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La stagiaire de monsieur François
La stagiaire de monsieur François
La stagiaire de monsieur François
Livre électronique309 pages3 heures

La stagiaire de monsieur François

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À propos de ce livre électronique

Léonie arrive de sa Normandie natale pour un stage au secrétariat d’une maison médicale. Elle ne connaît de Paris qu’Amélie, sa grand-tante qui l’héberge. L’accueil au travail est si chaleureux qu’il en devient suspect. L’étudiante se devine la cible d’un complot dont elle ignore la motivation. Elle va mener sa propre enquête et percer les secrets sulfureux des membres de son entourage. Les péripéties qui se succèdent lui permettront aussi de répondre à ses interrogations concernant sa propre personnalité.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Yves Pajaud, dans ce cinquième roman, transporte une intrigue saisissante à Paris, une ville dont il n’a jamais percé les mystères, à cent lieues de son univers mayennais. Parallèlement, il adresse un clin d’œil aux vacances estivales de son enfance à La Baule.
LangueFrançais
ÉditeurLe Lys Bleu Éditions
Date de sortie24 juin 2024
ISBN9791042223724
La stagiaire de monsieur François

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    Aperçu du livre

    La stagiaire de monsieur François - Jean-Yves Pajaud

    Du même auteur

    – Le feu à l’âme, Le Lys Bleu Éditions, 2022 ;

    – Seul et Myo, Le Lys Bleu Éditions, 2022 ;

    – La colline des Feignants, Le Lys Bleu Éditions, 2023 ;

    – Moulin Guillain, Le Lys Bleu Éditions, 2023.

    À Brigitte,

    pour qui j’ai choisi

    une photo de couverture

    immortalisant sa jeunesse.

    Chapitre 1

    « C’est quoi ce cochon-tirelire  ?

    — Il fallait s’y attendre ! On lui montre le fonctionnement de l’accueil, la gestion des rendez-vous du médecin, des dentistes, des kinés et de l’orthophoniste, et, au bout d’une heure, notre nouvelle stagiaire n’a qu’une question à poser : c’est quoi, ce cochon-tirelire ? »

    Devant la mine faussement déconfite de leur collègue, les deux secrétaires éclatent de rire :

    « Eh bien, fais les présentations, toi-même, Julie  !

    — Bon… Léonie, je te présente Henri IV… réputé pour son goût prononcé pour les femmes et pour son odeur, tout aussi… prononcée  !

    — Enchantée  ! Comme je n’imagine aucune de vous trois succomber à son charme, à quoi sert-il  ?

    — Une de ses citations les plus célèbres est : Paris vaut bien une messe. Il est chargé de collecter nos pertes  ! »

    Le gentil reproche émane du bureau à sa droite :

    « Aurélie  ! À ce rythme-là, à midi, on y sera encore…

    — Alors, place à ton droit d’aînesse, Clarisse, pour y mettre un point final ! »

    La sexagénaire obtempère en se tournant vers la nouvelle venue :

    « Nous parions un peu sur tout, n’importe quand et tous les jours. Tu ne gagnes rien. Si tu t’es trompée, là, tu verses un euro à Henri IV…

    — Ça peut revenir cher  !

    — Pas du tout  ! La limite est fixée à dix euros par personne et par semaine… lorsqu’il y a assez d’argent, on se fait un petit resto toutes les trois… »

    Léonie plisse les yeux, un rien provocatrice :

    « Vous avez joué sur moi avant mon arrivée  ?

    — Oui, bien sûr…

    — Jupe ou pantalon  ? Brune ou blonde  ? Lunettes ou pas  ?

    — Non  ! Si l’on te supporterait plus de dix minutes…

    — Alors  ?

    — Tu es encore là et la tirelire est vide… »

    Touchée, Léonie incline la tête avec un sourire en guise de remerciement à celles dont elle envahit l’univers :

    « J’apprécie ! Le docteur Claudon vient quand  ?

    — Tout à l’heure… il ne reçoit pas de patients le lundi matin. C’est d’ailleurs notre prochain pari. Les filles  ! Ici ou La Baule  ?

    — Ici…

    — La Baule… »

    Cette fois, la stagiaire affiche un regard interrogateur :

    « Je ne comprends pas…

    — Monsieur François habite le deuxième étage de l’immeuble. Sa femme n’a jamais supporté Paris. Depuis que leurs enfants sont partis, elle vit toute l’année dans leur résidence secondaire au bord de la mer.

    — Et lui va la rejoindre le week-end  ?

    — C’est ça  ! Donc, s’il arrive par le hall, il revient de La Baule, s’il descend de l’appartement, c’est qu’il y est resté !

    — Pourquoi l’appelles-tu Monsieur François  ?

    — L’habitude ! Lorsqu’il s’est installé ici, c’était en association avec son père. Plus pratique pour les différencier…

    — Médecins de père en fils…

    — Ça remonte à l’arrière-grand-père qui a travaillé avec Pasteur lui-même ! C’était le professeur Henri Claudon. Le grand-père, Constant et le père, Henri-Paul, l’étaient aussi… »

    Léonie s’étonne :

    « Pas lui  ?

    — Non. Il est le premier à avoir refusé une spécialisation et la fréquentation des mandarins. Crois-moi, son père lui en a toujours voulu  ! »

    Aurélie intervient :

    « Et sa mère n’était plus là pour arrondir les angles ! Elle est décédée d’un cancer alors que François travaillait pour Médecins sans Frontières. Il n’a pas pu rentrer à temps pour les obsèques… son père est mort, il y a deux ans. Il ne le lui avait pas pardonné… trente ans après  !

    — Donc, on l’appelle Monsieur François…

    — Quand il est tout seul avec nous, oui. S’il y a du public, c’est Docteur. Les couples de kinés et de dentistes, c’est madame et monsieur. Quant à l’orthophoniste, c’est Daphnée pour tous, y compris ses patients, des enfants pour la plupart… ceci explique cela, autant que ses 25 ans ! Tu vas voir, tout le monde l’adore.

    — Et Monsieur François, il est comment  ?

    — Vis-à-vis de nous  ? Très sympa, mais sans copinage. Quoique, si l’une ou l’autre a un problème, il fera tout pour nous aider… et merde  ! Aurélie… comme moi, tu avais parié sur La Baule  ? Un euro… bon  ! Quand il va remonter… escalier ou ascenseur  ?

    — Ascenseur…

    — Ascenseur…

    — Escalier  ! Léonie, tu vas endosser une sacrée responsabilité  !

    — Pourquoi  ?

    Clarisse, la tête légèrement penchée sur le côté, lui adresse un sourire maternel : « Parce qu’il va te recevoir dans son bureau et, comme il est galant, il va te laisser le choix… »

    ***

    « Vous préférez l’escalier ou l’ascenseur  ?

    — Ça m’est égal…

    — Très mauvaise réponse, vous rétorquerait un recruteur  ! D’une part, vous n’assumez pas vos décisions ou vous ne vous affirmez pas suffisamment. D’autre part, vous ne savez pas à quel étage nous allons monter !

    — Au premier…

    — Vous marquez un point et les secrétaires aussi, car je suppose qu’elles vous ont fait visiter les lieux  ? »

    Le ton est convivial. Léonie s’en amuse et récite sa leçon, comme un élève de 6e appelé au tableau :

    « Les kinés au rez-de-chaussée gauche, les dentistes à droite. Au premier, salle d’attente commune, la porte de l’orthophoniste est à gauche et, à côté, un cabinet médical annexe. Tout le reste est occupé par le Grand Bureau… au deuxième étage, c’est votre appartement privé…

    — Et au troisième, des studios en location. Parfait  ! Alors… ascenseur ou escalier  ? » Le médecin la torture sans méchanceté aucune. Léonie le lit dans son regard, ce qui ne lui est d’aucun secours !

    Le médecin cesse son petit jeu :

    « D’accord  ! Je décide parce que je vous sens piégée par vos collègues… nous prenons l’escalier… pour descendre, vous choisirez vous-même, puisque vous serez toute seule  ! »

    Le Grand Bureau n’usurpe pas son nom. La pièce est immense. Léonie jette un regard effaré à son propriétaire. Lui s’en amuse : « Je devine votre pensée… la surface d’un appartement, le mobilier aussi imposant que démodé, la bibliothèque qui couvre tout un mur, la tapisserie vieillotte, c’est à la fois ringard et impressionnant… non  ? »

    La spontanéité d’une Léonie perplexe doit composer avec la prudence avant de répondre :

    « Euh… ça surprend…

    — Rassurez-vous  ! Je l’occupe depuis deux ans et je ne me sens pas encore chez moi.

    — Vous étiez obligé de changer de cabinet  ?

    — Je l’avais promis à mon père… c’est bien le seul point sur lequel je ne l’ai pas déçu… »

    Il ajoute, fataliste :

    « C’est une autre et longue histoire.

    — Il a exercé jusqu’au bout  ?

    — Presque… jusqu’à 75 ans. Tant qu’il a vécu, il a passé ses journées dans ce bureau. Il nourrissait une véritable passion pour son métier et un culte intangible envers ses père et grand-père. »

    Son sourire engageant achève d’annihiler la réserve de la jeune femme. Elle s’enhardit :

    « Si je peux me permettre… les patients… ils ne…

    — Ils sont habitués. Certains sont très fiers d’être reçus dans le cabinet d’une dynastie de médecins dont le patriarche a travaillé avec Pasteur. Vous voyez la vitrine à côté de vous  ? C’est son matériel qui y est exposé… »

    Il se met à rire :

    « Ce n’est plus un cabinet médical, c’est un musée  !

    — Ne me dites pas qu’ils croient que vos prédécesseurs vous soufflent le diagnostic  ? »

    Intérieurement, Monsieur François se réjouit de l’aisance de la nouvelle recrue. Elle a, d’instinct, trouvé le juste équilibre entre une attitude timorée ou obséquieuse et une familiarité inappropriée, sinon vulgaire. Il répond d’un ton badin :

    « Chez certaines vieilles clientes de mon père, j’ai plus que des doutes  !

    — Pour les jeunes…

    — Eux, ils ont une bonne surprise : je suis conventionné, sans surcoût de la consultation. S’ils ont une complémentaire, ils sont intégralement remboursés. Vous devrez le préciser lors d’une première prise de rendez-vous.

    — Clarisse me l’avait dit.

    — Ça ne m’étonne pas  ! Et sur l’aspect du bureau  ?

    — Non, rien  ! »

    Il rit :

    « Ça ne m’étonne pas non plus  ! Elle vous a laissé le plaisir de la découverte. Venez vous asseoir dans la partie salon… elle sert si rarement ! Et parlez-moi de vous…

    — Léonie Lambardon, 23 ans, et je termine un BTS de secrétaire médicale. Le stage est prévu pour six mois. »

    Il fait semblant de réfléchir, comme si le nom lui rappelait vaguement quelqu’un : « Lambardon… »

    Elle n’est pas troublée par le petit piège destiné à la jauger :

    « Vous connaissez ma tante. Elle est votre patiente. »

    Il claque le bras du fauteuil de la main droite comme si la mémoire lui revenait soudain :

    « Oui ! C’est elle qui m’avait demandé de vous prendre, à titre exceptionnel, comme stagiaire. Vous êtes parisienne ou vous habitez chez elle  ?

    — Je suis Normande. Elle m’a accueillie par gentillesse, mais je crois qu’elle est surtout ravie d’avoir quelqu’un dans son appartement, même pour quelques mois.

    — À ce propos, vis-à-vis de votre parente comme des autres clients, le secret professionnel se double du secret médical. En quittant le travail, chaque soir, vous oubliez tout ce que vous avez lu ou appris. Si votre tante voulait jouer les curieuses, répondez-lui que vous n’avez pas accès à beaucoup de dossiers, le sien en particulier ! »

    La stagiaire se fend d’un large sourire presque complice : « Vous la connaissez bien  ! Vous pouvez me faire confiance… »

    Le visage du médecin redevient grave :

    « Deux autres choses que je tiens à vous préciser : n’espérez pas voir cette période se muer en emploi, à moins qu’une des trois titulaires démissionne, ce qui me désolerait. Le second point, c’est que je m’en remets entièrement à elles pour vous entourer. Bien sûr, en cas de problème personnel, je reste accessible, cela va de soi  !

    — Je crois que je m’entendrai très bien avec les trois…

    — Curiosité et indiscrétion de ma part : vous avez 23 ans… vous aviez pris du retard dans vos études  ?

    — En fait, c’est un changement d’orientation. J’ai déjà un BTS en agriculture. »

    ***

    Lorsqu’elle redescend, la ruche s’est réveillée. Aurélie jongle avec les lignes de téléphone. Tout en la relayant, Julie pointe les arrivants et indique leurs salles d’attente respectives. Clarisse, le nez sur l’écran, se concentre sur les dossiers. Sans s’interrompre une seconde, elle désigne la chaise voisine à la stagiaire : « Ton ordi est allumé. Pour l’instant, tu t’occupes de trier le courrier papier. En même temps, ouvre les yeux et les oreilles pour t’imprégner de ce qui se passe. C’est la meilleure manière d’apprendre  ! »

    La corbeille est pleine. Léonie suit le conseil, s’applique et bien au-delà. Elle enregistre l’activité du secrétariat, ce qui lui offre le loisir d’observer ses collègues, à commencer par Clarisse, la reine mère. La retraite approche pour celle qui est arrivée là à 18 ans et n’a jamais connu d’autre horizon professionnel.

    Restée quelques instants en tête-à-tête avec Julie, le moment est propice aux révélations et aux confidences.

    Depuis deux ans, l’aînée a renoncé à se teindre les cheveux, ce qu’elle avait justifié près de ses deux amies : « Certains portent le deuil en noir. Moi, ce sera en blanc pour le Professeur. » Ce décès n’avait, en apparence, pas influé sur son travail ni sur son énergie. Au contraire, elle en avait conçu des responsabilités nouvelles vis-à-vis de Monsieur François.

    « Encore que le Monsieur disparaît lorsqu’ils sont seuls ! » La benjamine du trio l’a divulgué à la stagiaire, en précisant :

    « Chut… ça reste un secret !

    — Aurélie est au courant  ?

    — Oui, bien sûr  ! C’est elle qui l’a entendu par hasard et me l’a répété. Normal que tu sois au courant… ne serait-ce que pour éviter une gaffe ! »

    Léonie fait la moue :

    « Merci quand même  !

    — Ne te vexe pas. Clarisse serait probablement très malheureuse si elle savait que nous connaissons ce petit privilège affectif !

    — Elle tient beaucoup à ce que vous soyez toutes traitées de la même manière  ?

    — C’est tout à son honneur ! Aurélie et moi, nous ne sommes pas jalouses et ça ne nous choque pas du tout. Tu comprends, quand elle est arrivée, c’était un gamin de 13 ans… »

    La mimique de Léonie est significative : « Difficile d’imaginer Clarisse en jeune adulte dans les années soixante-dix après l’explosion de Mai 68, la révolution des mœurs, la pilule et l’après-De Gaulle… »

    Elle se reprend avec le retour de sa voisine qui l’interpelle d’emblée :

    « Tu as prévu quelque chose pour ce midi  ?

    — Noon… enfin… si  ! Sandwich et lèche-vitrines », bafouille Léonie, subitement redescendue sur terre. Clarisse s’attendait à une réponse de ce genre :

    « C’est par envie ou par économie  ?

    — Un peu les deux…

    — On mange au petit resto, en face, plat du jour et dessert en une demi-heure. Après, tu auras le temps de te promener  !

    — Ou… oui… pourquoi pas  ? »

    L’hésitation de la jeune femme n’est pas passée inaperçue :

    « Sois cool avec nous… tu es juste, côté fric  ?

    — Oui…

    — Alors, ne t’inquiète pas : tu ne paieras pas  !

    — Je ne veux pas me faire inviter  ! Il n’y a pas de raison…

    — Tu ne seras pas invitée : c’est Monsieur François qui règle la note. Il appelle ça le panier du chantier.

    — Il ne m’en a pas parlé…

    — C’est à moi de le faire. Je m’occupe de la gestion au quotidien. Ça allège le travail du comptable ! Il n’a rien dit non plus de ton indemnité  ?

    — Non…

    — Mille euros par mois… »

    Léonie ouvre des yeux ronds :

    « Mille  ? C’est beaucoup  !

    — Cela signifie qu’il compte sur toi au niveau du boulot  ! Et si tu veux une avance ce mois-ci, cela ne posera pas de problème…

    — Ça va aller, merci ! J’ai tout de même un peu d’économies et j’ai payé ma pension de famille hier.

    — Ta pension de famille  ? »

    Clarisse est abasourdie. Léonie lève le voile sur l’arrangement conclu avec sa propriétaire :

    « C’est le cas de le dire ! J’habite chez ma tante. Logement, petit-déj et dîner avec partage des tâches…

    — Pas trop cher, quand même  ?

    — Cinq cents euros…

    — Oh, la vache  ! Elle ne s’emmerde pas  !

    — Je n’ai pas osé discuter… c’est elle qui m’a trouvé ce stage…

    — Si mon appartement était plus grand, tu viendrais chez moi  !

    — C’est gentil, mais c’est convenu comme ça… et puis, avec les mille euros que je vais recevoir, plus de problème  !

    — Comme tu veux ! Ce midi, tu manges avec Julie et moi. Aurélie tient la permanence. Elle ira à notre retour.

    — Toute seule  ? »

    Le petit rire de Clarisse est ironique :

    « À 45 ans, elle est assez grande, tu sais  !

    — Ce n’est pas ce que je voulais dire  ! J’aurais pu lui tenir compagnie…

    — Tu as bon cœur, toi  ! Rassure-toi : Monsieur François déjeune presque toujours avec celle du second service. Ça t’arrivera aussi. »

    La conversation ne perturbe pas leur activité. La stagiaire étale les piles d’enveloppes :

    « Qu’est-ce que je fais du courrier trié  ?

    — Kinés et dentistes, tu ouvres  ! D’office, on considère que c’est professionnel. Nous traitons nous-même et ne leur transmettons que le reste. Ce qui concerne Daphnée, direct dans sa case : elle gère toute seule. Pour Monsieur François, les lettres avec logo et les intitulés Docteur, c’est pour nous. Monsieur, c’est pour lui.

    — Vous êtes en partie payées par les autres  ?

    — Non… notre employeur, c’est la société créée par Henri-Paul Claudon. Le service accueil/secrétariat est inclus dans le loyer de leurs locaux.

    — Mais alors… tout l’immeuble…

    — … appartient à Monsieur François, tout à fait  ! Tu comprends vite, toi  ! Le bâtiment est dans la famille depuis l’arrière-grand-père. À chaque génération, les descendants le remettent au goût du jour et voilà…

    — Il m’a parlé de studios loués au troisième… ça ne me regarde pas, il n’empêche qu’au bout, c’est beaucoup d’argent  !

    — Ne te méprends pas : Monsieur François n’est pas accro au pognon ni à la maison. Je crois que, s’il n’en tenait qu’à lui, il l’aurait vendue et se serait contenté d’un cabinet et d’un appartement plus modestes.

    — Seulement, ça ne tient pas qu’à lui…

    — Eh non… ce que sa femme appelle l’hôtel particulier, leur fils et leur fille refusent qu’il s’en sépare alors qu’ils n’y mettent plus les pieds  !

    — Il a cédé à la majorité…

    — Et à un argument massue : si tu déménages, tu seras obligé de licencier les secrétaires  ! Pas évident à mon âge de retrouver du travail…

    — La corde sensible…

    — C’était dégueulasse, oui  ! Nous prendre en otages pour le faire plier alors qu’ils n’en ont rien à foutre de nous  ! »

    Léonie se sent gênée face à ce déballage empreint de colère et d’une vieille rancœur :

    « Clarisse… tu n’es pas en train de m’en dire trop  ? Après tout, je ne suis là que pour six mois…

    — Tes scrupules me confortent dans mon jugement. J’ai confiance en toi comme dans Aurélie et Julie. Ce que tu viens d’apprendre, elles le savent. Tu es dans la confidence, c’est tout.

    — Ça me touche…

    — Je m’en doute, mais c’est à double sens : nous n’aurons pas à nous censurer devant toi… tu fais un peu plus partie de la famille !

    — Pas encore… »

    Sa mimique taquine surprend sa collègue :

    « Que faudrait-il  ?

    — Que je joue avec Henri IV… »

    Clarisse tapote la tirelire du bout des doigts. Elle éclate de rire :

    « Génial  ! J’en connais deux qui vont devoir y mettre un euro supplémentaire !

    — Pourquoi  ?

    — J’avais lancé le pari que tu voudrais y participer avant trois jours… »

    Chapitre 2

    Le petit restaurant se remplit peu à peu de sa clientèle d’habitués. Julie et Léonie attendent Clarisse, appelée au dernier moment par Monsieur François.

    « J’apprécie de t’avoir avec nous  !

    — Quand je serai un peu plus au courant, j’espère vous alléger vraiment le travail !

    — Tu as déjà commencé  ! Non, c’est perso, un truc entre toi et moi.

    — Julie… Je ne vois pas…

    — Même pour six mois, je suis ravie de te laisser le pompon de benjamine  ! »

    Léonie sourit :

    « Je ne fais pas exprès de n’avoir que 23 ans ! Il y a beaucoup de différence  ?

    — Sept ans… encore que tu as peut-être de l’avance sur moi  ?

    — Dans quel domaine  ?

    — Tu as un mec  ?

    — J’ai eu et je n’ai plus ! On s’était rencontré l’année du bac. C’était si fort qu’on ne s’est plus séparés dans nos études. Adrien voulait reprendre l’exploitation de ses parents et s’est inscrit en BTS agricole. Je n’y connaissais rien, j’ai quand même suivi la même voie… »

    Julie caricature une vision extatique en levant les bras au ciel :

    « C’est beau, l’amour  ! Ça te plaisait  ?

    — C’était surtout de vivre ensemble  ! De toute façon, je n’avais pas de vocation particulière pour un métier. Nous étions en alternance dans la ferme et en couple, l’idéal  ! Je m’entendais bien avec sa mère. »

    Est-ce le ton de la voix  ? Julie trouve tout de suite le défaut de la cuirasse :

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