Histoire constitutionnelle de la Belgique
L'histoire constitutionnelle de la Belgique commence en 1831 avec l'établissement du texte initial de la Constitution de la Belgique. Depuis, celle-ci a subi diverses révisions. Jusqu'aux années 1970 (première réforme de l'État), le système constitutionnel disposait d'une stabilité remarquable. Depuis, à la suite de la fédéralisation de l'État, de l'intégration à l'Union européenne et de l'influence de la Cour européenne des droits de l'homme, le rythme des révisions a augmenté à un tel point qu'elles sont aujourd'hui très fréquentes[Note 1]. Toutefois, un bon nombre d'articles fondamentaux, tels que ceux concernant les libertés des citoyens, n'ont jamais été révisés.
Les révisions sont regroupées en vagues successives. Les deux premières concernent essentiellement la démocratisation de la Nation. Les six suivantes sont des réformes de l'État qui ont vu la Belgique se transformer en un système fédéral. La cinquième réforme de l'État n'a pas conduit à la révision de la Constitution mais à des modifications des lois spéciales, nouvelles normes du droit constitutionnel belge.
Le , sans rien changer ni au fond ni à l'esprit du texte, une renumérotation complète, une uniformisation de la terminologie et une réorganisation des articles et des titres de la Constitution ont eu lieu, afin de rendre le texte plus lisible et plus structuré[1]. Alors que le contenu juridique est le même, on la qualifie aujourd'hui de « Constitution du ».
La rédaction de la Constitution
modifierLe , à la suite de la Révolution belge, un décret du Gouvernement provisoire proclame l'indépendance de la Belgique du Royaume uni des Pays-Bas. Un comité central commence aussitôt la rédaction d'une constitution que le Congrès national afin de l'examiner et de la modifier, dans le but de la soumettre au vote et de l'adopter. Cette démarche d'appeler de suite une assemblée constituante démontre la volonté de légitimer le nouvel État[2] et de rétablir la stabilité aussi rapidement que possible[3].
La commission chargée de rédiger la Constitution est instituée le , elle est notamment composée de Jean-Baptiste Nothomb et Paul Devaux[Note 2], elle accomplit son travail en à peine cinq jours et remet le son projet au gouvernement provisoire. Un projet de Constitution concurrent est déposé par Joseph Forgeur, Jean Barbanson, Jacques Fleussu et Charles Liedts[4]. Ce projet s'intéresse particulièrement aux provinces et communes mais, pour le reste, est quasiment identique au projet de la commission.
Le , pendant que la Conférence de Londres, réunissant notamment la Prusse, la Russie, l'Autriche, le Royaume-Uni et la France, s'interroge sur l'opportunité de reconnaître la Belgique, le Congrès national décide que le jeune État sera une monarchie constitutionnelle représentative héréditaire[Note 3]. Ce vote se fait à 174 voix contre 13[5],[6].
Le , le Congrès national reçoit la mission d'amender et de valider le projet de Constitution. Elle commence à débattre le , la question de la composition d'un Sénat est la première abordée[7]. Le , la clôture des débats est prononcée et le Congrès national adopte et sanctionne la Constitution belge. La date de la promulgation est inconnue, elle a dû avoir lieu entre et le [Note 4]. La Constitution devait entrer en vigueur lors de l'entrée en fonction du Régent[8] qui a eu lieu le .
Le , sur proposition de Jean Raikem, le Congrès national insère les articles 85 et 86 (à l'époque 60 et 61) qui contiennent le nom du premier Roi des Belges. Le , un arrêté royal ordonne l'insertion au Bulletin officiel du texte de la Constitution[9].
1893 : le suffrage universel masculin tempéré par le vote plural
modifierÀ partir de 1886, de grandes grèves insurrectionnelles touchent le bassin industriel wallon. Les ouvriers veulent pouvoir contrôler le Parlement afin d'améliorer leur vie quotidienne et réclament donc le suffrage universel. Ils sont soutenus par le Parti Ouvrier Belge qui ne dispose d'aucun élu. Les catholiques souhaitent favoriser dans le scrutin les propriétaires terriens et les libéraux veulent favoriser les classes instruites[10]. Léopold II, quant à lui, veut pouvoir organiser des référendums royaux avant de promulguer certaines lois[11],[Note 5].
L'idée du Roi est écartée[Note 6], mais un compromis est trouvé entre catholiques, libéraux et socialistes : l'article 47, aujourd'hui 61 est modifié pour rendre le suffrage universel mais certaines personnes ont droit à plusieurs voix. Le système d'attribution des voix est calculé pour que le Parti Ouvrier Belge n'atteigne pas la majorité absolue et, afin de pérenniser cet équilibre, le vote est rendu obligatoire (Article 46, aujourd'hui 62) et l'on permet une introduction de la représentation proportionnelle à la place du système majoritaire.
Les conditions d'accès au Sénat sont aussi revues : le cens d'éligibilité est revu et l'on crée la catégorie des sénateurs provinciaux, dispensés du cens d'éligibilité[12].
1920-1921 : le suffrage universel
modifierÀ la suite de la Première Guerre mondiale, le suffrage universel non plural est instauré inconstitutionnellement par la loi du . La Cour constitutionnelle n'existant pas à l'époque pour annuler une telle loi, les chambres sont formées selon cette nouvelle disposition. L'article 47, aujourd'hui 61, est révisé pour régulariser cette situation le .
Le constituant en profite pour constitutionnaliser la règle du scrutin proportionnel (article 48, aujourd'hui 62) le , modifier les règles d'appartenance au Sénat (articles 56 bis et 56 ter) le et permettre aux parlementaires d'être rémunérés.
Enfin, les communes peuvent, à la suite de la révision du , désormais s'associer entre elles pour former des intercommunales (article 108, aujourd'hui 162).
Il est à noter qu'une simple loi[13] a permis l'extension du suffrage universel aux femmes en 1948, sans nécessiter de révision constitutionnelle. En effet, la Constitution utilisait les termes neutres citoyen ou Belge et ne faisait pas explicitement référence aux individus de sexe masculin, seules les lois électorales étaient plus précises.
Fixation de la frontière linguistique
modifierAprès un premier tracé d'une frontière linguistique par la loi du 31 juillet 1921, un centre spécial est créé le afin d'étudier les problématiques linguistiques, sociales et culturelles belges : le Centre Harmel. Ses conclusions mèneront à la fixation de la frontière actuelle, le . Cette frontière coupe notamment la province de Brabant en deux, au sud de Bruxelles qui, elle, obtient le bilinguisme le . Ces deux éléments mèneront à la création des futures communautés et régions lors de la première réforme de l’État en 1970. La province de Brabant sera d'ailleurs finalement scindée le long de cette frontière le en créant le Brabant flamand au nord et le Brabant wallon au sud.
Toutefois, la question communautaire en Belgique reste forte et, pour tenter d'y remédier, on créera des facilités linguistiques dans certaines communes limitrophes, dont notamment certaines de la périphérie Bruxelloise. 43 communes proches de la frontière changeront de province avec l'adoption par la Chambre des représentants « projet Gilson » le .
Les réformes de l’État belge
modifierÀ la suite des tensions entre néerlandophones et francophones, une dualisation linguisitique de la vie politique s'opère et l'on précise la législation sur l'usage des langues en Belgique. Il est décidé de s'entendre pour permettre une plus grande autonomie de chacune des trois cultures : l'allemand, parlé dans les Cantons de l'Est depuis leur rattachement à la Belgique après la première Guerre mondiale, étant également pris en considération. C'est le début des réformes de l'État belge dès la fin des années 1960, dont certaines vont profondément modifier la Constitution de la Belgique et donner naissance au fédéralisme belge qui met fin à l'état-nation unitaire et lance la transition vers un état fédéral..
- La première réforme (1970-1973) introduit des changements majeurs dans les institutions de la Belgique, révisant la Constitution pour crééer trois communautés culturelles, trois régions administratives et quatre régions linguistiques[14].
- Lors de la deuxième réforme (1980-1983), le troisième gouvernement de Wilfried Martens, une coalition d'union nationale, vote la quatrième série de révisions de la Constitution ainsi que la loi spéciale du qui donne la base légale nécessaire au transfert du personnel de l’administration fédérale vers les Communautés et les Régions, les mettant de facto progressivement en place, dix ans après leur création officielle. Cette réforme de l'État bouleversa l'équilibre institutionnel belge. Elle est le fruit des revendications des francophones qui se sentaient lésés puisque les communautés avaient été installées mais pas les régions[15].
- Lors de la troisième réforme (1988-1990), le huitième gouvernement de Wilfried Martens, une coalition pentapartite entre sociaux-chrétiens, socialistes et la Volksunie vote la cinquième série de révisions de la Constitution et crée, entre autres, la région de Bruxelles-Capitale.
- Lors de la quatrième réforme (1992-1994), le premier gouvernement de Jean-Luc Dehaene, une coalition quadripartite entre sociaux-chrétiens et socialistes, met en œuvre la sixième série de révisions de la Constitution, s'occupant presque exclusivement des tensions entre communautés[16]. Elle lance également la scission de la province de Brabant.
- La cinquième réforme (2000-2002), ne révise que très peu la Constitution (article 10, mais adopte une série de lois spéciales. Une loi de révision de l'article 7bis est toutefosi adoptée le .
- La sixième réforme (2011-2014) se passe en deux volets qui initient d'importants changements institutionnels et de nombreux transferts de compétences de l'État fédéral aux entités fédérées. Elle fait suite à la crise politique belge de 2010-2011 et est marquée par la scission de l'arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde.
Notes et références
modifierNotes
modifier- Ainsi, la Constitution a subi trente-trois modifications entre 1996 et 2012. Le , dans le cadre de la sixième réforme de l'État, quarante-quatre articles sont modifiés.
- La commission est composée de MM. Pierre Van Meenen, Étienne De Gerlache, Dubus aîné, Joseph Lebeau, Charles Blargnies, Charles Zoude, Balliu, Paul Devaux, Jean-Baptiste Nothomb, Charles De Brouckere et Jean-Baptiste Thorn.
- Eis WITTE et J. CRAEYBECKX, La Belgique politique de 1830 à nos jours. Les tensions d'une démocratie bourgeoise, Bruxelles, 1987, p. 11-12, affirme que si le Congrès préféra une monarchie constitutionnelle modérée à un régime démocratique et républicain, c'est aussi dans la crainte d'une "éventuelle phase robespierriste de la révolution".
- Un décret du Congrès national du dispose qu'il faudrait promulguer la Constitution. Un autre du contient les termes "la Constitution étant promulguée".
- Le référendum royal se serait déroulé comme suit : une fois que les Chambres auraient voté une loi, si elle est sujette à polémique, le Roi déciderait de soumettre sa signature à un référendum national sur ladite loi. Le résultat du suffrage aurait lié le Roi.
- Cette proposition était contestée car l'on craignait notamment que le Roi ne perdît sa neutralité en décidant des lois qui seraient soumises à référendum. À la suite de l'échec de cette réforme, le Roi songe à abdiquer[réf. nécessaire].
Références
modifier- Jean-Luc Dehaene, « Exposé introductif du premier ministre » in (fr + nl) « Rapport fait au nom des commissions réunies de révision de la Constitution » [PDF], (consulté le ), Document parlementaire 1092/2 de la 48e législature de la Chambre des représentants, pp. 3-7.
- Philippe Raxhon, « Mémoire de la Révolution française de 1789 et Congrès national belge (1830-31) », dans Revue belge d'histoire contemporaine, XXVI, 1-2, p. 36, 1996.
- Philipe Raxhon, op. cit., p. 73.
- A. NEUT, La Constitution belge expliquée, Gand, 1842, p.8.
- Union belge, no 30, 34, 35 et 38.
- Philippe Raxhon, op. cit., p. 36.
- A. Neut, La Constitution belge expliquée, Gand, 1842, p.1.
- Décret du du Congrès national.
- A. Neut, op. cit., p.2.
- Jean BEAUFAYS, Histoire politique et législative de la Belgique, 5e édition, Les Editions de l'Université de Liège, Liège, 2008, p. 82.
- Jean STENGERS, L'action du Roi en Belgique depuis 1831 - Pouvoir et influence, 3e édition, Racine, Bruxelles, 2008, p. 122.
- Jean BEAUFAYS, op. cit. p. 83.
- Belgique. « Loi du attribuant le droit de vote aux femmes pour les Chambres législatives » [lire en ligne]
- « Les première et deuxième réformes de l'État. », sur www.belgium.be
- Jean BEAUFAYS, Geoffroy MATAGNE et Pierre VERJANS, La Belgique en mutation, Fédéralisation et structures institutionnelles : la Belgique entre refondation et liquidation, Bruylant, Bruxelles, 2009, p. 25.
- Jean BEAUFAYS, Histoire politique et législative de la Belgique, Éditions de l'Université de Liège, 5e édition, Liège, 2002-2003, p. 166.
Voir aussi
modifierBibliographie
modifier- Francis Delpérée, La Constitution de 1830 à nos jours, Éditions Racine, Bruxelles, 2006, 234 p. (ISBN 2-87386-436-2)
- Jean Stengers, L'action du Roi en Belgique depuis 1831 : pouvoir et influence, Troisième édition, Éditions Racine, Bruxelles, 2008, 429 p. (ISBN 978-2-87386-567-2) (BNF 42051313)
Articles connexes
modifierLiens externes
modifier- « La Constitution de l'État fédéral », sur le Portail des services publics belges (consulté le )
- « La Constitution belge » [PDF], sur le site de la Chambre des représentants de Belgique, texte coordonnée de mai 2014 (consulté le )
- (fr) Texte de la constitution belge sur le site du sénat belge
- (nl) Texte de la constitution belge sur le site du sénat belge
- (de) Texte de la constitution belge sur le site du sénat belge
- (fr) Texte de la Constitution belge sur le site de la Cour constitutionnelle belge
- (fr) Texte de la constitution belge dans sa version de 1831
- (fr) Texte de la constitution belge dans sa version de 1994