Rue d’la Dé
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Claudio Azzoli-Leonardi avait rarement parlé de sa jeunesse, pourtant riche et étonnante à bien des égards. Ce récit représente un véritable héritage testamentaire, où se mêlent les souvenirs de ses premières années et de son parcours professionnel.
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Aperçu du livre
Rue d’la Dé - Claudio Azzoli-Leonardi
Septembre 1954
Sur le seuil de la maison familiale, ma mère, qui ne l’est pas encore, peut enfin hurler sa colère intégrale :
Elle s’emporte et s’étouffe dans sa détresse, et lui attaque pour mieux se défendre, il n’est pas encore touché. Mon père affronte cette dispute comme il l’a imaginée cent fois ces derniers mois.
La voilà qui fond en larmes. Il s’en fout. Il est revenu, il va montrer à tout le village qu’il est revenu.
Elle va dire à tout le monde qu’il est revenu, point. Il va retourner à son tracteur et à son champ et elle va bientôt se taire… Ils entrent dans la maison.
Il quitte brusquement la pièce. La porte claque. Elle sent les larmes qui montent puis s’écoulent en cascade le long de ses joues. Elle pleurera ainsi encore bien souvent.
Après le décès de son père et le partage des quelques biens de la famille avec ses deux sœurs, Gaetano avait investi une partie de son héritage dans un tracteur d’occasion, et avec le reste, il avait fait construire une petite maison dans le lit asséché d’une rivière au pied du mont Cassin : « Monté Cassino », point particulièrement disputé pendant la Seconde Guerre mondiale, à San Pasquale exactement, une petite maison dans laquelle je verrai le jour en juillet 1955.
La campagne alentour porte encore les traces du grand délabrement qui suivit la fureur de la guerre en 1944, la destruction totale de Cassino par un bombardement autorisé par le Vatican à cause de l’Abbaye de Montecassino, avec la promesse des Américains de la reconstruire à l’identique. Ce qui sera fait. Trois jours et trois nuits de fureur et de ténèbres, tant la poudre des bombes diffusait un épais brouillard de mort. Les tracts lancés des avions américains commençaient par cet avertissement : « Amis italiens, partez si vous le pouvez ou protégez-vous au mieux dans vos caves et vos cantines, il nous faut bombarder votre ville de Cassino. ».
Après plusieurs mois de combats, des milliers de morts et des centaines de femmes violées, la porte de Rome avait fini par céder. Les Allemands avaient fait le choix d’installer leur ligne de défense à Cassino. Barrer la route aux troupes alliées qui remontaient vers la capitale était plus stratégique à cet endroit. C’était la partie de la Botte la plus étroite entre la mer Méditerranée et l’Adriatique. Leur ligne Maginot en quelque sorte.
L’humiliation nationale et la déchéance du fascisme étaient passées par là. Les cimetières militaires entouraient Montecassino, ciselant les paysages de leurs immenses cyprès, et le martyre des victimes civiles encombrait les mémoires.
La petite maison était un signe extérieur de richesse, une vraie fierté dans cette Italie du sud où le gouvernement italien n’avait pas encore imposé à la Fiat d’y installer ses usines.
Le nouvel élan industriel et financier démarrait à peine dans la région du Latium où la pauvreté et la ruralité dominaient. Grandir, se marier, faire des gosses, cultiver la terre et mourir étaient les seuls horizons possibles à San Pasquale.
Comme tous les habitants du village, Gaetano cultivait ses champs. Il s’était marié et avait deux enfants, Alberto et Maria, mais il rêvait déjà d’une autre vie : une vie à laquelle il avait goûté lors de son premier voyage en France.
Il avait bien essayé l’Angleterre où ses sœurs avaient déjà émigré, mais des varices aux jambes l’en avaient empêché, il fut refoulé.
Rappelez-vous qu’il avait mis dix mois avant de revenir…
Quelques semaines plus tard, pour la deuxième fois, il repartait pour la France où il était question de préparer l’arrivée de toute la famille.
Moi, le troisième enfant, je commençais mon existence dans le ventre de ma mère. Il laissa donc encore sa femme pleine d’espoir et d’assurance, elle était certaine de le retrouver très vite.
Huit mois après le départ de son mari, ma mère accoucha. Un garçon. Moi ! Claudio…
Elle attendit ces fameux billets de train qui devaient tous nous emporter vers un autre devenir plein d’espoir et de surprises.
Elle attendit d’abord sagement, tant qu’elle recevait les mandats qui lui permettaient de faire manger ses enfants… Mais ceux-ci s’espacèrent sans mot d’accompagnement. Puis le temps fit le lit du ressentiment. L’argent vint à manquer, les dettes s’accumulèrent, les soutiens familiaux s’essoufflèrent eux aussi.
Comment en vouloir à mes oncles et tantes ? Chacun vivait avec ses difficultés identiques dans cette Italie de misère qui poussait tant de familles à émigrer.
Filomena elle aussi rêvait d’une autre vie.
Pendant trois longues années, ma mère inventa des histoires de toute nature pour justifier l’absence de son époux. D’abord, pour obtenir que les petits commerces de proximité qui la connaissaient acceptent de lui accorder l’indispensable crédit pour nourrir ses enfants, mais aussi et surtout pour donner le change. Mais personne n’était dupe.
Le téléphone italien était tout aussi efficace que l’arabe. Ceux qui avaient déjà émigré savaient ce qu’il en était !
Lorsqu’il fallut prendre la décision de retrouver la trace de Gaetano, dénicher son adresse fut assez simple.
La nature humaine est ainsi faite : beaucoup se réjouissent du malheur des autres, cela leur permet de mieux supporter leur propre misère sociale et affective. Alors, trop souvent, la méchanceté pure et simple, gratuite, stupide et ignoble se met à l’œuvre.
Pour ces bonnes âmes, informer ma mère de l’endroit où elle pourrait trouver Gaetano était quelque chose qui se savourait.
Juillet 1958
Elle avait décidé de mettre sa promesse à exécution. Il paraît que les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Il avait dit : « Je retourne préparer votre arrivée ». Sans nouvelles, sans le sou, acculée de toutes parts, après plus de trois ans d’attente, ma mère prépara son voyage.
Elle voulait comprendre, elle voulait savoir, elle voulait échapper aux rumeurs du village, aux mauvaises langues qui la couvraient de honte, celle d’avoir été abandonnée et sûrement, disait-on, celle d’avoir été remplacée.
Elle comptait sur le réseau des Ritals pour l’aider en France. Elle rassembla son courage, ses trois enfants et les billets de train qu’un énième emprunt lui avait permis d’acheter.
« Et scapa per Parigi. »²
Elle se rendit en premier chez une connaissance qui nous hébergea quelques jours sur l’île Saint-Germain, frontière naturelle entre Issy-les-Moulineaux et Boulogne Billancourt, un des premiers points de chute des Italiens du Sud.
Les Français des alentours avaient fini par surnommer cette île « le Petit Maroc » à cause de la carnation brune de la population qui s’y entassait.
Deux ou trois jours, le temps pour ma mère de « loger » comme le dirait un flic, l’adresse où vivait cet individu qui lui avait promis de l’aimer et de la protéger tout au long de sa vie.
Mais Gaetano était devenu Gaëtan et il était installé avec une autre femme.
Du courage, il lui fallait en avoir et plus encore ; cette femme au tempérament de résistante, c’était ma mère ! Débarquer avec ses trois mouflets dans les bras et les poser là, sur le carrelage du couloir marquant l’entrée de la maison de la maîtresse de son mari, quel défi jeté à la face de l’Homme !
Elle devait être encore plus belle en colère !
De cette beauté naturelle et mystique des femmes du sud de l’Italie, la noirceur de ses cheveux lui donnant l’apparence d’une madone, des armes dont elle dut user pour obtenir quelques faveurs.
En a-t-elle distribué en retour ? Elle m’a toujours affirmé que non ! et peu m’importe.
C’était une rebelle, loin des clichés qui voulaient que les filles cuisinent et apprennent à bien tenir leur intérieur, ce qu’elle n’a jamais voulu faire en Italie et qui lui valut les moqueries de ses frères et sœurs.
La maîtresse de mon père tenait un petit bar, les habitués l’appelaient « la Mascotte », c’est le seul nom que je lui ai connu. Je sus plus tard que Gaëtan avait participé à l’achat de ce petit café, ce qui expliquait pourquoi ma mère ne recevait plus de mandats…
Cette arrivée tonitruante chez cette femme et la dizaine de jours où nous sommes restés chez elle sont les premiers et seuls souvenirs troubles et transparents de mes trois ans.
Il faudra attendre ma rencontre avec mon institutrice du cours préparatoire pour dater les suivants.
Septembre 1961, le cours préparatoire
Marilyn Monroe inondait alors les magazines féminins et beaucoup de jeunes femmes adoptaient coiffure et son maintien pour tenter de lui ressembler.
Je n’ai aucun souvenir de l’école maternelle, pourtant j’y suis passé : ma photo, dansant dans un costume bouffant tout blanc en témoigne.
Ma première année à la grande école et la rencontre avec mon institutrice ont marqué le petit homme que j’étais déjà.
Je sais combien le travail de ces blouses noires de la République participait avant tout d’une vraie vocation pour ce formidable métier.
Elle avait très vite décelé chez moi le gouffre social dans lequel je tentais de surnager…
Toujours est-il que son inquiétude permanente à mon égard me réconfortait chaque jour et m’empêchait de trop penser aux conditions qui entouraient ma vie. Je me laissais câliner et dorloter, non sans en éprouver quelques frissons.
Elle aura, avec certitude, marqué mon attirance pour les femmes blondes.
Elle n’a pas réussi à m’apprendre à lire, estimant sans doute que je n’étais pas prêt, l’urgence, elle la voyait ailleurs, devinant intuitivement qu’il fallait, avant tout, me réparer en m’offrant des attentions toutes maternelles.
En primaire, ma scolarité fut chaotique, je disputais à un camarade d’infortune, la dernière ou l’avant-dernière place au classement, et ce jusqu’au CM2.
Entre une mère ne sachant ni lire ni écrire, ne s’exprimant que dans son dialecte maternel et un futur beau-père que son métier de maçon laissait fourbu et peu disponible après sa journée de labeur, je ne pus jamais apprendre à lire pendant mes deux années de cours préparatoire…
Lui-même, sachant tout juste lire et écrire, avait dû quitter l’école pour aider ses parents.
L’école m’attirait : ce groupe scolaire Justin-Houdin avec sa maternelle, ses écoles primaires de filles et de garçons, ses cours de récréation spécifiques séparées par un grand portail à deux battants, qui nous permettait de voir les filles par les quelques interstices laissés de part et d’autre des charnières. Cela faisait la joie de nos récréations.
La cour des garçons, qui nous paraissait immense, était partagée en deux par une grande ligne jaune d’une largeur de 30 centimètres environ, d’un côté les grands, de l’autre les petits, et sur la ligne se tenaient les punis qui devaient rester immobiles pendant une partie de la récréation.
J’aimais l’école, pas seulement parce qu’elle me détournait d’une certaine misère, mais avant tout parce que je m’y sentais bien. J’y percevais une vraie bienfaisance, je garde de ces premières années de classe le souvenir du plaisir d’apprendre, de retrouver les copains et nos bêtises, notamment en cours de gymnastique. J’y découvrais aussi la force du groupe et de l’action.
Peu à peu, je fus apprécié pour mes qualités de générosité et de camaraderie. La maturité du petit garçon débrouillard que je devenais faisait que le directeur n’hésitait pas à me confier des missions à responsabilités et cela compensait mon désarroi devant les tâches
