Le Courrier de Lyon
Par Pierre Zaccone
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À propos de ce livre électronique
Cet homme avait cinquante ans environ.
En réponse aux questions d’usage qui lui furent adressées à, l’effet d’établir son identité, il déclara se nommer Laborde, et produisit un passe-port et une carte de sûreté en bonne forme.
On l’enregistra donc sur la feuille des voyageurs, et il paya le prix-de sa place, — soit : deux mille sept cent trente-sept livres.
Hâtons-dous d’ajouter, pour édifier le lecteur, qu’un pareil chiffre pourrait effrayer, que ces 2,737 livres avaient été payées en assignats et non en numéraire.
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Aperçu du livre
Le Courrier de Lyon - Pierre Zaccone
I. — LE DRAME
Le 27 avril 1796 (8 floréal an IV), vers dix heures du matin, un homme se présentait à l’hôtel des Postes, rue Jean-Jacques-Rousseau, bureau des voyageurs, et demandait à retenir une place dans la malle qui devait partir, le soir même, de Paris pour Lyon.
Cet homme avait cinquante ans environ.
En réponse aux questions d’usage qui lui furent adressées à, l’effet d’établir son identité, il déclara se nommer Laborde, et produisit un passe-port et une carte de sûreté en bonne forme.
On l’enregistra donc sur la feuille des voyageurs, et il paya le prix-de sa place, — soit : deux mille sept cent trente-sept livres.
Hâtons-dous d’ajouter, pour édifier le lecteur, qu’un pareil chiffre pourrait effrayer, que ces 2,737 livres avaient été payées en assignats et non en numéraire.
Le prix de sa place acquitté, le sieur Laborde s’enquit du courrier avec lequel il devait voyager, et sur l’indication qui lui fut donnée, il s’empressa de se rendre auprès de lui.
Cette précaution n’avait rien alors que de très naturel.
La route était longue, de Paris à Lyon. La voiture dans laquelle s’effectuait le trajet était une sorte de chaise ouverte comme un cabriolet où le voyageur se trouvait seul avec le courrier, et il était de la plus élémentaire prudence de s’assurer les bonnes grâces de ce dernier, qui pouvait, à son gré, rendre le voyage agréable ou insupportable à son compagnon.
Le courrier désigné pour accompagner ce jour-là les dépêches de la ligne de Lyon était le citoyen Excoffon.
Depuis quelque temps déjà, il avait vendu sa charge, mais son successeur n’étant pas prêt encore, il avait consenti à faire un dernier voyage en son lieu et place.
Excoffon reçut Laborde avec cette affabilité ronde et franche qui était un des traits distinctifs du courrier de la malle-poste. Il lui demanda s’il avait beaucoup de bagages, et Laborde montra en souriant un grand sabre qu’il portait enveloppé sous son bras.
— Mes bagages partiront plus tard, dit-il d’un ton naturel ; mais je n’ai pas voulu me séparer de ceci.
— Une relique de famille ? fit Excoffon.
— Précisément, voyez.
Laborde tira le sabre du fourreau, et en fit admirer la lame à son interlocuteur.
D’un côté, étaient gravés ces mots : L’honneur me conduit !
De l’autre : Pour le salut de ma patrie !
Excoffon ne fit pas d’autre objection.
Il vivait à Paris, et prenait ses repas chez une de ses parentes, la citoyenne Olgoff. Il offrit à son voyageur de partager avec lui le dîner qui allait lui être servi, et une heure après, ils étaient assis à la même table.
Laborde avait l’air fort gai. — Au besoin, il ne dédaignait pas de jeter quelques mots plaisants dans la conversation.
— Emportez-vous beaucoup de dépêches pour la route, demanda-t-il bientôt à Excoffon.
— Cent dix environ... répondit ce dernier.
— Et des dépêches importantes sans doute, et beaucoup de valeurs aussi.
— Aujourd’hui, l’envoi sera énorme.
— Vraiment !
— Il se compose de vingt mille francs en numéraire, et de huit millions en assignats.
Laborde fit un bond.
— Parbleu ! s’écria-t-il sur un ton singulier, vous auriez bien fait de ne point me parler de cela.
— Pourquoi donc ?
— Est-ce que vous emportez toujours des sommes aussi considérables ?
— Quelquefois.
— Et vous n’avez pas peur ?
— De quoi ?
— Des voleurs donc. Excoffon haussa les épaules.
— Bah ! répliqua-t-il avec insouciance, est-ce qu’il faut penser à ces choses-là ?.. Et puis si nous sommes attaqués, que pouvons-nous redouter ; j’ai, moi, une bonne paire de pistolets, et vous, vous avez votre grand diable de sabre.
Laborde ne répondit pas.
Il était devenu pensif... une ombre avait passé sur son front, et le sourire s’était éteint sur ses lèvres.
Cependant le moment approchait.
On but le coup de l’étrier... et l’on songea au départ.
Laborde embrassa la citoyenne Olgoff, prit son sabre sous son bras, et accompagné d’Excoffon, il se rendit à l’hôtel des Postes, d’où partaient les malles...
A cinq heures et demie, ils quittaient Paris, emportés par le galop de leurs chevaux.
On connaît la route que suivait, à cette époque, la malle-poste de Lyon, à la sortie de Paris.
Elle se dirigeait d’abord sur Maisons-Alfort ; puis, de là, sur Villeneuve-Saint-Georges, Montgeron, Lieursaint, etc.
Il paraît que tout marcha bien jusqu’à ce dernier relai...
Les rapports qui s’étaient établis entre Excoffon et Laborde continuaient d’être excellents ; tout au plus, le courrier avait-il eu lieu de remarquer que son compagnon devenait moins communicatif à mesure qu’ils avançaient, et que, depuis Montgeron notamment, il paraissait étudier la route et les moindres accidents dé terrain avec une profonde et inquiète attention.
Une autre observation qui fut relevée plus tard tendrait même à établir qu’Excoffon avait conçu certains soupçons sur son voyageur. Plusieurs témoins ont, en effet, assuré que, aux différents relais où le courrier s’arrêta, ce dernier, pour une cause qui est restée ignorée, avait refusé de payer pour Laborde, et déclaré aux maîtres de poste qu’il ne répondrait pas de ce qu’il pourrait devoir.
Quoi qu’il en soit de ces observations, le postillon Etienne Audebert monta à cheval à Lieur saint, et la malle-poste partit pour Melun.
Comme il reprenait sa place dans le cabriolet, Excoffon remarqua avec surprise que Laborde avait tiré son sabre du fourreau, et qu’il l’avait placé debout et nu auprès de lui.
Mais il n’attacha pas grande importance à ce fait, et les craintes qu’avait manifestées son compagnon, au moment de se mettre en route, expliquaient d’ailleurs suffisamment l’étrange précaution qu’il croyait devoir prendre.
Il était alors huit heures et demie environ.
La nuit commençait à tomber ; quoi qu’en eût dit le courrier, les routes étaient fort peu sûres, et l’on pouvait s’attendre à tout de la part des bandits qui infestaient les grands chemins...
Quelques minutes après, la voiture disparaissait à l’horizon dans un tourbillon de poussière, et le bruit de ses roues s’éteignit bientôt dans le sinistre silence de la nuit.
Le lendemain, un spectacle horrible vint frapper de stupeur les habitants de Lieur saint et répandre la consternation dans les communes environnante.
II. — LE DOIGT DE DIEU.
Le matin, vers cinq heures, quelques paysans, passant au lieu dit le Closeau, dans la commune de Vert, aperçurent une voiture abandonnée, auprès de laquelle gisait, étendu et sanglant, le cadavre d’un postillon, que l’on reconnut, malgré les nombreuses blessures qu’il portait, pour être celui d’Etienne Audebert, du relai de Lieursaint.
Alentour, il y avait de nombreux papiers couverts de sang, et un peu plus loin, près du pont de Pouilly, un second cadavre, qui n’était autre que celui du malheureux Excoffon.
Mais des voyageurs de la malle-poste on ne trouva aucune trace.
Un des deux chevaux attelés à la malle avait été volé.
La malle avait donc été attaquée et pillée, et les misérables qui s’étaient rendus coupables de ce crime n’avaient reculé devant aucune des conséquences de leur abominable forfait.
La nouvelle de cet attentat se répandit rapidement dans le pays ; la justice s’en émut ; elle se rendit sur les lieux pour y faire sans tarder toutes les constatations légales, et, dès le jour même, les recherches les plus actives furent ordonnées dans le but de découvrir les assassins.
Un agent de police, habile entre tous, et qui avait déjà donné des preuves nombreuses de son savoir faire, fut principalement chargé de l’affaire, et vingt quatre heures ne s’étaient pas écoulées, qu’un premier indice venait le mettre sur la trace de l’un des complices.
Cet agent avait surtout été frappé de la disparition de l’un des chevaux de la malle ; il s’était dit avec raison qu’un cheval ne disparaît pas comme une ombre, et qu’il ne devait pas être absolument impossible de le retrouver.
Il avait donc filé le cheval.
Seulement, au lieu d’un, il n’avait pas tardé à en trouver quatre, qu’un sieur Etienne avait, le 9 floréal au matin, conduits chez le citoyen Muiron, couverts de sueur, de poussière et d’écume.
Dès ce moment, il tenait une piste, et en matière de police, c’est le point important.
Peu après on découvrit, en effet, que le sieur Etienne s’appelait Courriol, qu’il demeurait rue du Petit-Reposoir, hôtel de Guillaume Tell, avec une fille du nom de Madeleine Bréban, et qu’il avait découché dans la nuit du 8 au 9 ; seulement on ne l’avait pas revu depuis !...
Là piste menaçait d’être perdue.
Mais la police est entêtée, et elle à raison...
Tandis qu’elle avait un œil sur Courriol, dit Etienne, elle en ouvrait un autre sur un sieur Richard, homme plus que suspect, qui habitait une maison bourgeoise, rue de la Bûcherie, 27, dans laquelle on apprit bientôt que Madeleine Bréban avait logé avec son amant jusqu’au 17 floréal, époque à laquelle ils étaient partis pour Troyes.
Au lieu d’une piste, on en avait deux.
C’est plus qu’il n’en fallait.
L’affaire, si ténébreuse au début, commençait à s’éclairer ; bientôt les renseignements abondèrent.
Richard vivait avec une femme qui était marchande à la toilette ; on sut qu’ils avaient fait la conduite à Courriol jusqu’à Bondy, et que de là, au lieu de se diriger sur Troyes, et pour dérouter les investigations ultérieures, les deux fugitifs s’étaient rendus à Château-Thierry.
L’agent arriva presque en même temps qu’eux dans cette dernière localité, et au moment où l’arrestation de Courriol fut opérée, on le trouva nanti, tant en assignats, inscriptions, numéraire ou bijoux, d’une somme considérable, qui, calcul fait, représentait environ le cinquième du montant des valeurs soustraites.
Ce fut un trait de lumière pour l’esprit judicieux des magistrats.
Comme on ne doutait pas que Courriol ne fût l’un des assassins du courrier de Lyon, comme, en outre, la somme trouvée en sa possession ne représentait que le cinquième des objets volés, on en conclut que les assassins devaient être au nombre de cinq, et qu’il y en avait quatre autres à trouver.
Ce n’était pas facile... au milieu des troubles de cette époque, une pareille recherche eût été même impossible peut-être si Dieu ne s’en était mêlé.
Quoi qu’en disent les esprits forts, Dieu se mêle plus souvent qu’on ne le pense des affaires humaines.
Le juge de paix de la section du Pont-Neuf, chargé de l’instruction, avait convoqué à Paris tous les gens de Montgeron et de Lieursaint qui pouvaient avoir quelques renseignements à fournir à la justice.
L’officier de police judiciaire, M. Daubanton, était un homme intègre, sévère, et d’une activité qui défiait toutes les fatigues !
Son cabinet ne désemplissait pas.
Un jour, il y avait une dizaine de témoins dans l’antichambre de l’officier judiciaire ; chacun attendait son tour et l’on causait naturellement de l’affaire qui servait, dans le moment, d’aliment à toutes les conversations.
Au nombre de ces témoins, se trouvaient deux femmes qui étaient servantes à Montgeron, dont l’une s’appelait la Sauton, dont l’autre répondait au nom de Grosse-Tête.
Ces deux femmes étaient des témoins importants.
Elles se rappelaient avoir vu, à Montgeron, avant le passage de la malle, c’est-à-dire le jour du crime, quatre cavaliers à mine suspecte, dont elles avaient donné le signalement, et qui, selon elles, avaient dû faire partie de la bande des assassins.
Elles causaient entre elles quand deux hommes entrèrent dans l’antichambre.
Ils étaient mis comme d’honnêtes et modestes citoyens ; leur physionomie n’avait rien qui fût de nature à attirer les regards ou à éveiller les soupçons, et, cependant, à peine furent-ils entrés, que la Sauton et la Grosse-Tête réprimèrent à grand’peine un mouvement de surprise, mêlée de terreur.
Aucun des deux hommes ne s’aperçut de cet incident, car, presque aussitôt, les deux femmes appelées par un officier de police quittèrent l’antichambre et pénétrèrent dans le cabinet du juge de paix.
Mais elles n’étaient pas encore bien remises de leur émotion et de leur frayeur, et M. Daubanton remarqua leur trouble, qu’elles ne cherchaient pas, du reste, à cacher.
— Qu’avez-vous, demanda le juge, et pourquoi cette pâleur sur vos visages ?
— Ah ! c’est un miracle ! fit Grosse-Tête en frissonnant.
— Qu’y a-t-il ?
— Là, tout à l’heure, dans l’antichambre, nous avons vu...
— Quoi ?...
— Deux des assassins de Lieursaint...
— Quelle folie ! fit M. Daubanton avec un sourire incrédule.
La Sauton remua la tête avec énergie.
— Oh ! ce n’est pas une folie, citoyen juge, répondit-elle, et nous disons la pure vérité.
— Mais c’est impossible... Le moyen de croire que deux scélérats de cette sorte pousseraient l’audace, ou plutôt l’imprudence, jusqu’à venir braver la justice dans son sanctuaire.
— C’est pourtant bien eux, persista Grosse-Tête — surtout le grand blond...
M. Daubanton, frappé de cette insistance, fit un signe à son officier de paix, et quelques secondes plus tard, les deux hommes étaient introduits, pendant qu’un troisième personnage remettait au juge le signalement des individus désignés comme s’étant trouvés dans les environs de Lieursaint quelques heures avant le crime.
III. — JOSEPH LESURQUES
Le juge jeta sur les signalements un rapide regard, qu’il reporta vivement sur les deux hommes, et s’adressant aux servantes de Mongeron :
— Voici les personnes dont vous m’avez parlé, dit-il, avec un pli soucieux sur le front. Persistez vous toujours dans vos déclarations ?...
— Nous persistons ! répondirent les deux femmes.
— Réfléchissez encore...
— Oh ! c’est tout réfléchi.
— Vous soutiendrez devant la justice ce que vous venez d’avancer.
— Nous le soutiendrons devant le bon Dieu lui même, et nous en levons la main.
— C’est bien ! vous pouvez vous retirer.
M. Daubanton se tourna alors vers les deux hommes qui paraissaient ne rien comprendre à cette scène.
— Citoyens, dit-il d’un ton net et ferme, vous avez entendu les femmes qui viennent de sortir ? — elles vous accusent de faire partie de la bande d’assassins qui ont tué le courrier de Lyon.
— Nous ! firent en même temps les deux hommes, mais c’est une horrible méprise...
— Méprise... peut-être... répliqua le juge, cependant je ne dois pas vous cacher que deux des signalements que j’ai là sous les yeux se rapportent d’une manière étrange à vous deux.
— Mais notre honorabilité ne saurait être suspectée ! nous sommes connus. M. Daubanton approuva du geste.
— C’est là, en effet, une garantie, répondit-il. Veuillez donc, je vous prie, me dire vos noms et prénoms.
— Moi, je m’appelle Guesno, dit le premier, et je suis employé aux transports militaires.
— Et moi, répondit le second, je m’appelle Joseph Lesurques ; j’habite Paris depuis un an, et j’y vis de la fortune que j’ai honorablement gagnée...
M. Daubanton écrivit les noms et les renseignements qu’on lui donnait.
— Citoyens, dit-il quand il eut fini, la découverte de la vérité est le seul but que poursuive la justice, et je souhaite que vous sortiez à votre honneur de cette épreuve. — Toutefois mon devoir de magistrat est ici sérieusement engagé ; des présomptions graves s’élèvent contre vous, et je suis obligé de prendre toutes les précautions. — Citoyen Guesno, et vous, citoyen Lesurques, je vous arrête !
Joseph Lesurques avait trente-trois ans à peine. Il était né à Douai, le 1er avril 1763, de parents honnêtes et jouissant d’une modeste aisance. Après avoir fait d’assez bonnes études, il avait travaillé quelque temps chez un notaire de la localité, et s’était engagé dans le régiment d’Auvergne, où il avait atteint promptement le grade de sergent.
Vers 1790, Lesurques quitta le régiment pour entrer dans l’administration du district de Douai, sa ville natale, et grâce à son intelligence et à son zèle, il ne tarda pas à obtenir l’emploi de chef de bureau.
C’était une très-honorable position ; aussi n’eut il pas de peine à trouver une jeune fille, Mademoiselle Campion, qui consentit à unir sa destinée à la sienne.
La pauvre enfant ne savait pas alors à quelles cruelles épreuves cet hymen allait la livrer.
Lesurques était bien de sa personne.
D’une taille au-dessus de la moyenne (cinq pieds trois pouces), il avait des cheveux blonds, des yeux bleus et doux, et le nez aquilin.
Seulement, au côté droit du front, il portait une cicatrice, trace d’un accident d’enfance, et l’an des doigts de sa main droite était estropié.
Mais ces légers défauts physiques ne pouvait nuire à l’aspect d’ensemble de sa personne, et il est certain que sous l’influence du monde d’artiste vers lequel l’entraînaient ses goûts naturels, il avait acquis une sorte de distinction extérieure.
Il n’avait alors que des ressources assez bornées.
Soit qu’il voulût les augmenter, pour accroître le bien-être de son intérieur, ce qui était assurément très-légitime ; soit, ce qui l’était moins, qu’il cherchât à doubler ses revenus, pour se procurer plus facilement les plaisirs vers lesquels il se sentait attiré, à partir du jour où il fut marié, Lesurques s’occupa d’opérations financières, se mit à spéculer sur les biens d’émigrés, et réalisa, dit-on, des bénéfices assez considérables sur certaines ventes qu’il effectua pour le compte des nobles.
Vers 1795, c’est-à-dire en quatre ou cinq années au plus, il avait gagné une fortune importante, qui se composait de la ferme de Férin, de quelques terres et d’une maison sise à Douai, représentant ensemble un revenu de près de douze mille livres.
C’est alors qu’il conçut l’idée de quitter sa ville natale, et de venir à Paris, où l’appelaient la nature de ses goûts, son intelligence, son activité et son ambition.
A. ce moment, il avait trois enfants.
Lesurques n’était pas un homme d’intérieur ; il aimait le plaisir, recherchait la société des gens oisifs, et il ne tarda pas à nouer quelques relations qui durent forcément l’entraîner plus loin qu’il ne convenait peut-être à un père de famille.
Les témoignages sont formels à cet égard, et il parait même que le train qu’il menait à Douai avait donné de son caractère une idée peu favorable. On le dépeignait bien comme probe et capable, mais on parlait sévèrement de ses liaisons avec des actrices, de ses parties de cheval, et d’une propension à la dépense qui pourrait un jour le pousser à compromettre ce qu’il avait gagné.
Dieu nous garde de parler légèrement d’un malheureux que la sympathie publique semble avoir absous du crime qui lui a été imputé, mais la vérité ne saurait jamais perdre ses droits, et il n’est pas permis de l’atténuer.
IV. — LES DEUX ENQUÊTES.
Si Lesurques n’est pas coupable, et nous ne demandons qu’à le croire, il faut avouer qu’il a été victime d’une fatalité sans précédents, et qu’un concours inouï de circonstances a justifié hautement l’accusation qui a pesé sur lui.
Ainsi, dès le début de l’instruction, deux hommes sont particulièrement désignés à la justice : Courriol et Richard. Courriol a manifestement pris part à l’assassinat ; Richard a logé Courriol et l’a accompagné dans sa fuite, et Lesurques est obligé de reconnaître que, le 11 ou le 12, c’est-à-dire deux ou trois jours après le crime, il a déjeuné avec eux.
Pour prouver son alibi, il prétend qu’il a passé la matinée du 8 floréal chez le citoyen Legrand, bijoutier du Palais-Royal. Legrand semble un moment confirmer son dire, et affirme, à son tour, qu’il existe sur son livre un témoignage précis et authentique de cette visite. — On a recours au livre, et l’on découvre avec stupeur que la date du 8, invoquée comme preuve, a été falsifiée, et sous le 8 apparaît distinctement un 9, dont la queue dépasse le chiffre auquel on a voulu le substituer.
Ce n’est pas tout :
Lesurques est interrogé ; on lui demande où il a passé la nuit du 8 au 9 floréal, et bien qu’il déclare l’avoir passée chez lui, il ne produit ni n’invoque à l’appui de sa déclaration aucun témoignage catégorique.
Que de présomptions viennent, en outre, s’ajouter à ces charges déjà si graves !...
Non seulement, cet homme qui habite Paris depuis un an, et qui n’a aucune raison pour s’y cacher, ne possède ni passeport ni carte de sûreté en son nom, mais on trouve sur lui une carte de sûreté en blanc revêtue des signatures du président et du secrétaire de sa section, et par conséquent, dans le cas d’être remplie à toute heure...
Et quand on songe que, confronté avec les gens de Lieursaint, il est reconnu positivement par eux ; que, sur dix témoins, sept affirment énergiquement l’avoir vu sur les lieux, peu de temps avant le crime, on se demande quel implacable démon a pu réunir tant de coïncidences contre un innocent.
D’ailleurs, une autre remarque nous a encore frappé !...
Nous reprendrons tout à l’heure notre récit un moment interrompu ; mais que le lecteur nous permette auparavant cette dernière observation.
Il nous semble — avons-nous tort du raison ? — il nous semble que dans tout le cours de cette affaire, Lesurques n’a pas cet accent communicatif et sincère qui convient à la vérité.
Nous le voudrions souvent plus indigné, moins patient, plus affirmatif.
Il déclare bien qu’il est innocent, qu’il ne se trouvait pas sur le lieu du crime à l’heure où il a été commis.
Mais avec quelle mollesse
