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Baldwin, Styron et moi
Baldwin, Styron et moi
Baldwin, Styron et moi
Livre électronique192 pages2 heures

Baldwin, Styron et moi

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À propos de ce livre électronique

Mélikah Abdelmoumen explore l’amitié qui lia William Styron et James Baldwin.

Le premier, un Blanc descendant de propriétaires d’esclaves, surtout connu pour son roman "Le choix de Sophie". Le second, un Noir descendant d’esclaves, célèbre pour ses prises de parole et ses œuvres antiracistes.

Alors qu’il logeait en 1961 chez Styron dans le Connecticut, Baldwin l’aurait convaincu d’écrire au « je » le récit de la révolte d’esclaves menée par Nat Turner en 1831 dans le sud des États-Unis. Un défi que Styron releva en publiant "Les Confessions de Nat Turner", prix Pulitzer 1968. Il fut alors accusé d’appropriation culturelle dans un ouvrage écrit par dix écrivains afro-américains.

L’autrice québécoise Mélikah Abdelmoumen, Saguenéenne par sa mère et Tunisienne par son père, part à la rencontre de ces deux célèbres auteurs américains du 20e siècle, qui auront amorcé le débat entourant les brûlantes questions de l’appropriation culturelle et de la liberté de l’écrivain.
LangueFrançais
ÉditeurMémoire d'encrier
Date de sortie14 févr. 2022
ISBN9782897128166
Baldwin, Styron et moi
Auteur

Mélikah Abdelmoumen

Romancière et essayiste, Mélikah Abdelmoumen est née à Chicoutimi en 1972. Elle est une figure incontournable de la scène littéraire québécoise. Son essai Baldwin, Styron et moi, publié chez Mémoire d'encrier en 2022, a remporté le Prix Pierre-Vadeboncoeur. Elle vit à Montréal.

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    Aperçu du livre

    Baldwin, Styron et moi - Mélikah Abdelmoumen

    Moi / Eux / Vous / Nous

    Portrait en noir et blanc de l'autrice Mélikah Abdelmoumen, photographie réalisée par Sandra Lachance

    Je m’appelle Mélikah Abdelmoumen et je viens du Saguenay. Du côté maternel, mes origines sont bretonnes et gaspésiennes. Les premiers de mes ancêtres connus sont arrivés au Québec il y a plusieurs siècles pour travailler sur des chantiers navals.

    Mon père est tunisien. Il a immigré en 1968.

    Je suis née à l’hôpital de Chicoutimi — une ancienne municipalité qui, à la suite de la grande fusion urbaine de 2002, est devenue l’un des arrondissements de la ville de Saguenay¹. La famille de ma mère est de La Baie, une autre petite ville devenue arrondissement. Avant d’être absorbée par Saguenay, La Baie était elle-même le fruit de la fusion, en 1976, de Port-Alfred, Bagotville et Grande-Baie.

    De fusion en fusion, on a ainsi vu disparaître des petites municipalités, et avec elles leurs singularités, dans de grands centres urbains dont les Baieriverains, en tout cas ceux que je connais, semblent refuser l’existence. Ainsi mes oncles et tantes parlent toujours, même des décennies après, de tel café de Grande-Baie, de tel centre pour aînés de « Bagot’ », de tel restaurant de Port-Alfred.

    Quand on arrive dans le centre-ville de La Baie, on découvre une vue magnifique sur un fjord. Les berges sont en partie occupées par les immenses silos des installations portuaires de l’usine d’aluminium du groupe Rio Tinto, qui confèrent au décor une étrangeté que j’ai toujours aimée : métal beige et brun, sale, sur le fond bleu de l’eau et du ciel.

    Il paraît que plusieurs projets citoyens ont été proposés afin de les embellir, notamment en les recouvrant d’œuvres géantes conçues par des artistes peintres ou même en y projetant des films dans le cadre d’un ciné-club. Ça n’a pas eu lieu.

    Moi, je les aime comme ils sont, les silos moches du groupe Rio Tinto. Et quand j’arrive de Montréal, à presque 400 km de là, et que nous prenons enfin la route qui surplombe le centre de La Baie avant de descendre et longer l’eau, je suis toujours saisie par la beauté singulière du berceau de ma famille maternelle.

    C’est ce quartier qui était autrefois Bagotville. Les étés, de gros bateaux de croisière accostent à son port. Leurs ventres s’ouvrent et déversent des foules de touristes français et américains qui vont se promener et déguster un repas chez Marcel Bouchard, le chef du restaurant gastronomique de l’Auberge des 21.

    Mes parents, ma sœur et moi avons quitté le Saguenay pour venir vivre à Montréal quand j’avais quatre ans, mais nous retournions régulièrement voir ma famille là-bas. J’ai des souvenirs impérissables de la traversée du parc des Laurentides — aujourd’hui appelé « réserve faunique des Laurentides » — en pleine tempête de neige.

    La plupart du temps, nous logions chez ma grand-mère, Olivette, qu’on appelait aussi Mama Yvette. Elle vivait avec ma tante Lison, alors célibataire, dans une grande maison du rang Saint-Martin, près de la rivière. Ma sœur, mes cousins et cousines et moi passions des heures à jouer dans le petit boisé devant chez Mama Yvette avec les deux chiens — la vieille Sol et le petit Mao — ou à sauter de l’un à l’autre des gros rochers au bord de l’eau lorsque la marée était basse. À l’occasion de notre venue, à nous les Montréalais, Grand-maman organisait d’immenses repas en famille (ma mère avait treize frères et sœurs) dans la grande salle commune du rez-de-chaussée de la maison.

    J’adorais le fudge aux noix de ma tante Lison, les tartes aux framboises fraîchement cueillies, le fromage en grains… et surtout la fondue chinoise. On plongeait de fines lamelles de viande, souvent la chair de l’orignal qu’un de mes oncles avait chassé, dans le bouillon chaud. Une fois la viande cuite, on la trempait dans une panoplie multicolore de mayonnaises et de sauces assaisonnées : ketchup, ail, cari, bourguignonne, etc. (Pour ma sœur et moi, pas très aventurières d’un point de vue gastronomique, Mama Yvette prévoyait toujours des lamelles de bœuf.)

    J’allais dire que nous étions une famille ordinaire avec une vie ordinaire, somme toute pas si différente de la vôtre, quel que soit l’endroit d’où vous veniez, mais ça ne veut rien dire. Toutes les familles sont ordinaires et toutes les familles sont singulières.

    Dans la mienne, il y avait, du côté paternel que j’ai peu connu, onze enfants nés en Tunisie (certains y vivant toujours), dont mon père est l’aîné. Il y avait aussi des cousins et cousines que je n’ai jamais rencontrés, bien que certains ont pris contact avec moi par l’entremise des réseaux sociaux.

    Du côté maternel, Grand-père Lucien, le « beau Gaspésien » est mort jeune, avant ma naissance, laissant Olivette élever seule les quatorze enfants dont il s’était jusque-là beaucoup occupé. Pour un homme de l’époque, Lucien était très impliqué et très maternel, dit-on dans la famille.

    Olivette et moi avions des atomes crochus, comme le désir d’écrire. Née en 1914, elle avait dû sacrifier beaucoup en tant que femme du Québec de ces années-là. Elle n’en a pas moins repris ses études et obtenu un « Certificat en communication et expression » de l’Université du Québec à Chicoutimi… à 78 ans ! Ça devait être beau de la croiser dans les couloirs au milieu des autres étudiants et étudiantes. Je l’imagine comme je l’ai connue : élégamment vêtue, portant un parfum délicat, classeurs tenus contre son torse, droite, fière, un sourire discret aux lèvres, un peu de fard aux joues et, peut-être, un fichu de soie gris clair noué autour du cou, un béret de laine vieux rose sur la tête.

    Quelques années plus tard, elle a réalisé son plus ancien et impossible projet : écrire un livre. Mâture, voilure et souvenance est le résultat de ses quinze années de recherches au sujet des origines d’une de nos branches familiales. Il est paru à compte d’auteur en 1995.

    Après avoir quitté le Saguenay en 1976, mes parents, ma sœur et moi avons vécu à Montréal-Nord, puis à Côte Saint-Luc, puis à Notre-Dame-de-Grâce. Je ne me rendais pas compte, enfant, que ces deux derniers étaient des quartiers anglophones, bien typiques de l’ouest de la métropole ; nous vivions en français, dans notre bulle, avec quelques voisins et amis.

    Ma première école montréalaise s’appelait Saint-Antonin, puis ç’a été l’école Notre-Dame-de-Grâce, où j’ai fini mon primaire. J’ai ensuite fréquenté deux écoles privées : le collège Stanislas, institution à cheval entre les systèmes québécois et français, et le collège Jean-de-Brébeuf, où j’ai fait mon secondaire 5 et mon cégep.

    À Stanislas, je me démarquais peu : j’étais loin d’être la seule enfant née de l’union d’une Québécoise de souche et d’un immigré, ou inversement, et issue d’un milieu pas spécialement nanti.

    À Jean-de-Brébeuf, je jurais davantage dans le décor. Du moins, c’est le souvenir que j’ai gardé de cet établissement surtout fréquenté, à l’époque, par des enfants de la bourgeoisie québécoise de souche.

    Je suis Saguenéenne de naissance et Montréalaise d’adoption. C’est à Montréal que j’ai grandi et que je suis devenue adulte. De cœur, je suis les deux.

    Chez nous, quand j’étais petite, on portait la djellaba rose vif, blanc immaculé ou bleu nuit en guise de tenue d’intérieur, comme certains portent un peignoir ou s’habillent « en mou ». Je pense que mon père avait dû en rapporter pour toute la famille d’un de ses voyages au pays natal. Les détails sont flous, mais il me reste un souvenir de mes parents ainsi vêtus, faisant la cuisine dans notre appartement.

    Couscous, tajine au thon, ragoût d’agneau à la corète, poulet au safran, briks à l’œuf et au thon. Grandes cuillerées d’harissa que mon père mettait dans son assiette. Ma mère en colère dans la cuisine, brandissant sa typiquement québécoise cuillère de bois quand ma sœur et moi courions partout, menaçant de faire tomber une marmite de bouillon de tomate brûlant. Gilles Vigneault chantant Gros Pierre, « Tidelidam didelidam dame lit doux », « J’ai planté un chêne au bout de mon champ/perdre rai-je ma peine/perdrerai-je mon temps » et, surtout, « I went to the market mon p’tit panier sous mon bras ». Yvon Deschamps chantant Les fesses et nous plongeant dans l’hilarité absolue. Félix Leclerc, Bozo et son Petit bonheur. Fairuz, dont je trouvais la voix si belle, même si je ne comprenais rien à ce qu’elle chantait, moi qui ne parle pas un mot d’arabe. Les Beatles, qui étaient une religion chez nous, tout comme Tom Waits. Léo Ferré chantant Aragon. Julien Clerc, dont j’étais convaincue qu’il était tunisien parce qu’il ressemblait à mon père et que les deux avaient l’accent français.

    Je me rappelle très bien tout ça, mais je n’ai aucun souvenir de m’être posé des questions sur mon identité. Ni sur la place de mon nom de famille ou de la forme de mon nez — mon pif d’Arabe — dans notre vie collective. Je ne me demandais pas ce que c’était d’être québécoise, ni quelles étaient les façons de l’être.

    La vie allait se charger d’ébranler cette paisible certitude.

    J’ai grandi

    parmi vous

    alors

    pourquoi

    suis-je encore

    si petite à vos yeux ?

    Elkahna Talbi,

    Pomme grenade².

    Quand mon père, né à Tunis en 1948, a immigré au Québec à la fin des années 1960, il venait de faire un bref passage à Paris. Il avait été sélectionné par le gouvernement de son pays natal pour préparer, bourse à la clef, le concours d’entrée d’une grande école en France. Il avait 20 ans.

    Il est arrivé à Paris quelques semaines après mai 1968. Il partageait une chambre avec un jeune Québécois dont les parents étaient voyagistes. Ces derniers lui ont offert un billet d’avion pour le Québec, lui disant qu’il y serait bien mieux pour étudier, au frais, et voir du pays avant de revenir à Paris. Pendant ce séjour à Montréal, puis à Chicoutimi, mon père a appris que l’honneur qui lui était fait par la Tunisie venait avec un fil à la patte : on lui offrait d’intégrer l’élite et d’aller représenter son ex-protectorat de pays natal sur les bancs des grandes écoles du vaisseau mère français, mais à condition de rentrer tout de suite après ses études et de rester au service de l’État tunisien pendant dix ans.

    Il s’est désisté. Il est resté ici. Et il a rencontré ma mère, née en 1944, à La Baie.

    Je suis née en 1972 à l’hôpital de Chicoutimi.

    Ma sœur est née peu après, en 1975.

    En 1983, mes parents se sont séparés.

    En 1986, mon père est allé s’installer en France, où il a vécu une vingtaine d’années. Ma sœur et moi avons donc régulièrement fait, seules en avion, la traversée de l’Atlantique pour aller le voir à Strasbourg.

    Quant à moi, je ne me doutais alors pas que le rôle de la France dans ma propre vie, loin d’être sporadique ou temporaire, allait devenir si déterminant, et que l’Hexagone serait un jour tissé à même mes fibres.

    Mon père est revenu vivre au Québec au moment de sa retraite, peu après ma propre installation en France, à Lyon.

    (Il y a des choses qui se

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