Leçons morales tirées du livre de Job: Livres XXIII à XXVII
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Né à Nancy, Maître ès Lettres, frère Christophe Vuillaume osb, Profès de l’Abbaye de la Pierre qui Vire en 1979, Maître en théologie (ICP) et prêtre, a été Procureur Général de la Congrégation de Subiaco de 2004 à 2007. Actuellement au Monastère bénédictin de Mahitsy (Madagascar), il est Cellérier et professeur de théologie spirituelle. L’auteur a rédigé deux volumes de la collection "Sources Chrétiennes", de nombreux articles et traductions. Il est l’auteur de "la correspondance inédite", traduite du latin, en 4 volumes de "la correspondance de Pierre le Vénérable", paru chez le même éditeur, et de trois volumes des textes de Pierre Damien.
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Aperçu du livre
Leçons morales tirées du livre de Job - Christophe Vuillaume
Page de titre
Leçons morales
tirées du livre
de Job
Livres XXIII - XXVII
Textes traduits et présentés par
P. Christophe Vuillaume osb
Du même auteur et traducteur
Aux Éditions du Cerf
Collection Sources chrétiennes
1. Grégoire le Grand (Pierre de Cava), Commentaire du Premier Livre des Rois (tome 2), traduit du latin, 1993, 341 p., S.C. 391.
2. Bède le Vénérable, Le Tabernacle, traduit du latin, 2003, 507 p., S.C. 475.
Aux Éditions de Bellefontaine
3. Frère Michaele Davide Semeraro, Trois figures féminines dans la vie de saint Benoît, traduit de l’italien, Collection Vie Monastique, n° 49, 2014, 150 p.
Aux Éditions Saint-Léger
Collection Chemins de Saint Benoît
4. Pierre le Vénérable, Correspondance intégrale, 4 tomes, 2019-2020.
5. L’ordre de Grandmont, textes fondateurs, 2020.
Collection ARSIS
6. Saint Pierre Damien, L’héritage monastique, 3 tomes, 2020-2021.
7. Saint Grégoire le Grand, Leçons morales tirées du livre de Job, tome I (livres 1-3), 2021 ; tome II (livres 4-6), 2023 ; tome III (livres 7-10), 2023 ; tome IV (livres 11-16), 2024 ; tome V (livres 17-22), 2024 ; tomes VI (Livres 23-27), 2025. Le tome 7 et dernier des Leçons morales est prévu pour 2025, s’il plaît à Dieu.
8. Frère Christophe Vuillaume, Avec Saint Pierre Damien, en retraite 7 jours, 2024.
9. Frère Christophe Vuillaume, L’appel du désert, l’anachorèse au cours des temps, 2024.
Collection Manne des Pères (en français fondamental)
10. Tertullien, La prière chrétienne, traduit du latin, 2021.
11. Jean Cassien, Conférences sur la prière, traduit du latin, 2021.
12. Jean Cassien, Suis-moi, Institutions Cénobitiques, Livre IV, traduit du latin, 2023.
13. Saint Grégoire le Grand, Leçons morales tirées du Livre de Job (extraits), traduit du latin, 2022.
Introduction
Pour faciliter la lecture de ce tome (Livres XXIII à XXVII), nous en relèverons ici quelques enseignements majeurs synthétisés en trois thèmes : théologique, moral et pastoral.
1. L’enseignement théologique :
Retrouver la dimension intérieure
En chacun des tomes publiés, nous avons retrouvé un solide substrat théologique au commentaire spirituel et moral que nous offre Grégoire. Les thèmes qu’il aborde ici ne sont pas toujours originaux, mais ils sont traités d’une façon nouvelle, en fonction du contexte qui est ici la réponse d’Élihu, la figure même de l’arrogant, au bienheureux Job auquel il adresse d’âpres reproches, croyant prendre la défense de Dieu.
Nous avons déjà relevé le thème de l’intériorité/extériorité dès les premiers tomes des Leçons morales, mais il était abordé à partir de la faute originelle. Celle-ci a en effet obligé l’homme à quitter le monde dans lequel il avait été créé, symbolisé sous le terme de « paradis », celui de la communion immédiate avec son Créateur. Cet exil est évidemment à comprendre au niveau spirituel et moral, comme la perte d’un état bienheureux où l’homme était capable de se connaître lui-même, donc aussi de se comprendre, parce qu’il demeurait dans la connaissance de Dieu dont il est l’image, mais a désormais perdu la ressemblance. Le Livre XXIII reprend ce thème à partir du patriarche Moïse, figure même du Christ. En effet, lui aussi a connu une forme d’exil qui le cantonnait à l’extérieur de lui-même, l’empêchant du même coup d’avoir l’intelligence de la conduite divine. Fidèle à son anthropologie spirituelle, Grégoire traduit cette étrangeté au monde de Dieu, ou intérieur, en termes d’éveil et de sommeil, mais en inversant la logique habituelle. En effet, tant qu’on est « éveillé » à ce monde, autrement dit attentif et surtout essentiellement préoccupé de ce qui s’y passe, donc profondément impliqué et soumis à ses lois et à ses désirs, on ne peut avoir l’intelligence du monde intérieur, celui de Dieu, qui pourtant nous habite. On est en quelque sorte « hors de soi-même », étranger à ce qui constitue l’homme dans son essence : le rapport vivant et personnel à Dieu. Pour ce qui est de Moïse, Grégoire commente : « Par grâce divine, plus il mit en sommeil ses désirs de réalités extérieures, plus il fut vraiment éveillé et capable de connaître les réalités intérieures » (XXIII, 37). Comment ne pas songer ici à l’injonction de l’oracle de Delphes attribué à Socrate : « Connais-toi toi-même » (gnothi seauton) qui visait à rappeler à l’homme qu’il était mortel, mais prit plus tard le sens plus éthique de : « Vis en accord avec ce que tu es ! » L’oubli étant considéré comme la cause essentielle de l’éloignement de Dieu. On commence donc à revenir à Dieu quand on revient à soi-même ou, en d’autres termes, la vie spirituelle est une montée vers la vérité et un éloignement progressif de l’illusion et de la fausse identité¹.
Mais, ce qui est orignal chez Grégoire, c’est qu’il s’agit, pour se connaître et donc retrouver le monde intérieur, non pas de s’éveiller, mais de s’endormir. La logique est en effet qu’il faille d’abord dormir, autrement dit se rendre étranger ou encore absent, voire mort (comme au Sépulcre) à ce monde et à ses désirs pour pouvoir rentrer en soi et reprendre conscience de qui l’on est, en vérité, comme image de Dieu. Le passage se fait donc de la fermeture à un monde, extérieur et extériorisant à l’ouverture à un autre, intérieur qui nous reconduit à l’essentiel qu’est notre relation au Créateur. Ce que Grégoire exprime ainsi en ses propres mots : « Quand j’endors mes sens extérieurs aux soucis de cette vie, mon âme s’en trouve libérée, et je connais avec plus de vivacité les réalités intérieures. Je dors aux réalités extérieures, mais mon cœur veille à celles de l’intérieur, car, insensible à ce qui m’est extérieur, je saisis les réalités intérieures avec clairvoyance » (XXIII, 38).
Or, ce passage de l’éveil extérieur à l’endormissement en vue d’un autre éveil intérieur est fondamental pour la conversion, car tant qu’on n’a pas pris conscience de ce qu’était la béatitude de l’homme lors de sa création, on ne peut avoir conscience non plus du malheur qu’est notre condition actuelle. Cette « déchéance » que Grégoire se plaît à décrire plusieurs fois aux cours de son commentaire en insistant sur les pénibles limites de notre condition charnelle, celles de la finitude sous tous ses aspects : « En effet, tant que nous n’avons pas goûté par la contemplation les biens de la Patrie éternelle, nous ne pouvons réellement nous rendre compte du malheur qu’est le nôtre en cette vie » (XXIII, 41). Reste à savoir, bien sûr, comment avoir la seule idée, encore plus, le désir, de cette vie perdue, mais accessible, qu’est le monde intérieur, celui même de Dieu ? Ici, bien sûr, l’Écriture est le premier miroir dans lequel l’homme peut retrouver son vrai visage. Mais, il n’est pas le seul : la vie des justes, des amis de Dieu est aussi un reflet de ce que nous devrions être, un modèle à imiter, parce qu’il est un éclat de lumière qui se fait désirer en soi. La connaissance, l’éveil du désir se fait ici par contraste : « En effet, qui veut savoir ce que sont les ténèbres doit regarder la lumière pour savoir que penser des ténèbres qui l’empêchent de voir. Un pécheur qui se regarde lui-même, sans connaître la vie des justes, ne voit pas en quoi il est pécheur » (XXIV, 15). Et, comme une de ses plus célèbres formules, Grégoire nous laisse ces paroles : « Viva lectio est vita bonorum », « La vie des hommes bons est une leçon vivante », textuellement « est une lecture vivante » (XXIV, 16).
Un remède dans le malheur
Mais, autre trait original de la pensée grégorienne, le malheur de l’homme, ou plutôt sa conséquence, est en soi-même un moyen de guérison. En effet, depuis la faute originelle, l’homme ne rencontre qu’affliction dans sa finitude même dont la mort est la réalité la plus palpable. Mais l’amertume de cette affliction due à sa vie charnelle provoque en lui un sursaut salutaire qui lui fait désirer un état perdu mais recouvrable. Car il est capable de ce raisonnement : si l’orgueil, suscité par les suggestions de Satan, trop heureux de se trouver des compagnons dans sa faute et son malheur, a conduit l’homme à perdre sa béatitude première, le contre-pied que sont l’humilité et la soumission qui en résulte, seront un chemin de retour à l’amitié de Dieu, comme nous avons le voir plus précisément. Si bien que, par un admirable retournement de la Providence divine, « L’instrument de notre faute devient l’instrument de notre châtiment » (XXIV, 7), une « loi » du mystère du salut que nous retrouverons plusieurs fois dans ce tome ; un principe des contraires auquel Grégoire est particulièrement attaché. Un même principe apparemment paradoxal (toute la foi chrétienne ne l’est-elle pas, elle qui conduit à la vie par la mort ?), vaut encore pour expliquer pourquoi, même les justes et les convertis continuent de subir toutes sortes d’épreuves et de tentations. Le pire serait, en effet, cette trompeuse assurance, ce sentiment de sécurité qu’éprouve parfois celui qui s’efforce de se conduire en conformité avec sa foi alors qu’il constate quelque succès, voire une certaine stabilité dans la vertu. Car, de là, il n’y a qu’un pas à la prétention d’attribuer ce résultat à ses propres forces, en se séparant par le fait même de la grâce de Dieu (cf. XXIV, 27). Alors, Dieu use d’une double stratégie : les vices et les épreuves. Les vices sont en effet le rappel de notre faiblesse originelle à laquelle nous sommes sans cesse ramenés ; en nous humiliant, ils travaillent directement à nous faire rechercher la vertu. Là encore, un paradoxe : le mal travaille indirectement au bien. Les épreuves, de leur côté, nous empêchent de nous attacher à ce monde, puisque, même dans la réussite, elles ne manquent pas. Le contraire pourrait d’ailleurs être, dans la logique grégorienne, le signe de la « réprobation », puisque nous serions alors poussés à rechercher encore et toujours plus la gloire de ce monde comme notre accomplissement, en oubliant totalement la dimension éternelle de notre existence. Le vice comme l’épreuve que Dieu permet par souci pédagogique sont donc de bonnes dispositions pour nous inciter à exercer nos forces : « Car ce n’est jamais dans la tranquillité qu’on éprouve ses forces. […]. Se glorifier de sa force en tant de paix est le propre d’un soldat sans expérience » (XXIII, 51).
Comme il en a le secret, Grégoire profite du texte du Livre de Job, pour nous rappeler les principes essentiels de sa métaphysique. Il s’arrête ici sur ce qu’on pourrait appeler « l’irréalité » du mal, non pas dans ses effets physiques et moraux, bien sûr, mais en raison de son absence de substance. Puisqu’il est tout ce qui s’oppose à Celui qui précisément « Est » et de qui découle tout être, le mal pourrait-il avoir quelque substance en soi, n’est-il pas, précisément « ce qui n’est pas » et ne saurait demeurer éternellement ? C’est là une traduction ontologique très intéressante et suggestive de ce que nous traitons habituellement au niveau purement moral : si le mal est l’opposé du bien, ou son absence, c’est parce que le bien participe à l’être de Celui qui est, tandis que le mal n’a pas d’être en soi ; il a certes une existence, mais purement accidentelle, comme absence ou vide de ce qui est, par participation à l’Être. Ce que Grégoire exprime à sa façon pour commenter Jb 36, 16 : « Un trou resserré qui n’a sous lui aucun fondement », car en vérité « Aucun péché n’a de fondement, parce qu’il n’a en soi aucune subsistance. Le mal est absolument sans consistance. Alors que tout ce qui existe a, par nature, quelque lien avec le bien » (XXVI, 68).
Un signe indubitable : notre insatisfaction foncière
Ce qui explique pourquoi l’homme ne saurait trouver aucun contentement réel et durable dans les réalités créées qui sont, de soi, limitées et dont l’existence n’est que participation, non possession de l’être. La loi du cœur que saint Augustin avait magnifiquement explicitée dans sa célèbre formule : « Tu nous as fait pour toi, Seigneur et notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en Toi » (Confessions, I, 1, 1), Grégoire l’applique à l’esprit (mens, ici et non pas anima) pour expliquer son inconsistance, ou plutôt son instabilité naturelle, puisqu’il ne trouve rien en quoi il pourrait se reposer, trouver quelque contentement stable et complet (XXVI, 79). Ce qui constitue d’ailleurs une belle preuve que l’être humain n’est pas né de la terre, sinon, il y trouverait son contentement. C’est tout le thème augustinien de la « nostalgie » en son sens théologique. Où trouver, en effet, une autre explication du désintérêt chronique, du « dégoût », dit Grégoire, de l’esprit humain pour quelque réalité terrestre dont il a tiré tout ce qu’il pouvait ? Et, allant jusqu’au bout de son raisonnement, il ajoute cette conclusion éclairante d’un point de vue psychologique et moral : « C’est pourquoi, comme il ne peut se satisfaire de la qualité de ce qu’il trouve, il compense par la quantité de ce qui l’attire » (Ibid.).
Enfin, dans cette partie théologique, un argument que Grégoire n’avait pas encore explicité de cette façon pour éclairer, mais non expliquer, ce qu’on pourrait appeler « la justice » de toute souffrance. Il l’extrait d’un raisonnement aussi simple que profond : Dieu qui nous a tirés du néant par pure bonté, alors que nous n’avions aucun droit à l’existence, ne saurait nous abandonner par la suite, à moins que nous nous détournions volontairement et obstinément de Lui. Si donc nous souffrons toutes sortes de tribulations sur cette terre, ce ne peut être injustement, car s’il ne s’agit pas d’une correction en vue de notre béatitude, il s’agit, comme pour Job, d’une purification de la foi, et donc d’un appel à croître en mérites ; quoi qu’il en soit « Nous ne pouvons jamais souffrir injustement, car si Dieu nous a créés alors que nous n’étions pas, nous qui existons désormais, ne pouvons pas souffrir injustement alors que c’est Dieu qui conduit notre existence » (XXVI, 25).
2. L’enseignement moral :
le rôle salvifique de la conscience
Grégoire a souvent invité son lecteur à venir quotidiennement au tribunal de sa conscience pour se purifier du moindre mouvement qui s’opposerait à la bienveillante volonté du Père. Mais il étend ici sur plusieurs chapitres sa réflexion. L’idée de base en est simple : quiconque écoute en toute vérité et honnêteté la voix de sa conscience anticipe, d’une certaine façon, le jugement que Dieu prononcera à l’heure de sa mort. Plus il le fait avec rigueur et régularité, plus il se prépare avec une certaine assurance au jugement divin. En ce domaine, l’assurance n’est jamais vraiment de mise, car, Grégoire y est souvent revenu, qui peut savoir comment l’examen sévère et pénétrant de Dieu estimera ce que nous jugeons nous-mêmes être un acte ou une attitude méritoire ? Rien ne serait pire que de se croire en sécurité, ce qui engendrerait contentement de soi et orgueil, le pire des péchés, puisqu’il a entraîné Satan le premier en sa perte éternelle. Mais, là « Devant ce secret tribunal intérieur, contraints par la sentence que leur âme a elle-même prononcée, [les justes] châtient par la pénitence ce qu’ils ont commis par orgueil » (XXV, 13). Car la prise de conscience n’est encore rien si elle ne conduit à la conversion et à la pénitence. Il ne s’agit, certes pas, de se mettre à la place de Dieu, ce Juge que Grégoire qualifie souvent de « sévère », mais dont il loue aussi la miséricorde sans limite, il s’agit plutôt d’anticiper autant que possible le jugement qu’Il prononcera sur nous, non pour en être terrorisés, mais pour demeurer dans une juste attitude de profonde humilité et de foi en la grâce du Sauveur. D’une certaine façon, par sa conscience, l’homme est en effet entièrement « équipé » des instruments qui le préparent au jugement d’en Haut : « Car dans ce jugement qui a lieu dans l’âme ne manque aucune des instances qui doivent punir plus intégralement tout ce dont ils sont coupables. On y trouve, en effet, la conscience qui accuse, la raison qui juge, la crainte qui met aux fers, la douleur qui fait souffrir » (XXV, 13). Il y a là un devoir pour qui demeure vigilant sur sa vie présente et son avenir éternel. La négligence, en ce domaine, serait criminelle, puisqu’elle équivaudrait à un contentement de soi totalement aveugle et nous condamnerait immanquablement au plus sévère des jugements : « Car, en cette vie, si nous nous arrêtons, c’est comme si nous reculions et laisser notre âme sans l’examiner, c’est s’endormir dans le sommeil de la négligence » (XXV, 14).
Mais, dans cet enseignement moral, Grégoire aime à revenir sur un de ses thèmes favoris, cher à tous les fils et filles de saint Benoît dont il est : l’humilité vraie. Ce qui est particulièrement intéressant ici, c’est le lien intrinsèque qu’il établit entre ce qui n’est pas seulement une vertu, mais la voie royale du Christ en son mystère pascal, et d’autres charismes, comme celui de l’intelligence spirituelle ou encore la chasteté. Reprenant les plus beaux passages de l’Ancien Testament sur la Sagesse, venue à notre rencontre, Grégoire y reconnaît le Christ lui-même, qui ne s’est pas caché, mais a accepté de prendre les chemins de l’abaissement, en son Incarnation, pour se mettre à notre portée et nous enseigner par son comportement. Si tel a été le chemin du Rédempteur, comment ne serait-il pas le nôtre ? Et si c’est dans l’humilité que la Sagesse s’est manifestée à nous, il n’est d’autre accès qui nous soit ouvert pour aller à sa rencontre et s’en laisser pénétrer. Resitués dans le commentaire des malheurs de Job, ces propos prennent tout leur poids, car ils jettent une lumière de foi sur le « pourquoi » de ses souffrances, sans toutefois y répondre de façon satisfaisante pour la raison. Le but n’est pas de rendre la souffrance « raisonnable », ce qui serait plus insensé encore, mais d’inviter à entrer dans une expérience au cœur de laquelle, parce qu’on y est progressivement transformé de l’intérieur, plus précisément configuré au Christ, on commence à percevoir une certaine « intelligence interne » aux tribulations qu’on endure. Grégoire en conclut : « Comprendre les voies de Dieu, c’est accepter humblement les épreuves passagères et attendre fermement ce qui demeure, de façon à rechercher la gloire coéternelle à travers les opprobres de ce temps, comme l’a fait le Seigneur, et à fixer son regard non pas sur ce qu’on endure ici-bas, mais sur ce qu’on attend » (XXV, 30). Il s’agit de renoncer, là encore, à maîtriser entièrement sa vie – la grande prétention de notre époque si imbue de ses performances scientifiques et techniques, y compris dans le domaine psychologique – mais bien plutôt de s’en remettre à « Celui qui juge avec justice » (1 P 2, 23). C’est là et uniquement là que le chrétien accomplit en plénitude sa vocation de fils reçue et rendue possible au baptême. La maturité en ce domaine pourrait bien consister non plus à vouloir « maîtriser », mais à se confier entièrement à la volonté de Dieu. D’une certaine façon, on a là la guérison par son contraire de l’attitude qui a conduit au péché originel, puisque, fondamentalement, il s’agit d’une faute d’orgueil, d’un désir de juger par soi-même de ce qui est bien ou de ce qui est mal, comme le rappelle le fatal dialogue d’Ève avec le Serpent (Gn 3). Ce qui revient à refuser d’être fils ou fille de Dieu. Dans son chemin d’abaissement que Paul a si admirablement retracé dans le Cantique des Philippiens (Ph 2, 1-11), le Christ avait-il, finalement, d’autre but que de nous réapprendre à devenir des fils dans le Fils unique ? On comprend, dès lors, que Grégoire voie dans une authentique humilité sur les pas du Fils de Dieu fait homme, l’accès privilégié à la vraie sagesse : « Car c’est l’humilité qui nous ouvre à la lumière de l’intelligence et l’orgueil qui nous la cache. Tel est, en effet, le secret de la piété : plus on s’enfle d’orgueil, moins l’esprit y parvient, car plus on s’enfle de vaine gloire, plus on en est exclu » (XXV, 30). Cela s’applique, en particulier, puisqu’il s’agit du commentaire de l’arrogante intervention du jeune Élihu, à toute prétention de vouloir savoir et comprendre par soi-même l’élection, puis le rejet, que Paul nous invite à regarder comme temporaire, du peuple d’Israël, mais aussi de tout autre « tournant » inexplicable de nos propres existences. Les limites chaque jour expérimentées de notre connaissance et de nos réflexions devraient nous suffire à renoncer d’ailleurs à une telle prétention. Il ne s’agit pas de mettre un terme arbitraire à nos légitimes recherches théologiques, qui sont aussi, une façon de chercher Dieu et sans doute de L’honorer, mais pour les resituer à leur juste place et leur enlever cette illusion de réduire à des raisonnements humains ce qui relève de l’infinie sagesse divine. Revenant à ce qu’il a affirmé plus haut sur la « justice » de tout ce que Dieu réalise, quand bien même nous n’en trouvons pas la clef, Grégoire conclut ainsi son raisonnement sur les prétentions théologiques des « prédicateurs arrogants » dont Élihu est le type même : « Ces paroles nous sont données pour nous apprendre l’humilité et pour que nous n’ayons pas l’audace de raisonner sur l’appel de certains et le rejet d’autres. En effet, en ne donnant pas aussitôt de justification au sort des deux peuples, mais en affirmant que tel est le bon plaisir de Dieu, il nous montrait que ce qui a plu au Juste ne saurait être injuste » (XXV, 32).
Outre l’intelligence spirituelle, l’humilité ouvre la voie, selon Grégoire, à l’acquisition ou à la conservation d’autres vertus, parmi lesquelles, une des plus précieuses demeure la chasteté. Le raisonnement est le suivant : pour autant que l’homme s’élève, il perd la maîtrise que l’esprit exerce normalement sur la chair et s’assimile ainsi aux animaux qui n’obéissent qu’à leurs instincts. En voulant s’égaler à Dieu, l’homme se fait donc bête². Il faut ce rappel brutal de nos instincts sexuels pour nous ramener à plus de mesure qui est précisément le principe même de la chasteté. L’orgueil est en effet toujours une façon de se croire plus que l’on est en vérité. Vouloir s’élever au-dessus de sa condition humaine, c’est par conséquent se disposer à en ressentir cruellement la réalité la plus basique. L’imperium mentis, cette maîtrise ou domination qu’exerce, selon la volonté du Créateur, l’esprit sur la chair, est perdu dès lors qu’on a soi-même introduit un déséquilibre dans sa condition humaine en s’élevant avec excès. Fidèle à son principe de correspondances entre vice et correction, intérieur et extérieur, Grégoire analyse ainsi la pédagogie divine : « La luxure répond au grand jour à la faute à laquelle son orgueil l’a secrètement conduit. C’est pourquoi, c’est en demeurant humble qu’on conserve la pureté de la chasteté » (XXVI, 28). Les écrits des Pères du désert nous ont transmis le même enseignement, mais en précisant que la faute d’orgueil consiste dans ce cas à juger ses frères précisément en matière de chasteté. Combien de ces valeureux combattants se sont en effet effondrés dans la plus sordide débauche pour s’être crus maîtres ou exempts de leurs pulsions corporelles ?
Terminons ces réflexions morales par un principe cher à Grégoire et qu’on pourrait nommer le « principe du vice correcteur ». Fidèle à une philosophie du désir héritée de saint Augustin, Grégoire nous a maintes fois avertis sur les risques d’un attachement aux biens et aux plaisirs de ce monde. Il nous en dépeint ici habilement une figure parlante : celle d’Israël descendu en Égypte sous la pression de la famine, mais finalement accoutumé aux mœurs de cette terre qui dans l’Écriture symbolise le monde du péché, et dont la grave tentation est d’oublier le Dieu de ses Pères. Moïse, lui-même purifié et ramené à sa foi par son long séjour au désert, est chargé de ranimer celle du peuple élu. Décryptant les voies de la divine Providence, Grégoire voit précisément dans l’oppression de Pharaon sur Israël, non seulement le juste retour d’un attachement à la terre d’Égypte qui, « tout à la fois nous séduit et nous opprime » (XXVI, 21), mais encore l’aiguillon qui le réveille en lui rappelant qu’il est foncièrement et demeurera sur terre le peuple de l’exode, en quête du visage de son Dieu. Autrement dit, c’est précisément ce à quoi on s’est indûment attaché, parce qu’on croyait y trouver une forme d’accomplissement, qu’on nomme « bonheur », qui devient le principe de notre châtiment. Le mal auquel l’homme se heurte pour avoir oublié sa vocation divine, est le produit direct de son désir tronqué, et cette souffrance le réveille pour le sauver : « De telle sorte que le peuple, qui était honteusement retenu en servitude, réagisse, soit en étant attiré par le bien, soit en étant repoussé par le mal » (Ibid.). Il y a donc une logique interne à ce processus salvifique : l’expérience du malheur venu de nos excès est en soi-même une rééducation à ce pour quoi nous sommes faits depuis toujours et pour toujours. Dans cette pédagogie divine, désir et contrainte se complètent, car si le premier s’est endormi et ne suffit plus à entraîner vers le but, un tant soit peu perçu, la contrainte, qui vient le plus souvent de l’extérieur, mais est permise par la Providence divine, viendra réaliser ce que l’aspiration n’a pas réussi à opérer : « De façon à ce que, si nous négligeons de partir vers la Terre promise à laquelle nous avons été appelés, l’oppression de ceux qui nous font du mal puisse au moins nous y contraindre » (XXVI, 21). Autrement dit, tout en conduisant mystérieusement nos vies dans le respect de notre liberté, Dieu, en Père et en Pasteur, nous laisse parfois et dans une certaine mesure faire notre propre expérience parce qu’elle constitue dans le domaine moral une éducation efficace et durable.
3. Leçons pastorales et pratiques
Grégoire revient dans ce tome sur une constante de son enseignement : le besoin indispensable d’unir parole et action, prédication et pratique. On a souvent vu qu’il en faisait le fer de lance de ses instructions pastorales, voulant que les moines qu’il envoie prêcher et convertir les peuples soient avant tout d’authentiques chrétiens qui font ce qu’ils disent, autant que possible à des êtres humains dont l’incohérence est, hélas, un des traits les plus communs. Mais la prétentieuse réplique du jeune Élihu à son ami Job était une occasion trop belle pour ne pas glisser dans son commentaire quelques principes toujours valables en matière de pastorale. Il faut avouer que Grégoire édicte ici un de ses principes de façon si lapidaire que, pris à la lettre, il viderait les séminaires déjà bien peu peuplés et découragerait les pasteurs déjà en charge du petit troupeau. Qu’on en juge : « Il faut donc que ceux qui mènent encore le combat contre leurs vices ne se mêlent jamais de diriger les autres par la prédication » (XXIII, 21). Sans doute le grand pape veut-il éviter de confier à des âmes encore jeunes et peu expérimentées le soin d’enseigner ce qu’elles-mêmes n’ont pas encore parfaitement acquis, et qui pourrait le lui reprocher ? Mais si l’on attendait que nos pasteurs soient tous parfaits et pratiquent effectivement tout ce qu’ils enseignent au nom de l’Évangile, l’annonce toujours nécessaire et urgente de la Bonne Nouvelle (1 Co 9, 16), tarderait à venir. Il va sans dire que Grégoire évoque ici les premiers pas de la vie morale et spirituelle, la phase dite ascétique qui s’attaque en premier lieu à combattre les vices les plus grossiers. Grégoire le concède d’ailleurs clairement lui-même : « Mais qui peut prétendre l’avoir à jamais dépassé ? Seulement, une chose est de soutenir le combat avec vigueur, une autre, d’en être épuisé et d’être vaincu. Dans les premiers, on emploie ses forces à ne pas s’enorgueillir, dans les seconds, complètement épuisées, elles ne résistent plus » (XXIII, 22). Retenons en tout cas la volonté de souligner une fois de plus la nécessité d’associer à la prédication, à l’enseignement sous toutes ses formes, au moins un début de vie religieuse, comme le dit Saint Benoît en finale de sa règle (c. 73). Il en va, en effet, explique Grégoire, non seulement de la cohérence, donc de l’efficience de la prédication, puisque l’exemple donné renforce puissamment la parole prononcée, mais encore de la compréhension intérieure de ce qu’on enseigne. Car qui peut faire comprendre et surtout faire désirer une vertu qu’il ne pratique pas lui-même ? Il est une forme d’éducation qui ne passe que par la pratique elle-même et qui est toujours une forme d’expérience, donc de découverte des mécanismes intérieurs comme extérieurs qui régissent notre vie spirituelle. C’est ce que Grégoire appelle avec bonheur « le goût intérieur » (XXIII, 31), synonyme de sagesse acquise par la pratique, précisément parce qu’elle fait goûter de l’intérieur la vertu recherchée. Mais l’analyse pédagogique du pape va plus loin, en ce sens qu’à ses yeux une connaissance pratiquée et non seulement superficiellement acquise de façon purement intellectuelle, transforme effectivement l’âme de l’intérieur au lieu d’enfler inutilement. En effet, la connaissance acquise par la pratique nous rend aussitôt conscients de nos limites et de nos faiblesses (toujours le primat du « connais-toi toi-même »), et ainsi plus à mêmes d’accueillir les réalités cachées qui échappent aux seules capacités intellectuelles de l’être humain.
C’est donc le lien intrinsèque, si souvent relevé au cours de notre lecture, qui existe de façon vitale entre noétique (le domaine de la connaissance) et éthique (le domaine des mœurs, de la façon de vivre effectivement, donc de la morale). On croit trop souvent à notre époque scientifique qu’une simple acquisition intellectuelle permet de maîtriser un domaine de connaissance, fût-il spirituel. Si elle en donne les contours, voire les principes de base, la connaissance qui ne relève que de l’esprit pèche gravement par insuffisance. Comment connaître vraiment, comme de l’intérieur, ce qu’on ne vit pas soi-même ? Il y a connaissance par ressemblance − pour reprendre un poncif de la sagesse antique, si souvent utilisé par les auteurs médiévaux − connaissance par assimilation au sens premier du terme. On est bien proche de ce qu’évoque la Sainte Écriture quand elle use du verbe « connaître », qu’on pourrait d’ailleurs transcrire de façon très suggestive par « co-naître ». Grégoire nous donne une illustration de cette conviction à propos du pécheur qui se convertit. Sa purification morale ouvre sa conscience, par osmose, puisque sa « sainteté » participée le rapproche du Saint, aux profondeurs d’une Vérité qu’il n’aurait jamais atteintes par les seules forces de son esprit : « Plus on se repent dans les larmes d’un péché, plus est élevé le degré de connaissance de la Vérité auquel on accède, parce que la conscience, autrefois souillée, est renouvelée par un baptême de larmes afin de percevoir la lumière intérieure » (XXVII, 39).
Et puisque nous sommes dans le domaine de la pastorale, il serait dommage de laisser passer sans le relever l’avis si instructif que Grégoire laisse au prédicateur de la foi, tout aussi utile en toutes circonstances, au détour d’un commentaire des paroles du jeune Élihu. Il montre à quel point le pape est, à juste titre, aussi sensible à la forme qu’au contenu du discours, comme il n’a cessé de nous le prouver tout au long de sa méditation. Car, en réalité, le pape l’a souvent souligné, bien des paroles d’Élihu, figure du prétentieux qui « sait », sont justes et vraies, profondes mêmes et tout à fait recevables comme vérités divines, mais il oublie à qui il les adresse et en quelles circonstances il les rappelle : un ami de Dieu, le bienheureux Job, ô combien éprouvé ! D’où une formule pratique à l’usage de quiconque va ouvrir la bouche, surtout s’il croit mieux savoir que son interlocuteur : « En tout ce qu’on dit, il faut vraiment veiller à ce qu’on dit, à qui on le dit, quand et comment on le dit » (XXIV, 51).
Relevons, en terminant ce chapitre pastoral, la propédeutique que nous offre encore Grégoire à la fin de ce volume. En parcourant, en effet, à grandes enjambées l’Histoire Sainte que rapporte la Bible, et en des échos qui rappellent la Lettre aux Hébreux (c. 11), il relève en chacun des Patriarches, mais aussi en quelques-uns des rois et des prophètes, autant d’exemples uniques d’une vertu particulière : Abraham pour son obéissance, Jacob pour sa patience, David pour son humilité, etc. Mais le témoignage ne s’arrête pas là, puisque cet exemple des « Pères d’autrefois » se poursuit sans fin dans la vie de l’Église, pour ne former qu’une seule et vivante Tradition, un seul et même enseignement somptueusement diversifié (cf. XXVII, 16-17). L’ensemble de ce dernier livre XXVII peut d’ailleurs être lu comme une peinture de l’expansion du Christianisme dans une Histoire Sainte relue à la lumière des paroles d’Élihu.
f. Christophe Vuillaume, o.s.b.
Monastère de Mahitsy,
en la fête de l’Exaltation
de la Sainte Croix, 2022
Le texte latin de référence a été édité dans le CORPUS CHRISTIANORUM, en trois tomes, par les soins de Marc Adriaen :
1. Moralia, Livres I-X, CCSL 143, Turnhout, Brepols, 1979.
2. Moralia, Livres XI-XXII, CCSL 143 A, Turnhout, Brepols, 1979.
3. Moralia, Livres XXIII-XXXV, CCSL 143 B, Turnhout, Brepols, 1985.
Nous tenons à exprimer nos plus vifs remerciements à Sœur Adeline Deren, o.s.b. pour sa relecture du manuscrit et les précieuses suggestions qu’elle nous a apportées ainsi qu’à la T.R.M. Abbesse de l’Abbaye Notre-Dame de Wisques qui a généreusement encouragé et rendu possible cette fraternelle collaboration.
Nous adressons aussi au T.R.P. Dom Erik-Godfried Feys, Prieur du Monastère bénédictin de Steenbrugge (Belgique), ainsi qu’à la Direction du Corpus Christianorum, nos plus vifs remerciements pour leur très fraternelle collaboration.
Le texte latin des Moralia se trouve aussi dans la Patrologie Latine de Migne, Paris, 1878, dans le tome 76, col. 249-446, pour les Livres XXIII à XXVII (ici traduits), où, bien que doté d’un apparat critique, le texte présente encore un certain nombre de fautes.
¹ Bernard de Clairvaux, reprendra souvent cette idée, comme ici, dans son fameux De Consideratione 2, 3 : « Que votre considération commence par vous, et ne la portez point sur ce qui est placé hors de vous, en vous négligeant vous-même […] Que votre considération non seulement commence, mais aussi finisse par vous. Si
