À propos de ce livre électronique
« Ceci est une histoire d'amour comme vous n'en avez jamais lu. Parce qu'il s'agit de la mienne, il faut évidemment qu'elle soit tout sauf ordinaire. Elle commence par une attaque de panique pendant une réunion avec Dominatrix, ma patronne adepte de harcèlement psychologique. Puis, il y a la rencontre fortuite avec mon premier amour et le mystère de la disparition de mon père qui refait surface. Et ça déboule. Jusqu'à ce que je fasse une découverte qui remettra en question toute ma vie. »
Jeanne Conan entraîne ses lectrices dans une série de péripéties aussi palpitantes que bouleversantes. Une oeuvre captivante où humour et émotions fortes se côtoient et tissent un récit dont la chute marque à jamais.
Jeanne Conan
Jeanne Conan est née en 1974. Elle est mère de trois enfants.
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Avis sur Casse-coeur
4 notations0 avis
Aperçu du livre
Casse-coeur - Jeanne Conan
Casse-coeur
Un roman de
Jeanne Conan
Published by Jeanne Conan at Smashwords
Publié par Jeanne Conan sur Smashwords
© 2014, Jeanne Conan, Maxime Roussy
ISBN : 9781311694218
Table des matières
Page couverture
Titre
Copyright
Table des matières
Dédicace
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36
Chapitre 37
Chapitre 38
Chapitre 39
Chapitre 40
Chapitre 41
Chapitre 42
Chapitre 43
Chapitre 44
Chapitre 45
Chapitre 46
Chapitre 47
Chapitre 48
Chapitre 49
Chapitre 50
Chapitre 51
Chapitre 52
Chapitre 53
Chapitre 54
Chapitre 55
Chapitre 56
Chapitre 57
Chapitre 58
Chapitre 59
Chapitre 60
Chapitre 61
Remerciements
À tous ces gens qui, comme moi, souffrent d’un trouble anxieux.
Oui, on peut s’en sortir.
Oui, on peut en rire.
1
Couchée dans le ventre d’une ambulance, j’avais les yeux fermés. Des larmes ne cessaient de rouler sur mes joues. L’ambulancier qui était à mes côtés, dont j’ignorais s’il était grand ou petit, gros ou maigre, approcha sa bouche de mon oreille :
— Ça va ?
Il avait une belle voix, c’était ma seule certitude.
Je fis oui de la tête.
Le véhicule d’urgence ne roulait pas très rapidement, et le chauffeur n’en activait la sirène que lorsqu’il devait brûler un feu rouge. Cela me réconfortait quelque peu : les seuls risques de mourir seraient donc de honte ; alors mon âme ne se détacherait pas de mon corps dans l’immédiat.
Et pourtant, j’étais persuadée, quelques minutes auparavant, que ma dernière heure était venue.
— Tout est beau en ce qui concerne votre cœur, a ajouté l’ambulancier, comme s’il avait lu dans mes pensées. Vous n’avez pas à vous inquiéter, tout va bien aller.
Je venais d’avoir trente-cinq ans. J’étais perpétuellement stressée. Je n’avais pas d’enfant. Je n’aimais plus l’homme avec qui j’étais depuis au moins dix ans. Je n’avais strictement rien accompli, si ce n’était des milliers de casse-têtes. Si je mourais, ma vie aurait été un fiasco.
C’était pathétique. Ce que l’on graverait sur ma pierre tombale si je succombais : « Ci-gît Marie Soucy, dite la Pitoyable », que dis-je, « la Consternante ».
Je tournai un peu la tête et entrouvris un œil : il était beau gosse, l’ambulancier, finalement. Cheveux noirs coiffés au gel, dans la vingtaine et la mâchoire carrée.
Avec la tranche de sa main, il essuya une larme qui fuyait sur ma joue. Délicate attention.
Je repensai à ce qui s’était passé, j’avais du mal à comprendre ce que je venais de vivre.
J’étais en réunion avec un client. Étaient présents autour de la table : ma patronne, la bien nommée Dominatrix, Marie-Claire, ma collègue, et le 7432 (je nommais les clients selon le numéro de leur dossier).
Pendant quelques minutes, j’ai perdu le fil de la discussion. Je voyais des bouches bouger, comme celles de marionnettes de ventriloque, mais je ne parvenais pas à analyser les sons qu’ils émettaient. J’étais avec eux physiquement, mais ailleurs en même temps. Comme si j’étais spectatrice. Puis Dominatrix s’est tournée vers moi. Elle a émis des sons, mais rien d’intelligible.
— Pardon ? ai-je dit en réalisant que c’était à moi qu’elle s’adressait lorsque nos regards se sont croisés, un peu comme si je regardais un téléroman à la télévision et qu’un des acteurs s’était tourné vers moi pour m’adresser la parole directement.
— Est-ce que vous êtes avec nous ? a-t-elle répliqué avec son habituel ton cassant.
— Oui, oui, ai-je bafouillé. Désolée. Vous disiez ?
— Je voulais savoir si vous pourriez assurer.
« Assurer ». Le mot fétiche de Dominatrix.
C’est alors que j’ai eu un vertige. J’ai posé mes deux mains à plat sur la table en verre. Ma bouche s’est mise à produire une quantité anormale de salive et j’ai été happée par une nausée aussi subite qu’agressive. J’ai eu l’impression que j’allais vomir sur la table devant le 7432 et mes collègues. J’ai senti un irrépressible besoin de fuir.
— Dé... Désolée.
Je ne pouvais pas m’en aller en plein milieu d’une réunion. Ça ne se faisait pas.
— Oui, euh, donc, euh...
Ça n’allait pas. Pas du tout. Je respirais difficilement et mon estomac allait rejeter son contenu, c’était imminent.
— Ex... Excusez-moi.
Je me suis levée et je suis sortie en remarquant les yeux écarquillés de Dominatrix qui soulignaient à gros traits le viol de protocole que je m’apprêtais à commettre. Des yeux qui ont ajouté à ma détresse.
Je me suis dirigée vers les toilettes, la main sur la bouche. Mon cœur s’est mis à battre la chamade. Dans le corridor, en pas- sant devant les ascenseurs, je me suis dit : « Ça y est, je meurs. »
En entrant dans un des cabinets d’aisance, j’ai retiré mes souliers à talons hauts, j’ai détaché les trois premiers boutons de mon chemisier et dégrafé mon soutien-gorge. J’étouffais. De la sueur perlait sur mon front, ma respiration était saccadée. Mais étrangement, parce que j’avais quitté la salle de réunion, j’allais un peu mieux.
Je me suis assise sur le sol et j’ai fermé les yeux.
Quelques instants plus tard, la porte des toilettes s’est ouverte. C’était Marie-Claire.
— Marie ? Ça va ?
Mes nausées ont repris de plus belle et j’avais le cœur qui cognait sur ma cage thoracique.
J’ai réussi à balbutier :
— Je... Je vais... mourir.
Et je me suis mise à pleurer. Marie-Claire est partie en courant. Je me suis couchée sur le carrelage froid et sale et je me suis recroquevillée.
Quelques instants plus tard, la porte s’est encore ouverte. Marie-Claire, en état de panique :
— Marie, tu m’entends ?
J’ai marmonné quelque chose d’incompréhensible.
— L’ambulance s’en vient. Tiens bon !
Puis elle a essayé d’ouvrir la porte du cabinet, mais quelqu’un l’avait verrouillée. Moi ? Je n’en avais aucun souvenir.
— Laisse-moi entrer.
Plus elle parlait, plus j’avais l’impression d’approcher le moment de ma mort. Chacun de ses mots était comme un coup de poing qu’elle assenait dans mon ventre.
— Marie. Tu dois me laisser entrer.
Je ne pouvais pas. L’idée de me déplier et de me relever était au-dessus de mes forces. La position fœtale était la seule qui me faisait du bien.
Ma camarade est revenue à la charge :
— Marie ? T’es morte ?
Cette Marie-Claire... À question stupide, réponse stupide :
— Oui, ai-je réussi à dire.
— Est-ce que tu vois le tunnel et la lumière, et des anges ?
Ce qui s’est passé par la suite était plutôt flou : il semble qu’elle ait grimpé sur la cuvette voisine et réussi à tirer le loquet pour ouvrir la porte de mon cabinet.
Quand j’ai ouvert les yeux, elle était au-dessus de moi. Elle me fixait avec un air grave. Même si j’avais l’impression d’entendre l’Ange de la Mort affûter la lame de sa faux dans l’attente de mon trépas, je suis parvenue à lui demander :
— Qu’est-ce que tu fais ! ?
— J’attends que tu meures. Pour te faire un massage cardiaque et le bouche-à-bouche. Ne t’inquiète pas, même si j’ai passé mes cours au secondaire, je me rappelle comment faire.
Elle devait se taire. À tout prix. Plus elle parlait, plus un étau invisible resserrait mon estomac.
— Mais ne me vomis pas dans la bouche, d’accord ? Je veux dire, si tu peux. Je me rappelle que l’ambulancier nous avait raconté que des morts avaient déjà vomi pendant qu’il leur faisait la respiration artificielle. C’est dégoûtant, non ?
C’en était assez. Il fallait qu’elle parte. Immédiatement.
— Et si je te casse des côtes...
— Va-t’en.
— Quoi ?
Au Moyen Âge, on torturait parfois les gens en leur plaçant graduellement de plus en plus de poids sur la poitrine. Ils étouffaient. C’est ce qui m’arrivait. Chacun des mots de Marie-Claire ajoutait une pierre au supplice. Avec le peu d’air qu’il me restait dans les poumons, j’ai hurlé :
— Dégage !
Quelques instants plus tard, à mon grand désarroi, je n’étais toujours pas décédée. Je souffrais encore, mais je me sentais un peu mieux. C’est à ce moment que les ambulanciers sont entrés dans les toilettes. J’ai gardé les yeux fermés et j’ai répondu à leurs questions avec des hochements de tête, même si j’aurais très bien pu faire des phrases complètes. Je ne voulais pas leur donner l’impression qu’ils s’étaient déplacés pour rien.
On a ouvert mon chemisier et collé des électrodes sur ma poitrine. On m’a transférée sur une civière et entrée dans l’ascenseur.
Je tenais mes paupières fermées et j’imaginais mes camara- des de travail me regarder partir. Le client aussi. J’étais humiliée. J’ai entendu Marie-Claire me dire :
— Je vais te suivre en auto. Si tu meurs entre-temps, demande à mon grand-père de me contacter. Il s’appelle Gustave. Il a une grosse moustache et il lui manque deux dents en avant.
Puis on m’a sortie pour me transporter vers l’ambulance. Plus celle-ci avançait vers l’hôpital, mieux je me sentais. J’ai entendu l’ambulancier dire à son camarade que mon électrocardiogramme était « parfait ». Ce ne serait pas la première fois que des professionnels se trompent, non ?
Il se passait quelque chose de grave dans mon corps, c’était évident : je venais de passer à deux doigts de mourir.
2
En arrivant à l’hôpital, je me sentais bien. Merveilleusement bien, même. Soulagée. Un peu euphorique. J’ai néanmoins persisté dans mon rôle de fille qui venait de passer à un poil de trépasser. Mes talents de comédienne ont été mis à profit.
On m’a fait entrer dans une pièce éclairée au néon et on m’a demandé de me coucher sur une autre civière. J’ai feint la faiblesse, une infirmière est venue m’aider. Puis le déshabillage, l’enfilage de blouses bleues (une à l’envers, l’autre à l’endroit pour « préserver ma féminité », disait l’infirmière), les prises de sang (je déteste !), le bracelet qui gonfle autour du bras pour la pres- sion sanguine, les questions (trop de questions). Puis on m’a dit que le médecin viendrait me voir à « un moment donné ».
Pendant ce temps mort, je me suis exercée à mon sport préféré. Une activité qui ne nécessite aucun équipement et où j’excelle : la culpabilité. Je me sentais coupable pour tout, c’était plus fort que moi. Du plus loin que je me rappelle, j’avais toujours été comme ça. Je m’excusais constamment pour tout et pour rien. Si quelque chose ne tournait pas rond, c’était nécessaire- ment ma faute.
Je me sentais affreusement coupable d’être à l’hôpital, alors qu’il me restait tant de travail et qu’un client s’était déplacé pour nous rencontrer. Je ne supportais pas d’avoir dérangé mes collègues et d’avoir agi bizarrement devant le client, qui me croyait sûrement folle. Je m’en voulais d’avoir importuné des ambulanciers, de les avoir obligés à brûler des feux rouges et maintenant, d’occuper un local à l’urgence. Mais le pire ? J’avais dérangé Marie-Claire qui, elle aussi, avait bien du boulot à abattre, j’avais fait honte à Dominatrix et j’avais mis Climax International, la compagnie pour laquelle je travaillais, dans l’embarras.
Je me suis dit que, parce que je me sentais mieux, j’aurais pu me sauver. Mais retourner au travail moins d’une demi- heure après en être sortie sur une civière à l’article de la mort m’en empêchait. Je devais attendre quelques heures. Pour donner de la crédibilité au mal qui m’affligeait.
On a cogné à la porte. Je me suis levée pour l’ouvrir, en tirant sur les fils qui me reliaient à une machine qui analysait chacun de mes battements.
C’était Marie-Claire. Elle est entrée dans le local. Elle parlait au téléphone cellulaire et tenait ma sacoche. Elle me l’a tendue et a levé l’index.
— Je prends mes messages.
A suivi une gardienne de sécurité qui, elle, n’a pas cogné avant d’entrer cependant. Une dame aux cheveux noirs, aussi filiforme que la longue torche électrique qu’elle portait à la ceinture.
— Madame, les téléphones cellulaires sont interdits dans l’hôpital.
— Je sais, a dit Marie-Claire, il n’est pas allumé.
— Pourquoi vous le collez à votre oreille ?
— Je fais semblant.
La gardienne de sécurité a pris un moment pour réfléchir avant de continuer :
— Semblant de quoi ?
— Semblant de parler. Pour me donner de l’importance. La gardienne m’a regardée, a marmonné un truc et refermé la porte.
— C’est n’importe quoi, cette histoire de cellulaires dans les hôpitaux, a dit Marie-Claire. Tu sais quoi ? Je pense qu’ils veulent qu’on les désactive pour désengorger les urgences. Si les gens n’ont vraiment rien à faire, qu’ils ne peuvent même pas utiliser leur cellulaire, ils vont moins avoir tendance à perdre leur temps ici. Tu comprends ce que je dis ?
Voilà donc Marie-Claire. Elle avait une théorie pour chaque interdit dans notre société. Trente-huit ans. Célibataire. Des cheveux incroyablement frisés et indomptables. Névrosée et «fière de l’être », selon ses dires. Chaque fois qu’elle disait qu’elle cessait de fumer « pour de bon », elle le faisait. Cela arrivait au moins une fois par mois, quand elle vivait son syndrome pré-pré-prémenstruel.
Nous travaillions ensemble depuis plus de quatre ans. Elle n’était pas mon amie, puisque nous ne nous côtoyions pas à l’extérieur du bureau. Mais sa présence était divertissante.
— Alors, tu meurs ou merde ?
— Je ne sais pas.
— Bon, dans ce cas, je m’en vais. Dominatrix a laissé deux messages dans ma boîte vocale. Et comme tu n’es pas au bureau, eh bien, je vais me taper ta partie, faut croire.
C’est vrai, j’ai oublié d’ajouter que Marie-Claire était d’une grande diplomatie.
— Merci d’alimenter ma culpabilité, ai-je répliqué.
— Il n’y a pas de quoi, ma chère. Tu devrais te payer quelques heures dans un salon de bronzage, t’es un peu blême.
Son téléphone cellulaire a sonné. Elle a regardé l’écran puis me l’a montré. C’était le bureau.
— Incroyable. Dominatrix ne va jamais me lâcher.
Elle a appuyé sur le bouton pour transférer l’appel à sa boîte vocale.
— Bon, j’y vais. Ça va aller ? Tu as besoin de quelque chose ?
J’ai fait non de la tête.
— Parfait. Oh, soit dit en passant, ton voisin de local a un pénis géant. Je me suis trompée de porte et je l’ai vu. Désolée, je n’ai pas eu le temps de le prendre en photo avec mon téléphone. J’aimerais bien l’ajouter à ma collection.
Elle a mis la main sur la poignée de la porte et m’a dit avant de sortir :
— Prends ton temps, mais pas trop, hein ? Et n’oublie pas mon grand-père, si tu meurs.
Elle est partie, ouvrant la porte toute grande afin que les passants et les malades alités dans le corridor puissent me voir en tenue de malade en phase terminale.
Je me suis couchée sur la table et j’ai fermé les yeux. J’ai recommencé à danser la valse avec ma culpabilité. Un moment, je me suis même dit que je préférais mourir plutôt que d’affronter le regard des autres.
L’infirmière est venue à quelques occasions. Je lui ai demandé combien de temps je devrais attendre avant de voir le médecin. Elle m’a répondu qu’elle n’en avait aucune idée.
N’avoir rien à faire était pénible. J’aurais fait n’importe quelle bassesse pour avoir un casse-tête sous la main. Ou jouer à Tetris. Quand je commençais, je ne voyais jamais le temps passer et j’oubliais tout. Je ne me suis pas laissé démonter : je me suis emparée d’un de ces tracts qui parlent de maladies vénériennes et je l’ai déchiré en centaines de morceaux. Puis je me suis affairée à le reconstituer. Et j’ai appris, du même coup, qu’une des espèces de chlamydia chez l’animal peut être transmise à l’humain et générer des difficultés respiratoires. Cela m’a écœurée un peu.
J’ai attendu plus de trois heures. Comme mon téléphone cellulaire était au bureau, je ne pouvais ni lire mes courriels ni y répondre, ce qui s’avérait une véritable torture. Je me suis finale- ment endormie sur la table d’examen. Enfin, un homme court et moustachu est entré. Il s’est assis sur un tabouret et a posé une chemise sur la table de travail. Il l’a ouverte et s’est mis à frotter un de ses sourcils broussailleux avec ses doigts.
— Marie Soucy ? a-t-il demandé, sans détacher ses yeux de la feuille lignée devant lui.
— Oui.
— Bien. Expliquez-moi ce qui s’est passé.
— Eh bien, euh... je crois que j’ai fait un infarctus. Ou quelque chose du genre.
— Hum... Vous n’avez pas fait d’infarctus. L’électrocardiogramme est parfait. Les résultats de vos prises de sang aussi. Votre pression est excellente.
— Je... Je ne sais pas quoi dire. J’avais la nausée, le cœur voulait me sortir de la poitrine. C’était comme si je n’étais plus dans mon corps. J’avais l’impression de mourir.
Il m’a regardée pour la première fois et m’a fait un sourire.
— Parce que ça vous est déjà arrivé ? De mourir, je veux dire.
— Non. Mais... Je ne sais pas quoi vous dire.
Il s’est levé.
— Laissez-moi vous ausculter.
Il m’a fait respirer, il a écouté mes poumons, mon cœur.
A observé ma gorge. Mes oreilles. Tout était nickel.
Il s’est emparé d’un bloc de papier et a arraché une feuille.
— Je vous envoie chez un gastroentérologue. C’était peut-être une indigestion.
Une indigestion ? Je savais ce que c’était. Pas besoin de se rendre à l’hôpital pour ça !
Je n’ai pas insisté. J’ai pris le papier de référence.
— Autre chose ? a-t-il demandé en écrivant des notes dans mon dossier.
— Non.
— Nous allons vous garder encore quelques heures, en observation, question de nous assurer que tout est parfait. Après, vous recevrez votre congé.
Et il m’a laissée seule.
Avec ma culpabilité, bien entendu.
3
J’ai eu mon congé à vingt et une heures, finalement. J’ai donc passé plus de six heures à penser que tout le monde me croyait folle. J’imaginais très bien les infirmières se raconter entre elles que dans le local 16 se trouvait un phénomène nommé Marie Soucy, une femme sur le point d’être internée. D’ailleurs, c’était probablement pour cette raison que l’on me gardait en observation. On voulait s’assurer de ne pas relâcher dans la ville une maniaque dans la mi-trentaine qui allait crier à tous les passants que l’apocalypse approchait. D’un instant à l’autre, je m’attendais à ce que deux infirmiers baraqués entrent dans la pièce pour m’enfiler une camisole de force.
Quand je suis allée à la toilette, j’ai remarqué qu’un policier était assis devant une porte voisine. Il était planté là pour me surveiller, c’était clair. Pour que je ne prenne pas la poudre d’es- campette et menace alors la vie d’innocentes personnes. Quand il m’a souri, je me suis ravisée : sa présence n’était probablement pas liée à la mienne. Une infirmière m’a appris quelques minutes plus tard que mon voisin (celui au truc surdimensionné ?) était un prisonnier.
La même infirmière est venue m’annoncer que j’avais obtenu mon congé. Il était temps. J’étais si soulagée que je croyais que des ballons et des confettis allaient tomber du plafond. Trop de temps perdu que j’aurais pu consacrer au travail. D’ailleurs, je n’osais pas imaginer ce qui m’attendait au bureau. Marie-Claire devait être au bord de la crise de nerfs. Je rectifie : elle était perpétuellement au bord de l’hystérie ; à l’heure qu’il était, elle devait manger le rembourrage de sa chaise.
J’ai retiré les blouses bleues et les ai jetées dans le sac prévu à cet effet. Alors que j’allais agripper mes vêtements, la porte s’est ouverte. Pas celle du personnel médical. L’autre. Celle du corridor.
C’était un clown. Un arc-en-ciel dans le visage. Au départ, son maquillage devait avoir un semblant d’harmonie. Mais comme s’il s’était débarbouillé en vitesse et sans s’appliquer, c’était rendu une œuvre abstraite. Son costume était à l’avenant, gros boutons en forme de coccinelles et chaussures gigantesques compris.
Une fois l’effet de surprise passé, je me suis rendu compte que ma poitrine était exposée dans toute sa nudité. Le regard du clown faisait des allers et retours entre mes seins et mes yeux. J’ai posé mes mains devant ma poitrine et j’ai crié :
— La porte !
Le clown a fermé la porte, mais est resté dans le local avec moi.
— Non, vous, dehors ! Il a balbutié :
— Oui, euh, désolé.
Il est sorti. J’ai fait tourner le loquet et je me suis habillée en vitesse, de peur qu’il ne se fâche et défonce la porte à l’aide de ses gros souliers absurdes. Être la victime d’un clown voyeur était la dernière chose dont j’avais besoin.
On a cogné à la porte. J’ai entrouvert. Le clown y était toujours.
— Euh, j’aimerais juste savoir si...
Je lui ai claqué la porte au visage. Qu’est-ce qu’il me voulait ? Me faire un tour de magie ? Un animal rudimentaire en ballon ? Je me suis dit que dans le cas d’une agression, j’allais pouvoir deman- der au policier en service de me défendre. J’ai attendu une minute, puis j’ai rouvert la porte. J’ai regardé à gauche et à droite. Pas de créature multicolore à l’horizon, qui pourrait me pourchasser.
Je suis sortie du local où j’avais l’impression d’avoir passé les sept dernières années de ma vie. Dans le corridor, les murs étaient décorés de patients alités, essentiellement des personnes âgées. Il y avait aussi une femme aux bras couverts de tatouages, qui se plaignait de la nourriture qu’on lui avait servie à une vieillarde, la tête posée sur son oreiller, les yeux ronds et impassibles (peut-être morte ?).
Je devais sortir de là. À tout prix.
Pendant plus de six heures, j’avais été coupée du monde : pas de courriels, pas de téléphone cellulaire, pas d’Internet. Je n’avais aucune idée de ce qui s’était passé au bureau. Six heures, dans le métier que j’exerçais, étaient une éternité.
Je me suis jetée sur le premier téléphone public que j’ai vu et j’ai composé le numéro de ma boîte vocale.
Neuf messages. Dont sept de Dominatrix. Avec le ton de sa voix, elle m’en voulait. Même si elle commençait ses messages par : « J’espère que tu vas mieux... » Je n’avais pas le choix, je devais retourner au boulot.
J’ai aussi appelé à la maison. Amoureux, dont le nom réel était Benoît, a répondu.
— Salut, lui ai-je dit.
— Hey.
— Je vais travailler tard ce soir. Ne m’attends pas.
— O.K. Je mange quoi ?
J’entendais à l’arrière-plan la musique de l’un de ses jeux vidéo préférés où son personnage pouvait coucher avec une prostituée et l’assassiner par la suite pour ne pas devoir la payer. Chaque fois que ça arrivait, chaque fois qu’il la « butait », comme il disait, il poussait un rire saccadé qui me faisait frémir à tout coup. Il détestait se faire déranger de la sorte pendant une de ses parties.
— Je ne sais pas. Regarde dans le frigo.
Fin de la conversation.
Si j’avais été dans une relation de couple dite conventionnelle, je lui aurais probablement mentionné que j’avais passé la moitié de la journée à l’urgence de l’hôpital en raison d’un quasi-trépas. Mais nous étions rendus à une autre étape : celle de l’indifférence. Il s’en serait foutu complètement. Pas de manière évidente, bien entendu. Ça aurait été plus subtil. Il m’aurait demandé comment je me sentais, ce qui s’était passé, mais il ne m’en aurait plus jamais parlé. Il aurait fait preuve de politesse, mais pas d’empathie. J’avais décidé de ne plus m’en faire avec sa manière d’être avec moi. J’avais accepté (ou presque) ce qu’il était. Cela faisait vingt ans que j’étais avec lui. Je le connaissais comme si je l’avais tricoté.
Un autre appel. Le dernier parce que je n’avais plus de monnaie. Cette fois, Marie-Claire.
— C’est moi, lui ai-je dit.
Je n’ai pas compris ce qui a suivi, mais le ton aigu de sa voix et les cris et hurlements indiquaient que je devais rappliquer en vitesse.
Pendant mes conversations, j’ai vu passer devant moi un pirate avec un perroquet en plastique sur l’épaule, un mec maquillé en blanc avec une corne plantée dans le front (imitation d’une licorne, j’imagine) et un travesti. Avec le clown qui m’avait vue à moitié nue, j’avais eu ma dose de cocasserie pour l’année. J’ignorais ce qui se passait dans cet hôpital, mais je devais en sor- tir au plus vite.
J’ai enfin mis les pieds à l’extérieur, après avoir fait gicler dans mes mains, chaque fois que je rencontrais un distributeur, du liquide antiseptique. Pas le temps de tomber malade. Si j’avais pu, je me serais gargarisée avec le produit. Mauvaise idée. Cela goûtait mauvais, j’ai déjà essayé de m’en mettre sur la langue pour tuer tout virus susceptible de me faire manquer le travail.
Je suis partie à la recherche d’un taxi. J’étais à peu près à cinq kilomètres du bureau ; avec de la chance, j’y étais dans dix minutes.
Lorsque j’en ai vu un, on a tapoté sur mon épaule. Non ! C’était le clown voyeur ! Alors que je m’apprêtais à hurler, il a dit :
— Marie ?
Comment pouvait-il connaître mon prénom ?
— Oui ? !
— Tu ne me reconnais pas ?
J’avais beau faire le tour de tous les contacts de mon Rolodex, aucun clown n’en faisait partie.
— Pas vraiment, non.
— C’est moi. Charles.
— Charles ?
— Oui. Secondaire deux.
Et c’est alors que mes neurones ont établi les bonnes connexions dans ma mémoire.
Était-ce possible ? !
4
Charles Lanthier. Je ne l’avais pas vu depuis un peu moins de vingt ans. Mon premier amour. Le premier gars que j’ai embrassé aussi. Un garçon plus petit que moi et assez chétif, à l’époque. C’était un homme maintenant. Un clown, en fait.
— Wow ! Tu as... tellement changé.
— Pas toi. Je t’ai reconnue immédiatement. Je... Je voulais m’excuser pour tantôt. Je me suis trompé de porte.
— Ça va, j’aurais dû m’assurer qu’elle était verrouillée.
— Si ça peut te rassurer, je n’ai presque rien vu.
« Presque rien vu. » Bel euphémisme. Il a poursuivi :
— Et, euh, je te connais. J’imagine que c’est « moins pire ».
Avant que la situation ne devienne insupportable, j’ai décidé de changer de sujet.
— Mais qu’est-ce que tu fais ici ? Et, euh, en clown ?
Il a pointé son pouce vers l’hôpital derrière nous.
— Un ami à moi. Il vient d’être hospitalisé.
Le type de regards que les passants nous jetaient me fit réaliser que j’avais une discussion plutôt sensée avec un clown.
— Et cet accoutrement ? Pourquoi ?...
— Oh, oui, euh, c’est une longue histoire.
— Je ne te juge pas. C’est juste un peu... étrange.
— Je suis psychologue. Le costume, c’est mon passe-temps.
Bienvenue au festival des malaises. Je ne l’avais pas vu depuis deux décennies. Et la dernière fois, il était en larmes, j’étais en larmes et il avait une dent en moins. Si je m’en souvenais, c’était sûrement encore frais à son esprit.
J’avais souvent tenté de le retrouver. Par les réseaux sociaux, entre autres. Sans résultat. C’était un gars qui m’avait marquée. Il écrivait des poèmes improvisés dans mon agenda et dessinait des petits cœurs autour. Je n’ai plus mes agendas, mais j’ai arraché les pages en question et je les ai gardées. Depuis, je les lisais au moins une fois l’an, quand je faisais le ménage de ma garde-robe. Cela me permettait de fuir dans la nostalgie. C’était délicieux.
J’avais à plusieurs reprises écrit son nom dans un moteur de recherche sur Internet ; mais des Charles Lanthier, il y en avait des tonnes.
Je n’avais pas de mal à croire qu’il était psychologue. Son habit de clown, cependant, était plus déstabilisant. Je me suis demandé si les autres bizarroïdes que j’avais vus pendant que j’étais au téléphone étaient liés à Charles. Mais que pourraient faire une licorne, un pirate, un travesti et un clown à l’urgence d’un hôpital ? J’ai décidé de garder mes questions hautement existentielles pour moi.
Avant que je puisse trouver quelque chose d’intelligent à dire pour dissiper toute gêne, il m’a devancée :
— Et toi ? Que fais-tu ici ?
— Je sors de la morgue. Il fait trop froid là-dedans.
Charles s’est esclaffé. Son rire n’avait pas changé. Fort et clair.
— Toujours aussi drôle, Titicoubi.
Titicoubi. En m’entendant nommée de la sorte, j’ai senti une vague de nostalgie m’envahir. Lui seul m’appelait comme ça. C’était le petit nom qu’il m’avait donné. Par la suite, plus personne ne l’avait utilisé. C’était un temps béni. Un temps où je n’avais aucune responsabilité outre celle de nourrir mon chat. Et encore, quand j’oubliais, Maman prenait la relève.
— Je suis vraiment content de te revoir, m’a-t-il avoué. Je pense souvent à toi.
— C’est gentil, ai-je dit en regardant autour de moi à la recherche d’un taxi. J’aimerais vraiment discuter, mais j’ai une tonne de boulot qui m’attend.
— Eh bien, laisse-moi te reconduire.
J’ai souvent nourri le fantasme de le retrouver. Mais pas devant un hôpital, pressée de me remettre au travail, désespérément à la recherche d’un taxi. Ah oui, dans ces fantasmes, il n’était pas déguisé en clown non plus.
— Vraiment ? Tu viendrais me reconduire ?
Il a sorti des clefs d’une immense poche jaune sur sa poitrine.
— Absolument !
— Et ton ami ?
— Il est en de bonnes mains.
Il ignorait qu’à cette heure, une équipe d’urgentologues s’affairait à le réanimer. Il ignorait bien évidemment que malgré toutes les manœuvres tentées, elle allait échouer.
Nous nous sommes dirigés vers le stationnement. Même s’il y avait des centaines d’automobiles, j’ai su immédiatement laquelle lui appartenait. Plus on approchait de l’engin, plus j’espé- rais qu’un taxi surgisse de nulle part, prêt à sauver mon honneur.
— C’est ton automobile ?
Il a ri.
— Oui, on peut dire. C’est plus celle de mon personnage.
C’est la Foufoumobile.
— La Foufoumobile, ai-je murmuré.
C’était un corbillard des années cinquante, que l’on avait bariolé comme un arc-en-ciel. Sur le capot, il était écrit : « Viens faire le fou avec Foufou. »
— Foufou, c’est toi ?
— Le seul et l’unique. S’il ne me restait pas un peu d’orgueil, j’imiterais sa voix. Mais je vais me garder une petite gêne.
Il m’a ouvert la portière.
L’intérieur était propre et avait été bien entretenu. Lorsque Charles a démarré la voiture, je me suis retournée pour regarder à l’arrière. Il y avait un cercueil en bois.
— C’est un vrai ? !
— Un vrai de vrai.
Je commençais à me dire que j’aurais peut-être mieux fait de marcher.
— Et... il est vide ?
— Je crois. Faudrait vérifier.
Il n’a pas souri. C’était une blague. Probablement. Il me rendait la pareille avec mon histoire de morgue.
— Tu peux m’expliquer ce qui se passe ? Ton déguisement, le corbillard, le cercueil. C’est juste que j’ai l’impression d’être dans un film de David Lynch.
Je m’attendais à ce qu’un nain qui parle à l’envers surgisse d’un instant à l’autre. Comme squeegee, par exemple.
— Lynch, je l’adore, a déclaré Charles. Même si après, il faut que je gobe des somnifères pour dormir.
Une fois sortie du stationnement, je lui ai donné l’adresse.
— Je sais où c’est, a-t-il dit.
Puis il a enchaîné :
— Je te raconterai quand on aura plus de temps. Ne t’inquiète pas, il y a une explication rationnelle à tout cela.
Il s’est arrêté à un feu rouge. J’avais un peu chaud, j’ai voulu baisser la fenêtre.
— Elle est brisée. Je dois la faire réparer.
J’avais trop chaud. Et j’avais un peu la nausée.
— C’est incroyable qu’on se retrouve comme ça, a-t-il continué. Je suis vraiment content de te revoir. Je me suis toujours demandé ce que tu étais devenue. Quel métier exerces-tu ?
Cela recommençait. J’allais vomir. Mon cœur battait rapide- ment. J’avais une quantité inhabituelle de salive dans la bouche. Je n’avais pas mangé depuis le dîner. J’avais peut-être « une baisse de sucre », comme disait Maman. Je devais absolument sortir du véhicule. Même phénomène qu’avec Marie-Claire : plus Charles parlait, plus mon malaise augmentait.
— Titicoubi ?
Qu’il me nomme de la sorte a fait augmenter mon indisposition d’un cran.
Charles roulait en plein milieu d’un boulevard.
— Laisse-moi ici.
— Quoi ?
Il avait un sourire en coin. Il croyait que je blaguais.
— Ici. Laisse-moi ici. Je... J’ai oublié quelque chose.
Charles a mis son clignotant. Dès qu’il s’est immobilisé, je suis sortie du corbillard. Parce que je voulais m’assurer qu’il ne me poursuive pas, je me suis dirigée dans le sens contraire.
Il a crié je ne sais quoi, je n’ai pas compris. Je me sentais déjà un peu mieux.
5
Mes retrouvailles avec Charles ne s’étaient pas passées comme je les avais tant de fois imaginées. Quelle surprise.
