonyme, cit par Les rsistances que des cordes minces d'une mme matire
Bandy et Pichois, in font une puissance qui les tire dans le sens de leur longueur
Baudelaire et ses contemporains. sont comme leurs paisseurs, et les paisseurs comme les
poids diviss par les longueurs. On prendra donc les poids
tendants en raison compose de la directe des poids des
N.B. 1. Avec emphase aurait d tomber au moins cordes et de l'inverse de leurs longueurs. [...]
en italique, pour tre isol du texte, sinon entre crochets. [Ce paragraphe s'achve sur une dmonstration mathma-
On devine tout de suite les ambiguts qui naissent de tique.]
l'emploi des crochets Si avec emphase avait t
Batrice Durand-Sendrail,
imprim entre crochets, il et t impossible de savoir qui op. cit.
les avait placs, de l'auteur ou de Bandy et Pichois.
De mme, si nous avions voulu supprimer un passage de
(Les amateurs de Diderot comprendront peut-tre
l'article cit, personne n'aurait pu imaginer que cette
qu'on leur ait pargn la dmonstration...)
coupe n'tait pas due Bandy et Pichois. Il et fallu se
rabattre sur les chevrons pour dissiper le malentendu.
6. Crochets grammaticaux. Lorsqu'il cite un texte, l'di-
teur peut tre amen, pour respecter la concordance des
N.B. 2. Crochets et ponctuation. Les crochets doivent
temps, ou les rgles du discours indirect, modifier
respecter scrupuleusement la ponctuation originale, et se l'nonc exact du texte cit. Les termes qu'il introduit en
placer exactement l'endroit de la partie retranche: ni lieu et place des originaux seront encadrs par des cro-
trop tt ni trop tard. Ainsi : chets ; ici, l'on parle d'une lettre que le marquis de Sade a
envoye de prison sa femme :
Elle n'a pas une voix savante, mais cause de cela extr-
mement pntrante, touchante, humaine, et de profil, [...]
La marquise se procurera deux ttes de mort M. de Sade
un profil dlicieux.
aurai[t] pu dire six: mais quoiqu'il] ai[t] servi dans les
Paul Lautaud, Journal, cit par dragons, [il est] modeste ; elle les annoncera son mari
Martine Sagaert, in Paul Lautaud. comme un paquet venant de Provence : il l'ouvrira avec
empressement , et ce sera a , et il aura bien peur .
Le passage supprim venait aprs la virgule, mais la Gilbert Lely, op. cit.
phrase n'tait pas acheve. Il et donc t fcheux de
mettre une majuscule un . Si le passage supprim est La lettre du marquis disait videmment: J'aurais pu
une incise entre virgules, les virgules disparaissent avec dire six : mais quoique j'aie servi dans les dragons, je suis
elles, etc.
280 Les signes Les crochets 287
modeste. Le passage de la premire la troisime per- 8. Crochets et bibliographie (2/4). C'est entre crochets
sonne a ncessit un redressement des pronoms person- qu'un diteur devra citer l'origine d'une citation si
nels et des dsinences verbales. l'auteur ne l'a pas fait :
Qu'importe ! si pour me griser
7. Les crochets de bibliographie (1/4). Les crochets sont Quand ton beau corps jonche ta couche
Tu me verses ronde bouche
employs pour insrer une rfrence que l'diteur ajoute
L'Opoponax de ton baiser !
au texte de l'auteur: [Rmes de joie]
Thodore Hannon, cit par
Quand le fort arm possde son bien, ce qu'il possde est J.-P. Goujon, in
en paix. [Luc, XI, 21]. Joris-Karl Huysmans, op. cit.
Biaise Pascal, Penses.
9. Crochets et bibliographie (3/4). Une date peut man-
quer; un mot; un nom propre peut n'avoir t dsign
On n'ignore pas les divers classements des Penses de
que par son initiale ; un pseudonyme peut cacher l'auteur
Pascal. Cette note a reu des numros diffrents, affects
vritable du texte. L'diteur donne au lecteur les informa-
par les diteurs succesifs. Jacques Chevalier, responsable
tions manquantes, et les place entre crochets; contentons-
de l'dition Gallimard ( Bibliothque de la Pliade ), lui
nous d'une seule dition critique, celle de Bandy et
donne le sien; mais il cite entre crochets le folio du
Pichois, dj cite, qui rtablit un pronom manquant
manuscrit, et, la fin, mais entre parenthses cette fois, dans une lettre, une date dans une bibliographie, un nom
le numro de classement gnralement adopt (Brun- propre, ou donne l'identit d'un auteur cach derrire un
schvicg). Il ne voulait sans doute pas employer trois fois pseudonyme :
les crochets, et les chevrons taient destins un autre
usage. Si bien que la phrase de saint Luc note par Pascal Quant ses traductions d'Edgar Poe, comme uvres
devient, sous la plume de Chevalier: de style, [elles] sont quelque chose de trs remarquable,
et mme d'tonnant, cela vaut un original. (Lettre de
239. [453.] Quand le fort arm possde son bien, ce qu'il MmeAupick.)
possde est en paix. [Luc, XI, 21]. (300.) Prsentation par C[HARLES] fSSELINEAU] de la lettre
de Vigny Baudelaire, 27 janvier 1862, dans les Souvenirs
(Noter la plthore de points, et leur emplacement trs... Correspondances publis chez Pincebourde en 1872, p. 73.
diversifi.) Lettre de M"" Aupick Hetzel, 15 juillet [1866?], publie
par A. Parmnie et C. Bonnier de la Chapelle, Histoire d'un
N.B. Crochets et ponctuation finale. Crochets et ponc- diteur et de ses auteurs P.-J. Hetzel (Stahl), Albin Michel,
tuation finale: les rgles sont identiques celles qu'on [1953], p. 473.
observe dans l'emploi de la parenthse. (Voir ce signe.)
EMILE BLONDET [Paul Mahalin], Gazette la
Main , La Lune, 22 avril 1866.
280 288
Les signes Les crochets
10. Crochets et bibliographie (4/4). Les crochets per- commenant par une consonne, [diz] devant un nom com-
menant par une voyelle, [dis] dans les autres cas).
mettent aussi de rtablir un titre incomplet. C'est ainsi
que Delacroix note dans son Journal une phrase de Paul Robert, Dictionnaire
Balzac : alphabtique et analogique
de la langue franaise.
Mon me tait grise. Ce que j'entendais de l'ouverture de 14. Crochets d'auteur. On peut enfin employer les cro-
la Gazza [Ladra] quivalait aux sons fantastiques qui..., etc. chets sans pour autant intervenir dans une citation, mais
Delacroix, Journal, au contraire pour prendre ses distances vis--vis de son
dit par Andr Joubin. propre texte : faire une remarque, donner une consigne
au lecteur, etc. Mais les parenthses sont prfrables, pour
11. Crochets et parenthses. Il arrive qu'on emploie les les raisons qui ont t dites au numro 11.
crochets comme parenthses du deuxime degr (paren- Il arrive pourtant qu'on les utilise en tte de para-
thse dans la parenthse). Cet usage est injustifiable : la graphe, pour encadrer une sorte de faux titre , de titre
prsence de crochets laisse supposer une intervention en trompe-l'il ou, plus pjorativement, de titre qui ne
extrieure celle de l'auteur. Il faut envisager de tourner veut pas dire son nom. Les crochets donnent alors ce
la phrase de manire que la question ne se pose pas, ou pseudo-titre une allure de rappel, d'allusion, qui n'est pas
consentir la parenthse dans la parenthse (voir ce sans charme :
signe).
[intrieur]
De Benjamin toujours, dans le livre sur les passages : Le
12. Crochets et style juridique. On veut aussi que les meilleur moyen de nous rendre prsentes les choses nous-
crochets soient employs pour situer un article de loi, mmes est de nous les reprsenter dans notre espace propre.
comme article 77 de la loi du 20 mars 1970 modifie . Patrick Mauris,
Cela ne saurait tre. Les crochets ne sont pas faits pour Les lieux parallles.
remplacer en vertu de ; ils seraient par ailleurs source
d'ambigut : qui serait cens les avoir placs? (Ce procd n'est pas sans rappeler, dans sa discrtion,
la manire de Claude Debussy, qui nota le titre de ses pr-
13. Crochets et phontique. Il est d'usage d'employer ludes en bas droite, la fin de chaque pice.)
les crochets pour encadrer l'nonciation de la phontique Mais, encore une fois, un diteur ne procderait pas
d'un mot. Les chevrons taient plus indiqus, mais il est autrement s'il voulait titrer un extrait de texte, un frag-
trop tard pour modifier une disposition adopte dans le ment, une pice inacheve (comme les Penses de Pascal,
monde entier... : par exemple).
la lecture, et non pour la scne. Ces fragments la des- l'auteur : elles sont donc imprimes dans le caractre
tine incertaine sont indiqus entre crochets : de son texte; les crochets appartiennent celui que
nous avons appel 1' diteur: ils devraient donc
SIEGFRIED. tre imprims dans le caractre oppos (en italique
si l'auteur crit en romain, en romain s'il crit en ita-
Nous tions seulement fiancs, Genevive?
lique). Mais l'usage en a voulu autrement: les crochets
GENEVIVE. sont imprims en romain, qu'ils soient placs dans un
Non, amants. (Un silence.) Tu sais tre cruel. Tu sais contexte romain ou non, qu'ils contiennent ou non de
tromper. Tu sais mentir. [Tu sais combler une me d'un l'italique. (Il arrive qu'ils suivent le caractre gnral du
mot. Tu sais d'un mot teindre une journe d'espoir.] Pas de texte, et soient imprims en romain dans du romain, en
dons trop particuliers pour un homme, tu vois. Tu sais, italique dans de l'italique.) En revanche, on fait bien de les
mme avec ta mmoire, oublier... Tu sais trahir. imprimer dans le mme corps et la mme graisse que le
Jean Giraudoux, Siegfried. texte principal.
Dfinitions
Dolet ne les mentionne pas.
Furetire: Ce sont de petites virgules doubles qu'on
met en marge, & cost d'un discours, pour marquer qu'il
n'est pas de l'Auteur.
Littr : Sorte de double crochet, ainsi figur , trs
petit, qu'on emploie en tte et la fin d'une citation, sou-
vent mme au commencement de chacune des lignes dont
elle est compose; la fin de la citation, c'est le mme
signe tourn en sens contraire, de la sorte . [...] Guille-
meter au long, ne pas mettre seulement un guillemet au
commencement et la fin de la citation, mais au commen- u n personnage d'Au Bonheur des Dames, lorsqu'il lui
cement de chaque ligne. pargne la procdure du tiret, comme on fait passer un
Grevisse: Les guillemets s'emploient au commence ami par les coulisses pour lui viter de faire la queue avec
ment et la fin d'une citation, d'un discours direct, d'une les autres, et qu'il lui prfre l'intimit de la rplique sim-
locution trangre au vocabulaire ordinaire ou sur plement jete au milieu de la phrase. Mais cette tendresse,
laquelle on veut attirer l'attention. Dans le passage guille- cet amusement, ne durent pas; Zola remonte vite sur sa
met, on se contente ordinairement de placer les guille- chaire de narrateur :
mets au commencement de chaque alina et la fin du
dernier; parfois on met les guillemets au commencement Vous avez lu, cet homme qui a guillotin sa matresse
de chaque ligne ou de chaque vers. d'un coup de rasoir ?
Dame, fit remarquer une petite lingre, de visage
1. Utilit du guillemet. Parmi les fonctions multiples doux et dlicat, il l'avait trouve avec un autre. C'est bien
du guillemet, qui ont donn lieu plusieurs thses d'uni- fait.
Mais Pauline se rcria. Comment ! parce qu'on n'aimera
versit, la plus importante est de signaler au lecteur qu'on
plus un monsieur, il lui sera permis de vous trancher la
passe en discours direct. Dans ce cas, un deux-points gorge ! Ah ! non, par exemple ! Et, s'interrompant, se tour-
l'introduit, mais cela n'est pas obligatoire : nant vers le garon de service :
Pierre, je ne puis avaler le buf, vous savez...
Plume djeunait au restaurant, quand le matre d'htel
s'approcha, le regarda svrement et lui dit d'une voix mys-
trieuse : Ce que vous avez l dans votre assiette ne figure
2. La citation. La fonction corollaire de celle que nous
pas sur la carte. venons d'noncer est de citer, ft-ce l'intrieur d'un dis-
Henri Michaux, Plume. cours direct, les paroles d'un autre :
Cela ne va pas sans quelque ambigut : Examinez bien, disait une vieille, la premire phrase que
le matre a prononce : Fichez-moi la paix. Quatre mots :
Il se tut. Eve baissa tristement la tte: Ils les empoi- c'est le ttragramme cabbalistique, le sacr quaternaire du
Bouddha-gourou, que les Grecs prononaient Puthagoras.
gnent ! De quel ton mprisant il avait dit cela !
Fichez est, selon la grammaire (qui fut jadis une science
Jean-Paul Sartre, sacre), la deuxime personne. Moi, c'est la premire
La chambre. personne, et l'article la indique la troisime : image de la
Trinit.
N.B. Discours direct sans guillemet ni tiret. Il arrive que,
Ren Daumal,
pour donner plus de fluidit au discours, on fasse l'co- La grande beuverie.
nomie de tout guillemet (ou du tiret qui en fait office).
Stendhal procde ainsi, surtout pour les monologues int-
rieurs que rien ne doit distinguer du rcit (Albert Cohen (Voir aussi, infra, le passage tir de Nathalie Sarraute.)
fait de mme). Et Zola semble se rapprocher de Pauline,
294 Les signes Le guillemet 297
H.2 : Je te rpte que je n'ai pas pens Verlaine. a contribue l'ornement de sa magnifique proprit.
Mais je ne sais quoi trouver d'assez stupide.
H. 1 : Bon. A dmettons, je veux bien. Tu n 'y avais pas pens,
mais tu reconnatras qu'avec le petit mur, le toit, le ciel par- Gustave Flaubert,
dessus le toit. ..on y tait en plein... Correspondance.
H. 2: O donc ?
O n n e sait t r o p si le p r e L e f b u r e employait ou n o n
H.l : Mais voyons, dans le potique, la posie.
cette expression. Il se p e u t bien qu'il 1 ait fait...
H.2: Mon Dieu! comme d'un seul coup tout resurgit.,
En tout cas, le m o t ainsi guillemet est bien, selon le
juste avec a, ces guillemets...
m o t d e Giorgio A g a m b e n , u n e citation c o m p a r a t r e
H. 1 : Quels guillemets ?
d e v a n t le tribunal d e la p e n s e . S t e n d h a l et Balzac, qui
H.2: Ceux que tu places toujours autour de ces mots,
a f f e c t i o n n a i e n t g a l e m e n t ce g e n r e d e citation ironique,
quand tu les prononces devant moi... Posie. Potique. au guillemet p r f r a i e n t l'italique, plus f r o i d mais plus
Cette distance, cette ironie... Ce mpris... lgant.
H. 1 : Moi, je m,e moque de la posie ? Je parle avec mpris
des potes ?
5. L e guillemet de rfrence (2/2). La citation p e u t faire
H.2. : Pas des vrais potes, bien sr. Pas de ceux que vous
r f r e n c e u n t e r m e d e j a r g o n (le guillemet a j o u t e
allez admirer les jours fris sur leurs socles, dans leurs
l'ironie d e l'italique ; mais, n o u s v e n o n s d e le dire, Balzac
niches... Les guillemets, ce n'est pas pour eux, jamais...
e n fait l ' c o n o m i e d a n s Le pre Goriot, pai exemple, lors-
H. 1 : Mais c'est pour qui alors ?
qu'il e m p l o i e le langage d e la p e n s i o n Vauquer), o u au
H.2: C'est pour... c'est pour... langage p r o p r e u n g r o u p e social. D a n s ce cas, le guil-
H.l : Allons, dis-le... lemet p e u t tre a p p e l p a r u n e f o r m u l e type ( c o m m e il
H. 2 : Non. Je ne veux pas. a nous entranerait trop loin... dit , ou c o m m e o n l'appelle chez X... ), ou i n t r o d u i t sim-
H. 1 : Eh bien, je vais le dire. C 'est avec toi que je les place entre p l e m e n t au c u r d u texte, sans a u t r e p r o c d :
guillemets, ces mots, oui, avec toi... ds que je sens a en toi,
impossible de me retenir, malgr moi les guillemets arrivent.
Dents projetes en avant, elle sortit en pompe et majest
H.2: Voil. Je crois qu'on y est. Tu l'as touch. Voil le de possdante, corsete de dignit et la tte haut leve, pas-
point. C'est ici qu'est la source. Les guillemets, c'est pour moi. sant trois fois sa main sur son arrire-train comme pour le
Ds que je me permets de dire la xne est l, me voil aussitt caresser, geste machinal sans doute destin s'assurer
enferm la section des potes... de ceux qu'on place entre qu'elle s'tait bien remise en tat de dcence et que son
guillemets... qu'on met aux fers. kimono n'tait pas rest soulev la suite de sa station dans
le lieu que son mari appelait le petit endroit > ou encore la
4. L e guillemet de rfrence (1/2). La citation explicite ambrette o les rois ne vont pas ceval .
i n t r o d u i t e p a r u n guillemet p e u t faire r f r e n c e u n mot,
u n e phrase, u n dicton d ' o r i g i n e i n c o n n u e , mais qui f o n t Albert Cohen,
Belle du seigneur.
p a r t i e d ' u n p a t r i m o i n e collectif; ainsi, ce lieu c o m m u n :
Ainsi arriva-t-on la vture qui se fit au mois de juin, la
Je suis tourment par l'ide de t'apporter une ineptie pour
prtendante reut le saint habit prs de la grille : la robe, la
le pre Lefbure afin qu'il la mette dans sa collection et que
294 Le guillemet
Les signes 301
tunique humilit du cur et mpris du monde, le voile mle, mle comparer de laquelle celles du quinze gallois
signe de soumission, d'humilit et de puret en souvenir n'est [s/c] que ronde [sic] enfantine [sic] pour coles mater-
de la mort ignominieuse du doux Epoux qui fut voil par les nelles.
impies, le cierge allum ferveur du Saint-Esprit. San Antonio,
Pierre Jean Jouve, Une banane dans l'oreille.
Paulina 1880.
Lu l'article de Sartre fort habile vous faire aimer, malgr
Alors Mademoiselle se mettait chougner et la suppliait (ou cause de) ce ton grinant, un un peu " suprieur " ,
de ne plus la tourmenter, et Aime se jetait son cou et elles absolument injustifi.
remontaient ensemble. Francis Ponge,
Colette, Lettre Camus.
Claudine Paris.
6. L e mot cit en t a n t que mot. O n e m p l o i e les guille-
De mme, si un fidle avait un ami, ou une habitue , m e t s p o u r isoler d u discours u n m o t q u ' o n cite en tant q u e
un flirt qui serait capable de faire lcher quelquefois, les m o t . Ainsi, l'on p e u t d i r e :
Yerdurin, qui ne s'effrayaient pas qu'une femme et un
amant pourvu qu'elle l'eut chez eux, l'aimt en eux et ne le Le mot zythum constitue la dernire entre du Petit
leur prfrt pas, disaient: Eh bien! amenez-le, votre Robert.
ami.
Marcel Proust, Il arrive q u ' o n le m e t t e u n i q u e m e n t e n italique. Cela
Du ct de chez Swann. n'est pas malvenu, mais n e p e u t s ' a c c o m m o d e r d ' u n e cita-
tion q u ' o n ferait d ' u n t e r m e t r a n g e r dj en italique.
Elle tait crampon comme un arrire qui vous marque Si l'on choisit les guillemets, on a l'avantage d e p o u v o i r
au foot, qu'on retrouve tout le temps devant soi. crire clairement:
Henry de Montherlant,
op. cit. Le mot casA figure dans le Petit Robert ! Il est donc
franais ?
N.B. Les guillemets p e r m e t t e n t l'ironie d u second
degr, la citation d a n s la citation : N.B. O n dit souvent, p a r a p p o s i t i o n d t e r m i n a t i v e :
Les guillemets servent ici lever d'ventuelles quivo- d e s guillemets p o u r d s i g n e r les phrases penses, et n o n
ques. C a r o n p e u t c o n f o n d r e : p r o n o n c e s . L ' o p p o s i t i o n e n t r e les d e u x signes suffit
m a r q u e r le passage d e l'oral au p e n s :
Le mot barr.
Le mot barr. Catherine se pina les lvres pour cacher sa satisfaction.
Alors, dit-elle vivement, vous renoncez la rgence ?
Le roi est mort, pensa Henri, et c'est elle qui me tend un
7. Guillemet et style i n d i r e c t . U n guillemet p e u t intro-
pige.
d u i r e u n e p h r a s e d e style i n d i r e c t : i r o n i e d e l ' a u t e u r
Puis tout haut :
l'gard d u l o c u t e u r d o n t il r a p p o r t e le p r o p o s . Ainsi : Il faut d'abord que j'entende le roi de France,
rpondit-il, [...].
Lucien ne fut pas mdiocrement tonn d'entendre le
Alexandre Dumas,
directeur des contributions indirectes [M. du Chtelet] se
vantant de l'avoir introduit, et lui donnant ce titre des La reine Margot.
conseils : Plt Dieu qu'il ft mieux trait que lui, disait
monsieur du Chtelet. [...] Quant lui, s'il continuait 9. Guillemet et titres d ' u v r e s . Il est d'usage de m e t t r e
d'aller dans cette maison, c'tait par got pour madame de e n t r e guillemets les titres d e parties d ' u v r e s : u n p o m e
Bargeton, la seule femme un peu propre qu'il y et Angou- extrait d ' u n recueil, u n lied extrait d ' u n cycle, u n e scne
lme, laquelle il avait fait la cour par dsuvrement, et de d ' o u v r a g e d r a m a t i q u e ou lyrique, u n s u r n o m d ' u v r e :
laquelle il tait devenu follement amoureux. Il allait bientt
la possder, il tait aim, tout le lui prsageait. La soumis- L'tranger est le premier texte du Spleen de Paris.
sion de cette reine orgueilleuse serait la seule vengeance qu'il
tirerait de cette sotte maisonne de hobereaux. Chtelet ... ou bien :
exprima sa passion en homme capable de tuer un rival s'il en
rencontrait un.
La mort d'Isolde , dans Tristan et Isolde.
Balzac, Illusions perdues.
... ou bien, lorsqu'il s'agit d e s u r n o m s c o u r a n t s , mais qui
I r o n i e ou trs lgre distance, s i m p l e m e n t : n ' o n t pas t d o n n s p a r l ' a u t e u r :
Bassompierre [...] fait revenir son laquais en arrire avec La symphonie Eroica, de Beethoven, la symphonie
le message suivant pour la jeune femme : Si elle dsirait me Inacheve de Schubert, Rome, la ville ternelle, les
connatre de plus prs, j'tais tout dispos lui rendre visite variations Goldberg, les Goldberg, l'Eroica.
l o il lui plairait.
Mais on crira :
Florence Delay,
La sduction brve. La Fanfare Les dieux, de Hotteterre.
composer en italique. Lorsqu'on cite un mot tranger qui 10. Guillemet et titres de journaux. Les guillemets sont
n'est pas un titre, l'italique suffit; et les guillemets, par souvent employs pour dsigner le titre d'un journal :
consquent, sont superflus. Certains cas sont pineux : un
sonnet peut tre considr comme une uvre portant France-Soir, Le Figaro, Le Monde.
titre en italique; que faire alors du titre gnral du
recueil?Les musiciens, quant eux, se demandent tou-
jours comment ils vont devoir crire le christe du kyrie Faut-il admettre q u e d e u x graphies sont possibles? Oui, dfinitive-
ment. O n crira donc :
de la messe en si , sachant que messe en si n'est pas
proprement parler un titre d'uvre, mais seulement une Verlaine a crit Clair de lune.
messe parmi d'autres, que si doit tre crit en italique, Mais on crira :
que le kyrie est une partie de cette uvre qui n'a pas de
Verlaine a inclus Clair de lune dans Ftes galantes.
titre, que le christe est une partie de cette partie, et que
ces deux derniers termes sont grecs 3 !) O n peut donc suggrer les graphies suivantes.
Le K y r i e de la Missa solemnis.
L e Christe d u K y r i e de la messe en si.
3. La meilleure m a n i r e de p r o c d e r est de convenir q u e :
seul u n vrai titre est en italique ; Lorsque la pice est extraite d ' u n recueil sans titre particulier, o n
u n titre n ' a p p a r t i e n t qu' u n e uvre, et n o n pas u n genre ; inversera la rgle, et l'on crira :
on n e met d e capitale qu' la p r e m i r e lettre du titre (voir la fin d e
Il j o u e Les barricades mystrieuses.
cette note).
Ces trois conventions, aprs examen, sont celles qui e n t r a n e n t le
Mais:
moins d e contradictions insolubles.
De n o m b r e u x compositeurs o n t crit des partitas. O n crira d o n c : Il j o u e Les barricades mystrieuses, extrait des Pices de clavecin de Couperin.
Les Nouvelles pices de clavecin de R a m e a u .
Il joue les partitas de Bach.
Il joue la premire partita de Bach. Car si pices d e clavecin n e sont pas u n vrai titre (unique), elles for-
Il j o u e la partita en si bmol de Bach. m e n t tout de m m e le n o m que porte le recueil, et mritent ce titre (!)
la majuscule. De mme, on crira:
Mais o n crira, car il n'existe q u ' u n Clavier bien tempr :
L e Requiem de Berlioz.
II j o u e le Clavier bien tempr. L ' A v e verum de Mozart.
Il j o u e la troisime fugue d u Clavier bien tempr. L a Neuvime de Beethoven.
Il j o u e le prlude et fugue en ut dise mineur d u premier livre d u Clavier bien
tempr. Alors qu'on crit:
Je ne me mets pas en peine est la premire pice des Chansons des rues et
des bois, de Hugo.
T o u t le m o n d e a crit des suites, c o m m e des allemandes ou des trios. t . ' " Et incarnatus est est u n e partie du credo.
O n parlera donc de :
Il faut donc pouvoir faire la diffrence entre u n vrai titre :
L a troisime suite pour violoncelle de Bach.
Wasserflut, de Schubert.
De mme, on peut composer u n e suite partir de pices prises ici et
l ; on crira : ... et un incipit:
... ct d e :
(Pour distinguer ces pices qui f o r m e n t un ensemble mais ne sont pas
censes tre toutes les pices p o u r clarinette d e Berg, on leur affecte la Mon rve familier , extrait des Pomes saturniens.
majuscule, comme dans le cas des Pices de clavecin de Couperin.) Mais :
Mais cela n'est rien, ct des confusions gnralement constates. Un
Les pices p o u r clarinette op. 5, de Berg. esprit tatillon peut aussi faire remarquer que les Pomes saturniens sont
diviss en plusieurs sous-parties, et que le pome Mon rve familier est
(Ici, il est impossible d e les c o n f o n d r e avec d'autres pices p o u r clari- extrait d e Melancholia. Peut-on suggrer la m a n i r e des Crpet, et
nette. O n retire donc la majuscule.) employer, dans l'ordre, guillemets et romain (titre), italique avec majus-
cule initiale (sous-partie) et petites capitales (titre du recueil) ? C'est--dire :
La question des incipit est plus pineuse encore; on les emploie
Mon rve familier, pome extrait de Melancholia, sous-partie des
c o m m e titres, mais ce n e sont pas d e vrais titres ; on les mettra donc entre
P O E M E S SATURNIENS.
294 308
Les signes Le guillemet
11. Guillemet et noms de navires, de lieux publics. Les Mais, l aussi, les meilleurs auteurs se contentent sou-
guillemets sont aussi employs pour dsigner le nom vent de l'italique :
propre des navires (ne pas oublier les traits d'union), des
lieux publics (htels, restaurants, etc.), mais aussi le Le temps d'insulter Riko, de l'embrasser quinze fois sur la
surnom des personnes clbres : bouche, et elle bondit sur notre grosse cousine de navire,
dont toujours elle pronona le nom entier, Amlie-Ccile-
Rochambeau, car elle ne donnait de diminutifs d'amiti ou
Le Ville-de-Lyon, le Claridge, Edward K. Duke
d'amour qu'aux noms d'hommes.
Ellington...
Jean Giraudoux,
Suzanne et le Pacifique.
La solution n'est pas trs satisfaisante, mais on n'a pas ide de com-
poser des titres c o m m e des p o u p e s russes... Peut-tre vaut-il mieux
12. Guillemet et traduction. On met des guillemets
loger la m m e enseigne le titre gnral de l'uvre et celui d e la sous-
partie (en italique). Cela justifierait qu'on crive: la traduction en franais d'une citation faite en langue
trangre (elle-mme en italique et, le plus souvent, entre mettre des guillemets (l'italique suffit), moins qu'on ne
guillemets) : dsire ajouter une nuance ironique :
L'auteur du Mose et de la Piet de Rome crit : Non ha Vous expliquez comme vous peignez, granditer.
l'ottimo Artista alcun concetto/Ch'un marmo solo in se non
Victor Hugo,
circonscriva : L'artiste le plus grand ne forme aucune ide
Lettre Baudelaire.
qu'un marbre seul en soi ne puisse contenir.
Serge Bramly,
Lonard de Vinci. 13. Guillemet et tiret (2/5). Lorsqu'il introduit une con-
versation, le guillemet est souvent remplac par un tiret,
(En tout tat de cause, il est indispensable de repro- dans la typographie moderne :
duire la traduction dans les mmes conditions que la
phrase originale : avec des guillemets dans les deux cas. Le La bonne s'tant plainte d'une diarrhe affreuse qui
passage de l'italique au romain devrait suffire signaler la l'avait puise toute la nuit, madame s'cria :
traduction. On trouve dans la musique de pareils cas : au Pardi ! Vous aurez encore trop mang ! Vous ne songez
n u m r o 71 d e la Passion selon saint Matthieu, Bach r e p r e n d qu' vous emplir.
le texte de l'vangliste qui dit : Jsus s'cria : "Eli, Eli, Emile Zola,
lama, lama asabthani? ", ce qui signifie: " M o n Dieu, m o n Pot-bouille.
Dieu, pourquoi m'as-tu abandonn?" Pour conserver le
paralllisme entre le texte hbreu et sa traduction, Bach
conserve la mme mlodie dans les deux cas, mais trans- 14. Guillemet et tiret (3/5). Comme on le voit, le tiret
vite d'avoir fermer des guillemets qui, d'ailleurs, n'ont
pose d'une quarte.)
jamais t ouverts. Il remplace le guillemet ouvrant ds la
deuxime rplique. Pourtant, certains auteurs consi-
Ainsi, l'on trouve la prsentation correcte dans drent qu'ils doivent marquer la fin du discours direct :
Dumas :
Elle contenait une demi-ligne, d'une criture toute britan- Dois-je rougir ? dit-il.
n i q u e et d ' u n e concision t o u t e Spartiate : Avec moi, ce n'est pas la peine d'essayer. Vous ne pour-
Thanh you, he easy. riez pas.
Ce qui voulait dire : Andr Gide,
Merci, soyez t r a n q u i l l e . Les faux-monnayeurs.
Alexandre Dumas,
Les trois mousquetaires.
15. Guillemet et tiret (4/5). Dans la ralit littraire de
N.B. Guillemet et mots trangers. Lorsqu'on emploie tous les jours, les pratiques en cette matire varient du
simplement un mot tranger, il n'est pas ncessaire de lui tout au tout. Pour pargner l'espace, les auteurs prolixes
294 Le guillemet 312
Les signes
(Noter l'absence d e virgule avant levant son i n d e x vers 17. Citation dans la citation. L o r s q u ' o n cite au
son nez c a m a r d , i m p a r d o n n a b l e si l'on c o n s i d r e qu'il y d e u x i m e d e g r citation d a n s la citation o n c h a n g e
e n a u n e a p r s ; P r o u s t n ' a j a m a i s rvis Jean Santeuil, d e guillemets. Les plus usuels sont les guillemets fran-
p u b l i seulement d a n s les a n n e s cinquante 4 .) ais ( ); les guillemets du d e u x i m e d e g r sont dits
anglais (" "), ceux du troisime sont des apostro-
16. Guillemet et tiret (5/5). Les c o m b i n a i s o n s les p l u s p h e s (' ') :
curieuses s o n t employes p a r des a u t e u r s p o u r t a n t sou-
cieux de ponctuation rigoureuse : Il a t un peu sonn et n'a rien dit pendant un moment,
puis, relevant le tte : Oui, mais on me disait pendant ce
Il me serait d'ailleurs impossible de dire pourquoi je fus temps-l: "Ne trouves-tu pas que Sartre, depuis une quin-
pris l'gard de ce pauvre homme d'une haine aussi sou- zaine, devient compltement gteux?" J'ai ri sans
daine que despotique. H! H! et je lui criai de rpondre : d'ordinaire ses perfidies sont plus fines.
monter. Jean-Paul Sartre,
Charles Baudelaire, Lettres au Castor.
Le spleen de Paris.
Le lecteur est averti de la hirarchie des problmes telle
qu'elle est pratique par le philosophe [Nietzsche]: Il est
4. Il emploie plusieurs systmes d e guillemetage: d a n s u n para- une question qui m'intresse tout autrement, et dont le
graphe, guillemets ouvrant et fermant, ou bien tiret ouvrant seul ; r e t o u r "salut de l'humanit" dpend beaucoup plus que de
la ligne p o u r chaque rplique, avec tiret-guillemet ouvrant p o u r la pre- n'importe quelle ancienne subtilit de thologien : c'est la
mire, tiret seul p o u r les suivantes, guillemet fermant la fin de la der- question du rgime alimentaire. Pour plus de commodit, on
n i r e ; tiret-guillemet ouvrant p o u r chaque rplique, et guillemet fer-
peut se la formuler ainsi: "Comment au juste dois-tu te
m a n t la fin d e la dernire.
294 Les signes Le guillemet 315
nourrir pour atteindre au maximum de ta force, de la virt, B. Avec un point d'interrogation ou un point d'excla-
au sens de la Renaissance, de la vertu ' garantie sans mora- mation final
line '. " 20a. Rgle gnrale : ces deux signes subsistent avant
Michel Onfray, les guillemets fermants
Le ventre des philosophes. 20b.... et mme s'il s'agit de citations qui ne sont pas
introduites par un deux-points
Cette rgle est rarement applique. La Bibliothque 20c. Consquence : la virgule qui suit le guillemet fer-
de la Pliade l'ignore souvent. On prfre employer les mant est supprime quand elle prcde une incise de
guillemets dans les guillemets ; cela tient sans doute aux narration
polices de caractres employes : rares sont celles qui pos- 20d. Consquence contraire: la virgule qui suit le
sdent les guillemets anglais. guillemet fermant subsiste si l'incise est longue...
(Pour un expos complet de l'volution dans la manire 20e. Phrase et citation toutes deux interrogatives
de rendre les dialogues, on se reportera au travail intres-
sant que Roger Laufer a effectu sur cette question, et C. Avec des points de suspension
dont il a publi les conclusions dans Ponctuation : recher- 21. Les laisser leur place logique
ches historiques et actuelles''.) 22. Conclusion
*
Cette question est assez touffue... Nous la diviserons 18a. L'ordre suivre est absolu: on ouvre les guille-
mets ; on commence la citation par une majuscule ; on la
ainsi :
clt par un point; on ferme les guillemets. Une phrase
A. Avec un point final nouvelle peut alors commencer:
18a. Rgle gnrale, en typographie ancienne
I8b. Id., en typographie moderne Il lui dit : C'est moi. La porte se ferma.
18c. Lorsque la citation n'est pas introduite par u n
deux-points Exceptions Avec une inversion, la phrase se prsentera de cette
18d. Illogisme de cette rgle manire 0 :
19a. Avec une incise de narration, en typographie C'est moi, dit-il. La porte se ferma.
ancienne
19b. Id., en typographie moderne 6. O n trouve parfois, dans des ditions du d b u t d u sicle, la prsenta-
19c. La question des incises courtes et des longues tion suivante :
(C'est aussi le cas, a fortiori, quand la citation n'est pas Parce que ces guillemets sous-entendent le mot, et
mise entre guillemets, mais imprime seulement en ita- qu'on peut considrer que lorsque et enfin sont dis-
lique, comme Flaubert avait l'habitude de faire : socis. Voir aussi les n os 28 et 29.
Elle [Emma Bovary] eut mme l'inconvenance de se pro- 18d. Pourtant, le deux-points-ouvrez-les-guillemets
mener avec M. Rodolphe une cigarette la bouche, comme (suivi de majuscule) introduit presque toujours une pro-
pour narguer le monde. position indispensable la phrase. Il faudrait donc, logi-
Gustave Flaubert, quement, mettre un point aprs le guillemet et non avant.
Madame Bovary.) Cette phrase :
N.B. 1. On a coutume, lorsqu'il est question de citer la
[...] tandis que l'autre, celui qui est verni tout l'heure,
suite plusieurs phrases entre guillemets, de conserver la
disait : J'aime Lucie et je m'en crois aim.
majuscule initiale, mais non pas le deux-points intro-
ductif, non plus que le point final. Une exception de plus Gustave Flaubert, op. cit.
au bon sens. On crira donc:
... ne saurait s'arrter aprs disait, et l'on pourrait dire
Les principes de On a raison de se rvolter, Ne bon droit que, faute de signe, elle est prive de fin. Il fau-
compter que sur ses propres forces et Les ractionnaires drait donc logiquement l'crire ainsi :
sont des tigres en papier ont t dicts par le prsident
Mao. [...] tandis que l'autre [...] disait: J'aime Lucie et j'en
suis aim. .
N.B. 2- Les guillemets ne dispensent pas de l'lision
ventuelle de l'article (ou de la prposition), ni de Mais un typographe n'acceptera pas de composer ainsi.
l'emploi des adjectifs anciens (bel, mol, etc.), ni des
accords grammaticaux, ni de la concordance des temps ou 19a. Si la phrase continue, aprs une incise de narra-
des possessifs (dans ces derniers cas, on place les mots tion , on prsente ainsi :
modifis entre crochets pour indiquer qu'ils ne sont pas
originaux) : C'est moi, dit-il. Je suis en retard. Il ferma la porte.
C'est qu'ici la virgule est indispensable la syntaxe... Il a ... sauf si le point final se trouve aprs le guillemet fer-
bien fallu la conserver. La loi d'conomie institue par mant:
les typographes a ses limites, et se heurte leur propre
sens grammatical. Il a dit cette phrasec'est moi... .)
Donnez-moi la lettre.
26. Guillemet dans les vers cits. On imprime frquem-
PREMIER SOLDAT. ment des vers cits dans un corps plus petit, et/ou sur une
justification plus troite (surtout gauche). Dans ce cas, le
... au ciel. Nous nous retrouverons au ciel.
texte ne porte pas de guillemet, surtout s'il s'agit de posie
DEUXIME SOLDAT. (il arrive que la prose les conserve) :
Au ciel ou bien ailleurs. Ainsi soit-il.
Quelques potes misrables conserveront seuls le parfum
Paul Claudel, d'anciennes maladies :
Le soulier de satin.
Ou que le gaz rcent torde la mche louche
Essuyeuse on le sait des opprobres subis
Conventions typographiques Il allume hagard un immortel pubis
Dont le vol selon le rverbre dcouche.
En matire de guillemets, les conventions typographi- Pas un terme de ces vers qui ne sonne deux ou plusieurs
ques sont extrmement nombreuses et complexes, surtout fois et n'ait son multiple poids en exprience, Misre ! et
lorsqu'il s'agit de guillemeter une citation faite dans un n'merge aussi tel un songe des humaines profondeurs [.. ].
dialogue, avec alinas et titres de parties d'uvre... Elles
Pierre Jean Jouve, Proses.
ont beaucoup vari avec le temps. Pour en avoir une liste
294 Les signes Le guillemet 327
Mais si les vers s o n t cits p a r u n p e r s o n n a g e , ils porte- qu'on lui passe, je ne sais pourquoi, comme si elle tait
r o n t des guillemets n o r m a l e m e n t . la favorite du roi Boabdil [...]
Je me tais donc tout court, ma chre comtesse, et je
n'allonge cette lettre, dj trop longue, que de mes respects
2 7 . Guillemet rpt l ' a l i n a . Il arrive q u ' o n cite u n les plus tendres. Vous savez s'ils le sont !
texte d a n s la m m e j u s t i f i c a t i o n q u e le texte principal, et Eloi de Bourlande-Chastenay,
sans c h a n g e r d e corps. D a n s ce cas, o n place a u d b u t d e vicomte de Prosny.
c h a q u e ligne (au long) ou, au moins, d e c h a q u e para- La rponse que M. de Prosny avait faite M"" d'Artelles
g r a p h e , u n guillemet f e r m a n t (parfois o u v r a n t ) qui avec une maligne exactitude n'effraya point la comtesse,
r a p p e l l e au lecteur qu'il lit u n e citation. Si la citation se mais l'impatienta.
t r o u v e l ' i n t r i e u r d ' u n e a u t r e citation, o n p l a c e u n guil- Jules Barbey d'Aurevilly,
l e m e t au d b u t d e c h a q u e p a r a g r a p h e p o u r celle d u pre- Une vieille matresse.
m i e r degr, d e c h a q u e ligne p o u r celle d u s e c o n d . Si, p a r
Mais la plus g r a n d e c o n f u s i o n r g n e e n cette matire,
h a s a r d , u n e citation d u troisime o u q u a t r i m e d e g r
s u r t o u t l o r s q u ' o n m l a n g e guillemets et tirets, italiques et
apparaissait, il f a u d r a i t se r a b a t t r e sur les guillemets
romains...
anglais (ou les apostrophes), et p r o c d e r d e la m m e
m a n i r e . Mais le cas est rare, d i e u m e r c i :
28. Le guillemet et l'article, le possessif, le dmons-
tratif. A j o u t o n s que, lorsqu'ils e n c a d r e n t u n seul mot,
Voici la lettre du vicomte Chastenay de Prosny la com- l'article, le d m o n s t r a t i f , le possessif sont rejets h o r s guil-
tesse : lemets :
Paris, 17 octobre 18...,
rue Louis-le-Graod, 5.
Ce dont eux ne se rendent pas compte, c'est que le para-
Je n'ai jamais dout, ma chre comtesse, de l'excellence doxe est de trouver cette vrit l'extrmit de l'indivi-
de tous vos mrites. J'ai toujours humblement pens, comme dualisme.
il convenait, qu'ils taient de beaucoup suprieurs aux
miens. [...] Andr Gide, Journal.
Du reste, pendant qu'il se prpare passer tout l'hiver
Et j'admire que ceux qui me reprochaient nagure mon
l-bas, dans le vieux manoir de sa belle grand'mre, anacho-
indcision soient tous de l'autre parti.
rte improvis de l'amour et de la fidlit conjugale, je vous
donne en quatre de deviner, ma chre comtesse, ce que ses Ibid.
amis font Paris! [...] Mais ce que je sais, c'est que la
Vellini, qui fait toujours le contraire de ce qu'on croit d'elle, Tous mes livres attestent le peu de sens et le dgot que j'ai
n'autorise ni par sa conduite, ni par son attitude, les imper- de la proprit .
tinences alatoires de ces messieurs. Il faut avouer que cette Ibid.
Espagnole a la dissimulation d'une Italienne, me disait
l'autre jour le comte Ruppert, l'un des parieurs ; on ne ... M m e avec u n e lision :
croirait jamais qu'elle songe reprendre Marigny sa
femme. [...] Elle m'a envoy promener avec une hauteur Gide parle de l'indcision dont il aurait fait preuve.
328 Les signes
Dfinitions
Dolet ne le mentionne pas.
Furetire l'assimile au trait d'union, et le dfinit comme
u n e division ( dive ), nom typographique donn ce
signe.
Littr fait de mme.
Grevisse: Le tiret s'emploie dans un dialogue pour
indiquer le changement d'interlocuteur; il se met aussi,
de la mme manire que les parenthses, avant et aprs
u n e proposition, un membre de phrase, une expression
ou un mot, qu'on veut sparer du contexte pour les mettre
en valeur. [Remarque:] Parfois le tiret se place aprs
u n e virgule, comme si l'on estimait que cette virgule
indique trop faiblement la sparation qu'on veut
marquer.
l a . Utilit du tiret. Le tiret, plus encore que la paren-
thse, interrompt la continuit de la phrase. Il inclut de
force, pourrait-on dire, une phrase dans la phrase ; elle y
294 178
Les signes Le guilemet
garde son indpendance syntaxique et/ou smantique. l montra le train blind, chou dans le soleil.
...nous-mmes. Pouvez-vous remettre les troupes
Plus que la parenthse, le tiret est extrieur l'unit de la
demain soir ?
phrase. Depuis Peter Altenberg, qui fut le Raymond
Andr Malraux,
Roussel du tiret, les auteurs modernes lui vouent un culte
La condition humaine.
particulier 1 . Valry en fait un usage intensif; et Julien
Gracq s'interroge : Si ma pente naturelle est de donner
Mais on trouve parfois cette prsentation :
chaque proposition, chaque membre de la phrase, le
maximum d'autonomie, comme me le signale l'usage
O ide excellente ! vritable ami !
croissant des tirets, qui suspendent la constriction syn- Au lieu d'emmener
taxique, obligent la phrase cesser un instant de tendre - de quoi coucher sur la douce
les rnes 2 ? Henri Heine le prisait tant, lui aussi, qu'il lui il invite ses amis prendre part au maiden voyage de sa
donnait facult de remplacer le point, au grand dam de bagnole !
ses imprimeurs qui ne l'entendaient pas de cette Valry Larbaud, Allen.
oreille.
Il rompt le flux syntaxique au point que certains prou- Larbaud a justifi ainsi cette graphie : C'est le souvenir
vent le besoin de le rtablir artificiellement, ds le tiret que j'avais de la vivacit du dialogue chez [sz'c] Lucien qui
clos : m'a encourag me librer d'entraves comme la mention
Qu'on m'apporte je veille et je n'ai point sommeil des interlocuteurs au dbut des rpliques, et des points
qu'on m'apporte ce livre des plus vieilles Chroniques. lorsqu'un personnage nouveau continue la phrase com-
Saint-John Perse,
mence par un autre 3 .
Amiti du prince.
3. Tiret de dialogue intrieur. Lorsque l'auteur pr-
1b. Tiret pour guillemet (1/2). Le tiret peut faire fonc- sente lui-mme une objection ce qu'il vient d'avancer, il
tion de guillemet, et indique le changement d'interlocu- emploiera le tiret. De mme, s'il dialogue avec lui-mme,
teur dans un dialogue (voir le chapitre 5). ou feint d'engager conversation avec le lecteur :
virgule ncessaire, par exemple, sera simplement 9. Tiret et ponctuation gnrale (2/2). Une phrase ou
dplace aprs le tiret fermant s'il existe : une proposition entre tirets peut porter des signes de
ponctuation, quels qu'ils soient, virgule, point, etc.: le
Nombre d'entre eux portent, au point d'panouissement tiret marque une sparation forte et absolument tanche ;
de leur ramure car le ft s'lance sans branche aucune et il peut se comprendre aussi bien l'chelle de la proposi-
d'un seul jet jusqu'au couronnement de verdure , tion que de la phrase, que du paragraphe :
d'normes fougres piphytes vert ple, semblables des
oreilles d'lphant.
Andr Gide, Je me mire et me vois ange ! et je meurs, et j'aime
Voyage au Congo. Que la vitre soit l'art, soit la mysticit
A renatre, portant mon rve en diadme,
Au ciel antrieur o fleurit la Beaut !
Nanmoins, il arrive que, si la phrase entre tirets con-
cerne ce qui la suit, la virgule doive tre place avant le Stphane Mallarm,
tiret ouvrant. (C'est l une distinction de pure forme, Du Parnasse contemporain.
puisqu'il est rare qu'on antpos une phrase entre tirets.)
La virgule, en rsum, doit rester sa place logique : voir }...] et que de suie une errante prison
plus bas l'exemple tir d'Allgorie, de Baudelaire. Ici, le Eteigne dans l'horreur de ses noires tranes
Le soleil se mourant jauntre l'horizon !
tiret coupe en deux une phrase participiale de Ponge ; il
laisse donc la virgule sa place : Le Ciel est mort. Vers toi, j'accours ! [...]
Ibid.
Renonant me modifier moi-mme, ni d'ailleurs les
choses, renonant galement me connatre moi-mme, Alors qu'on les [les acteurs du thtre balinais] croit
sinon en m'appliquant aux choses. perdus au milieu d'un labyrinthe inextricable de mesures,
Pratiques d'criture. qu'on les sent prs de verser dans la confusion, ils ont
une manire eux de rtablir l'quilibre, un arc-boute-
ment spcial du corps, des jambes torses, qui donne assez
Ici, une construction similaire : le premier tiret renforce l'impression d'un chiffon trop imprgn et que l'on
la premire virgule; la prsence de la seconde, avant le va tordre en mesure ; et sur trois pas finaux, qui les am-
tiret fermant est moins logique (on dirait que l'auteur nent toujours inluctablement vers le milieu de la scne,
avait peur que la virgule suivant Et ne ft oublie) : voici que le rythme suspendu s'achve, que la mesure
s'claircit.
Et, comme le ciel tend parfois bout de bras un beau Antonin Artaud,
nuage capitonn pour le repos de l'clair, il offre le nid Le thtre et son double.
tout blanc, si blanc que s'y efface la bte blottie, invisible,
fondante.
Francis de Miomandre, 10. Tiret unique ou par paire? Le tiret peut tre
Fugues. employ seul, l'approche de la fin d'une phrase ou d'une
337 331
Les signes Le tiret
proposition. Il conserve sa fonction entire. Le second 12. Le tiret comme joker (2/2). Le tiret la mme fonc-
tiret, le fermant, est alors remplac par la virgule, le tion de joker dans une numration, un compte :
point, le deux-points ou tout autre signe expressif; mais
quand il s'agit d'une incise vritable, il est prfrable Djeun 1 fr. 8 sous.
d'employer la paire de tirets : Cocher 2 fr. 12
Dn 1 fr. 2
Elle ignore l'Enfer comme le Purgatoire, Bire 6
Et quand l'heure viendra d'entrer dans la Nuit noire,
Elle regardera la face de la Mort, TOTAL 5 fr. 8 sous.
Ainsi qu'un nouveau-n, sans haine et sans remords5. Eugne Delacroix, Journal.
Charles Baudelaire,
Les fleurs du mal. Mais cette pratique n'est pas recommande, car le tiret,
aussi bien, peut signifier rien , nant :
11. Le tiret comme joker (1/2). Dans un dictionnaire, il
est possible d'employer le tiret pour remplacer le terme
de l'entre parce qu'il est appel revenir souvent. Hydrates
Boissons Protines Graisses Calories
Mais cette pratique, aprs vrification, se rvle trs rare. de carbone
On lui prfre l'initiale du mot. Il arrive aussi qu'on
Jus d'orange 13 0,6 50
l'crive en italique. Limonade 12 48
Coca-Cola 11,3 45
N.B. Lorsqu'on ne remplace qu'une partie de mot (apo- Bire (alcool 4 % ) 4 0,6 50
cope ou aphrse), on emploie la division (trait Vin (alcool 7-12 %) 0,1 50-80
d'union), et non le tiret. Ainsi, Flix Gaffiot, dans son
clbre dictionnaire latin-franais, donne les deux ortho- Fatorusso & Ritter,
graphes d'un verbe : Vademecum clinique.
Compono (conp-)
Si l'on veut simplement faire l'conomie d'une rpti-
tion, il vaut mieux employer la forme ancienne d
Il procde de mme lorsqu'il veut se borner citer un (dito signifie en italien dj dit), ou id. , ou mme les
suffixe : guillemets.
Locupletissime, -letius
13. Le tiret d'numration (1/2). Le tiret spare les
termes d'une numration (qu'elle soit crite horizontale-
5. Le tiret a t rajout sur deuximes preuves. ment ou verticalement) :
338 Les signes Le tiret 331
HYGINE. MORALIT. CONDUITE voir de tenir la phrase en suspens, comme une pense
Trop tard, peut-tre ! Ma mre et Jeanne. Ma sant brise :
par charit, par devoir! Maladies de Jeanne. Infirmits,
solitude de ma mre. Un dlicat a, je l'espre, pti
Faire son devoir tous les jours, et se fier Dieu, pour le
lendemain. Et l'on peut comparer l'effet produit par le point celui
La seule manire de gagner de l'argent est de travailler
du tiret, dans ces simples verbes, noncs quelques pages
d'une manire dsintresse.
de distance :
Une sagesse abrge. Toilette, prire, travail.
Prire : charit, sagesse et force.
Sans la charit, je ne suis qu'une cymbale retentis- Ecrire
sante. Publie.
Mes humiliations ont t des grces de Dieu.
Ma phase d'gosme est-elle finie ?
La facilit de rpondre la ncessit de chaque minute, Conventions typographiques
l'exactitude, en un mot, doit trouver infailliblement sa
rcompense. 15. Espace? Le tiret est prcd et suivi d'une
Charles Baudelaire, espace, mais la virgule qui le suit, le cas chant, est
Hygine. colle sans espace. Il se confond avec le signe moins,
dont il prend le nom en jargon typographique, et ne doit
pas tre confondu avec le trait d'union.
N.B. Le tiret d'numration (2/2). Si l'on place un point
la fin de chaque item, il faut reprendre le suivant en
16. Tiret ou trait d'union? On n'emploie pas le tiret
commenant par une majuscule. Il arrive qu'on considre
pour sparer deux dates significatives, deux lieux, mais la
l'numration comme une seule et mme phrase. On ter-
division (trait d'union) :
mine chaque item par un point-virgule, et l'on commence
le suivant par une minuscule.
La guerre 1914-1918.
Le tiret peut ainsi sparer les diffrents sens donns par
La course Paris-Roubaix.
un dictionnaire, les dfinitions d'un problme de mots
croiss, etc. En revanche, si l'un des deux termes contient une (ou
plusieurs) virgule(s), on emploie le tiret :
14. Le tiret conclut ou interrompt. Le tiret, symbole gra-
phique autant que signe de ponctuation, se voit alourdi de Montesquiou-Fezensac (abb Franois Xavier Marc
multiples significations. Untel et la graphologie le con- Antoine, duc de). Homme politique franais (chteau de
firme le substitue au point: car Untel est un positif. Marsan, Gascogne, 1756 chteau de Cirey-sur-Blaise,
Quand il a fini, il a fini. Un tiret le signale. Haute-Marne, 1832).
Mais le tiret final est une magnifique marque d'inach- Paul Robert,
vement. Dans Quant au livre, Mallarm lui confre ce pou- Le petit Robert 2.
340 Les signes
LE P O I N T D'INTERROGATION
Dfinitions
Dolet: L'interrogant se faict par interrogation pleine,
addresse ung, ou plusieurs, tacitement, ou express-
ment.
Furetire : Un point interrogant est celuy qui marque
qu'il faut prononcer d'un ton suprieur. Il est marqu
ainsi, ?
Littr: Le point d'interrogation (?) ou point interro-
gant, signe de ponctuation qui se met la fin d'une phrase
interrogative.
Grevisse : Le point d'interrogation s'emploie
aprs toute phrase exprimant une interrogation
directe.
O n p e u t d o n c trouver, cte cte, ces d e u x t o u r n u r e s : Le deuxime c'est que [d'une phrase de Cingria]
appartient la cadence cingriesque; ne rvlerait-il pas,
Mon imagination est donc prive ce point d'imagina- en plus, une violente affirmation, pas inutile, avouons-
tion ? le?
Jean Paulhan, Franois Michel,
Les douleurs imaginaires. Brve scolie motion.
342 Les signes Le point d'interrogation 345
5. Plusieurs interrogations successives (2/2). Enfin, il 8. Doublement du signe. Comme tous les signes mlo-
arrive que les questions en cascade portent chacune leur diques, le point d'interrogation peut tre doubl, tripl:
point d'interrogation, mais suivi d'une minuscule. Cette
manire de faire tend rapprocher les questions les unes LE PRSIDENT.
des autres, les agglutiner dans le mme problme Qu'est-ce que vous avez fait pour obvier cet inconv-
rsoudre : nient ?
LE TMOIN.
Il n'y a de rel que les sentiments et les passions. Quelle
btise je vous dis l ! Et la douleur ? et la mort ? et les sots ? et ???
les imbciles ?... et mille autres trop relles ralits ?... Andr Gide,
Hector Berlioz, Souvenirs de la cour d'assises.
Lettre la princesse
Sayn-Wittgenstein. 9. Interrogation exclamative. Il arrive que le point
d'interrogation soit remplac par un point d'exclamation,
quand la phrase n'est pas vritablement interrogative :
6. Aprs l'interrogation : minuscule ou majuscule ? On voir, chapitre 8, le paragraphe 9.
dit parfois que le point d'interrogation, lorsqu'il est suivi
immdiatement de la rponse ( la question pose), com- 10. Interrogation indirecte. On ne met pas de point
mande une minuscule : d'interrogation aux propositions, aux phrases interroga-
tives indirectes :
Voulez-vous que je voie des types, ou quoi que ce soit de ce
genre ? je le ferai.
Mais je ne sais quelle impossibilit se fit et s'imposa en
Andr Malraux, mme temps, et je demeurai.
La condition humaine.
Paul Valry,
Histoires brises.
Mais cette rgle est trs rarement applique, et ne
mrite pas de l'tre plus souvent. On trouve, le plus gn-
Il [l'alin] voudrait comprendre comment on en a pu
ralement: arriver lui changer le monde entier et lui-mme, et si mys-
trieusement qu'il n'arrive jamais mettre le doigt sur ce
Qu'est-ce que a sent ? Le marais. qui fait la diffrence (quoiqu'il y en ait inaille de diffrences)
Franois Michel, op. cit. et encore moins les faire constater.
Henri Michaux,
Connaissance par les gouffres.
7. Interrogation muette. Le point d'interrogation, dans
un change de rpliques, indique un silence loquent. Encore que l'interrogation indirecte avec point d'inter-
Voir l'exemple suivant. rogation final ne manque pas de charme. Il s'y met on ne
342 348
342 Les signes Le point d'interrogation 188
sait quelle modestie... C'est ainsi que Valry emploie sou- l'ignorance, le doute ou mme l'incrdulit. On le met
vent cette t o u r n u r e dans la Lettre de Mme Emilie Teste : entre parenthses, on l'acolle des termes, des dates ; il
arrive qu'on lui donne valeur de joker, et qu'il remplace
Peut-tre que vous concevez assez mal quelle est ma condi- une information manquante :
tion auprs de M. Teste, et comment je m'arrange de passer
mes jours dans l'intimit d'un homme si original, de m'en
trouver si proche et si loigne ? Demain jeudi, je file Brest, o me voil bombard charg
de cours de diction (?) quatre heures par semaine. Je me
demande bien ce que je vais leur raconter.
Il prolonge en soi-mcme de si fragiles fils qu'ils ne rsis-
tent leur finesse que par le secours et le concert de toute sa Georges Perros,
puissance vitale. Il les tire sur je ne sais quels gouffres per- Lettre Jean Roudaut.
sonnels, et il s'aventure sans doute, assez loin du temps ordi-
naire, dans quelque abme de difficults. Je me demande ce CONFORTI Giovanni Luca. Mus. ital. (Mileto v. 1560-?).
qu'il y devient ? Franois Michel,
Encyclopdie de la musique.
N.B. L'inversion du sujet n'est pas tout coup la
marque d'une interrogation directe. Elle l'est mme assez
rarement. C'est ainsi que les concessives ne portent pas de Conventions typographiques
point d'interrogation (proposition du type si grand soit-
il... ) ; on peut admettre avec Grevisse qu'il faille un point 12. Espace? Il est d'usage de faire prcder le point
d'interrogation la tournure : d'interrogation d' une espace fine (sauf quand il est
plac entre parenthses). Quand il est doubl ou tripl,
Surgissait-il une difficult ? il l'aplanissait aussitt. l'habitude varie d'un compositeur l'autre. On trouve
aussi bien ? ? ? que ??? .
Mais on peut en douter, puisqu'on peut dire :
13. Interrogation et deux-points. Les typographes
Surgissait-il une difficult, qu'il l'aplanissait aussitt. interdisent au deux-points de suivre un point d'interroga-
tion; conomie de signes, disent-ils. Oui, mais comment
... ou mme : s'en passer? : telle est la question...
meuvent dans un territoire aux frontires changeantes. Mais on peut affirmer que cette ponctuation est fautive 1
Ainsi, Claudel, qui prend un soin extrme la graphie de (voir le paragraphe 4).
ses interjections, place exactement les signes o la voix les
aurait mis mais non la rgle : 4. Avec l'interjection (3/3). Si la phrase commence par
une interjection suivie, comme il se doit, de son point
hissant la voile.
C H U R D E S SATYRES, < l'exclamation, on doit le rpter la fin de la phrase :
H hho!
H Mi h hh h hho ! Tu n'as pas, devant le portrait d'un homme, murmur :
Hhho! Ah ! si je pouvais, tant qu'il sera absent, perdre la mmoire !
Hhho! Jean Giraudoux,
Hhho! Amphitryon.
Protc.
Mais cette rgle n'est pas absolue. D'autant qu'il est fr-
Par ailleurs, certains grammairiens font la diffrence quent (voir les Conventions typographiques) de trouver
entre la rptition pure et simple de la mme interjection le point d'exclamation suivi d'une majuscule. Auquel cas
( Oh ! Oh ! ), et la locution interjective compose de cette une nouvelle phrase commence, accompagne de ses
mme rptition. propres signes :
Le rire, par exemple, est rendu par une locution qui se
contentera d'un seul point d'exclamation : Mon Dieu ! a n'est pas un fils que vous avez l, c'est un
champ de bataille.
Ha, ha, ha! Antoine Blondin,
Monsieur Jadis.
Ou mme, sans virgule :
5. Aprs l'exclamation: majuscule ou minuscule? Nor-
Ha ha ha! malement, on met une majuscule au mot qui suit le point
d'exclamation, sauf si l'on considre que la phrase n'est
Mais Claudel crit : point interrompue par le signe :
riant aux clats.
LOUIS, Demain, comptez-y, mon bel ami, mais je ne viendrai
Ah! ah! ah! pas ! j'ai un goter ; aprs-demain non plus, je vais chez une
Le pain dur. amie pour voir de ses fentres l'arrive du roi Thodose, ce
sera superbe, et le lendemain encore Michel Strogoff [...].
Il arrive aussi qu'on rejette en fin de phrase le point Marcel Proust,
d'exclamation qui se rapportait l'interjection : Du ct de chez Swann.
f...| Ah, eh bien, la bonne heure, vous avez de Pair ! 1. Sauf effet d ' i r o n i e f o n d j u s t e m e n t sur u n e absence d e signe l o il
Henry de Montherlant, est indispensable. Dans la p h r a s e d e Montherlant, o n voudrait tre sr
Les clibataires. qu'il s'agit d e d s a p p o i n t e m e n t , sans j e u d e mot, plus q u e de rvolte.
Le point d'interrogation 355
342 Les signes
(Bien entendu, il en va de mme des points d'interroga- A plus forte raison s'il s'agit d'une phrase dveloppe :
tion (voir ce signe) :
Oh ! quelle est donc la loi formidable qui livre
Eh! mon Dieu! madame, demanda-t-il, que s'est-il L'tre l'tre, et la bte effare l'homme ivre !
pass ? qui vous bouleverse ainsi ? et M. de Saint-Mran ne Victor Hugo,
vous accompagne-t-il pas ? Les contemplations.
Alexandre Dumas,
Le comte de Monte-Cristo.) N.B. et oh. Ne pas confondre le Oh! excla-
matif et le d'imploration, de vocatif, d'adresse. Le
6. Avec deux particules interjectives diffrentes. Lors- premier est immdiatement suivi d'un point d'exclama-
qu'une interjection est lie une autre particule, et fait tion ; le second gouverne la prsence d'un point d'excla-
corps avec elle, on ne place qu'un point d'exclamation la mation en fin de phrase. Baudelaire s'adresse ainsi une
suite de la seconde : passante :
Eh bien !
Car j'ignore o tu fuis, tu ne sais o je vais,
Eh oui !
O toi que j'eusse aime, toi qui le savais !
Eh non !
Ah non ! Les fleurs du mal.
342 Les signes Le point d'interrogation 357
tion, vint couper court leur conversation. Le pape des fous ... u n o r d r e :
tait lu.
Nol ! Nol ! Nol ! , criait le peuple de toutes parts. Et maintenant , s'cria-t-il en ce rappelant cette histoire
du pcheur arabe que lui avait raconte Faria, maintenant,
Victor Hugo,
Ssame, ouvre-toi !
Notre-Dame de Paris.
Alexandre Dumas,
... t o u t e p h r a s e forte, destine tre p r o f r e avec vio- Le comte de Monte-Cristo.
l e n c e ou e m p h a s e :
(Mais les militaires crivent d a n s leurs m a n u e l s :
Ce n'est point son corps chri jamais qui russirait me ... u n conseil (appuy) :
contenter !
Paul Claudel, Bonjour, monsieur Glacidas ! Un bon conseil ! n'obligez
Le soulier de satin. pas la pucelle vous dtruire ! En nom de Dieu, foutez donc
le camp !
... u n e i n j o n c t i o n : Joseph Delteil,
Jeanne d'Arc.
Ah ! laissez-les couler, elles me sont bien chres,
Ces larmes que soulve un cur encor bless ! ... u n e p h r a s e e x p r i m a n t u n e interdiction absolue :
Ne les essuyez pas, laissez sur mes paupires
Ce voile du pass ! Un auteur dont je ne sais plus le nom l'a dit: On ne
Alfred de Musset, badine pas avec l'amour ! Vous avez badin avec le mien.
Posies nouvelles.
Max Jacob, Le cabinet noir.
... u n e prire, u n s o u h a i t : Antonio tait aussi fils de famille mais qui n'avait pas
encore hrit comme le premier et qui, impatient, tournait
Ah ! je voudrais seulement le quitter... Si encore il tait mal. Il mangrent ses bijoux, puis elle se fit putain.
infirme ! Gille!
Andr Gide, Pierre Drieu la Rochelle,
L'cole des femmes. Journal d'un homme tromp.
O muse, que ton pucelage est dur !
... u n e ironie :
Gustave Flaubert, op. cit.
Le beau couple ! Si tu voyais sa grosse patte pose plat sur S'en aller ! s'en aller ! parole de vivant !
ton dos, froissant la chair et l'toffe. Il a les mains moites ; il Saint-John Perse, Vents.
transpire. Il laissera une marque bleue sur ta robe.
Jean-Paul Sartre, 8. Exclamation en milieu de p h r a s e . D a n s u n e phrase,
Huis clos. une exclamation passagre p e u t e n t r a n e r la p r s e n c e
d'un p o i n t d'exclamation. Cette m a n i r e d e f a i r e est rare,
... u n e i m p r c a t i o n , u n e maldiction, u n a n a t h m e : mais Balzac y a r e c o u r s d e u x fois d e suite d a n s la p r e m i r e
page d e Sarrasine :
Qu'il y reste jamais ! qu' jamais il y dorme !
Puis, en me retournant de l'autre ct, je pouvais admirer
Que ce vil souvenir soit jamais dtruit !
la danse des vivants ! un salon splendide, aux parois d'argent
Qu'il se dissolve l ! qu'il y devienne informe !
et d'or, aux lustres tincelants, brillants de bougies. L,
Et pareil la nuit !
fourmillaient, s'agitaient et papillonnaient les plus jolies
Victor Hugo, femmes de Paris, les plus riches, les mieux titres, clatantes,
Les Chtiments. pompeuses, blouissantes de diamants ! des fleurs sur la tte,
sur le sein, dans les cheveux, semes sur les robes, ou en guir-
L'homme, sans s'arrter, rpondit : landes leurs pieds.
Nous voulons vivre ici. A bas la mer !
Joseph Delteil, N.B. La virgule a t s u p p r i m e c h a q u e fois, a b s o r b e
La jonque de porcelaine. p a r le p o i n t d'exclamation. Il s'agit l d ' u n e c o n v e n t i o n
p u r e m e n t t y p o g r a p h i q u e , sans j u s t i f i c a t i o n grammati-
... l'expression d ' u n merveillement, d ' u n s e n t i m e n t cale : voir infra.
d ' h o r r e u r , d ' u n r e p r o c h e , a p r s t o u t e p h r a s e exclamative,
enfin : 9. I n t e r r o g a t i o n exclamative. D a n s u n e p h r a s e interro-
exclamative, l'exclamation l ' e m p o r t e s u r l ' i n t e r r o g a t i o n :
Que le sang tait beau, et la main
qui du pouce et du doigt essuyait une lame !... Ah! princesse, vous n'tes pas Guermantes pour des
prunes. Le possdez-vous assez, l'esprit des Guermantes !
Saint-John Perse,
La gloire des rois. Marcel Proust, op. cit.
342 362
Les signes Le point d'interrogation
10. Interrogation de pure forme = exclamation. Le voient dans les signes de ponctuation la marque d'une
point d'exclamation remplace parfois le point d'interro- pause sont drouts par la manire clinienne. Si l'on voit
gation, lorsque la question est de pure forme, et n'appelle au contraire dans ces signes la marque d'une liaison, elle
point de rponse : s'explique plus logiquement: Cline ne veut pas que la
phrase s'arrte. Il la fait donc courte, et ponctue au plus
Pour cinq cents cus tu as trouv un homme qui a con-
fort toujours ; ainsi, les lments s'enchanent mme hau-
senti se faire tuer ?
Que veux-tu ! il faut bien vivre.
teur, et alimentent une tension qui jamais ne se relche.
Alexandre Dumas, C'est sans doute ce but que visent les auteurs de bandes
La reine Margot. dessines, lorsqu'ils placent un point d'exclamation (fr-
quemment accompagn, lui aussi, de ses cliniens points
11. Le point d'exclamation et Cline. Le point d'excla- <le suspension, plus ou moins complets d'ailleurs) la fin
mation a t employ intensivement, seul ou accompagn de chaque phrase :
de points de suspension, par Louis-Ferdinand Cline. (Du
m o i n s p a r t i r d e Mort crdit, car d a n s Voyage au bout Allister ? !
de la nuit, la ponctuation est encore traditionnelle.) Ainsi : Il retraite [sic] dans la plaine !.. Il avait fini par
rejoindre les Cheyennes qu'il traquait... Mais une mauvaise
[...] Te laisse pas berner, troubadour! Les toiles c'est surprise l'attendait : un fort parti arapaho les avait rejoint
tout morue!... Mfie-toi avant de t'embarquer! Ah! c'est [sic] !.. La victoire a cot sacrment cher au 7e !...
pas des petites naines blanches! Mords-moi a! Comme Ouais !.. a risque de nous coter encore plus cher!..
dynamtre! Quart seconde exposition! Brle ton film en Avant peu, Tte Jaune aura sur le dos tous les Peaux-Rouges
quart dixime ! Qu'elles sont terribles ! Ah dfrisable ! Gafe- camps entre le Missouri et les Rockies !.. Bon !.. On y va !..
toi Ninette! Les plaques, c'est pas donn aux "Puces" !... J'ai hte de dire deux mots cette crapule galonne !..
Mais non cher Evque!... Je les entendais toutes ces Jean-Michel Charlier,
salades !... Gnral Tte Jaune.
Mort crdit.
12. Exclamation entre parenthses. Lorsqu'un point
Petit petit, le point d'exclamation le cdera aux points d'exclamation est plac seul entre parenthses, il exprime
de suspension qui prolifrent dans Nord et Rigodon. le sentiment de l'auteur sur ce qu'il rapporte ou, le plus
On a suffisamment comment le point d'exclamation souvent, sur ce qu'il cite :
dans Cline pour qu'il ne soit pas ncessaire de revenir ici
sur la signification qu'il a prise au fur et mesure que Il creusa des puits au sommet de la montagne, entreprit
s'laborait cette uvre singulire 2 . Bien entendu, ceux qui une culture de truffes, tenta d'eclairer le fond de la mer
l'aide d'huile de baleine brlant en vases transparents her-
mtiquement clos (!) ; bref, il ruina sa femme et sa fille,
2. Nous nous tendrons plus longuement sur les points de suspension
l'me lgre et sans remords, ador des siens.
qui accompagnent presque toujours les exclamations cliniennes. Voir Colette,
ce chapitre. Claudine s'en va.
342 364
Les signes Le point d'interrogation
gnant pour les choristes. Sans lui imposer un rle aussi dif-
ficile tenir, on peut lui prter des dsirs plus terrestres...!
Conventions typographiques Claude Debussy,
Monsieur Croche.
13. Avec les autres signes (1/5): le guillemet fermant.
Lorsque le point d'exclamation clt une phrase entre guil- 15. Avec les autres signes (3/5): les points de suspen-
lemets, il se place avant les guillemets fermants: sion. Rappelons que le point d'exclamation ne saurait
retirer un seul des trois points de suspension. (Voir, supra,
Ah ! fis-je ravi et passionn. Raconte-moi tout. Qu'est- le texte deJ.-M. Charlier !) Voir aussi le n 14.
ce qu'on y trouve ?
Rien ! dit-il. Rien ! (Comme il aurait dit tout ! ) 16. Avec les autres signes (4/5) : le deux-points. Il n'est
Alexandre Vialatte, pas recommand de faire se suivre un point d'exclama-
Les fruits du Congo. tion et un deux-points, bien que cela soit parfois nces-
saire. (Mme interdiction que pour le point d'interroga-
N.B. Logiquement, il aurait fallu un point aprs les guil- tion.)
lemets fermants; ou bien un deux-points aprs dit et
une majuscule tout. Dans cette configuration, la 17. Avec les autres signes (5/5). La typographie interdit
phrase n'est pas termine, puisque le point d'exclamation la virgule aprs un point d'exclamation suivi des guille-
appartient tout, non la phrase principale. Cette mets fermants. Rien ne justifie cette rgle. D'autant qu'elle
logique a rarement cours, car elle a contre elle certaine loi interdit aussi, jure et facto, le point final, le point-virgule,
typographique : la querelle est loin d'tre vide. etc., pour peu qu'ils se trouvent dans la mme position.
14. Avec les autres signes (2/5) : points de suspension ou 18. Doublement du signe. Rien ne s'oppose non plus,
d'interrogation, virgule. Il n'est pas recommand par les comme nous l'avons vu, ce qu'on double, triple le point
gens d'imprimerie d'accoler un point d'exclamation avec d'exclamation :
un autre signe. Mais nul ne se prive de le faire, et rien de
logique ne s'y oppose : Et selon les circonstances, les lieux et les socits, on dit
avec des intonations, des gestes, et des ils divers : Oh !
Il aimait nous courber sur des travaux crits qui abr- laisse-moi voir, hein ? je t'en prie, que j'y touche un peu, dis
geaient sa propre besogne, et faisait le tour de la classe en donc. Oh ! montre-moi ton teton ! montre-moi ton teton ! ! !
rptant sur un air personnel avec l'accent de Carcassonne :
Gustave Flaubert, op. cit.
Allong, allong!... Trrrravaillong... Traavaillong... si nous
voulong arrrriver l'edzaming... Allong !... [...].
19. Espace? Il est d'usage de faire prcder le point
Ibid.
d'exclamation d'une espace fine (sauf lorsqu'il est
plac entre parenthses).
Vous voyez bien que cela est impossible, car alors,
M.Gailhard deviendrait Dieu lui-mme, et ce serait trs
Le point-virgule 367
signe stylistique avant tout, et d'une puissance qui reste 4. Bons points-virgules. La phrase suivante n'aurait pu
modre; il est le pur reflet d'une construction, d'une se passer des points-virgules :
conformation mentale rigoureuses et qui procdent du
On [Mgr Veuillot] voulut tre vque : on le fut ; secrtaire
paralllisme, de l'accumulation, des jeux de miroirs; de l'Assemble du clerg franais : cela se fit ; employ de
enfin, il semble le signe du classicisme : soi seul, ce trait curie : pas d'obstacle ; coadjuteur, archevque, cardinal : on
suffirait sa proscription. le fut... Et pouf! la divine Providence...
Le cardinal Feltin,
2. Le point-virgule relie et ne spare pas. Les termes cit par Franois Michel
de la dfinition de Grevisse sont imprcis ou contestables : in Par cur.
le mot pause semble concerner la lecture qui ne
s'interrompt que lorsque l'ennui gagne le lecteur (mais Il s'agit bien l d'une accumulation sinon de termes (qui
de cela nous avons longuement dbattu dans notre partie se fussent contents d'une sparation simple, comme la
historique, et nous n'y reviendrons que brivement); le virgule), du moins de faits visant le mme but. Ainsi :
point-virgule ne spare point les parties d'une phrase : en
De tous les cts, il commence lui tomber des tuiles.
l'employant, l'auteur montre au contraire la volont dli-
C'est son notaire, cette punaise de Gaufridy, qui rclame de
bre de les relier, d'en montrer la nature commune ou
l'argent ; ses enfants qui font comme s'il n'existait pas ; ses
indissociable ; le point-virgule n'est pas une sur-virgule ,
chteaux de Provence qu'on veut dmolir ; qu'on pille, en
mais plutt un sous-point ; quant l'tendue, elle ne attendant3.
fait rien l'affaire: il arrive aux meilleurs auteurs de Jean Paulhan,
grouper des membres de phrase fort courts l'aide d'une Le marquis de Sade.
srie de points-virgules :
5. Points-virgules qui font dfaut. A contrario, on peut
Cerf qui brame
voir quel point, dans le texte suivant, construit sur un
Aux abois ;
Une dame
schma identique, se fait cruellement sentir l'absence de
Dans un bois ; point-virgule :
Saint Padoue
On oublie que Rimbaud avait dj dit beaucoup de
Sur la roue ;
choses [...]. Qu'il avait peut-tre dit tout ce qu'il avait dire.
Pan qui joue
Du moins ce moment-l. Que ce qu'il avait crit ne lui
Du hautbois.
avait rien rapport. Que c'est trs joli d'tre Rimbaud
Victor Hugo, Odes et ballades. aujourd'hui...
Bernard Frank,
3. Point et point-virgule. Le point-virgule est un peu le in Le Monde .
cavalier des checs : souple, prcieux, mais sujet certains
empchements fcheux. Ainsi, un point, plac aprs lui, 3. O n prouve un lger malaise la lecture du dernier membre d e
en annule l'effet: il termine la phrase. Entre deux points- phrase: qu'on pille, en attendant est plac en parallle qu'on veut
virgules, la libert est donc toute relative. dmolir, et non aux membres prcdents.
368 370
Les signes Le point-virgule
Dans cet autre exemple, un point-virgule et rendu Toute la force structuratrice de ce signe de ponctuation
clair le paralllisme de la construction : se mesure un tel exemple. Le point-virgule, employ
bon escient, est un vritable ciment de la phrase.
Champion en exercice, il aurait redouter la dfaite, Comparons, en ses deux premiers vers, deux ditions de
champion invaincu, il aurait redouter le jour fatal du la Sophonisbe de Mairet (1635); la premire est
retrait. moderne, c'est--dire non conforme 4 : elle juxtapose
Paul Fournel, deux questions l o la seconde, fidle la ponctuation
Les athltes dans leur tte. originale 5 , enchane un fait avec la question qu'il suscite :
Seuls les objets irrels peuvent s'anantir quand le caprice qu'il est plus discret et qu'il unit plus troitement les
du rveur cesse, puisqu'ils ne sont que son reflet ; seuls, ils propositions:
n'ont d'autres consquences que celles qu'on veut bien en
tirer. Voici venir les temps o vibrant sur sa tige
Jean-Paul Sartre, Chaque fleur s'vapore ainsi qu'un encensoir ;
L'imaginaire. Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir ;
Valse mlancolique et langoureux vertige !
Dans les feuilles les oiseaux en mille morceaux se mordent,
la rose est encore serre dans des pines ; tout est fol et nu, la Chaque fleur s'vapore ainsi qu'un encensoir ;
fleur et l'eau. Le violon frmit comme un cur qu'on afflige ;
Georges Schehad, Valse mlancolique et langoureux vertige !
Posies III. Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.
Couple, adieu ; je vais voir l'ombre que tu devins. 9. Concurrence avec les autres signes (2/2). S'il est un
Stphane Mallarm, sous-point, le point-virgule peut aussi tre un sur-
L'aprs-midi d'un faune. deux-points :
8. Le point-virgule et sa concurrence avec le deux- On ne perdit pas de temps ; on s'assembla, on consulta, on
points, le point et la virgule (1/2). C'est dans ce registre mdicamenta.
d'emploi que la rgle s'assouplit, tient compte des
Brillat-Savarin,
humeurs et des dsirs de chacun, rpond la respira- Physiologie du got.
tion propre chaque phrase, chaque auteur.
Tel prfrera le point, la virgule ou mme le deux- Cette phrase aurait pu se ponctuer ainsi :
points ; tel autre s'en tiendra la rgle stricte ; tel autre,
enfin, prenant la question rebours, rcrira sa phrase de On ne perdit pas de temps: on s'assembla, on consulta, on
manire que le doute disparaisse, et que se fasse jour mdicamenta.
quelque ncessit imprieuse. En effet, un puriste pour-
rait dire que toute ambigut dans l'emploi du point-vir- Ou bien encore:
gule est la consquence directe d'un relchement de la
langue... On ne perdit pas de temps: on s'assembla ; on consulta; on
mdicamenta.
La posie, par la ncessit o elle se trouve de simuler
un rythme musical, prend des liberts avec la rgle, fai- La supriorit du point-virgule sur le deux-point, aprs
sant de tout signe de ponctuation un miel la saveur temps, s'explique par l'enchanement chronologique
particulire. Dans les deux quatrains qui suivent, Baude- des actions. C'est justement parce qu'on ne perdit pas de
laire aurait d placer un point ou un tiret aprs air du temps que le point-virgule s'impose : le point et t un
soir et afflige. Il leur a prfr le point-virgule, en ce peu fort, et le malade en moins bonne posture...
368 374
Les signes Le point-virgule
Plus rapide encore fut l'enchanement chronologique ... combattants et on devaient tre spars par u n
des diffrentes actions entreprises : la virgule rend signe de ponctuation. Voltaire (ou u n diteur avis) a
compte alors de l'urgence. Un point-virgule et lgre- choisi le point-virgule pour allonger l'action dcrite dans
ment ralenti l'action. la premire proposition, lui d o n n e r presque un caractre
Si bien que, par liminations successives, la b o n n e dfinitif. Cela est confirm d'ailleurs par la prsence, u n
ponctuation se dessine dans toute sa ncessit: celle de peu plus loin, de l'adverbe longtemps .
l'auteur.
13. Le point-virgule avant les conjonctions (2/2). Il
10. Le point-virgule et les paralllismes d'opposition.
peut aussi prcder mais, dans les mmes circons-
Le point-virgule est employ pour relier deux phrases tances :
opposes terme terme :
[...] l'tablissement que Louis XV vient de former pour
Si l'homme s'estime trop, tu sais dprimer son orgueil ; si
lever cinq cents gentilshommes ; mais, loin de faire oublier
l'homme se mprise trop, tu sais relever son courage. Saint-Cyr, il en fait souvenir : c'est l'art de faire du bien qui
Jacques-Bnigne Bossuet, s'est perfectionn.
Sermon sur la mort.
Voltaire,
Le sicle de Louis XIV.
11. Le point-virgule et les ellipses. Il peut aussi relier
deux propositions dont la seconde contient une ellipse Il en va de mme des autres conjonctions de coordina-
(ici, trois propositions) : tion, et des pronoms relatifs :
Le fruit mr craint l'onde ; l'arbre, la bise ; et moi, l'ire Je lui rpondis d'un air assez ouvert que je la croyais
d'Amaryllis. bien au-dessous; qu'apparemment il avait vu Aubenton;
Paul Valry, trad. des que, cela tant, la matire tait fort puise et inutile
Bucoliques, de Virgile. traiter.
Duc de Saint-Simon,
12. Le point-virgule avant les conjonctions (1/2). Un Mmoires.
point-virgule peut prcder et, pourvu qu'il spare
deux termes de fonction grammaticale diffrente. Dans la O n peut mme dire que, compte tenu de la rgle bien
phrase : connue qui dconseille de commencer u n e phrase par
u n e c o n j o n c t i o n d e c o o r d i n a t i o n , toute phrase dont le pre-
[...] les Sudois crurent avoir affaire quarante mille mier mot serait un et, un mais, etc., devrait logiquement
combattants ; et on le crut longtemps sur la foi de leurs rela- tre prcde d'un point-virgule-, mais ce prcepte, dont
tions. l'excellence apparat vite u n il convaincu, ressemble
Voltaire, fort un vu pieux... Cela ne nous empche point de
La Russie sous Pierre le Grand. l'dicter.
368 376
Les signes Le point-virgule
N.B. 1. Les points-virgules en cascade (1/2). Lorsqu'une signe de ponctuation ; mais c'est la pense qui justifiait
phrase est compose de propositions en cascade relies son utilit et, partant, son emploi qui meurent douce-
par des points-virgules (du type: il prtend que...; ment.
que... ; que... ; et que... ), il est prfrable de conserver le L'poque laquelle devrait correspondre l'usage
point-virgule avant la conjonction de coordination qui intensif du point-virgule est coup sr le xvn e sicle. Cela
finit l'numration (de ne pas lui substituer une virgule). ne doit tonner personne: il suffit de lire Descartes,
Voir Paul Valry, cit plus haut : Pascal ou les auteurs dramatiques de ce temps pour
comprendre que la pense tait alors fonde tout entire
Le fruit mr craint l'onde ; l'arbre, la bise ; et moi, l'ire sur un schma directeur dont on trouve trace encore dans
d'Amaryllis. les plans de dissertation tels qu'on en enseigne le principe
aux lycens d'aujourd'hui: thse, antithse, synthse. En
Il n'a pas t crit: d'autres termes, on peut dire, ou rappeler, que la pense
classique est fonde sur la logique ; que, Port-Royal, on
... l'arbre, la bise, et moi, l'ire d'Amaryllis. avait coutume de dire qu'une dmonstration est l'acte de
bien conduire sa raison dans la connaissance des choses;
N.B. 2. Les points-virgules en cascade (2/2). Si la princi- que, depuis Aristote, on savait qu'un jugement est une syn-
pale est rejete en fin de phrase, aprs une cascade de thse entre deux termes, mis en relation par une particule
subordonnes relies par des points-virgules, une virgule de liaison. Entre les deux prmisses d'un syllogisme, on
est suffisante pour l'isoler de la dernire subordonne ; on trouve un point-virgule.
ponctue ainsi : Et Rameau lui-mme, en plein xvm e sicle, crira
encore: J'appelle ignorance toute connaissance qui ne
Puisque la relation sociale est toujours ambigu ; puisque vient que d'une exprience simplement forme par le sen-
ma pense divise autant qu'elle unit ; puisque ma parole rap-
timent 6 .
proche par ce qu'elle exprime et isole par ce qu'elle tait ;
puisqu'un immense foss spare la certitude subjective que
j'ai de moi-mme et la vrit objective que je suis pour les Mais, comme nous l'avons dit plusieurs fois dj, il se
autres; [...] puisqu'il ne m'est pas possible ni de m'lever trouve que le deux-points faisait office, cet poque, de
jusqu' l'tre ni de tomber dans le nant, il faut que j'coute. point-virgule ; de surcrot, les rgles de ponctuation
Il faut que je regarde autour de moi plus que jamais... Le taient alors trs instables.
monde, mon semblable, mon frre. Il tait donc tentant, pour un diteur moderne, de rta-
Jean-Luc Godard, blir une ponctuation particulirement obvie quoiqu'in-
Deux ou trois choses visible. C'est l d'ailleurs une sollicitation laquelle peu
que je sais d'elle. d'rudits ont rsist. Comme si la pense portait en soi sa
propre ponctuation; comme si l'diteur se bornait
14. Situation du point-virgule. On s'interroge sur le savoir la lire.
sort du point-virgule. 11 semble que son esprance de vie
ne soit pas trs longue. Nul ne songerait pleurer un 6. Trait de la gnration harmonique.
368 Les signes Le point-virgule 379
Ouvrons au hasard une dition moderne des Provin- graphes ont acquis un pouvoir exorbitant; tout ce qui
ciales : passe entre leurs mains est rduit au commun dnomina-
teur de la typographie. C'est l l'autre ct de la mdaille
Je demeure d'accord, me dit-il, que l'habitude augmente dont l'avers est brillamment illustr par les esprits droits
la malice du pch ; mais elle n'en change pas la nature : et et exigeants de Littr, Baudelaire ou Sainte-Beuve mais
c'est pourquoi on n'est pas oblig s'en confesser. aussi de Hugo, Stendhal ou Balzac. L'on n'est donc qu'
moiti surpris, et encore faut-il n'avoir pas rflchi du
La phrase est sortie de son contexte; sa construction tout cette question pour l'tre ce point, lorsqu'un texte
n'en apparat pas moins dans toute sa clart, et sa ponc- tout embras du feu romantique parat contenu dans sa
tuation, au sens moderne du mot, dans sa ncessit. charpente de points-virgules:
Ouvrons les Mditations de Descartes :
C'tait Brigitte. Je fis tout au monde pour la dcider
Et pour cela il n'est pas besoin que je les examine chacune rester ; je criai qu'on arrtt ; je lui dis tout ce que je pus
en particulier, cc qui serait d'un travail infini ; mais, parce imaginer pour lui persuader de descendre; j'allai mme
que la ruine des fondements entrane ncessairement avec jusqu' lui promettre que je reviendrais un jour elle,
soi tout le reste de l'difice, je m'attaquerai d'abord aux lorsque le temps et les voyages auraient effac le souvenir du
principes sur lesquels toutes mes anciennes opinions taient mal que je lui avais fait. Je m'efforai de lui prouver que ce
appuyes. qui avait t hier serait encore demain ; je lui rptai que je
ne pouvais que la rendre malheureuse, que s'attacher moi,
Il ne s'agit pas l d'une dmonstration proprement c'tait faire de moi un assassin. J'employai la prire, les ser-
parler, mais au moins d'un enchanement logique de pro- ments, la menace mme ; elle ne me rpondit qu'un mot
positions. (D'ailleurs, il ne saurait tre question de rduire Tu pars, emmne-moi ; quittons le pays, quittons le pass.
la pense franaise classique la seule pratique de la Nous ne pouvons plus vivre ici, allons ailleurs, o tu vou-
dras ; allons mourir dans un coin de la terre. Il faut que nous
logique: pour avoir t vritablement habit par l'esprit
soyons heureux moi par toi, toi par moi.
de gomtrie, on n'en tait pas pour autant dnu d'esprit
de finesse...) Alfred de Musset,
La confession
d'un enfant du sicle.
Inutile de s'tendre davantage sur cette question. On
aura compris que le point-virgule, parce qu'il est l'me des
enchanements, est le centre autour duquel aurait d On considrait encore, cette poque, que la chose dite
s'organiser la pense classique, pour autant qu'elle et vaut mieux que sa plus superficielle apparence, et que la
donn sa valeur actuelle ce signe. 11 est un silence minus- ponctuation a charge de suivre un texte, non de le pr-
cule non pas une pause, mais un silence musical o cder. Aujourd'hui, tel Judas, qui commit un pch
se glisse la pense du lecteur, qui dtecte alors ce que la d'orgueil en jugeant son forfait impardonnable, on se
phrase reclait en ses plis: logique, ironie, indiffrence... mfie du point-virgule en l'accusant de tares qu'il faut
Le xix e sicle, celui de Thiers, fera du point-virgule la imputer la pense ; on le supprime, quand elle seule est
marque de son puritanisme. A cette poque, les typo- en cause et domine de toute sa hauteur les petits signes
368 380
Les signes Le point-virgule
Mais la succession des points-virgules s'acclre p a r f o i s semaines elle est devenue dure, je ne peux m'empcher de la
e n u n e prcession qui d o n n e le tournis. D a n s le m m e frler du bout des doigts, une nuit, il n'a jamais fait si lourd
de l'anne et la chambre garde la chaleur, si j'entrebille la
ouvrage :
fentre les moustiques vont rentrer, je palpe la vsicule du
Son mtier est de gagner au jeu, ce jeu. Non point, nulle- bout de l'index, elle bouge cette mauvaise plante, comme on
ment de se demander toute la vie, ingratement, dsagrable- aimerait l'ouvrir pour voir ce qu'elle renferme, et aprs
ment, tous les instants de cette vie, ce que c'est que le jeu extirper ses racines de la chair, il doit y avoir un liquide vis-
lui-mme ; gnralement ce qu'est le jeu en gnral ; ce qu'il queux l'intrieur du cocon de corne, ah, l'arracher et le
vaut ; tous gards ; ce que cela vaut ; si c'est licite ; et quel presser pour mieux exprimer ce pus, je vais la salle de bains
point ; honnte ; ou malhonnte ; lgitime ; ou illgitime ; pour boire, dans la glace la pustule fait une masse grise, je
mme utile ; ou inutile ; ou nuisible ; mme facile ; ou diffi- mets ma bouche sous le robinet et l'eau gicle sur ma poitrine,
cile ; mme fructueux ; ou infructueux ; mme et surtout elle trempe la verrue, infecte il n'y a plus que toi, cette
rel; ou irrel. tenaille d'ongles t'est destine, oui, comme elle vient, le sang
jaillit en bas du cou, au bout de mon index la sale bte est
Il est vrai, p a r t i r d e la S e c o n d e g u e r r e m o n d i a l e , la coince sous l'ongle, comme une grappe d'oeufs translucides,
p e n s e , d u m o i n s la p e n s e littraire, s'assouplit e t c'est gluant, sous l'eau, sous l'eau, elle file au fond du
s ' e n r o u l e plus qu'elle n e se forge. Elle r p u g n e a u x strictes lavabo, un peu de coton pour ponger le sang et je n'en parle
plus, on peut se recoucher tranquille, [...].
s q u e n c e s d'ides, leur p r f r e la j u x t a p o s i t i o n , et t r o q u e
d ' u n air lger le point-virgule c o n t r e la virgule, le p o i n t ou Jean-Michel Damian,
le deux-points. La posie, t e r n e l c h a m p d ' e x p r i m e n t a - Scne dans le bleu.
tion, s ' a f f r a n c h i t d e la p o n c t u a t i o n , et, avec elle, t o u t e u n e
p a r t i e d e la littrature. La subjectivit rgne. La loi est pesante, la l a n g u e
L,e p o i n t r g n e p r e s q u e seul (il est si f o r t !) : lgre. Cogito sans doute, s u m v i d e m m e n t , mais e r g o
termin.
Les faades vitres de quelques gratte-ciel restent constam-
ment illumines. Leurs ranges superposes de milliers de Et pourtant... O n trouve le point-virgule sous la p l u m e
fentres spares par de minces montants d'acier s'lvent en des a u t e u r s les plus violents, ceux d o n t la v h m e n c e sem-
parois scintillantes et diamantines d'une hauteur prodi- blait le m o i n s coercible, c o m m e s'il p e r m e t t a i t d'assener la
gieuse. Autour de leurs sommets l'paisse brume de chaleur vrit avec plus d ' e n t t e m e n t , d e l ' e n f o n c e r plus p r o f o n d
est teinte par les nons des rclames de reflets d'un rose sale. d a n s les cervelles molles :
D'autres, par contre, sont entirement plongs dans le noir.
Dserts par leur population diurne, ils sont abandonns aux Des gourmands, quelque part en Asie, risquent leur
tnbres. langue, trempent leur galette dans la cervelle dcalotte d'un
Claude Simon, singe vivant ; ainsi, pour moi, de la pntration de l'homme
Les corps conducteurs. dans la femme. Toujours cette certitude que la dcidant, je
dcide de percer, de fracasser du cerveau, d'y nettoyer ma
La virgule lui d i s p u t e la s u p r m a t i e : lame aux matires du meurtre perptuel ; les parois d'entre
Mais, vois l-bas, vers le littoral, une autre menace, un en sont plus dures que les pierres... attendre que ma cheve-
vilain bouton, une verrue qui sort au bas du cou, avec les lure ait repouss pour les crouler sur cette messe infanti-
368 Les signes Le point-virgule 385
cide. J'ai seulement risqu ma main celle qui de l'autre, militant de celui qui disait: Il est galement lgitime,
de jour, de nuit, renforant le coin dans ma castration, tire actuellement, de penser que la meilleure faon de servir la
sa force de rsistance crite la Loi psychanalytique, dans la rpublique est de redonner force et tenue au langage7. :
profondeur du lieu de ce crime d'un autre dont je suis
fait ; l'arme est reprendre, je veux en faire un autre usage. De belle pierre et de fine ordonnance ; place au milieu du
Mieux vaut la planter dans quelque fumier, europen, parterre national ; solide, et venant son tour ajouter un
arabe ou ngre ; l'opration est plus sociale , on y apprend quantum de gloire certain ensemble ; complexe souhait en
plus vite si l'autre mange sa faim. quelques-unes de ses parties, baroque mme, avec de diver-
Pierre Guyotat, Vivre. tissantes, plaisantes (ou voluptueuses) volutes, telle est la
demeure que notre ami s'est construite : tout autre chose
On peut mme dire que, dans Guyotat, le point-virgule qu'un tombeau.
est un signe si classique que d'autres, aujourd'hui, pour Pierre de Caen.
cette raison, lui substitueraient la virgule :
Le point-virgule, parce qu'il est central, parce qu'il est
Bandello roule sur le bord du lit ; avec son pied, il ramasse charnire, parce qu'il organise la phrase autour de lui,
le blue-jean, il le fait glisser jusqu' son ventre ; le pistolet peut tre vu comme un signe gnrant la construction et,
sort de la poche, glisse sur le sexe de Bandello, sur la toison
par consquent, la position des autres signes. Jean-Fran-
souille ; Bandello voit sur la crosse la trace des doigts de la
ois Rollin crit: Je verrais soudain l'crit comme un
putain ; il prend le pistolet et d'une main, et sa jambe leve
enfilant le blue-jean jusqu'aux cuisses, il effleure les lvres fleuve anim par deux courants. Le premier figurerait le
de la putain avec le pistolet mouill ; elle mord et ses dents dbit lexical; le second symboliserait l'coulement int-
tintent sur le mtal. rieur qui, venant affleurer parfois, se traduirait par des
Tombeau pour cinq cent remous. Si bien que je ne pourrais envisager une absence
mille soldats. d'interaction entre ponctuation et lexies. Elles vivent en
influences rciproques, supposent le silence musical
(Il n'est pas difficile d'imaginer comment ponctuerait ncessaire la prsence des mots pour fluer. Je privilgie-
un auteur la mode : rais le point-virgule en ce qu'il rassemble en lui les autres
signes de ponctuation. Il constitue la cellule primordiale
Bandello roule sur le bord du lit, avec son pied il ramasse le qui, une fois divise, engendre d'une part la virgule et les
blue-jean, il le fait glisserjusqu' son ventre, le pistolet sort de sa deux-points, de l'autre le simple point, le point d'exclama-
poche, glisse sur le sexe de Bandello, sur la toison souille. Ban- tion, le point, d'interrogation, les points de suspension.
dello, etc.) Effaant les mots, je saisirais comment s'organise,
s'articule le silence musicien. J'entendrais son bruisse-
On sent mme, dans la langue du xx e sicle, u n dsir de ment depuis ses affleurements en signes de ponctuation.
retrouver la tenue, la retenue propre au point-virgule. J'apercevrais lequel ou lesquels tel auteur favorise en
C'est ainsi que Pierre Oster Soussouev, dans un loge de
Francis Ponge, choisit d'ouvrir son texte avec une srie
de points-virgules hommage explicite au clacissisme 7, Pour un Malherbe.
386 Les signes
LE D E U X - P O I N T S
Conventions typographiques
15. Espace? Une rgle est constante: le point-virgule Etymologie: de punctum (point).
est suivi par une espace. Une autre l'est moins : il est
prcd d'une espace fine. La typographie ancienne Dfinitions
respectait les deux, et presque tous les ouvrages actuels Dolet: le uiens maintenant parler du comma: lequel
(mais pas toujours la Bibliothque de la Pliade , dcid- se mect en sentence suspendue, & non du tout finie. Et
ment dcevante en la matire). En tout tat de cause, le aulcunesfoys il n'y en a qu'ung en une sentence : aulcunes-
point-virgule, comme le deux-points, est utile au typo- foys deux, ou trois.
graphe pour rsorber les blancs excessifs de la ligne. C'est
Furetire: Deux points marquent ordinairement le
l sans doute qu'il faut voir l'origine de cette convention.
milieu d'un verset, ou la pause o on peut reprendre
haleine.
16. Point-virgule la ligne? Certains combinent le
point-virgule et l'alina; cela est proscrit par les rgles Littr: Deux points (:), signe de ponctuation que l'on
typographiques, mais ne manque pas d'efficacit rhto- met d'ordinaire pour indiquer une citation, une explica-
rique : tion. On dit substantivement un deux-points, les deux-
points (avec un trait d'union).
Le premier mouvement des uns est de consulter les livres ; Grevisse: Les deux-points s'emploient: 1 Pour
Le premier mouvement des autres est de regarder les annoncer une citation, une sentence, une maxime, un dis-
choses. cours direct, ou parfois un discours indirect [...]. 2 Pour
Paul Valry, annoncer l'analyse, l'explication, la cause, la consquence,
Mauvaises penses et autres. la synthse de ce qui prcde [...].
O n combine aussi ces deux signes dans l'numration, l a . A savoir. C'est par rfrence la langue des typo-
puisqu'on revient la ligne chaque item. graphes qu'on dit le deux-points, au singulier; la pr-
sence d'un trait d'union confirme cet usage.
388 Les signes Le deux-points 389
L'emploi du deux-points ne pose pas de problme par- comme maintenant: aux cabinets, c'est--dire sans ma
ticulier, bien qu'il ait t, comme le point-virgule, la femme. Elle ne peut donc me manquer.
cible de certains crivains, qui le trouvaient, comme Ibid.
lui, trop doctoral (Sand, par exemple), que sa fonc-
tion ait t, au xix e sicle, peu prs change contre Si la citation est fragmentaire et appartient, grammati-
celle du point-virgule, avec lequel on continue de le calement, la phrase, les guillemets suffisent, le deux-
confondre, et que son emploi se soit largi au xx e points est superflu, et la minuscule obligatoire 1 :
sicle.
Personne n'a jamais fum la cigarette de sa vie. Le len-
1b. Utilit du deux-points. Il sert essentiellement demain de cette cigarette d'lection, Gabriel l'oubliait dj
introduire ce qui suit. Le deux-points, cet gard, est u n pour mille et trois autres.
sas universel. C'est ici le sens des dfinitions de Littr et Ibid.
Grevisse.
(Nous verrons qu'il ne se borne plus introduire ce qui (Noter aussi que le point final, dans ce cas, se place
suit, mais qu'il a, petit petit, acquis un rle de simulateur aprs le guillemet fermant voir ce signe.)
logique et chronologique.)
2. Avant une citation. Il introduit une citation (phrase
le. Aprs le deux-points: majuscule ou minuscule? crite ou discours oral, avec ou sans guillemet) :
l est aussi bien suivi d'une minuscule que d'une majus-
cule. Lorsque la phrase se continue (dans une numra- Il [Braque] dit encore : Qu'appelle-t-on l'harmonie ?
tion, dans l'expos d'une cause, d'une consquence, dans C'est ce dont on ne peut rien dire. Ni: "Oh, comme cette
une explication, un jugement, etc.), il est suivi d'une couleur... " Ni : "Ah, quel sujet !... " Ce n'est pas si loin du
minuscule : nant.
Jean Paulhan,
Hier, j'ai observ un observateur qui fumait: on voyait,
Braque le patron.
avec le tabac de sa pipe, se consumer l'objet de son observa-
tion. Matisse disait en ce sens : le principal lment du tableau,
Roland Dubillard, c'est les quatre cts du cadre. (Et Braque : on ne sait jamais
Confessions d'un fumeur d'o viendra l'appel.)
de tabac franais.
Ibid.
Lorsqu'il introduit une citation (ou une phrase longue,
dit-on parfois, mais cela n'a gure de raison d'tre), il est 3. Avant une sentence, une maxime. Le deux-points
gnralement suivi d'une majuscule :
Mme raisonnement du veuf aux cabinets : Si ma femme 1. Noter qu'un point i n t e r r o m p t l'effet du deux-points (que la phrase
n'tait pas morte, se dit-il, je serais vraisemblablement introduite commence ou n o n p a r u n e majuscule).
388 Les signes Le deux-points 391
introduit une sentence ou une maxime, dment entoure 5. Avant le discours direct (2/2). Dans la prose
de ses guillemets ou non : moderne, la suite de Marguerite Duras, on aime le deux-
Je fis crire hier encore, en l'honneur des paresseux : bella points autant qu'on le mprise. On se dlecte le sup-
cosa far niente. primer, sans doute pour le rendre plus prcieux :
M de Svign,
Correspondance. Elle dit coutez comme le jour est lent venir, croyez-vous
que c'est parce que nous sommes en banlieue ? Je dis je ne
4. Avant le discours direct (1/2). Il introduit, dans le sais pas.
discours indirect, le passage au discours direct ; trois cas se Colette Fellous,
prsentent : Rosa gallica.
a. L'auteur annonce en toutes lettres ce passage : [...] Ton cognac, tes cigares. Maintenant Joseph, je peux
Du coup, Fred leva la tte, bgaya : te le dire, " tu es un chien ".
Joseph s'est alors tourn vers moi et m'a souri. Tu vois,
Qu'est-ce que tu veux faire ?
c'est toujours aussi beau. Mme ici, tu ne trouves pas ?
Georges Simenon, J'ai rougi, j'ai baiss la tte. J'ai dit oui, c'est vrai, il y a
La maison du canal. tellement longtemps que je ne l'avais pas cout.
b. L'auteur ne signale rien l'avance, mais indique, Colette Fellous,
aprs la citation, celui de la phrase prononce. Dans ce Calypso.
cas, le deux-points n'est plus ncessaire :
On aurait pu crire :
Jef avait enfoui deux autres pommes de terre sous la cendre
et, machinalement, il entreprenait -i.e dpouiller l'cureuil.
Maintenant Joseph, je peux te le dire : " Tu es un chien. "
Moi, disait Edme toute tendue, je n'aimerai jamais
Joseph s'est alors tourn vers moi et m'a souri : Tu vois, c'est
qu'un homme capable de faire des choses extraordinaires, un
toujours aussi beau. Mme ici, tu ne trouves pas?
homme qui n'aurait peur de rien ! [...]
J'ai rougi, j'ai baiss la tte. J'ai dit : Oui, c'est vrai. Il y a
Ibid. tellement longtemps que je ne l'avais pas cout.
c. L'auteur ne donne aucune indication. Le lecteur sait
qu'il est dans un discours direct par le seul jeu typogra- Encore qu'on ne puisse avec assurance nier qu'il et t
phique du retour la ligne et du tiret (ou du guillemet, aussi juste d'crire:
dans la typographie ancienne). Il devine qui parle, et qui
s'adresse la phrase. Pas de deux-points ici non plus : J'ai rougi, j'ai baiss la tte. J'ai dit : Oui, c'est vrai. Il y a
tellement longtemps que je ne l'avais pas cout.
Elle tait agressive. Son corps ne bougeait pas d'un
dixime de millimtre. Car l'effet du deux-points cesse l'apparition du
Tu n'as jamais t amoureuse ? premier point ou du premier point-virgule. A plus forte
Ibid. raison l'effet du non-deux-points.
Le deux-points 393
388 Les signes
Du Bousquier [...] fit insrer l'annonce suivante : Je me disais que seules deux affaires importantes m'atten-
Il sera dlivr une inscription de mille francs de rente la daient Rome ; l'une tait le choix de mon successeur, qui
personne qui pourra dmontrer l'existence d'un monsieur de intressait tout l'empire ; l'autre tait ma mort, et ne concer-
Pombreton, avant, pendant ou aprs l'Emigration. nait que moi.
Balzac, La vieille fille.
Il fallait u n deux-points.
8. A v a n t u n e n u m r a t i o n (1/2). Il i n t r o d u i t u n e nu-
m r a t i o n , u n inventaire, u n e liste: 9. Avant u n e n u m r a t i o n (2/2). L ' n u m r a t i o n p e u t
p r c d e r son r s u m . Mais le d e u x - p o i n t s reste e n t r e les
Sur le mur de droite, peint d'un vert un peu plus sombre d e u x . Girault-Duvivier 2 cite ces d e u x vers, d ' u n a u t e u r
que celui du mur de gauche, sont accroches neuf assiettes n o n identifi :
dcores de dessins reprsentant :
un prtre donnant les cendres un fidle Du lait, du pain, des fruits, de l'herbe, une onde pure :
un homme mettant une pice de monnaie dans une
C'tait de nos aeux la saine nourriture.
tirelire en forme de tonneau
une femme assise dans le coin d'un wagon, le bras pass
dans une brassire 10 A v a n t u n j u g e m e n t . Le d e u x - p o i n t s i n t r o d u i t u n
deux hommes en sabots, par temps de neige, battant la j u g e m e n t , u n e a p p r c i a t i o n ; voici celle q u e B a u d e l a i r e
semelle pour se rchauffer les pieds
un avocat en train de plaider, attitude vhmente
un homme en veste d'intrieur s'apprtant boire une
2. Op. cit.
tasse de chocolat
388 394
Les signes Le deux-points
porte, dans un article critique, sur un conte de Champ- 12. Signe logique (2/4). Le deux-points introduit une
f l e u r y intitul Van Schaendel, pre et fils : cause, une explication :
Van Schaendel, pre et fils : Peintres-naturalistes enrags Alors, sur ses montants biseauts et si visiblement insta-
qui vous nourrissez de carottes pour mieux les dessiner, et bles, le chevalet n'a plus qu' basculer, le cadre se dislo-
vous habillerez de plumes pour mieux peindre un perroquet, quer, le tableau rouler par terre, les lettres s'parpiller, la
lisez et relisez ces hautes leons empreintes d'une ironie pipe peut se casser : le lieu commun uvre banale
allemande norme. ou leon quotidienne a disparu.
Michel Foucault,
11. Signe logique (1/4). Le deux-points a un pouvoir
Ceci n 'est pas une pipe.
logique trs puissant. Il quivaut donc , parce que ,
bien que , mille et une de ces charnires qui per-
mettent d'articuler le raisonnement. Il permet la mme Au lecteur le soin de rtablir le lien entre la phrase et
diversit dans l'nonc d'vnements factuels. La srie de son commentaire, le rapport logique ou chronologique
faits, d'arguments peut tre, grce lui, nonce dans qui les lie l'une l'autre, ou mme d'identifier le mot sur
l'ordre : cause, deux-points, consquence ; ou, dans l'ordre lequel porte le commentaire :
rtrograde: consquence, deux-points, cause. De mme,
deux faits contemporains, ou presque contemporains, Tchen prfrait, pour plus de sret et d'ironie, marcher
peuvent tre articuls par un deux-points. Voyons cela en compagnie d'un Blanc : il avait une bombe dans sa ser-
par quelques exemples. viette.
deux propositions la mme expression, ou peu prs nologique est laiss l'imagination du lecteur comme
(tout le monde et la plupart d'entre ces hommes): nous l'avons vu, encore esquiss, dans la phrase de Vol-
taire sur le cardinal de Fleury.
Ici, tout le monde se mit de la partie : on venait de toucher
Cette pratique a de nombreux avantages : elle donne de
ce qui tait le mal saignant de la plupart d'entre ces la vivacit, de la prestesse au discours. La phrase file, et
hommes, et pour des raisons opposes. rien ne lui rsiste :
Louis Aragon,
J'avais entre-temps t convoqu l'arme : je dcide de
La semaine sainte. ne pas demander de sursis. Je prends la prcaution de
m'inscrire en Sorbonne pour un diplme d'tudes sup-
13. Signe logique (3/4). Entre la cause et la cons- rieures sur saint Paul (que j'admire beaucoup): prcaution
quence, le deux-points peut annoncer un fait contem- qui me vaudra une permission exceptionnelle de trois jours,
porain, parallle celui qui prcde. Non qu'il s'agisse de en octobre.
deux actions concourant au mme but (et qui, dans ce cas, Franois Michel, op. cit.
devraient tre spares par un point-virgule) mais plutt
qui s'expliquent l'une l'autre : Je rpte que, de haine, je n'en ai pas l'ombre son gard :
il [Cingria] mourra sans savoir que je n'ai jamais t dupe
On savait que c'tait le cholra asiatique: les navires de son hypocrisie. Disparu, il me manquera.
restaient en quarantaine au lazaret. Ibid.
Marcel Schwob, Cur double.
Le temple est sans fentres. Que les hros, les magistrats de
la cit et les vierges tournent autour de la maison divine :
Le cholra explique la quarantaine; la quarantaine qu'ils n'y entrent pas ! Le grand-prtre lui-mme n'est
indique le cholra. Le deux-points est un miroir dans qu'un esclave : il drobe le dieu la foule ; il ne parle pas
lequel se regardent les deux parties de la phrase. La pour elle, il ne l'introduit pas ; et lui-mme, dans son office,
linguistique moderne nomme cela une assertion il n'est tenu qu'au rite : il ignore la prire et ce dlice, le don
adjacente. de soi pour tous les autres, et l'offrande de tous les autres
Nous ne sommes pas si loin de l'hbtude de ce person- pour soi.
nage imagin par Marcel Aym : Andr Suars, Temples grecs.
Elle est morte : elle est morte. Ils m'offrirent une petite fille, mon rve : d'emble elle
La jument verte. s'tait mise savourer mon membre ravi, tout en me laissant
disposer de ses jeunes fesses ; on l'avait rase pour la circons-
tance ainsi que tatoue de motifs animalesques.
14. Signe logique (4/4). Avec le temps, le deux-points a
Jude Stfan, Lettres tombales.
d apprendre de nouveaux rles. 11 est devenu un joker,
qui ne se borne pas remplacer tout autre signe de ponc-
Comme on le voit par ces quelques exemples, le deux-
tuation (surtout le point-virgule honni), mais aussi le lien
points possde une vertu : celle d'viter l'auteur la juxta-
entre deux ides. Devenu implicite, le lien logique et chro-
398
388 Le deux-points
Les signes
position pure et simple de deux ides juxtaposes! et, en 15. Enchaner deux deux-points. Il est malvenu
quelque sorte, de simuler le lien dialectique ou subordon- d'enchaner deux deux-points. Mais il arrive qu'on doive
nant. Il raccourcit les phrases, et l'auteur se soustrait ainsi le faire. C'est ainsi que Bossuet crit:
aux dures ncessits de la phrase complexe . Saint Grgoire nous a reprsent son vrai caractre, lors-
Julien Gracq 3 parle du deux-points avec loquence et qu'il a dit ces mots, dans son Pastoral, qui est un chef-
finesse: Dans le groupe des signes de la ponctuation, il d'uvre de prudence : L'ambition, dit ce grand pontife, est
en est un qui n'est pas tout fait de la mme nature que timide quand elle cherche, superbe et audacieuse quand elle
les autres : les deux-points. Ni tout fait ponctuation, ni a trouv : Fa vida cum quaerit, audax eu m pervenerit.
tout fait conjonction, il y a longtemps qu'il me pose des Pangyrique du bienheureux
problmes d'criture. Tous les autres signes, plus ou Franois de Sales.
moins, marquent des csures dans le rythme, ou des
Ici, la traduction latine est introduite par un deux-
flexions dans le ton de voix; il n'en est aucun, sauf lui, que
points sous-ensemble, en quelque sorte, du premier. La
la lecture voix haute ne puisse rendre acceptablement.
parenthse aurait t utile... Il faut aussi souligner la
Mais dans les deux-points, s'embusque une fonction autre,
redondance entre lorsqu'il a dit et dit ce grand
une fonction active d'limination; ils marquent la place
Pontife. (On en trouve frquemment de telles dans
d'un mini-effondrement dans le discours, effondrement
Hugo: ncessit potique, sans doute. Mais l'incohrence
o une formule conjonctive surnumraire a disparu corps
est impardonnable :
et biens pour assurer aux deux membres de phrase qu'elle
reliait un contact plus dynamique et comme lectris : il y Elle les flaire, et hurlant de plus belle :
a toujours dans l'emploi des deux-points la trace d'un Ce ne sont point mes ours, murmurc-t-elle.
menu court-circuit. Ils marquent aussi, l'intrieur du Victor Hugo, Conte.)
discours li, un dbut de transgression du style tlgra-
phique ; une tude statistique rvlerait sans doute le peu A propos des deux-points en chane, il est permis de
d'usage qu'en ont fait les auteurs anciens (jusqu'o d'ail- poser comme rgle celle qui interdit deux deux-points
leurs son usage remonte-t-il 4 ?) tout comme sa frquence de fonction quivalente de se succder. S'il s'agit, par
grandissante dans les textes modernes. Tout style impa- exemple, d'une explication, puis d'une numration, on
tient, soucieux de rapidit, tout style qui tend faire sauter peut les enchaner :
les chanons intermdiaires, a spcialement affaire lui Ce qu'on a appel chant populaire {en France] n'a jamais
comme un conomiseur, premptoire et expditif 5 . t qu'un sous-produit de la musique savante. On l'a peu
d i t : c'est Gide qui vient de parler. Dans quelle u v r e ? Dans son Journal.
3. En lisant, en crivant.
Le deux-points, plac ici sans gard p o u r la convention respecte par les
4. Sa signification actuelle est fort rcente, puisqu'elle n e r e m o n t e
bibliographes, est d ' u n e pertinence parfaite : il raccourcit u n e formule ;
qu'au X I X E sicle. Auparavant, il avait u n e valeur d e ponctuation forte,
tandis que la virgule, qu'exige ladite convention, n'a pas de sens, puis-
suprieure au point-virgule.
qu'elle se contente de juxtaposer des informations (auteur, titre, ville d e
5. Gracq illustre ce principe quelques lignes plus loin ; il cite un texte,
publication, a n n e d e parution...).
et place immdiatement entre parenthses: Gide:Journal.y A u t r e m e n t
388 400
Les signes Le deux-points
admis : c'est que, l encore, on rendait compte d'un fait 18. Subtilits (2/5): un deux-points aprs dire,
social plus que musical : chants de cour, chants de corpora- c'est--dire, appeler, etc. Mais il n'est pas rare de
tions (paysans, artisans, marins, etc.), chants de fte, chants voir un deux-points aprs les verbes qui annoncent une
de deuil, chants de danse, bleuettes, romances, etc. suite, comme dire. C'est un tort: il n'est pas utile. Le
Franois Michel, verbe dire et ses semblables (appeler, nommer,
Le silence et sa rponse. etc.) peuvent trs bien tre suivis directement de ce qu'ils
annoncent :
Dans le cas contraire, les parenthses viendront varier
Quant votre dpartement, la Somme, n'est-ce pas ? nous
facilement la prsentation (comme c'est le cas dans la
disons la Somme...
phrase qu'on vient de lire), tout en vitant au lecteur
une srie de poupes russes qu'il rpugne toujours Emile Zola,
Son excellence Eugne Rougon.
emboter.
La marquise d'Espard et la princesse tournaient, on ne
16. Concurrence avec l'exclamation et l'interrogation. pouvait dire se promenaient, dans l'unique alle qui entou
II est interdit par les typographes de mettre un deux- rait le gazon du jardin, [...].
points aprs un point d'interrogation ou d'exclamation. Il Honor de Balzac,
ne faut pas hsiter passer outre cette rgle mal fonde. Les secrets de la P"'c de Cadignan,
... que: OU
La seconde solution paratra souvent moins ambigu. 19. Subtilits (3/5): un deux-points aprs savoir,
Cette phrase, par exemple : soit, tel, ainsi, voici, comme, etc. Le deux-
points est facultatif aprs les locutions qui annoncent une
En anglais, something signifie quelque chose. suite, comme: () savoir, soit, tel(s) (sont), ainsi,
voici , comme , etc.
... aurait bien besoin d'un deux-points ou, la rigueur, de Il est facultatif, mais recommand, avant le voil
guillemets... qui suit une numration, une explication, etc.
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Les signes Le deux-points
20. Subtilits (4/5) : deux-points et virgule dans l'appo- Dans cet exemple, tout reste clair. Il en va de mme
sition. On remplace parfois le deux-points par une vir- dans celui-ci :
gule qui prend alors le sens d'une apposition. Voyons, par
exemple : Le troisime soldat, il brillant d'espoir et de fivre, dit :
Je vais vivre ! , et s'croule.
Et nous arrivons ainsi la troisime priode, la priode Michel Mouton, Les exclus.
religieuse, c'est--dire, vraisemblablement, la dcadence
progressive de tout ce qui faisait la richesse de Sarek, pleri- Mais, en l'absence de dlimiteurs prcis (guillemets, par
nages, ftes commmoratives, etc. exemple), la virgule peut tre comprise de deux manires :
Maurice Leblanc, le lecteur peut la rapporter la phrase gnrale, comme
L'le aux trente cercueils. au membre annonc par le deux-points. Une ambigut
pnible nat alors. Forgeons l'exemple suivant d'aprs la
Cela provient de ce que le deux-points annonce un phrase ci-dessus:
dveloppement. On peut donc assimiler ce qui le suit
comme une apposition ce qui le prcde ; mais cela n'est Je peux dire : vivre, et m'crouler.
pas tout fait rgulier: Leblanc fait appel ce procd
faute d'numration solide, digne de ce nom. La virgule Le lecteur peut comprendre :
apparat alors comme un sous deux-points.
Je peux dire : vivre, et m'crouler.
21. Subtilits (5/5): un deux-points suivi d'une vir-
gule ; syntaxe gnrale de la phrase. Le deux-points, qui ... ou bien :
tombe automatiquement aprs le terme qui l'exige,
comme un point d'exclamation aprs une exclamation, Je peux dire : Vivre, et m'crouler.
n'est pas assez fort pour perturber la syntaxe de la phrase.
C'est ainsi qu'elle peut retrouver son flux normal, aprs On fera donc bien d'viter cette manire de faire.
que le membre de phrase introduit par le deux-points l'a
suspendu :
Conventions typographiques
Parfois, tandis qu'Iphignie se retirait dans sa chambre
pour crire une de ses amies, qu'elle nommait plaisam-
22. Espace? etc. Rgles identiques celles du point-
ment : Chandelle verte, j'allais m'exercer dans le potager
crer des sentimentalits nouvelles, afin de les projeter sur virgule. Voir ce signe.
mon univers, ou bien je me reposais en considrant le sol
lorrain.
Reboux & Muller,
A la manire de...
Maurice Barrs
Les points de suspension 405
lieu de trois. J e lui dis que: trop de points de suspension 3. L'abrgement. Les points de suspension sont
et autres, a me fait l'effet de petits pois dont on perd employs pour abrger une numration trs longue et
beaucoup en les cossant! Ces images sont combattues et dont on devine la suite ; ils sont alors comparables au n
enrobes par la meilleure voix de Gide que tu puisses des mathmaticiens, et prennent la place d'un trivial
entendre, par ses plus pristaltiques "Chtincoyable" et etc. :
" Chttonnant", etc. Je finis par me mettre au diapason et
nous commenons parler un auvergnat aiguis d'anglais Elle ne saurait faire qu'elle ne rpte mentalement des mil-
des plus distingus. Il ajoute que tout a c'est des manies, liers ou des dizaines de milliers de fois : Karlsruhe,
qu'il connat a, qu'il en fait et que c'est de l'orgueil. Il dit Karlsruhe, Karlsruhe... , suivant le rythme des explosions
encore que le public ne comprend pas ces choses-l et qui poussent les pistons des deux gros cylindres [...].
impute ce qu'il prend pour des fautes l'imprimeur Ver- Andr Pieyre de Mandiargues,
becke. Il en a un exemple avec Claudel. Je lui rponds (tout La motocyclette.
a en rigolant, bien entendu) que mes caprices typographi-
ques choqueront toujours moins le public que les normes 4. L'attente (de principe). Les points de suspension
coquilles dont ledit imprimeur remplit sa revue [...]. laissent attendre une suite qui vient ou ne vient pas
C'est alors un effet de manche (premier cas), ou simple
Ce signe, les points de suspension, que Mallarm, ment un aveu d'impuissance (second) : l'auteur (ou le per -
Claudel et Proust avaient en horreur, et qui reste si cher sonnage) fait mine d'en dire plus qu'il n'en dit, et le lec-
Nathalie Sarraute, indique, comme son nom le laisse sup- teur est cens mettre une signification sous l' ineffable
poser, un suspens, qu'il soit du fait de l'auteur qui ne finit que raillait Proust :
pas sa pense , ou d'un personnage qui ne finit pas la
sienne ; il a enfin une valeur purement typographique. Le style abuse des adjectifs et des adverbes ; du moins est-
il correct, ou peu s'en faut. Il fait vrai. Il tmoigne une
2. Le sous-entendu. Les points de suspension expri- observation scrupuleuse. On songe un rapport de notaire,
ment un sous-entendu : ou de gendarme. On se dit aussi : a ne peut pas durer, il y
a une catastrophe la clef. Quant aux personnages...
On voit d'autres personnes qui courent au-devant des Ce sont en gnral de petites gens : un mdecin sans clien-
vexations ou des tortures, extraordinairement averties et tle, un acrobate sans engagement [...]. Simenon, c'est la
comme sensibilises, en quelque lieu que ce soit, par le jeu princesse Maleine devenue servante de bar.
d'un instinct sans erreur, la prsence d'un bourreau pos-
sible et comme fascines par avance, appeles o leur Jean Paulhan,
voisin ne voit qu'un brave homme sans importance par Sur Les anneaux de Bictre,
ce bourreau qu'elles ont devin (au fait, Justine prcis- de Georges Simenon.
ment...), ou bien encore se portent d'elles-mmes, avec un
curieux enttement, la place o les attendent la prison, les J'entends grsiller comme du beurre fondu dans une pole,
procs et la mort. (Mais Sade, justement... ) et un parfum arrive avec les premires bouffes...
Jean Paulhan, Paul Morand,
Le marquis de Sade. L'Europe galante.
406 Les signes Les points de suspension 407
Deux fois le jour, un rgiment bavarois y dfilait, forts 6. L'indcision. Il arrive aussi que le personnage, ou
garons vert sale sur de grandes biques alezanes, bonnes l'auteur, n'prouve pas le besoin de prciser sa pense. Il
figures cuites de dogues entre le casque et le col de drap fram- en va des points de suspension comme du point d'excla-
boise... mation ; la brivet sied l'tonnement :
Colette,
La retraite sentimentale. Quelle mouvante aventure... , pensa Lewis...
MATRE DE MUSIQUE. Paul Morand,
Lewis et Irne.
La philosophie est quelque chose ; mais la musique, Mon-
sieur, la musique...
7. L'hsitation. Les points de suspension trahissent
M A T R E DANSER.
une hsitation de l'auteur ou d'un personnage, une rti-
La musique et la danse... La musique et la danse, c'est l cence que les rhtoriciens nomment aposiopse :
tout ce qu'il faut.
Molire,
Le bourgeois gentilhomme. MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.
L'... l'pouser ?
Peut-tre ai-je trop mis sur la musique, peut-tre n'ai-je
pas pris toutes mes prcautions contre les acrobaties du Molire,
sublime, contre le charlatanisme de l'ineffable... Monsieur de Pourceaugnae.
E. M. Cioran,
Syllogismes de l'amertume. 8. L'appel d'une rponse. De mme, les points de sus-
pension peuvent appeler une rplique ; ils marquent une
(Il est amusant de voir que c'est prcisment aprs le question affaiblie, pose par qui connat la rponse :
mot ineffable que Cioran, ce grand dcompositeur,
comme le surnomme Franois Michel, place ses points de
suspension.) GRONTE.
ARGAN.
9. L'adoucissement d'une chute. Les points de suspen-
sion adoucissent la fin d'une phrase qu'un point final et Avec beaucoup de joie...
marque trop durement : MONSIEUR DIAFOIRUS.
ARGAN.
12. La dcence (1/3). On emploie les points de suspen-
sion lorsqu'on rpugne prononcer certains mots
Je reois, Monsieur...
(dcence, peur... ) ; ainsi :
(Ils parlent tous deux en mme temps, s'interrompent et
confondent.)
Martin Quiros... tu fais l'insolent mon fils, si j'etois l, je
MONSIEUR DIAFOIRUS. te rosserois... je t'arracherois ton j... f... de toupet faux, que
Nous venons ici, Monsieur. tu renouvelles tous les ans avec les poils de queue des bidets
406 Les signes Les points de suspension 407
de la route de Courtheson Paris, comment fairois tu vieux avant je cherchai produit une parataxe pnible, et
mtin pour reparer a3 ? l'absence de guillemets viol laisse croire que c'est le
Donatien de Sade, mot qui est viol 4.
Correspondance.
15. Points de suspension : le temps passe. Les points de
13. La dcence (2/3). Si l'auteur veut celer une partie suspension sont employs pour signifier qu'une interrup-
de son rcit (pour des raisons de biensance, par tion est intervenue dans la rdaction du texte. Le simple
alina n'y suffirait pas :
exemple), il emploiera pareillement les points de suspen-
sion, ou une chane complte de points, souvent encadrs
Ainsi toute ma vie s'tale devant mes yeux ferms en pano-
par des parenthses : rama comme si j'tais sur le point de mourir.
Je sortis mon tour, et j'allais passer sans la voir, quand Je cherche tirer la philosophie de ma msaventure avec
elle me prit le bras et m'attira pour m'embrasser, et l, en Martine. J'adore toujours les enfants, mais l'exception
une minute ( dsormais des petites filles.
....... ) Michel Tournier,
Paul Lautaud, Amours. Le roi des aulnes.
14. La dcence (3/3). Pour masquer un nom propre, on 16. Les points de suspension relient ce qui suit ce qui
place parfois des points de suspension aprs l'initiale du prcde (1/2). On emploie parfois les points de suspen-
nom fictive ou relle : sion pour montrer qu'une phrase se relie la prcdente,
comme si la pense renaissait d'une braise presqu'teinte :
Je lus dans le journal que mon pre nous envoyait un fait
divers parlant d'un monsieur X... qui avait viol une demoi- [A propos de la gupe] Susceptible aussi cause du carac-
selle A..., je cherchai la signification du mot viol dans le tre si prcieux, trop prcieux de la cargaison qu'elle
dictionnaire et trouvai : dflorer. Je n'tais pas plus avanc emporte : qui mrite sa frnsie.
qu'avant, mais j'avais un sujet de pense de plus. ... De la conscience de sa valeur.
Guillaume Apollinaire, Francis Ponge,
Les exploits La gupe.
d'un jeune Don Juan.
17. Les points de suspension relient ce qui suit ce
Mais le point abrviatif est moins quivoque, et l'ast- qui prcde (2/2). Mmement, lorsqu'un personnage a t
risque, plus lgant. On voit d'ailleurs en quels mauvais interrompu dans une phrase et qu'il la reprend, on
termes Apollinaire tait avec la ponctuation: la virgule
4. O u t r e que, dans un dictionnaire, au mot viol, on ne trouve pas
3. O r t h o g r a p h e et ponctuation originales, j... f... signifie jean dflorer, mais la rigueur dflor ; et qu'il s'agit d ' u n bien mauvais
f o u t r e . dictionnaire.
406 Les signes Les points de suspension 407
suite ce qu'il disait: Et voil toute la conclusion o mnent dix ans de conqutes.
Jean Giraudoux, Judith.
LE POTE, achevant de dclamer :
... On n'en finirait plus avec le savon. Il faut pourtant le 19. Points de suspension entre crochets (1/3). Lors-
rendre son ovale austre, et son pouvoir de resservir. qu'une coupe a t effectue dans une citation, on la
Francis Ponge, Le savon. figure par des points de suspension encadrs de crochets
(et non de parenthses, qui sont propres l'auteur effec-
Les linguistes qualifient cette fonction de phatique 5 . tuant une coupe dans son propre texte; voir plus haut
(Si la phrase a t interrompue avant qu'elle ne soit l'exemple tir de Lautaud) :
acheve, on commence la suite par une minuscule. Dans
le cas contraire, par une majuscule.) Maurice Leblanc La temple, cette partie de la tte qui est entre l'oreille et le
front, s'appelle temple et non pas tempe sans 1, comme le
activait la fonction phatique des points de suspen-
prononcent et l'crivent quelques-uns, tromps par le mot
sion lorsqu'il intitulait le premier chapitre de La demoi- latin tempus [...], qui signifie la mme chose.
selle aux yeux verts :
Claude Favre de Vaugelas,
Remarques
... Et l'Anglaise aux yeux bleus ? sur la langue franaise.
18. Points de suspension: silence! Dans un dialogue, 20. Points de suspension entre crochets (2/3). Si la sup-
les points de suspension peuvent signifier que l'un des pression affecte le dbut de la phrase cite, on place les
personnages garde le silence au lieu de rpondre, ou bien points de suspension entre crochets, et on les fait suivre
que le narrateur ne peut l'entendre (dans une conversa- d'une minuscule. Par exemple, si l'on cite cet alexandrin
tion par tlphone, par exemple) : de La Fontaine : Un tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux
tu l'auras, mais amput de son dbut, il faut crire:
HOLOPHERNE.
[...] Dans l'heure o l'homme l'attend le moins, o la pr- [...] que deux tu l'auras.
sence fminine semble exclue, par les souterrains de l'air, les La Fontaine, Fables.
courants de la terre, une femme arrive, et lui apporte la
nuance de douceur ou de cruaut qu'il n'a pas connue. (Mais si la citation est faite au cours d'une phrase, les
JUDITH.
guillemets suffiront, et l'on peut crire: Ce que deux tu
l'auras n'a pas laiss les coliers moins perplexes que ce
un tiens vaut mieux.)
Certains auteurs, comme Montherlant, placent les
5. Inutile de chercher le mot d a n s un dictionnaire h o n n t e : il n'y points de suspension avant les guillemets ouvrants.
figure pas. La fonction phatique est la fonction du langage par laquelle
l'acte d e communication a pour fin d'assurer ou de maintenir le contact
Aucune logique ne justifie cette manire de faire (voir les
e n t r e le locuteur et le destinataire. (Dictionnaire de linguistique, Larousse) Conventions typographiques).
406 Les signes Les points de suspension 407
21. Points de suspension entre crochets (3/3). Il est pos- signifier la perplexit de celui qui formule la question. Il
sible d'employer les points de suspension sans les cro- n'attend pas vraiment de rponse :
chets, qui donnent au texte une allure un peu universi-
taire; mais il est dconseill de le faire l'intrieur du Les Mordoret ? Je les ignorais jusqu' ce qu'une de ces
texte cit : le lecteur serait incapable de savoir si les points dames de Saint-Franois-Xavier vnt m'avertir qu'il y avait
de suspension appartiennent ou non l'auteur cit; il danger de mort. Dans cette maison, est-ce bien possible ?...
vaut mieux se contenter de le faire la fin d'un texte Suis-je en avance ?... Suis-je en retard ?... Il y a tellement de
identifiable: portillons franchir ?
Sur cette phrase obscure qui valait son pesant de parabole,
il chassa, d'une chiquenaude aise, un grain de poussire sur
Voici le ciel bleu, uniformment, les tuiles romaines, sa manche, et sourit.
comme Arles, Sienne, Florence, Saint-Guilhem-le-Dsert,
partout o l'air vibre et o les toits semblent dormir. Ce Antoine Blondin,
toit tranquille o marchent des colombes / Entre les pins pal- Les enfants du Bon Dieu.
pite... Nous ne sommes pas loin de Ste.
24. Avec les autres signes de ponctuation en gnral.
Men Fouque,
Les lettres
On peut employer les points de suspension la suite d'un
du chteau d'Assas. autre signe, un point d'interrogation, un point de suspen-
sion... Ils laissent une petite impression de sous-entendu,
22. Le joker. On use parfois des points de suspension d'aigreur ou de violence ; mais, dire vrai, ils sont souvent
en guise de joker, comme des blancs qu'on pourrait superflus : il est rare qu'une phrase, par son sens et/ou sa
combler volont. Ainsi, dans un article sur Georges construction, exige la fois un point d'exclamation et des
Wolfromm, Paulhan crit : points de suspension. On les trouve nanmoins frquem-
ment runis ; ainsi, dans Colette, cette phrase :
[...] ou encore d'user d'un de ces bons moules, o tout ce
que l'on coule devient maxime. Par exemple: ... est ... ce L'accuse sort de l'ombre son tour, battant des cils et se
que... est ... (La modestie est la vertu ce que le duvet est met parler comme une somnambule :
la pche). Ou bien: n'est pas plus... que... n'est de... (La Je vous jure... Je n'ai rien fait !... il se trompe ! Je suis
mlancolie n 'est pas plus de la tristesse que le rire n 'est de la incapable de... Enfin, Claudine ! ne croyez pas !...
gaiet). La retraite sentimentale.
Et ne jamais penser qu'en fonction de... Il [Barrs] craint La phrase et-elle perdu de son agitation, de son
de corrompre son got, en allant au caf-concert ! somnambulisme, si l'on et crit: Je n'ai rien fait!}
Andr Gide, On ne pourrait l'affirmer... Peut-tre la voix est-elle plus
Journal. plaintive, tire par ses points de suspension? En
revanche, il fallait bien les deux signes, aprs ne croyez
23. Avec le point d'interrogation. O n ajoute souvent pas , puisque la phrase est exclamative, et qu'elle reste en
des points de suspension un point d'interrogation pour suspens.
406 Les signes Les points de suspension 407
Gide, dans son Journal, crit: L'emploi des points de suspension a prcd, dans la
chronologie clinienne. Ds Mort crdit, on en trouve
Ddain ?... Orgueil ?... profusion :
S'il avait crit: Ddain? Orgueil?, il aurait montr Elle [sa mre] me proposait aux familles, aux petits faon-
qu'il hsitait entre deux sentiments. Les points de suspen- niers en cambuse, accroupis derrire leurs bocaux... Elle me
sion montrent au contraire qu'il n'est satisfait d'aucun de proposait gentiment... Comme un ustensile en plus... Un
ces deux termes, et qu'un troisime et sans doute mieux petit tcheron bien commode... pas exigeant... plein
convenu. Voir aussi le paragraphe 29. d'astuce, de zle, d'nergie... Et puis surtout courant vite !
Bien avantageux en somme... Bien dress dj, tout obis-
25. Les chanes de points de suspension. On emploie sant... A notre petit coup de sonnette, ils entrebillaient la
lourde... ils se mfiaient d'abord... cibiche en arrt... ils me
des chanes de points de suspension pour remplir une
visaient dessus leurs lunettes... Ils me reluquaient un bon
ligne de blanc, et relier un terme crit gauche de la page coup... Ils me trouvaient pas beau...
et un autre, crit droite (afin de faciliter la lecture hori-
zontale) : Plusieurs commentaires peuvent tre apports ce style
de ponctuation outre la force extrme de cette langue,
Monsieur,
et sa parfaite beaut.
Nous vous avons adress, avant-hier, les spcimens
demands du volume Du Ct de chez Swann. Il faudrait On peut essayer de re-ponctuer ce texte, comme nous
compter pour la composition, le tirage et le brochage : avons fait une strophe d'Apollinaire, mais quel prix? et
2.200 exemplaires : 4.925 Frs. crire
Chaque mille en plus : 350 Frs.
Ces prix ne comprennent ni les empreintes, ni les correc- Elle me proposait gentiment, comme un ustensile de plus, un
tions d'auteur. petit tcheron bien commode, pas exigeant, plein d'astuce, de
Lettre de l'imprimeur Bellenand zle, d'nergie, et puis, surtout, courant vite !
Marcel Proust.
Mais il faudra, dans le mme mouvement, biffer cette
26. Dans les conventions pistolaires. On place des phrase d'un trait rsign : elle n'a gure de poids, et un
points de suspension en bas d'une lettre pour remplacer tudiant n'en voudrait pas. La ponctuation tait adquate
la phrase traditionnelle tournez la page . Gnralement, au discours ; elle lui donnait son rythme (surtout par la
on les rpte en les sparant par une barre oblique : .../... savante alternance de virgules et de points de suspension),
elle rendait compte de ce haltement propre au rcit qui
27. Louis-Ferdinand Cline. Nous parlons, dans le cha- semble natre de lui-mme, tlescopiquement, toujours
pitre consacr au point d'exclamation, de l'usage quasi renouvel, toujours nourri d'une nouvelle gicle de sang.
furieux que Cline fit de ce signe qui semble aujourd'hui Chaque point semblait un ricanement qu'on entendait.
lui appartenir en propre, et de la signification qu'on peut Lui disparu, c'est la voix de l'auteur qui s'teint. Dans
en dgager. Entretiens avec le professeur Y, entre autres, Cline les
406 Les signes Les points de suspension 407
justifie: A la place de ces trois points, lui dit le profes- plus de Kracht... nous maintenant de nous dbrouiller...
seur, vous pourriez tout de mme mettre des mots, voil
mon avis! Cuterie, Colonel! Cuterie, encore!... Pas Brrangg !... et crrrt !... comme une explosion !... c'est une
des grandes vitres du wagon qui vole en clats!... un
dans un rcit motif!... [...] Mes trois points sont indispen-
pav!... et un autre!... une autre vitre!... et le carreau de
sables!... indispensables, bordel Dieu!...je le rpte: indis- la porte au bout!... ils ouvrent, ils ont la poigne!... Ils
pensables mon mtro! [...] Pour poser mes rails mo- montent l'assaut, tous les hurleurs de la plate-forme !...
tifs!... [...] ils tiennent pas tout seuls mes rails!... Il me faut
des traverses ! Quelle subtilit ! Mon mtro bourr, si Sans conteste, le rythme est diffrent! On pourrait ainsi
bourr... absolument archicomble... craquer!... fonce! il passer en revue les quelques milliers de pages qui compo-
est sur sa voie !... en avant !... il est en plein systme ner- sent l'uvre de Cline: on ne trouverait pas un point
veux!... [...] Le truc du " mtro-tout-nerfs-rails-magiques-- d'exclamation superflu, un trois-points de trop. Il serait
traverses-trois-points" est plus important que l'atome! impossible aussi bien de retirer un seul point une toile
de Seurat: ils sont nombreux, mais tous indispensables.
On sait d'ailleurs que le premier tat des manuscrits de
Bien qu'il s'agisse l d'un autre sujet, il faut souligner
Cline prsentait des phrases normales, la Bourget,
l'extrme finesse avec laquelle Cline distribue ses majus-
comme il le dit; et que son travail de bndictin de la litt-
cules : l'apparente juxtaposition des membres de phrases
rature consistait notamment doser les ellipses. Il est
lis entre eux par les points de suspension cache une
logique que de ces brches creuses naisse une profusion
construction 7 beaucoup plus gnrale du paragraphe,
de points suspensifs. Logique aussi qu'on ne puisse plus,
l'intrieur duquel s'organisent de vraies phrases, com-
aprs coup, restituer la ponctuation acadmique. menant toutes par une capitale; chacune a sa raison
Quant leur accolement d'autre signes, il n'est jamais d'tre et son rythme propre. Rien n'est laiss au hasard.
d au hasard. S'il y a tant de points d'exclamation dans On trouve ainsi, cte cte, des thories de points de
Cline, c'est qu'il a beaucoup de phrases exclamatives... suspension suivis de minuscules, et d'autres, qui ont
Les interrogatives ont leur signe aussi. Toutes les autres, valeur de points finaux. Dans le texte qui prcde, la rapi-
ou presque, se contentent d'tre lies comme les maillons dit des explosions, la quasi-simultanit des vnements
d'une chane par leurs trois points, comme il le dit lui- regroupent les propositions en une seule phrase, jusqu'
mme. Comparons ces deux fragments de Rigodon, dis- ce que les hurleurs pntrent dans le wagon. L, nou-
tants de quelques lignes l'un de l'autre : velle action, et nouvelle phrase.
Le train nous emmne... d'abord tout doucement... et Ainsi, le rcit avance, par bonds et reptation soigneuse-
puis brutalement... tout de mme cette voie est meilleure... y ment ordonns; le lecteur ne souffle jamais: on ne lui en
a des tas de cailloux, ils rparent... nous nous sommes ins- laisse pas le temps ; les rafales se succdent aux rafales, et
talls, bien sages1'... nous avons rflchir... Plus d'Harras, il court derrire l'auteur, en perdre haleine.
6. Noter la virgule d'apposition : bien sages parat faire partie d u
verbe installer ; des points de suspension, cet endroit, auraient pro-
7. Un agencement, u n e architecture, disait Cline Madeleine
voqu cette relance qu'on voit partout ailleurs, et qui tait excessive:
Chapsal, dans u n entretien.
bien sages n'est pas assez nouveau, pas assez fort p o u r la mriter.
406 Les signes Les points de suspension 407
Disons, avant d'en finir avec ces points de suspension avec le professeur Y qu'il trouva l'ide des trois points
levs ainsi la dignit de purs agents stylistiques, et qui dans Colette10... Nous avons parl de l'usage qu'elle faisait
donnaient Cline l'air asthmateux 8 qu'il ne fut pas le des parenthses (voir ce signe). Les points de suspension,
premier en deviner l'extraordinaire puissance. Octave qui apparaissent surtout dans son uvre romanesque, ont
Mirbeau l'avait exploit avant lui, avec un bonheur qui se une fonction bien diffrente et nous l'avons dj vo-
mesure l'aune de son gnie propre. Comme Cline, il fut que. Aux cts de phrases comme celles-ci :
antismite et anarchiste. Jules Renard disait de lui : Il se
lve triste et se couche furieux. Comme Cline, il vcut Je regarde, comme si elle ne m'appartenait pas, ma main
reclus. Et, comme lui, il eut les ennemis que les points de pendante. Je ne reconnais pas l'toffe de ma robe... Qui
suspension tranent avec eux. Alors que le xix e sicle m'a dcouronne, pendant que je dormais, de mon diadme
n'tait pas achev, Mirbeau maillait dj sa phrase de de cheveux, rouls autour de mon front, comme les tresses
triples points : d'une grave et jeune Crs?... J'tais... j'tais...
Un jardin... le ciel couleur de pche rose au couchant...
une voix enfantine, aigu, qui rpond aux cris des hiron-
Et toutes ces fleurs !... Ne les regarde pas... Ne les regarde delles...
plus'... Tu les verras mieux aprs... aprs avoir vu souffrir,
aprs avoir vu mourir. La vagabonde.
Le jardin des supplices.
... on en trouve d'autres, comme celle-ci :
Quinze ans plus tard, en 1913, alors que Proust publie
Antoine reconnat prsent la tte ple sous ses cheveux
la p r e m i r e p a r t i e d e Du ct de chez Swann, p a r a t Dingo,
blonds, tout gris de boue sche. Ces cheveux qui ont chang
qui montre un Mirbeau prclinien : de couleur, cette souillure qui a l'air d'un vieillissement sou-
dain... Antoine clate en sanglots presss qui lui font mal
Quant la galette... bonsoir !... Jamais de galette !... J'ai mourir...
demand un secours en argent... Oh! l l!... monsieur, je
L'ingnue libertine.
leur aurais dit: M...! sauf votre respect, qu'ils ne
m'auraient pas plus mal reu... Ah! ils m'embtent... Vous
savez... je leur dirai... : M... ! , oui, oui, je leur dirai... ... o il ne s'agit plus d'hsitation ni d'garement. Sans
Tout de mme !... doute le got du vague et de l'ineffable qu'on
nomme aujourd'hui non-dit, et qui semble propre la
Mais, la diffrence de Cline, Mirbeau limite ce style littrature fminine est-il pour quelque chose dans
la parole. Le rcit lui-mme est ponctu normalement. la prsence obstine de ce signe l'intrieur des para-
graphes; mais il est remarquable, par exemple, que
On sait aussi et Cline le confirme dans les Entretiens presque tous les p a r a g r a p h e s n a r r a t i f s des Claudine, ou d e
romans comme celui qui vient d'tre cit, s'achvent sur
8. Raymond Queneau, in Btons, chiffres et lettres.
9. De toute vidence, Mirbeau n'a pas la conscience rythmique d e 10. O n dit aussi qu'il les doit Labiche, qui en faisait grand usage
Cline; il met t r o p de majuscules... dans son thtre, et Scribe...
407
406 Les signes Les points de suspension
des points de suspension (c'est le cas de celui-l). Voici, regarder plus loin. On retrouve mais par quel dtour!
titre d'exemple, la fin de quelques paragraphes extraits de les impressionnistes et le Seurat cher Cline: Il
Claudine s'en va : mettait des trois points partout ; il trouvait que a arait,
a faisait voltiger sa peinture. Il avait raison, cet
[...] des maris de quinze jours, qui n'attiraient pas homme 1 -.
l'attention...
[...] et moi je reste les mains vides et pendantes... 28. Emplacement exact. Les points de suspension
Peut-tre est-ce moi qui vois tout amer ?... restent leur place logique ; lorsqu'ils abrgent une nu-
mration, par exemple, ils prcdent toute autre ponctua-
[...] la jupe, aux manches qui s'ouvrent ensuite en tion (virgule, point d'interrogation, point d'exclamation,
ailes... guillemet, parenthse, etc.), car cette nouvelle ponctua-
tion aurait suivi rmunration :
(La suite est un dialogue.) Bien entendu, le passage a t
choisi pour les besoins de la dmonstration. Nanmoins, Aprs tout, il avait t comte de l'Empire, pensionn
la manire de Colette est suffisamment constante pour l'ge o les autres courent les filles, conseiller d'Etat..., c'est
qu'on n'ait pas chercher beaucoup... Ce style procde vrai, mon chri, que vous tes si srieux !
d'un systme narratif deux termes: crire des para- Louis Aragon,
graphes courts, prcis et qui respectent peu prs la rgle La semaine sainte.
des trois units" ; finir un paragraphe sur un flou capable
de mnager silence et douceur la charnire qui le lie au Si la phrase n'a pas t vritablement abrge par les
suivant. Dans Colette, les trois points sont des passe- points de suspension, et s'ils ajoutent une nouvelle ide
relles, des fondus enchans. Principe moral autant que (qui n'est pas venue), il faut alors les placer aprs le signe
technique: un romancier comme Georges Simenon, qui de ponctuation :
compose en paragraphes aussi brefs, prfre une juxtapo-
sition plus sche. 11 est sans indulgence. Colette montre au S'il tenait la plume pour prescrire ma conduite, qu'est-ce
contraire quelque complaisance l'gard de soi-mme qu'il crirait ?...
(son regard s'attarde sur ce qu'elle vient d'crire, le quitte
Stendhal,
regret), et quelque piti vis--vis de ses personnages. Elle Le rouge et le noir.
les laisse reprendre leur souffle, entrer en eux-mmes, ou
Car elle est termine avant d'tre suspendue, en
quelque sorte. Ou du moins est-ce le sens qui appelle la
11. Auxquelles il faudrait ajouter, en l'occurrence, l'unit d e ton. 12. Louis-Ferdinand Cline vous parle.
426 Les signes
Voyez-vous, M. Gricault...
Il passe du tu au vous, et inversement, avec une dextrit L ' A S T R I S Q U E ET A U T R E S S I G N E S
dconcertante.
... que vous ayez pris l'habit rouge, je ne vous le
reproche pas, moi. Dans ce chapitre sont groups tous les signes secon-
Louis Aragon, op. cit. daires, dont l'emploi ne relve pas forcment de ce qu'il
est convenu (mais par qui?) d'appeler la ponctuation:
C'est dans la rplique qu'on a gliss un commentaire; il astrisque, barre oblique et appels de note.
est donc logique de retrouver les points de suspension
l'intrieur des guillemets (quand on la quitte et quand on
la retrouve).
L'ASTRISQUE
propre qu'on ne veut pas faire connatre, sinon parfois voyage, qu'il appellera une ambassade, il reoit ce cordon
de * * *, sans lequel il ne peut vivre.
par la simple initiale.
Stendhal,
1. L'astrisque appel de note. Lorsqu'on veut appeler La chartreuse de Parme.
une note dans un texte, et qu'on prfre viter le recours
Lorsque l'astrisque masque un nom propre, les lin-
aux chiffres, on place un astrisque en haut droite du
guistes le nomment astronyme . Il tait frquent, en
mot qui appelle la note (avant toute autre ponctuation).
temps de censure, de signer ainsi ses crits d'une initiale
En bas de page, l'astrisque est rappel, et suivi du texte
suivie d'un astrisque. Habituel aussi de le faire lorsqu'il
de la note. Pour l'appel suivant, on place deux astrisques,
tait indcent d'crire des livres qu'on ait donn
puis trois, etc.
dans le rouge ou le noir...
Ce systme l'avantage d'tre lgant ; mais il interdit
un trop grand nombre de notes dans la mme page. En
revanche, il permet de croiser deux genres d'appels de 3. L'astrisque comme marqueur (1/2). L'astrisque est
note diffrents: les chiffres, rservs l'diteur (avec parfois employ dans les dictionnaires ou lexiques pour
notes en fin de chapitre ou de volume), et les astrisques indiquer qu'une h initiale est aspire. On le note alors en
l'auteur (en bas de page). tte du mot :
2. L'astrisque comme masque. L'astrisque, comme le *HALEUR n.m. Celui qui haie un bateau.
point ou les points de suspension, est employ comme Petit Larousse.
masque. Lorsqu'on ne veut pas donner en entier un nom
propre (nom de personne, de lieu...), on note l'initiale
suivie d'un (ou de plusieurs) astrisque(s)1 : 4. L'astrisque comme marqueur (2/2). Il est employ,
Les soupons qu'il avait sur ses absences se fortifiaient. dans ces mmes ouvrages, pour signifier qu'une entre est
Elle passait pour avoir t autrefois la matresse de B***, le rserve au mot ainsi marqu.
grand physiologiste. Qui sait si elle ne le revoyait pas, bien
qu'il et pass la cinquantaine ?
5. L'astrisque en philologie. Dans les ouvrages de lin-
Julien Benda, La croix de roses.
guistique, de philologie ou de phontique, les mots mar-
On peut aussi se passer de toute initiale : qus d'un astrisque n'ont pas une existence atteste (dans
aucun texte). En s'appuyant sur des rgles de phontique,
Le prince envoie Sanseverina la cour de ***, il vous le spcialiste suppose qu'ils ont jamais t employs sous
pouse le jour de son dpart, et la seconde anne de son cette forme; ce cas est frquent pour la langue vulgaire
(non crite) :
1. Un usage voudrait, parat-il, qu'on emploie autant d'astrisques
q u e le n o m a d e syllabes. Mais cela n'est pas trs courant, ni trs logique :
ou bien l'on veut cacher u n n o m et on le cache , ou bien on le Le verbe germ. *stoppn arrter a t longtemps consi-
d o n n e en clair... dr comme un empr. au lat. *stuppare ; c'est p.-. un mot
430
428 Les signes L'astrisque et autres signes
purement germ. dont le sens 1 er serait piquer, d'o faire 9. La barre est un interrupteur. Elle peut tre sem-
des points [...]. blable un interrupteur; et il n'est pas tonnant qu'on
Jacqueline Picoche, l'emploie dans le jargon lectrique. On dit par exemple:
Dictionnaire tymologique
du franais. Dans/hors (traduction de in/out)
Oui/non
Entre/sortie
Un astrisque peut aussi signaler une lacune dans le
0/1 (traduction internationale de on/off)
texte original.
Cela signifie que les deux termes sont opposs et exclu-
6. L'astrisque dans la mise en page. L'astrisque peut sifs. On dit aussi, par exemple, dans les milieux barth-
servir, seul ou group par trois, sparer deux para- siens:
graphes. On le(s) place au milieu de la page.
Dnotation/connotation
7. Il peut marquer les paragraphes, la manire du 10. La barre indique un choix. On trouve la barre
tiret. oblique place entre deux termes qui ne sont pas pro-
prement parler opposs, mais entre lesquels il faut
8. Il peut enfin indiquer la tomaison d'un livre. choisir. Ce sont des frres ennemis. C'est ainsi qu'on
parle, en phontique, de doublets: ce sont des mots d'ori-
On voit que l'astrisque a l'esprit souple, qu'il peut gine commune, mais que la prononciation et l'ortho-
s'adapter sans rechigner aux besoins de chacun. Une graphe ont diviss ; les deux mots d'un doublet sont la
dition des uvres de Chamfort ralise par Arsne fois identiques et diffrents 2 :
Houssaye en plein xix e sicle rigoriste emploie trois
Le mot *credentia a donn le doublet croyance/crance.
astrisques en triangle pour annoncer chaque maxime,
chaque portrait. C'est trs joli: On trouve une foule de pareils couples dans Barthes
qui, parlant de lui-mme, crit:
*** Ce que j'ai appris, je ne le sais plus. Le peu que je sais
encore, je l'ai devin. Les mots prfrs qu'il emploie sont souvent groups par
opposition ; des deux mots du couple, il est pour l'un, il est
contre l'autre : production/produit, structuration/structure,
romanesque/roman, systmatique/systme, potique/posie,
LA B A R R E OBLIQUE
ajour/arien, copie/analogie, plagiat/pastiche, figuration/
reprsentation, appropriation/proprit, nonciation/
La barre oblique est d'un usage assez restreint. On
s'en sert pour relier troitement deux termes, opposs ou 2. En gnral, l'un a p p a r t i e n t au langage p o p u l a i r e , l'autre au langage
non. savant.
432 Les signes
L'astrisque et autres signes 433
nonc, bruissement/bruit, maquette/plan, subversion/
ment, S/Z, et qui concerne un texte de Balzac, Sarrasine.
contestation, intertexte/contexte, rotisation/rotique, etc.
Il y crit :
Roland Barthes, SarraSine : conformment aux habitudes de l'onomas-
Roland Barthes
tique franaise, on attendait SarraZine : passant au patro-
par Roland Barthes.
nyme du sujet, le Z est donc tomb dans quelque trappe.
L'homosexualit, pratique transgressive, reproduit alors O r Z est la lettre de la mutilation [...]. Sarrasine contemple
immdiatement en elle... le paradigme le plus pur qu'on en Zambinella sa propre castration. Aussi la barre (/) qui
puisse imaginer, celui de V actif/passif, du possdant/pos- oppose le S de SarraSine et le Z de Zambinella a-t-elle
sd, du niqueur/niqu, du tapeur/tap... une fonction panique : c'est la barre de censure, la surface
Ibid. spculaire, le mur de l'hallucination, le tranchant de
l'antithse, l'abstraction de la limite, l'oblicit du signi-
fiant, l'index du paradigme, donc du sens.
11. La barre rapproche (1/2). La barre oblique peut
Qu'ajouter cela?
aussi agglutiner deux mots diffrents dont elle fait un mot
nouveau, en quelque sorte, les joignant dans un ensemble
commun. Par exemple, lorsque deux agences de photogra- 13. Dans et/ou . La barre oblique a obtenu ses lettres
phies partagent les droits d'un clich, on le crdite de noblesse avec le rapprochement des mots et et ou ,
ainsi : dans la conjonction d'invention rcente et/ou . La barre
oblique est fort utile pour exprimer la fois l'alternative
et la conjonction. En termes de logique, on dirait que la
Camra Press/Ima Press
proposition l'un ou l'autre est vraie, vrai aussi l'un
et l'autre. (Ilfaut ici faire intervenir encore Roland
De mme, lorsque deux institutions ont group leurs
Barthes, qui sait de quoi il parle : Dans le rcit (et cela en
forces financires ou intellectuelles, on en joint les noms est peut-tre une dfinition), le symbolique et l'opra-
par une barre oblique : toire sont indcidables, soumis au rgime du et/ou3. )
I.N.A./G.R.M.
Nous pourrions dire, par exemple, afin de ne pas
retomber dans Barthes, sans trop nous en loigner,
nanmoins:
12. La barre rapproche (2/2). On peut imaginer de
rapprocher ainsi toute sorte de termes : J'aime et/ou je dsire.
troisime, compose des deux. La barre oblique est un Mais rien ne s'oppose, puisque la barre oblique tient
signe ambigu, pour ne pas dire sournois, donc prcieux. lieu, dans un contexte littraire, de barre de fraction, ce
qu'on indique la partie d'un tout en notant, par
14. La barre pour l'alina. On emploie la barre oblique exemple, 3/5.
pour marquer le passage d'un vers l'autre lorsqu'on note De mme, on peut imaginer qu'on pagine un document
de la posie au long (vers rims ou non) ; dans ce cas, on en plaant le nombre total de pages au dnominateur, et
respecte la position de la majuscule initiale du vers : la page dsigne au numrateur. Ainsi le feuillet marqu
4/7 est le quatrime d'un document qui en compte sept.
Je sais bien que la vrit verte que Ponge cherchait Et de mme pour tout ce qui se compte...
susciter sur la page ne s'encombrait pas d'invisible, qu'elle
se serait mme plutt dresse, parfois avec colre, contre
l'invisible : laurier de Malherbe (Apollon portes ouvertes L'APPEL DE NOTE
/ Laisse indiffremment cueillir / Les belles feuilles toujours
vertes / Qui gardent les noms de vieillir : comme Ponge
17. Les quatre appels de note. On ne sait trop si l'appel
aimait rpter ces vers, avec quel lumineux enthousiasme il
les scandait, m'incitant presque, alors, lui donner raison de note est un signe de ponctuation ; nous faisons comme
dans ses prfrences ! et comme j'aime me le rappeler dans si cela tait tabli.
ces moments-l!), laurier de Malherbe donc ou pr ter- Il y a quatre genres d'appels de note :
restre du Chambon, non ce laurier de Rilke un peu plus l'astrisque (dont nous venons de parler) ;
sombre que tout / autre vert, avec ces petites vagues chaque l'exposant (c'est--dire un nombre compos en petits
/ ourlet de feuille (comme sourire de vent)... caractres, et plac en haut droite 1 de la dernire lettre
Philippe Jaccotet, du mot) :
Nmes, 10 aot 1988.
Appel de note 5 ;
15. La barre entre points de suspension. On met une
barre oblique pour sparer les deux sries de points de l'exposant entre parenthses :
suspension qu'on place parfois en bas et droite d'une
lettre pour indiquer qu'il faut tourner la page : Appel de note (fi) ;
16. Emplois divers de la barre. On ne met pas de barre Appel de note (7).
oblique :
pour remplacer sur et sous dans les noms de
4. Jadis o n le plaait avant le m o t c o m m e n t .
villes ; 5. Note.
pour sparer, dans une date, le jour du mois, le mois 6. Note.
de l'anne (on lui prfrera le point). 7. Note.
436 Les signes
Conventions typographiques
Etymologie: de a linea, formule de dicte qui signi-
18. Espace (astrisque)? L'astrisque, semble-t-il, est fiait: de (cette) ligne ( la suivante); de paragraphos
directement coll au mot qu'il commente (ou que la note ( crit ct )
appele va commenter), sans espace. En revanche, il est
spar par une espace du premier mot de la note. Dfinitions
Mais aucune de ces deux conventions n'est constamment A. Alina
respecte. Dolet ne le mentionne pas.
Furetire n'a pas consacr d'entre ce signe. Dans
19. Espace (barre oblique) ? La barre oblique n'est pr- son dictionnaire, ce que l'on composerait aujourd'hui en
cde ni suivie d' aucune espace, sauf lorsqu'elle sert mnageant un alina est compos, au contraire, de
sparer des vers dans un texte o ils sont crits au long. manire dpasser la justification de gauche'. Ainsi,
Le cas chant, elle est prcde et suivie d' une espace chaque entre excde la colonne de trois cadratins 2 .
forte .
Littr: 1. Loc. adv. A la ligne. En dictant, on disait
autrefois alina pour indiquer qu'il faut quitter la ligne
20. Espace (appel de note en chiffre) ? L'appel de note
pour en commencer une autre. En ce sens, l'Acadmie
en exposant obit aux conventions rgissant l'emploi de
aurait d crire a lina. 2. S.m. Ligne nouvelle dont le pre-
l'astrisque avec aussi peu de constance. Lorsque le
mier mot rentre sur les autres lignes. [...] 3. Par extension,
chiffre est not entre parenthses, les conventions sont
celles de la parenthse.
1. O n trouve e n c o r e f r q u e m m e n t cette prsentation.
2. Un cadratin est en i m p r i m e r i e u n e pice d e mtal d e la largeur d e
deux chiffres (Littr), grce laquelle o n fait u n blanc, on complte u n e
ligne. En i m p r i m e r i e m o d e r n e , d'o le p l o m b est exclu, le cadratin est
devenu par m t o n y m i e l'unit d e mesure d e blanc.
438 Les signes L'alina (et le paragraphe) 439
passage compris entre deux alina. [...] R[emarque]. L'Aca- 3. A la ligne? Alina. On fait un rentr d'alina
dmie crit des alina. Mais il serait mieux qu'elle fit ren- chaque retour la ligne. Dans un dialogue, chaque chan-
trer ce mot dans la rgle commune, et qu'elle dt des ali- gement d'interlocuteur. Dans une numration, chaque
nas, comme elle dit des sophas, des opras. item.
Grevisse : L'alina marque un repos plus long que le
point. C'est une sparation qu'on tablit entre une phrase 4. Alina et paragraphe (1/2). Chaque paragraphe
et les phrases prcdentes, en la faisant commencer un commence par un alina ; mais un alina ne doit pas tre
peu en retrait la ligne suivante, aprs un petit intervalle confondu avec u n paragraphe. Dans le premier, on se con-
laiss en blanc. tente de revenir la ligne et de rentrer le dbut de la
L'alina s'emploie quand on passe d'un groupe suivante. Alors que pour sparer deux paragraphes on
d'ides un autre groupe d'ides. doit de surcrot mnager un espace libre (d'une demi-
ligne ou d'une ligne).
B. Paragraphe
Dolet ne le mentionne pas. 5. Sparer les paragraphes. Pour marquer plus claire-
Furetire: Terme de Jurisconsulte. C'est une section ment encore la distinction des paragraphes, on place
ou division qui se fait des textes des loix, ce qui s'apelle ail- souvent un astrisque, ou trois astrisques en triangle, un
leurs un article. [...] La marque de paragraphe cit est faite cul-de-lampe, ou d'autres signes ayant mme fonction.
ainsi . Les Grecs se servoient aussi de paragraphes, pour
marquer les couplets, ou strophes, ou autres divisions des
Odes & des Ouvrages Potiques. 6. L'alina et le paragraphe (2/2): emploi, subtilits.
Distinguer un alina d'un paragraphe n'est pas chose
Littr : 1. Petite section d'un discours, d'un chapitre. simple. Si l'on s'en tient la dfinition de Grevisse, le
[...] 2. Parmi les jurisconsultes, partie d'une loi, d'un cha- passage d'un groupe d'ides un autre justifie l'alina, la
pitre ou d'un titre. 3. Terme d'imprimerie. Le signe . cellule rhtorique dont parle Grard Genette 3 . Il fau-
Grevisse n'a pas index le mot. drait donc changer de sujet pour passer d'un paragraphe
1. L'alina est un rentr. L'alina marque le dbut d'un l'autre. Dans la pratique, cette distinction n'est pas tou-
jours suffisante.
livre, d'un chapitre, d'un paragraphe, par un rentr de
quelques cadratins. Le nombre de cadratins varie suivant L'alina est souvent employ alors qu'on reste dans le
les diteurs. mme groupe d'ides, et remplace alors un simple
point. L'effet obtenu est une srie de chutes fort th-
2. L'alina est compris entre deux alinas. Par mto- trales :
nymie, on dsigne par alina la partie de texte comprise
entre deux alinas. Au milieu de cette viscosit [,] il y avait deux yeux qui
N.B. Faute de rentr , il est parfois (quand une phrase regardaient.
se termine en bout de ligne) impossible de distinguer un
alina du suivant. Le rentr est donc indispensable. 3. In Figures II.
438 440
Les signes L'alina (et le paragraphe)
Ces yeux voyaient Gilliatt. l'extase, de Pierre Janet, et Un pont sur la rivire Kwa, de
Gilliat reconnut la pieuvre. Pierre Boulle
acheter de l'Edam tuv pour Polonius [le hamster]
Victor Hugo,
et ne pas oublier de l'amener une fois par semaine chez
Les travailleurs de la mer.
Monsieur Lefvre pour sa leon de dominos
vrifier chaque jour que les Pizzicagnoli n'ont pas
Il n e faut pas i m p u t e r cette p r a t i q u e au seul r o m a n - cass la grappe de verre souffl du vestibule.
tisme d e Victor H u g o . D ' a u t r e s e n f o n t a u t a n t , qui n e
Georges Perec,
p e u v e n t tre s o u p o n n s d ' a p p a r t e n i r cette cole.
La vie mode d'emploi.
Valry, p a r e x e m p l e :
Peu peu, les chefs d'accusation se prcisrent... Ils n'ont Perec, d a n s Espces d'espaces, j o u e m m e sur la l o n g u e u r
pas vari depuis cinquante ans. Ils sont toujours les mmes : d e s alinas. Il p e u t ainsi les r a n g e r : p a r o r d r e dcroissant
ils sont trois. Ceux qui les noncent ne sont pas trop inven- d e taille, croissant d ' i m p o r t a n c e . Voici c o m m e n t se ter-
tifs. Enumcrons donc ces trois ttes du Cerbre moyen, et m i n e l'inventaire des verbes q u ' o n trouve a u p a r a g r a p h e
donnons-lui la parole : Dmnager:
L'une des bouches nous dit : Obscurit ;
L'autre : Prciosit ;
Dbrancher dtacher couper tirer dmonter plier couper
Et la troisime dit : Strilit.
Rouler
Telle est la devise inscrite au front du temple symboliste.
Empaqueter emballer sangler nouer empiler rassembler
Que rpond le Symbolisme ? Il a deux manires d'exter- entasser ficeler envelopper protger recouvrir entourer
miner le dragon. La premire consiste se taire [.,.]. serrer
Varit. Enlever porter soulever
Balayer
(Noter le point-virgule--la-ligne-majuscule .) Fermer
Partir
... ou, m i e u x e n c o r e , d a n s u n e simple n u m r a t i o n ;
M i e u x e n c o r e , la f i n d e l'inventaire E m m n a g e r :
[...] elle relit la srie d'instructions qu'elle laisse Jane
Sutton :
faire faire une livraison de coca-cola vrifier humecter tamponner vider concasser esquisser
changer tous les deux jours l'eau des fleurs, y ajouter expliquer hausser les paules emmancher diviser marcher de
chaque fois un demi cachet d'aspirine, les jeter quand elles long en large faire tendre minuter juxtaposer rapprocher
seront fanes assortir blanchir laquer reboucher isoler jauger pingler
faire nettoyer le grand lustre de cristal (appeler la ranger badigeonner accrocher recommencer intercaler taler
maison Salmon) laver chercher entrer souffler
rapporter la bibliothque municipale les livres qui s'installer
auraient d tre rendus depuis dj quinze jours, en particu- habiter
lier les Lettres d'amour de Clara Schumann, De l'angoisse vivre
438 442
Les signes L'alina (et le paragraphe)
On aura compris que l'alina est la marque de l'num- Mais on trouve, dans tous les livres, des paragraphes qui
ration: numration de rpliques, d'ides, de faits, de s'enchanent comme auraient fait des alinas :
traits, etc. L'alina est au chapitre ce que le point-virgule
est la phrase. Les alinas sont rangs sous une mme Je me disais que ce n'est point l'uvre faite et ses appa-
rubrique, ils sont galit, et relis les uns aux autres par rences ou ses effets dans le monde qui peuvent nous accom-
leur commune prsentation typographique. plir et nous difier, mais seulement la manire dont nous
l'avons faite. L'art et la peine nous augmentent; mais la
Tandis que le paragraphe est au chapitre ce que le point Muse ou la chance ne nous font que prendre et quitter.
est la phrase. Il signifie : quelque chose vient de se ter-
Par l, je donnais la volont et au calcul de l'agent une
miner. Une autre commence. Songeons aux couplets des
importance que je retirais l'ouvrage. Ce qui ne veut pas
chansons, aux strophes des pomes 4 , aux articles de lois. dire que je consentais qu'on ngliget celui-ci, mais bien le
En voici un exemple simple (restons dans Valry, qui com contraire.
bine le paragraphe et l'alina) :
Cette pense atroce, et fort dangereuse pour les Lettres
Il fallait tre Newton pour apercevoir que la lune tombe,
(mais sur laquelle je n'ai jamais vari), s'unisssait et s'oppo-
quand tout le monde voit bien qu'elle ne tombe pas.
sait curieusement mon admiration pour un homme [Mal-
* larm] qui n'allait, en suivant la sienne, rien de moins qu'
diviniser la chose crite.
La gloire consiste devenir un thme, ou un nom Paul Valry, Varit.
commun, ou une pithte...
*
On voit que le deuxime paragraphe dcoule natu-
rellement du premier, et que le troisime est iptime-
L'un compte sur la promptitude des dgagements et des ment rattach au deuxime Pourtant, Valry passe une
substitutions libres de son esprit. ligne.
L'autre, sur la puissance de conservation travers les Inversement, des simples retours la ligne paraissent
transformations successives. souvent faibles o un changement de paragraphe ne mes-
L'un se dfend par ses variations; l'autre par ses perma- sirait pas.
nences.
Il faut l'admettre la frontire entre les deux est mou-
Mlange. vante, floue ; et c'est trs bien ainsi.
On peut tout imaginer, en matire de oaragraphe. Par
Il en va de la prose romanesque ou philosophique (de exemple
toute prose cursive) comme des aphorismes : on change de
paragraphe quand quelque chose s'est termin. d'isoler sur une ligne
4. Couplets et strophes commencent au fer gauche (sans ce qu'on voudrait mettre en valeur. On retrouve alors une
rentr). des fonctions du b l a n c distinguer aux deux sens du
444 Les signes
Le voyageur
On jette un regard perdu par la fentre d'une chambre
d'htel :
Le royaume de N'importe quoi est habit par le peuple de
N'importe qui
dit l'me...
Paul Valry,
Tel quel.
(Proraison)
Conventions typographiques
A l'heure o, en quelque sorte, l'Europe est aux portes
7. Graphie des titres. Il a t question plus haut de ces de la France, il y a l'on ne sait quoi de drisoire consa-
conventions. crer plusieurs centaines de pages la ponctuation fran-
Profitons de l'occasion qui nous est offerte pour ajouter aise. La vie sociale tout entire, de l'industrie la bande
que les titres et sous-titres doivent tre imprims suivant dessine, est conditionne par des exigences de plurilin-
certaines rgles. Bernard Dupriez 5 l'nonce ainsi: Le guisme; la langue informatique une sorte d'amricain
titre, compos en capitales, appartient au chapitre, tandis de bazar est en passe d'tre la seule qu'on sache crire
que le titre de paragraphe (ou sous-titre, intertitre) se com- et lire ; pourquoi discuter la lgitimit d'un point-virgule,
pose en bas de casse [minuscules], comme une phrase ou l'emplacement d'un guillemet fermant?
mise en vidence et non comme une inscription affiche. Je ne sais pas.
Quand le sous-titre est un titre secondaire plac sous le Quelque chose de vague, qui tiendrait la fois de la
titre, sa prsentation est la mme que celle du titre (avec force souterraine et de la tendance inavoue, pousse
des caractres plus petits ou distincts). l'amateur se colleter de plus en plus intimement avec sa
propre technique pensant y trouver sinon le salut, du
moins un sursis. Comme Francis Ponge, en quelque
manire contraint par le Pass de fausser compagnie
l'me pour mieux exalter la chose, d'extraire ses racines
hors la tourbe psychologique pour les plonger plus pro-
fondment encore dans le limon fondateur de Malherbe,
la mutation qui nous est impose nous force combattre
notre ange tutlaire, non pour l'occire, mais au contraire
5. In Gradus (voir la Bibliographie).
pour en prouver la force et l'endurcir nous le mettons
446 (Proraison) (Proraison) 447
l'preuve, nous lui regardons sous les ailes. Notre ange, la Ces livres-l donnent leur existence aux autres livres.
langue. Sans eux, l'crit meurt.
Pour les aimer mieux, nous voulons savoir comment Contre l'esthtisme ou l'indiffrence, levons des bar-
marchent ces choses, et comment il faut les faire marcher. rires de technique. Contre l'obscurantisme et la supersti-
Puisque la langue franaise dans ce qu'elle a de tion, dressons des autels la virtuosit. A la gratuit gn-
magique et de mystrieux est en train de s'teindre rale opposons la chert absolue. Soyons exacts jusqu' la
comme une lampe huile au petit matin; puisqu'on douleur.
ddaigne ce qu'il est urgent de dfendre, sauf se placer
sous le feu roulant de Rimbaud et d'Aragon, c'est--dire *
Dubois, Giacomo, Guespin, Marcellesi et Mvel, Dictionnaire de Larive et Fleury, Dictionnaire franais illustr des mots et des
linguistique, Larousse, 1973. choses, Houssiaux, 1908.
Bernard Dupriez, Gradus, dictionnaire des procds littraires, Pierre Larousse, Grammaire suprieure (troisime anne),
Larousse, 1880.
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Ren Etiemble, L'criture, Gallimard, 1973. Pierre Larousse, Grand dictionnaire universel du xix' sicle, vol.
12, Administration du grand dictionnaire universel, 1874.
Lon-Paul Fargue et Valry Larbaud, Correspondance (1910-
1946), dite par Th. Alajouanine, Gallimard, 1971. Thotiste Lefvre, Guide pratique du compositeur d'imprimerie,
Firmin Didot Frres, 1855.
Fdration C.G.C. de la communication (syndicat des correc-
teurs), Code typographique, seizime d., Paris, 1989. Paul-Emile Littr, Dictionnaire de la langue franaise, 1877, rd.
Encyclopaedia Britannica Inc., 1978.
Michel Foucault, Raymond Roussel, Gallimard, 1963.
Jean Mazaleyrat et Georges Molini, Vocabulaire de la stylistique,
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tous les mots franais tant vieux que modernes, & les Termes de
toutes les sciences & des arts, La Haye et Rotterdam, 1690, rd. Henri Morier, Dictionnaire de potique et de rhtorique, P.U.F.
S.N.L.-Le Robert, Paris, 1978. 1961.
452 Bibliographie
si bien qje (avant ) : 43 dvelop. du dernier su)., conventions typographiques numro d'ordre (aprs un ) :
signes (avec d'autres de ponc sujet et verbe (entre ) : 54, 92 25 (parenth. dans 'a pa (a) note ( 1) 2) 3)), 18
tuation) : 86 (disparition de l et 102 (inverss) renth.), 26 (parenth. ou cro- ((78))
virgule au profit d'autres ), tandis que (avant ),: 42 N.B. chet?), 27 (espace?), 28 parabase (dans la ) : 6
136 et 140 (le deux-points) tant et si bien que (avant ) : (corps?) parenthse dans la paren-
sinon (avant ou aprs ) : 31 43 tochet (parenth. dans la thse : (c) (dans Roussel), 25
soit... soit... : 27 tantt... tantt (avec ) : 27 parenth. ) : 26 (conventions typo.), 25 et 26
(soit) que... ou (non)... : 27 bis tant que (avant ) : 42, 60 dates (encadrant des ) : 13 et 17 (crochets ?)
60 (incidente explic.) (incidente explic.) discours dans le discours : 8 phrase (entire entre parenth.) :
subordonne: voir les relatives, t ! : voir les interjections (Proust), 9 (dcrochement) 23
les incidentes, qui , que , tel que (avant ) : 36 discours direct (dans le ) : 9 et ponctuation (ses rapports avec
dont , etc., 96 ( circons- tiret (avec un ) : voir ch. 6: 8 10 les autres signes de ) : 13a
tancielle antpose), 97 ei et 9. explication (comme ) : 1, voir ( l'intrieur de la parenth.),
112 ( participiale an t verbes (entre plusieurs ) aussi les informations 13b (finale), 23 (finale, dans
pose ou postpose), 98 1 (sans conj.), 14 ( l'inf., explication (indpendante de la une phrase complte), 15
( explic. antpose), 113 sans conj.), 17 (avec conj.) phrase) : 2 (signes de ponct. entre
( explic. postpose), 118 verbe ellips (avant un ) : voir gnralits : (a) (c) parenth.), 15 (rapports avec
( courte, antpose), 119 les ellipses guillemet (quivalent un ) : 4 les signes de la phrase
( compltive antpose), verbe et sujet (entre ): 54, 92 informations diverses: 16 princip.), 25 et 26 (cro-
127 ( antpose et incise) et 102 (inverss) (indique une fonction, un chets?)
sujet (aprs la dernire pith. VIRGULE : Il (son rle dans rle, etc.), 17 (toute autre rcit (son rle dans le -): 7
du ): 12 (sans conj.), 17 la langue franaise), 12 (sa ), 21 (pour marquer la (Proust)
(avec conj.) quadruple fonction), 13 (son reprise d'un texte inter- rgie (indication de ) : 11
sujets (entre ou aprs plusieurs triple emploi), 140 (son rompu), 24 ( mot code) rle (son) : (a)
) : 7 (sans conj.), 7 bis (cas destin) isolation (comme marque de Roussel (Raymond) : (c)
particuliers : progression, vocatif (avant ou aprs un ) : l' ) : 2 signes (ses rapports avec les
regroupement, etc.), 8 (suj. 55, 94 (antpos), 125 (plu- majuscule ou minuscule ? (au autres de ponct.): voir
rels d'un v. imperson.), sieurs voc. antposs), 107 dbut de la parenth. ) : 23 ponctuation
20 (entre le dernier d'une (postpos) nombres (en lettres, non en syntaxe (perturbation de la ):
srie, avec conj. finale), 21 voil (avant ) : voir les inter- chiffres) : 20 5
(comme 20, mais avec jections notes : voir appels de note traduction (dans la ): 12
CHAPITRE 3 : LA PARENTHESE (p. 256)
(Les lettres entre parenthses renvoient aux paragraphes CHAPITRE 4 : LES CROCHETS (ET LES CHEVRONS) (p. 278)
en tte de chapitre)
alternative (indiquant une ) : Caillois (Roger) : (b) Les chevrons Les crochets
22 commentaire (comme marque crochets (rapports avec les ) : auteur ( d ' - ) : 14, 18(/...;), 19
antpose : (a) note d'un ) : 3 1 N.B. (avec sic)
appels de note : 18 confidence au lecteur (comme emploi (leur ) : 1 citation (dans une ) : 6, 18
auteur (avec un nom d' ) : 13b - ) : 6 et 9 ([...]), 19 (avec sic)
454 460
Index Index
commentaire d'diteur (pour 11 ( c o m m e p a r e n t h s e du
direct (discours ) : voir le dis- orchestres (aux noms d' ) : 23
le -):2, 18 ([...]) s e c o n d d e g r ) , 18 ([])
cours paragraphe (d chaque ) : 27
conventions typographiques : rfrence bibliographique discours (son rle dans le ) : 1 ponctuation finale (avec la ) :
17 ( c o r p s , c a r a c t r e ) , 18 (dif- (crochets de ) : 7 ( e m p l o i
(annonce le direct), 1 18 (point final), 19 (incises
f r e n c e d ' a v e c les p a r e n - normal), 8 (de restitution
N.B. ( direct sans guil- de narration), 20 (point d'in-
thses), 19 (avec sic) d'une information bibl.
lemet), 1 et 3 ( l'intrieur terrog. ou d'excl.), 21 (points
correction, explication (pour manquante)
du direct), 7 ( indirect de susp.), 22 (proposition
la-): 3 rgie (de ) : 15 guillemet), 8 ( intrieur pour une cohrente)
doubles (crochets , rpts, restitution (d'information man- et silencieux) possessif (combin avec le ) :
cte cte) : 5 quante) : 9 ( e n g n r a l ) , 8 (en
deux-points (aprs le ) : voir 28
explication, correction (pour bibliographie), 10 (des
la citation, les conventions, la rfrence (de ) : 4 (patri-
V - ) : 3 titres), 18 ([])
ponct. finale, le discours, moine collectif), 5 (patri-
grammaticaux (crochets sic (avec ) : 19 etc. moine particulier)
dans une citation) : 6, 19 (avec signes (rapports des crochets
lision (avec une ) : 28 rpliques (aux de thtre):
sic ) avec les autres de ponct.) 4
final(e) : voir la ponct. finale 23
juridique (dans le style ) : 12 N . B . 2 , 7 N.B. ( p o n c t . f i n a l e ) ,
GUILLEMET: 1 (son rle en Sarraute (Nathalie) : 3 (ironie,
parenthse du second degr 11 ( c o m m e p a r e n t h s e d u
gnral) dans le discours direct)
(comme ) : 11 s e c o n d d e g r ) , 18 ([])
incises de narration : voir la signes : voir la ponct. finale
phontique (en ) : 13 suspension (points de entre
ponct. finale subordonnant (combin avec le
points de suspension (les crochets): 18 (diffrence
indirect (discours ): voir le ): 29
entre crochets): 4, 18 (entre d ' a v e c les p a r e n t h s e s ) , 20
discours tiret (compar au ) : 8 (irrup-
p a r e n t h s e s ) , 19 (avec sic ) ( e s p a c e ?)
ironie (d' ) : 3 (mais aussi dis- tion de guil. dans un
ponctuation (rapports des cro- typographie (en ): 16 (dans
tance en gnral) contexte de tirets), 13 (en
chets avec la gnrale) : 4 la c i t a t i o n d'un vers trop
lettres isoles (aux ) : 23 dbut de conversation), 14
N . B . 2 , 7 N.B. ( p o n c t . f i n a l e ) , long)
majuscule ou minuscule ? : 18 (en fin de rplique ou de
mot (cit comme mot) : 6 dialogue), 15 (signes de dia-
mots trangers (aux ) : 9 logue, dans un texte au
CHAPITRE 5 : LE G U I L L E M E T (p. 293)
note (dans les titres), 12 long), 16 (combinaison de
N.B. et de guil.)
alina (guil. chaque ) : 27 17 ( c i t a t i o n d a n s la cita-
noms (aux d'animaux, de titres (aux d'uvre) : 9 et 9
article (combin avec l' ) : t i o n ) , 9 et 9 n o t e ( t i t r e s
mdicaments, de stations de note
28 d ' u v r e ) , 1 3 16 (diff-
mtro, de gares, etc. ) : 23 titres (aux de journaux) : 10
citation (annonce d'une ) : 2 r e n c e s d ' a v e c l e tiret), 18
noms (aux de bateaux, de traduction (dans une ) : 12,
citation dans la citation : 5 22 (avec la p o n c t . f i n a l e ) ,
btiments, de lieux publics...): 23 (orig. sans guil.)
N . B . ( i r o n i e ) , 17 (rgles 24 (espace?), 25 (corps,
11 troupes de thtre (aux noms de
typo.), 2 7 (guil. chaque caractre), 26 (pour les
notes de musique (aux ) : ) : 23
alina) v e r s cits), 2 7 ( c h a q u e
23 vers (aux cits) : 26
citations (plusieurs la alina)
suite): 18c N.B. dmonstratif (combin avec le
conventions typographiques : - ) : 28
454 462
Index Index
conclusion (sa fonction de ) : parenthse (comme du affirmative (dans une phrase interrogation passagre : 3
7 second degr) : 17 ): 1, 10 (dans u n e majuscule ou minuscule ? : 3
contradiction (sa fonction ponctuation (.ses rapports avec interrog. indirecte) (interrog. passagre), 4
de - ) : 5 les autres signes de ) : voir cascade (d'interrogations) : 4, 5 (interrog. en cascade), 5
conventions typographiques : les signes (phrases trs rapproches) (cascade de phrases trs
15 (espace?), 16 (tiret ou renfort (sa fonction de -r- ) : 5 conventions typographiques : rapproches), 6 ( la r-
trait d'union?), 17 (comme rsum (sa fonction de ) : 7 12 (espace?), 13 (?:) ponse)
parenthse du second degr) sparation (sa fonction de ) : dialogue (dans un ) : 7 (signe mixte (phrase en partie affirma-
dates (entre deux ) : 16 5 isol, en guise de rplique) tive ou ngative, en partie
dialogue (dans un ) : voir le signes (rapports du tiret avec les doublement du signe : 8 interrogative) : 3, 9 (hirar-
guillemet ( 1 b 3) autres de ponct.): 8 doute (comme signe du ) : 11 chie des signes)
numration (dans une ) : 12 (ponct. gnrale de la ellipses (avec les ) : 2 ngative (dans une phrase ) :
(comme joker), 13 (comme phrase), 9 (entre deux exclamation (ajoute une 1
marqueur d'items), 13 N.B. tirets), 10 (concurrence avec interrogation) : 9 (hirarchie POINT D'INTERROGA-
(dans une : majuscule ou la virgule, le point final), 14 des signes) TION: 1, 3 (mmoire de
minuscule?) (pour marquer la fin, ou indirecte (dans une interroga- l'interrog.), 7 (isol, dans un
guillemet (tiret pour ) : 1b, 2 l'inachvement, la place tion ) : 10 dialogue)
(suivi d'une majuscule), 3 d'un point), 16 (par rapport interro-exclamative (phrase rponse ( une question) : 6
(pour le dialogue intrieur) au trait d'union), 17 (comme ) : 9 (hirarchie des (majuscule ou minuscule ?)
hyperbate (dans 1' ) : 6 p a r e n t h s e du s e c o n d signes), voir aussi le ch. 8 successives (phrases interroga-
incises (pour marquer des ) : degr) interrogation indirecte (dans tives ) : 4, 5 (phrases trs
4 TIRET: la (son rle), 5 (sa V ): 10 rapproches)
joker (le tiret comme ) : 11 fonction de sparation, de
(en remplacement d'un renfort), 7 (sa fonction de
terme courant), 12 (dans rsum, de conclusion), 14
u n e n u m r a t i o n , un (emplois particuliers ou CHAPITRE 8 : LE POINT D'EXCLAMATION (p. 350)
compte) aberrants, etc.)
majuscule ou minuscule ? (aprs trait d'union (ou tiret ?) : 16 apostrophe (aprs une ) : 7 signe), 15 (!.. ou /...), 4 (avec
le tiret)-. 2 ( dans le cas du virgule (tiret plus fort que la Cline (Louis-Ferdinand) : 11 l'interj., signe en fin de
tiret-guillemet), 13 N.B. ) : 4, 5 (fonction de spa- conventions typographiques : phrase?), 5 (aprs l'interj.,
(dans une numration) ration, de renfort), voir aussi 8 N.B. (concurrence avec la majuscule ou minuscule?),
opposition (sa fonction d' ) : 5 les autres signes (8 et 9) virg.), 9 et 10 (en concur- 6 (avec deux particules
r e n c e avec un p o i n t interj. d i f f r e n t e s ) , 8
d'interrog.), 13 et 17 (rap- (exclam, en milieu de
ports avec le guillemet, fer- phrase) et 19 (espace?)
mant), 14 (accol un autre cri (aprs un ) : 7
454 464
Index Index
deux-points (rapports avec le ponctuation (rapports avec les paragr. gnraux (2, 3, 5 et ponctuation (rapports du point-
) : 5 et 16 autres signes de ) : voir les 14) virgule avec les autres signes
doublement du signe : 18 signes ellipses (dans les ) : 11 de ) : voir les signes
Eh bien (dans ) : 6 POINT D'EXCLAMATION: numration ( la fin de chaque proposition principale (avant
exclamative (interrogation ) : 1, 7 (emplois divers: apos- item) : 16 une postpose) : 13 N.B. 2
9 et 10 trophes, injures, implora- et (avant ): 12, voir aussi les propositions incompltes (dans
guillemet (rapports avec le ): tion, etc.) paragr. gnraux (2,3,5 et 14) les ) : 6, 13 N.B. (avant la
13, 17 ( i n t e r d i c t i o n point d'interrogation (rapports liaison (fonction de ) : 4 (bons dernire de la srie), 13 N.B.
d'crire : !, ) avec le ): 9, 10 et 14 emplois), 5 (emplois fautifs) 2 (avant une principale post-
impratif (aprs un - ) : 7 point de suspension (rapports mais (avant ) : 13 pose)
imploration (aprs une ) : 7 avec le ): 14 et 15 majuscule ou minuscule ? : 16 propositions indpendantes
injure (aprs une ) : 7 signes (rapports avec d'autres mlodique (point-virgule ) : 5 (dans les ) : 7
interjections (avec les ) : 2, 3 de ponct.): 5 et 16 (en cas- paralllismes (dans les) : 10 rythme (son ) : 5
( rptes), 4 et 8 (en cade ou en concurrence (oppositions) srie (en ): 13 N.B. 1 et 2
milieu de phrase), 5 ( suivie avec un deux-points), 8 N.B. point (ses rapports avec le ) : signes (rapports du point-vir-
d'une minuscule ou d'une (en concurrence avec la vir- 3, 9, voir aussi les paragr. gule avec d'autres de
majuscule?), 6 (avec 2 dif- gule), 9 et 10 (en concur- gnraux (2, 3, 5 et 14) ponct.): 3 (le point), 8 (la vir-
frentes) r e n c e avec un p o i n t POINT-VIRGULE: 1 (sa gule), 8 (le deux-points), voir
interrogation exclamative : 9 et d'interrog.), 12 (entre rputation), 2 (sa fonction aussi les paragr. gnraux (2,
10 parenthses), 13 (rapports de liaison), 3 (exemples de 3, 5 et 14)
juron (aprs un, ) : 7 avec le guillemet fermant), bons emplois), 5 (emplois virgule (sa concurrence avec
majuscule ou minuscule ? : 5, 4 14 (accol un autre signe), fautifs), 14 (son histoire, son la ) : 8, voir aussi les
et 8 (exclam, en milieu de 15(/.. ou !...), 17 (interdic- destin), 13 N.B. I et 2 (en cas- paragr. gnraux (2, 3, 5
phrase), 6 (avec 2 interj. dif- tion d'crire: !,), 18 (dou- cade) et 14)
frentes) blement du signe)
milieu de phrase (plac en ) : suspension (avant des points de CHAPITRE I : L E D E U X - P O I N T
S (p. 3 8 7 )
4 et 8 ): 14 et 15
et oh : 6 N.B. virgule (plac en concurrence adjacente (dans l'assertion ) : c'est--dire (aprs ) : 18
ordre (aprs un ) : 7 avec la ): 8 N.B., 17 (inter- 13 cause (avant la ) : 12
parenthses (entre ): 12, voir diction d'crire: !,) savoir (aprs ) : 18 cause/consquence (l'une par
aussi les conv. typo. vocatif (aprs un ) : 7 ainsi (aprs ) : 18 rapport l'autre) : 13
annonce, avis, etc. (avant un(e) citation (avant une ) : 2
- ): 7 comme (aprs ) : 18
CHAPITRE 9 : LE POINT-VIRGULE (p. 366) apposition (le deux-points rem- consquence (avant la ): 11
plac par une virgule dans consquence/cause (l'une par
cascade (en ): 13 N.B. 1 et 2 conventions typographiques : V - - ) : 20 rapport l'autre) : 13
conjonctions (avant les ) : 12 15 (espace?), 16 (point-vir- apprciation (avant une ) : 10 contemporains (vnements
( et ), 13 ( mais ), voir aussi gule la ligne) assertion adjacente (dans V ) : factuels ou intellectuels) : 13
lesparagr. gnraux (2,3, 5 et deux-points (5a concurrence 13 conventions typographiques
14) avec le ) : 8, 9, voir aussi les autrement dit (aprs ) 18 22
Index Index 467
466
. . . / . . . : 15 APPELS DE N O T E : 17 (les
alina (pour marquer l' ) : 14 diffrents )
alternative (dans une ) : 10 conventions typographiques :
12 20
T A B L E DES MATIRES
g
Avant-propos
Remerciements ^
PREMIRE PARTIE : H i s t o i r e , i d e s , h i s t o i r e d e s i d e s 17
1 2
DEUXIME PARTIE : L e s s i g n e s 7
129
Chapitre 1 : Le point
1 4 3
Chapitre 2 : La virgule
I. Introduction :
1. G r a n d e u r de la virgule 145
2. Ses quatre fonctions 150
3. Son triple emploi, d'aprs T h i m o n n i e r 157
4. L'ide d' incidente : rappel 158
5. La virgule dans le pass : rappel 161
Volumes parus
Composition Traitex
et impression S.E.P.C.
Saint-Amand (Cher), le 13 juin 1991.
Dpt lgal : juin 1991.
1er dpt lgal : fvrier 1991.
Numro d'imprimeur : 1482.
ISBN 2-07-072198-1./Imprim en France.
JACQUES DRILLON
trait de la ponctuation
franaise
Tout savoir sur la ponctuation et sur ses signes. Q u a n d faut-il
mettre un point-virgule, un deux-points ? Quelle est la diffrence
entre un crochet et une parenthse ? Quels sont les cent qua-
rante cas d'emploi de la virgule? En faut-il une avant qui,
avant et ? Qu'est-ce qu'un tiret ?
Mais, pour commencer, la ponctuation est-elle une question de
rythme, de respiration ou de syntaxe? Est-on libre de ponctuer
comme on le veut? De quand datent les signes? Q u i les a
invents, et dans quel but ?
Voici le premier ouvrage complet sur la ponctuation franaise.
Il en retrace l'histoire chaotique, dcrit les polmiques qu'elle
ne cesse de susciter. Surtout, il tudie chaque signe l'un aprs
l'autre, analyse sa fonction, dcrit son effet, et donne toutes les
rgles qui en rgissent l'emploi. Un index dtaill fait de cet
essai un guide pratique indispensable.