Dans les tempêtes du K-Land
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Selon Serge Alain Ciewe Ciake, lire et écrire sont des clés pour se libérer de l’ignorance. Dans cet ouvrage, il mêle fiction et réalité pour exposer les défis existentiels des habitants des tropiques. Il nous invite à réfléchir sur l’insécurité humaine et à chercher des solutions.
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Aperçu du livre
Dans les tempêtes du K-Land - Serge Alain Ciewe Ciake
Ndiamwala, terre de résilience
C’est un après-midi particulièrement chaud. Le thermomètre atteint les 40° à l’ombre. Il est d’autant plus difficile de respirer que l’air est saturé par de la poussière mêlée à de la fumée. Mettre du feu aux ordures est la formule des riverains et commerçants de la gare routière de Spirine Baba pour se débarrasser de la montagne de déchets qui se forme chaque semaine au niveau du grand carrefour. Selon les anciens, ce quartier populeux situé en banlieue de la capitale régionale du Ndiamwala dans le K-Land doit son nom à la toute première officine qui s’y installa, à une époque où l’aspirine représentait la panacée contre tout type de douleur. Il se dit que c’est un certain Aladji Baba qui eut l’idée d’ouvrir le premier point de vente de ce médicament dans la région et l’appela « l’Aspirine de Baba ». D’ailleurs, grâce à cet investissement, l’homme parvint à se bâtir un véritable empire financier, un patrimoine incluant aussi bien l’immobilier, les cosmétiques, la restauration, le divertissement, les paris sportifs notamment Aladji-Bet (A.Bet) ainsi que le transport, avec la célèbre agence Triangle Express Voyage (TEV). Spirine Baba est devenu au fil du temps le principal point d’attraction de la localité et le repère où convergent chaque jour des vagues de voyageurs et autres mordus des affaires ou de la distraction.
La salle climatisée A.Bet par exemple, d’une capacité de cent places assises spécialement réservée aux paris sportifs est l’un de ces pôles de Spirine Baba. Cet espace n’a jamais désempli malgré un contexte de plus en plus hostile, marqué par l’instabilité récurrente de la fourniture du courant électrique débouchant parfois sur des incendies. Le dernier cas en date s’étant produit très tôt dans la matinée, endommageant le circuit électrique. Au grand soulagement de tous, le relais a aussitôt été assuré par le puissant générateur de secours de Spirine, permettant à la foule de parieurs de ne manquer aucune des rencontres sportives retransmises sur la vingtaine d’écrans de la grande salle. Autant le dire, que ce soient les grands derbys européens, les compétitions sportives de seconde zone ou même les plus insoupçonnées provenant des pays tels que le Pakistan, la Malaisie, voire l’Éthiopie, tout y est diffusé. L’offre a même été récemment enrichie de contenus locaux, tels que la Pachata challenge qui se déroule chaque vacance scolaire pendant deux mois autour du grand lac de Fishina.
Les paris sportifs intéressent pratiquement tout le monde à Ndiamwala City. Des sommes énormes sont en jeu et chacun s’y engage en caressant l’espoir d’emporter la mise. Presque toutes les catégories socioprofessionnelles écumant les ruelles de Spirine Baba sont représentées : les moto-taximen avec leur habituel bonnet phrygien fixé sur le crâne, une paire de lunettes noires aux yeux et l’indispensable veston poussiéreux en guise de protection contre diverses intempéries, sans oublier le cache-nez imposé par le puissant vent sec chargé de sable qui souffle par moment sur cette contrée ; le Ndiamwala étant reconnu dans le K-Land pour ses conditions climatiques particulièrement difficiles : « la région des extrêmes ». Les commerçants ambulants, chargés à longueur de journée de leurs marchandises, trouvent toujours un prétexte pour marquer un « arrêt obligatoire » à A.Bet. Certains voyageurs et surtout la plupart des gagne-petit, inconditionnels du pari, ne ratent jamais l’occasion de s’acquitter de ce qui serait devenu pour eux, un « impératif », une sorte d’addiction. Plus grave, les paris sportifs recrutent même au sein des mineurs, c’est-à-dire les moins de 21 ans qui est l’âge légal minimum pour parier au K-Land, et ce, dans l’indifférence la plus totale.
Tout à côté de la salle A.Bet se trouve le bazar de Spirine. Un hall où se côtoient dans une sorte de désordre bien organisé, toutes les catégories de petits marchands et autres acteurs du commerce informel, allant du simple vendeur de cigarettes ou de bibelots à la criée, au commerçant de pagnes, de souliers et autres objets de pacotille et de friperie de dernier choix, en passant par la petite vendeuse d’eau glacée ou de nourriture ; chacun vantant à qui veut l’entendre la qualité de sa marchandise. S’il y a quelqu’un qui parvient toujours à se frayer du chemin au milieu de cette foule, c’est bien le petit « Séfri ». Ce garçonnet d’à peine une douzaine d’années s’est fait une réputation et un nom grâce à ses fameux rasoirs qu’il propose aux dames et jeunes filles qu’il apostrophe à longueur de journée : « c’est pour défriser l’entrée de la séfri », pour dire « défricher l’entrée de la chefferie ». Le courage avec lequel cet enfant vend ses rasoirs épilatoires mêlé à son sens de l’humour lui réussissent plutôt bien et lui permettent de gagner la sympathie des dames.
— Ma mère, lance-t-il d’entrée de jeu, imazine ti es à séfrie et ti laisses le zerbe, ça grandit jisquà dévénu très grand, les zens ne pe pli passer, selement le zanimaux : le sélépant, le souri, même le sourcier il pe entrer, alors que le Sef li-meme ne pe pli entrer sa séfrie. Prend le tric ci mama, ça va té aider, ti va faire ménaz entrée séfrie, papa sera content !
Des tirades de ce genre qui ne manquent jamais de redonner des idées et du sourire à ces braves dames émoussées et aigries par les infidélités notoires de leurs maris : « ce petit a peut-être raison ; et si c’était juste une question d’hygiène et de toilette ? on ne perd rien à essayer », pensent-elles.
Les vendeurs de médicaments de la rue et les naturopathes ne sont pas les moins bruyants de cet espace marchand de Ndiamwala City.
— Madame, ce médicament lave le ventre : myome, fibrome, ver des femmes, règles douloureuses, chlamydia. Vous voulez avoir des enfants, un mois de traitement et vous tombez enceinte. Pour le plaisir sexuel, mélangez celui-ci avec de l’huile de Neem et avalez avant le match. Je vous jure, vous allez encaisser autant de buts qu’il y aura de tirs ! Tenez, vous pouvez également noter mon numéro de téléphone.
— Cher responsable ceci c’est pour toi. Si c’est ton troisième pied qui refuse de marcher, ne t’inquiète pas ! Nous sommes là pour vous aider. Vide-moi ce petit sachet dans trois litres d’eau de source. Laisse macérer pendant trois jours puis filtre et bois un verre le matin à jeun, et le soir au coucher avec un bitter-cola. Pisse dans un pot, tu verras la couleur de ce qui sort de ton ventre. Attention : Pas de rapports sexuels pendant le traitement. Il y a aussi ceci qu’on appelle poutoulou. Efficace plus que le viagra, walaye !
— Les maris et couches de nuit, les poisons mystiques, envoûtements, toutes ces choses de la nuit, je brise ça, crack ! Et je renvoie à l’expéditeur, boom !
— Madame ! Toi qui cherches mari, utilise l’huile-ci. Lave-toi d’abord très bien avec de l’eau de source ça dégage impuretés et malchance. Quand ton corps est bien sec, oins-toi avec. Fais ça trois jours par semaine pendant un mois.
— Ce thé vient de Chine… c’est pour cela que même à 90 ans, vous voyez un vieux Chinois courir des dizaines de kilomètres sans se fatiguer.
Au milieu de ce vacarme, la star est incontestablement « l’armée bleue des soldats de la santé » avec son produit fétiche la « crème Aladji ». Dernière trouvaille des laboratoires de Baba, la crème Aladji fait partie de la ligne de produits de la gamme A+. Une sorte de pâte à laquelle le promoteur prête toutes sortes de vertus, même les plus « insoupçonnées ». Les soldats en bleu, reconnaissables à leur tenue (T-shirt et casquette de couleur bleue), sont les agents affectés à la distribution desdits produits. Ils arpentent les rues de Ndiamwala City à longueur de journée, armés de petits flacons bleus et de puissants magnétophones reprenant en boucle des messages publicitaires du genre : « ne vous laissez plus tromper : de la pâte dans un petit flacon bleu n’est pas forcément une crème et tout ce qui commence par Ala n’est pas Aladji. La crème Aladji est vendue exclusivement par nos soldats en bleu ». Avec cette force de vente, sa foule de moto-taximen et la dizaine de soignants de la clinique Sainte-Anne, Aladji Baba serait devenu le plus grand employeur de la région, selon quelques indiscrétions glanées au Bureau local de l’emploi.
Pendant que les commentaires sur l’actualité locale vont bon train, on voit un attroupement se former très rapidement. En se rapprochant, on se rend compte qu’il s’agit d’une altercation entre des agents de la Police municipale de Ndiamwala City, les « gros bras » comme on les appelle ici, et un groupe de moto-taximen qui tentent d’empêcher les premiers de se saisir de leurs motos. L’affaire dégénère rapidement. Fort heureusement, une escouade de gendarmes intervient pour calmer les esprits.
Tout à côté, notamment au niveau du grand carrefour de Spirine, de jeunes parieurs supputent sur d’éventuelles retombées du prochain tournoi de lutte traditionnelle. Pendant qu’on y est, le cri de détresse d’une jeune femme se fait entendre :
— Ô voleur ! Attrapez le voleur, il a arraché mon portable, ô secours ! Ne le laissez pas partir !
À peine a-t-elle achevé que le vrombissement d’une moto toute neuve lui répond en s’éloignant. Les occupants rient à gorge déployée en faisant des signes du doigt, comme pour dire : « va te faire… ». Ils manquent de justesse de renverser un petit conducteur de brouette qui traverse la chaussée transportant un colis.
— Le voilà qui s’enfuit à moto là-bas, avec son complice ! La grosse moto noire, attrapez la grosse moto noire, gronde la pauvre femme.
Peine perdue. Il est déjà trop tard pour mettre la main sur les fils Modi. « Les jumeaux maudits » sont les fils du milliardaire Cheikh Mohamadou Modi, le magnat du pétrole ndiamwalais, patron des stations-service Modi’Oil. Des voyous à moto qui s’amusent à chiper des téléphones dans la rue pour leur simple plaisir : « C’est de l’argent volé qu’on récupère. Coup rendu n’est pas criminel », disent-ils à chaque fois en disparaissant. Leur nom a été à maintes reprises cité dans des affaires louches et de drogue. Ils seraient le cerveau d’un réseau local de distribution du fameux « miracle », une drogue aux effets hallucinogènes particulièrement redoutables. La consommation de ce produit prend de l’ampleur, si l’on s’en tient au dernier rapport des services antistupéfiants : plusieurs cas d’overdose ont été enregistrés ces deux dernières semaines sur des élèves de moins de 15 ans et des conducteurs de moto. Les criminels ont poussé le vice jusqu’à produire des sucettes à base de « miracle » pour appâter les plus petits. Le redoutable Commissaire Kaolo n’y voit que du feu et ne rêve que d’une chose : boucler ces « jumeaux maudits ». Le patron de la Brigade Régionale Antistupéfiants, la célèbre BRAS voue une haine viscérale à ces « enfants gâtés » d’autant plus que ces derniers ne manquent jamais une occasion pour le ridiculiser. Mais en attendant, il faudra bien qu’il ait un dossier solide, une montagne de preuves tout aussi accablantes qu’irréfutables lui permettant d’affronter les intrépides avocats du « clan » Modi.
L’appel du muezzin de la petite mosquée de la gare de Spirine vient rappeler à tout ce monde qu’il est l’heure de la prière. Juste le temps qu’il faut et ça s’anime de nouveau. Les guichets sont pris d’assaut par les voyageurs du soir, le service ayant été suspendu quelques instants plus tôt. La caisse No 4 est assaillie par un groupe de jeunes. La titulaire du poste semble particulièrement visée par ces derniers.
— Madame, cela fait trois heures de temps que nous avons pris nos tickets et nous sommes toujours sur place, dans un bus qui chauffe comme un four, très inconfortable on dirait une véritable prison ! lance le premier.
— Vous avez encaissé l’argent et gardé notre monnaie. Maintenant que j’ai faim, je ne peux rien acheter parce que vous avez bloqué mon argent, madame ! enchaîne immédiatement le deuxième. Et le troisième d’ajouter.
— Vous avez bien dit que c’était le bus de 14 h et nous voilà toujours à Spirine en train de poireauter après 16 h de l’après-midi. Il n’y a rien ici, même pas les toilettes pour se mettre à l’aise.
Prise au dépourvu, la jeune femme derrière la caisse balbutie et peine à répondre. Se raclant la gorge, elle fond en excuses.
— Euh, euh ! D’abord, nous tenons à nous excuser pour ce léger retard qui ne dépend pas entièrement de nous. Pour ceux qui désirent aller aux toilettes, prenez le couloir à droite, au fond de l’autre côté. Vous nous excuserez parce que le papier hygiénique vient de finir. Mais vous pouvez utiliser le seau, il y a de l’eau dans le fût bleu.
— Est-ce qu’un seau d’eau remplace le papier hygiénique ? lance une voix féminine parmi les jeunes.
— Madame, expliquez-nous ce qu’on fout encore ici à pareille heure ? Nous avons des choses plus urgentes à faire ailleurs ! indique l’un des passagers vexés.
— Je vous comprends, monsieur. Mais il faut que je vous dise la vérité : le car qui doit vous amener arrive ici dans une heure.
Des mots qui résonnent comme de la provocation dans la tête des jeunes gens.
— Quoi ? Vous vous fichez de nous ou quoi ? braille quelqu’un dans la foule.
— Écoutez, je peux tout vous expliquer. En fait, il y a actuellement moins de passagers que prévu et ce bus-ci ne peut pas partir à vide. Moi-même je ne comprends pas ce qui se passe aujourd’hui, je vous assure que ce n’est pas souvent comme ça. On va vous mettre dans celui qui sera là d’ici 17 h, il est plus petit et plus confortable. Qu’il soit plein ou pas, croyez-moi, vous allez partir. Nous-mêmes sommes gênés par cette situation, je vous le jure.
Modo, celui qui semble être le chef du groupe a de la peine à croire ce qu’il vient d’entendre.
— Comment est-ce possible ? Et tous ceux qui étaient assis avec nous tout à l’heure dans le bus ? Ne me dites pas que…
C’est par un rire narquois, frisant l’indécence que lui répond le passager d’à côté.
— C’est la pratique ici, mon frère. Ils ont ce qu’ils appellent « les apaches ». Des chargeurs qui s’installent dans le car pour donner l’impression qu’il est plein afin d’appâter les nouveaux passagers qui ne parviennent pas à se décider afin qu’ils achètent leur ticket. Une fois leur mission accomplie, les « apaches » ressortent ensuite, les uns après les autres à mesure que le véhicule se remplit, pour céder la place aux véritables voyageurs. Mon frère, acceptons seulement parce qu’à l’heure-ci, nous sommes obligés de partir avec eux. Ils sont les seuls à voyager en soirée.
— C’est bon ! Vous avez gagné ! murmure-t-il en direction de la caissière avant de s’éloigner. C’est la toute dernière fois que je viens dans votre agence.
Nabila qui revient des toilettes d’enfoncer le clou.
— Est-ce le trou-là, ce nid de microbes que vous appelez toilettes ? Pas d’éclairage ni d’eau coulante, des mares de pipi partout sur le sol. Sans parler de l’odeur qui s’y dégage. Il s’en est fallu de peu pour que je marche sur de la merde. Les gens viendront prendre des maladies chez vous, mais vous ne serez pas là pour les soigner ensuite.
Reprenant son souffle, elle poursuit.
— Dites-moi, est-ce ces mêmes toilettes que vous utilisez, madame ? C’est juste pour savoir. Parce que si c’est le cas, vous êtes vraiment à plaindre.
La caissière, d’une voix frêle, de répondre.
— Tout le monde utilise ces toilettes. On va faire comment ? Le patron est au courant, il a promis faire quelque chose. Depuis, on attend toujours.
« De véritables esclavagistes des temps modernes, ces patrons ! » maugrée Nabila. En tout cas, remettez-moi ma petite monnaie, je m’en vais chercher à manger, poursuit-elle.
D’autres passagers en profitent pour se faire également rembourser et le groupe de jeunes gens s’en va s’installer dans « les délices épicées », le cagibi tenant lieu de restaurant à Spirine. Ils se gavent d’un repas digne des cent quatre-vingts minutes qu’ils sont en train de passer dans cette gare routière.
De son côté, Max, un habitué du voyage, las du confinement qui lui est ainsi imposé, se décide à sortir du bus. Il va jusqu’à la route pour y débusquer d’éventuels passagers. Cela lui réussit plutôt bien puisqu’il parvient à convaincre une dizaine d’indécis. Finalement, trois quarts d’heure plus tard, on leur fait signe d’approcher pour prendre place à bord du minibus de marque « Coaster » qui vient de faire son entrée. C’est celui-là qui doit les amener. Nabila se précipite alors pour occuper le siège du côté passager à la cabine, juste en bordure de la fenêtre.
— Ma fille, cette place-là n’est pas bonne pour les femmes. On ne ferme pas entièrement cette fenêtre, sauf en cas de pluie. Il fait froid là-bas et c’est très difficile de dormir dans ces conditions. C’est mieux de la laisser au militaire qui est juste derrière vous, lui suggère alors Moussa, le chauffeur.
— Mon père, vous arrivez d’abord en retard avec votre bus ; ensuite, sans même saluer les gens, vous commencez immédiatement avec les problèmes ? J’ai acheté mon ticket comme tout le monde ici et je m’assois où je veux, répond la fille. Votre militaire n’avait qu’à arriver plus tôt.
— Ma fille, c’est juste un conseil pour t’éviter de souffrir pendant ce voyage qui est généralement long et très pénible.
— Vous m’avez déjà perdu plus de trois heures sur place et maintenant vous venez me parler de la longueur du voyage ? Pardon, ne m’énervez même pas ! Si vous vouliez que le voyage ne soit pas « long et très pénible », vous nous auriez amenés depuis 14 heures. Je m’assois où je veux, pian !
— S’il te plaît, ma copine, supplie Binta assise au fond du bus, écoute les conseils du chauffeur et viens t’asseoir à côté de moi. C’est très confortable ici, surtout pour dormir après une journée aussi pénible.
Nabila fait la sourde oreille à la proposition de son amie : « Ma copine, ces gens n’ont pas été sérieux avec nous. J’ai une dent contre eux ».
Entre-temps, le milieu du mini bus s’agite également en se remplissant.
— Bonjour cher voisin ! Est-ce que vous pouvez m’aider avec les enfants ?
— Vous aider ? Mais comment ça, madame ? Vous voyez bien que j’ai les mains occupées : un sac d’ordinateurs que je ne peux ni poser au sol ni envoyer sur le porte-bagages. Et puis, avec vos trois enfants, comment allons-nous voyager à cinq sur ces deux sièges ?
— Ouais, je vais alors faire comment ? Les enfants sont malades et leur père les attend pour les amener à l’hôpital, explique la dame d’un certain âge. Cette dernière se met alors à supplier en racontant le malheur qui vient de la frapper. Ému par son histoire, son voisin glisse délicatement son sac d’ordinateurs sous le siège et prend l’un des jumeaux dans ses bras en signe de compassion pour leur mère. Cette dernière reste avec les deux autres enfants, dont l’aîné handicapé.
Tout à côté, c’est une femme d’un âge avancé qui prie. Elle alterne lecture de la bible, chapelet et récit des cantiques. Tout son voisinage immédiat se tait pour l’écouter et même, l’accompagner dans cet exercice salutaire. Le septuagénaire installé juste derrière elle y montre pourtant du désintérêt ou pire, un certain scepticisme mêlé à de la gêne en murmurant « salut les hypocrites, les saints hypocrites ! »
Sa prière achevée, la dame sort de son sac une gamelle chargée d’un ragoût de poulet au riz. Les deux jumeaux qui s’étaient endormis entre temps sont réveillés par le fumet titillant aussi bien leurs délicates narines que celles des autres passagers. Sans se soucier de ces deux petites paires d’yeux de malades et d’affamés qui scannent minutieusement le parcours du repas depuis la gamelle jusqu’à la bouche de la mangeuse et bien au-delà, cette maman avale goulûment le délicieux repas jusqu’à son terme sans bouger de la tête. L’impact des dents sur la viande et le bris des os sont suffisants pour témoigner de l’intensité de ce festin. Après cela, elle se nettoie le visage tout dégoulinant de sueur, sort ensuite de son sac posé sur le siège juste
